T-2182-86
Mondel Transport Inc. (demanderesse)
c.
Afram Lines Ltd. (défenderesse)
et
Afram Lines Ltd. (demanderesse reconvention-
nelle)
c.
Mondel Transport Inc. et Sa Majesté la Reine du
Chef du Canada (défenderesses reconventionnel-
les)
RÉPERTORIÉ: MONDEL TRANSPORT INC. C. AFRAM LINES LTD.
(1" INST.)
Section de première instance, juge Addy —Mont-
réal, 18 avril; Ottawa, 14 septembre 1990.
Droit maritime — Responsabilité délictuelle — Action en
vue de recouvrer les frais juridiques et les dépens engagés pour
obtenir la libération judiciaire d'une cargaison saisie illégale-
ment par le transporteur — Le délit de l'abus de procédure,
qui est reconnu en common law, s'applique aux recours en
amirauté, pourvu que l'on ait établi la mauvaise foi ou une
intention malveillante non justifiée — Action accueillie — Le
transporteur savait qu'il n'avait pas le droit de saisir la
cargaison et la demanderesse s'est vu forcée soit de payer le
fret, soit d'engager des procédures pour obtenir la mainlevée
de la saisie — Travestissement de la justice pour extorquer de
l'argent de cette façon — L'action que la demanderesse a
intentée en vue d'obtenir la mainlevée de la saisie de la
cargaison est justifiée — L'action en paiement du fret fondée
sur le motif que le propriétaire et la demanderesse savaient
que les connaissements étaient entachés de fraude au moment
du paiement est rejetée — Il n'a pas été établi que d'autres
parties ont accepté l'insertion de la clause «le fret doit être
payé intégralement avant la livraison de la cargaison» dans les
connaissements — Il n'a pas été établi que le propriétaire et la
demanderesse savaient que les connaissements n'étaient pas
autorisés avant de payer.
Il s'agit d'une action en dommages-intérêts en vue de recou-
vrer les frais que Mondel a engagés pour se rendre à Abidjan
afin d'obtenir la libération judiciaire de la cargaison et d'une
demande reconventionnelle visant à obtenir le paiement du fret
se rapportant au transport par voie maritime d'une cargaison
d'huile de colza canola. Selon le contrat d'affrètement conclu
entre Mondel et le propriétaire de la cargaison, le paiement
devait être fait cinq jours après la livraison. Des ententes
correspondantes se rapportant à la partie maritime du contrat
de transport ont été conclues entre Mondel et Merchants et
entre Merchants et Afram. Même si Afram savait que des
conditions identiques à celles qui se trouvaient dans la partie du
contrat d'affrètement se rapportant au fret s'appliquaient, les
connaissements qu'elle a établis après que Mondel et Mer
chants ont été payées renfermaient les mots «fret payé à
l'avance» et la clause «le fret doit être payé intégralement avant
la livraison de la cargaison». Cette dernière clause a été dacty-
lographiée à l'aide d'une machine à écrire différente de celle
qui a été utilisée pour le reste du connaissement. Les mots «fret
payé à l'avance» indiquent seulement que le transporteur
renonce à son droit normal d'utiliser la cargaison comme
garantie du paiement du fret. Ces mots apparaissent également
sur le manifeste de la cargaison. Lorsque la cargaison est
arrivée à Abidjan, Afram a refusé de la remettre, pour le motif
que le fret n'avait pas été payé et que les connaissements que
Merchants avait donnés à Mondel étaient entachés de fraude,
puisqu'ils n'avaient été signés ni par Afram ni par un manda-
taire autorisé. Afram a avisé le propriétaire et Mondel qu'elle
avait l'intention de se départir d'une partie de la cargaison par
vente judiciaire. Mondel a envoyé un avocat et deux représen-
tants de son entreprise à Abdijan pour obtenir une mainlevée de
la saisie par les tribunaux. La première communication écrite
adressée au propriétaire ou à Mondel au sujet des connaisse-
ments non autorisés a été faite cinq jours après que le proprié-
taire a payé Mondel et quatre jours après que celle-ci a payé
Merchants. Afram a allégué que le propriétaire et Mondel
avaient omis de déterminer si Merchants était autorisée à
signer les connaissements sur le navire d'Afram après avoir
appris qu'ils étaient entachés de fraude, qu'ils ont omis de
protéger l'argent du fret des actes illégaux de Merchants et
qu'ils ont bénéficié illégalement de ces actes, sachant que les
connaissements étaient frauduleux. Les questions en litige con-
sistaient à savoir si le propriétaire, lorsqu'il a payé Mondel et
que celle-ci a payé Merchants, savait qu'Afram soutenait que
les connaissements étaient entachés de fraude et si Mondel
avait droit au remboursement de ses frais juridiques.
Jugement: l'action en dommages-intérêts fondée sur le délit
de l'abus de procédure devrait être accueillie et l'action en
paiement du fret devrait être rejetée.
Afram n'a pas établi que le propriétaire et Mondel avaient
été avisés, avant de payer le fret, du fait que les connaissements
que Merchants a remis à Mondel n'étaient pas autorisés. Ils ont
été informés de ce fait après le paiement à Merchants. Le
manifeste de cargaison était une preuve importante du fait que,
lors du chargement de la cargaison, l'entente entre l'expéditeur
de fret et le transporteur était que celui-ci ne se servirait pas de
la cargaison comme garantie du paiement du fret. Il n'y a
aucune preuve indiquant que les autres parties ont accepté
l'insertion de la clause contradictoire «le fret doit être payé
intégralement avant la livraison de la cargaison». Les alléga-
tions d'enrichissement sans cause n'étaient pas fondées, étant
donné que ni Mondel ni le propriétaire n'ont joui d'un avan-
tage, puisqu'ils ont payé les frais de fret.
Il n'y avait pas de contrat entre Afram et Mondel ou entre
Afram et le propriétaire. Mondel devait donc fonder sa
demande de remboursement des frais sur un délit. Le délit de
l'abus de procédure pour lequel une indemnité, y compris des
dommages-intérêts exemplaires, peut être réclamée a une
portée restreinte et il faut établir la mauvaise foi ou l'existence
d'une intention inappropriée ou malveillante non fondée à
l'appui des poursuites judiciaires intentées. Tous les frais et
dépens raisonnables engagés pour contester ou poursuivre une
action peuvent être recouvrés en droit. Le délit de l'abus de
procédure reconnu en common law s'applique aux recours en
amirauté, compte tenu du principe de la restitutio in integrum,
qui a été reconnu davantage en droit de l'amirauté qu'en
common law, en raison de l'adoption par les tribunaux de
l'amirauté de certains principes de droit civil. Afram savait que
le fret devait être payé avant l'expédition des marchandises et
elle était au courant des conditions de paiement convenues
entre les propriétaires et Mondel. Elle a dû comprendre qu'elle
n'avait pas le droit de saisir la cargaison ou le fret. Elle devait
également savoir que Mondel serait forcée de payer le fret ou
d'engager immédiatement des procédures à Abidjan pour obte-
nir la mainlevée de la saisie. On a utilisé la procédure judiciaire
de façon abusive pour extorquer de Monde] et du propriétaire
une somme d'argent que ni l'une ni l'autre de ces parties
n'étaient légalement tenues de payer. La saisie de la cargaison
et la menace de vendre immédiatement celle-ci constituaient
une forme de chantage commercial. Mondel était entièrement
justifiée de prendre toutes les mesures raisonnables pour obte-
nir la mainlevée de la saisie afin d'éviter un préjudice financier
important dans l'immédiat et une perte considérable d'achalan-
dage et de possibilités contractuelles pour l'avenir. Même s'il
est rarement possible de recouvrer comme dommages-intérêts
tous les dépens et les frais juridiques raisonnables, Afram est
tenue de les rembourser à Mondel.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
The Torsol (1938), 61 L1. L. Rep. 207 (Adm. Div.);
Xenos v. Aldersley—The Evangelismos, [1878] 12 Moo.
352; (1878), 14 E.R. 945 (P.C.); Turnbull v. Owners of
Ship «Strathnaver» (1875), 1 App. Cas 58 (P.C.); Guil-
ford Industries Ltd. v. Hankinson Management Services
Ltd. et al. (1973), 40 D.L.R. (3d) 398; [1974] 1 W.W.R.
141 (C.S.C.-B.); Vantage Navigation Corporation v.
Suhail and Saud Bahwan Building Materials LLC (The
Alev), [1989] 1 Lloyd's Rep. 138 (Q.B.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Hammond v. Bussey (1887), 20 Q.B.D. 79 (C.A.);
Weinstein et al. v. A.E. LePage (Ontario) Ltd. et al.
(1984), 47 O.R. (2d) 126; 10 D.L.R. (4th) 717; 4 O.A.C.
234; 34 R.P.R. 63 (C.A.); Agius v. Great Western Col
liery Company, [1899] 1 Q.B. 413 (C.A.); Kasler and
Cohen v. Slavouski, [1928] 1 K.B. 78; Crispin & Co. v.
Evans, Coleman & Evans Ltd. (1922), 31 B.C.R. 328;
68 D.L.R. 623; [1922] 3 W.W.R. 264 (C.S.); Hadley v.
Baxendale (1854), 9 Ex. 341.
DÉCISION EXAMINÉE:
Atland Containers Ltd. v. Macs Corp. Ltd. et al. (1974),
7 O.R. (2d) 107; 54 D.L.R. (3d) 363; 17 C.P.R. (2d) 16
(H.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
Chastine Maersk (Le) c. Trans -Mar Trading Co. Ltd.,
T-1357-74, motifs du juge Mahoney, jugement en date du
6-11-74, C.F. 1" inst., non publié; C.P. Ships c. Les
Industries Lyon Corduroys Ltée, [1983] 1 C.F. 736;
(1982), 21 B.L.R. 185; 44 C.B.R. (N.S.) 163 (1 fe inst.);
The Eudora (1879), 4 P.D. 208.
AVOCATS:
Andrew J. Ness pour la demanderesse/défen-
deresse reconventionnelle.
David G. Colford pour la défenderesse/
demanderesse reconventionnelle.
Danièle Dion pour la défenderesse reconven-
tionnelle Sa Majesté la Reine.
PROCUREURS:
Marier, Sproule & Pilotte, Montréal, pour la
demanderesse/défenderesse reconventionnelle.
Brisset Bishop Davidson, Montréal, pour la
défenderesse/demanderesse reconventionnelle.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse reconventionnelle Sa Majesté la
Reine.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE ADDY: La présente action porte sur le
paiement du fret se rapportant à la partie mari
time du transport d'une cargaison d'huile de colza
canola que l'ACDI a envoyée en Afrique par
l'entremise du ministère des Approvisionnements
et Services (MAS).
Après avoir soumis une offre qui a été retenue,
la demanderesse «Mondel» a obtenu de Sa Majesté
la Reine, par l'entremise du MAS, une entente
relative au transport de la cargaison du port de
Montréal au port d'Abidjan, en Côte d'Ivoire, et
par la suite, par voie terrestre aux États de Bur-
kina Faso et du Niger. Conformément à l'entente,
Mondel a conclu un contrat d'affrétement avec le
MAS. Elle a ensuite conclu une entente correspon-
dante avec Merchants North America Shipping
Limited, ci-après appelée «Merchants», relative-
ment à la partie maritime du transport. Merchants
s'est engagée à se conformer à toutes les conditions
du contrat d'affrétement conclu entre Mondel et le
MAS, sauf en ce qui a trait au taux de fret. Peu de
temps après, Merchants a conclu un contrat de
prêt à court terme avec Afram Lines Limited,
ci-après appelée «Afram», relativement à la partie
maritime du transport de ladite cargaison de
Montréal au port d'Abidjan. Des connaissements
ont subséquemment été établis relativement à cette
entente.
Lorque la cargaison est arrivée à Abidjan,
Afram a refusé de la livrer, pour le motif qu'elle
n'avait pas reçu le paiement du fret et que ni
Afram ni une personne autorisée par celle-ci
n'avaient signé les connaissements que Mondel a
reçus de Merchants et que les mandataires de
Mondel ont présentés. Les parties ont admis ce
fait. Afram a soutenu que les connaissements pré-
sentés par Merchants étaient entachés de fraude.
Le MAS a payé Mondel qui, à son tour, a payé
Merchants, mais celle-ci n'a jamais payé et a
refusé de payer Afram, en raison de graves conflits
qui les opposaient. Afram a donc avisé Mondel et
le MAS que, afin d'obtenir le paiement de sa
créance relative au fret, elle avait l'intention de
disposer d'une partie de la cargaison par vente
judiciaire à Abidjan, à moins de recevoir le paie-
ment immédiat du fret. Le MAS a fait savoir à
Mondel que, à moins que les marchandises ne
soient libérées, il prélèverait des sommes d'argent
à même la lettre de crédit que Mondel avait
déposée conformément à son contrat et qu'il la
tiendrait également responsable du préjudice
découlant de la non-livraison.
Par la suite, Mondel a envoyé un de ses avocats
et deux de ses représentants à Abidjan pour obte-
nir une mainlevée judiciaire de la saisie. L'avocat
de Mondel a présenté une demande devant un
tribunal de la Côte d'Ivoire en vue d'obtenir la
mainlevée immédiate de la saisie de la cargaison et
sa demande a été acceptée.
Les revendications des parties peuvent se résu-
mer comme suit.
Mondel réclame de la société Afram la somme
de 79 104,88 $ à l'égard des frais qu'elle a engagés
pour obtenir la mainlevée de la saisie à Abidjan.
Afram nie être responsable et réclame de Mondel
ainsi que du MAS la somme de 179 440 $ U.S. (ou
251 220,60 $ CAN) pour le fret, soutenant que
ceux-ci ont omis de vérifier si Merchants était
autorisée à signer les connaissements sur le navire
d'Afram après avoir été avisés qu'ils étaient enta-
chés de fraude, qu'ils ont omis d'adopter des mesu-
res visant à protéger l'argent du fret des actes
frauduleux et illégaux de Merchants et qu'ils ont
bénéficié illégalement desdits actes, puisqu'ils
savaient ou étaient en mesure de savoir que les
connaissements étaient entachés de fraude.
La cargaison destinée à être envoyée à Abidjan
avait quitté le port de Montréal à bord du navire
Philippi, qui avait été affrété par Afram et était
exploité au nom de celle-ci. Dès l'arrivée du navire
à Abidjan le 16 janvier 1986, Afram a saisi la
cargaison après avoir obtenu du tribunal local une
ordonnance ex parte, étant donné que ces saisies
ne peuvent être faites au Niger sans l'autorisation
du tribunal. L'ordonnance de mainlevée de la
saisie a été obtenue le 13 février. Entre-temps, le
7 février, Afram a libéré volontairement la
majeure partie de la cargaison, étant donné que la
quantité initialement saisie était nettement exagé-
rée, compte tenu du montant réclamé à l'égard du
fret.
De l'aveu des parties, le connaissement que
Mondel a présenté au MAS après l'avoir obtenu de
Merchants et sur la foi duquel elle a payé Mer
chants après avoir elle-même été payée par le
MAS n'était pas un connaissement qu'avait
approuvé le capitaine du Philippi ou un manda-
taire autorisé d'Afram. Cependant, l'avocat
d'Afram a admis aisément qu'on ne pouvait repro-
cher à Mondel d'avoir omis de vérifier, lorsqu'elle
a reçu les connaissements, le pouvoir réel de la
personne qui a prétendu les signer au nom de
Merchants, les parties reconnaissant que les per-
sonnes oeuvrant dans le domaine de l'expédition ne
procèdent normalement pas à ce genre de vérifica-
tion, à moins qu'il n'existe une cause de préoccupa-
tion spéciale, car la poursuite des activités devien-
drait impossible, compte tenu des centaines de
connaissements établis chaque jour.
Selon le contrat initial conclu avec le MAS, les
connaissements devaient être établis selon la for-
mule Baltimore «C» et le MAS devait payer cinq
jours après l'exécution de la totalité du travail ou
cinq jours après la réception des documents justifi-
catifs, selon la plus tardive des deux dates. Afram
était bien au courant de ces conditions lorsqu'elle a
conclu son entente avec Merchants et elle savait
qu'elle conclurait une entente correspondante con-
forme aux contrats intervenus entre Merchants et
Mondel et entre cette dernière et le MAS. En
d'autres termes, Afram savait et elle a effective-
ment confirmé qu'elle réservait des services de
transport maritime conformément à une entente
correspondante dont les conditions étaient identi-
ques à celles de la partie maritime du contrat
d'affrétement. Afram avait une copie de ce contrat
d'affrétement.
Il n'a pas été prouvé que le connaissement de
type Baltimore «C» que Merchants a signé était
inexact quant au montant ou quant à la nature de
la cargaison expédiée et cette question n'a pas fait
l'objet de contestation. Les mandataires de Mer
chants ont présenté les connaissements à Mondel
le 22 décembre 1985 et celle-ci les a soumis au
MAS vers le 23.
La principale controverse dans le présent litige
porte sur la question de savoir si le MAS savait,
lorsqu'il a payé Mondel et que celle-ci a payé
Merchants sur la foi des connaissements, que la
société Afram soutenait qu'ils étaient entachés de
fraude ou qu'ils n'étaient pas autorisés. Je constate
que le MAS a payé Mondel le 8 janvier et que
celle-ci a payé Merchants le lendemain.
Afram n'a pas préparé de connaissement de type
Baltimore «C», comme l'exigeait la charte-partie,
mais elle a établi des connaissements spéciaux
selon la forme qu'exigeaient apparemment les pro-
priétaires du navire et les assureurs. Les connaisse-
ments ne comportaient pas les conditions de l'offre
du MAS, contrairement à ce qui était stipulé dans
la charte-partie du MAS, et Afram comptait effec-
tivement transporter une partie de la marchandise
sur le pont, même si elle savait très bien que le
MAS avait demandé le transport sous le pont. Les
connaissements de la société Afram portent la date
du 22 décembre 1985, mais ils n'ont été établis
que le 13 janvier 1986.
J'ai de sérieux doutes au sujet du témoignage de
M. Bott et je ne suis pas prêt à conclure, contrai-
rement à ce qu'il a soutenu, qu'il a parlé aux gens
du MAS et de Mondel le 7 janvier ou en tout
temps avant le paiement fait par celle-ci le 9 jan-
vier, au sujet des connaissements non autorisés que
Merchants a présentés, ou qu'il leur a effective-
ment dit avant ce moment-là que les connaisse-
ments étaient entachés de fraude. La première
communication écrite qui porte sur cette question
est en date du 13 janvier. M. Lambert et M. De-
lorme ont dit tous deux au cours de leur témoi-
gnage qu'ils n'avaient reçu aucun avis de la société
Afram avant le paiement du fret à Merchants. Il
est effectivement difficile de concevoir qu'une per-
sonne du MAS paierait, sans enquête, le montant
du fret à Mondel ou que celle-ci le paierait à
Merchants à un moment où le transporteur Afram
soutenait que les connaissements étaient entachés
de fraude. Il est également difficile de comprendre
pourquoi, si Afram a appris que Merchants avait
présenté ou qu'elle avait l'intention de présenter
des connaissements entachés de fraude, elle n'a pas
avisé immédiatement Mondel et le MAS de ce fait
par écrit. Il appert manifestement des documents
que, même le 3 janvier 1986, Afram cherchait
encore à se faire payer par Merchants et ce n'est
que quelque temps après qu'elle a décidé de pré-
senter sa demande de paiement au MAS et à
Mondel ou au consignataire.
Même les connaissements que la société Afram
a établis et sur lesquels elle se fonde pour contester
l'action de Mondel et formuler des réclamations
dans sa propre action renfermaient les mots «fret
payé à l'avance». Évidemment, cela ne signifie pas
que le transporteur a effectivement été payé; cela
indique simplement qu'il renonce à son droit
normal de conserver la cargaison comme garantie
du paiement du fret. Voir l'arrêt Chastine Maersk
(Le) c. Trans -Mar Trading Co. Ltd., jugement
non publié du juge Mahoney en date du
6 novembre 1974, dossier T-1357-74; C.P. Ships
c. Les Industries Lyon Corduroys Ltée, [1983] 1
C.F. 736 (ire inst.).
Afram a invoqué certains arrêts américains
selon lesquels, même si le propriétaire des mar-
chandises et l'expéditeur peuvent se fonder sur les
mots «fret payé à l'avance» inscrits à l'endos, il sera
quand même loisible à un tribunal de conclure
qu'il existait entre le transporteur et le consigna-
taire une entente interdisant à celui-ci de refuser
de payer sur livraison; le tribunal permettra alors
au transporteur de revendiquer un privilège et de
saisir les marchandises en garantie du paiement du
fret. Je ne formulerai aucun commentaire sur la
question de savoir si ce principe serait reconnu par
nos tribunaux, étant donné que, en l'espèce, le
consignataire et Mondel ou son cessionnaire,
comme transporteur, ne font qu'un, puisque la
cargaison devait être expédiée aux consignataires
finals uniquement après le parcours par voie ter-
restre vers sa destination finale.
Cependant, le connaissement de la société
Afram renferme également les mots [TRADUC-
TION] «le fret doit être payé intégralement avant la
livraison de la cargaison». Fait étrange, les deux
expressions, qui sont fondamentalement contradic-
toires, sont paraphées par Twelve Oaks, les man-
dataires autorisés de la société Afram, qui n'a
donné aucune explication sur la question de savoir
pourquoi ces conditions contradictoires ont toutes
deux été intégrées. Cependant, cette dernière
clause portant que le fret doit être payé sur livrai-
son a été écrite à l'aide d'une machine à écrire
différente de celle qui a été utilisée pour le reste du
connaissement et les mots «fret payé à l'avance».
Le manifeste de fret, qui est daté du 27 décembre
et qui est également signé au nom d'Afram, com-
porte également les mots «fret payé à l'avance»
pour tous les articles et éléments qui y sont men-
tionnés. Bien qu'un manifeste de fret ne soit pas un
document attestant le titre de propriété, l'inscrip-
tion, tout au long de ce document, des mots «fret
payé à l'avance» constitue une preuve importante
du fait que, lors du chargement de la cargaison,
l'entente entre l'expéditeur de fret et le transpor-
teur était que celui-ci ne se servirait pas de la
cargaison comme garantie du paiement du fret.
Un autre élément important de preuve concer-
nant la séquence des événements est la pièce 6, qui
est un télex en date du 13 janvier que la société
Afram Lines a fait parvenir à ses mandataires
Twelve Oaks pour leur demander d'inscrire sur les
connaissements les mots [TRADUCTION] «le fret
doit être payé intégralement avant la remise du
connaissement». Cette directive a été modifiée par
un appel téléphonique du même jour selon lequel il
fallait plutôt ajouter les mots [TRADUCTION] «le
fret doit être payé intégralement avant la livraison
de la cargaison» qui correspondent, comme je l'ai
déjà mentionné, aux mots effectivement inscrits
sur les connaissements de la société Afram. Cela
prouve assez clairement que ce n'est que le 13 jan-
vier que ces derniers mots susmentionnés ont été
inscrits sur le connaissement et il n'y a aucune
preuve digne de foi établissant que ce changement
a été accepté, que ce soit de façon explicite ou
implicite, par le MAS, Mondel, Merchants ou les
consignataires.
Dans l'ensemble, mise à part la question de
savoir si Afram, étant pleinement au courant des
conditions du contrat d'affrétement conclu entre le
MAS et Mondel, pourrait, en droit, opposer un
privilège sur la cargaison, il est évident que les
réclamations de la société Afram contre Mondel et
le MAS étaient fondées sur la preuve du fait que,
avant de payer les frais de fret, ceux-ci ont effecti-
vement été avisés et prévenus que les connaisse-
ments remis à Mondel par Merchants n'étaient pas
autorisés et qu'Afram les jugeait frauduleux. A
mon sens, non seulement ce fait n'a-t-il pas été
établi, mais bien au contraire, il a été démontré
avec certitude que ces parties n'ont été avisées de
cette situation qu'après le paiement à Merchants.
L'argument supplémentaire de la société Afram
selon lequel elle devrait avoir le droit de recouvrer
le montant qu'elle réclame en raison de l'enrichis-
sement sans cause du MAS ou de Mondel n'a tout
simplement aucun sens: ni l'une ni l'autre de ces
parties n'ont bénéficié de la situation, puisqu'elles
ont effectivement payé les frais de fret. De toute
évidence, la seule partie à l'encontre de laquelle
l'argument de l'enrichissement sans cause pourrait
être invoqué serait Merchants. Les réclamations
que la société Afram a formulées contre ces parties
doivent donc être rejetées.
La réclamation de Mondel relativement au rem-
boursement des frais qu'elle a engagés pour se
rendre à Abidjan afin d'obtenir la mainlevée de la
saisie faite par Afram est un peu plus ténue du
point de vue juridique.
L'avocat de la société Afram a invoqué trois
arrêts anglais pour soutenir que Mondel n'avait
pas le droit de recouvrer à titre de dommages-inté-
rêts les frais et dépens qu'elle a engagés pour
obtenir la mainlevée de la saisie. Les deux pre
miers arrêts portent sur la saisie inappropriée d'un
navire, tandis que le dernier concerne une cargai-
son. Les trois causes en question sont les suivantes:
Xenos v. Aldersley—The Evangelismos, [1878] 12
Moo. 352; (1878), 14 E.R. 945 (P.C.); Turnbull v.
Owners of Ship «Strathnaver» (1875), 1 App.
Cas. 58 (P.C.); et The Eudora (1879), 4 P.D. 208.
Dans chacune de ces causes-là, la demande de
dommages-intérêts concernant la saisie des biens
des demandeurs a été rejetée. L'arrêt The Evange-
lismos, qui concernait un appel d'une décision
rendue par la High Court of Admiralty, est un
arrêt-clé. Le Comité judiciaire du Conseil privé a
subséquemment approuvé les principes de cet
arrêt-là dans un appel d'une décision rendue par la
Vice -Admiralty Court de la Nouvelle-Zélande et,
dans l'arrêt The Eudora, le tribunal a également
confirmé et appliqué ces principes, sans toutefois
dire pourquoi.
Il est important de mentionner que, dans les
deux premiers arrêts, la Cour a pleinement
reconnu qu'une action pour abus de procédure
serait possible si le demandeur pouvait établir la
mauvaise foi ou la négligence grave dont la partie
défenderesse a fait preuve en engageant les pour-
suites judiciaires reprochées.
Aux pages 359 et 360 de l'arrêt The Evangelis-
mos, précité, nous pouvons lire les remarques
suivantes:
[TRADUCTION] Nous sommes d'avis qu'il n'y a pas de raison
de dire que cette cause-là ne s'applique pas ou d'accorder une
indemnité. De toute évidence, il peut y avoir des cas où il y a
mauvaise foi ou négligence grave, ce qui sous-entend une
intention de nuire, de sorte qu'un tribunal de l'amirauté serait
justifié d'accorder une indemnité, puisqu'il est possible de le
faire dans une action en common law. Cependant, les poursui-
tes engagées devant le tribunal de l'amirauté sont plus utiles,
car une indemnité peut être accordée dans l'action où la
principale question en litige est tranchée.
Compte tenu des principes exposés à l'égard des actions
appartenant à cette description, la véritable question en l'espèce
est la suivante: y a-t-il ou non des raisons de dire que l'action
intentée était dénuée de justification, d'apparence de droit ou
de fondement à un point tel qu'elle sous-entend plutôt une
intention de nuire de la part de la partie demanderesse, ou de la
négligence grave, ce qui équivaut à une intention de nuire? À
notre avis, aucun élément de la preuve n'établit la proposition
de la partie appelante.
Dans l'arrêt «Strathnaver», les principes établis
dans The Evangelismos ont été pleinement
approuvés et ont été appliqués de la façon suivante
à la page 67 du rapport précité:
[TRADUCTION] De toute évidence, il peut y avoir des cas où il y
a mauvaise foi ou négligence grave, ce qui sous-entend une
intention de nuire, de sorte qu'un tribunal de l'amirauté serait
justifié d'accorder une indemnité, puisqu'il est possible de le
faire dans une action en common law. Cependant, les poursui-
tes engagées devant le tribunal de l'amirauté sont plus utiles,
car une indemnité peut être accordée dans l'action où la
principale question en litige est tranchée. Nous en sommes
venus à la conclusion que, bien que la preuve soit très solide, en
ce sens que l'on s'est trompé de navire lors de la saisie, en
l'absence de preuve de mauvaise foi ou d'intention de nuire,
nous ne devrions pas condamner les parties qui saisissent un
navire à payer des dommages-intérêts. À notre avis, les princi-
pes de droit généraux qui sont exposés dans ce jugement sont
appropriés et nous avons l'intention de les appliquer. Nous
aviserons donc humblement Sa Majesté que cette partie de la
sentence du savant juge est infirmée.
Bien que l'on ne semble pas avoir parlé explicite-
ment des frais juridiques liés à la contestation
d'une autre action dans ces arrêts-là, mais plutôt
des dommages accessoires découlant de l'introduc-
tion et de la poursuite de l'action, ce sujet est
abordé dans The Torsol (1938), 61 Ll. L. Rep.
207 (Adm. Div.), où le droit de recouvrer les frais
a été reconnu et appliqué. Dans l'arrêt Atland
Containers Ltd. v. Macs Corp. Ltd. et al. (1974), 7
O.R. (2d) 107 (H.C.), qui portait également sur
une réclamation découlant de l'abus de procédure,
la demande a été rejetée, mais le juge de première
instance a reconnu le principe régissant le délit de
l'abus de procédure. Dans le dernier paragraphe de
ses commentaires, le juge Parker, tel était alors son
titre, a dit ce qui suit, à la page 111:
[TRADUCTION] Cependant, les règles concernant l'abus de
procédure ont une portée très restreinte. Elles ne s'appliquent
que lorsque les procédures judiciaires sont utilisées à une fin
inappropriée et qu'il y a une menace ou un acte précis pour
l'accomplissement de cette fin. Aucun acte ou menace de cette
nature n'est invoqué en l'espèce. À tout événement, la demande
reconventionnelle ne peut être incluse dans la présente action,
puisque les causes d'action sont différentes. En conséquence, la
demande reconventionnelle sera rayée avec dépens.
Il semble donc évident qu'en droit canadien, le
délit de l'abus de procédure pour lequel une
indemnité, y compris des dommages-intérêts exem-
plaires, peut être réclamée existe, mais que la
portée de ce droit est restreinte et qu'il faut prou-
ver la mauvaise foi, l'intention de nuire ou un but
inapproprié qui n'est aucunement justifié.
À l'appui de sa demande, Mondel a cité les
arrêts suivants: Hammond v. Bussey (1887), 20
Q.B.D. 79 (C.A.); Weinstein et al. v. A.E. LePage
(Ontario) Ltd. et al. (1984), 47 O.R. (2d) 126
(C.A.); Agius v. Great Western Colliery Com
pany, [1899] 1 Q.B. 413 (C.A.); Kasler and Cohen
v. Slavouski, [1928] 1 K.B. 78; et Crispin & Co. v.
Evans, Coleman & Evans Ltd. (1922), 31 B.C.R.
328 (S.C.). Toutes ces causes portent sur l'applica-
tion de la règle énoncée dans l'arrêt classique
Hadley v. Baxendale (1854), 9 Ex. 341. Dans
chacun de ces jugements-là, on a reconnu que, sous
réserve des règles concernant le caractère éloigné
du préjudice, il est possible de recouvrer a titre de
dommages-intérêts les frais engagés pour poursui-
vre ou contester une autre action. Cependant, dans
tous ces arrêts-là, il s'agissait d'actions découlant
de la rupture d'un contrat. Par ailleurs, l'arrêt The
Torsol, précité, portait sur un délit.
Il n'y avait évidemment aucun lien contractuel
entre Afram et Mondel ou le MAS. Afram avait
conclu une entente avec Merchants. Si Mondel
était tenue, en droit, de fonder sa demande sur la
rupture de contrat, elle ne réussirait certes pas.
Compte tenu de l'arrêt The Torsol et surtout
des principes qui ont été clairement reconnus par
les tribunaux anglais dans les arrêts The Evange-
lismos et «Strathnaver», que la société Afram a
invoqués et qui étaient fondés sur le délit de l'abus
de procédure, je ne vois pas pourquoi, dans un cas
approprié, une partie n'aurait pas le droit de
recouvrer tous les frais juridiques raisonnables
qu'elle a engagés dans la contestation ou la pour-
suite d'une autre action. J'estime que les principes
énoncés dans ces décisions anglaises s'appliquent
aux causes d'amirauté canadiennes. Il ne peut y
avoir de raison logique qui expliquerait pourquoi,
dans un cas approprié, le délit de l'abus de procé-
dure reconnu en common law ne s'appliquerait pas
pleinement aux recours en amirauté, compte tenu
du principe de la restitutio in integrum, qui a
toujours été reconnu encore plus en droit de l'ami-
rauté qu'en common law, en raison de l'adoption
par les tribunaux de l'amirauté de certains princi-
pes de droit civil qui reconnaissent, notamment, la
possibilité d'accorder dans tous les cas des intérêts
dans une action de nature délictuelle à compter de
la date de la perpétration du délit.
Je suis d'avis que la société Afram était pleine-
ment au courant des conditions selon lesquelles les
marchandises devaient être expédiées ainsi que des
conditions de paiement qui avaient été convenues
entre les propriétaires et Mondel. Elle savait que
l'une des conditions d'expédition était que le fret
devait être payé à l'avance et qu'elle n'aurait pas le
droit de se servir de la cargaison comme garantie
du paiement lors de la livraison à Abidjan. Elle a
dû nécessairement comprendre qu'elle n'avait nul-
lement le droit de saisir la cargaison. Les mots
«fret payé à l'avance» devaient être inscrits sur les
connaissements et Afram les a effectivement ins-
crits. Ce n'est qu'un peu plus tard, soit le 13
janvier 1986, lorsque les mots «les frais de fret
doivent être payés intégralement sur livraison de la
cargaison» ont été ajoutés, en raison du conflit qui
l'opposait à Merchants, que la société Afram a
tenté d'obtenir de Mondel et du MAS un paiement
que ceux-ci n'étaient nullement tenus de faire sur
livraison, ce qu'elle savait très bien. De toute
évidence, Afram a procédé ainsi parce que, pour
des raisons qui ne concernent ni l'une ni l'autre des
deux parties susmentionnées, elle a cru que Mer
chants ne paierait pas immédiatement le fret.
En outre, lorsqu'elle a saisi la cargaison, elle
devait nécessairement savoir que Mondel serait
dans une situation presque insupportable vis-à-vis
le MAS et qu'elle serait forcée de payer le mon-
tant de fret exigé ou d'engager immédiatement des
poursuites à Abidjan pour obtenir une mainlevée
de la saisie. Elle savait probablement, au moment
de la saisie, que Mondel avait déjà payé Mer
chants. Elle devait le savoir à ce moment-là ou peu
de temps après, puisque Mondel avait payé Mer
chants le 9 janvier. Néanmoins, elle a maintenu la
saisie et elle a avisé Mondel que, à moins d'être
payée immédiatement, elle vendrait une partie de
la cargaison pour obtenir le paiement du fret.
Ayant vu le contrat d'affrètement initial, elle
savait aussi que Mondel serait responsable en cas
de défaut de livraison et que le MAS utiliserait
probablement la lettre de garantie que Mondel
avait déposée conformément au contrat, si le reste
de la cargaison était vendu, comme Afram mena-
çait de le faire.
La situation de l'arrêt Vantage Navigation Cor
poration v. Suhail and Saud Bahwan Building
Materials LLC (The Alev), [1989] 1 Lloyd's
Rep. 138 (Q.B.), ressemble beaucoup à la pré-
sente affaire sur certains points. Les propriétaires
du navire ont avisé les propriétaires de la cargaison
que, à moins de recevoir le paiement du fret sur
livraison, ils saisiraient la cargaison. Les proprié-
taires du navire n'avaient pas le droit de saisir la
cargaison, puisque le fret devait être payé à
l'avance, selon les conditions de l'expédition. Pour
obtenir la cargaison et éviter un grave préjudice,
les propriétaires de la cargaison ont dû payer le
fret et signer une entente selon laquelle ils renon-
çaient à tous droits et recours contre les propriétai-
res du navire. Par la suite, pour obtenir le rem-
boursement de la somme d'argent payée pour le
fret, nonobstant l'entente qu'ils avaient signée, les
propriétaires de la cargaison ont fait saisir le
navire The Alev, invoquant la contrainte et la
rupture de contrat et demandant une indemnité.
Avant d'obtenir la mainlevée de la saisie, les pro-
priétaires du navire ont poursuivi à leur tour les
propriétaires de la cargaison en dommages-intérêts
et ont réclamé d'eux les sommes d'argent qu'ils ont
payées pour obtenir la mainlevée de ladite saisie.
La Cour a jugé que les défendeurs n'étaient pas
liés par l'entente qu'ils avaient signée sous le coup
de la contrainte et elle a rejeté l'action des proprié-
taires du navire.
Le juge de première instance, le juge Hobhouse,
a dit ce qui suit à la page 142 du volume:
[TRADUCTION] Les demandeurs violaient ouvertement leurs
contrats et (pour reprendre les propos du juge Lewis dans
l'arrêt Government of the Republic of Spain v. North of
England S.S. Co. Ltd., (1938) 61 LI. L.Rep. 44, p. 56) ils
exerçaient un droit de propriété sur les biens des défendeurs.
M. Davies a conclu que, si les défendeurs voulaient avoir leurs
biens, ils n'avaient d'autre choix que de se conformer à la
demande des représentants des demandeurs. Il est manifeste
qu'aucune entente commerciale n'a été conclue; ce qui s'est
passé peut être résumé comme suit: «si vous voulez que nous
nous conformions aux connaissements, vous devez accéder à
notre demande».
Et à la page 145:
[TRADUCTION] Dans la présente cause, il est évident que
l'entente est assujettie aux principes de la contrainte économi-
que et même de la contrainte matérielle. Les demandeurs ont
fait une menace qui était illégitime et, pour le cas où ce serait
pertinent, ils le savaient. Ils étaient tenus de transporter la
cargaison à Mina Qaboos et de la livrer là-bas aux défendeurs.
Ils n'avaient pas le droit de refuser de le faire ou de faire valoir
à l'égard des marchandises un droit incompatible. Ils ont refusé
de transporter les marchandises à Mina Qaboos et de les livrer
aux défendeurs à moins que ceux-ci ne se conforment à leurs
demandes. Ils ont fait valoir un droit de propriété sur les biens
des défendeurs et ils ont refusé de reconnaître que ceux-ci
avaient droit à la possession desdits biens. On n'a pas obtenu le
consentement des défendeurs; on les a plutôt contraints à agir
contre leur volonté. Ils n'ont jamais conclu l'entente de façon
volontaire, que ce soit en fait ou en droit.
Dans le cas qui nous occupe, les poursuites
judiciaires ont été intentées pour obtenir de l'ar-
gent de Mondel et du MAS, alors que, de toute
évidence, ni l'une ni l'autre de ces parties n'étaient
légalement tenues de payer.
Dans Guilford Industries Ltd. v. Hankinson
Management Services Ltd. et al. (1973), 40
D.L.R. (3d) 398 (C.S.C.-B.), il s'agissait d'un cas
où un privilège de constructeur ou de fournisseur
de matériaux avait été enregistré sans droit et de
façon inappropriée à l'encontre des biens du
demandeur. Voici ce qu'a dit le juge Anderson aux
pages 405 et 406:
[TRADUCTION] Dans la présente cause, les poursuites relati
ves au privilège sont dénuées de tout fondement juridique et ont
été engagées dans un but illégal, soit celui d'obtenir un règle-
ment par «chantage».
Même si les tribunaux doivent protéger le droit de chaque
citoyen de plaider sa cause devant la cour lorsqu'il y a une
preuve, si mince soit-elle, qui permet de justifier une réclama-
tion, ils ne permettront pas que les recours en justice soient
utilisés à d'autres fins. La Cour ne peut fermer les yeux devant
le fait que les privilèges de constructeur et de fournisseur de
matériaux, les certificats d'affaire en instance et les ordonnan-
ces de saisie sont parfois, bien que ce ne soit pas fréquent,
utilisés par des personnes sans scrupule qui cherchent ainsi à
atteindre des résultats qu'elles ne pourraient obtenir autrement.
Les tribunaux mettront rapidement un frein à ces actes; ils
protégeront ainsi le caractère sacré de l'appareil judiciaire et
verront à ce que les recours en justice soient utilisés à des fins
licites.
Ces commentaires constituent, à mon sens, un
énoncé valide de la règle applicable. Il convient de
souligner que, dans cette cause-là, des dommages-
intérêts exemplaires ont également été accordés.
Dans sa déclaration, Mondel a souligné que la
saisie et la menace de la vente immédiate de la
cargaison constituaient du chantage commercial.
À mon avis, cette description n'est pas vraiment
exagérée, étant donné que la société Afram savait
ou aurait certainement dû savoir dans quelle posi
tion Mondel se trouverait à la suite d'une vente.
Effectivement, en plus de se faire dire par le
MAS que, à moins que la cargaison saisie ne soit
immédiatement libérée, elle serait appelée à se
conformer à sa garantie d'exécution du contrat,
Mondel a été avisée qu'elle devait se considérer
comme une entreprise à qui il était actuellement
interdit de soumettre des offres pour tout autre
marché offert par le MAS et que, tant que la
cargaison ne serait pas libérée, elle serait rayée de
la liste des soumissionnaires approuvés du MAS.
Mondel était donc pleinement justifiée de pren-
dre toutes les mesures raisonnables dont elle dispo-
sait pour obtenir la mainlevée de la saisie afin
d'éviter une perte financière importante et immé-
diate et une perte considérable d'achalandage et de
possibilités contractuelles pour l'avenir. Même s'il
est rarement possible de recouvrer comme domma-
ges-intérêts tous les frais juridiques raisonnables,
je suis d'avis qu'en l'espèce, la société Afram est
tenue de les rembourser à Mondel.
Le paragraphe 34 de l'exposé conjoint des faits
qui a été déposé comme pièce 2 au cours de
l'instruction se lit comme suit:
[TRADUCTION] 34. En conséquence, Mondel a engagé les
frais indiqués ci-après:
i) frais et honoraires juridiques
dus aux avocats de Mondel à
Montréal; 41 262,55 $
ii) frais et honoraires juridiques
dus aux avocats de Mondel à
Abidjan; 2 915,46 $
iii) frais d'entreposage à Abidjan
pour les jours supplémentaires
d'entreposage depuis la fin du
voyage; 15 972,66 $
iv) frais supplémentaires et coût du
billet d'avion pour l'inspecteur
gouvernemental; 10 975 $
y) salaire de M. Béchard et
M. Lambert au cours du séjour à
Abidjan (perte de temps de cadre
de direction), appels interurbains,
nombreux télex, hôtel et frais
accessoires; 7 979,21 $
TOTAL: 79 104,88 $
Même si elle a convenu que Mondel a engagé les
frais susmentionnés, Afram n'a pas admis que ces
frais pouvaient tous être recouvrés comme étant
des frais raisonnables qui étaient dûment attribua-
bles à l'obtention de la mainlevée de la saisie.
À mon avis, le montant de l'élément v), qui
s'élève à 7 979,21 $, ne peut être recouvré, étant
donné que les deux hommes mentionnés dans ce
paragraphe-là étaient des employés salariés de
Mondel et que la preuve concernant la perte de
temps de cadre de direction est insuffisante, si elle
existe. Il semble également qu'ils seraient peut-être
bien allés à Abidjan à tout événement. En ce qui a
trait à l'élément iv), je soustrais de la somme de
10 975 $ le coût du billet d'avion aller-retour de
l'inspecteur, puisqu'il se serait rendu à Abidjan de
toute façon. Cependant, les frais supplémentaires
engagés à la suite de la saisie sont accordés. Le"
coût du billet d'avion aller-retour s'élevait à
1 975 $.
Compte tenu de la déduction des deux montants
précités, qui s'élève à 9 954,21 $, j'estime que la
société Afram doit payer à Mondel la somme de
69 150,67 $. Mondel a également droit à ses
dépens de l'ensemble du litige et le MAS aura
droit à ses dépens liés à la contestation de l'action
intentée contre lui. Tous les dépens seront taxés
entre parties. Étant donné que Mondel n'a pas
demandé le paiement d'intérêts à compter de la
date du délit, les intérêts sur sa réclamation com-
menceront à courir à compter de la date du
jugement.
Un jugement sera établi en conséquence.
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