90-T-726
Joan Millicent Hamilton (requérante)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: HAMILTON c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI
ET DE L'IMMIGRATION) (l' a INST.)
Section de première instance, juge Reed—
Ottawa, 16, 17 et 24 août 1990.
Immigration — Expulsion — Demande en vue de surseoir à
l'exécution d'une ordonnance en attendant la contestation,
fondée sur l'art. 18, du refus de dispenser la requérante de
l'obligation de présenter depuis l'extérieur du Canada toute
demande du statut d'immigrant ayant obtenu le droit d'éta-
blissement — Allégation selon laquelle les fonctionnaires n'ont
pas tenu compte du rapport d'un psychiatre — La Cour
a-t-elle la compétence voulue? — Obligation d'obtenir une
autorisation — Y avait-il une question sérieuse à trancher? —
Quant au fond, la Cour n'était pas disposée à accorder un
recours discrétionnaire.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première
instance — La Cour a-t-elle la compétence voulue pour
surseoir à l'exécution d'une ordonnance d'expulsion en atten
dant la contestation, fondée sur l'art. 18, du refus de dispenser
la requérante de l'obligation de présenter depuis l'extérieur du
Canada toute demande du statut d'immigrant ayant obtenu le
droit d'établissement? — Examen et exposé de la jurispru
dence sur le sujet — La Cour a probablement la compétence
voulue, car la mesure de redressement prévue par la loi serait
inopérante si la requérante était expulsée.
Il s'agissait d'une demande en vue de surseoir à l'exécution
d'une ordonnance d'expulsion en attendant la contestation,
fondée sur l'article 18, du refus de dispenser la requérante de
l'obligation de présenter depuis l'extérieur du Canada toute
demande du statut d'immigrant ayant obtenu le droit d'établis-
sement. La requérante déclare craindre vraiment de subir un
préjudice si on la retourne en Jamaïque. Après la signification
d'un avis d'expulsion, la requérante a déposé un rapport d'un
psychiatre fondé sur des documents écrits qui avaient été
fournis par son avocat. La requérante avait refusé de rencontrer
le psychiatre de crainte qu'il ne répande des faussetés qui
pourraient nuire à ses chances d'emploi. La requérante conteste
la validité du refus du ministre pour le motif qu'on n'a pas tenu
compte du rapport.
Les questions à examiner étaient les suivantes: (1) la Cour
a-t-elle la compétence voulue pour surseoir à une ordonnance
d'expulsion qui n'est pas elle-même contestée? (2) faut-il
obtenir une autorisation? (3) peut-on aller de l'avant avec la
présente demande avant que l'autorisation ne soit accordée
relativement à la demande fondée sur l'article 18? et (4) un
sursis est-il justifié quant au fond?
L'intimé a invoqué des décisions jurisprudentielles selon les-
quelles la Cour n'a pas la compétence voulue pour accorder un
sursis quand une ordonnance d'expulsion n'est pas directement
en cause, tandis que la requérante a cité des décisions statuant
que la Cour avait le pouvoir implicite de surseoir à une
ordonnance si c'était la seule façon de faire en sorte que le droit
d'en appeler ne devienne pas inopérant.
Jugement: la demande est rejetée.
L'ordonnance dont on demande la suspension était liée étroi-
tement à la mesure de redressement sollicitée de la Cour. Si la
requérante est expulsée, la mesure sollicitée au moyen du
processus prévu au paragraphe 114(2) deviendrait inopérante.
Le point en litige ici n'a pas été résolu par la décision rendue
par la Cour d'appel dans Bhattia c. Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration. L'avocat avait probablement raison de soutenir
que la Cour a la compétence voulue pour statuer sur la présente
demande.
Quant à l'obligation d'obtenir une autorisation, elle a été
ajoutée dans la loi afin d'éviter que les requérants ne recourent
abusivement au tribunal en intentant des procédures non fon-
dées uniquement pour pouvoir rester plus longtemps au
Canada. Par conséquent, il serait rare que la Cour surseoie à
une ordonnance d'expulsion sans avoir accordé l'autorisation
d'intenter une procédure fondée sur l'article 18 ou l'article 28.
De toute façon, l'octroi d'un sursis d'exécution constitue un
recours discrétionnaire. Il était douteux qu'il y ait une question
sérieuse à trancher. Si le rapport du psychiatre avait été
disponible beaucoup plus tôt, les fonctionnaires du gouverne-
ment auraient eu le temps voulu pour l'examiner, et la demande
de sursis aurait pu être étudiée dans le cadre de la demande
d'autorisation fondée sur l'article 18. Par conséquent, la Cour
n'était pas disposée à exercer son pouvoir discrétionnaire en
faveur de la requérante.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
18, 28.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art.
114(2).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123; 86 N.R. 302
(C.A.F.); Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration), 90-A-1030, juge Pratte, J.C.A., ordon-
nance en date du 7-3-90, (C.A.F.), encore inédite; Yhap
c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration),
89-T-676, juge Muldoon, ordonnance en date du
12-10-89, C.F. 1" inst., encore inédite; Yhap c. Canada
(Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 1
C.F. 722 (1" inst.); Bhattia c. Canada (Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 7 Imm. L.R. (2d)
63 (C.A.F.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Lodge c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1979] 1 C.F. 775; (1979), 94 D.L.R. (3d) 326; 25 N.R.
437 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Le procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F.
216; (1975), 54 D.L.R. (3d) 277; 7 N.R. 271 (C.A.);
Astudillo c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(1979), 31 N.R. 121 (C.A.F.); Armson c. Canada
(Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 9
Imm. L.R. (2d) 150 (C.A.F.); Attakora c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration (1987), 99 N.R. 168
(C.A.F.); Sharma c. Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration (1984), 55 N.R. 71 (C.A.F.).
AVOCATS:
M. Pia Zambelli pour la requérante.
Robert Goldstein pour l'intimé.
PROCUREURS:
Jackman, Zambelli, Silcoff, Toronto, pour la
requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: La requérante demande de sur-
seoir à l'exécution d'une ordonnance d'expulsion
qui a été rendue contre elle. Le sursis est demandé
en attendant qu'il soit statué sur une instance que
la requérante tente de poursuivre en vertu de
l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C.
(1985), chap. F-7. Elle essaie de contester la vali-
dité de la décision par laquelle le ministre a refusé
de recommander qu'elle soit dispensée, pour des
raisons d'ordre humanitaire, de certaines obliga
tions imposées par la Loi sur l'immigration,
L.R.C. (1985), chap. I-2. Elle a déposé, en même
temps que la présente requête, une demande d'au-
torisation d'introduire une instance conformément
à l'article 18 afin de contester la décision du
ministre.
La requérante est entrée au Canada en 1982 sur
présentation d'un visa de visiteur. Elle est restée au
pays illégalement. En 1986, elle a été arrêtée. Elle
a demandé officiellement le statut de réfugié.
Cette demande a été rejetée. Un avis d'interdiction
de séjour lui a été signifié par la suite. Elle a omis
de s'y conformer. Sa mère est décédée trois jours
avant la date à laquelle la requérante était censée
quitter le pays conformément à cet avis d'interdic-
tion de séjour. Les funérailles de sa mère ont eu
lieu deux jours après la date de départ. Elle a
présenté une demande conformément au paragra-
phe 114(2) en vue d'être dispensée, pour des rai-
sons d'ordre humanitaire, de l'obligation de pré-
senter depuis l'extérieur du pays toute demande du
statut d'immigrant ayant obtenu le droit d'établis-
sement. La demande d'examen sur cette base
semble avoir été formée aux alentours du 18 avril
1990 (du moins, la lettre annexée à l'affidavit de la
requérante en date du 13 août 1990 porte cette
date). La demande a finalement été refusée et
l'avis d'interdiction de séjour, qui avait été signifié
le 6 juin 1990, devait être exécuté le 13 août 1990.
C'est par un avis de requête déposé le 13 août
que la Cour a été saisie de la présente demande de
surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion.
Une motion d'introduction d'instance aux termes
de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale
contestant le refus du ministre de recommander
une dispense conformément au paragraphe 114(2)
a été déposée en même temps. La demande en vue
de surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'expul-
sion a été instruite par conférences téléphoniques
les 16 et 17 août. L'intimé a consenti à reporter
l'exécution de l'ordonnance d'expulsion jusqu'à ce
que la Cour ait statué sur la présente demande de
la requérante.
Les motifs que la requérante a invoqués pour
obtenir une dispense prévue au paragraphe 114(2)
sont les suivants: elle craignait vraiment de subir
un préjudice si on la retournait en Jamaïque; sa
soeur est citoyenne canadienne, réside au Canada,
est disposée à l'aider et est sa seule parente par le
sang. La requérante est également la seule parente
de sa sœur à n'être pas établie au Canada. Il
ressort clairement des documents annexés aux
affidavits que la demande en date du 18 avril 1990
n'a pas eu pour résultat la prise d'une décision
favorable. Ainsi qu'il a été mentionné, l'ordon-
nance d'expulsion a été rendue le 6 juin 1990. Le
1e' août 1990, l'avocate de la requérante a fait
parvenir des renseignements supplémentaires à
l'intimé à l'appui de la requête en vue du recours
prévu au paragraphe 114(2). II s'agissait d'une
évaluation de la requérante par un psychiatre. Le
rapport du psychiatre est libellé en partie ainsi:
[TRADUCTION] Bien que je n'aie pas eu l'occasion de l'exa-
miner directement, je suis d'avis que ses lettres et rapports
révèlent un comportement compatible avec un diagnostic de
désordre hallucinatoire (paranoïaque) de type persécutif .. .
Je suis d'avis qu'elle ressentirait des troubles fonctionnels si
elle devait retourner en Jamaïque ... Ses idées paranoïaques
s'intensifieraient et il s'ensuivrait probablement qu'elle s'isole-
rait davantage. Et elle n'a pas de soutien social en Jamaïque car
elle n'a pas de famille là-bas, n'y a apparemment aucun ami
proche et a vécu à l'extérieur du pays pendant plusieurs années.
Comme il est indiqué dans le rapport, le psychiatre
n'avait jamais rencontré la requérante au moment
de rédiger ledit rapport. Elle refusait d'être inter-
rogée par lui de crainte qu'il ne répande à son sujet
des faussetés qui nuiraient à ses chances d'emploi
au Canada. Le psychiatre a donc rédigé son éva-
luation en se fondant sur de longs documents écrits
que lui avait fait parvenir l'avocate de la requé-
rante. Il ressort de renseignements versés ultérieu-
rement au dossier que la requérante a effective-
ment rencontré personnellement le psychiatre le 13
août 1990 et que celui-ci a confirmé dans une note
laconique l'évaluation faite antérieurement.
La requérante conteste la validité du refus du
ministre de recommander une dispense prévue au
paragraphe 114(2) principalement pour le motif
que les fonctionnaires concernés ont refusé de tenir
compte du rapport du psychiatre. La preuve pré-
sentée dans ce sens par la requérante repose sur
des conversations que son avocate a eues avec des
fonctionnaires du ministère de l'Emploi et de l'Im-
migration. Les passages pertinents de l'affidavit de
Maureen Silcoff mentionnent:
[TRADUCTION] 2. L'avocate de la requérante m'informe et j'ai
tout lieu de croire qu'il est vrai que la demande présentée par la
requérante pour des raisons d'ordre humanitaire a été rejetée
tant par la Section du réexamen des cas à Ottawa que par le
bureau régional de la Commission de l'immigration. L'avocate
de la requérante m'informe et j'ai tout lieu de croire qu'il est
vrai que le 9 août 1990 elle a parlé avec Mme Pam Cullen, de
la Section du réexamen des cas à Ottawa, qui lui a dit que le
rapport psychiatrique du Dr Payne ne l'avait pas convaincue
que le recours à des considérations humanitaires était justifié.
3. L'avocate de la requérante m'informe que, par la suite, elle a
demandé à M. Craig Morrison, du bureau régional, de réexa-
miner le cas et que, le 9 août 1990, elle a parlé avec M.
Morrison qui lui a dit avoir également rejeté la demande, car le
rapport du Dr Payne ne constituait pas une preuve qu'il fallait
répondre favorablement à la demande, parce que ce n'était
qu'une prédiction faite par un psychiatre au sujet de ce qui
pouvait arriver si l'on retournait la requérante en Jamaïque.
Il ne fait aucun doute que les organismes déci-
sionnels doivent tenir compte de tous les éléments
de preuve pertinents qui sont produits devant eux:
Le procureur général du Canada c. Jolly, [1975]
C.F. 216 (C.A.); Astudillo c. Ministre de l'Emploi
et de l'Immigration (1979), 31 N.R. 121 (C.A.F.).
Ils doivent fonder leurs conclusions sur les élé-
ments de preuve présentés devant eux et ne pas
rejeter arbitrairement ceux qui ne sont pas contre-
dits et ne sont manifestement pas peu vraisembla-
bles: Armson c. Canada (Ministre de l'Emploi et
de l'Immigration) (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 150
(C.A.F.); Attakora c. Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration (1987), 99 N.F. 168 (C.A.F.);
Sharma c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion (1984), 55 N.R. 71 (C.A.F.).
L'avocate a classé ainsi les questions à traiter
aux fins de la présente affaire: (1) la Cour a-t-elle
la compétence voulue pour recevoir la demande de
sursis d'exécution de l'ordonnance d'expulsion
étant donné que ladite ordonnance d'expulsion
n'est pas elle-même contestée?; (2) si elle a la
compétence voulue, peut-on poursuivre l'instruc-
tion de la présente demande sans en avoir d'abord
obtenu l'autorisation (l'avocate a indiqué que, si
cette autorisation est requise, elle présentait alors
une demande de ce genre, oralement, en même
temps que sa plaidoirie quant au fond)?; (3) si elle
a la compétence voulue et si l'autorisation n'est pas
nécessaire ou est accordée, peut-on aller de l'avant
avec la présente demande avant d'être autorisé à
introduire la demande principale fondée sur l'arti-
cle 18?; (4) de toute façon, y a-t-il, quant au fond,
des motifs qui justifieraient le prononcé d'une
ordonnance pour surseoir à l'exécution de l'ordon-
nance d'expulsion (une question sérieuse à tranch-
er?; la requérante subira-t-elle un préjudice irrépa-
rable si une ordonnance n'est pas accordée?;
comment le partage des inconvénients se fait-il?):
voir Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123
(C.A.F.).
La thèse de l'intimé selon laquelle notre Cour
n'a pas la compétence voulue pour accorder un
sursis lorsque la validité de l'ordonnance d'expul-
sion n'est pas directement en cause, est fondée sur
les décisions rendues par la Cour d'appel dans
Lodge c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1979] 1 C.F. 775 (C.A.), et Bhattia c.
Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion) (1989), 7 Imm. L.R. (2d) 63 (C.A.F.). Dans
la décision Lodge, on dit aux pages 783 785:
Une autorité publique se verra décerner une injonction afin
de l'empêcher d'accomplir un acte ultra vires ou autrement
illégal. Voir, par exemple, Rattenbury c. Land Settlement
Board [1929] R.C.S. 52, le juge Newcombe à la p. 63: [TRA-
DUCTION] «... le tribunal interviendra pour empêcher un orga-
nisme créé par la loi d'accomplir des actes ultra vires ou
illégaux»; voir également Le Conseil des ports nationaux c.
Langelier [1969] R.C.S. 60, la p. 75, où le juge Martland
parle du pouvoir d'empêcher la commission d'un acte [TRADUC-
TION] «sans justification légale». À partir de ces décisions et
d'autres semblables, on peut selon moi tenir pour acquis, aux
fins de l'espèce, qu'un ministre de la Couronne, censé agir en
vertu d'un pouvoir à lui conféré par la loi, peut, si le cas l'exige,
se voir décerner une injonction. C'est la conclusion expresse du
juge d'appel Freedman dans Carlic c. La Reine et le ministre
de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration (1968) 65 D.L.R. (2°)
633, affaire portant sur l'exécution d'ordonnances d'expulsion
par le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration. Le juge
d'appel Freedman (alors juge puîné), qui a prononcé le juge-
ment au nom de la Cour d'appel du Manitoba, déclare à la p.
637 du recueil: [TRADUCTION] «11 peut être opportun de sou-
ligner que les tribunaux ont plus d'une fois confirmé leur droit
d'empêcher un ministre de la Couronne d'accomplir des actes
illégaux ou des actes qui outrepasseraient le pouvoir que la loi
lui confère».
Tant que la validité des ordonnances d'expulsion concernant
les appelantes n'aura pas été contestée avec succès, on ne
pourra dire que le Ministre, en les exécutant, excède le pouvoir
qui lui est conféré par la loi ou agit par ailleurs contrairement à
la loi.
... Les avocats n'ont pu nous citer de jurisprudence et je n'en
ai trouvé aucune qui puisse justifier l'emploi d'une injonction
pour interdire l'exécution d'un devoir imposé par la loi, au
motif qu'une telle exécution peut nuire à un droit que le
requérant cherche à faire valoir devant un autre tribunal. Je ne
crois pas qu'un tel emploi de l'injonction puisse être reconnu
comme un principe. Cela équivaudrait à donner un pouvoir
général de suspendre l'exécution de décisions administratives
dans des causes reconnues justifiées. La Cour n'a pas ce
pouvoir, même relativement à des décisions qui font l'objet
d'examen devant elle.
Cela dit, je ne comprends pas pourquoi l'exécution des
ordonnances d'expulsion rendrait impossible la tenue d'une
enquête relative à la plainte des appelantes, ou empêcherait ces
dernières d'obtenir les redressements prévus à l'article 41 de la
Loi. Selon l'affidavit déposé à l'appui de leur demande d'injonc-
tion, la plainte des appelantes ne semble pas dépendre de leurs
connaissances personnelles. [C'est moi qui souligne.]
Et dans l'affaire Bhattia, le juge Marceau a
déclaré [aux pages 64 66]:
Je souscris d'emblée à la position adoptée par mes collègues.
Je le fais cependant sous réserve de deux remarques que je me
permets, avec respect, d'exprimer à cause de l'influence que
pourrait avoir la présente décision du fait que, d'une part, elle
est la première du genre rendue dans le cadre du régime
nouveau introduit par les amendements à la Loi sur l'immigra-
tion de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, entrés en vigueur le 1°"
janvier 1989 et, d'autre part, elle vient de trois juges et non
d'un seul comme ce sera le cas, du moins en principe, à l'avenir.
1. Ma première remarque se rapporte à la recevabilité même
de la demande telle que présentée. Je doute sérieusement que la
Cour soit en mesure d'ordonner un sursis d'exécution d'une
ordonnance d'expulsion avant qu'elle ne soit en état de consi-
dérer la demande d'autorisation d'introduire une instance aux
termes de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2e Supp.), chap. 10, l'encontre de l'ordonnance d'expul-
sion elle-même, comme le requiert l'article 83.1 paragraphe 1
de la Loi. Mon doute repose sur trois motifs.
a) Le pouvoir de la Cour d'ordonner un sursis d'exécution
d'une décision d'un tribunal est un pouvoir ancillaire et auxi-
liaire qui n'existe que pour protéger son pouvoir de déclarer
nulle et sans effet la décision même. On voit mal comment un
tel pouvoir secondaire pourrait exister avant que ne soient
formellement engagées les procédures sous l'article 28 et que la
question de la validité de la décision elle-même ne soit devant la
Cour.
b) L'une des deux conditions de base auxquelles est soumis
le pouvoir inhérent de la Cour d'ordonner un sursis d'exécution
est l'existence d'un motif apparent soutenable (prima facie
arguable case) de contester la validité de la décision elle-même.
Or, c'est là précisément la question, et la seule, qu'une demande
d'autorisation d'introduire des procédures sous l'article 28 sou-
lève. Il est difficile de penser que la Cour puisse décider qu'il
existe dans un cas comme en l'espèce une cause apparente de
contester, tout en considérant ne pas être encore en état de
juger de la demande d'autorisation d'introduire les procédures
de contestation elles-mêmes.
c) L'autre condition de base pour légitimer l'exercice par la
Cour de son pouvoir d'ordonner un sursis est la conclusion
qu'autrement un jugement éventuel de nullité de la décision
attaquée pourrait devenir inefficace et sans effet, l'exécution
immédiate de cette décision risquant de créer une situation
irrémédiable ou un tort irréparable. Dans le cas d'un ordre
d'exclusion, la possibilité d'un tort irréparable est nécessaire-
ment et exclusivement fonction du risque que court le requérant
s'il est retourné d'où il vient à cause du contexte politique qui
règne, là, dans son pays.
Je n'oublie pas, en faisant ces remarques, que cette Cour,
dans l'affaire Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123, 86 N.R. 302, a
consenti déjà à ordonner un sursis d'exécution d'un ordre de
déportation avant d'autoriser l'introduction de procédures d'ap-
pel à l'encontre de l'ordre lui-même. Je ferai remarquer d'abord
que le recours d'appel sur permission dont il est question dans
Toth était un recours créé par la Loi sur l'immigration de 1976
elle-même, et que par conséquent son exercice devant la Cour
pouvait être considéré comme débutant dès la demande de
permission d'appeler. Le recours dont il est question ici existe
en vertu de la Loi sur la Cour fédérale et la demande de
permission requise par la nouvelle loi sur l'immigration n'en est
certes pas partie intégrante. Le pouvoir de surseoir que la Cour
peut détenir est donc ancillaire et auxiliaire au pouvoir qui lui
est donné par la Loi sur la Cour fédérale, lequel n'est mis en
cause qu'une fois que la Cour a accepté de réviser et possible-
ment d'annuler la décision elle-même. Mais de toute façon, je
soumets que la situation créée par l'entrée en vigueur des
amendements majeurs apportés à la Loi est suffisamment
différente de celle qui existait auparavant pour que l'autorité de
l'arrêt Toth, qui d'ailleurs ne portait pas sur un cas de réclama-
tion de statut de réfugié, ne soit pas vue comme s'imposant sans
réserve. [C'est moi qui souligne, en omettant les notes
infrapaginales.]
Les motifs du juge Marceau venaient s'ajouter à
ceux exprimés par les deux autres juges de la
Cour, qui croyaient seulement nécessaire de dire
que, en supposant que les principes énoncés dans
l'arrêt Toth fussent applicables, la situation qui
existait dans l'affaire Bhattia ne satisfaisait pas
aux exigences.
La décision Toth c. Canada (Ministre de l'Em-
ploi et de l'Immigration) (1988), 6 Imm. L.R.
(2d) 123 (C.A.F.), a été rendue antérieurement à
la décision Bhattia et ultérieurement à la décision
Lodge. Dans l'affaire Toth, on a sursis à l'exécu-
tion d'une ordonnance d'expulsion en attendant
qu'une décision soit rendue sur la question de
savoir si serait accordée l'autorisation d'interjeter
appel auprès de la Cour d'appel fédérale d'une
décision de la Commission d'appel de l'immigra-
tion. Cette décision était fondée sur le principe
selon lequel le refus de surseoir à l'exécution ren-
drait inopérant tout droit d'appel qui pourrait être
accordé subséquemment [à la page 126]:
Dans l'affaire Comm. d'énergie électrique du N.-B. c. Mari
time Electric Co., [1985] 2 C.F. 13, 60 N.R. 352 (C.A.), notre
Cour a statué que, dans les cas où il existe des dispositions
législatives conférant le droit d'interjeter appel à l'encontre de
l'ordonnance d'un tribunal, cette circonstance conjuguée aux
dispositions du para. 30(1) précité, confère implicitement à la
Cour d'appel fédérale la compétence voulue pour surseoir à
l'exécution de cette ordonnance lorsque l'appel deviendrait
autrement inopérant.
À cet égard, le juge Stone, dans l'arrêt Comm. d'énergie
électrique du N.-B., a signalé, à la p. 27 [C.F.] des motifs:
«... l'absurdité qui résulterait si, pendant un appel, l'exécu-
tion de l'ordonnance contestée rendait celui-ci inopérant.»
Il a également fait remarquer:
«Notre compétence en tant que cour d'appel serait alors
futile et réduite à de simples mots vides de sens. Le droit
d'une partie à un "appel" n'existerait que sur papier parce
que, en réalité, il n'y aurait pas "d'appel" à entendre, pas
plus qu'il n'y aurait une partie heureuse et l'autre, déboutée.
Le processus d'appel serait entravé. Il ne pourrait offrir,
comme il le devrait, la possibilité d'un redressement à qui
l'invoquerait. Ainsi la Cour serait incapable, contrairement à
son objet, de résoudre véritablement un litige. Je ne peux
croire que le Parlement entendait que la Cour soit incapable
de prévenir une telle situation.»
Je souscris à ces remarques de mon collègue et je les applique
L'avocate de la requérante soutient que l'on ne
peut donc pas interpréter l'arrêt Lodge de façon
aussi libérale que le prétend l'avocat de l'intimé et
que l'on doit l'interpréter en tenant compte de
décisions telles que Toth c. Canada (Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 6 Imm.
L.R. (2d) 123 (C.A.F.); Bains c. Canada (Ministre
de l'Emploi et de l'Immigration) (no du greffe
90-A-1030, 7 mars 1990); et Yhap c. Canada
(Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (no du
greffe 89-T-676, 12 octobre 1989 et [1990] 1 C.F.
722 (1« inst.)).
L'arrêt Lodge traitait d'une situation qui était
assez différente de celle qui est ici en cause ou de
celle qui était en cause dans les affaires Toth,
Bains ou Yhap. En premier lieu, l'un des facteurs
les plus importants dans l'arrêt Lodge était que
l'injonction, si elle était accordée, serait définitive;
elle n'était pas considérée comme une ordonnance
interlocutoire. Le juge Le Dain a écrit [à la page
783] au sujet de l'injonction sollicitée:
Elle n'est pas présentée dans le cadre d'une action pendante en
Cour fédérale. Elle emporte jugement définitif et non interlocu-
toire à l'issue de la demande d'injonction.
Les principes à appliquer sont ceux qui déterminent si une
injonction permanente doit être accordée pour interdire à un
ministre de la Couronne d'exécuter une fonction prévue par la
loi. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce, comme c'était le cas dans les affai-
res Toth, Bains et Yhap, l'ordonnance d'expulsion
dont on demande la suspension est liée étroitement
à la mesure de redressement sollicitée de notre
Cour. Cette mesure que la requérante sollicite du
gouverneur en conseil, en conformité avec le réexa-
men prévu au paragraphe 114(2), vise à permettre
à la requérante de demander depuis Buffalo (New
York) le statut d'immigrant ayant obtenu le droit
d'établissement plutôt que d'être retournée en
Jamaïque. (À l'origine, la requête visait à obtenir
la permission de demander un tel statut depuis le
Canada.) Si la requérante est expulsée en Jamaï-
que, la mesure sollicitée au moyen du processus
prévu au paragraphe 114(2) deviendrait inopé-
rante. Dans de telles circonstances, l'avocate a
peut-être vraiment raison de laisser supposer que
les principes énoncés dans l'arrêt Toth s'appliquent
et que la Cour a le pouvoir de surseoir à l'exécu-
tion de l'ordonnance d'expulsion en attendant qu'il
soit statué sur la demande fondée sur l'article 18.
La Cour l'a effectivement fait dans l'affaire Yhap.
Et la Cour d'appel a retenu une solution similaire
dans l'affaire Bains. De plus, selon mon interpréta-
tion de l'arrêt Bhattia, je ne suis pas convaincue
que le juge Marceau aurait trouvé opportun d'in-
terdire d'octroyer une ordonnance de sursis, si
l'autorisation d'introduire une instance fondée sur
l'article 28 avait déjà été accordée. Ainsi qu'il a
déjà été mentionné, bien que le juge Marceau ait
formulé les motifs susmentionnés, les deux autres
juges siégeant avec lui à la Cour d'appel ont cru
nécessaire de dire seulement que, en supposant que
les principes énoncés dans l'arrêt Toth fussent
applicables, la situation qui existait dans l'affaire
Bhattia ne satisfaisait pas aux exigences. Par con-
séquent, le point en litige dans la présente affaire
n'était nullement réglé.
Dans l'affaire Bains, la Cour d'appel a sursis à
l'exécution d'une ordonnance d'expulsion jusqu'à
ce que cette Cour puisse instruire et juger la
demande présentée par la requérante en vue d'être
autorisée à introduire une procédure de révision
judiciaire conformément à l'article 28 de la Loi sur
la Cour fédérale. La décision dont on demandait
la révision dans cette procédure émanait de la
Commission d'appel de l'immigration et portait sur
la revendication, par le requérant, du statut de
réfugié selon la Convention.
Dans l'affaire Yhap, le juge Muldoon a sursis à
l'exécution d'une ordonnance d'expulsion jusqu'à
ce qu'il soit statué sur une demande présentée par
le requérant en vue d'être autorisé à introduire une
procédure fondée sur l'article 18. La décision dont
on sollicitait la révision dans cette procédure por-
tait sur le bien-fondé sur le plan juridique des
directives de politique générale formulées à l'inten-
tion des fonctionnaires du ministère de l'Emploi et
de l'Immigration et qu'ils devaient suivre pour
examiner les demandes de dispense pour raisons
d'ordre humanitaire, visées au paragraphe 114(2).
Il a été sursis à l'exécution de l'ordonnance d'ex-
pulsion le 12 octobre 1989 (89-T-676). Le 14
novembre 1989, la Cour a autorisé les requérants à
introduire une procédure fondée sur l'article 18
(T-2543-89). Cela a mené à une décision en date
du 8 mars 1990 (T-2543-89) dans laquelle les
critères appliqués ont été considérés comme une
entrave au pouvoir discrétionnaire. Ainsi, les déci-
sions rendues en tenant compte ont été considérées
comme ayant été rendues en l'absence d'une audi
ence pleine et impartiale et ont été renvoyées afin
d'être examinées de nouveau.
Les motifs qui ont incité le juge Muldoon à
surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion
dans l'affaire Yhap sont libellés en partie ainsi
[aux pages 4 à 5 et 15 à 16]:
En fait, la réparation sollicitée en l'espèce par les requérants est
de la nature d'une injonction interlocutoire ou, pour reprendre
la propre expression de l'avocate des requérants, de ce que l'on
pourrait appeler une interdiction interlocutoire ou temporaire.
En ce qui concerne l'administration fédérale, l'alinéa 18a) de la
Loi sur la Cour fédérale confère à la Section de première
instance une compétence exclusive, en première instance, pour
décerner notamment une injonction et un bref de prohibition
«contre tout office fédéral». Ce sont les principaux recours.
Toutefois, l'alinéa 18b) ajoute:
b) connaître de toute demande de réparation de la nature
visée par l'alinéa a) ... [Non souligné dans le texte original.]
En conséquence, en présentant des demandes de réparation
de la nature visée par l'alinéa 18a), les requérants prétendent
en fait introduire une instance aux termes de l'article 18—pour
être précis, de l'alinéa 18b)—de la Loi sur la Cour fédérale. Ils
doivent en conséquence d'abord obtenir l'autorisation de le faire
en vertu de l'article 83.1 de L.C. 1988, chap. 35. Ce raisonne-
ment en apparence évident a échappé aux procureurs et avocats
des requérants. Une demande tardive visant à obtenir cette
autorisation a été présentée à l'audience le 6 octobre 1989, la
date de présentation précisée dans les avis de requête des
requérants.
Si la ministre s'engageait à ne renvoyer aucun des requérants
tant que l'état de la loi et la légalité des procédures ne seront
pas connus, il n'y aurait, de façon concevable, aucun fondement
à la présente instance. On peut avoir de la compassion pour le
demandeur de statut de réfugié qui fait l'objet d'une ordon-
nance de renvoi du Canada en vertu de lois dont la validité est
reconnue et de procédures licites, mais le tribunal refusera
d'intervenir en pareil cas. D'autre part, ce serait effectivement
une maigre consolation pour le requérant ou pour l'un ou
l'autre de ses compagnons d'être renvoyé et d'apprendre ensuite
que la loi en vertu de laquelle son cas a été examiné a été
déclarée inconstitutionnelle ou que les procédures ont été jugées
inéquitables ou illégitimes. Il y a lieu de noter que les modifica
tions radicales récemment apportées aux lois sur l'immigration,
qui n'ont pas encore été refondues et dont on n'a pas encore
vérifié la constitutionnalité non plus que la légalité de leurs
procédures ou l'équité de leur application, ajouté à la multitude
de déclarations et de directives ministérielles dont nous avons
déjà parlé et aux lacunes du règlement, impliquent que le droit
canadien, dont notre Cour a reçu la mission d'améliorer l'appli-
cation, se trouve dans ce qui est perçu à tout le moins comme
un état d'imprécision et d'inconstance.
Le paragraphe 26(1) de la Loi sur la Cour fédérale est ainsi
libellé:
26. (1) La Section de première instance a compétence, en
première instance, pour toute question ressortissant aux
termes d'une loi fédérale à la Cour fédérale—ou à l'ancienne
Cour de l'Échiquier du Canada—, à l'exception des questions
expressément réservées à la Cour d'appel.
La disposition citée est analogue au paragraphe 30(1) de la Loi
en ce qui concerne la compétence implicite de la Section
d'appel qui a été décrite par le juge Heald, au nom d'une
formation collégiale unanime, dans l'arrêt Toth c. Canada
(Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 6 Imm.
L.R. (2d) 123 (C.A.F.). En l'espèce également, si pendant une
demande présentée devant la Section de première instance et
une demande présentée en vertu de l'article 28 devant la
Section d'appel, le déroulement du processus avait pour résultat
de rendre chacune des instances inopérantes, cela serait
absurde, sans compter que cela serait injuste. [C'est moi qui
souligne.]
En examinant cette jurisprudence, il me semble
évident que la décision Lodge ne se rapporte pas à
la question. La demande de sursis dans cette affai-
re-là était fondée sur la thèse selon laquelle elle
était nécessaire afin d'accorder au requérant la
possibilité de présenter une demande devant la
Commission des droits de la personne. Elle n'avait
aucun rapport avec une instance déjà devant notre
Cour. La présente demande vise à surseoir à une
expulsion jusqu'à ce qu'il ait été statué sur une
demande de révision aux termes de l'article 18.
Notre Cour a été saisie de cette demande fondée
sur l'article 18, et celle-ci fait partie du présent
dossier. Cela ressemble à la situation qui existait
tant dans l'affaire Bains que dans l'affaire Yhap.
Selon mon interprétation des motifs exprimés
par le juge Marceau dans l'affaire Bhattia, ceux-ci
m'indiquent que, compte tenu des nouvelles procé-
dures en matière d'immigration qui exigent main-
tenant que les requérants obtiennent l'autorisation
de la Cour avant d'introduire une demande fondée
sur l'article 18 ou sur l'article 28, ii devrait être
rare que la Cour sursoie à l'exécution d'une ordon-
nance d'expulsion à moins d'avoir déjà accordé
l'autorisation d'introduire une procédure fondée
sur l'article 18 ou sur l'article 28. La raison en est
évidente. L'une des principales questions à tran-
cher pour déterminer s'il faut accorder un sursis
correspond à la même question ou à une question
similaire à celle qu'il faut trancher pour détermi-
ner si on doit accorder l'autorisation: s'il existe une
question sérieuse à trancher. De plus, l'obligation
d'obtenir une autorisation a été ajoutée dans la loi
pour éviter que les requérants ne recourent abusi-
vement à la Cour par l'introduction de procédures
qui sont peu justifiées en droit, mais qui pourraient
traîner en longueur et permettre aux requérants de
rester au Canada pendant plus longtemps qu'ils en
ont le droit. Des remarques du juge Marceau, je
relève la préoccupation selon laquelle, en permet-
tant au requérant d'obtenir la suspension d'une
ordonnance d'expulsion, avant que la demande
d'autorisation ne soit accordée, on pourrait laisser
place, encore une fois, à un abus de procédure à
cet égard. Je m'empresse d'ajouter que je ne crois
pas que la présente demande puisse être considérée
comme un abus de procédure.
L'octroi d'un sursis d'exécution d'une ordon-
nance, dans une affaire comme en l'espèce, consti-
tue cependant un recours discrétionnaire. Compte
tenu des nouvelles exigences en ce qui concerne
l'autorisation, j'hésiterais beaucoup à exercer ce
pouvoir discrétionnaire, à surseoir à une ordon-
nance d'expulsion, en l'absence de toute autorisa-
tion d'introduire une instance fondée sur l'article
18, sauf si l'on peut prouver l'existence de circons-
tances spéciales et contraignantes. En l'espèce, la
raison pour laquelle la demande de la requérante
en vue d'être autorisée à introduire une instance
fondée sur l'article 18 n'a pas été déposée avant le
13 août est que le rapport du psychiatre n'a été
remis à l'intimé que le lei août. La requérante
savait depuis le 6 juin 1990 qu'une ordonnance
d'expulsion avait été prononcée contre elle. La
requête invoquant des raisons d'ordre humanitaire
avait été introduite au moins avant avril 1990,
sinon plus tôt. Selon le déroulement de l'affaire, il
est évident qu'aucune raison n'empêchait que la
preuve en question (le rapport du psychiatre)
puisse être rédigée et présentée à l'intimé beau-
coup plus tôt. Si tel avait été le cas, les fonction-
naires concernés auraient pu l'examiner de façon
opportune. Dans ce cas, il aurait été possible que la
requête en sursis soit examinée dans le cadre de la
demande d'autorisation fondée sur l'article 18. Par
conséquent, même si j'avais la compétence voulue
pour accorder l'ordonnance sollicitée, je ne serais
pas disposée à exercer mon pouvoir discrétionnaire
dans ce sens en l'espèce.
En outre, j'ai de sérieux doutes au sujet de la
solidité de la prétention de la requérante selon
laquelle il existe une question sérieuse à trancher.
Les remarques de Mme Pam Cullen selon lesquel-
les le «rapport du psychiatre ne la convainquait
pas» ne prouvent sûrement pas que l'on n'a pas
tenu compte de ce rapport en preuve. Cela montre
seulement qu'on lui a accordé peu d'importance.
Aussi est-il difficile d'évaluer quelle importance il
faudrait accorder à la remarque de M. Morrison
selon laquelle «le rapport du Dr Payne ne consti-
tuait pas une preuve qu'il fallait répondre favora-
blement à la demande, parce que ce n'était qu'une
prédiction faite par un psychiatre au sujet de ce
qui pouvait arriver si l'on retournait la requérante
en Jamaïque». Il ne s'agissait certainement pas
d'un «rejet» de la preuve aussi manifeste et fla
grant que, selon moi, la plaidoirie de l'avocate le
qualifierait.
Dans le cadre de la demande d'autorisation
d'introduire une instance fondée sur l'article 18,
l'intimé aura le temps de répondre aux affirma
tions de la requérante et d'expliquer plus longue-
ment la procédure qui a été suivie. Ce contexte
permet un examen plus approfondi de la solidité de
la question qu'un requérant tente de soulever que
ce n'est possible dans le présent contexte. C'est
pour cette raison que j'hésite quelque peu à faire
des remarques sur la solidité de la preuve de la
requérante.
De toute façon, comme j'en suis venue à la
conclusion susmentionnée, je n'estime pas néces-
saire de traiter les autres questions qui ont été
soulevées. Pour ces motifs, la demande sera
rejetée.
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