T-1940-89
Philias Guimond, William Bransfield, Alcime
Durelle, Ernest Durelle, Corine Cormier en son
nom propre et pour le compte de la succession
Alyre Durelle, Gerald Dutcher en son nom propre
et en qualité d'administrateur d'instance pour
Arnold Dutcher, William Gulliver, Alda Jenkins
en son nom propre et pour le compte de la succes
sion Bernard Jenkins, Thomas P. Lewis, Edward
A. MacDonald, Adrian McIntyre, Anathas McIn-
tyre, Charles McKay, David A. McKay, Hazel
MacTavish en son nom propre et au nom de feu
Norman MacTavish, Benoît Martin, Alfred Mer-
cure, Matilda Murdoch en son nom propre et au
nom de feu Francis J. Murdoch, Fernand Nowlan,
Lloyd Richardson, Robert Robichaud en son nom
propre et en qualité d'administrateur d'instance
pour Arthur Robichaud, Ernest Robichaud, Aime
Savoie, Joseph Scott, Hubert Sweezey en son nom
propre et pour le compte de la succession Benson
Sweezey, Frances Ireen Williston Reid en son nom
propre et au nom de feu Perley A. Williston,
Herbert Williston en son nom propre et au nom de
feu John Williston, Roland Williston et Wendell
Williston (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada
(défenderesse)
RÉPERTORIÉ: GUIMOND c. CANADA (I 1s INST.)
Section de première instance, juge MacKay—
Halifax, 9 avril; Ottawa, 19 avril 1991.
Pratique — Parties — Constitution d'administrateur d'ins-
tance — Il échet d'examiner si un demandeur est incapable —
Le critère consiste en la question de savoir si l'intéressé est
capable de donner des instructions à son procureur et d'exercer
son jugement au sujet d'un règlement au même titre qu'une
personne saine d'esprit — Une requête en constitution d'admi-
nistrateur d'instance pour une partie demanderesse doit nor-
malement être accueillie à moins qu'il n'y ait des raisons pour
mettre en doute la bonne foi de la requête ou la qualification
de cette partie demanderesse comme personne frappée
d'incapacité.
Requête en ordonnance portant constitution de représentants
de demandeurs décédés, ordonnance portant constitution d'ad-
ministrateurs d'instance pour des demandeurs supposés incapa-
bles, et en ordonnance portant modification de la demande. La
défenderesse ne conteste que la requête en ordonnance consti-
tuant Gerald Dutcher administrateur d'instance pour son père,
le demandeur Arnold Dutcher.
Selon les attestations de son médecin, Arnold Dutcher souf-
fre de schizophrénie paranoïaque chronique et imagine parfois
que des gens, voire la ville entière, sont contre lui. Le médecin
estime qu'il n'est pas en mesure de se représenter lui-même. Au
cours de l'interrogatoire préalable, Gerald Dutcher fait savoir
que son père est lucide par moments; à son avis, son père ne
serait pas en état de témoigner au procès.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
Il faut se conformer aux prescriptions de la Règle 1700 des
Règles de la Cour fédérale avant que ne s'appliquent les règles
provinciales incorporées aux premières par référence. Il suffit à
cet effet de prouver que l'intéressé est incapable. Il n'est pas
nécessaire que la preuve établisse les faits au moment où
l'action principale fut intentée; au contraire, la date à laquelle
doit se rapporter cette preuve est celle où la requête a été
introduite. Dans Lingley c. Hickman, la date de l'engagement
de la procédure revêtait une importance particulière parce qu'il
y avait fin de non-recevoir fondée sur l'incapacité. En l'espèce,
il n'y a pas contestation du droit du demandeur nommé de
participer au procès. La Règle 1700(2) prévoit la poursuite de
l'action dans le cas du demandeur qui devient incapable par la
suite.
Le critère applicable pour conclure si une personne est
«incapable» a été défini par Lord Denning dans Kirby v.
Leather. La Règle 1700 s'étend encore à d'autres cas que celui
des faibles d'esprit. La principale question à poser en cas de
demande de constitution d'administrateur d'instance est de
savoir si l'intéressé est capable de donner des instructions à son
procureur et d'exercer son jugement au sujet des points litigieux
et d'un règlement possible en la matière, comme une personne
saine d'esprit devrait être en mesure de le faire.
Selon les Règles de procédure du Nouveau-Brunswick, les
conditions de constitution du tuteur d'instance du demandeur
incapable sont moins rigoureuses que celles qui s'appliquent à
la constitution du tuteur d'instance du défendeur incapable.
Dans ce dernier cas, une ordonnance judiciaire est nécessaire
alors que toute personne non frappée d'incapacité peut, sans
être nommée par la Cour, agir en qualité (le tuteur d'instance
pour un demandeur frappé d'incapacité. Une requête en consti
tution d'administrateur d'instance pour un demandeur doit
normalement être accueillie, à moins qu'il n'y ait des raisons de
mettre en doute la bonne foi de la requête ou de la qualification
du demandeur comme personne frappée d'incapacité.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
420, 1700, 1710.
Règles de procédure du Nouveau-Brunswick, [Règl.
N.-B. 81-174]; Règles 7.01, 7.02, 7.03.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Kirby v. Leather, [ 1965] 2 All E.R. 441 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Lingley c. Hickman, [1972] C.F. 171; (1972), 33 D.L.R.
(3d) 593; 10 C.C.C. (2d) 362 (1" inst.); Bugden v.
Bugden (1974), 15 N.S.R. (2d) 535; 52 D.L.R. (3d) 241;
23 R.F.L. 253 (C.S.); Kennedy v. Sask. Cancer Founda
tion, [1990] 2 W.W.R. 533; (1990), 81 Sask. R. 237
(Q.B.).
AVOCATS:
David N. Rogers pour les demandeurs.
Michael F. Donovan pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Gilbert, McGloan, Gillis, Saint-Jean, pour les
demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MACKAY: Par cette demande en modi
fication des plaidoiries, introduite en leur nom et
entendue à Halifax le 9 avril 1991, les parties
demanderesses concluent aux ordonnances suivan-
tes:
1) Ordonnance portant que certaines personnes
nommément désignées sont constituées, aux
fins de cette action, représentants de la succes
sion d'autres personnes défuntes et que les plai-
doiries sont modifiées en conséquence, confor-
mément aux Règles 1710 et 420 des Règles de
la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], ordon-
nance à laquelle la partie demanderesse/inti-
mée consent;
2) Ordonnance portant que certaines autres per-
sonnes nommément désignées sont constituées,
aux fins de cette action, administrateurs d'ins-
tance pour deux personnes figurant comme
parties demanderesses dans la déclaration ini-
tiale et que les plaidoiries sont modifiées en
conséquence, conformément aux Règles 1700
et 420 des Règles de la Cour fédérale, ordon-
nance à laquelle la partie défenderesse consent
en partie et s'oppose en partie;
3) Ordonnance autorisant les parties demanderes-
ses à apporter une modification de fond à la
déclaration conformément à la Règle 420,
ordonnance à laquelle la partie défenderesse
consent sous réserve de son droit de déposer
une défense modifiée.
La Cour fait droit à la requête relative aux
ordonnances auxquelles consent la défenderesse.
Dans la mesure où ces ordonnances et celle à
laquelle s'oppose cette dernière, et dont l'issue est
décidée par les présents motifs, affectent la qualité
des parties figurant à titre de demandeurs dans
l'intitulé de la cause, la Cour ordonne de son
propre chef que cet intitulé de cause soit modifié
conformément aux dispositions des ordonnances
rendues.
L'ordonnance à laquelle s'oppose la défenderesse
devait prévoir ce qui suit:
[TRADUCTION] ... que Gerald Dutcher et Robert Robichaud
soient, aux fins de cette action, constitués administrateurs
d'instance pour Arnold Dutcher et pour Arthur Robichaud
respectivement, et que les plaidoiries soient modifiées en consé-
quence, conformément aux Règles 1700 et 420 des Règles de la
Cour.
La défenderesse ne s'oppose pas à ce que Robert
Robichaud soit, aux fins de cette action, constitué
administrateur d'instance pour Arthur Robichaud
conformément à la Règle 1700, par ce motif que
ce dernier est «incapable» au sens de cette Règle et
à la condition que soient observées les prescriptions
des Règles de procédure du Nouveau-Brunswick
[Règl. N.-B. 81-174], incorporées par référence
dans la Règle 1700(1)a).
La défenderesse s'oppose cependant à ce que
Gerald Dutcher soit, aux fins de cette action,
constitué administrateur d'instance pour Arnold
Dutcher, par ce motif qu'au moment où l'action
fut intentée, savoir le 11 septembre 1989, la Cour
n'a été saisie d'aucune preuve établissant que ce
dernier était incapable parce que faible d'esprit.
Voici les dispositions applicables de la Règle
1700 des Règles de la Cour fédérale:
Règle 1700. (1) Une procédure engagée par ou contre un
mineur, un aliéné, un faible d'esprit ou une autre personne
n'ayant pas pleine capacité ou n'ayant pas le libre exercice de
ses droits (ci-après désignés sous le nom de «incapable») peut
être engagée et conduite devant la Cour et la défense peut y
être assumée,
a) si l'incapable réside dans une province du Canada, de la
façon dont une telle procédure serait engagée et conduite et
dont la défense serait assumée devant une cour supérieure de
la province où l'incapable réside (comme si une mention de
cette cour supérieure dans les dispositions du droit ou les
règles de pratique judiciaire de cette province réglementant
la procédure devant cette cour supérieure ou réglementant
toute mesure spéciale à prendre au sujet d'un incapable
relativement à une telle procédure s'entendait, avec les modi
fications qui s'imposent, d'une mention à la Cour fédérale du
Canada);...
(2) Il peut être remédié, à tout stade de la procédure ou d'un
appel, avec effet rétroactif à compter du moment où la procé-
dure a été engagée, à toute omission de se conformer aux
prescriptions de l'alinéa (1).
L'avocat de la défenderesse se fonde sur la
conclusion tirée par le juge Heald, qui siégeait à
l'époque à la Section de première instance, dans sa
décision Lingley c. Hickman, [1972] C.F. 171 (1"
inst.), aux pages 182 et 183, pour faire valoir deux
arguments. Le premier, auquel je souscris, veut
que la partie invoquant l'incapacité se conforme
aux prescriptions de la Règle 1700 des Règles de
la Cour fédérale avant que les règles provinciales,
en l'espèce les Règles de procédure du Nouveau-
Brunswick incorporées par référence aux premiè-
res, ne s'appliquent à la constitution de l'adminis-
trateur d'instance. Le second veut que soit admi-
nistrée la preuve à l'appui de la conclusion qu'une
partie est «un aliéné, un faible d'esprit ou une
autre personne n'ayant pas pleine capacité ou
n'ayant pas le libre exercice de ses droits» au sens
de la Règle 1700, et que la date importante relati-
vement à cette preuve soit celle de l'introduction
de la présente action.
Tout en convenant que la Cour ne peut conclure
à l'incapacité d'une personne qu'à la lumière des
preuves produites à cet effet, je ne saurais accepter
que la date importante en la matière ne puisse être
que celle de l'introduction de l'action. Par exem-
ple, il se peut qu'une action ait été intentée par un
demandeur qui n'est frappé d'incapacité que par la
suite, et c'est ce cas que semble prévoir la Règle
1700(2). La date de l'engagement de la procédure
revêtait une importance particulière dans Lingley
parce que la partie défenderesse faisait valoir entre
autres, à titre de fin de non-recevoir, que la partie
demanderesse était incapable. En l'espèce, les
demandeurs cherchent à constituer un administra-
teur d'instance pour Arnold Dutcher dans une
action intentée en septembre 1989 et dont l'audi-
tion doit avoir lieu dans quelques mois, et c'est
certainement à l'introduction de la requête qu'il
faut produire les preuves en la matière.
Les avocats des parties conviennent essentielle-
ment que le critère à appliquer pour conclure si
une personne doit être considérée comme «incapa-
ble» au sens de la Règle 1700 est celui qu'a défini
lord Denning, M.R., dans Kirby v. Leather,
[1965] 2 All E.R. 441 (C.A.), à la page 444, à
propos de la qualification juridique du «faible d'es-
prit», savoir si par suite de maladie mentale, une
personne est incapable de gérer ses propres affaires
dans le cadre de l'action comme le ferait une
personne saine d'esprit, ce qui s'entend également
de l'aptitude à donner des instructions convenables
à son procureur et à exercer un jugement raisonna-
ble au sujet d'un règlement possible. Il y a lieu de
noter que la Règle 1700 s'étend à d'autres cas
encore que celui des faibles d'esprit. À mon avis, la
principale question à poser en cas de demande de
constitution d'un administrateur d'instance pour
représenter une partie demanderesse est de savoir
si, sauf les incapacités légales comme la minorité,
cette personne est capable de donner des instruc
tions à son procureur et d'exercer son jugement au
sujet des points litigieux et d'un règlement possible
en la matière, comme une personne saine d'esprit
devrait être en mesure de le faire.
L'avocat de la défenderesse cite deux précédents
à l'appui de sa conclusion que les preuves produites
devant la Cour ne satisfont pas au critère établi.
Le premier est Bugden v. Bugden (1974), 15
N.S.R. (2d) 535 (C.S.), affaire de divorce dans
laquelle la Cour a soulevé elle-même la question de
la capacité de l'intimée chez qui un état de «schi-
zophrénie paranoïaque» avait été diagnostiqué. Sur
la foi du témoignage d'un médecin, la Cour a
conclu dans cette affaire que l'intimée était [TRA-
DUCTION] «mentalement capable de juger des
questions juridiques ainsi que des conséquences
possibles de la procédure de divorce, et de former
un jugement raisonné sur la ligne de conduite
qu'elle devrait suivre à ce sujet». Le second précé-
dent cité est Kennedy v. Sask. Cancer Foundation,
[1990] 2 W.W.R. 533 (Sask. Q.B.), aux pages 535
et 536, affaire portant sur l'application de la Limi
tation of Actions Act (loi sur la prescription) de la
Saskatchewan à une action tardive en dommages-
intérêts pour traitement médical administré plus
de trente ans auparavant. Malgré les témoignages
selon lesquels la demanderesse était anormalement
préoccupée de l'état de son bras au point que son
comportement en souffrait et «son psychiatre pen-
sait qu'elle aurait eu du mal à en discuter avec un
avocat», la Cour a conclu que malgré son afflic
tion, il n'y avait aucune preuve de faiblesse d'esprit
après que la demanderesse eut atteint la majorité,
qui eût justifié la suspension du délai de prescrip
tion légale. À mon avis, ni l'une ni l'autre de ces
affaires n'a aucun rapport direct avec l'affaire en
instance. Il ne s'agit pas en cet état de la cause
d'un procès avec témoignage oral, mais d'une
requête introduite pour le compte des parties
demanderesses, en constitution d'un administra-
teur d'instance pour représenter une partie initiale-
ment nommée comme demandeur, et il n'y a con-
testation ni du droit de cette partie de participer
au procès ni de sa capacité pour ce qui est d'être
soumise à une décision de la Cour.
Voici les preuves relatives à l'incapacité d'Ar-
nold Dutcher, qui ont été produites au moyen de
l'affidavit déposé à l'appui de la requête des avo-
cats des demandeurs. En premier lieu, une note en
date du 25 mai 1990 de son médecin, le Dr Paul E.
L. Christensen, porte ce qui suit:
[TRADUCTION] A qui de droit:
Je certifie par les présentes que M. Arnold Dutcher n'est pas
en mesure de témoigner en raison de son état de santé physique
et mentale. Prière de l'aider en cette matière.
En deuxième lieu, une autre lettre en date du 16
juillet 1990 du Dr Paul E. L. Christensen, adressée
à l'étude d'avocats représentant les demandeurs,
porte entre autres:
[TRADUCTION] Objet: M. Arnold Dutcher
À qui de droit:
Cette personne, qui a 60 ans, souffre depuis longtemps de
schizophrénie paranoïaque chronique avec de nombreux épiso-
des de psychose aiguë nécessitant l'hospitalisation. Il a été
traité pour la première fois par le D' Duffy en 1971 ... Il a été
hospitalisé plusieurs fois, comme en témoignent les sommaires
de sortie d'hôpital qui indiquent aussi que le patient a subi de
nombreuses médications ... A l'époque le diagnostic n'était pas
clair, mais ces dernières années, il a été évalué à plusieurs
reprises par le D' Ali, psychiatre, qui a diagnostiqué une
schizophrénie paranoïaque chronique, et avec le recul, il est
manifeste que cet état existe depuis longtemps. Au cours des
cinq à dix dernières années, il a eu de nombreuses crises de
psychose paranoïaque, étant persuadé par exemple que ses
voisins de Loggieville le harcelaient au téléphone. Il a même
reçu un avertissement de la police pour avoir harcelé une
voisine dont il pensait qu'elle le harcelait. Il s'est plaint à moi à
plusieurs reprises que la ville entière était contre lui et que des
centaines de gens lui voulaient du mal. Cette personne est très
nerveuse et, comme indiqué plus haut, a eu auparavant des
crises de psychose.
Son traitement actuel comprend des injections mensuelles
d'un antipsychotique, du Valium pour l'anxiété, du Restoril
pour l'insomnie et du Buscopam pour ses troubles peptiques
chroniques.
En résumé, ce patient a eu une longue histoire d'incapacité et
à l'époque en question, de 1979 1981, il souffrait de façon très
aiguë du mal dont il souffre actuellement. Il est aussi manifeste
qu'il n'est pas en mesure de comparaître en justice ou de se
représenter convenablement.
La troisième preuve est la transcription de l'inter-
rogatoire préalable, mené par l'avocat de la défen-
deresse, de Gerald Dutcher, que les demandeurs
souhaitent voir constitué administrateur d'instance
pour son père Arthur Dutcher. En voici les passa
ges applicables:
[TRADUCTION] Q.2 Vous allez demander à être constitué
administrateur d'instance pour votre père Arthur Dut-
cher?
R. Oui.
Q.3 Et selon la pièce 84, Arnold Dutcher souffre de troubles
physiques et mentaux qui l'empêchent de témoigner. Pour-
riez-vous nous dire quels sont ces troubles?
R. Il souffre de colite, qui est une maladie physique ... et
d'anxiété mentale, de tension nerveuse. De dépression.
Il y en a d'autres, mais je ne ... il faudra que je vérifie
avec son médecin. Je ne les connais pas toutes, mais il
est affligé de différentes maladies.
Q.4 Est-il lucide?
R. Pardon?
Q.5 Est-il lucide? Est-il en mesure de répondre aux questions
et de comprendre les questions qu'on lui pose?
R. Il l'est par moments. Par exemple, il avait été préparé
pour cette séance et pensait qu'il pourrait y participer,
il est arrivé de bonne heure ce matin mais à cause de
ses nerfs et d'un tas d'autres choses, il a dû s'en aller.
C'est son médecin qui vient de me l'apprendre à 13
heures ou à 13 h 30.
Q.6 Donc les renseignements que vous allez produire, les tenez-
vous des documents ou de la réponse de votre père à vos
questions?
R. Cela pourrait être des deux.
Q.7 La difficulté dans cette affaire, c'est qu'il semble toujours
en mesure de donner un témoignage soutenu pour ce qui
est de son propre intérêt dans l'action.
R. Vu son état, je ne pense pas qu'il soit en mesure de
témoigner, que ce soit maintenant ou dans deux ou
dans six mois. Vu son état physique et mental, eh bien,
quel que soit le moment, je ne pense pas qu'il soit
capable de témoigner. C'est d'ailleurs pourquoi il est
venu ce matin puis a dû s'en aller.
Q.8 Ça, je le comprends, mais ce que je cherche à savoir, c'est
si je vous pose une question et que vous ne connaissiez pas
la réponse, est-ce que vous pourrez lui relayer la question
et qu'il vous donnera la réponse.
R. Certainement. En fait, je lui ai posé hier des questions
qui intéressent cet interrogatoire préalable et je ... il
m'a donné plusieurs réponses à ces questions.
L'avocat de la défenderesse soutient qu'il ressort
de ce témoignage que les conditions ne sont pas
réunies pour la constitution d'un administrateur ou
tuteur d'instance, qu'il est manifeste qu'Arthur
Dutcher peut donner les explications nécessaires à
son fils, bien que je conclue des réponses de ce
dernier à l'interrogatoire préalable qu'il n'en était
pas toujours ainsi. Cet avocat soutient aussi qu'il
n'y a aucune preuve établissant que M. Dutcher
n'est pas en mesure de donner des instructions à
son avocat, et que la dernière phrase de la seconde
lettre de son médecin (lettre que l'avocat qualifie
de vague) ne répond à aucun critère juridique.
L'avocat des requérants soutient de son côté que le
témoignage du D` Christensen, en particulier l'in-
sistance dans la seconde lettre sur la longue his-
toire de schizophrénie paranoïaque chronique avec
de multiples épisodes de psychose aiguë nécessitant
l'hospitalisation, renforcée par la mention du trai-
tement continu du patient et la conclusion du
médecin quant à l'inaptitude de ce dernier à se
représenter convenablement, satisfait pleinement
aux conditions de constitution d'un administrateur
ou tuteur d'instance.
J'estime que dans cette requête, introduite par
l'avocat des demandeurs essentiellement pour le
compte de Gerald Dutcher qui cherche à se faire
constituer administrateur d'instance pour son père
Arnold Dutcher, lequel figurait parmi les deman-
deurs dans la déclaration initiale, il suffit, sous le
régime de la Règle 1700, de prouver que Arnold
Dutcher, qu'on dit «incapable», est incapable de
gérer ses propres affaires dans le cadre de cette
action en donnant des instructions à son avocat ou
en formant un jugement raisonnable quant à un
règlement possible, comme le ferait une personne
saine d'esprit. Les faits de la cause sont différents
de ceux de l'affaire Lingley, où la partie défende-
resse faisait valoir, à titre de fin de non-recevoir,
que la partie demanderesse était frappée d'incapa-
cité au moment où elle intenta l'action. Cette
dernière affaire devrait, à mon avis, requérir des
preuves bien strictes car la Cour devait, sans le
consentement ou l'acquiescence implicite de l'inté-
ressé, décider si une partie était incapable.
Que les critères applicables au cas de la per-
sonne qui cherche à se faire constituer tuteur
d'instance pour un demandeur incapable soient
différents de ceux applicables au cas du défendeur
incapable ressort clairement des Règles de procé-
dure du Nouveau-Brunswick qui portent, entre
autres:
7.01 Représentation
Sauf ordonnance contraire ou disposition contraire d'une loi,
les personnes suivantes sont chargées d'introduire, de continuer
ou de contester l'instance engagée par une personne frappée
d'incapacité ou contre celle-ci:
d) le tuteur d'instance, pour une personne atteinte d'incapa-
cité mentale ou incapable de gérer ses propres affaires mais
qui n'est pas reconnue comme telle ...
7.02 Tuteur d'instance du demandeur ou du requérant
(1) Toute personne qui n'est pas frappée d'incapacité peut,
sans être nommée par la cour, agir en qualité de tuteur
d'instance d'un demandeur ou d'un requérant frappé d'incapa-
cité.
(2) Nul ne peut agir en qualité de tuteur d'instance d'un
demandeur ou d'un requérant frappé d'incapacité avant d'avoir
déposé un affidavit dans lequel
a) il consent à agir en cette qualité,
b) il confirme avoir donné un mandat écrit à un avocat pour
le représenter, en indiquant le nom de l'avocat,
c) il indique son lieu de résidence ainsi que celui de la
personne frappée d'incapacité
d) il indique, le cas échéant, son lien de parenté avec la
personne frappée d'incapacité
e) il indique n'avoir dans l'instance aucun intérêt opposé à
celui de la personne frappée d'incapacité et
f) il reconnaît avoir été informé qu'il pourrait être tenu
personnellement responsable de tous les dépens auxquels
lui-même et la personne frappée d'incapacité auront été
condamnés.
7.03 Tuteur d'instance d'un défendeur ou d'un intimé
(1) À moins d'être nommé par la cour, nul ne peut agir en
qualité de tuteur d'instance d'un défendeur ou d'un intimé
frappé d'incapacité.
[Cette disposition énumère ensuite la procédure à suivre par la
personne nommée par la cour tuteur d'instance d'un défendeur
ou intimé frappé d'incapacité.]
Il ressort de ces règles de procédure qu'une per-
sonne qualifiée peut, sans y être nommée d'ordre
de justice, agir en qualité de tuteur d'instance d'un
demandeur ou requérant frappé d'incapacité, mais
que le tuteur d'instance d'un défendeur ou intimé
incapable doit être nommé par la juridiction com-
pétente. Celle-ci doit prendre en considération,
entre autres, les faits de la cause dont elle est
saisie. À mon avis, une requête en constitution
d'administrateur ou de tuteur d'instance pour une
partie demanderesse doit normalement être
accueillie, à moins qu'il y ait des raisons pour
mettre en doute la bonne foi de la requête ou la
qualification de cette partie demanderesse comme
personne frappée d'incapacité.
Je conclus, sur la foi des attestations ci-dessus
du D` Christensen sur lesquelles insiste l'avocat des
requérants, et du témoignage donné par Gerald
Dutcher durant l'interrogatoire préalable, que son
père Arnold Dutcher n'est lucide que par moments
et que selon Gerald Dutcher, il ne serait pas en
mesure de témoigner dans cette affaire à quelque
moment que ce soit. Je prends note qu'il n'y a pas
que son incapacité à témoigner qui soit en question
en l'espèce. Je ne suis pas persuadé que, du fait
qu'il peut répondre aux questions posées par son
fils, on peut conclure qu'il serait tout le temps en
mesure, comme toute personne saine d'esprit
devrait l'être, de donner des instructions à son
avocat, de saisir les ramifications de cette action et
de juger des propositions de règlement qui pour-
raient se faire jour. J'incline à souscrire à la
description faite par le D' Christensen et selon
laquelle M. Arnold Dutcher est une personne dont
on ne saurait attendre qu'elle soit tout le temps en
mesure de juger de sa situation vis-à-vis du litige
en l'espèce et de donner des instructions à son
avocat en conséquence. Je conclus aux fins de cette
action qu'il est «incapable» au sens de la Règle
1700.
En conséquence, outre les ordonnances mention-
nées au début des présents motifs, une ordonnance
sera rendue qui constitue Gerald Dutcher adminis-
trateur d'instance pour Arnold Dutcher aux fins de
cette action et modifie les plaidoiries à cet effet,
conformément aux Règles 1700 et 420 des Règles
de la Cour fédérale. Il est entendu que pour
satisfaire pleinement aux impératifs de la Règle
1700(1)a), Gerald Dutcher doit, en qualité d'ad-
ministrateur d'instance, se conformer aux prescrip
tions des Règles de procédure du Nouveau-Bruns-
wick pour tout tuteur d'instance de demandeur.
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