A-336-90
Procureur général du Canada (appelant)
c.
Commission des plaintes du public contre la Gen-
darmerie royale du Canada (intimée)
RÉPERTORIÉ: LOI SUR IA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA
(CAN.) (RE) (C.A.)
Cour d'appel, juges Urie, MacGuigan et Linden,
J.C.A.—Toronto, 27 et 28 novembre; Ottawa, 18
décembre 1990.
Interprétation des lois La partie VI de la Loi sur la
Gendarmerie royale du Canada qui constitue la Commission
des plaintes du public contre la GRC et la partie VII, qui crée
la procédure légale d'enquête des plaintes — Appel du juge-
ment de première instance par lequel il a été statué que les
parties VI et VII étaient rétroactives parce qu'elles ont été
adoptées pour protéger le public et qu'elles tombent sous le
coup de l'exception à la présomption de non-rétroactivité
énoncée par la C.S.C. dans l'arrêt Brosseau c. Alberta Securi
ties Commission — Sens des termes «rétroactif» (retroactive)
et erétrospectif» (retrospective) Distinction faite avec l'arrêt
Brosseau — La présomption comporte une exception limitée
lorsqu'il y a (I) une incapacité légale (2) fondée sur une
conduite antérieure (3) qui démontre une inaptitude prolongée
à bénéficier du privilège en question Cette exception ne
s'applique pas en l'espèce car il n'y a pas d'inaptitude prolon-
gée — Le problème et les solutions sur lesquels portent les
dispositions législatives sont les suivants: dénoncer et punir les
actes illicites commis par des personnes qui sont membres de
la GRC et par celles qui n'en font pas partie et les protéger des
accusations injustifiées — Les parties VI et VII disposent pour
l'avenir Les dispositions législatives n'échappent pas à la
présomption en tant que dispositions purement procédurales
— Le fait que les parties VI et VII soient entrées en vigueur à
des dates différentes est sans importance — C'est à l'exécutif
et non au Parlement, qu'il incombe de les promulguer.
GRC — La partie VI de la Loi sur la Gendarmerie royale du
Canada, qui constitue la Commission des plaintes du public
contre la GRC et la partie VII, qui crée la procédure légale
d'enquête des plaintes Appel d'un jugement rendu à la suite
du dépôt d'un mémoire spécial soulevant des questions quant à
la compétence de la Commission pour statuer sur certaines
plaintes fondées sur des événements survenus avant l'entrée en
vigueur des parties VI et VII Les parties VI et VII ne sont
pas rétroactives — Elles visent à protéger le public en dénon-
çant et en punissant les contrevenants et à protéger le personnel
de la Gendarmerie des accusations injustifiées — La partie
VII impose de nouvelles incapacités et de nouvelles obligations
— Un nouveau groupe (de personnes étrangères à la GRC) est
inclus dans le champ d'application de la Loi Les disposi
tions législatives ne sont purement procédurales, car le législa-
teur a légiféré pour la première fois sur l'examen public.
Il s'agit d'un appel du jugement de première instance qui a
été rendu à la suite du dépôt d'un mémoire spécial et par lequel
il a été statué que les nouvelles parties VI et VII de la Loi sur
la Gendarmerie royale du Canada étaient rétroactives. La
partie VI, qui est entrée en vigueur le 18 décembre 1986,
constitue la Commission des plaintes du public contre la GRC.
La partie VII est entrée en vigueur le 30 septembre 1988 et elle
prévoit la procédure légale d'enquête des plaintes portées par de
simples citoyens contre la conduite de membres de la GRC.
Avant la loi modificative, il existait seulement une procédure
interne d'examen, qui avait été établie en vertu d'un texte
administratif du commissaire. Le mémoire spécial soulevait des
questions au sujet de la compétence de la Commission pour
statuer sur certaines plaintes fondées sur des faits qui se
seraient produits à diverses dates avant l'entrée en vigueur de la
partie VI, de la partie VII et de la loi modificative elle-même
(sanctionnée le 26 mars 1986). Après avoir conclu que les
modifications n'étaient pas purement procédurales, le juge de
première instance a appliqué l'arrêt Brosseau c. Alberta Secu
rities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301, dans lequel on a
reconnu qu'il existait une exception au principe général voulant
que les lois ne disposent à première vue que pour l'avenir dans
le cas des textes législatifs dont l'objet n'est pas de punir les
contrevenants mais de protéger le public, même si ces textes
législatifs peuvent accessoirement infliger une peine liée à un
événement passé. Le juge MacKay a conclu que, comme les
parties VI et VII avaient été adoptées dans le but principal de
protéger le public et que tout effet sur les droits acquis était
subordonné à la volonté de protéger le public, la présomption de
non-rétroactivité était réfutée. Il a estimé que la loi appuyait,
par déduction nécessaire, ces conclusions. L'intimée souscrit au
raisonnement que le juge de première instance a suivi pour
interpréter l'arrêt Brosseau en déclarant que cet arrêt crée une
exception fondée sur l'intérêt public à la présomption de non-
rétroactivité, mais elle prétend que les parties VI et VII ne
créent rien de plus qu'une nouvelle procédure d'enquête des
plaintes portées par de simples citoyens et que, comme il s'agit
de dispositions de caractère procédural, la présomption de
non-rétroactivité des lois ne s'applique pas. Elle affirme que
l'absence de pouvoirs permettant à la Commission de prononcer
des sanctions de quelque nature que ce soit contre le personnel
de la GRC démontre le caractère non punitif et purement
procédural de la partie VII. L'appelant appuie la conclusion du
juge de première instance voulant que les parties VI et VII
n'étaient pas purement procédurales, mais il tente de restrein-
dre la portée de l'exception fondée sur l'intérêt public que le
juge a établie en ce qui concerne la présomption de non-rétroac-
tivité. Il s'agit de savoir si l'arrêt Brosseau a été correctement
interprété et si les parties VI et VII sont purement
procédura les.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
La Loi ne dispose pas pour le passé, mais pour l'avenir. Les
diverses dates mentionnées dans les questions et les plaintes
formulées dans le mémoire spécial sont toutes antérieures à la
date à laquelle la loi a pris effet.
Comme le juge L'Heureux-Dubé a, dans l'arrêt Brosseau,
examiné la question de la rétroactivité en citant l'ouvrage
Construction of Statutes de Driedger, l'analyse faite par ce
dernier au sujet des sources externes de l'intention du législa-
teur et la subtile distinction qu'il fait entre les termes anglais
retroactivity et retrospectivity méritent un examen minutieux.
Une loi rétroactive (en anglais, retroactive statute) est une loi
qui agit dans le passé, c'est-à-dire qui produit des effets à partir
d'une date antérieure à son adoption, soit parce qu'elle est
réputée être entrée en vigueur à une date antérieure à sa
promulgation (par ex. les mesures budgétaires), soit parce
qu'elle porte uniquement sur des opérations passées, à compter
d'une date donnée dans le passé (par ex. en matière d'indemni-
sation). Une loi «rétrospective» (en anglais retrospective sta
tute) ne modifie le droit que pour l'avenir mais regarde en
arrière en rattachant de nouveaux effets à des opérations
terminées. Elle revient sur des opérations terminées et en
change les conséquences pour l'avenir. Une loi peut être à la
fois rétroactive et «rétrospective». La présente loi n'est pas
rétroactive, même si l'on pourrait prétendre qu'elle est
«rétrospective».
Suivant l'analyse de Driedger, il faut distinguer entre la
présomption de non-rétroactivité et la présomption du respect
des droits acquis. La première est une présomption simple, qui
joue tant qu'elle n'est pas réfutée, tandis que la dernière ne peut
être invoquée que lorsqu'une loi est logiquement susceptible de
deux interprétations. L'atteinte aux droits existants est une
conséquence fréquemment voulue par le législateur, et la pré-
somption du respect des droits acquis ne s'applique par consé-
quent que lorsque le texte de la loi est ambigu: il faut donc se
tourner d'abord vers la loi, et ne faire intervenir la présomption
qu'en second lieu, si l'intention n'est pas claire. Driedger con-
clut qu'il existe trois catégories de lois «rétroactives» et que,
dans le cas de la dernière d'entre elles, une peine est infligée à
une personne qui est décrite par rapport à un événement
antérieur, mais la peine n'est pas destinée à constituer une
autre punition pour l'événement. Cette catégorie ne donne pas
lieu à la présomption de non-rétroactivité. Le juge L'Heureux-
Dubé a précisé que le troisième type de lois comportait une
sous-catégorie qui est composée des textes législatifs qui peu-
vent imposer à une personne une peine liée à un événement
passé en autant que le but de la peine n'est pas de punir la
personne en question mais de protéger le public. Elle cite à
nouveau Driedger pour affirmer que si l'intention de la loi est
de punir, la présomption joue, mais que si la punition est
destinée à protéger le public, la présomption ne s'applique pas.
Cela signifie que la présomption de non-rétroactivité comporte
une exception lorsqu'il y a (1) une incapacité légale (2) fondée
sur une conduite antérieure, (3) qui démontre une inaptitude
prolongée à bénéficier du privilège en question. Cette exception
limitée à la présomption générale a une portée beaucoup plus
restreinte que ce qu'a déclaré le juge de première instance en
statuant que l'exception joue chaque fois qu'on peut considérer
que la loi vise, de façon générale, à protéger le public, quelles
qu'en soient les conséquences sur la valeur subordonnée des
droits ou des intérêts acquis. Le principe qui a été effectivement
posé dans l'arrêt Brosseau ne saurait s'appliquer en l'espèce,
étant donné qu'il n'est pas question d'une inaptitude prolongée.
La présomption de non-rétroactivité ne peut comporter d'ex-
ceptions fondées sur l'intérêt—ou, à plus grande échelle, sur la
protection—du public parce que l'on peut affirmer que toute loi
vise l'intérêt ou la protection du public. Aucun législateur ne
légifère délibérément contre l'intérêt public, mais perçoit tou-
jours ces innovations législatives comme favorisant le bien
public. Si tant est qu'il existe une exception fondée sur l'intérêt
public, elle doit par conséquent se ramener à une question
d'intention du législateur (c'est-à-dire à la question de savoir si
le législateur voulait que la loi agisse dans l'avenir ou dans le
passé), qu'on puisse dégager cette intention d'une présomption
ou de la loi elle-même.
Si l'on examine la situation que la Loi visait à réformer, et si
l'on analyse les dispositions de la Loi modificative, particulière-
ment par rapport à la Loi précédente, on constate que les
dispositions législatives visaient à protéger le public, en dénon-
çant et en punissant les contrevenants, et à protéger les person-
nes qui sont membres de la GRC et celles qui n'en font pas
partie des accusations injustifiées portées contre elles. La partie
VII impose au personnel de la GRC de nouvelles incapacités
(quant à la réputation et à la discipline) et de nouvelles
obligations (quant à la suite à donner aux plaintes), dans le but
notamment de punir la personne qui se rend coupable d'une
faute. Le fait que le législateur a assujetti un tout nouveau
groupe (de personnes étrangères à la GRC) aux mesures disci-
plinaires qui peuvent être prises et le soin extrême qu'il a pris à
énoncer en détail les mesures de protection dont bénéficient les
personnes dont la conduite fait l'objet d'une plainte démontrent
non seulement qu'il ne voulait pas que les dispositions législati-
ves aient un effet rétroactif, mais qu'il voulait qu'elles ne
disposent que pour l'avenir.
La présomption de non-rétroactivité ne s'applique pas aux
dispositions législatives procédurales. Le critère permettant de
savoir si on est en présence d'une disposition procédurale a été
établi par le juge La Forest dans l'arrêt Angus c. Sun Alliance
compagnie d'assurance: normalement, les règles de procédure
n'ont pas d'effet sur le contenu ou sur l'existence d'une action
ou d'un moyen de défense, mais seulement sur la manière de
l'appliquer ou de l'utiliser. Si l'on applique ce critère, on
conclut que les dispositions en litige n'étaient pas procédurales.
Le législateur n'a pas légiféré uniquement sur la manière de
scruter la conduite de certaines personnes, mais, pour la pre-
mière fois, sur l'existence même de l'examen public.
Le fait que les dispositions législatives soient entrées en
vigueur à différentes dates avec des résultats différents n'impli-
que pas que le législateur voulait que l'une des parties de la Loi
ait un effet rétroactif. La promulgation est un acte de l'exécu-
tif. L'entrée en vigueur d'une loi ne dépend pas du législateur
mais de l'exécutif. Il se peut bien que le législateur ait voulu
que les diverses parties de la Loi modificative entrent toutes en
vigueur au même moment.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7,
art. 17.
Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), chap. I-11.
Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C.
(1985), chap. P-33.
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C.
(1985), chap. R-10, art. 2, 5, 10, 25, 26, partie VI
(édictée par L.R.C. (1985) (2e suppl.), chap. 8, art.
16), partie VII (édictée, idem).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
In re Athlumney, Ex parte Wilson, [1898] 2 Q.B. 547;
Nova, An Alberta Corporation c. Amoco Canada Petro
leum Co. Ltd. et autres, [l981] 2 R.C.S. 437; (1981), 32
A.R. 613; 128 D.L.R. (3d) 1; [1981] 6 W.W.R. 391; 38
N.R. 381; Québec (Procureur général) c. Healy, [1987] 1
R.C.S. 158; (1987), 6 O.A.C. 56; 73 N.R. 288; Angus c.
Sun Alliance compagnie d'assurance, [1988] 2 R.C.S.
256; (1988), 65 O.R. (2d) 638; 52 D.L.R. (4th) 193; 34
C.C.L.I. 237; 47 C.C.L.T. 39; [1988] I.L.R. 1-2370; 9
M.V.R. (2d) 245; 87 N.R. 200; 30 O.A.C. 210.
DISTINCTION FAITE:
Brosseau c. Alberta Securites Commission, [1989] 1
R.C.S. 301; (1989), 57 D.L.R. (4th) 458; [1989] 3
W.W.R. 456; 93 N.R. 1; Latif c. La Commission cana-
dienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687;
(1979), 105 D.L.R. (3d) 609; 79 CLLC 14,223; 28 N.R.
494 (C.A.); Re Royal Insurance Co. of Canada and
Ontario Human Rights Commission et al. (1985), 51
O.R. (2d) 797; 21 D.L.R. (4th) 764; 12 C.C.L.I. 297;
[1985] I.L.R. 1-1944; 12 O.A.C. 206 (C. div.); R v
Secretary of State for Trade and Industry, ex p R,
[1989] 1 All ER 647 (Q.B.D.); Wildman c. La Reine,
[1984] 2 R.C.S. 311; (1984), 12 D.L.R. (4th) 641; 14
C.C.C. (3d) 321; 55 N.R. 27; 5 O.A.C. 241.
DECISION INFIRMÉE:
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (Can.) (Re),
[1990] 2 C.F. 750 (1" inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Gustayson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu
national, [1977] 1 R.C.S. 271; (1975), 66 D.L.R. (3d)
449; [1976] CTC 1; 75 DTC 5451; 75 N.R. 401; Procu-
reur général du Québec c. Tribunal de l'expropriation et
autres, [1986] 1 R.C.S. 732; (1986), 66 N.R. 380; Upper
Canada College v. Smith (1920), 61 R.C.S. 413; 57
D.L.R. 648; [1921] 1 W.W.R. 1154; Acme Village
School District (Board of Trustees of) v. Steele -Smith,
[1933] R.C.S. 47; Snider v. Edmonton Sun et al. (1988),
93 A.R. 26; 55 D.L.R. (4th) 211; 63 Alta. L.R. (2d) 289
(C.A.); Reg. v. Vine (1875), 10 L.R.Q.B. 195; Re A
Solicitor's Clerk, [1957] 3 All E.R. 617 (Q.B.D.); Barry
and Brosseau v. Alberta Securities Commission, (1986)
67 A.R. 222; 25 D.L.R. (4th) 730; 24 C.R.R. 9 (C.A.).
DÉCISION MENTIONNÉE:
Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus
de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118; (1977),
74 D.L.R. (3d) 1; 33 C.C.C. (2d) 366; 14 N.R. 285.
DOCTRINE
Canada. Débats de la Chambre de communes, vol. V, 1"
sess., 33' lég., 34 Eliz. II, 1985.
Canada. Rapport de la Commission d'enquête sur les
plaintes du public, la discipline interne et le règlement
des griefs au sein de la Gendarmerie royale du
Canada, Ottawa, Information Canada, 1976 (le rap
port de la Commission Marin).
Côté, Pierre-André, Interprétation des lois, Cowansville
(Québec), Les Editions Yvon Blais Inc., 1982.
Driedger, Elmer A., Construction of Statutes, 2nd ed.,
Toronto: Butterworths, 1983.
Driedger, Elmer A. «Statutes: Retroactive, Retrospective
Reflections,, (1978), 56 R. du B. Can 264.
Maxwell on the Interpretation of Statutes, 12th ed. by P.
St. J. Langan, London: Sweet & Maxwell Ltd., 1969.
AVOCATS:
Barbara A. Mcisaac, c.r., pour l'appelant.
Eleanore A. Cronk et Peter A. Downard pour
l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada, pour
l'appelant.
Fasken, Campbell, Godfrey, Toronto, pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: La Cour statue
sur l'appel interjeté du jugement rendu le 9 avril
1990 par le juge MacKay [[1990] 2 C.F. 750] à la
suite du dépôt d'un mémoire spécial que les parties
ont soumis à la Section de première instance en
vertu de l'alinéa 17(3)b) de la Loi sur la Cour
fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, au sujet de la
rétroactivité des nouvelles parties VI et VII de la
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C.
(1985), chap. R-10, («la Loi»), qui ont été ajoutées
aux termes d'une loi modificative qui a été sanc-
tionnée le 26 mars 1986, S.C. 1986, . chap. 11
[L.R.C. (1985) (2e suppl.), chap. 8, art. 16] («la
Loi modificative»). La partie VI de la Loi consti-
tuait simplement la Commission des plaintes du
public contre la Gendarmerie royale du Canada
(«la Commission»), l'intimée à la présente action.
La partie VII renferme les dispositions essentielles
de la procédure de traitement des plaintes du
public. Elle autorise la Commission à statuer sur
les plaintes déposées par des membres du public au
sujet de la conduite, dans l'exercice de fonctions
prévues par la Loi, d'un membre de la Gendarme-
rie royale du Canada («la GRC») ou de toute autre
personne nommée ou employée sous le régime de
la Loi.
La partie VI est entrée en vigueur le 18 décem-
bre 1986, et la partie VII, le 30 septembre 1988.
Le mémoire spécial soulevait des questions pré-
cises quant à la compétence de la Commission
pour statuer sur certaines plaintes concernant la
conduite de membres ou d'employés de la GRC
sur le fondement de faits qui se seraient produits à
diverses dates avant l'entrée en vigueur de la partie
VII, de la partie VI et de la Loi modificative
elle-même respectivement.
Dans l'exposé conjoint des faits, les six plaintes
qui ont été formulées sont divisées en trois catégo-
ries (A, B et C) qui correspondent aux trois situa
tions générales qui ont donné lieu à la question de
la rétroactivité.
Dans chacune des trois plaintes de la catégorie
A, les actes reprochés auraient été accomplis avant
la date de la promulgation de la partie VII mais
après la date de la promulgation de la partie VI.
Par ailleurs, la plainte A-2 avait été tranchée sous
le régime de l'ancienne Loi sur la Gendarmerie
royale du Canada, avant la promulgation de la
partie VII.
Dans la seule plainte que compte la catégorie B,
l'acte reproché aurait été accompli avant la date
de la promulgation de la partie VI, mais après la
date à laquelle la Loi modificative a reçu la sanc
tion royale. Cette plainte avait également été tran-
chée en vertu de l'ancienne Loi, avant la promul
gation de la partie VII.
Dans les deux plaintes qui font partie de la
catégorie C, l'acte reproché aurait été accompli
avant la date à laquelle la Loi modificative a reçu
la sanction royale. Dans la plainte C-1, le plai-
gnant avait déjà porté plainte devant la GRC, qui
l'avait informé, après la promulgation de la partie
VII, que la Gendarmerie ne prendrait pas d'autre
mesure à l'égard de sa plainte.
Étant donné qu'à mon avis les détails des plain-
tes ne sont pas pertinents à la décision à rendre, je
ne les reproduis qu'en annexe.
Voici les dispositions pertinentes de la Loi:
2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente
loi.
«Commission» La Commission des plaintes du public contre la
Gendarmerie royale du Canada constituée par l'article 45.29.
«Commissaire» Le Commissaire de la Gendarmerie royale du
Canada.
«Gendarmerie» La Gendarmerie royale du Canada.
Commissaire
5. (1) Le gouverneur en conseil peut nommer un officier,
appelé commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, qui,
sous la direction du ministre, a pleine autorité sur la Gendar-
merie et tout ce qui s'y rapporte.
PARTIE VI
COMMISSION DES PLAINTES DU
PUBLIC CONTRE LA GENDARMERIE
ROYALE DU CANADA
Constitution et organisation de la Commission
45.29 (I) Est constituée la Commission des plaintes du
public contre la Gendarmerie royale du Canada composée d'un
président, d'un vice-président, d'un représentant de chacune des
provinces contractantes et d'au plus trois autres membres,
nommés par décret du gouverneur en conseil.
(6) Un membre de la Gendarmerie ne peut faire partie de la
Commission.
45.3 (1) Le président de la Commission en assure la direc
tion et contrôle la gestion de son personnel.
Rapport annuel
45.34 Le président de la Commission présente au ministre,
dans les trois premiers mois de chaque exercice, le rapport
d'activité de la Commission pour l'exercice précédent, et y joint
ses recommandations, le cas échéant. Le ministre le fait déposer
devant chaque Chambre du Parlement dans les quinze premiers
jours de séance de celle-ci suivant sa réception.
PARTIE VII
PLAINTES DU PUBLIC
Réception et enquête
45.35 (1) Tout membre du public qui a un sujet de plainte
concernant la conduite, dans l'exercice de fonctions prévues à la
présente loi, d'un membre ou de toute autre personne nommée
ou employée sous le régime de celle-ci peut, qu'il en ait ou non
subi un préjudice, déposer une plainte auprès soit:
a) de la Commission;
b) d'un membre ou de toute autre personne nommée ou
employée sous le régime de la présente loi;
c) de l'autorité provinciale dans la province d'origine du
sujet de plainte, compétente pour recevoir des plaintes et
faire enquête.
(2) II est accusé réception par écrit des plaintes déposées
conformément au paragraphe (1), si le plaignant le demande ou
si la plainte a été faite par écrit.
(3) Toutes les plaintes sont portées à l'attention du
commissaire.
(4) Dès qu'il est avisé du dépôt d'une plainte, le commissaire
avise par écrit le membre ou l'autre personne, dont la conduite
fait l'objet de la plainte, de la teneur de celle-ci, pour autant
qu'il soit d'avis qu'une telle mesure ne risque pas de nuire à la
conduite d'une enquête sur la question.
45.36 (1) Le commissaire doit considérer si la plainte peut
être réglée à l'amiable et, moyennant le consentement du
plaignant et du membre ou de la personne visés par la plainte, il
peut tenter de la régler ainsi.
(2) Les réponses ou déclarations faites, dans le cadre d'une
tentative de règlement à l'amiable, par le plaignant ou par le
membre ou l'autre personne, dont la conduite fait l'objet de la
plainte, ne peuvent être utilisées ni ne sont recevables dans des
poursuites pénales, civiles ou administratives, sauf s'il s'agit
d'une audience tenue en vertu de l'article 45.1 portant sur
l'allégation selon laquelle un membre a fait une telle réponse ou
déclaration, qu'il savait fausse, dans l'intention de tromper.
(3) Tout règlement amiable doit être consigné et approuvé
par écrit par le plaignant; il doit de plus être notifié au membre
ou à la personne visés par la plainte.
(4) À défaut d'un tel règlement, la plainte fait l'objet d'une
enquête par la Gendarmerie selon les règles établies en vertu de
l'article 45.38.
(5) Par dérogation aux autres dispositions de la présente
partie, le commissaire peut refuser qu'une plainte fasse l'objet
d'une enquête ou ordonner de mettre fin à une enquête déjà
commencée si, à son avis:
a) il est préférable de recourir, au moins initialement, à une
procédure prévue par une autre loi fédérale;
b) la plainte est futile ou vexatoire ou a été portée de
mauvaise foi;
c) compte tenu des circonstances, il n'est pas nécessaire ou
raisonnablement praticable de procéder à une enquête ou de
poursuivre l'enquête déjà commencée.
(6) Le commissaire, s'il rend une décision conformément au
paragraphe (5), transmet au plaignant et, lorsqu'ils ont été
avisés conformément au paragraphe 45.35(4), au membre ou à
l'autre personne dont la conduite fait l'objet de la plainte, un
avis écrit de la décision, de ses motifs et du droit du plaignant
de renvoyer sa plainte devant la Commission pour examen, en
cas de désaccord.
45.37 (1) Le président de la Commission peut porter plainte
contre un membre ou toute autre personne nommée ou
employée sous le régime de la présente loi, s'il est fondé à croire
qu'il faudrait enquêter sur la conduite, dans l'exercice de
fonctions prévues à la présente loi, de ce membre ou de cette
personne. En pareil cas, sauf si le contexte s'y oppose, le mot
«plaignant», employé ci-après dans la présente partie, s'entend
en outre du président de la Commission.
(2) Le président de la Commission avise le ministre et le
commissaire des plaintes qu'il porte en vertu du paragraphe
(1).
(3) Dès qu'il est avisé d'une plainte conformément au para-
graphe (2), le commissaire avise par écrit le membre ou l'autre
personne, dont la conduite fait l'objet de la plainte, de la teneur
de celle-ci, pour autant qu'il soit d'avis qu'une telle mesure ne
risque pas de nuire à la conduite d'une enquête sur la question.
(4) Une plainte portée en vertu du paragraphe (1) fait
l'objet d'une enquête menée par la Gendarmerie selon les règles
établies en vertu de l'article 45.38.
45.38 Le commissaire peut établir des règles pour régir la
procédure que doit suivre la Gendarmerie lorsqu'elle enquête
sur une plainte ou tente de la régler, ou, de façon générale,
lorsqu'elle traite d'une plainte.
45.39 Au plus tard quarante-cinq jours après avoir été avisé
d'une plainte et, par la suite, tous les mois pendant la durée de
l'enquête, le commissaire avise par écrit le plaignant et le
membre ou l'autre personne dont la conduite fait l'objet de la
plainte, de l'état d'avancement de l'enquête, pour autant qu'il
soit d'avis qu'une telle mesure ne risque pas de nuire à la
conduite de toute enquête sur la question.
45.4 Au terme de l'enquête, le commissaire transmet au
plaignant et au membre ou à l'autre personne dont la conduite
fait l'objet de la plainte un rapport comportant les éléments
suivants:
a) un résumé de la plainte;
b) les résultats de l'enquête;
c) un résumé des mesures prises ou projetées pour régler la
plainte;
d) s'il s'agit d'une plainte déposée en vertu du paragraphe
45.35(1), la mention du droit qu'a le plaignant, en cas de
désaccord sur le règlement de la plainte par la Gendarmerie,
de renvoyer la plainte devant la Commission pour examen.
Renvoi devant la Commission
45.41 (1) Le plaignant visé au paragraphe 45.35(1) qui
n'est pas satisfait du règlement de sa plainte par la Gendarme-
rie ou de la décision rendue en vertu du paragraphe 45.36(5) à
l'égard de sa plainte peut renvoyer par écrit sa plainte devant la
Commission pour examen.
(2) En cas de renvoi devant la Commission conformément
au paragraphe (1):
a) le président de la Commission transmet au commissaire
une copie de la plainte;
b) le commissaire transmet au président de la Commission
l'avis visé au paragraphe 45.36(6) ou le rapport visé à
l'article 45.4 relativement à la plainte, ainsi que tout autre
document pertinent placé sous la responsabilité de la
Gendarmerie.
45.42 (1) Le président de la Commission examine chacune
des plaintes qui sont renvoyées devant la Commission confor-
mément au paragraphe 45.41(1) ou qui sont portées en applica
tion du paragraphe 45.37(1), à moins qu'il n'ait déjà fait
enquête ou convoqué une audience pour faire enquête en vertu
de l'article 45.43.
(2) Après examen de la plainte, le président de la Commis
sion, s'il est satisfait de la décision de la Gendarmerie, établit et
transmet un rapport écrit à cet effet au ministre, au commis-
saire, au membre ou à l'autre personne dont la conduite fait
l'objet de la plainte et, dans le cas d'une plainte en vertu du
paragraphe 45.35(1), au plaignant.
(3) Après examen de la plainte, le président de la Commis
sion, s'il n'est pas satisfait de la décision de la Gendarmerie ou
s'il est d'avis qu'une enquête plus approfondie est justifiée,
peut:
a) soit établir et transmettre au ministre et au commissaire
un rapport écrit énonçant les conclusions et les recommanda-
tions qu'il estime indiquées;
b) soit demander au commissaire de tenir une enquête plus
approfondie sur la plainte;
e) soit tenir une enquête plus approfondie ou convoquer une
audience pour enquêter sur la plainte.
45.43 (1) Le président de la Commission peut, s'il estime
dans l'intérêt public d'agir de la sorte, tenir une enquête ou
convoquer une audience pour enquêter sur une plainte portant
sur la conduite, dans l'exercice de fonctions prévues à la
présente loi, d'un membre ou de toute autre personne nommée
ou employée sous le régime de celle-ci, que la Gendarmerie ait
ou non enquêté ou produit un rapport sur la plainte, ou pris
quelque autre mesure à cet égard en vertu de la présente partie.
(2) Par dérogation aux autres dispositions de la présente
partie, en cas d'enquête ou de convocation d'une audience
conformément au paragraphe (1), la Gendarmerie n'est pas
tenue d'enquêter ou de produire un rapport sur la plainte, ou de
prendre quelque autre mesure à cet égard avant que le commis-
saire n'ait reçu le rapport visé au paragraphe (3) ou le rapport
provisoire visé au paragraphe 45.45(14).
(3) Au terme de l'enquête prévue à l'alinéa 45.42(3)c) ou au
paragraphe (1), le président de la Commission établit et trans-
met au ministre et au commissaire un rapport écrit énonçant les
conclusions et les recommandations qu'il estime indiquées, à
moins qu'il n'ait déjà convoqué une audience, ou se propose de
le faire, pour faire enquête en vertu de cet alinéa ou
paragraphe.
45.44 (1) Le président de la Commission, s'il décide de
convoquer une audience pour enquêter sur une plainte en vertu
des paragraphes 45.42(3) ou 45.43(1), désigne le ou les mem-
bres de la Commission qui tiendront l'audience, transmet un
avis écrit de sa décision au ministre et en signifie copie au
ministre, au commissaire, au membre ou à l'autre personne
dont la conduite fait l'objet de la plainte et, dans le cas d'une
plainte en vertu du paragraphe 45.35(1), au plaignant.
(2) Dans les cas où la plainte faisant l'objet de l'audience
porte sur la conduite, dans le cadre de services fournis en
exécution d'arrangements conclus en vertu de l'article 20, le
membre de la Commission représentant la province où la cause
de la plainte a pris naissance doit être désigné, seul ou avec
d'autres membres de la Commission, pour tenir l'audience.
45.45 (1) Pour l'application du présent article, le ou les
membres qui tiennent l'audience sont réputés être la
Commission.
(2) La Commission signifie aux parties un avis écrit de la
date, de l'heure et du lieu de l'audience.
(3) Lorsqu'une partie désire comparaître devant la Commis
sion, celle-ci siège à la date, à l'heure et à l'endroit au Canada
qu'elle détermine eu égard à la situation des parties.
(4) La Commission dispose, relativement à la plainte dont
elle est saisie, des pouvoirs dont jouit une commission d'enquête
en vertu des alinéas 24.1 (3)a),b) et c).
(5) Les parties et toute personne qui convainc la Commis
sion qu'elle a un intérêt direct et réel dans la plainte dont
celle-ci est saisie doivent avoir toute latitude de présenter des
éléments de preuve à l'audience, d'y contre-interroger les
témoins et d'y faire des observations, soit personnellement, soit
par l'intermédiaire d'un avocat.
(6) La Commission doit permettre aux témoins de se faire
représenter à l'audience par avocat.
(7) L'officier compétent peut en outre se faire représenter ou
assister à l'audience par un autre membre.
(8) Par dérogation au paragraphe (4), la Commission ne
peut recevoir ou accepter:
a) sous réserve du paragraphe (9), des éléments de preuve ou
autres renseignements non recevables devant un tribunal du
fait qu'ils sont protégés par le droit de la preuve;
b) les réponses ou déclarations faites en réponse aux ques
tions visées aux paragraphes 24.1(7), 35(8), 40(2), 45.1(11)
ou 45.22(8);
c) les réponses ou déclarations faites à la suite des questions
visées au paragraphe (9) lors de toute audience tenue en
vertu du présent article pour enquêter sur une autre plainte;
d) les réponses ou déclarations faites dans le cadre d'une
tentative de règlement à l'amiable en vertu de l'article 45.36.
(9) Au cours de l'audience, un témoin n'est pas dispensé de
répondre aux questions portant sur la plainte dont est saisie la
Commission lorsque celle-ci l'exige, au motif que sa réponse
peut l'incriminer ou l'exposer à des poursuites ou à une peine.
(10) Dans le cas où le témoin est un membre, les réponses ou
déclarations faites à la suite des questions visées au paragraphe
(9) ne peuvent être utilisées ni ne sont recevables contre lui au
cours d'une audience tenue en vertu de l'article 45.1 et portant
sur l'allégation selon laquelle il a contrevenu au code de
déontologie, autre qu'une audience portant sur l'allégation
selon laquelle il a fait une telle réponse ou déclaration, qu'il
savait fausse, dans l'intention de tromper.
(11) Les audiences sont publiques; toutefois, la Commission
peut ordonner le huis clos pendant tout ou partie d'une
audience si elle estime qu'au cours de celle-ci seront probable-
ment révélés:
a) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisem-
blablement de porter préjudice à la défense du Canada ou
d'États alliés ou associés avec le Canada ou à la détection, à
la prévention ou à la répression d'activités hostiles ou
subversives;
b) des renseignements risquant d'entraver la bonne exécution
des lois;
c) des renseignements concernant les ressources pécuniaires
ou la vie privée d'une personne dans le cas où l'intérêt de
cette personne l'emporte sur l'intérêt du public dans ces
renseignements.
(12) Les documents et autres pièces produits devant la Com
mission en vertu du présent article sont remis à la personne qui
les a produits, si elle en fait la demande, dans un délai
raisonnable après l'achèvement du rapport final visé au para-
graphe 45.46(3).
(13) Lorsque la Commission siège, au Canada, ailleurs
qu'au lieu de résidence habituel du membre ou de l'autre
personne dont la conduite fait l'objet de la plainte, du plaignant
ou de leur avocat, ce membre, cette personne, ce plaignant ou
cet avocat a droit, selon l'appréciation de la Commission et
selon les normes établies par le Conseil du Trésor, aux frais de
déplacement et de séjour engagés par lui pour sa comparution
devant la Commission.
(14) Au terme de l'audience, la Commission établit et trans-
met au ministre et au commissaire un rapport écrit énonçant les
conclusions et les recommandations qu'il estime indiquées.
(15) Au présent article et à l'article 45.46, «partie» s'entend
de l'officier compétent, du membre ou de l'autre personne dont
la conduite est l'objet de la plainte et, dans le cas d'une plainte
en vertu du paragraphe 45.35(1), du plaignant.
45.46 (1) Sur réception du rapport visé aux paragraphes
45.42(3), 45.43(3) ou 45.45(14), le commissaire révise la
plainte à la lumière des conclusions et des recommandations
énoncées au rapport.
(2) Après révision de la plainte conformément au paragra-
phe (1), le commissaire avise, par écrit, le ministre et le
président de la Commission de toute mesure additionnelle prise
ou devant l'être quant à la plainte. S'il choisit de s'écarter des
conclusions ou des recommandations énoncées au rapport, il
motive son choix dans l'avis.
(3) Après examen de l'avis visé au paragraphe (2), le prési-
dent de la Commission établit et transmet au ministre, au
commissaire et aux parties un rapport écrit final énonçant les
conclusions et les recommandations qu'il estime indiquées.
45.47 Le commissaire:
a) établit et conserve un dossier de toutes les plaintes reçues
par la Gendarmerie en application de la présente partie;
b) fournit à la Commission, à sa demande, tout renseigne-
ment contenu dans le dossier.
Le juge de première instance a consulté la doc
trine et la jurisprudence pour en dégager les prin-
cipes généraux en matière de rétroactivité des lois.
II a cité le principe général voulant que les lois ne
disposent à première vue que pour l'avenir, et a
examiné l'exception suivant laquelle la présomp-
tion de non-rétroactivité ne s'applique pas dans le
cas des lois qui s'intéressent simplement à des
questions de procédure ou de preuve. Voici ce qu'il
a statué sur cette question (aux pages 769 et 770):
Je suis d'avis que les dispositions introduites par la partie VII
de la Loi constituent plus qu'une simple modification procédu-
rale aux modalités préexistantes. Si j'ai bien compris, le critère
posé dans l'arrêt Angus c. Sun Alliance compagnie d'assurance
pour savoir si une disposition est une disposition de fond ou une
disposition procédurale est exprimé par la question suivante: la
disposition touche-t-elle des droits matériels? Il ne suffit pas de
se demander si les dispositions touchent la procédure; on doit se
demander si elles ne touchent que la procédure sans toucher le
fond du droit des parties.
En l'espèce, il est évident que les dispositions introduites par
la partie VII touchent des droits procéduraux. Mais elles
touchent aussi d'autres droits des parties. L'ancienne procédure
de règlement des plaintes de la GRC ne prévoyait pas d'examen
public indépendant comme celui auquel la Commission, qui est
un organisme distinct de la GRC, doit procéder aux termes de
la partie VII. Comme l'avocate du procureur général l'a souli-
gné, la procédure d'examen de la Commission prévue par la
partie VII est une procédure externe dans laquelle intervient un
organisme nouvellement créé qui ne jouait aucun rôle et n'exer-
çait aucune fonction relativement à l'ancienne procédure de
règlement des plaintes de la GRC. Il s'agit d'une modification
qui a un effet sur le contenu ou sur l'existence d'un droit. Elle
créé un nouveau droit à un examen public externe de la
conduite de la GRC et, pour la plupart des plaintes, elle
allongera le temps consacré à l'examen des plaintes, elle peut
comporter la tenue d'audiences, généralement publiques, et, en
attendant que la question soit tranchée définitivement, les
incertitudes inhérentes au processus seront accrues.
En conséquence, je ne suis pas persuadé, malgré les préten-
tions de l'avocat de la Commission, que les parties VI et VII de
la Loi établissent seulement une nouvelle procédure d'enquête
des plaintes portées par le public contre des membres de la
GRC. L'exception à l'application de la présomption générale de
non rétroactivité qui existe dans le cas des lois procédurales
n'est pas d'un grand secours lorsqu'il s'agit d'interpréter les
objets des dispositions législatives dont il est question en
l'espèce.
Passant ensuite à la question de savoir si la
présente Loi tombait sous le côup d'une autre
exception à la présomption générale de non-
rétroactivité, le juge MacKay a examiné attentive-
ment l'arrêt récent Brosseau c. Alberta Securities
Commission, [1989] 1 R.C.S. 301, de la Cour
suprême. Cette affaire portait en partie sur la
question de savoir si une mesure prise par l'Al-
berta Securities Commission en vertu d'une loi
révisée sur les valeurs mobilières Securities Act
[S.A. 1981, chap. S-6.1] donnait lieu à la pré-
somption de non-rétroactivité. Le juge L'Heureux-
Dubé, qui s'exprimait au nom de la Cour, a
reconnu qu'il existait une exception au principe
général dans le cas des textes législatifs dont l'ob-
jet n'est pas de punir les contrevenants mais de
protéger le public, même si ces textes législatifs
peuvent accessoirement infliger une peine liée à un
événement passé. Elle a conclu (à la page 321):
Les dispositions en question sont destinées à empêcher les
personnes que la Commission trouve coupables d'avoir accom-
pli des actes qui mettent en doute leur intégrité commerciale,
d'effectuer des opérations relatives à des valeurs mobilières. Il
s'agit d'une mesure destinée à protéger le public et elle est
conforme au rôle général de réglementation de la Commission.
Étant donné que la modification contestée en l'espèce est
destinée à protéger lé public, la présomption de non-rétroacti-
vité de la loi est en fait repoussée.
Le juge de première instance s'est dit d'avis que
l'arrêt Brosseau se rapportait directement au cas
qui nous occupe et il a par conséquent conclu (aux
pages 774 et 775):
Je suis disposé à conclure que les parties VI et VII des
modifications à la Loi ont été adoptées dans le but principal de
protéger le public et la GRC elle-même contre le risque de
partialité réelle ou appréhendée dans le traitement des plaintes
déposées au sujet de la conduite de la Gendarmerie. Avant ces
modifications, c'était la GRC elle-même qui agissait comme
seul arbitre des plaintes portées contre elle. La possibilité de
faire réviser par la Commission de façon impartiale et ouverte
le règlement des plaintes ne peut qu'améliorer la confiance du
grand public dans la Gendarmerie et ses activités.
À mon avis, l'objectif primordial des parties VI et VII de la
Loi est de favoriser un objectif public, en l'occurrence la
protection du public. Dans la mesure où l'on peut considérer
que ces modifications touchent des droits ou des intérêts acquis
ou amènent à infliger une peine liée à une conduite antérieure,
cet aspect est secondaire par rapport à l'objectif primordial qui
existe en l'espèce, tout comme il l'était, dans un contexte
différent, dans l'arrêt Brosseau. Compte tenu de l'objectif
primordial poursuivi en l'espèce, à savoir la protection de
l'intérêt public, la présomption de non-rétroactivité de la partie
VII à l'égard des actes accomplis avant son entrée en vigueur
est réfutée.
Le juge de première instance a estimé que la loi
appuyait aussi, par déduction nécessaire, cette con
clusion. Il a déclaré (à la page 778):
Eu égard aux circonstances générales entourant l'adoption
des dispositions législatives et leur application possible, vu la
conclusion à laquelle j'en suis déjà venu suivant laquelle les
parties VI et VII avaient pour but de protéger l'intérêt public et
que tout effet sur les droits acquis est subordonné à l'intention
de protéger le public, j'en viens à la conclusion que le législa-
teur voulait, par déduction nécessaire, que la Commission
s'occupe des plaintes déposées ou renvoyées devant elle après le
30 septembre 1988, date à laquelle la partie VII est entrée en
vigueur, que les actes à l'origine des plaintes aient été accomplis
avant ou après cette date.
Sur la question de savoir jusqu'où l'on devait
remonter dans le passé pour appliquer rétroactive-
ment les parties VI et VII, il a conclu (aux pages
779 et 780):
Ayant conclu que les parties VI et VII s'appliquent rétroacti-
vement suivant le principe voulant que la présomption de
non-rétroactivité a été réfutée en raison de l'objectif de protec
tion du public visé par les dispositions, et que cet objectif ou
objet suppose que le législateur voulait que la loi s'applique
rétroactivement à tous les cas qu'un examen indépendant per-
mettrait de régler de la manière prévue par la partie VII, je
conclus qu'il n'y a pas lieu de fixer une date à laquelle la
rétroactivité devrait être limitée.
Dans le même ordre d'idées, le juge de première
instance a statué que, comme les parties VI et VII
s'appliquent rétroactivement, l'expression «Le plai-
gnant visé au paragraphe 45.35(1)» qui est
employée au paragraphe 45.41(1) devait s'enten-
dre de toute personne qui a déposé une plainte
auprès de la GRC ou des autorités provinciales,
quelle que soit la date à laquelle cette plainte a été
déposée (à la page 783):
Ayant déjà établi que les parties VI et VII de la Loi sur la
Gendarmerie royale du Canada s'appliquent rétroactivement,
je suis d'avis que l'interprétation à retenir, en ce qui concerne
l'expression «Le plaignant visé au paragraphe 45.35(l)» telle
qu'elle est employée au paragraphe 45.41(1), est celle qui offre
le plus de chances de faciliter la réalisation des objets de la Loi.
Ainsi, tout plaignant qui prend des mesures en vue de déposer
une plainte visée par ce paragraphe, que ces mesures soient
antérieures ou postérieures à l'entrée en vigueur du paragraphe
45.35(1), peut, s'il n'est pas satisfait du règlement de sa plainte
par la GRC, renvoyer l'affaire devant la Commission. Je me
fonde, à cet égard, sur l'article l2 de la Loi d'interprétation.
Finalement, en ce qui concerne le pouvoir dis-
crétionnaire conféré par la loi relativement à l'op-
portunité de faire enquête ou de convoquer une
audience, les deux parties ont prétendu que la
personne ou l'organisme à qui ce pouvoir discré-
tionnaire a été conféré a le pouvoir implicite de
déclarer la plainte irrecevable si, en raison de
l'écoulement du temps, procéder à l'examen de la
plainte causerait un préjudice aux personnes visées
par la plainte ou nuirait au déroulement de l'en-
quête à mener. Le juge de première instance a
statué que c'est le président, et non la Commission
elle-même, qui a en définitive une obligation en ce
qui concerne les plaintes, et qu'il dispose à cet
égard d'un pouvoir discrétionnaire étendu (aux
pages 786 et 787):
Lorsque le temps qui s'est écoulé avant que la plainte soit
renvoyée devant la Commission est susceptible de nuire au
déroulement de l'enquête ou à l'examen de la plainte ou de
causer un préjudice aux personnes visées par la plainte ou de
créer toute autre injustice, cela constitue sûrement un facteur
dont le président doit tenir compte pour en arriver à une
conclusion quant à la question de savoir si, eu égard à toutes les
circonstances, le règlement de la plainte par la GRC est
satisfaisant. Pour en arriver à cette décision, le président a de
toute évidence un pouvoir discrétionnaire. Ainsi, si la conduite
reprochée s'apparente aux questions soulevées en matière de
responsabilité civile, les lois de prescription peuvent prescrire
des délais pour tenir compte d'actes antérieurs. Mais, si la
conduite reprochée est de nature pénale, il convient de se
rappeler qu'aucun délai de prescription ne pourrait à lui seul
empêcher d'éventuelles poursuites. Ce sont là des considéra-
tions qui, avec d'autres facteurs, peuvent être pertinentes dans
un cas donné lorsqu'il s'agit pour le président de décider s'il est
satisfait ou non du règlement de la plainte par la GRC.
Finalement, il n'est peut-être pas nécessaire d'ajouter qu'en
ce qui concerne l'introduction d'une plainte par le président en
vertu de l'article 45.37, il est incontestable que cette mesure
relève entièrement du pouvoir discrétionnaire du président.
Pour récapituler, le juge de première instance a
reproduit les questions posées dans le mémoire
spécial et les réponses qui leur ont été données
(aux pages 787 à 789):
Première question: La Commission a-t-elle, relativement à la
partie VII de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada,
L.R.C. (1985), chap. R-10, modifiée par S.C. 1986, chap. 11
(la «Loi»), compétence pour statuer sur les plaintes numéro-
tées «A-1», «A-2» et «A-3» respectivement, qui sont décrites à
l'annexe «A» de l'exposé conjoint des faits ci-joint, compte
tenu du fait que:
a) l'acte initial reproché dans les plaintes «A-1», «A-2» et
«A-3» respectivement aurait été accompli avant le 30 sep-
tembre 1988 mais après le 18 décembre 1986, c'est-à-dire
avant la promulgation de la partie VII de la Loi mais après
la promulgation de la partie VI de la Loi;
b) la plainte initiale déposée par le plaignant dans le cas
de chacune des plaintes «A-1», «A-2» et «A-3» respective-
ment, n'a pas été déposée en premier lieu à un moment où
le paragraphe 45.35(1) de la Loi était en vigueur.
Réponse à la première question
Oui, la Commission a compétence pour examiner ces plaintes si
le président de la Commission décide, en vertu du paragraphe
45.44(l), de convoquer une audience pour enquêter sur ces
plaintes.
Jusqu'à ce que le président de la Commission prenne cette
décision, les plaintes renvoyées devant la Commission doivent
être examinées par le président conformément aux fonctions qui
lui sont attribuées par la Loi (paragraphe 45.32(2), al.
45.41(2)a) et art. 45.42).
Deuxième question: La Commission a-t-elle, relativement à
la partie VII de la Loi, compétence pour statuer sur la
plainte numérotée «B-1» décrite à l'annexe «B» de l'exposé
conjoint des faits ci-joint, compte tenu du fait que:
a) l'acte initial reproché dans la plainte «B-1» aurait été
accompli avant le 18 décembre 1986 mais après le 26 mars
1986, c'est-à-dire avant la promulgation des parties VI et
VII de la Loi, mais après la date à laquelle la Loi a reçu la
sanction royale;
b) la plainte initiale déposée par le plaignant dans le cas
de la plainte «B-1» n'a pas été présentée en premier lieu à
un moment où le paragraphe 45.35(1) de la Loi était en
vigueur.
Réponse à la deuxième question
Oui, la Commission a compétence pour examiner cette plainte
dans les mêmes circonstances que celles qui sont précisées dans
la réponse à la première question.
Troisième question: La Commission a-t-elle, relativement à
la partie VII de la Loi, compétence pour statuer sur la
plainte numérotée «C-I» décrite à l'annexe «C» de l'exposé
conjoint des faits ci-joint, compte tenu du fait que:
a) l'acte initial reproché dans la plainte «C-I» aurait été
accompli avant le 26 mars 1986, c'est-à-dire avant la
promulgation des parties VI et VII de la Loi et avant la
date à laquelle la Loi a reçu la sanction royale;
b) la plainte initiale déposée par le plaignant dans le cas
de la plainte «C-1» n'a pas été présentée en premier lieu à
un moment où le paragraphe 45.35(1) de la Loi était en
vigueur.
Réponse à la troisième question
Oui, la Commission a compétence pour examiner cette plainte
dans les mêmes circonstances que celles qui sont précisées dans
la réponse à la première question.
Quatrième question: La Commission a-t-elle, relativement à
la partie VII de la Loi, compétence pour statuer sur la
plainte numérotée «C-2» décrite à l'annexe «C» de l'exposé
conjoint des faits ci-joint, compte tenu du fait que l'acte
reproché dans la plainte «C-2» aurait été accompli avant le 26
mars 1986, c'est-à-dire avant la promulgation des parties VI
et VII de la Loi et avant la date à laquelle la Loi a reçu la
sanction royale?
Réponse à la quatrième question
En présumant que la plainte a été déposée auprès de la
Commission conformément à l'alinéa 45.35(1)a),
a) il doit être accusé réception de la plainte (paragraphe
45.35(2));
b) la plainte doit être portée à l'attention du commissaire de
la GRC (paragraphe 45.35(3));
c) la Commission ne peut pas «instruire» davantage la
plainte à moins que le président de la Commission décide, en
vertu du paragraphe 45.44(1), de convoquer une audience
pour enquêter sur la plainte.
Cinquième question: Si la réponse à la troisième question est
affirmative, la Commission a-t-elle, relativement à la plainte
numérotée «C-1», compétence:
a) soit pour déclarer la plainte irrecevable;
b) soit pour refuser de faire enquête sur la plainte;
c) soit pour refuser de convoquer une audience pour
enquêter sur la plainte
si la Commission estime que le temps écoulé entre la date à
laquelle l'acte reproché aurait été accompli et la date à
laquelle la plainte numérotée «C-1» a été renvoyée devant la
Commission risque de nuire à l'examen de la plainte numéro-
tée «C-1» ou de causer un préjudice à la personne dont la
conduite fait l'objet de la plainte numérotée «C-l»?
Réponse à la cinquième question
Non, la Commission n'a ni la compétence ni le pouvoir discré-
tionnaire de rendre l'une ou l'autre des décisions susmention-
nées.
Le président de la Commission doit d'abord, suivant la Loi:
— transmettre une copie de la plainte au commissaire (alinéa
45.41(2)a));
— examiner la plainte (paragraphe 45.42(1));
— établir s'il est satisfait ou non du règlement de la plainte par
la GRC (paragraphes 45.42(2) et (3)). Pour en arriver à
cette décision, le président peut notamment tenir compte du
fait que le retard ou le temps écoulé entre l'acte à l'origine de
la plainte et la date du renvoi devant la Commission risque
de nuire à l'examen de la plainte ou de causer un préjudice
aux parties concernées par la plainte ou de causer autrement
une injustice.
La cinquième question et la réponse que le juge
de première instance lui a donnée n'ont pas été
mises en litige dans le présent appel.
II
L'intimée souscrit au raisonnement que le juge de
première instance a suivi pour interpréter l'arrêt
Brosseau en déclarant que cet arrêt crée une
exception fondée sur l'intérêt public à la présomp-
tion de non-rétroactivité, mais elle prétend égale-
ment que les parties VI et VII, en tant que modifi
cations purement procédurales, relèvent tout
autant de l'exception qui existe dans le cas des lois
purement procédurales. J'exposerai plus loin, à la
partie IV, le droit sur cette question. L'intimée
invoque également l'intention implicite des parties
VI et VII et soulève un autre point fondé sur le
paragraphe 45.41(1). Tout en appuyant la conclu
sion du juge de première instance voulant que les
parties VI et VII ne portent pas sur des questions
purement procédurales, l'appelant tente de façon
générale de restreindre la portée de l'exception
fondée sur l'intérêt public que le juge de première
instance a établie en ce qui concerne la présomp-
tion de non-rétroactivité sur le fondement de l'ar-
rêt Brosseau. Il est donc essentiel, pour résoudre
cette question, de bien interpréter l'arrêt Brosseau.
Comme le juge L'Heureux-Dubé a, dans l'arrêt
Brosseau, examiné la question de la rétroactivité
en suivant le plan établi par Driedger dans son
ouvrage Construction of Statutes, 2» éd., Toronto,
1983', j'estime que l'analyse faite par Driedger au
sujet des sources externes de l'intention du législa-
teur (chapitre 10, aux pages 183 à 221) mérite un
examen minutieux.
Il sera peut-être utile de rappeler, pour commen-
cer, la subtile distinction que Driedger fait entre
les termes anglais retrospectivity et retroactivity *,
aux pages 185 et suivantes.
Une loi rétroactive (en anglais, retroactive sta
tute) est une loi qui agit dans le passé, c'est-à-dire
une loi qui produit des effets à partir d'une date
antérieure à son adoption, soit parce qu'elle est
réputée être entrée en vigueur à une date anté-
rieure à sa promulgation (par ex. les mesures
budgétaires), soit parce qu'elle porte uniquement
sur des opérations passées, à compter d'une date
donnée dans le passé (par ex. en matière d'indem-
nisation). Il est plus facile de reconnaître une loi
rétroactive parce que la rétroactivité est habituel-
lement prévue expressément.
En revanche, une loi «rétrospective» (en anglais
retrospective statute) ne modifie le droit que pour
l'avenir mais regarde en arrière en rattachant de
nouveaux effets à des opérations terminées. Elle
revient donc sur des opérations terminées et en
change les conséquences pour l'avenir.
Une loi peut être à la fois rétroactive et «rétros-
pective». Quoi qu'il en soit, la loi qui nous occupe
en l'espèce n'est pas rétroactive, même si l'on
pourrait prétendre qu'elle est «rétrospective».
' Elle a complété cette étude en citant un extrait d'un article
de Driedger, «Statutes: Retroactive, Retrospective Reflections»
(1978), 56 R. du B. Can. 264, la p. 275.
* Note de l'arrêtiste: La notion française de rétroactivité
comprend ces deux notions. Aux fins de cette analyse, toutefois,
«retroactive,, a été rendu par «rétroactif» et «retrospective» par
«rétrospectif». Ailleurs dans ces motifs, «retrospective» a été
rendu par «rétroactif».
Suivant l'analyse de Driedger, il faut distinguer
attentivement entre la présomption de non-rétroac-
tivité et la présomption du respect des droits
acquis. Il ne s'agit pas, dans ce dernier cas, d'une
présomption simple, mais plutôt d'une présomption
qui ne peut être invoquée que lorsqu'une loi est
logiquement susceptible de deux interprétations
(ci-dessus, à la page 185), tandis que la présomp-
tion de non-rétroactivité est une présomption
simple, qui joue tant qu'elle n'est pas réfutée
(ci-dessus, à la page 189). La raison en est que
l'atteinte aux droits existants est une conséquence
fréquemment voulue par le législateur 2 , et que la
présomption du respect des droits acquis ne s'ap-
plique par conséquent que lorsque le texte de la loi
est ambigu: il faut donc se tourner d'abord vers la
loi, et ne faire intervenir la présomption qu'en
second lieu, si l'intention n'est pas claire.
Driedger affirme que la confusion qui existe au
sujet des deux présomptions se trouve dans deux
anciennes décisions de la Cour suprême, l'arrêt
Upper Canada College v. Smith (1920), 61 R.C.S.
413; et l'arrêt Acme Village School District
(Board of Trustees of) v. Steele -Smith, [1933]
R.C.S. 47, sur lesquels l'intimée s'est fortement
appuyée en l'espèce. Suivant Driedger, ces deux
affaires portent uniquement sur des «droits
acquis», lesquels ne valent que pour l'avenir. Le
juge L'Heureux-Dubé n'a cité aucun de ces deux
arrêts, sans doute parce qu'elle souscrivait à la
thèse de Driedger.
Driedger poursuit son analyse dans les termes
suivants (supra, aux pages 197 et 198):
[TRADUCTION] Comme je l'ai déjà dit, une loi rétroactive est
une loi qui produit des effets à partir d'une date antérieure à
son adoption. Une loi «rétrospective» n'agit que dans le futur;
elle ne dispose que pour l'avenir, mais elle rattache de nouvelles
2 Par conséquent, dans l'arrêt Gustavson Drilling (1964) Ltd.
c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271, à la p.
283, le juge Dickson [tel était alors son titre] a statué, au nom
de la Cour suprême, qu'un contribuable ne possédait pas un
droit acquis de réclamer pour l'avenir des déductions fiscales:
«Un contribuable est libre de planifier sa vie financière en se
fondant sur l'espoir que le droit fiscal demeure statique; il
prend alors le risque d'une modification à la législation.» L'ar-
rêt Gustavson a été suivi dans l'arrêt Procureur général du
Québec c. Tribunal de l'expropriation et autres, [1986] 1
R.C.S. 732, dans lequel la Cour suprême a statué que le droit
que possédait la Couronne de mettre unilatéralement fin à une
expropriation n'était pas un droit acquis mais seulement une
possibilité ou une option, et que ce droit avait été aboli par la
nouvelle Loi sur l'expropriation [L.R.Q. 1977, chap. E-24].
conséquences à des événements passés. Une loi rétroactive agit
dans le passé. Une loi «rétrospective» agit dans le futur, mais
elle regarde en arrière, en ce sens qu'elle rattache pour l'avenir
de nouvelles conséquences à un événement qui a eu lieu avant
l'adoption de la loi. Une loi rétroactive change le droit par
rapport à ce qu'il était; une loi «rétrospective» change le droit
par rapport à ce qu'il serait autrement en ce qui concerne un
événement passé ...
À moins de faire une nette distinction entre les deux termes,
la confusion est inévitable. Ainsi, une loi pourrait être rétroac-
tive sans être «rétrospective», être «rétrospective» sans être
rétroactive, ou être à la fois rétroactive et «rétrospective»; et les
lois rétroactives et les lois «rétrospectives» pourraient également
disposer pour l'avenir, et le font habituellement. La présomp-
tion s'applique aux deux types de lois, mais le critère permet-
tant de savoir si une loi est rétroactive est différent de celui qui
s'applique dans le cas des lois «rétrospectives». Pour savoir si
une loi est rétroactive, il faut se demander si la loi contient des
éléments qui permettent de conclure qu'elle doit être réputée
avoir été le droit applicable à compter d'une date antérieure à
son adoption. Pour savoir si une loi est «rétrospective», il faut se
demander si la loi renferme des éléments qui indiquent que les
conséquences d'un événement passé sont modifiées, non pas à
partir d'une date antérieure à son adoption, mais à compter de
la date de sa promulgation, ou à compter de la date de son
entrée en vigueur, si celle-ci est postérieure.
Ce ne sont pas toutes les lois «rétrospectives» qui donnent lieu
à la présomption, mais, pour reprendre les mots employés par
Sedgwick [Statutory Construction and Constitutional Law,
2nd ed., New York, 1874, la page 160], seulement celles qui
[TRADUCTION] créent une obligation nouvelle, imposent
un devoir nouveau ou ajoutent une incapacité nouvelle à
l'égard d'opérations ou de prestations déjà accomplies.
Bref, la présomption ne joue que dans le cas des lois qui ont un
effet préjudiciable et non dans le cas de celles qui ont un effet
favorable.
Il existe donc trois sortes de lois qu'on peut, à proprement
parler, qualifier de «rétrospectives», mais il n'y en a qu'une qui
donne lieu à la présomption. Premièrement, il y a les lois qui
ajoutent des conséquences favorables à un événement antérieur;
elles ne donnent pas lieu à la présomption. Deuxièmement, il y
a celles qui rattachent des conséquences préjudiciables à un
événement antérieur; elles donnent lieu à la présomption. Troi-
sièmement, il y a celles qui infligent une peine à une personne
qui est décrite par rapport à un événement antérieur, mais la
peine n'est pas destinée à constituer une autre punition pour
l'événement; elles ne donnent pas lieu à la présomption.
Le juge L'Heureux-Dubé a reproduit et expres-
sément suivi la division des lois en trois catégories
faite dans le dernier paragraphe de la citation. Elle
n'a cependant rien dit de plus au sujet de la
première catégorie'. Elle s'est concentrée sur la
3 Dans l'arrêt Snider v. Edmonton Sun et al. (1988), 93
A.R. 26 (C.A.), à la p. 30, le juge d'appel Lieberman a écrit ce
qui suit, au nom de la Cour, au sujet de la première catégorie:
(Suite à la page suivante)
troisième catégorie de lois, en déclarant ce qui suit
(à la page 319):
Une sous-catégorie du troisième type de lois décrit par
Driedger est composée des textes législatifs qui peuvent imposer
à une personne une peine liée à un événement passé en autant
que le but de la peine n'est pas de punir la personne en question
mais de protéger le public.
Les deux arrêts que le juge L'Heureux-Dubé a
cités à l'appui, l'arrêt Reg. v. Vine (1875), 10 L.R.
Q.B. 195; et l'arrêt Re A Solicitor's Clerk, [1957]
3 All E.R. 617 (Q.B.D.), méritent à mon avis
qu'on s'y arrête. Dans la première affaire, une
nouvelle disposition législative empêchait pour le
reste de leurs jours les personnes reconnues coupa-
bles d'une infraction majeure de vendre de l'alcool
au détail. La Cour a refusé de considérer que la loi
était régie par la présomption de non-rétroactivité
des lois. Le juge en chef Cockburn écrit, aux pages
199 et 200:
[TRADUCTION] ... en l'espèce, le but du texte législatif n'est
pas de punir les contrevenants, mais de protéger le public
contre la possibilité que des débits d'alcool soient tenus par des
personnes de mœurs douteuses ... le Parlement a de façon
catégorique adopté une position ferme, de toute évidence pour
protéger le public, afin que les endroits publics puissent être
tenus par des personnes de bonnes mœurs, et il n'est pas
important à cette fin de savoir si une personne a été déclarée
coupable avant ou après l'adoption de la loi, car elle est tout
aussi mauvaise dans un cas comme dans l'autre et ne devrait
pas recevoir de permis.
Dans la dernière affaire, une loi avait été modi-
fiée de façon à permettre de rendre une ordon-
nance déclarant une personne inhabile à agir à
titre de clerc d'avocat si cette personne avait été
déclarée coupable de vol, d'abus de confiance ou
de détournement de biens. Le juge en chef, lord
Goddard, a écrit (à la page 619):
[TRADUCTION] À mon avis, cette loi n'est pas véritablement
«rétrospective». Elle permet de rendre une ordonnance empê-
chant pour l'avenir une personne d'agir à titre de clerc d'avocat
et ce qui s'est produit dans le passé constitue la cause ou la
raison de l'ordonnance; mais l'ordonnance n'a pas d'effet
«rétrospectif». Elle serait «rétrospective» si la loi déclarait nulle
ou annulable une chose faite avant l'entrée en vigueur de la loi
ou avant le prononcé de l'ordonnance ou si elle infligeait une
peine pour avoir agi de la sorte avant que la loi n'entre en
vigueur ou que l'ordonnance ne soit prononcée. La loi permet
simplement de déclarer une personne inhabile pour l'avenir, ce
qui n'a aucun effet sur ce que l'appelant a fait dans le passé.
(Suite de la page précédente)
[TRADUCTION] À mon humble avis, on ne peut
qualifier une loi de loi «avantageuse», au sens où Dried-
ger emploie ce mot, que lorsqu'elle accorde un avan-
tage à une personne sans simultanément priver une
autre personne d'un droit acquis ...
Suivant l'analyse de Driedger, lord Goddard était
vraisemblablement une autre victime de la confu
sion terminologique. Mais son message est néan-
moins clair: la loi n'est pas rétroactive, mais
«rétrospective», et elle s'applique en tant qu'excep-
tion à la présomption de non-rétroactivité des lois.
Après avoir cité des extraits de ces deux déci-
sions, le juge L'Heureux-Dubé revient à Driedger
(à la page 320):
Elmer Driedger résume la question dans «Statutes: Retroac
tive, Retrospective Reflections» (1978), 56 R. du B. can. 264, à
la p. 275:
[TRADUCTION] Finalement, il faut se tourner vers
l'objet de la loi. Si l'intention est de punir ou de pénaliser
une personne pour ce qu'elle a fait, la présomption joue,
parce qu'une nouvelle conséquence se rattache à un évé-
nement antérieur. Toutefois, si la nouvelle punition ou
peine est destinée à protéger le public, la présomption ne
joue pas.
Le principe qui se dégage de ce qui précède est,
il me semble, exposé dans les termes les plus nets
dans les deux derniers passages qu'elle tire (aux
pages 320 et 321) de l'arrêt rendu par le juge
Stevenson de la Cour d'appel (tel était alors son
titre) de l'Alberta dans la même affaire, sous
l'intitulé Barry and Brosseau v. Alberta Securities
Commission (1986), 67 A.R. 222, à la page 229
(aux pages 320 et 321 R.C.S.):
Le juge Stevenson de la Cour d'appel a comparé la situation
de la présente affaire à celle de l'affaire Re A Solicitor's Clerk
à la p. 229:
[TRADUCTION] À mon avis, on ne peut établir de
distinction avec le principe énoncé dans l'arrêt Solicitor's
Clerk. Un pouvoir additionnel est accordé à la Commis
sion, fondé sur la conduite antérieure. Une nouvelle peine
ne peut être ajoutée mais ce n'est pas le rôle des art. 166
et 167. L'arrêt Solicitor's Clerk portait sur le même rôle,
c'est-à-dire prévoir une exclusion fondée sur la conduite
passée qui peut démontrer l'incapacité en ce qui a trait à
l'exemption'.
4 Le juge Stevenson avait expliqué antérieurement la notion
d'exemption dans sa décision (à la p. 225 A.R.):
[TRADUCTION] Les exemptions dont il est question ont
trait à la dispense d'enregistrement de certains types de
commerce, à la soustraction aux exigences du prospec
tus dans certains cas déterminés et aux exemptions
applicables à certaines offres. Le prononcé de l'une ou
l'autre des ordonnances sollicitées aurait pour effet
d'empêcher les appelants de se livrer à des activités qui
échapperaient autrement aux règlements de la Com
mission. Il est reconnu que la Commission n'avait pas
le pouvoir d'assujettir les appelants aux ordonnances
visées par les articles 165 et 166 sous le régime de la
Loi qui était en vigueur lorsque le prospectus contesté
a été lancé.
La présente affaire concerne un redressement dont l'applica-
tion est fondée sur la conduite de l'appelant avant l'adoption
des art. 165 et 166. Néanmoins, le redressement n'est pas conçu
comme une peine liée à cette conduite. Il vise plutôt à protéger
le public.
Le fait que ce redressement ne soit pas véritablement de
nature punitive est appuyé par la conclusion du juge d'appel
Stevenson selon laquelle l'imposition du nouveau redressement
n'était pas la préoccupation fondamentale de l'appelant en
l'espèce à la p. 229:
[TRADUCTION] Essentiellement, les appelants craignent
d'être marqués par une décision indiquant qu'ils ont fait
ou omis de faire ce qui est allégué dans l'avis d'audition.
Cette préoccupation fondamentale est bien illustrée par
la déclaration faite dans l'argumentation, selon laquelle
ils se souciaient moins du redressement imposé contre
eux, car ils pouvaient accepter le redressement, que de la
possibilité d'une conclusion sur l'illégalité.
Ces lois ont pour rôle ou pour fonction de créer
une certaine forme d'incapacité légale plutôt que
de punir comme tel. En résumé, la présomption de
non-rétroactivité comporte une exception lorsqu'il
y a (1) une incapacité légale (2) fondée sur une
conduite antérieure, (3) qui démontre une inapti-
tude prolongée à bénéficier du privilège en ques
tion. A mon sens, il s'agit là d'une exception très
étroite à la présomption générale, une exception
dont la portée est beaucoup plus limitée que ce
qu'a déclaré le juge de première instance en sta-
tuant que l'exception joue chaque fois qu'on peut
considérer que la loi vise, de façon générale, à
protéger le public, quelles qu'en soient les consé-
quences sur la valeur subordonnée des droits ou
des intérêts acquis. Le principe qui a été effective-
ment posé dans l'arrêt Brosseau ne saurait, autant
que je puisse en juger, s'appliquer au cas qui nous
occupe, étant donné qu'il n'est pas question en
l'espèce d'une inaptitude prolongée.
Certes, le juge L'Heureux-Dubé qualifie le
genre de loi qu'elle examine de simple «sous-caté-
gorie du troisième type de lois décrit par Driedger»
(à la page 319). On se rappellera que le troisième
type de lois de Driedger porte sur les lois [TRA-
DUCTION] «qui infligent une peine à une personne
qui est décrite par rapport à un événement anté-
rieur, mais la peine n'est pas destinée à constituer
une autre punition pour l'événement» (supra, à la
page 198). Ce que le juge L'Heureux-Dubé quali-
fie de sous-catégorie est néanmoins exprimé en des
termes presque identiques à ceux qu'emploie
Driedger pour désigner la catégorie elle-même, et
semble en couvrir tous les aspects; ce sont, pour
reprendre ses propres mots, «des textes législatifs
qui peuvent imposer à une personne une peine liée
à un événement passé en autant que le but de la
peine n'est pas de punir la personne en question
mais de protéger le public» (à la page 319).
Qu'il existe ou non une catégorie générale qui
est plus large que la sous-catégorie, il faut à tout le
moins reconnaître que la présomption de non-
rétroactivité ne peut comporter d'exceptions fon-
dées sur l'intérêt — ou, à plus grande échelle, sur
la protection — du public pour la simple raison
que l'on peut affirmer que, quel qu'en soit le
contenu, toute loi vise l'intérêt ou la protection du
public. Aucun législateur ne légifère délibérément
contre l'intérêt public, mais perçoit toujours ces
innovations législatives comme favorisant le bien
public.
Si tant est qu'il existe une exception fondée sur
l'intérêt public, elle doit par conséquent, selon moi,
se ramener à une question d'intention du législa-
teur, c'est-à-dire à la question de savoir si le
législateur voulait que la loi agisse dans l'avenir ou
dans le passé. Après tout, toutes les présomptions
en question sont des présomptions d'intention du
législateur. Il n'y a donc rien d'illogique à essayer
d'élucider une présomption à la lumière des indices
que comporte le texte au sujet de l'intention du
législateur, en tenant compte du contexte général
de la loi'. Si les présomptions peuvent nous aider à
découvrir l'intention du législateur, pourquoi l'in-
tention véritable ne pourrait-elle pas nous aider à
comprendre le sens d'une présomption fictive? Ou,
pour être plus exact, seule l'intention est néces-
saire, qu'elle découle d'une présomption ou de la
loi elle-même.
Ainsi, dans In re Athlumney. Ex parte Wilson,
[1898] 2 Q.B. 547, aux pages 551 et 552, le juge
Wright conseille de se tourner vers la loi:
[TRADUCTION] Il se peut qu'aucune règle d'interprétation ne
soit plus solidement établie que celle-ci: on ne doit pas donner à
une loi un effet rétrospectif de manière à porter atteinte à un
droit ou à une obligation existants, sauf en matière de procé-
dure, à moins que ce résultat ne puisse pas être évité sans
5 Cette interprétation d'un sens plus large à accorder à la
troisième catégorie de Driedger la rapproche considérablement
de la première catégorie, c'est-à-dire de celle des [TRADUC-
TION] «lois qui ajoutent des conséquences favorables à un
événement antérieur» (supra, à la p. 198), telle qu'elle a été
interprétée dans l'arrêt Snider v. Edmonton Sun et al., supra,
note 3.
déformer l'énoncé du texte. Si le libellé de la loi se prête à
plusieurs interprétations, on doit l'interpréter comme devant
prendre effet pour l'avenir seulement.
Nous avons également un arrêt de la Cour
suprême qui nous invite à nous tourner vers le
texte de la loi pour trouver le sens d'une telle
présomption, l'arrêt Nova, An Alberta Corpora
tion c. Amoco Canada Petroleum Co. Ltd. et
autres, [1981] 2 R.C.S. 437, dans lequel, pour
reprendre les termes employés par le juge L'Heu-
reux-Dubé, supra, à la page 318, «le juge Estey a
analysé la question de la rétroactivité en exami-
nant l'intention qui sous-tend la disposition législa-
tive visée». En outre, dans l'arrêt Québec (Procu-
reur général) c. Healey, [1987] 1 R.C.S. 158, aux
pages 166 et 167, la Cour suprême s'est ralliée aux
énoncés suivants tirés de Maxwell on the Interpre
tation of Statutes, 12e éd., 1969, aux pages 215 et
216:
[TRADUCTION] Le droit anglais pose pour règle fondamentale
que nulle loi ne doit s'interpréter comme ayant un effet rétroac-
tif, à moins qu'une telle interprétation ne ressorte clairement du
texte de la loi ou ne s'impose comme inéluctable.
Toutefois, si la langue ou l'intention première du texte
législatif l'exige, la loi doit être interprétée de- manière .à
s'appliquer rétroactivement, car «la règle contre l'effet rétroac-
tif des lois n'est ni rigide ni inflexible mais doit toujours être
appliquée en fonction du texte de la loi et de l'objet de celle-ci.»
Pour réfléchir sur le texte et l'objet de la loi,
nous devons examiner- attentivement la Loi
elle-même.
III
Il est constant que la genèse de la Loi modificative
se trouve dans le Rapport de la Commission d'en-
quête sur les plaintes du public, la discipline
interne et le règlement des griefs au sein de la
Gendarmerie royale du Canada, Information
Canada, Ottawa, 1976 (le rapport de la Commis
sion Marin). Les auteurs de ce rapport recomman-
daient la création d'un système de traitement des
plaintes du public qui soit distinct, tant sur le plan
opérationnel que sur le plan fonctionnel, du sys-
tème disciplinaire.
La situation que la Loi modificative visait à
réformer est indubitablement exprimée avec exac
titude dans la déclaration suivante de la Commis
sion Marin (à la page 107):
La nécessité qu'il y ait un organisme indépendant afin de
réviser les mesures prises par la Gendarmerie dans le traite-
ment des plaintes du public n'est pas fondée sur quelque
histoire d'abus ou de négligence. Au contraire, nous n'avons pas
trouvé beaucoup d'affaires dans lesquelles la Gendarmerie n'a
pas mené une enquête approfondie ou réglé une plainte d'une
façon injuste. Mais il demeure néanmoins que de nombreuses
personnes peuvent difficilement comprendre comment la Gen-
darmerie peut à la fois agir à titre de surveillant et d'arbitre en
dernier ressort en ce qui a trait aux plaintes du public. Les
plaignants, les membres impliqués dans les plaintes et les
Canadiens en général sont en droit d'aspirer à une confiance
sans réserve à l'égard de la Gendarmerie royale du Canada. À
notre avis, l'implantation d'un organisme indépendant de révi-
sion permettrait de satisfaire à de telles aspirations.
Comme l'intimée nous l'a fait remarquer, le sollici-
teur général de l'époque a fait écho à cette manière
de voir en proposant la deuxième lecture de la Loi
modificative (Débats de la Chambre des commu
nes, 11 septembre 1985, à la page 6518):
Je vois l'établissement de la Commission des plaintes du
public comme une modification de première importance. C'est
une solution contemporaine à la nécessité de traiter de façon
objective, ouverte et juste les plaintes formulées contre des
agents de la GRC, solution qui méritera la confiance de la
population.
Ainsi donc, un objet de la loi qu'on peut dégager
de la situation qu'elle visait à réformer est de
protéger le public contre la tenue d'enquêtes secrè-
tes sur ses plaintes. Mais il ressort à l'évidence
d'autres éclaircissements fournis par le solliciteur
général que l'on voulait aussi se protéger contre un
autre abus, à savoir la mise au pilori des membres
de la Gendarmerie (Débats, 11 septembre 1985, à
la page 6519):
Ce projet de loi donne suite à la plupart des recommandations
de la commission Marin et l'on a passé beaucoup de temps à
préparer des révisions qui aideront la GRC dans son travail
tout en préservant le délicat équilibre entre la protection des
droits du public et celle des membres de la GRC.
Cette observation indique que l'on se prémunit
également contre les deux abus.
Une manière plus sûre d'aborder le problème
consiste, il me semble, à analyser les dispositions
de la Loi modificative, particulièrement par rap
port à la Loi précédente.
Comme je l'ai précisé au départ, la Commission
est constituée aux termes de la partie VI de la Loi.
La partie VII commence ensuite (paragraphe
45.35(1)) avec le droit de tout membre du public
qui a un sujet de plainte concernant la conduite,
dans l'exercice de fonctions prévues par la Loi,
d'un membre ou de toute autre personne nommée
ou employée sous le régime de la Loi, de déposer
une plainte auprès de la Commission, d'un
membre ou de toute autre personne nommée ou
employée sous le régime de la Loi, ou de l'autorité
provinciale compétente pour recevoir des plaintes
et faire enquête. Le président de la Commission
peut également porter plainte.
La Commission doit aviser le commissaire du
dépôt de chaque plainte, et le commissaire doit
instruire chaque plainte, en la réglant à l'amiable
(de consentement), en procédant à une enquête, ou
en refusant de procéder à une enquête s'il est
d'avis qu'une telle mesure n'est pas justifiée ou
qu'elle n'est pas raisonnablement praticable. Le
commissaire est tenu d'enquêter sur les plaintes
portées par le président de la Commission.
Dès qu'il est avisé d'une plainte, le commissaire
doit aviser la personne dont la conduite fait l'objet
de la plainte pour autant qu'il soit d'avis qu'une
telle mesure ne risque pas de nuire à la conduite
d'une enquête.
Le plaignant qui n'est pas satisfait du règlement
de sa plainte par la GRC peut, en vertu de l'article
45.41, renvoyer sa plainte devant la Commission.
La Commission est tenue d'examiner la plainte qui
lui est renvoyée, à moins qu'elle n'ait déjà fait
enquête ou convoqué une audience pour faire
enquête sur la question.
Outre cette obligation d'examiner les plaintes
qui font l'objet d'un renvoi, le président a égale-
ment le pouvoir, en vertu de l'article 45.43, de
tenir une enquête ou de convoquer une audience
pour enquêter sur une plainte, que le commissaire
ait ou non enquêté ou produit un rapport sur la
plainte, ou pris quelque autre mesure à cet égard,
s'il «estime dans l'intérêt public d'agir de la sorte».
Le président de la Commission, s'il décide de
convoquer une audience, désigne le ou les membres
de la Commission qui tiendront l'audience. À l'au-
dience, le ou les membres qui tiennent l'audience
sont réputés être la Commission. Des formalités de
préavis sont prévues, et la Commission a les pou-
voirs qui sont conférés à une commission d'en-
quête, y compris le pouvoir d'assigner des témoins.
Le plaignant, la GRC et la personne qui fait
l'objet de la plainte ont tous le droit de présenter
des éléments de preuve, de contre-interroger des
témoins, de faire des observations et d'être repré-
sentés par un avocat.
La Commission n'a pas le pouvoir de rendre des
décisions obligatoires, mais elle doit, au terme de
l'audience, établir et transmettre au commissaire
et au solliciteur général un rapport écrit «énonçant
les conclusions et les recommandations qu'elle
estime indiquées».
Le commissaire est tenu de réviser la plainte à la
lumière des conclusions et des recommandations
énoncées au rapport et d'aviser le solliciteur géné-
ral et le président des mesures qu'il prendra ou de
leur exposer les raisons pour lesquelles il ne pren-
dra pas de mesure, si telle est sa décision.
Le dernier mot revient au président, qui doit
établir et transmettre aux parties, au solliciteur
général, et au commissaire, un rapport écrit final.
Avant l'entrée en vigueur de la Loi modificative,
il n'existait pas de mécanisme législatif d'enquête
au sujet des plaintes portées par de simples
citoyens. Il existait seulement une procédure
interne d'examen, qui avait été établie en vertu
d'un texte administratif du commissaire (le bulle
tin AM-740 du 19 octobre 1984, reproduit au
dossier d'appel I aux pages 32 et suivantes, et au
dossier d'appel II, aux pages 193 et suivantes) 6 .
Comme il n'est ni un texte législatif ni un règle-
ment, ce bulletin n'a pas forcé de loi: Martineau et
autre c. Comité de discipline des détenus de l'Ins-
titution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118, la
page 129.
Il vaut également la peine de noter que les
manquements à la discipline (manquements graves
et simples au devoir) s'appliquaient seulement aux
membres de la Gendarmerie aux termes de l'an-
cienne Loi (articles 25 et 26), de sorte que la
conduite du personnel civil de la Gendarmerie ne
pouvait faire l'objet d'une examen légal, sauf sous
le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction
6 Les avocats des deux parties s'entendent pour dire que ce
bulletin ne constitue même pas une consigne du commissaire.
publique [L.R.C. (1985), chap. P-33] (article 10
de l'ancienne Loi), tandis qu'aux termes de la
partie VII, de simples citoyens peuvent évidem-
ment porter plainte contre ces employés'.
Il vaut également la peine de noter que la partie
II de la Loi modificative prévoit la création d'un
Comité externe d'examen, qui joue un rôle impor
tant dans la nouvelle procédure interne de règle-
ment des griefs relatifs au personnel de la GRC
qui est établie par la partie III de la Loi modifica-
tive. La partie IV de la Loi modificative crée un
nouveau code de déontologie disciplinaire qui régit
la conduite des membres de la GRC, et qui rem-
place essentiellement la partie II de l'ancienne Loi.
La partie II a pris effet le 18 décembre 1986 et les
parties III et IV sont entrées en vigueur le 30 juin
1988.
IV
L'intimée prétend que les parties VI et VII ne
créent rien de plus qu'une nouvelle procédure d'en-
quête des plaintes portées par le public contre des
membres de la GRC et que, comme il s'agit de
dispositions de caractère procédural, la présomp-
tion de la non-rétroactivité des lois ne s'applique
pas.
Les règles de droit applicables à cet égard ont
été brièvement énoncées par le juge La Forest, au
nom de la Cour suprême, dans l'arrêt Angus c.
Sun Alliance compagnie d'assurance, [1988] 2
R.C.S. 256, la page 262:
Il existe une présomption que les lois n'ont pas d'effet rétroac-
tif. Toutefois les dispositions «procédurales» ne sont pas assujet-
ties à la présomption. Au contraire, elles sont présumées agir
rétroactivement ...
Jusqu'ici, tout est clair. Mais le juge La Forest
ajoute (à la page 262): «la distinction qui existe
Il est évidemment vrai, comme le prétend l'intimée, que les
plaintes portées par le public contre des employés qui ne font
pas partie de la Gendarmerie auraient pu donner lieu à une
enquête sous le régime de la Loi sur les enquêtes [L.R.C.
(1985), chap. I-11], mais cela est également vrai pour toute
autre chose et toute autre personne, et ne peut guère être
considéré comme une forme d'examen de la conduite de person-
nes étrangères à la Gendarmerie. L'argument connexe de l'inti-
mée, suivant lequel les employés qui ne font pas partie de la
Gendarmerie auraient pu faire l'objet d'une enquête en vertu de
l'article 31 de l'ancienne Loi, qui prévoyait la tenue d'une
enquête «Lorsqu'il ... apparaît qu'un manquement au devoir a
été commis», est tout à fait illogique, étant donné que les
personnes qui sont étrangères à la Gendarmerie ne pouvaient
être déclarées coupables d'un manquement au devoir.
entre les dispositions de fond et celles de nature
procédurale est loin d'être claire». Pour commen-
cer, comme le déclare Côté dans son ouvrage
intitulé Interprétation des lois, Cowansville, Les
Éditions Yvon Biais Inc., 1982, aux pages 149 et
150:
Les lois de procédure n'ont donc pas d'effet rétroactif: elles
n'ont qu'un effet immédiat
Il ne suffit pas que la loi soit une loi de procédure: elle doit,
pour s'appliquer immédiatement, avoir, dans les circonstances
concrètes où elle doit s'appliquer, un effet sur la «procédure
seulement» (»procedure only»), elle ne doit être que de «simple
procédure» (»mere procedure») ou de «pure procédure».
Côté ajoute (à la page 151):
En résumé, une loi est de pure procédure si son application
dans un cas concret n'a d'effet que sur la manière d'exercer un
droit.
Voici comment le juge La Forest formule le
principe dans l'arrêt Angus (à la page 265):
Même si l'on présume que la disposition en question est de
nature procédurale dans un certain sens, les tribunaux qui ont
créé des présomptions concernant l'effet rétroactif des règles de
procédure n'avaient pas ce genre de distinction à l'esprit.
Normalement, les règles de procédure n'ont pas d'effet sur le
contenu ou sur l'existence d'une action ou d'un moyen de
défense (ou d'un droit, d'une obligation ou de quelque autre
objet de la loi), mais seulement sur la manière de l'appliquer ou
de l'utiliser.
Les décisions citées par l'appelant, Latif c. La
Commission canadienne des droits de la personne,
[1980] 1 C.F. 687 (C.A.); Re Royal Insurance Co.
of Canada and Ontario Human Rights Commis
sion et al., (1985), 51 O.R. (2d) 797 (C. div.); et
R y Secretary of State for Trade and Industry, ex
p R, [1989] 1 All ER 647 (Q.B.D.), traitent
toutes, il me semble, de nouvelles structures légis-
latives qui sont plus compliquées que celles de la
présente loi et qui touchent de façon plus évidente
le fond du droit que ne le fait la présente loi. Le
cas qui nous occupe est davantage un cas limite,
parce que la Commission agit plutôt comme un
protecteur du citoyen capable de persuader l'auto-
rité ultime, le commissaire. D'ailleurs, l'intimée
affirme énergiquement que l'absence de pouvoirs
permettant à la Commission de prononcer des
sanctions de quelque nature que ce soit contre le
personnel de la GRC montre le caractère non
punitif et purement procédural de la partie VII.
Seul le commissaire peut infliger des sanctions à
proprement parler.
Quoi qu'il en soit, je crois qu'il serait irréaliste
de conclure que les enquêtes qui seront entreprises
n'auront aucune incidence sur les personnes qui en
feront l'objet, particulièrement lorsque ces enquê-
tes sont publiques. La Commission peut agir sous
la forme d'un organisme d'appel chargé de réviser
les enquêtes menées par la GRC ou, lorsque le
président invoque l'intérêt public, comme un orga-
nisme procédant en première instance à un examen
externe. La Loi prévoit l'assignation de témoins,
l'audition de témoignages et la tenue de contre-
interrogatoires, la présentation d'observations par
des avocats, et l'établissement d'un rapport par le
Comité. Le législateur fédéral a, à mon avis, lui-
même reconnu les incidences que les enquêtes ont
sur les droits du personnel de la GRC en pré-
voyant, au paragraphe 45.45(10), que les réponses
ou les déclarations faites à la suite des questions ne
peuvent être utilisées ni ne sont recevables contre
un témoin au cours d'une audience disciplinaire,
sauf en cas de parjure. Cela démontre de façon
assez évidente l'opinion du législateur quant aux
effets de la partie VII sur le fond du droit. Ajou-
tons que le législateur permet aussi, en vertu de la
Loi, de scruter la conduite de personnes étrangères
à la Gendarmerie. Il ne légifère donc pas unique-
ment sur la manière de procéder à cet examen
minutieux, mais, pour la première fois, sur l'exis-
tence même de l'examen public. Selon le critère
posé par le juge La Forest dans l'arrêt Angus, il ne
s'agit pas d'un type de loi de procédure qui peut
échapper à la présomption de non-rétroactivité.
En conséquence, je trouve dénué de pertinence
le passage tiré par l'intimée de l'arrêt Wildman c.
La Reine, [1984] 2 R.C.S. 311, dans lequel la
Cour suprême a statué que l'inhabilité et l'impossi-
bilité de contraindre une épouse qui étaient pré-
vues par la loi antérieure ne résultaient pas d'une
règle de fond en matière de confidentialité mais
constituaient une simple règle de procédure, puis-
que la Cour a de toute évidence conclu que la
disposition en cause dans cette affaire portait sim-
plement sur la procédure.
Je suis donc persuadé par le juge de première
instance et pour les mêmes motifs que la présente
loi ne tombe pas sous le coup de l'exception à la
présomption générale de la non-rétroactivité qui
existe dans le cas des lois procédurales. Voici en
quels termes il formule la question (à la page 770):
... la procédure d'examen de la Commission prévue par la
partie VII est une procédure externe dans laquelle intervient un
organisme nouvellement créé qui ne jouait aucun rôle et n'exer-
çait aucune fonction relativement à l'ancienne procédure de
règlement des plaintes de la GRC. Il s'agit d'une modification
qui a un effet sur le contenu ou sur l'existence d'un droit. Elle
crée un nouveau droit à un examen public externe de la
conduite de la GRC et, pour la plupart des plaintes, elle
allongera le temps consacré à l'examen des plaintes, elle peut
comporter la tenue d'audiences, généralement publiques, et, en
attendant que la question soit tranchée définitivement, les
incertitudes inhérentes au processus seront accrues.
V
À mon avis, les mêmes éléments de preuve relatifs
à l'intention du législateur qui établissent que les
parties VI et VII ne sont pas une exception pure-
ment procédurale à la présomption de non-rétroac-
tivité indiquent également que le législateur vou-
lait que la loi dispose pour l'avenir plutôt que pour
le passé. L'adoption de la partie VII impose au
personnel de la GRC de nouvelles incapacités
(quant à la réputation et à la discipline) et de
nouvelles obligations (quant à la suite à donner
aux plaintes). On ne saurait avec réalisme préten-
dre qu'aucune de ces peines ne constitue une puni-
tion pour l'événement. C'est effectivement l'un des
buts visés, lorsque le personnel de la GRC se rend
coupable d'une faute. On ne protège pas simple-
ment le public contre une inhabilité prolongée
comme dans l'arrêt Brosseau, mais on le protège
en dénonçant et en punissant les contrevenants.
Par ailleurs, on cherche autant que possible à
protéger les personnes qui sont membres de la
GRC et celles qui n'en font pas partie des accusa
tions injustifiées portées contre elles. Il est possible
qu'un membre de la GRC ait été accusé d'une
infraction, puis jugé et acquitté conformément aux
dispositions de la partie II de la Loi dans leur
rédaction en vigueur avant l'adoption des modifi
cations en question. Une application rétroactive de
la partie VII pourrait avoir pour conséquence de
soumettre une seconde fois cette personne au pro-
cessus d'enquête. En fait, cette personne aurait pu
avoir été reconnue coupable en vertu de l'ancienne
partie II et avoir été punie en conséquence, mais
l'affaire pourrait être réexaminée si la rétroactivité
était reconnue.
Il y a un monde entre la présente loi et celle à
laquelle on a donné un effet rétrospectif dans
l'arrêt Brosseau. La présente loi ne remplit pas
non plus les conditions nécessaires pour qu'on lui
reconnaisse le sens élargi donné à la troisième
catégorie, c'est-à-dire pour qu'on considère qu'elle
crée seulement des avantages et qu'elle n'impose
aucune obligation. Comme je l'ai déjà signalé, la
Loi impose des incapacités et des obligations à un
nouveau groupe dont la conduite n'a jamais été
scrutée, à savoir des personnes étrangères à la
GRC.
Je ne veux pas simplement en déduire que les
parties VI et VII n'entrent pas nettement dans la
troisième catégorie de présomptions de Driedger.
Ce qui est encore plus important, c'est que l'inten-
tion du législateur qui ressort de ces dispositions ne
permet pas de conclure qu'elles ont un effet rétros-
pectif. Au contraire, le fait que le législateur a
assujetti un tout nouveau groupe aux mesures
disciplinaires qui peuvent être prises et le soin
extrême qu'il a pris à énoncer en détail les mesures
de protection dont bénéficient les personnes dont la
conduite fait l'objet d'une plainte démontrent
exactement, le contraire, c'est-à-dire qu'il voulait
que la Loi ne dispose que pour l'avenir.
Le juge de première instance en est évidemment
venu à la conclusion contraire sur l'interprétation
qu'exige implicitement la Loi, et l'intimée se rallie
à son opinion sur ce, point. Si j'ai bien compris,
pour, le juge de première instance, ce point de vue
est surtout un éclaircissement de sa conclusion
antérieure suivant laquelle la Loi tombe sous le
coup de la troisième catégorie de présomptions, la
catégorie d'exception, étant donné qu'il en vient à
cette conclusion [à la page 778], «Eu égard aux
circonstances générales entourant l'adoption des
dispositions législatives et leur application possible,
vu la, conclusion à laquelle j'en suis déjà venu
suivant laquelle les parties VI et VII avaient pour
but de protéger l'intérêt public et que tout effet sur
les droits acquis est subordonné à l'intention de
protéger le public». Mais si l'on examine la Loi
sans considérer qu'elle est régie par l'arrêt Bros -
seau, mais en cherchant simplement des indices de
la volonté du législateur lui-même, il est impossi
ble, selon moi, de donner une interprétation rétros-
pective à la Loi.
Cependant, pour ne rien omettre, je cite expres-
sément les deux facteurs dont le juge de première
instance a tenu compte sous la même rubrique
(aux pages 776 et 777): .
Un des facteurs qui fait partie des circonstances générales
entourant l'adoption et l'application de la partie VII que les
avocats n'ont pas mentionné lors des débats est peut-être perti
nent. D'autres parties de la même Loi modificative ont appa-
remment été édictées pour donner suite à d'autres recomman-
dations du rapport publié par la Commission Marin. Ainsi, la
partie II prévoit la création du Comité externe d'examen de la
Gendarmerie royale du Canada, et la partie III, qui établit une
procédure interne de règlement des griefs dans le cas des
plaintes formulées par des membres de la GRC, attribue à ce
Comité externe d'examen un rôle important dans la procédure
de règlement des griefs. Ce rôle s'apparente quelque peu à celui
que joue la Commission des plaintes du public à titre d'orga-
nisme externe chargé d'examiner les griefs du public. Les
parties II et III de la Loi sont également entrées en vigueur par
proclamation, à une date antérieure à celle de la partie VII. Il
semblerait anormal de conclure que le législateur aurait voulu
que prennent effet à des dates différentes l'examen externe des
griefs internes et l'examen externe des plaintes du public, qui
proviennent tous les deux du même rapport d'enquête et qui
sont tous les deux inclus dans la même Loi modificative.
Un autre facteur que l'avocat de la Commission a abordé
dans sa plaidoirie découle de la thèse du procureur général
suivant laquelle la partie VII ne devrait pas être appliquée dans
le cas d'une plainte portant sur des actes qui auraient été
accomplis avant le 30 septembre 1988. Si c'était le cas, il serait
nécessaire, pour pouvoir examiner des plaintes du public, que
coexistent pendant une période très longue deux processus
parallèles d'examen des plaintes: l'un auquel seule la GRC
participerait et qui porterait sur les plaintes déposées au sujet
d'actes accomplis avant l'entrée en vigueur de la partie VII, et
l'autre, dans lequel la GRC et la nouvelle commission intervien-
draient, lorsque l'acte reproché aurait été accompli après cette
date.
Ces deux facteurs ont trait à l'argument suivant
lequel il serait anormal que le législateur fédéral
ait voulu que différentes parties de la Loi modifi-
cative entrent en vigueur à des dates différentes
avec des résultats différents. Ce n'était peut-être
pas son intention, mais le législateur sait bien que
la promulgation est un acte de l'exécutif et que
l'entrée en vigueur d'une loi ne dépend pas du
législateur lui-même mais de l'exécutif du
moment. Cette observation n'implique nullement à
mon avis que le législateur voulait qu'une partie de
la Loi prenne effet avant la date de son entrée en
vigueur. Il se peut bien que le législateur ait voulu
que les diverses parties de la Loi modificative
entrent toutes en vigueur au même moment, mais
cela n'implique pas que l'une ou l'autre de ces
parties devrait avoir un effet rétrospectif. Cette
question doit être tranchée après examen des fac-
teurs que j'ai déjà analysés.
L'intimée soulève également un autre point liti-
gieux au sujet de l'interprétation à donner au
paragraphe 45.41(1) de la Loi. À cet égard, l'inti-
mée prétend que l'expression «Le plaignant visé au
paragraphe 45.35(1)» qui figure au paragraphe
45.41(1) devrait être interprétée comme compre-
nant toute personne qui a déposé une plainte
auprès de l'une ou l'autre des personnes mention-
nées aux alinéas 45.35(1)a), b) ou c) de la Loi, que
la plainte ait été ou non déposée avant l'entrée en
vigueur de la partie VII. A titre subsidiaire, elle
prétend que l'expression «Le plaignant visé au
paragraphe 45.35(1)» qui figure au paragraphe
45.41(1) devrait s'entendre du membre du public
qui dépose une plainte, de façon à le distinguer du
président de la Commission, qui peut porter
plainte en vertu de paragraphe 45.37(1). Cette
dernière interprétation est peut-être la bonne,
mais, comme le juge de première instance l'a à
juste titre signalé, tout ce débat sur le paragraphe
45.41(1) est «simplement d'une autre façon d'envi-
sager la question de savoir si la partie VII doit
s'appliquer rétroactivement aux actes qui auraient
été accomplis avant l'entrée en vigueur de la partie
VII» (à la page 780). II ne s'agit pas, en résumé,
d'un moyen distinct qu'il faut examiner séparé-
ment, et on y répond par la réponse générale déjà
donnée.
En résumé, telle qu'elle a été édictée par le
législateur, la Loi révèle, lorsqu'on l'examine
attentivement, une préoccupation envers la per-
sonne qui fait l'objet d'une plainte et un élargisse-
ment à cette personne du champ d'application de
la Loi qui excluent entièrement à mon avis tout
effet rétrospectif. Puisque, selon moi, la Loi n'a
aucun effet rétrospectif, les diverses dates men-
tionnées dans les questions et les plaintes formu-
lées dans le mémoire spécial sont toutes antérieu-
res à la date à laquelle la loi a pris effet, et doivent
donc demeurer ou disparaître ensemble. Selon mon
interprétation de la Loi, elles disparaissent toutes.
Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir l'appel,
d'annuler le jugement du juge de première ins
tance, et de répondre par la négative aux quatre
questions soumises à la Cour. Comme la présente
affaire est de la nature d'un renvoi, je suis d'avis
qu'il ne devrait pas y avoir d'adjudication de
dépens.
LE JUGE URIE, J.C.A.: Je suis du même avis.
LE JUGE LINDEN, J.C.A.: Je suis du même avis.
Appendice
Annexe «A»
PLAINTE «A- 1»
a) Le plaignant allègue qu'au cours de la soirée du
20 juin 1988, il s'est rendu au 18e étage d'un hôtel
du centre-ville de Toronto, croyant qu'une réunion
à laquelle il devait assister avait lieu à cet endroit.
b) L'étage en question de l'hôtel était occupé par
une délégation des États-Unis qui participait à un
sommet économique de dirigeants mondiaux qui
avait lieu à Toronto.
c) Le plaignant allègue qu'après avoir découvert
que la salle où devait avoir lieu la réunion en
question était vide, il s'est renseigné auprès du
personnel de sécurité, qui était constitué de mem-
bres de la GRC.
d) Le plaignant allègue qu'au lieu de répondre à
ses demandes de renseignements, les agents en
question ont procédé à son arrestation et l'ont
détenu pendant plus d'une heure. Le plaignant
allègue que pendant cette période de temps, on l'a
fouillé et on a fouillé ses objets personnels, qu'on a
essayé de l'interroger, en dépit du fait qu'il insistait
pour garder le silence, et qu'il a fait l'objet de
diverses accusations au sujet de sa moralité.
e) Le plaignant a déposé une plainte auprès de la
GRC au sujet de cette conduite dans une lettre
datée du 22 juin 1988, et la GRC a rendu une
décision au sujet de la plainte dans une lettre datée
du 5 décembre 1988.
f) Le plaignant a, par une lettre datée du 15
décembre 1988, renvoyé la plainte devant la Com
mission pour qu'elle la révise. De plus, par une
lettre datée du 15 décembre 1988, le plaignant a
informé la GRC qu'il était insatisfait, du règlement
de sa plainte par la GRC et qu'il renverrait l'af-
faire devant la Commission.
g) Par une lettre adressée le 29 décembre 1988 au
plaignant, la Commission a accusé réception de la
plainte et a informé le plaignant des questions de
compétence qui avaient été soulevées au sujet du
pouvoir de la Commission de réviser la plainte.
PLAINTE «A-2»
a) Le plaignant allègue que le ou vers le 8 mars
1988, il a été arrêté pour une infraction mineure et
qu'il a été détenu par des membres de la GRC.
b) Le plaignant allègue qu'alors qu'il était détenu,
il a été gravement battu par des membres de la
GRC et qu'il a en conséquence subi des blessures
et a notamment perdu de façon permanente
l'usage d'un œil et a subi une fracture au côté
gauche du crâne.
c) Le plaignant a déposé par écrit une plainte
auprès de la GRC le ou vers le 15 mars 1988. La
GRC a rendu une décision au sujet de la plainte
dans une lettre adressée au plaignant le 20 mai
1988.
d) Par une lettre datée du 14 décembre 1988, les
procureurs du plaignant ont communiqué par écrit
la plainte à la Commission.
e) Par une lettre datée du 21 décembre 1988, la
Commission a informé le plaignant des questions
de compétence qui avaient été soulevées au sujet
du pouvoir de la Commission de réviser la plainte.
f) Par une lettre datée du 19 janvier 1989, la
Commission a écrit à nouveau aux procureurs du
plaignant pour leur demander de confirmer la
plainte par écrit et pour faire à nouveau état des
questions de compétence qui avaient été soulevées.
g) Par une lettre datée du 6 février 1989, les
procureurs du plaignant ont écrit à la Commission
pour confirmer la demande que le requérant avait
adressée à la Commission pour qu'elle révise sa
plainte.
h) Par une lettre datée du 13 février 1989, la
Commission a accusé réception aux procureurs du
plaignant de la demande de révision de la plainte
par la Commission, et a précisé que la question de
la rétroactivité de la partie VII de la Loi devait
être tranchée avant que la Commission puisse
instruire la plainte.
PLAINTE «A-3»
a) Le plaignant est la succession d'un individu qui
serait décédé le 28 août 1988 par suite de l'acte
illicite dont se serait rendu coupable un individu
qui fait présentement l'objet d'une accusation de
meurtre au second degré.
b) Le plaignant allègue que la personne responsa-
ble du décès du défunt s'est «livrée à des actes de
violence» pendant environ vingt-quatre heures
avant le décès du défunt dans la petite collectivité
où résidaient cette personne et le défunt. Il allègue
en outre que plusieurs plaintes ont été présentées
devant le détachement de la GRC de la collectivité
pendant cette période au sujet de la personne qui
serait responsable du décès du défunt, et que la
GRC n'a pris aucune mesure pour appréhender
cette personne.
c) Le plaignant a, par l'intermédiaire de ses pro-
cureurs, déposé une plainte auprès du détachement
de la GRC en question dans une lettre datée du 28
septembre 1988.
d) Par une lettre du 15 février 1989 écrite au nom
de la GRC par des avocats du ministère fédéral de
la Justice à l'intention des procureurs du plai-
gnant, la GRC a rendu une décision au sujet de la
plainte en concluant que [TRADUCTION] «il n'exis-
te aucun élément de preuve qui permette de con-
clure à une présumée faute de la part du [person-
nel de la GRC]».
e) Par une lettre adressée le 22 février 1989 par
les procureurs du plaignant à la Commission, on a
demandé à la Commission de réviser la plainte et
de mener une enquête approfondie sur l'affaire si
[TRADUCTION] «les circonstances le justifient».
Les procureurs du plaignant ont également
demandé à la Commission de mener une enquête
publique au sujet de la décision rendue par la
GRC au sujet de la plainte.
f) Par une lettre datée du 13 mars 1989, les
procureurs du plaignant ont à nouveau écrit à la
Commission pour lui demander officiellement de
réviser le règlement de la plainte par la GRC
conformément au paragraphe 45.41(1) de la Loi.
Annexe «B»
PLAINTE «B-1»
a) Le plaignant allègue que le 26 octobre 1986, il
a été agressé par un éthyloscopiste qui était au
service de la GRC pendant que l'éthyloscopiste
était en train de mesurer son alcoolémie. Le plai-
gnant allègue qu'on l'a [TRADUCTION] «étouffé
jusqu'à ce que je perde conscience et que je
m'écroule au sol».
b) La GRC a, dans une lettre datée du 26 mars
1987, rendu une décision au sujet des plaintes
datées du 12 janvier 1987 et du 14 mars 1987 que
le plaignant lui avait présentées par écrit.
c) Par une lettre adressée le 7 avril 1987 la
GRC, le plaignant a demandé à nouveau qu'on
enquête sur sa plainte.
d) Par une lettre adressée le 5 décembre 1988 par
le plaignant à la Commission, le plaignant a
déposé une plainte auprès de la Commission.
e) Par une lettre adressée le 29 décembre 1988 au
plaignant, la Commission a accusé réception par
écrit de la plainte présentée par le plaignant au
sujet du règlement de sa plainte par la GRC et a
demandé au plaignant de transmettre par écrit à la
Commission une demande de révision de la plainte.
En outre, dans sa lettre du 29 décembre 1988, la
Commission a informé le plaignant des questions
de compétence qui avaient été soulevées au sujet
du pouvoir de la Commission de réviser la plainte.
Annexe «C»
PLAINTE «C»
a) Le plaignant allègue qu'en 1981, la GRC lui a
fait perdre son emploi en informant son employeur
qu'il était soupçonné de meurtre.
b) La Commission a été informée par le plaignant
que, par une lettre datée du 13 décembre 1988, la
GRC avait informé le plaignant qu'elle ne pren-
drait pas d'autres mesures relativement à sa
plainte. La Commission ne possède pour le
moment aucun renseignement au sujet de la date
ou du contenu de la plainte initiale déposée par le
plaignant auprès de la GRC, et on n'a pas fourni
copie à la Commission de la lettre écrite par la
GRC le 13 décembre 1988.
c) Le plaignant était insatisfait du règlement de sa
plainte par la GRC et a fait connaître son insatis-
faction à la Commission par une lettre non datée
que la Commission a reçue du plaignant le 30
décembre 1988.
d) Par une lettre datée du 25 janvier 1989, la
Commission a accusé réception de la lettre du
plaignant dans laquelle celui-ci déclarait qu'il était
insatisfait du règlement de sa plainte par la GRC,
et a informé le plaignant des questions de compé-
tence qui avaient été soulevées au sujet du pouvoir
de la Commission de réviser la plainte.
PLAINTE «C-2»
a) Le plaignant a été arrêté et accusé en mai 1985
par la GRC de s'être trouvé en possession de biens
volés. Le plaignant allègue qu'au moment de son
arrestation, des membres de la GRC ont fabriqué
contre lui des éléments de preuve qui ont par la
suite été utilisés pour obtenir sa condamnation, à
la suite de laquelle il a passé 30 mois en prison.
b) Cette plainte a été pour la première fois dépo-
sée auprès de la Commission par une lettre que le
plaignant a écrite le 29 janvier 1988 8 et qui a été
reçue en janvier 1989 par la Commission.
c) Le plaignant a écrit à nouveau à la Commission
au sujet de cette plainte dans une lettre datée du
24 février 1989. Dans cette lettre, ainsi que dans sa
lettre du 29 janvier 1989, le plaignant a demandé à
la Commission d'enquêter sur sa plainte.
d) La Commission a écrit le 13 mars 1989 une
lettre au plaignant dans laquelle elle a accusé
réception de la plainte portée par le plaignant et l'a
informé des questions de compétence qui avaient
été soulevées au sujet du pouvoir de la Commission
d'instruire la plainte.
e) Ainsi qu'il est indiqué au paragraphe 13 de
l'exposé conjoint des faits, avant cette date, la
plainte en question n'avait pas été officiellement
portée à l'attention de la GRC par la Commission
ou son personnel ni, pour autant que le sache la
Commission, par toute autre personne.
Il semblerait qu'il s'agisse d'une erreur et que la lettre date
du 29 janvier 1989.
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