A-1136-88
Leming Wang (appelant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Secré-
taire d'État aux Affaires extérieures (intimés)
RÉPERTORIÉ: WANG c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel', juges Mahoney, Stone et Desjardins,
J.C.A. Toronto, 13 décembre 1990; Ottawa, 8
janvier 1991.
Immigration — Pratique — Appel formé contre une déci-
sion par laquelle la Section de première instance a refusé
d'annuler le rejet par un agent des visas d'une demande de
résidence permanente — Le juge de première instance a conclu
que l'agent des visas à New York avait évalué l'appelant à
l'égard de l'autre profession, bien qu'il n'en soit pas question
dans la lettre de refus — Une note de l'agent des visas, qui
avait été rédigée après l'entrevue avec l'appelant et annexée
comme pièce justificative à l'affidavit d'un agent d'immigra-
tion au Canada, a été rayée du dossier — L'affidavit de
l'appelant constituait le seul élément de preuve de ce qui
s'était passé à l'entrevue — Rien ne justifie que l'on s'écarte
des normes de la preuve en acceptant les notes des agents des
visas comme preuve de la véracité de leur contenu en l'absence
d'affidavit — C'est aussi malcommode pour les immigrants
envisagés, qui se trouvent également à l'extérieur du Canada,
de devoir certifier leurs éléments de preuve— Il n'est pas juste
de permettre à l'un des témoins de présenter des éléments de
preuve d'une manière qui empêche leur vérification au moyen
d'un contre-interrogatoire — Vu que les agents des visas
occupent normalement des locaux où l'on peut trouver d'autres
fonctionnaires devant lesquels ils peuvent prêter serment, les
inconvénients allégués ne sont pas une excuse — Les frais
éventuels découragent le recours à un contre-interrogatoire
frivole — Appel accueilli — Toute présomption selon laquelle
l'affaire a été menée équitablement peut être réfutée au moyen
d'une preuve extrinsèque, qui en l'espèce se limitait au témoi-
gnage de l'appelant Vu que le seul élément de preuve que
l'autre occupation avait été prise en considération par l'agent
des visas a été rayé du dossier, la conclusion du juge de
première instance n'était fondée sur aucun fait.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7,
art. 526)(1).
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172,
art. 8, 11(3)b) (mod. par DORS/79-167, art. 4;
81-461, art. 1).
JURISPRUDENCE
DÉCISION INFIRMÉE:
Wang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion) (1988), 23 F.T.R. 257; 7 Imm. L.R. (2d) 30 (C.F.
I" inst.).
AVOCATS:
Cecil L. Rotenberg, c.r. et Diane C. Smith
pour l'appelant.
Marlene I. Thomas et P. Christopher Parke
pour les intimés.
PROCUREURS:
Rotenberg, Martinello, Don Mills (Ontario),
pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Il s'agit d'un appel
formé contre une décision publiée par laquelle la
Section de première instance' a refusé d'accorder
un bref de certiorari annulant la décision par
laquelle un agent des visas travaillant dans la ville
de New York a rejeté une demande indépendante
de résidence permanente présentée par l'appelant,
et un bref de mandamus exigeant des intimés
qu'ils examinent la demande conformément à la
loi. Le paragraphe 11(1) et l'alinéa 11(3)b) du
Règlement sur l'immigration de 1978 [DORS/78-
172 (mod. par DORS/79-167, art. 4; 81-461, art.
1] sont tout particulièrement pertinents.
11. (1) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), l'agent des
visas ne peut délivrer de visa d'immigration selon les articles 9
ou 10 à un immigrant qui est évalué suivant les facteurs
énumérés dans la colonne I de l'annexe I et qui n'obtient aucun
point d'appréciation pour le facteur visé à l'article 3 de cette
annexe à moins que ...
(3) L'agent des visas peut
b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le
nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou
10,
s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le
nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les
chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa
charge de s'établir avec succès au Canada et que ces raisons ont
été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont
reçu l'approbation de ce dernier.
' (1988), 23 F.T.R. 257.
Les exceptions mentionnées au paragraphe 11(1),
l'emploi réservé ou la profession désignée, ne sont
pas en jeu.
L'appelant avait été ingénieur électricien et pro-
fesseur (instructeur) de niveau universitaire en
Chine et poursuivait, au moment de sa demande,
des études au niveau du doctorat en génie électri-
que aux États-Unis. Pour être admis en tant qu'in-
génieur électricien, on doit posséder une accrédita-
tion professionnelle au Canada. Dans sa demande
en vue d'obtenir le droit d'établissement, l'appelant
avait indiqué son intention d'exercer la profession
de responsable de la vérification des systèmes au
Canada et, dans la lettre accompagnant sa
demande, il avait ajouté qu'il avait la compétence
voulue pour être responsable de la vérification des
moteurs et du contrôle et qu'il était également
disposé à exercer cette profession. Les agents d'im-
migration se servent de la Classification cana-
dienne descriptive des professions (CCDP) comme
guide de définitions aux fins de l'évaluation visée à
l'article 8 du Règlement sur l'immigration de
1978. Le responsable de la vérification des systè-
mes travaille avec des systèmes électroniques tels
que des ordinateurs et des systèmes de radio, de
télévision et de télécommunications tandis que le
responsable de la vérification des moteurs et du
contrôle travaille avec de l'appareillage électrique:
moteurs, groupes électrogènes, alternateurs, etc.
Dans sa lettre de refus en date du 16 novembre
1987, l'agent des visas déclarait notamment:
[TRADUCTION] D'après le paragraphe 11(1) du Règlement
sur l'immigration de 1978, l'agent des visas ne peut délivrer un
visa d'immigrant à un immigrant qui est évalué d'après les
facteurs énumérés à la colonne I de l'annexe I et n'obtient
aucun point d'appréciation pour le facteur mentionné à
l'article 3 de cette annexe, c'est-à-dire, l'expérience.
Après avoir examiné attentivement votre cas, je dois vous
informer que, malheureusement, votre demande d'entrée
comme immigrant au Canada a été refusée parce que vous
n'avez aucune expérience dans la profession que vous avez
l'intention d'exercer au Canada. Bien que votre profession
désirée soit celle de responsable de la vérification des systèmes,
vous avez reçu une formation comme ingénieur en électricité et
vous avez travaillé comme ingénieur en électricité et comme
professeur (instructeur).
Dans la lettre de refus, il n'était pas question de
l'autre profession: responsable de la vérification
des moteurs et du contrôle. Quoique l'appelant
n'ait obtenu aucun point d'appréciation en ce qui
concerne l'expérience, il a obtenu un total de 69
points, dont le maximum de 10 points pour la
demande dans la profession. Sous réserve des
exceptions indiquées, dont celles du paragraphe
11(1) du Règlement, un visa peut être délivré à un
immigrant indépendant ayant obtenu 70 points.
L'appelant a décrit son entrevue avec l'agent des
visas dans son affidavit. Il a affirmé notamment:
[TRADUCTION] 8. L'agent a alors quitté la pièce et, à son
retour, il m'a dit que j'étais trop qualifié pour faire le travail
que je désirais faire au Canada et que, bien que mes avocats
aient mentionné le travail de responsable de la vérification,
puisque j'étais titulaire d'une maîtrise en génie électrique, je
suis ingénieur électricien. L'agent m'a signalé que, si c'était lui,
il ne voudrait pas faire le travail de responsable de la vérifica-
tion. J'ai répondu à l'agent que le fait de vivre en liberté est
plus important pour moi que le genre de travail que je faisais et
que j'étais plus que disposé à travailler comme responsable de
la vérification au Canada.
9. L'agent a alors quitté la pièce à nouveau et, à son retour, il
m'a répété que j'étais trop qualifié pour faire le travail que je
désirais faire au Canada bien que j'avais (sic) toute l'expérience
voulue. L'agent m'a dit que je n'avais pas travaillé comme
responsable de la vérification à temps plein en Chine, même si
je lui ai dit que j'avais fait de la vérification pendant toutes les
années où j'ai travaillé en Chine. À l'entrevue, l'agent n'a pas
passé avec moi à travers les définitions de la CCDP, pièce «C»
ci-jointe. Si l'agent l'avait fait, je lui aurais dit que j'ai exercé
pratiquement toutes les fonctions décrites dans ces deux défini-
tions et que j'ai passé quatre-vingts pour cent de mon temps en
Chine à exercer les fonctions de responsable de la vérification.
Cet affidavit n'a pas fait l'objet d'un contre-inter-
rogatoire.
Le 7 juillet 1988, un agent d'immigration, qui
n'était pas l'agent des visas, a produit un affidavit
présentant une note en date du 29 juin 1988 et
rédigée par cet agent des visas relativement au
refus de la demande de l'appelant. Cette note a été
rayée du dossier par ordonnance du juge de pre-
mière instance 2 . Aucun appel n'a été formé contre
cette ordonnance. Ainsi, le seul élément de preuve
concernant ce qui s'était passé à l'entrevue était le
témoignage de l'appelant.
Le juge de première instance a conclu que le fait
que l'appelant avait présenté la preuve qu'il «était
responsable de la vérification et que cela n'avait
pas été accepté» avait pour effet de soustraire la
question à la compétence de la Cour. Il a conclu:
2 semble que cette ordonnance a été rendue à l'audience
mais qu'elle n'a pas été versée au dossier à ce moment-là. Une
ordonnance rayant la note du dossier a été rendue avec le
consentement des parties par le juge de première instance et
déposée le 26 avril 1989.
Il ne s'agit donc pas d'un cas où, à la suite d'une erreur de
droit, on a refusé d'évaluer l'occupation envisagée ou désirée du
requérant. Il est bien évident que cette évaluation a été faite et
que celle-ci a porté explicitement sur la profession que le
requérant avait précisée.
À mon avis, le seul élément de preuve à partir
duquel le juge de première instance aurait peut-
être pu conclure que «l'autre occupation» avait été
prise en considération par l'agent des visas se
trouve dans la note qu'il avait rayée du dossier.
La conclusion du juge de première instance
selon laquelle l'agent des visas avait évalué l'appe-
lant relativement à la profession de responsable de
la vérification des moteurs et du contrôle est,
comme le soutient l'appelant, dénuée de tout fon-
dement quant aux faits. Pour cette seule raison, le
présent appel doit être accueilli. Il y a deux autres
questions qui justifient des explications, étant
donné les allégations présentées en appel.
L'appelant a avancé que la lettre de refus elle-
même n'aurait pas dû être considérée comme un
élément de preuve par le juge de première instance
qui, après avoir cité le passage suivant:
Bien que votre profession désirée soit celle de responsable de la
vérification des systèmes, vous avez reçu une formation comme
ingénieur en électricité et vous avez travaillé comme ingénieur
en électricité et comme professeur (instructeur).
a dit:
La seule interprétation de cette phrase est que l'agent des visas
a fait l'évaluation nécessaire à l'égard de la profession envisa
gée par le requérant et en est venu à une conclusion défavorable
au sujet de l'expérience de M. Wang.
La lettre de refus est, naturellement, le point
central de la demande de recours de prérogative et
doit, à juste titre, être prise en considération par la
Cour qui est saisie de la demande. Elle témoigne
de la décision rendue par l'agent des visas et des
motifs pour lesquels il l'a rendue, mais elle ne
prouve pas de façon concluante qu'il y est arrivé de
la manière requise par la loi: en l'espèce, qu'il a
vraiment examiné la preuve de l'expérience de
l'appelant ou qu'il a traité la demande comme il l'a
fait afin d'éviter un refus en vertu du paragraphe
11(3), qui exigerait le consentement d'un agent
d'immigration supérieur. Toute présomption selon
laquelle l'affaire a été menée équitablement et
selon la loi peut être réfutée au moyen d'une
preuve extrinsèque qui, en l'espèce, se limitait au
témoignage de l'appelant. On pourrait penser que,
dans les circonstances et compte tenu tout particu-
lièrement du fait que la lettre de refus ne men-
tionne rien au sujet de l'autre profession, toute
présomption de régularité devrait facilement être
réfutée au moyen d'un témoignage sous serment et
non contredit. Cependant, on ne peut pas dire que
le juge de première instance ait commis une erreur
manifeste en soutenant cela.
La deuxième question est fondamentale. Il
s'agit, en substance, d'un appel formé contre l'or-
donnance excluant de la preuve la note de l'agent
des visas. L'intimé allègue que, en raison des
inconvénients qu'il y a à organiser les dépositions
des agents des visas qui, par définition, se trouvent
à l'extérieur du Canada, la Cour doit accepter
leurs notes comme preuve de la véracité de leur
contenu même si aucun affidavit n'est produit pour
en attester la véracité. Dans le présent appel,
comme dans certains des autres appels entendus en
série, l'agent des visas concerné a présenté des
notes prises pendant l'entrevue et/ou un compte
rendu rédigé beaucoup plus tard pour exposer ce
dont il se souvenait. Celles-ci ont été produites
comme pièces annexées à l'affidavit d'un agent
d'immigration au Canada qui avait examiné le
dossier pertinent et choisi les documents considérés
comme se rapportant à la procédure judiciaire.
Je ne vois rien qui puisse justifier que l'on
s'écarte des normes de la preuve dans les circons-
tances présentes. L'intimé n'a démontré l'existence
d'aucun fondement juridique permettant d'accueil-
lir ses allégations et, à mon avis, elles sont dénuées
de tout fondement pratique. En premier lieu, à
moins que l'erreur qui entacherait la décision de
nullité ressorte du dossier, l'immigrant envisagé,
qui se trouve également, par définition, à l'exté-
rieur du Canada, doit certifier ses éléments de
preuve et, contrairement à l'agent des visas, peut
ne pas être bien situé pour le faire. Il n'est pas
juste d'accorder à un témoin au procès la possibi-
lité de présenter des éléments de preuve d'une
manière qui empêche leur vérification au moyen
d'un contre-interrogatoire. En deuxième lieu, l'hy-
pothèse selon laquelle il y aurait des inconvénients
sur le plan administratif ne semble pas fondée
solidement. Vu que les agents des visas occupent
normalement des locaux où l'on peut trouver d'au-
tres fonctionnaires devant lesquels ils peuvent
prêter serment relativement à des affidavits admis-
Bibles devant les tribunaux canadiens, il ne semble
exister aucune raison pratique pour laquelle sa
version de la vérité ne puisse pas, avec tout autant
de facilité, être présentée dans le cadre d'un affi
davit tout comme sous la forme d'une note. Enfin,
si un requérant désappointé voulait créer des
ennuis à un agent des visas en réclamant un con-
tre-interrogatoire, il s'ensuit que ce droit devrait
s'exercer, du moins au début, à un coût assez élevé
pour le requérant.
Ainsi que je l'ai déjà mentionné, l'appel doit
selon moi être accueilli parce que la conclusion
selon laquelle l'agent des visas a évalué l'appelant
à l'égard de l'autre profession projetée est con-
traire à la preuve. Tout compte fait, pour ce qui
concerne le recours, j'estime que les intérêts de la
justice seront mieux servis si on réexamine toute la
demande plutôt que de se limiter à l'autre
profession.
J'accueillerais l'appel avec dépens et, conformé-
ment au sous-alinéa 52b)(1) de la Loi sur la Cour
fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7], je prononce-
rais le jugement que la Section de première ins
tance aurait dû rendre en annulant la décision de
l'agent des visas en date du 16 novembre 1987, qui
rejetait la demande de l'appelant en vue de son
admission au Canada en tant qu'émigrant, et en
ordonnant qu'elle soit réexaminée par un autre
agent des visas.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris aux pré-
sents motifs.
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: Je souscris aux
présents motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.