A-207-90
C. D. (requérant)
c.
Ministre du Revenu national (intimé)
RÉPERTORIÉ: C.D. c. M.R.N. (C.A.)
Cour d'appel, juges Mahoney, MacGuigan et
Décary, J.C.A.—Ottawa, 15 mars 1991.
Impôt sur le revenu — Pratique — L'art. 16 de la Loi sur la
Cour canadienne de l'impôt permet la tenue d'audiences à huis
clos lorsque les circonstances le justifient — Le requérant
craignait d'être assujetti à des procédures disciplinaires devant
un organisme professionnel si sa conduite était dévoilée au
cours de procédures en matière fiscale — Il ne poursuivra
probablement pas l'appel interjeté d'une nouvelle cotisation si
celui-ci ne se tient pas à huis clos —1l ne s'agit pas d'un motif
adéquat pour ordonner la tenue d'une audience à huis clos
Le principe de l'arrêt Scott v. Scott (H.L.) selon lequel on
pourrait permettre l'exclusion du public lorsque les parties
seraient dissuadées de demander justice se limite aux cas où le
secret est l'essence même de la cause, par exemple lorsqu'il
s'agit de procédés secrets — L'arrêt Procureur général de la
Nouvelle-Écosse et autre c. Maclntyre incorpore le principe de
l'arrêt Scott au droit canadien uniquement à l'égard des
procédés secrets — Les procédures en matière fiscale ne
seraient pas vaines si elles avaient lieu devant une cour publi-
que — Le caractère confidentiel pour les fins de la Loi de
l'impôt sur le revenu, reconnu à l'art. 241, ne constitue pas
une circonstance qui justifie la tenue d'audiences à huis clos
sous le régime de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fon-
damentales La reconnaissance de la liberté de presse à
l'art. 2b) de la Charte a redonné sa dimension originale au
principe de la publicité, si tant est que ce principe fût dilué par
des exceptions d'origine législative — Une disposition législa-
tive permettant la tenue de procédures à huis clos ne sera
valide conformément à la Constitution que dans les cas les
plus clairs, soit s'il est nécessaire de protéger des valeurs
sociales qui ont préséance — La nécessité de ne pas dissuader
les contribuables de procéder à des auto-cotisations honnêtes
de leur impôt sur le revenu en les rendant passibles de consé-
quences fâcheuses n'est pas une valeur qui a préséance La
crainte de procédures disciplinaires pour inobservation des
règles d'un organisme professionnel n'est pas un motif adéquat
pour qu'on ordonne la tenue d'audiences à huis clos sous le
régime de l'art. 16 de la Loi sur la Cour canadienne de
l'impôt.
Pratique— Preuve Demande visant à obtenir que la Cour
tienne ses audiences à huis clos — Si le requérant témoigne, il
peut invoquer l'art. 5 de la Loi sur la preuve au Canada et
l'art. 13 de la Charte — La personne qui est passible de
procédures disciplinaires ne devrait pas jouir d'une protection
plus grande que celle qui est accordée par la Charte aux
témoins qui craignent des procédures pénales La crainte de
procédures disciplinaires pour inobservation des règles d'un
organisme professionnel n'est pas un motif adéquat pour qu'on
ordonne la tenue d'audiences à huis clos sous le régime de
l'art. 16 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 2b), 13.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 16, 241 (mod. par S.C. 1977-78, chap. I,
art. 101, item 46; 1980-81-82-83, chap. 48, art. 107;
chap. 68, art. 117; chap. 140, art. 126; 1984,
chap. 19, art. 30; 1986, chap. 55, art. 77; 1987,
chap. 46, art. 68; 1988, chap. 51, art. 14; chap. 55,
art. 183; 1990, chap. 1, art. 30; chap. 35, art. 26).
Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, L.R.C., (1985),
chap. T-2, art. 16, (mod. par L.R.C. (1985) (let
suppl.), chap. 48, art. 1).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7,
art. 28.
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), chap. C-5,
art. 3, 5.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général),
[1989] 2 R.C.S 1326; (1989), 103 A.R. 321; 64 D.L.R.
(4th) 577; [1990] 1 W.W.R. 577; 71 Alta. L.R. (2d)
273; 45 C.R.R. 1; 102 N.R. 321.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Scott v. Scott, [1913] A.C. 417 (H.L.); Procureur géné-
ral de la Nouvelle-Écosse et autre c. Maclntyre, [1982]
1 R.C.S 175; (1985), 49 N.S.R. (2d) 609; 132 D.L.R.
(3d) 385; 96 A.P.R. 609; 65 C.C.C. (2d) 129; 26 C.R.
(3d) 193; 40 N.R. 181; «A (Dr.)„ and Council of College
of Physicians and Surgeons, Re (1965), 53 D.L.R. (2d)
667; 53 W.W.R. 313 (C.S.C.-B.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Attorney -General v. Butterworth, [1962] 3 All E.R. 326
(C.A.); B. (otherwise P.) v. Attorney -General, [1965] 3
All E.R. 253 (P.D.A.); R. c. A., [1990] 1 R.C.S. 992;
(1990), 55 C.C.C. (3d) 570; 77 C.R. (3d) 232; 108 N.R.
214.
DÉCISIONS CITÉES:
McCleery c. La Reine, [1974] 2 C.F. 352; (1974), 50
D.L.R. (3d) 387; 5 N.R. 229 (C.A.); R v Chief Registrar
of Friendly Societies ex p New Cross Building Society,
[ 1984] 2 All ER 27 (C.A.).
AVOCATS:
Joel A. Nitikman pour le requérant.
Wilfrid Lefebvre, c.r., et Sandra Phillips pour
l'intimé.
PROCUREURS:
Fraser & Beatty, Vancouver, pour le requé-
rant.
Ogilvy Renault, Montréal, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: Le requérant a inter-
jeté appel devant la Cour canadienne de l'impôt
d'une nouvelle cotisation de son assujettissement à
l'impôt établie par l'intimé. Avant que l'appel ne
soit entendu, l'avocat du requérant a présenté une
demande sous le régime de l'article 16 de la Loi
sur la Cour canadienne de l'impôt' afin d'obtenir
de la Cour qu'elle tienne ses audiences à huis clos.
La demande d'une audience à huis clos était
fondée sur le fait que le requérant, en sa qualité de
membre d'un organisme professionnel, craignait
que sa conduite, qui serait dévoilée au cours des
procédures de la Cour canadienne de l'impôt,
puisse le rendre passible de mesures disciplinaires.
Au cours d'une conversation «sans préjudice» avec
un représentant de cet organisme professionnel
auquel il s'était adressé pour vérifier si ses appré-
hensions étaient fondées, il a appris que, si la
décision en matière fiscale était rendue publique, il
risquait de faire l'objet d'une plainte de la part
d'un collègue, d'être convoqué devant un comité de
discipline et d'être assujetti à des procédures disci-
plinaires'. Le requérant a déclaré qu'avant cette
conversation, il avait l'intention de poursuivre l'ap-
pel interjeté de la nouvelle cotisation, mais qu'à la
suite de la conversation, il [TRADUCTION] «ne
poursuivra probablement pas» l'appel si celui-ci ne
se tient pas à huis clos.
' L'article 16 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt,
L.R.C. (1985), chap. T-2, modifiée par L.R.C. (1985) (1"
suppl.), chap. 48, art. 1, portait alors:
16. La Cour peut tenir ses audiences à huis clos à la demande
de l'appelant si celui-ci lui démontre que les circonstances le
justifient.
2 Même si l'avocat du requérant a soutenu avec insistance au
cours de l'audience que le requérant s'exposait à un «suicide
professionel» si l'affaire fiscale était rendue publique, aucun
élément de la preuve n'indique la nature de la mesure discipli-
naire éventuelle.
Le juge en chef adjoint de la Cour canadienne
de l'impôt a rejeté la demande d'audience à huis
clos; le requérant a par la suite déposé la présente
demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour
fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7], à l'égard de
laquelle la Cour a ordonné le huis clos.
L'avocat du requérant s'est fondé principale-
ment sur la déclaration suivante du comte Lore-
burn dans l'arrêt Scott v. Scott':
[TRADUCTION] ... Il serait impossible d'énumérer ou de pré-
voir toutes les situations possibles, mais dans toutes les affaires
où le public a été exclu de bon droit, le principe sous-jacent est,
selon moi, que l'administration de la justice ne pourrait avoir
lieu en sa présence, soit parce que l'affaire ne pourrait être
jugée efficacement, ou que les parties qui ont le droit de
demander justice seraient raisonnablement dissuadées de le
demander devant la Cour. [Souligné par mes soins.]
Selon l'avocat, ce principe aurait été adopté par
une majorité de lords juges dans cette affaire puis
introduit dans la jurisprudence canadienne par les
motifs du juge Dickson, plus tard juge en chef,
dans Procureur général de la Nouvelle-Écosse et
autre c. Maclntyre 4 .
L'avocat a fait valoir, essentiellement, que le
requérant craignait d'encourir des conséquences
fâcheuses par suite de sa déposition devant une
cour publique, qu'il était dissuadé de demander la
justice devant la Cour canadienne de l'impôt si les
procédures avaient lieu en public, et que le critère
établi par le comte Loreburn s'appliquait à son
cas.
Avec égards, je ne puis admettre l'interprétation
donnée à ce critère par l'avocat, ni sa proposition
selon laquelle la déclaration du comte Loreburn a
été approuvée par ses collègues puis est devenue
partie intégrante de notre jurisprudence grâce à
l'arrêt Maclntyre.
Le critère a été formulé par le comte Loreburn
dans un contexte très précis, c'est-à-dire [TRADUC-
TION] «lorsque l'objet même de l'action serait
annihilé par une audience tenue devant une Cour
publique, comme dans le cas de certains procédés
secrets de fabrication», et lorsque [TRADUCTION]
«il y aurait effectivement un déni de justice» (à la
page 445) dans un cas particulier. Lorsque le
caractère secret ou confidentiel des renseignements
est précisément ce qui est en litige dans une procé-
3 [1913] A.C. 417 (H.L.), à la p. 446.
4 [1982] 1 R.C.S. 175.
dure, la partie qui cherche à protéger ces rensei-
gnements serait très certainement dissuadée de
demander justice devant la Cour si «le secret
devait être communiqué au monde entier» (à la
page 445). En l'espèce, le requérant hésite à
demander justice non parce que les procédures
mêmes de la Cour canadienne de l'impôt pour
lesquelles il demande le huis clos seraient vaines si
elles avaient lieu devant une cour publique, mais
plutôt parce que d'autres procédures hypothétiques
pourraient par la suite avoir lieu devant un autre
tribunal. Ce n'est pas là, selon moi, ce que le comte
Loreburn avait en vue'.
Même si c'est ce qu'envisageait le comte Lore-
burn, une lecture attentive des opinions des cinq
lords juges qui ont entendu l'affaire Scott montre
que la portée du consensus était beaucoup plus
étroite' et qu'elle peut se réduire à deux proposi
tions. La première est que le principe général selon
lequel les cours doivent administrer publiquement
la justice est [TRADUCTION] «l'une des plus impor-
tantes garanties de nos libertés» et «constitue le
fondement même de la sécurité publique et pri-
vée»'. La deuxième est que ce principe général
[TRADUCTION] «souffre d'apparentes exceptions»
qui elles-mêmes [TRADUCTION] «résultent d'un
. principe plus fondamental selon lequel l'objectif
premier des cours de justice doit être de faire en
sorte que justice soit rendue»». Ces [TRADUCTION]
«exceptions définies strictement» 9 ... «qui sont
L'avocat a prétendu, en invoquant la décision de lord
Denning, M.R., dans l'affaire Attorney -General v. Butter-
worth, [1962] 3 All E.R. 326 (C.A.), que les cours peuvent
procéder à huis clos lorsque des audiences publiques dissuade-
raient des témoins de comparaître pour apporter leur contribu
tion à des procédures judiciaires. Il s'agit là d'une interpréta-
tion absolument erronée de cette décision, qui a déclaré tout
simplement [TRADUCTION] «que le fait d'exercer des représail-
les contre un témoin constitue un outrage au tribunal, peu
importe que celles-ci aient lieu pendant ou après l'instance» (à
la p. 329). Cette décision a pour effet d'affaiblir plutôt que
d'étayer le critère de «dissuasion» tel qu'il est interprété par le
requérant.
6 Dans B. (otherwise P.) v. Attorney -General, [1965] 3 All
E.R. 253 (P.D.A.), le juge Wrangham, en commentant le
critère de «dissuasion» établi par le comte 'Loreburn, a déclaré
ce qui suit: [TRADUCTION] «Tel n'était cependant pas, selon
moi, l'avis exprimé clairement par les autres lords juges dans
cette affaire» (à la p. 255).
Lord Shaw de Dunfermline, à la p. 476.
» Vicomte Haldane, L.C., à la p. 437.
9 Ibid., à la p. 434.
reconnues, à l'application de la règle exigeant la
publicité des cours de justice s'appliquent premiè-
rement dans des affaires de pupilles sous tutelle
judiciaire; deuxièmement, dans des cas d'aliénés;
et troisièmement, dans les affaires où le secret,
comme, par exemple, le secret entourant un pro-
cédé de fabrication, une découverte ou une inven
tion — des secrets industriels — est l'essence
même de la cause . .. Le troisième cas, soit celui
des procédés, inventions ou documents secrets, ou
autres éléments semblables, dépend du fait sui-
vant: les droits du justiciable sont liés au respect
du secret. Divulguer ces renseignements à la
faveur de la publication d'une instance devant une
cour de droit entraînerait la disparition de la pro
tection même que le justiciable cherche à obtenir
devant la Cour» '°.
Il est vrai, comme le souligne le comte Lore-
burn, qu' [TRADUCTION] «il serait impossible
d'énumérer ou de prévoir toutes les situations pos
sibles», mais toute extension des exceptions recon-
nues au-delà de la portée étroite qui leur a été
donnée par le vicomte Haldane, par lord Halsbury
et par lord Shaw de Dunfermline ne devrait être
accordée qu'avec une extrême prudence et dans les
circonstances les plus extraordinaires.
De toute façon, il est un peu futile de spéculer
sur la façon d'interpréter l'opinion des lords juges
dans l'arrêt Scott puisque, à mon avis, ces princi-
pes ont été incorporés au droit canadien unique-
ment dans la mesure où ils ont été adoptés par le
juge Dickson, plus tard juge en chef, dans l'arrêt
MacIntyre", en ces termes:
Il est aujourd'hui bien établi cependant que le secret est
l'exception et que la publicité est la règle. Cela encourage la
confiance du public dans la probité du système judiciaire et la
compréhension de l'administration de la justice. En règle géné-
rale, la susceptibilité des personnes en cause ne justifie pas
qu'on exclut le public des procédures judiciaires.
Selon les autorités, sauf à quelques exceptions bien établies,
comme le cas des enfants, des malades mentaux ou des procé-
dés secrets, les procédures judiciaires doivent toutes se dérouler
en public.
À mon avis, restreindre l'accès du public ne peut se justifier
que s'il est nécessaire de protéger des valeurs sociales qui ont
préséance.
1° Lord Shaw de Dunfermline, aux p. 482 et 483.
Supra, note 4, aux p. 185 à 186. Voir aussi McCleery c. La
Reine, [1974] 2 C.F. 352 (C.A.), à la p. 357.
Une illustration récente de circonstances
extraordinaires qui ont justifié un élargissement
des «catégories» mentionnées dans l'arrêt Scott est
donnée dans l'affaire R. c. A. 12 , où la Cour
suprême du Canada a ordonné que le pourvoi
devant elle soit entendu à huis clos parce que la
divulgation des procédures mettait en danger la
sécurité d'une personne et des membres de sa
famille, lorsque cette personne, alors sous la pro
tection de la gendarmerie royale, était assignée à
témoigner au cours d'une instance pénale.
En lisant les arrêts Scott et Maclntyre, il faut se
rappeler a) que dans les deux cas les cours
n'étaient pas habilitées par la loi à ordonner la
tenue d'audiences à huis clos et b), plus important
encore, que les principes énoncés dans la Charte
[Charte canadienne des droits et libertés, qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n°
44] ] n'entraient pas en jeu.
On pourrait prétendre que les exceptions recon-
nues par la common law ont perdu une partie de
leur rigueur par suite de l'entrée en vigueur de
nombreuses exceptions d'origine législative par les-
quelles le Parlement indique expressément aux
cours que, dans une situation donnée, il est possible
de faire exception au principe de la publicité. On
pourrait prétendre, au contraire, que les disposi
tions législatives sont généralement adoptées pour
confirmer des cas qui, de toute façon, seraient visés
par les exceptions reconnues par la common law.
Il n'y a toutefois pas lieu de choisir entre ces
deux points de vue puisque, avec l'adoption de la
Charte et, plus précisément, avec la reconnais
sance de la liberté de presse à l'alinéa 2b) de
celle-ci, la publicité des cours est devenue un prin-
cipe mieux reconnu et mieux protégé qu'il ne
l'était en vertu de la common law. Comme l'a
déclaré le juge Cory dans Edmonton Journal c.
Alberta (Procureur général) u:
Il semblerait alors que les libertés consacrées par l'al. 2b) de la
Charte ne devraient être restreintes que dans les cas les plus
clairs.
Par conséquent, une disposition législative permet-
tant la tenue de procédures à huis clos ne sera
12 [1990] 1 R.C.S. 992.
13 [1989] 2 R.C.S. 1326, à la p. 1336.
valide conformément à la constitution «que dans
les cas les plus clairs», soit, pour reprendre les mots
du juge Dickson dans l'arrêt. Maclntyre, «s'il est
nécessaire de protéger des valeurs sociales qui ont
préséance». En ce sens, je dirais que la Charte a
redonné sa dimension originale au principe de la
publicité, si tant, est que ce principe fût dilué par
des exceptions d'origine législative.
En l'espèce, la crainte qu'a le requérant de subir
des conséquences fâcheuses pour sa carrière si les
procédures de la Cour canadienne de l'impôt
devaient se tenir en public ne peut, même avec
beaucoup d'imagination, constituer un de ces «cas
les plus clairs» qui justifierait une exception au
principe général de publicité de notre système
judiciaire. Le droit d'intérêt public que le requé-
rant tente de faire valoir contre le droit d'intérêt
public relatif à la publicité est celui de la nécessité
de ne pas dissuader les contribuables de procéder à
des auto-cotisations honnêtes de leur impôt sur le
revenu en les rendant passibles de conséquences
fâcheuses. Si ce droit d'intérêt public qui appelle
des audiences à huis clos avait été une valeur qui a
«préséance», le Parlement en aurait fait une règle
plutôt qu'une exception, comme le prévoit l'article
16 de la Loi. Il est vrai que l'article 241 de la Loi
de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72,
chap. 63 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 1,
art. 101, item 46; 1980-81-82-83, chap. 48,
art. 107; chap. 68, art. 117; chap. 140, art. 126;
1984, chap. 19, art. 30; 1986, chap. 55, art. 77;
1987, chap. 46, art. 68; 1988, chap. 51, art. 14;
chap. 55, art. 183; 1990, chap. 1, art. 30,
chap. 35, art. 26)] reconnaît que le caractère con-
fidentiel des renseignements est nécessaire à l'ap-
plication adéquate et efficace de la Loi de l'impôt
sur le revenu, mais je ne suis pas prêt à considérer
le caractère confidentiel pour les fins de la Loi de
l'impôt sur le revenu comme l'une des circons-
tances qui, selon l'article 16 de la Loi sur la Cour
canadienne de l'impôt, «justifie» la tenue d'audien-
ces à huis clos.
Permettre à quelqu'un de demander justice à
huis clos dans le seul but de dissimuler à un
organisme professionnel une conduite qui pourrait
donner lieu à des procédures disciplinaires serait
faire précisément ce contre quoi lord Shaw de
Dunfermline a mis les cours en garde dans l'arrêt
Scott, aux pages 484 et 485:
[TRADUCTION] Il reste le point suivant. En admettant que le
principe de la publicité de la justice peut s'accommoder d'un
secret obligatoire dans les affaires portant sur des intérêts et
des biens patrimoniaux, notamment lorsqu'il s'agit de secrets
industriels ou de documents confidentiels, la peur de témoigner
en public sur des questions de statut, comme en l'espèce, ne
peut-elle pas dissuader des témoins délicats de rendre témoi-
gnage, et inciter plutôt des demandeurs susceptibles à renoncer
à l'exercice de leurs droits? Ne serait-ce pas là une bonne
raison pour appliquer la justice à huis clos en pareil cas?
Autrement, selon l'argument, la justice serait contrariée dans
certains cas. Vos Seigneuries, ce motif est très dangereux.
L'expérience montre que la réticence à dévoiler leurs intérêts
privés en public incite bon nombre de citoyens à renoncer à
leurs justes revendications. Il ne fait aucun doute que bon
nombre d'affaires semblables auraient pu être portées devant
les tribunaux si ceux-ci tenaient des séances secrètes. Mais, à
mon avis, céder à ces sentiments risquerait d'entraîner les
dangers mêmes à la liberté en général, et à la société dans
son ensemble, contre lesquels la publicité tend à nous
protéger ... 14
De plus, interpréter l'article 16 comme le sug-
gère le requérant pourrait fort bien conduire à des
exceptions injustifiées aux règles établies aux arti
cles 3 et 5 de la Loi sur la preuve au Canada 15 et
à l'article 13 de la Charte. Il se peut, et je ne
voudrais pas donner l'impression d'exprimer mon
opinion sur cette question, que le requérant, après
avoir témoigné devant la Cour canadienne de l'im-
pôt, invoque par la suite devant le tribunal discipli-
naire la protection contre les témoignages incrimi-
nants prévue à l'article 5 de la Loi sur la preuve
au Canada et à l'article 13 de la Charte; mais
même si tel était le cas, ni la Charte, ni la Loi sur
la preuve au Canada ne lui accorderait quelque
protection contre la publicité de l'audience tenue
devant la Cour canadienne de l'impôt. En ce qui a
trait au témoignage qui pourrait entraîner des
14 L'avocat s'est fondé sur la décision «A (Dr.)„ and Council
of College of Physicians and Surgeons, Re (1965), 53 D.L.R.
(2d) 667 (C.S.C.-B.), dans laquelle la Cour suprême de la
Colombie-Britannique a accepté d'entendre à huis clos un appel
interjeté d'une décision du Collège des médecins et des chirur-
giens privant l'appelant de son droit de pratiquer sa profession.
L'audience devant le conseil s'était tenue à huis clos. Cette
décision n'est pas pertinente, puisqu'elle n'est tout au plus
qu'une indication du fait que les cours d'appel ou de révision
peuvent décider de tenir des audiences à huis clos lorsque les
procédures visées par l'appel ou par la révision ont elles-mêmes
eu lieu à huis clos. C'est effectivement la pratique suivie par
notre Cour en l'espèce. Au sujet de cette pratique, voir R y
Chief Registrar of Friendly Societies ex p New Cross Building
Society, [1984] 2 All ER 27 (C.A.), à la p. 31, Sir John
Donaldson M.R.
15 L.R.C. (1985), chap. C-5.
procédures pénales, la protection s'appliquerait à
l'égard de son emploi et non à l'égard de sa
publicité, tandis que, dans des procédures discipli-
naires éventuelles, la protection s'appliquerait à
l'égard de l'emploi du témoignage comme à l'égard
de sa publicité: il s'agit là d'une position intenable.
Permettre une audience à huis clos devant la Cour
canadienne de l'impôt par crainte de mesures dis-
ciplinaires éventuelles équivaudrait à accorder au
requérant une protection que la Charte n'accorde
même pas aux témoins qui craignent des procédu-
res pénales.
Pour reprendre les termes du juge en chef
adjoint de la Cour canadienne de l'impôt, «je ne
connais aucune affaire, et (l'avocat du requérant)
n'a pu en trouver aucune, qui, dans les faits,
suggère que l'appréhension d'un appelant d'être
assujetti à des procédures disciplinaires pour inob-
servation des règles de l'organisme professionnel
auquel il appartient est un motif adéquat pour
qu'on ordonne la tenue d'audiences à huis clos
devant un tribunal judiciaire».
Puisqu'il n'y a aucune erreur de droit et que le
juge en chef adjoint a exercé judiciairement sa
discrétion à l'égard des faits de l'espèce, je rejette-
rais la requête, sous réserve que l'ordonnance à
huis clos accordée à l'égard de la procédure devant
notre Cour soit maintenue et que les présents
motifs soient rendus publics avec l'utilisation des
lettres «C.D.» pour identifier le requérant.
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.