90-T-823
Robert Blackwood (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
et
Toronto Sun Publishing Corporation (interve-
nante)
RÉPERTORIÉ: BLACKWOOD c. CANADA (MINISTRE DE L'EM-
PLOI ET DE L'IMMIGRATION) (I"' inst.)
Section de première instance, juge en chef adjoint
Jerome—Toronto, 8 janvier; Ottawa, 7 mai 1991.
Immigration — Pratique — Requête visant à obtenir un bref
de certiorari annulant la décision par laquelle la Commission
de l'immigration et du statut de réfugié a ordonné, en vertu de
l'art. 69(2) de la Loi sur l'immigration, que l'audience relative
au statut de réfugié du requérant ait lieu en public, et à
obtenir un bref de mandamus ordonnant le réexamen de la
question de la publicité de l'audience conformément à la loi —
Le critère de la possibilité sérieuse de préjudice est-il dérai-
sonnable? — Il a été jugé que la revendication du statut de
réfugié du requérant avait un minimum de fondement —
L'audience doit avoir lieu à huis clos à moins que le requérant
ou un simple citoyen ne demande le contraire — Le fardeau de
la preuve repose sur le demandeur du statut de réfugié en ce
qui concerne l'exclusion de la presse — Celui-ci n'a pas
présenté d'éléments de preuve ou d'arguments convaincants
démontrant qu'il existe une possibilité sérieuse qu'il subisse un
préjudice si l'enquête est publique.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Le requérant craint des représailles si le témoi-
gnage qu'il donnera au cours de l'audience relative à son statut
de réfugié est rendu public — La Commission a-t-elle correc-
tement soupesé l'importance respective des droits garantis par
l'art. 7 de la Charte et du droit à la liberté de la presse
Lorsque le droit d'accès est affirmé, le fardeau de la preuve est
alors imposé à la personne qui demande que la presse soit
exclue — Le requérant ne s'est pas acquitté du fardeau qui lui
incombait de démontrer qu'il existait une sérieuse possibilité
que lui-même ou les membres de sa famille subissent un
préjudice.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fon-
damentales — Liberté de la presse — Requête présentée par
un éditeur en vue d'obtenir, en vertu de l'art. 69(2) de la Loi
sur l'immigration, la publicité d'une audience relative au
statut de réfugié — Lorsqu'un droit d'accès est affirmé, le
fardeau de la preuve est alors imposé à la personne qui
demande que la presse soit exclue — Le revendicateur du
statut de réfugié n'a pas réussi à s'acquitter du fardeau qui lui
incombait de démontrer qu'il existait une sérieuse possibilité
que la publicité des débats porte préjudice à lui-même ou aux
membres de sa famille — Il faut présenter des éléments de
preuve pour justifier de porter atteinte à la liberté de la presse
dans une procédure judiciaire ou quasi judiciaire.
Il s'agit d'une requête visant à obtenir un bref de certiorari
annulant la décision par laquelle la Commission de l'immigra-
tion et du statut de réfugié a ordonné, en vertu du paragraphe
69(2) de la Loi sur l'immigration, que l'audience relative au
statut de réfugié du requérant soit entendue en public, et à
obtenir un bref de mandamus enjoignant à certains membres
de la Commission de réexaminer cette question conformément
à la loi. Le requérant est un citoyen de la Jamaïque qui a
demandé qu'on lui reconnaisse au Canada le statut de réfugié
au sens de la Convention. Après qu'il fut jugé que sa revendica-
tion avait un minimum de fondement, il a tenu une conférence
de presse au cours de laquelle il a déclaré qu'il craignait qu'on
attente à sa vie à la suite du témoignage qu'il donnerait à
l'audience relative à son statut de réfugié. Par la suite, deux
journaux de Toronto ont présenté à la Commission de l'immi-
gration et du statut de réfugié une requête visant à obtenir la
publicité des débats. Le requérant a déclaré à la Commission
qu'au cours de l'enquête relative à son statut de réfugié, il
nommerait des policiers et des hommes politiques jamaïquains
de haut niveau et que la publicité pourrait nuire à sa carrière
musicale. Ayant conclu que le requérant n'avait pas fourni de
détails justifiant sa crainte de représailles, la Commission a
accueilli la requête visant à obtenir la publicité des débats en
concluant que le requérant ne s'était pas acquitté du fardeau
qui lui incombait de démontrer qu'il existait une sérieuse
possibilité que la publicité des débats porte préjudice à lui-
même ou aux membres de sa famille.
La question litigieuse à laquelle la Cour doit répondre est
celle de savoir si la Commission a commis une erreur en
décidant de tenir une audience publique et en obligeant le
requérant à satisfaire au critère de la «possibilité sérieuse» que
la publicité des débats porte préjudice à lui-même ou aux
membres de sa famille. Le requérant prétend que la Commis
sion a commis une erreur de droit en l'obligeant à satisfaire à ce
critère et affirme qu'il aurait pu satisfaire à un critère moins
exigeant en présentant des éléments de preuve crédibles et
dignes de foi sur la question de l'«entrave» causée au déroule-
ment de l'enquête et sur celle du «préjudice». Il prétend en outre
que la Commission a commis une erreur en ne soupesant pas
l'importance respective des droits et libertés que la Charte
accorde au requérant et à la presse. Il signale que le Guide des
procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de
réfugié des Nations Unies présume que la procédure de recon
naissance du statut de réfugié se déroule partout à huis clos. Le
requérant fait aussi valoir que même s'ils sont importants dans
le cadre d'une société démocratique, les droits que la Charte
reconnaît à la presse ne sont pas absolus et qu'ils doivent
s'apprécier en comparaison avec les droits uniques que possède
le requérant dans le cadre de l'audience relative à son statut de
réfugié, particulièrement les droits à la vie, à la liberté et à la
sécurité de sa personne que lui reconnaît l'article 7. Il prétend
que la Commission a commis une erreur en ne soupesant pas
l'importance respective des intérêts en question. Finalement, le
requérant prétend que la Commission a commis une erreur en
communiquant ses motifs à la presse, car cela a eu pour effet de
déclarer rétroactivement la publicité des débats alors que le
requérant n'avait pas été mis au courant de cette possibilité.
L'intimé prétend que le fardeau de la preuve qui incombe au
revendicateur du statut de réfugié qui demande que la presse
soit exclue de la salle d'audience consiste à démontrer, selon la
prépondérance des probabilités, que la divulgation de certains
faits risquerait de porter préjudice à lui-même ou aux membres
de sa famille. Le critère de la «possibilité sérieuse,, que la
Commission a imposé était en fait un fardeau de preuve moins
exigeant. L'intervenante prétend que, pour établir une violation
d'un droit garanti par l'article 7 de la Charte, le requérant doit
se fonder sur la prépondérance des probabilités, et elle souligne
qu'un fardeau moins lourd que celui qu'a appliqué la Commis
sion nierait effectivement le droit d'accès aux procédures judi-
ciaires et quasi judiciaires que la constitution garantit aux
médias. La Commission a soupesé l'importance respective des
droits opposés qui sont prévus par la Charte et a conclu que le
droit d'accès des médias l'emportait sur le droit du requérant à
une audience à huis clos.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
Il ressort de l'examen de l'historique législatif du paragraphe
29(3) de la Loi sur l'immigration (qui est très semblable à la
disposition en litige en l'espèce) que le juge Martin a fait dans
Toronto Star Newspapers Ltd. c. Kenney que le principe et la
coutume d'accorder aux revendicateurs du statut de réfugié
l'avantage d'une audience à huis clos font partie du droit de
l'immigration depuis un certain temps. La conclusion du juge
Martin suivant laquelle le paragraphe 29(3) était conforme à la
constitution a toutefois été rejetée dans l'arrêt Pacifie Press
Ltd. c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)
(McVey n° 2) par le juge MacGuigan, J.C.A., qui a conclu que
le paragraphe 29(3) avait pour objectif de porter atteinte à la
liberté de la presse prévue à l'alinéa 2b) de la Charte. La
constitutionnalité du paragraphe 69(2) n'est pas contestée en
l'espèce. Les décisions Toronto Star, Pacifie Press Ltd. c.
Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (McVey n°
I) et, maintenant, McVey n° 2 établissent néanmoins qu'on ne
peut porter atteinte à la liberté de la presse dans le cadre d'une
instance judiciaire ou quasi judiciaire sans invoquer des élé-
ments de preuve le justifiant, et que la simple affirmation du
droit d'accès prévu par l'alinéa 2b) déplace le fardeau de la
preuve sur la personne qui demande l'exclusion de la presse.
La Commission est tenue d'accorder aux revendicateurs du
statut de réfugié une audience à huis clos à moins que le
revendicateur ou un simple citoyen ne demande le contraire.
Comme la Commission a respecté cette obligation, la procédure
suivie est inattaquable. Si l'on examine le paragraphe 69(2) en
termes positifs et en tenant compte du contexte de la présente
affaire, la Commission pourrait ordonner la publicité des
débats si elle concluait que cela ne porterait pas préjudice au
revendicateur ou aux membres de sa famille. C'est précisément
ce qu'elle a fait. La Commission n'a pas commis d'erreur de
droit en formulant ou en appliquant le critère. La prétention du
requérant suivant laquelle le mot «sérieuse« justifie l'annulation
de cette décision est mal fondée. Il est permis d'interpréter la
décision de la Commission en disant que le requérant n'a pas
présenté d'éléments de preuve ou d'arguments qui ont con-
vaincu de quelque façon que ce soit la Commission. Cela règle
le sort de la prétention qu'en publiant la décision, la Commis
sion a manqué à son obligation d'équité ou à son devoir de
confidentialité envers le requérant. Il n'a pas été démontré que
le requérant a été victime d'un préjudice par suite de la
publication.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11, (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 2b), 7.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. 1-2, art.
29(3) (mod. par L.R.C. (1985) (1°" suppl.), chap. 31,
art. 99), 46.01(6) (ajouté par L.R.C. (1985) (4°
suppl.), chap. 28, art. 14), 69(2) (mod. idem, art. 18).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Toronto Star Newspapers Ltd. c. Kenney, [1990] 1 C.F.
425; (1990), 33 F.T.R. 194; 10 Imm. L.R. (2d) 22 (1"°
inst.); Pacific Press Ltd. c. Canada (Ministre de l'Emploi
et de l'Immigration), [1990] 1 C.F. 419; (1990), 10 Imm.
L.R. (2d) 42; 104 N.R. 228 (C.A.); Pacific Press Ltd. c.
Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration),
[1991] 2 C.F. 327 (C.A.); Osei c. Canada (Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 12 Imm. L.R. (2d)
49 (C.A.F).
DOCTRINE
Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
Guide des procédures et critères à appliquer pour
déterminer le statut de réfugié au regard de la Con
vention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au
statut des réfugiés. Genève, janvier 1988.
AVOCATS:
Maureen N. Silcoff pour le requérant.
Claire Le Riche pour l'intimé.
David A. Shiller pour l'intervenante.
PROCUREURS:
Maureen N. Silcoff, Toronto, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Goodman & Goodman, Toronto, pour l'inter-
venante.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: La pré-
sente requête a été entendue à Toronto (Ontario)
le 8 janvier 1991, date à laquelle j'ai remis le
prononcé de ma décision concernant les répara-
tions suivantes demandées par le requérant dans
son avis de requête daté du 29 novembre 1990:
1. Un bref de certiorari annulant la décision de la
section du statut de réfugié de la Commission
de l'immigration et du statut de réfugié qui a
été rendue par MM. E. Teitelbaum et H.
Aulach le 14 novembre 1990 et qui a été com
muniquée le même jour au requérant, par
laquelle la publicité de l'audience relative au
statut de réfugié du requérant a été ordonnée en
vertu du paragraphe 69(2) de la Loi sur l'im-
migration [L.R.C. (1985), chap. I-2 (mod. par
L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 18)];
2. Un bref de mandamus enjoignant à MM. E.
Teitelbaum et H. Aulach de réexaminer la
question de la publicité de l'audience conformé-
ment à la loi.
LES FAITS
Le requérant, qui est citoyen de la Jamaïque,
demande qu'on lui reconnaisse le statut de réfugié
au sens de la Convention au Canada. Il a initiale-
ment été jugé, en vertu du paragraphe 46.01(6) de
la Loi sur l'immigration [ajouté par L.R.C.
(1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 14], que sa
revendication avait un minimum de fondement. À
la suite de cette décision, le requérant a assisté le
23 mars 1990 une conférence de presse au cours
de laquelle il a notamment été déclaré qu'il crai-
gnait que des gens essaient de le tuer à la suite du
témoignage qu'il donnerait à l'audience relative à
son statut de réfugié.
À l'audience qui s'est déroulée le 18 octobre
1990 devant la section du statut de réfugié de la
Commission de l'immigration et du statut de réfu-
gié (la «Commission»), la Toronto Sun Publishing
Corporation (1'«intervenante») et le Toronto Star
ont présenté une requête fondée sur le paragraphe
69(2) de la Loi en vue d'obtenir la publicité des
débats. Les avocats de l'intervenante et du Toronto
Star se sont engagés à ne divulguer aucun des
éléments de preuve à leurs clients au cours de
l'audience et ils étaient donc présents devant la
Commission lorsque la requête a été examinée.
La preuve présentée relativement à la requête
était constituée du témoignage du requérant et de
certains articles de journaux. Le requérant a
témoigné qu'il est le père d'onze enfants qui sont
nés d'autant de mères et qui sont dispersés en
Jamaïque, aux États-Unis et en Angleterre. Il a
affirmé, malgré les prétentions contraires de la
mère, qu'il était le père d'un douzième enfant au
Canada. Son père vit [TRADUCTION] «quelque
part» en Jamaïque, ainsi qu'une soeur et un frère.
Il a déclaré qu'au cours de l'enquête relative à son
statut de réfugié, il nommerait des policiers et des
hommes politiques jamaïquains de haut niveau et
qu'il craignait que des représailles soient exercées
sur lui-même et les membres de sa famille si ces
renseignements étaient rendus publics. Il a toute-
fois refusé de communiquer des noms ou d'autres
détails au cours de l'audience à huis clos portant
sur l'examen de sa requête. Le requérant a égale-
ment déclaré qu'il était musicien de métier et qu'il
croyait que la publicité pourrait nuire à sa carrière
musicale.
Malgré le fait qu'on lui a donné beaucoup de
latitude dans son interrogatoire du requérant et
qu'on lui a rappelé à plusieurs reprises qu'il incom-
bait au requérant de démontrer pourquoi la presse
devait être exclue de la salle d'audience, la Com
mission a conclu que le représentant du requérant
n'avait pas réussi à obtenir des détails précis du
requérant à l'appui de sa présumée crainte de
représailles qui seraient exercées s'il divulguait
certains renseignements. La Commission a donc
accueilli la requête visant à obtenir la publicité des
débats. Elle a conclu que le requérant ne s'était
pas acquitté du fardeau qui lui incombait de
démontrer qu'il existait une sérieuse possibilité que
la publicité des débats porte préjudice au requé-
rant ou aux membres de sa famille. Voici les
extraits pertinents de la décision de la Commis
sion, rendue par E. Teitelbaum avec l'appui de H.
Aulach:
[TRADUCTION] J'ai attentivement examiné l'ensemble de la
preuve et des moyens invoqués et je conclus que malgré la
gravité de sa situation, M. Blackwood n'a pas réussi à s'acquit-
ter du fardeau qui lui incombait. M. Blackwood prétend que sa
vie et celle des membres de sa famille seraient en danger s'il
devait révéler publiquement les renseignements qu'il possède au
sujet de personnes très en vue de la Jamaïque.
M. Blackwood a déclaré que si les médias devaient être présents
à l'audience relative à sa revendication du statut de réfugié, il
ne se sentirait pas libre de parler et qu'il serait incapable de
révéler des noms et d'autres détails. Il a peut-être raison, mais
pour permettre au présent tribunal de conclure que cette res
triction existe, le revendicateur doit donner certains indices plus
clairs au sujet de la nature précise des sujets qu'il abordera, au
lieu des généralités auxquelles M. Blackwood s'en est tenu. Le
seul fait de demander une audience à huis clos ne suffit pas à
garantir que le revendicateur en obtiendra une.
En résumé, M. Blackwood a allégué que lui-même et des
membres de sa famille faisaient l'objet de menaces de la part
des autorités jamaïquaines, plus précisément de la part d'hom-
mes politiques et de policiers, à la suite de l'application à la
Jamaïque de certains faits concernant sa revendication du
statut de réfugié. Malgré le fait qu'on l'a assuré qu'il jouirait
d'une entière confidentialité à l'audience relative à la présente
requête, M. Blackwood n'a pas communiqué suffisamment de
renseignements pour que le tribunal puisse donner une suite
favorable à son refus d'admettre la presse à l'audience relative
à sa revendication. On a prié M. Blackwood de se concentrer
sur la question de savoir en quoi sa capacité de divulguer des
faits serait diminuée par la présence de la presse. Il s'est écoulé
sept mois depuis la tenue de sa conférence de presse. La
divulgation au public de certains faits n'a de toute évidence pas
entraîné les conséquences qui, selon ce qu'il prétend, devaient
découler des reportages concernant l'audience relative à sa
revendication.
Pour que sa revendication soit acceptée, il n'est pas nécessaire
que le revendicateur démontre qu'il a déjà souffert de persécu-
tion ou qu'il en souffrira. Un grand nombre de facteurs pour-
raient en théorie permettre de conclure qu'il existe une sérieuse
possibilité de persécution. De même, lorsqu'un revendicateur
essaie d'empêcher les médias d'assister à une audience, il lui
suffit de démontrer qu'il existe une sérieuse possibilité que la
divulgation de certains faits porte préjudice à lui-même ou aux
membres de sa famille. Bien qu'elle comprenne le désir de M.
Blackwood de préserver sa vie privée, la section du statut de
réfugié constate qu'il n'a pas invoqué de raisons suffisantes
pour qu'on puisse écarter le droit du public d'assister aux
débats. [C'est moi qui souligne.]
QUESTION EN LITIGE
La question litigieuse à laquelle la Cour doit
répondre est celle de savoir si la Commission a
commis une erreur susceptible d'examen judiciaire
en décidant, en vertu du paragraphe 69(2) de la
Loi sur l'immigration, de tenir l'audience du
requérant en public.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Le requérant prétend que la présente requête
soulève des questions concernant le fardeau de
preuve qu'il y a lieu d'imposer au requérant pour
que le huis clos soit maintenu et la responsabilité
qu'a la Commission de soupeser l'importance res
pective des droits que la Charte [Charte cana-
dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]] accorde à la
presse et au requérant. Le requérant prétend que
la Commission a commis une erreur de droit en
l'obligeant à satisfaire au critère de la «possibilité
sérieuse» que la publicité des débats porte préju-
dice à lui-même ou aux membres de sa famille. Il
prétend que le critère applicable est moins exi-
geant et que le critère préliminaire moins exigeant
est satisfait lorsque le requérant présente des élé-
ments de preuve crédibles et dignes de foi sur la
question de «l'entrave» causée au déroulement de
l'audience et sur celle du «préjudice». Comme il a
effectivement présenté certains éléments de preuve
qui n'ont pas été écartés par la Commission au
motif qu'ils n'étaient pas suffisamment crédibles
ou dignes de foi, le requérant affirme que la
Commission a commis une erreur en ne concluant
pas qu'il s'était déchargé du fardeau qui lui
incombait.
En outre, le requérant prétend que la Commis
sion a commis une erreur en ne soupesant pas
l'importance respective des droits et libertés que la
Charte accorde au requérant et à la presse. Il fait
remarquer que l'article 3 de la Loi sur l'immigra-
tion exige que celle-ci soit interprétée en tenant
compte de la Charte et en reconnaissant les obliga
tions légales internationales du Canada. Le requé-
rant signale que le paragraphe 200 du Guide des
procédures et critères à appliquer pour déterminer
le statut de réfugié du Haut-commissariat des
Nations Unies pour les réfugiés, Genève, janvier
1988, présume que la procédure de reconnaissance
du statut de réfugié de chaque État se déroule à
huis clos. Le requérant prétend également que
l'audience relative au statut de réfugié est une
procédure quasi judiciaire ou judiciaire unique en
ce que le paragraphe 69(2) accorde le droit à une
audience à huis clos. Cela tient au fait qu'on doit
garantir au revendicateur un climat de confiden-
tialité lorsqu'il témoigne au sujet de la persécution
et des violations des droits de la personne commi-
ses par un État étranger. Le requérant fait valoir
que même s'ils sont importants dans le cadre d'une
société démocratique, les droits que l'alinéa 2b) de
la Charte reconnaît à la presse ne sont pas absolus
mais qu'ils doivent s'apprécier en comparaison
avec les droits uniques que possède le requérant
dans le cadre de l'audience relative à son statut de
réfugié, particulièrement les droits à la vie, à la
liberté et à la sécurité de sa personne que lui
reconnaît l'article 7 de la Charte. Le requérant
prétend que lorsque deux intérêts par ailleurs
égaux sont en opposition, le pouvoir discrétionnaire
doit être exercé en faveur de la personne dont les
droits sont en jeu par opposition à ceux de la
personne dont les libertés sont en cause. Comme la
Commission a ordonné la publicité des débats
seulement après avoir conclu que le requérant
n'avait pas présenté suffisamment d'éléments de
preuve pour s'acquitter de son fardeau, elle a par
conséquent commis une erreur en ne soupesant pas
l'importance respective des intérêts en question.
Finalement, le requérant prétend que la Com
mission a commis une erreur en communiquant ses
motifs à la presse le 14 novembre 1990. Cela a eu
pour effet de déclarer rétroactivement la publicité
des débats, alors que le requérant n'avait pas été
mis au courant de cette possibilité et que cette
éventualité n'était pas prévue dans les engage
ments.
L'intimé prétend que le fardeau de preuve qui
incombe au revendicateur du statut de réfugié qui
demande que la presse soit exclue de la salle
d'audience consiste à démontrer, selon la «prépon-
dérance de probabilités» que la divulgation de cer-
tains faits risquerait de porter préjudice à lui-
même ou aux membres de sa famille. Bien que la
Commission ait déclaré que le fardeau de preuve
qui incombait au revendicateur qui essaie d'ex-
clure la presse était celui d'une «possibilité
sérieuse», l'intimé affirme qu'il s'agissait en fait
d'un fardeau de preuve moins exigeant. Le fait que
la Commission ait employé un critère moins exi-
geant que la norme civile habituelle ne justifie
donc pas l'intervention de la Cour en l'espèce.
L'intimé invoque également de la jurisprudence
récente pertinente à l'appui de l'interprétation des
notions de «préjudice» et d'«entrave». Il affirme
qu'il doit exister un lien direct entre la publicité et
le danger personnel que courent les revendicateurs
du statut de réfugié ou les membres de leur famille
avant que l'on puisse dire que le revendicateur
subira un «préjudice» et que la présence du public
entravera ou «compromettra» l'audition impartiale
du revendicateur parce qu'il ne pourra pas divul-
guer tous les faits à l'appui de sa revendication du
statut de réfugié.
L'intervenante prétend que, pour établir une
violation d'un droit garanti par l'article 7 de la
Charte, il faudrait que le requérant établisse, sui-
vant la prépondérance des probabilités, que sa vie,
sa liberté ou la sécurité de sa personne serait
menacée si l'audience relative à son statut de
réfugié se déroulait en public. Le revendicateur du
statut de réfugié est tenu d'établir que le préjudice
qui sera causé à lui ou aux membres de sa famille
par suite de la divulgation de certains faits n'est
pas d'ordre purement conjectural et qu'il ne consti-
tue pas une simple possibilité. L'intervenante pré-
tend qu'un fardeau moins lourd que celui qu'a
appliqué la Commission nierait effectivement le
droit d'accès aux procédures judiciaires et quasi
judiciaires que la constitution garantit aux médias,
étant donné qu'un revendicateur du statut de réfu-
gié pourrait presque toujours établir qu'il existe
une simple possibilité que lui-même ou les mem-
bres de sa famille subissent un préjudice. L'inter-
venante prétend que la Commission a effective-
ment soupesé l'importance respective des droits
opposés qui sont prévus par la Charte et qu'en
l'espèce, compte tenu du fait que le requérant n'a
pas réussi à s'acquitter du fardeau qui lui incom-
bait aux termes du paragraphe 69(2) de la Loi, le
droit d'accès des médias l'emporte sur le droit du
requérant à une audience à huis clos.
Finalement, l'intervenante prétend que la Com
mission était justifiée de décider de rendre publics
dans les motifs de sa décision les éléments de
preuve présentés par le requérant au cours de
l'audience à huis clos. En tout état de cause, elle
prétend que les actes de la Commission n'ont
aucune incidence sur sa décision d'accorder aux
médias l'accès à l'audience relative au statut de
réfugié du requérant. L'intervenante fait remar-
quer que le requérant n'a présenté à l'audience
aucun autre élément de preuve que ceux qu'il avait
personnellement communiqués à sa conférence de
presse du 23 mars 1990.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
Les dispositions législatives pertinentes en l'es-
pèce sont le paragraphe 69(2) de la Loi sur l'im-
migration, et les articles 2 et 7 de la Charte
canadienne des droits et libertés:
69....
(2) Sous réserve du paragraphe (3), la section du statut tient
ses séances à huis clos sauf si, à la suite d'une demande
émanant du public, il lui est démontré que la publicité des
débats ne compromettrait pas la procédure en cours ni ne
porterait préjudice à l'intéressé ou aux membres de sa famille.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y
compris la liberté de presse et des autres moyens de
communication;
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
ANALYSE
Il existe plusieurs décisions récentes de notre
Cour qui sont très utiles en l'espèce. Je me reporte
d'abord à l'analyse fort détaillée qu'on trouve dans
le jugement Toronto Star Newspapers Ltd. c.
Kenney, [1990] 1 C.F. 425, dans lequel mon collè-
gue le juge Martin a examiné l'interprétation et
l'objectif du paragraphe 29(3) de la Loi sur l'im-
migration [mod. par L.R.C. (1985) (1" suppl.),
chap. 31, art. 99], qui est une disposition sembla-
ble à celle qui est en litige en l'espèce. Le paragra-
phe 29(3) dispose:
29....
(3) Sous réserve du paragraphe (2), l'arbitre tient son
enquête à huis clos sauf si, quelqu'un lui en ayant fait la
demande, il lui est démontré que la tenue en public de l'enquête
n'entraverait pas cette dernière et que ni l'intéressé ni les
membres de sa famille ne s'en trouveraient lésés.
L'examen de l'historique législatif du paragraphe
29(3) que fait le juge Martin et dans lequel il cite
des extraits des débats de la Chambre des commu
nes a été très récemment cité au long dans l'arrêt
Pacific Press Ltd. c. Canada (Ministre de l'Em-
ploi et de l'Immigration), [1991] 2 C.F. 327
(C.A.) (ci-après appelé «McVey n° 2») et est très
utile pour cerner l'objectif de la disposition. Il
ressort de son analyse que le principe et la cou-
tume d'accorder aux revendicateurs du statut de
réfugié l'avantage d'une audience à huis clos font
partie du droit de l'immigration depuis un certain
temps. Le juge MacGuigan, J.C.A., a fait obser
ver, dans l'arrêt McVey n° 2:
Il ressort de l'exposé de la genèse de cette disposition législative
que son but véritable était d'empêcher l'accès par la presse et le
public aux enquêtes en matière d'immigration, sauf dans des
circonstances restreintes, pour permettre aux réfugiés au sens
de la Convention de parler librement de leurs expériences, sans
craindre de faire l'objet de représailles de la part de ceux qu'ils
ont fuis.
Je signale également l'analyse très instructive
qu'a faite le juge Mahoney dans une décision
antérieure, l'arrêt Pacifie Press Ltd. c. Canada
(Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990]
1 C.F. 419 ci-après appelé «McVey n° 1»). Dans
l'arrêt McVey n° 1, le juge Mahoney, J.C.A., a
conclu, au nom de la Cour, que le fardeau que le
paragraphe 29(3) de la Loi impose aux simples
citoyens de démontrer qu'une audience ne devrait
pas avoir lieu à huis clos est un fardeau léger
auquel on pouvait répondre par déduction en affir-
mant un droit d'accès à une procédure judiciaire
ou quasi judiciaire sur le fondement de l'alinéa 2b)
de la Charte. Le fardeau de la preuve serait
ensuite imposé par inversion à la personne qui
demande que la presse soit exclue et qui aurait
l'obligation de présenter des éléments de preuve
pour justifier qu'on porte légitimement atteinte au
droit garanti par l'alinéa 2b) dans une telle ins
tance. Il a soutenu que [aux pages 422 et 423]:
Le paragraphe 29(3) confère à l'arbitre un pouvoir discrétion-
naire. 11 impose au membre du public intéressé le fardeau
d'établir deux conditions négatives: que la tenue en public de
l'enquête n'entraverait pas cette dernière et que ni l'intéressé ni
les membres de sa famille ne s'en trouveraient lésés. Cette
dernière restriction est étrange. Qu'en est-il par exemple du
gardien de prison, du policier ou du soldat qui par amitié,
corruption ou sympathie a facilité la fuite d'un revendicateur
du statut de réfugié, et qu'en est-il des résidents étrangers,
peut-être des missionnaires ou des gens d'affaires, qui n'accep-
tent de témoigner que si leur possibilité de retour n'est pas
compromise?
On peut prétendre que le fardeau est mal placé. Encore une
fois, je pense qu'il est préférable dans les circonstances de ne
pas exprimer une opinion définitive sur cet aspect de la disposi
tion. Compte tenu de ma façon d'aborder la question, j'estime
que les conséquences pratiques ne sont pas particulièrement
importantes puisque la norme que l'arbitre a correctement
appliquée est celle formulée par le juge Aylesworth de la Cour
d'appel dans l'arrêt R. v. Cameron, [1966] 58 D.L.R. (2d) 486;
[1966] 4 C.C.C. 273; 49 C.R. 49 (C.A. Ont.), à la page 498
D.L.R.:
[TRADUCTION] Cependant, lorsque, la Couronne a le fardeau
d'établir une condition négative comme élément de l'accusa-
tion, il suffit souvent que peu d'éléments de preuve soient
apportés. Ces éléments de preuve doivent souvent être
déduits des autres faits prouvés.
Il me semble que l'affirmation d'un droit d'accès à une procé-
dure judiciaire ou quasi judiciaire fondé sur l'alinéa 2b) de la
Charte doive en soi, par déduction, répondre à ce léger fardeau
et imposer celui-ci par inversion à la personne qui demande que
la presse soit exclue.
Peu importe ce que comporte la liberté de la presse, il doit
certainement y avoir des éléments de preuve pour justifier
qu'on y porte atteinte dans une instance judiciaire ou quasi
judiciaire.
Se fondant sur l'interprétation qui précède du
paragraphe 29(3), le juge Martin a statué, dans le
jugement Toronto Star, que le paragraphe 29(3)
était conforme à la constitution. Dans l'arrêt
McVey n° 2, le juge MacGuigan, J.C.A., a toute-
fois conclu que «les problèmes constitutionnels pos
sibles relatifs au paragraphe 29(3) ne sont pas
limités à la question du fardeau de la preuve» et il
a statué que la question de la constitutionnalité de
cette disposition n'avait pas été tranchée de façon
définitive dans l'arrêt McVey n° 1. Le juge Mac-
Guigan, J.C.A., a ensuite conclu que le paragraphe
29(3) avait pour objectif et effet pratique de porter
atteinte à la liberté de la presse prévue à l'alinéa
2b) de la Charte. Même s'il a soutenu que l'objec-
tif du paragraphe 29(3) «est suffisamment impor
tant pour justifier de passer outre à la liberté
d'expression et à la liberté de la presse», il a
néanmoins conclu qu'il ne pouvait se justifier en
vertu de l'article premier de la Charte. Il a statué:
«J'estime que le paragraphe 29(3), tel qu'il a été
formulé, est une disposition législative qui va beau-
coup trop loin et qu'il devrait être déclaré inopé-
rant en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi
constitutionnelle de 1982». Cependant, pour pré-
server la primauté du droit dans ce domaine, il a
considéré le paragraphe 29(3) temporairement
valide pour une période d'un an afin d'accorder
suffisamment de temps au législateur fédéral pour
qu'il modifie la loi conformément à sa décision.
On ne sait pas si le paragraphe 69(2) comporte
des défauts semblables et, en tout état de cause, la
constitutionnalité du paragraphe 69(2) n'est pas
contestée en l'espèce. Cette décision très récente
renforcerait plutôt la thèse de ceux qui demandent
la publicité de l'audience relative au statut de
réfugié du requérant. Même s'il a depuis été
démontré que la conclusion du juge Martin suivant
laquelle le paragraphe 29(3) était conforme à la
constitution est mal fondée, j'estime que les déci-
sions Toronto Star, McVey n° 1 et, maintenant,
McVey n° 2, établissent néanmoins qu'on ne peut
porter atteinte à la liberté de la presse dans le
cadre d'une instance judiciaire ou quasi judiciaire
sans invoquer des éléments de preuve le justifiant,
et que la simple affirmation du droit d'accès prévu
par l'alinéa 2b) déplace le fardeau de la preuve sur
la personne qui demande l'exclusion de la presse.
Ainsi donc, sur le fondement de ces décisions, la
Commission est tenue d'accorder aux revendica-
teurs du statut de réfugié une audience à huis clos
à moins, évidemment, que le revendicateur ou un
simple citoyen ne demande le contraire. Lorsque,
comme c'est le cas en l'espèce, des personnes inté-
ressées comparaissent et demandent la publicité
des débats, le tribunal doit entendre à la fois les
éléments de preuve et les plaidoiries — en les
entendant, je le répète, de préférence à huis clos —
et rendre sa décision. A mon avis, c'est précisé-
ment ce qu'a fait la Commission. La procédure
qu'a suivie la Commission ne permet donc pas
d'accueillir la présente requête.
La Commission aurait commis deux erreurs qui
justifient les présentes réparations: la première, en
obligeant à tort le requérant à faire la preuve
d'une possibilité sérieuse de préjudice, la seconde,
en rendant publique la décision qui est maintenant
contestée. Il n'est pas contesté en l'espèce que
l'enquête risque d'être compromise: seul est con
testé le préjudice que risquent de subir le requé-
rant ou les membres de sa famille.
Le paragraphe 69(2) se termine par ces mots:
[...] la publicité des débats ne compromettrait pas la procé-
dure en cours ni ne porterait préjudice à l'intéressé ou aux
membres de sa famille.
Comme on l'a déjà souligné dans la jurisprudence
que j'ai citée, l'article comprend plusieurs proposi
tions négatives. En termes positifs et dans le con-
texte de la présente affaire, la Commission peut
ordonner la publicité des débats si elle conclut que
cela ne porterait préjudice ni au revendicateur ni
aux membres de sa famille.
La passage en litige en l'espèce se trouve dans le
dernier paragraphe cité de la décision de la
Commission:
Pour que sa revendication soit acceptée, il n'est pas nécessaire
que le revendicateur démontre qu'il a déjà souffert de persécu-
tion ou qu'il en souffrira. Un grand nombre de facteurs pour-
raient en théorie permettre de conclure qu'il existe une sérieuse
possibilité de persécution. De même, lorsqu'un revendicateur
essaie d'empêcher les médias d'assister à une audience, il lui
suffit de démontrer qu'il existe une sérieuse possibilité que la
divulgation de certains faits porte préjudice à lui-même ou aux
membres de sa famille. Bien qu'elle comprenne le désir de M.
Blackwood de préserver sa vie privée, la section du statut de
réfugié constate qu'il n'a pas invoqué de raisons suffisantes
pour qu'on puisse écarter le droit du public d'assister aux
débats. [C'est moi qui souligne.]
Ce que la Commission semble avoir fait dans les
deux premières phrases, c'est d'établir le critère
permettant d'accueillir une revendication du statut
de réfugié et, dans les deux phrases suivantes qui
sont contestées, d'avoir fait un parallèle avec le
fardeau qui incombe à M. Blackwood en l'espèce
dans le cas d'une requête fondée sur le paragraphe
69(2). Il ressort à l'évidence du raisonnement pré-
cité formulé par le juge Mahoney, J.C.A. dans
l'arrêt Pacific Press Ltd. que dès que l'accès est
demandé, le fardeau de la preuve incombe au
revendicateur. Pour qu'elle puisse être ordonnée,
l'exclusion de la presse doit être fondée sur des
éléments de preuve. M. Blackwood s'acquitte-t-il
de ce fardeau en invoquant une quelconque possi-
bilité de préjudice? À mon avis, une norme aussi
peu élevée l'aurait en fait dégagé de toute obliga
tion. La Commission a ajouté le qualificatif
«sérieuse» et, compte tenu du sens général de sa
décision, cela ne justifie pas les réparations
demandées.
Je signale également le raisonnement très utile
suivi par le juge Décary, J.C.A., dans l'arrêt Osei
c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion) (1990), 12 Imm. L.R. (2d) 49 (C.A.F.). Il a
fait remarquer [à la page 51] que «[d]e la même
façon que l'effet de l'énonciation incorrecte du
critère par le tribunal peut être annulé si celui-ci
est appliqué comme il convient, l'effet d'une énon-
ciation correcte peut être annulé s'il est mal appli-
qué». En l'espèce, même si elle a énoncé incorrec-
tement le critère à appliquer, la Commission en est
arrivée à un résultat approprié. Il est permis d'in-
terpréter la solution que la Commission a donnée
au différend en disant que le requérant n'a pas
présenté d'éléments de preuve ou d'arguments qui
ont convaincu de quelque façon que ce soit la
Commission. Je conclus donc que la Commission
n'a pas commis d'erreur de droit en formulant ou
en appliquant le critère comme le prétend le requé-
rant. Je ne puis accepter la prétention que le mot
«sérieuse» justifie l'annulation de cette décision.
Même si c'était le cas, la conclusion de la Commis
sion suivant laquelle M. Blackwood n'a pas pré-
senté d'éléments de preuve ou d'arguments con-
vaincants appuie la conclusion à laquelle elle en est
venue peu importe qu'elle ait employé ou non le
mot contesté.
Finalement, en ce qui concerne la prétention
qu'en publiant la décision, la Commission a
manqué à son obligation d'équité ou à son devoir
de confidentialité envers le requérant, le résultat
doit être le même. Dans sa décision, la Commis
sion fait allusion à une conférence de presse tenue
plusieurs mois plus tôt au cours de laquelle le
requérant aurait divulgué des faits importants.
Certes, cette remarque est formulée en tenant
compte du fait que le requérant n'a pas subi de
préjudice dans l'intervalle, mais c'est un fait
important en ce qui a trait à la possibilité de
préjudice causé par la publication de la décision en
litige en l'espèce. Lorsque j'ajoute cette allusion à
la conclusion de la Commission suivant laquelle
M. Blackwood n'a pas présenté d'éléments de
preuve ou d'arguments convaincants quant à l'exis-
tence d'une possibilité sérieuse de préjudice décou-
lant de la publicité des débats, je suis incapable de
conclure que le requérant a été victime d'un préju-
dice par suite de la publication.
DISPOSITIF
Par ces motifs, la requête est rejetée. Il n'y a pas
d'adjudication de dépens.
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