A-21-90
Iain Angus, le Conseil municipal de la Ville de
Thunder Bay et Greenpeace Canada (appelants)
c.
Sa Majesté la Reine et le ministre des Transports
(intimés)
RÉPERTORIÉ: ANGUS c. CANADA (CA.)
Cour d'appel, juges Hugessen, MacGuigan et
Décary, J.C.A.—Ottawa, 9 mai et 4 juillet 1990.
Environnement — Décret enjoignant à VIA Rail de réduire
ses services voyageurs — Pris par le gouverneur en conseil en
vertu de l'art. 64 de la Loi de 1987 sur les transports natio-
naux et sur avis conforme du ministre des Transports — Le
Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évalua-
tion et d'examen en matière d'environnement n'a pas été res
pecté — Appel contre la décision par laquelle la Section de
première instance refusait de décerner un bref de certiorari
Le respect du Décret est-il une condition préalable à l'exercice
par le gouverneur en conseil du pouvoir accordé par la loi à
l'art. 64? — Interprétation des expressions «ministère, com
mission ou organisme fédéraux» et «pouvoir de décision» —
La majorité statue que le gouverneur en conseil n'a pas à tenir
compte du Décret sur les lignes directrices — Absence de
preuve prima facie de conséquences directes et immédiates sur
l'environnement.
Chemins de fer — Décret enjoignant à VIA Rail d'éliminer
et de réduire certains services voyageurs — Appel contre le
refus d'annuler le Décret au motif que ni le gouverneur en
conseil ni le ministre des Transports ne se sont conformés au
Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évalua-
tion et d'examen en matière d'environnement — Le respect du
Décret sur les lignes directrices n'est pas une condition préala-
ble à l'exercice par le gouverneur en conseil du pouvoir conféré
par l'art. 64 de la Loi de 1987 sur les transports nationaux.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari —
Décret réduisant les services passagers de VIA Rail — Le
gouverneur en conseil et le ministre n'ont pas observé le Décret
sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et
d'examen en matière d'environnement — La majorité statue
que les intimés ne sont pas visés par le Décret — Le défaut
d'expliquer le retard à déposer la demande et l'absence de
preuve prima facie de l'existence d'effets défavorables sur
l'environnement sont des facteurs pertinents au refus d'accor-
der la réparation demandée.
À la suite de la décision de réduire les subsides versés à VIA
Rail («VIA») à l'égard des services ferroviaires passagers, le
gouverneur en conseil, sur avis conforme du ministre des Trans
ports et conformément à l'article 64 de la Loi de 1987 sur les
transports nationaux, a pris le décret C.P. 1989-1974
(DORS/89-488) qui ordonnait à VIA d'éliminer certains servi
ces voyageurs et d'en réduire d'autres considérablement.
Le jour où a été pris le décret, une fiche d'information
rendue publique disait que le ministre des Transports avait
ordonné l'examen des répercussions de la réorganisation du
réseau de VIA sur l'environnement. Plus tard, un document
intitulé «Modifications au réseau de VIA: Impact possible sur
l'environnement» était déposé à la Chambre des communes. Ce
document ne faisait pas mention du Décret sur les lignes
directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en
matière d'environnement (»le Décret sur les lignes directrices
PÉEE»), et il n'a pas été rendu public avant la publication du
décret. Le ministre des Transports et celui de l'Environnement
ont estimé que le Décret sur les lignes directrices PÉEE s'appli-
quait à la réorganisation de VIA et que le ministère des
Transports était le «ministère responsable».
Il s'agit en l'espèce d'un appel contre le rejet d'une requête
tendant à l'annulation du décret au motif qu'il avait été appli-
qué sans égard au Décret sur les lignes directrices PÉEE. La
question est de savoir si le gouverneur en conseil et le ministre
des Transports étaient légalement tenus de se conformer au
Décret sur les lignes directrices PÉEE.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge MacGuigan, J.C.A. (avec l'appui du juge Hugessen,
J.C.A.): Bien que l'on puisse considérer le gouverneur en
conseil comme étant la principale émanation du pouvoir exécu-
tif et donc une «commission ou organisme fédér[all», ce n'est
pas là le sens qu'il faut lui donner dans le Décret sur les lignes
directrices PÉEE. Nous sommes ici près du coeur du gouverne-
ment par l'exécutif, et il faudrait un libellé très clair pour
établir que le gouverneur en conseil est visé par l'expression
«tout ministère, commission ou organisme fédéraux». L'oppor-
tunité qu'il y a de soumettre tous les décrets à une évaluation en
matière d'environnement est une question de politique qui
échappe à la compétence des tribunaux. Le fait que le texte
législatif concerné ne révèle aucune intention de la part du
législateur de soumettre toutes les entreprises du gouverneur en
conseil à une évaluation environnementale est étayé par la Loi
sur le ministère de l'Environnement, et plus particulièrement
par l'article 6, qui semble encore plus explicite que les articles 4
et 5 dans la distinction qu'il établit entre le gouverneur en
conseil et les ministères et organismes fédéraux: «le ministre
peut par arrêté, avec l'approbation du gouverneur en conseil,
établir des directives à l'usage des ministères et organismes
fédéraux». La conclusion s'impose que selon son libellé, le
Décret sur les lignes directrices n'exige pas que le gouverneur
en conseil s'y conforme.
Le Décret sur les lignes directrices n'exige pas non plus que
le ministre des Transports s'y conforme. Lorsqu'une mesure est
prise en vertu de l'article 64 de la Loi de 1987 sur les
transports nationaux, le preneur de décision ne peut être que le
gouverneur en conseil. C'est à bon droit que le juge de première
instance a statué que «Même si le ministère des Transports est
considéré comme le ministère responsable, il est évident qu'il
n'est pas l'organisme qui prend les décisions, dans la mesure où
ce décret est concerné». L'obligation faite à un conseiller, qu'il
soit un particulier ou un conseil, d'agir avec équité ne saurait
déterminer son statut en qualité de preneur de décisions aux
fins du Décret sur les lignes directrices.
Le juge Décary, J.C.A. (motifs concourants quant au résul-
tat): L'objet de la Loi sur le ministère de l'Environnement (la
«Loi») était de faire en sorte que tous les nouveaux projets
fédéraux soient évalués dès les premières étapes de planifica-
tion, et que les Lignes directrices constituent le moyen d'y
arriver. La Loi lie le gouvernement du Canada, qu'il agisse par
l'intermédiaire du gouverneur en conseil ou d'un ministre parti-
culier. S'il n'était pas certain que la Loi lie expressément le
gouvernement du Canada, son intention et son contexte laissent
tout au moins supposer, par déduction nécessaire, qu'elle lie
effectivement le gouvernement. L'effet salutaire de la Loi serait
écarté si l'on devait établir une distinction entre les projets
fédéraux qui sont ceux d'un ministre particulier et ceux du
Cabinet car en matière d'administration contemporaine, le
gouverneur en conseil prépare, prend et met à exécution des
décisions avec l'aide de ministres et de ministères particuliers.
Le Décret sur les lignes directrices PÉEE, pris en vertu de
l'article 6 de la Loi, s'applique à toute activité à l'égard de
laquelle le gouvernement du Canada participe à la prise de
décisions, peu importe qui prend la décision au nom du gouver-
nement, que ce soit un ministère, un ministre ou le gouverneur
en conseil. Les Lignes directrices n'exigent pas que la proposi
tion soit faite par le ministère responsable. Lorsque le gouver-
neur en conseil prend une décision «sur avis conforme» d'un
ministre, il y a «proposition» aux fins de l'application des Lignes
directrices et le «ministère responsable», aux fins de l'adminis-
tration des Lignes directrices, est le ministère chargé de la
planification et de la mise en oeuvre de la proposition.
En l'espèce, il n'existait qu'un seul «ministère responsable»: le
ministère des Transports, et un seul «pouvoir de décision», le
ministre des Transports. La proposition des appelants selon
laquelle «lorsque le gouverneur en conseil est saisi d'une propo
sition sur avis conforme d'un ministre, ce dernier a exercé un
pouvoir de décision à l'égard de la proposition» est bien fondée.
Rien dans les Lignes directrices, interprétées en corrélation
avec la Loi, n'indique une idée de «finalité» ou même de
«légalité» dans l'expression «pouvoir de décision». Il faut consi-
dérer les décisions et les mesures réelles qui ont été prises et qui
doivent l'être par les ministères gouvernementaux compétents
pour décider quel ministère est le pouvoir de décision réel. Il
s'ensuit que lorsqu'il a exercé son pouvoir de décision pour le
compte du gouvernement du Canada, le ministre était tenu
d'appliquer le Décret sur les lignes directrices PÉEE. En outre,
en vertu de la Loi sur le ministère de l'Environnement et des
Lignes directrices, le gouverneur en conseil est tenu, comme
condition préalable à l'exercice du pouvoir que lui confère
l'article 64, bien qu'il ne soit pas un «ministère responsable», de
s'assurer que le ministère des Transports a respecté les Lignes
directrices.
Il n'y a pas toutefois lieu de décerner un bref de certiorari en
faveur des appelants. Les motifs pour lesquels un tribunal peut
refuser d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour décerner un
bref de certiorari sont bien établis: le retard excessif de la part
du requérant; le fait qu'en raison de ce retard, le tribunal n'a
plus rien à interdire; le fait qu'accorder ce recours ne servirait
aucune fin utile; et le fait qu'accorder le bref serait préjudicia-
ble à la bonne administration. Les appelants n'ont expliqué ni
leur retard à déposer la demande qui attaquait le décret ni la
nature de leurs préoccupations. L'absence de preuve prima
facie d'effets directs et immédiats de la proposition sur la
qualité de l'environnement justifiait aussi le refus.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Décret modifiant certaines ordonnances de l'Office
national des Transports concernant des compagnies de
chemins de fer, DORS/89-488.
Décret sur les lignes directrices visant le processus
d'évaluation et d'examen en matière d'environnement,
DORS/84-467, art. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12,
13, 15.
Loi canadienne sur la protection de l'environnement,
L.R.C. (1985) (4' suppl.), chap. 16, art. 53, 146 (non
encore en vigueur).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1) [L.R.C. (1985), appendice fi, n° 5], art. 9,
10, 11, 13.
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), chap. 1-21, art. 2, 12.
Loi de 1987 sur les transports nationaux, L.R.C. (1985),
(3' suppl.), chap. 28, art. 64.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
18.
Loi sur le ministère de l'Environnement, L.R.C. (1985),
chap. E-10, art. 4(1),(2), 5, 6, 7.
JURISPRUDENCE
DÉCISION NON SUIVIE:
Re Abel et al. and Advisory Review Board (1980), 31
O.R. (2d) 520; 119 D.L.R. (3d) 101; 56 C.C.C. (2d) 153
(C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of
Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735: (1980), 115
D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304; Fédération canadienne de la
faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement),
[1989] 3 C.F. 309; [1989] 4 W.W.R. 526; (1989), 37
Admin. L.R. 39; 3 C.E.L.R. (N.S.) 287; 26 F.T.R. 245
(1te inst.); conf. par [1990] 2 W.W.R. 69; (1989), 38
Admin. L.R. 138; 4 C.E.L.R. (N.S.) 1; 27 F.T.R. 159; 99
N.R. 72 (C.A.F.); Friends of the Oldman River Society
c. Canada (Ministre des Transports), [1990] 2 C.F. 18
(C.A.); Naskapi-Montagnais Innu Assn. c. Canada
(Ministre de la Défense nationale), [1990] 3 C.F. 381 (1"°
inst.); Province of Bombay v. Municipal Corporation of
the City of Bombay and Another, [ 1947] A.C. 58; R. c.
Ouellette, [1980] 1 R.C.S. 568; (1980), 111 D.L.R. (3d)
216; 52 C.C.C. (2d) 536; 15 C.R. (3d) 373; 32 N.R. 361.
DÉCISIONS CITÉES:
Fédération canadienne de la faune Inc. et autres c.
Canada (Ministre de l'Environnement) et Saskatchewan
Water Corp. (1989), 31 F.T.R. 1 (C.F. l" inst.); Harel-
kin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561;
[1979] 3 W.W.R. 676; (1979), 26 N.R. 364.
DOCTRINE
Canada. Débats de la Chambre des communes, vol. 131,
n° 68, 2' sess., 34' lég., 3 octobre 1989, à la page 4252.
Canada. Chambre des communes. Comité permanent des
transports. Procès verbaux et témoignages, fascicule n°
18 (16 octobre 1989), à la page 18:36.
Dawson, R. MacGregor. The Government of Canada, 5th
ed. by Norman Ward. Toronto: University of Toronto
Press, 1970.
de Smith, S. A. Judicial Review of Administrative
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Sons Ltd., 1980.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed.
Toronto: Butterworths, 1983.
Dussault, René et Borgeat, Louis. Traité de droit admi-
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Fajgenbaum and Hanks' Australian Constitutional Law,
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Halliday, W. E. D. «The Executive of the Government of
Canada» (1959), 2 Can. Pub. Admin. 229.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 2nd ed.
Toronto: Carswell Co. Ltd., 1985.
Jones, David P. et de Villars, Anne S. Principles of
Administrative Law. Toronto: Carswell Co. Ltd., 1985.
Mallory, James Russell. The Structure of Canadian
Government. Toronto: Macmillan Co. of Canada Ltd.,
1971.
AVOCATS:
Brian A. Crane, c.r. et Martin W. Mason pour
les appelants.
Brian J. Saunders et Joseph C. de Pencier
pour les intimés.
PROCUREURS:
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour
les appelants.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: La question sou-
mise à l'appréciation de la Cour consiste à savoir si
le gouverneur en conseil ou le ministre des Trans
ports sont légalement tenus de se conformer à un
décret sur les lignes directrices relatives à l'envi-
ronnement. Le décret visé s'intitule le Décret sur
les lignes directrices visant le processus d'évalua-
tion et d'examen en matière d'environnement,
DORS/84-467, en date du 22 juin 1984 («le Décret
sur les lignes directrices PÉEE»).
Il s'agit en l'espèce d'un appel accéléré, interjeté
contre une ordonnance orale du juge Rouleau, en
date du 12 janvier 1990 [T-47-90, encore inédite],
par laquelle il rejetait la requête des appelants
visant la délivrance d'un bref de certiorari dans le
but d'annuler le décret C.P. 1989-1974
[DORS/89-488], qui modifiait les ordonnances de
l'Office national des transports ayant trait aux
services ferroviaires voyageurs de VIA Rail
(«VIA»). Le Décret contesté avait été pris sur avis
conforme du ministre des Transports («le minis-
tre») et il exigeait que VIA élimine certains servi
ces ferroviaires voyageurs précisés dans le Décret
et qu'elle en réduise d'autres de façon considéra-
ble.
Dans son budget d'avril 1989, le gouvernement
du Canada annonçait son intention de réduire d'un
milliard de dollars au cours des cinq prochaines
années les subsides versés à VIA à l'égard des
services ferroviaires voyageurs. Le mois suivant, le
ministre informait le conseil d'administration de
VIA de l'intention du gouvernement de réduire les
services offerts par VIA. En conséquence de cette
intention, le conseil d'administration de VIA pro-
posait au ministre un plan d'entreprise quinquen-
nal fondé sur les niveaux réduits de financement
envisagés par le gouvernement. Après avoir étudié
le plan de VIA, le ministre a décidé de recomman-
der au Cabinet fédéral des coupures considérables
dans les services ferroviaires voyageurs.
Le 3 octobre 1989, le ministre avisait la Cham-
bre des communes que le gouvernement avait res
pecté le processus d'examen en matière d'environ-
nement relativement à la réorganisation de VIA.
Le 4 octobre le gouverneur en conseil, agissant en
application de l'article 64 de la Loi de 1987 sur les
transports nationaux, L.R.C. (1985) (3` suppl.),
chap. 28, prenait le décret C.P. 1989-1974, qui
ordonnait à VIA d'éliminer certains services voya-
geurs et d'en réduire d'autres considérablement.
Selon le décret, VIA devait commencer à appli-
quer les réductions visées à compter du
15 janvier 1990. Les conséquences ultimes de cette
application comprennent notamment l'élimination
de 51 % du réseau des services ferroviaires voya-
geurs de VIA et le licenciement de 38 % de la
main-d'oeuvre de VIA. Le jour même où le Décret
contesté a été pris, le ministre tenait une confé-
rence de presse pour annoncer les coupures dans
les services de VIA et il rendait publique une fiche
d'information dans laquelle il était dit que le
ministre avait ordonné l'examen attentif des réper-
cussions de la réorganisation sur l'environnement.
Le 11 octobre 1989 un document non daté de
quatre pages intitulé «Modifications au réseau de
VIA: Impact possible sur l'environnement» était
déposé à la Chambre des communes. Ce document
ne faisait pas mention du Décret sur les lignes
directrices PEEE. Il n'a pas été rendu public avant
la publication du décret contesté, et le public n'a
pas été invité à réagir formellement à l'impact de
la décision de VIA sur l'environnement avant que
le Cabinet prenne sa décision.
Devant la Chambre des communes et devant le
Comité permanent des transports, le ministre des
Transports et celui de l'Environnement ont adopté
la position que le Décret sur les lignes directrices
PEEE s'appliquait à la réorganisation et que, pour
les fins du décret en cause, le ministère des Trans
ports était le «ministère responsable». Cependant, il
n'existe aucune trace d'une quelconque décision
prise soit par le ministre des Transports, soit par
celui de l'Environnement en application des arti
cles 12 ou 13 du Décret sur les lignes directrices
PÉEE.
Le 9 janvier 1990 les appelants, savoir le député
de Thunder Bay-Atikokan, la ville de Thunder Bay
et Greenpeace Canada déposaient une demande en
vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale,
L.R.C. (1985), chap. F-7, en vue d'annuler le
Décret en question. La demande a été entendue en
même temps qu'une autre qui recherchait une
injonction relativement au même Décret. Le juge
des requêtes a rendu des motifs à l'audience par
lesquels il rejetait les deux demandes. L'appel en
l'espèce n'a trait qu'à la demande d'un bref de
certiorari.
Devant le juge des requêtes, les appelants ont
vainement contesté la validité du Décret en cause
au motif qu'il aurait été appliqué sans égard aux
termes impératifs du Décret sur les lignes directri-
ces PÉEE. Voici le libellé des principales disposi
tions de ce Décret:
DÉCRET SUR LES LIGNES DIRECTRICES
VISANT LA MISE EN ŒUVRE
DU PROCESSUS FÉDÉRAL D'ÉVALUATION ET
D'EXAMEN EN MATIÈRE D'ENVIRONNEMENT
Titre abrégé
1. Décret sur les lignes directrices visant le processus d'éva-
luation et d'examen en matière d'environnement.
Définitions
2. Les définitions qui suivent s'appliquent aux présentes
lignes directrices.
«Bureau» Le Bureau fédéral d'examen des évaluations environ-
nementales chargé d'administrer le processus et relevant
directement du Ministre. (Office)
«commission» Commission d'évaluation environnementale char
gée, en vertu de l'article 21, de réaliser l'examen public d'une
proposition. (Panel)
«énoncé des incidences environnementales» Évaluation détaillée
des répercussions environnementales de toute proposition
dont les effets prévus sur l'environnement sont importants,
qui est effectuée ou fournie par le promoteur en conformité
avec les directives établies par une commission. (Environ-
mental Impact Statement)
«ministère» S'entend:
a) de tout ministère, commission ou organisme fédéraux, ou
b) dans les cas indiqués, l'une des corporations de la Cou-
ronne nommées à l'annexe D de la Loi sur l'administration
financière ou tout organisme de réglementation. (depart-
ment)
«ministère responsable» Ministère qui, au nom du gouverne-
ment du Canada, exerce le pouvoir de décision à l'égard
d'une proposition. (initiating department)
«Ministre» Le ministre de l'Environnement. (Minister)
«processus» Le processus d'évaluation et d'examen en matière
d'environnement, administré par le Bureau. (Process)
«promoteur» L'organisme ou le ministère responsable qui se
propose de réaliser une proposition. (proponent)
«proposition» S'entend en outre de toute entreprise ou activité à
l'égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à la
prise de décisions. (proposal)
Portée
3. Le processus est une méthode d'auto-évaluation selon
laquelle le ministère responsable examine, le plus tôt possible
au cours de l'étape de planification et avant de prendre des
décisions irrévocables, les répercussions environnementales de
toutes les propositions à l'égard desquelles il exerce le pouvoir
de décision.
4. (1) Lors de l'examen d'une proposition selon l'article 3, le
ministère responsable étudie:
a) les effets possibles de la proposition sur l'environnement
ainsi que les répercussions sociales directement liées à ces
effets, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du territoire cana-
dien; et
b) les préoccupations du public qui concernent la proposition
et ses effets possibles sur l'environnement.
(2) Sous réserve de l'approbation du Ministre et du ministre
chargé du ministère responsable, il doit être tenu compte lors de
l'étude d'une proposition de questions telles que les effets
socio-économiques de la proposition, l'évaluation de la techno-
logie relative à la proposition et le caractère nécessaire de la
proposition.
5. (1) Si, indépendamment du processus, le ministère res-
ponsable soumet une proposition à un règlement sur l'environ-
nement, il doit veiller à ce que les examens publics ne fassent
pas double emploi.
(2) Pour éviter la situation de double emploi visée au para-
graphe (1), le ministère responsable doit se servir du processus
d'examen public comme instrument de travail au cours des
premières étapes du développement d'une proposition plutôt
que comme mécanisme réglementaire, et rendre les résultats de
l'examen public disponibles aux fins des délibérations de nature
réglementaire portant sur la proposition.
Champ d'application
6. Les présentes lignes directrices s'appliquent aux proposi
tions
a) devant être réalisées directement par un ministère
responsable;
b) pouvant avoir des répercussions environnementales sur
une question de compétence fédérale;
c) pour lesquelles le gouvernement du Canada s'engage
financièrement; ou
d) devant être réalisées sur des terres administrées par le
gouvernement du Canada, y compris la haute mer.
7. Lorsqu'une corporation nommée à l'annexe D de la Loi
sur l'administration financière exerce le pouvoir de décision
relativement à une proposition, le processus ne s'applique à la
proposition que si la corporation:
, a) a comme politique générale d'appliquer le processus; et
b) est habilitée à appliquer le processus à cette proposition.
8. Lorsqu'une commission ou un organisme fédéral ou un
organisme de réglementation exerce un pouvoir de réglementa-
tion à l'égard d'une proposition, les présentes lignes directrices
ne s'appliquent à la commission ou à l'organisme que si aucun
obstacle juridique ne l'empêche ou s'il n'en découle pas de
chevauchement des responsabilités.
9. (1) Lorsqu'il y a plus d'un ministère responsable à l'égard
d'une proposition, ceux-ci décident entre eux de la répartition
des fonctions et des responsabilités que les présentes lignes
directrices attribuent à un ministère responsable. -
(2) Lorsque les ministères responsables visés au paragraphe
(1) ne peuvent en arriver à une décision unanime, le Bureau
agit à titre d'arbitre dans la prise de la décision.
ÉVALUATION INITIALE
Le ministère responsable
10. (1) Le ministère responsable s'assure que chaque propo
sition à l'égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision est
soumise à un examen préalable ou à une évaluation initiale,
afin de déterminer la nature et l'étendue des effets néfastes
qu'elle peut avoir sur l'environnement.
(2) Les décisions qui font suite à l'examen préalable ou à
l'évaluation initiale visés au paragraphe (1) sont prises par le
ministère responsable et ne peuvent être déléguées à nul autre
organisme.
11. Aux fins de l'examen préalable et de l'évaluation initiale
visés au paragraphe 10(1), le ministère responsable dresse, en
collaboration avec le Bureau, les listes suivantes:
a) une liste des divers types de propositions qui n'auraient
aucun effet néfaste sur l'environnement et qui, par consé-
quent, seraient automatiquement exclus du processus; et
b) une liste des divers types de propositions qui auraient des
effets néfastes importants sur l'environnement et qui seraient
automatiquement soumises au Ministre pour qu'un examen
public soit mené par une commission.
12. Le ministère responsable examine ou évalue chaque pro
position à l'égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision ...
13. Nonobstant la détermination des effets d'une proposi
tion, faite conformément à l'article 12, le ministère responsable
soumet la proposition au Ministre en vue de la tenue d'un
examen public par une commission, chaque fois que les préoc-
cupations du public au sujet de la proposition rendent un tel
examen souhaitable.
15. Le ministère responsable doit s'assurer
a) après qu'une détermination sur les effets d'une proposi
tion a été faite conformément à l'article 12 ou après qu'une
proposition a été soumise au Ministre conformément à l'arti-
cle 13, et
b) avant la mise en application de mesures d'atténuation et
d'indemnisation conformément à l'article 14,
que le public a accès à l'information concernant cette proposi
tion conformément à la Loi sur l'accès à l'information.
Les motifs de la décision du juge Rouleau sur la
question en appel sont rédigés comme suit (Dossier
d'appel, aux pages 155 et 156) [motifs de l'ordon-
nance aux pages 4 et 5]:
En ce qui concerne les Lignes directrices visant le processus
d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, je suis
convaincu une fois de plus que le gouverneur général en conseil
n'est pas tenu de s'y conformer.
Il semble ridicule que les ministres des Transports et de
l'Environnement, de même que le comité permanent, se soient
sentis obligés de considérer au moins les conséquences environ-
nementales. D'après moi toutefois, cela ne représente pas une
obligation liant l'organisme qui a rendu le décret contesté.
D'après les Lignes directrices, le «ministère responsable» ne
doit pas seulement proposer la directive attendue mais égale-
ment prendre les décisions qui s'imposent, c'est-à-dire «être
l'organisme qui agi». Comme vous le savez bien, ce n'est pas à
la Cour de légiférer, mais au Parlement. C'est ce dernier qui a
choisi d'exclure de la définition de «ministère responsable» cette
puissante et branche exécutive du gouvernement. Bien qu'on
m'ait suggéré que les tribunaux aient pu, dans certains cas,
conclure que le gouverneur général en conseil pouvait être
considéré comme un «office» aux termes de la Loi sur la Cour
fédérale, on ne peut, par analogie, transposer cette conclusion
pour donner à la présente Cour le pouvoir de décider qu'en
vertu des Lignes directrices du PÉEE cet organisme doit être
considéré comme un «ministère responsable».
Même si le ministère des Transports est considéré comme le
ministère responsable, il est évident qu'il n'est pas l'organisme
qui prend les décisions, dans la mesure où ce décret est con
cerné, ce dernier ayant été pris conformément au pouvoir
extraordinaire accordé aux termes de l'article 64 de la Loi sur
les transports nationaux.
Puisque les intimés n'ont pas soutenu que le
gouverneur en conseil ou le ministre s'était effecti-
vement conformé aux Lignes directrices', la prin-
cipale question dont la Cour est saisie consiste à
savoir si le Décret sur les lignes directrices PÉEE
devrait s'interpréter comme s'il exigeait que le
gouverneur en conseil ou le ministre s'y confor-
ment dans les circonstances.
Puisque le Décret contesté a été pris en vertu de
l'article 64 de la Loi de 1987 sur les transports
nationaux 2 , les parties reconnaissent que, selon les
termes du juge Estey qui s'exprimait pour la Cour
suprême du Canada dans l'arrêt Procureur général
du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre,
[1980] 2 R.C.S. 735 aux pages 754 et 756, le
pouvoir qu'a le gouverneur en conseil de modifier
ou de rescinder «de son propre mouvement> une
règle ou ordonnance de la Commission canadienne
des transports est «un acte législatif sous la forme
la plus pure» et «le gouverneur en conseil a entière
discrétion dans la mesure où il respecte les limites
fixées à sa compétence» par la disposition visée.
Les parties reconnaissent aussi que le pouvoir
législatif du gouverneur en conseil est susceptible
de révision judiciaire s'il n'a pas observé l'une des
conditions préalables à l'exercice de ce pouvoir. De
nouveau, comme l'a dit le juge Estey (à la
page 748):
Il faut dire tout de suite que la simple attribution par la loi
d'un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son
exercice échappe à toute révision. Si ce corps constitué n'a pas
respecté une condition préalable à l'exercice de ce pouvoir, la
cour peut déclarer ce prétendu exercice nul.
' Les intimés ont cependant prétendu qu'il existait suffisam-
ment de preuves de l'absence de répercussions néfastes sur
l'environnement pour permettre à cette Cour de rejeter la
requête de bref de certiorari, même si elle était par ailleurs
justifiée. En plus de soutenir que le bref de certiorari ne
servirait aucune fin utile, les intimés ont aussi invoqué à
l'encontre de sa délivrance ce qui serait le retard des appelants
à entamer les procédures devant la Section de première
instance.
2 Voici le libellé de cette disposition:
64. Le gouverneur en conseil peut à tout moment, à son
appréciation, modifier ou annuler les décisions, arrêtés, règles
ou règlements de l'Office soit à la requête d'une partie ou
d'une personne intéressée, soit de sa propre initiative; il
importe peu que ces décisions ou arrêtés aient été pris en
présence des parties ou non et que les règles ou règlements
soient d'application générale ou particulière; les décrets du
gouverneur en conseil en cette matière lient l'Office et toutes
les parties.
La question consiste alors à savoir si les exigences
du Décret sur les lignes directrices PÉEE consti
tuent de telles conditions préalables.
Les prétentions des appelants à cet égard sont
les suivantes: le Décret sur les lignes directrices
PÉEE s'applique, notamment, à toute proposition
susceptible d'avoir des répercussions environne-
mentales sur une question de compétence fédérale
(alinéa 6b)). Selon sa définition, «proposition» s'en-
tend en outre de «toute entreprise ou activité à
l'égard de laquelle le gouvernement du Canada
participe à la prise de décisions» (article 2) 3 . La
responsabilité initiale de l'application du Décret
sur les lignes directrices PEEE appartient au
«ministère responsable», qui est défini comme étant
«tout ministère, commission ou organisme fédé-
raux», tout organisme de réglementation, l'une des
corporations de la Couronne nommées à l'annexe
D (de la Loi sur l'administration financière
[S.R.C. 1970, chap. F-10]) qui, au nom du gouver-
nement du Canada, exerce le pouvoir de décision à
l'égard d'une proposition (article 2).
Les appelants soulignent la grande portée du
libellé du Décret sur les lignes directrices: «des
répercussions environnementales de toute proposi
tion dont les effets prévus sur l'environnement sont
importants» (article 2); «tout ministère, commis
sion ou organisme fédéraux» (article 2); «Ministère
qui, au nom du gouvernement du Canada, exerce
le pouvoir de décision à l'égard d'une proposition»
(article 2); «toute entreprise ou activité à l'égard
de laquelle le gouvernement du Canada participe à
la prise de décisions» (article 2); «le plus tôt possi
ble au cours de l'étape de planification et avant de
prendre des décisions irrévocables» (article 3); «les
effets possibles de la proposition sur l'environne-
ment ainsi que les répercussions sociales directe-
ment liées à ces effets» (alinéa 4a)); «propositions
3 Il est ennuyeux que la version française de l'article 2, où se
trouvent les définitions, ne contienne pas d'équivalent du mot
anglais initiative:
2....
«proposition» S'entend en outre de toute entreprise ou activité
à l'égard de laquelle le gouvernement du Canada participe
à la prise de décisions. (proposal)
Cependant, le sens général des deux versions est le même, et
puisque la version anglaise a la même force, je crois que nous
devons accepter le mot initiative sans plus de question, d'autant
plus que la version anglaise emploie aussi l'adjectif initiating
dans l'expression initiating department (ministère responsable).
... pouvant avoir des répercussions environnemen-
tales sur une question de compétence fédérale»
(alinéa 6b)). Toutes ces phrases, a-t-on avancé,
militent en faveur d'une approche universaliste
relativement au sens du Décret sur les lignes
directrices.
Les appelants ont aussi renvoyé à la Loi sur le
ministère de l'Environnement, L.R.C. (1985),
chap. E-10, dont l'article 6 a conféré au ministre
de l'Environnement le pouvoir d'établir des directi
ves comme celles contenues dans le Décret. En
vertu de l'article 5 de cette Loi, le ministre:
5....
a) lance, recommande ou entreprend à son initiative et coor-
donne à l'échelle fédérale des programmes visant à:
(ii) faire en sorte que les nouveaux projets, programmes et
activités fédéraux soient, dès les premières étapes de plani-
fication, évalués en fonction de leurs risques pour la qualité
de l'environnement naturel, et que ceux d'entre eux dont
on aura estimé qu'ils présentent probablement des risques
graves fassent l'objet d'un réexamen dont les résultats
devront être pris en considération,
Ils concluent donc que par la phrase «tout minis-
tère», commission ou organisme fédéraux (qui est,
en partie, la façon dont le mot «ministère» est
défini à l'article 2), le Parlement entendait viser
tous les intermédiaires susceptibles d'exercer le
pouvoir exécutif du gouvernement, y compris
même le gouverneur en conseil. Une interprétation
contraire serait incompatible avec l'intention du
texte législatif, a-t-on avancé, et un large éventail
d'instances décisionnelles fédérales échapperaient
à l'obligation de l'évaluation et de l'examen en
matière d'environnement même si le Parlement
entend qu'elle s'applique à toutes les nouvelles
propositions, entreprises ou activités du gouverne-
ment fédéral.
En l'espèce, me semble-t-il, la Cour se trouve
aux prises avec un argument sous-jacent ayant
trait à l'opportunité de la protection universelle en
matière d'environnement, un sujet qui, en l'ab-
sence de mesure législative ou autre autorité, ne
ressortit pas à la compétence des tribunaux.
En outre, je n'estime pas l'intention du Parle-
ment aussi manifeste qu'on le prétend, et je ne
trouve aucune aide dans les décisions récentes
comme les décisions Fédération canadienne de la
faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environne-
ment), [1989] 3 C.F. 309 (1"e inst.), confirmé dans
[1990] 2 W.W.R. 69 (C.A.F.); Fédération cana-
dienne de la faune Inc. et autres c. Canada
(Ministre de l'Environnement) et Saskatchewan
Water Corp. (1989), 31 F.T.R. 1 (C.F. 1" inst.);
Friends of the Oldman River Society c. Canada
(Ministre des Transports), [1990] 2 C.F. 18
(C.A.); et Naskapi-Montagnais Innu Assn. c.
Canada (Ministre de la Défense nationale), [ 1990]
3 F.C. 381 (1`e inst.).
Les parties n'ont pas contesté que l'expression
«gouvernement du Canada» ou «fédéraux» visait le
pouvoir exécutif du gouvernement. Au cours des
débats, on a soulevé la question de savoir si le
gouverneur en conseil était assimilable à l'exécutif,
de sorte qu'il serait illogique de le désigner comme
un ministère, une commission ou un organisme de
l'exécutif.
Je suis cependant convaincu que le gouverneur
en conseil ne doit pas être assimilé au pouvoir
exécutif comme tel. L'article 9 de la Loi constitu-
tionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.)
(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution-
nelle de 1982, n° 1 [L.R.C. (1985), appendice II,
n° 5]] prévoit que «À la Reine continueront d'être
et sont par la présente attribués le gouvernement
et le pouvoir exécutifs du Canada.» L'article 10
laisse entendre que le gouverneur général est le
«Chef Exécutif . .. administrant le gouvernement
du Canada au nom de la Reine». Puis l'article 11
confère au gouverneur général le pouvoir de choisir
et de mander des personnes et de les assermenter
comme conseillers privés «pour aider et aviser,
dans l'administration du gouvernement du
Canada». L'article 13 établit que le gouverneur
général en conseil (plus communément appelé au-
jourd'hui le gouverneur en conseil) comprend le
«gouverneur-général agissant de l'avis du Conseil
Privé de la Reine pour le Canada». Au-delà de
cela, l'exercice du pouvoir exécutif se drape des
formalités du gouvernement responsable. Ce qui
est clair c'est que, pour reprendre les termes du
professeur Peter W. Hogg dans son ouvrage inti-
tulé Constitutional Law of Canada, 2° édition,
1985, Toronto: Carswell Company Limited, à la
page 195 [TRADUCTION] «Le Conseil privé se
réunit rarement de façon plénière, et il ne le fait
qu'en des occasions officielles», et c'est le Cabinet,
formellement un simple comité du Conseil privé,
qui constitue en réalité le «Conseil» qui donne des
avis au gouverneur général 4 .
Ainsi donc, en droit, le gouverneur en conseil ne
comprend pas la totalité du pouvoir exécutif. Le
pouvoir exécutif est conféré au gouverneur général
représentant la Reine, et il ou elle conserve des
pouvoirs personnels, comme le choix du premier
ministre. Même si l'on peut dire, avec le professeur
Hogg (page 195) que [TRADUCTION] «Le Cabinet
. est le pouvoir exécutif suprême relativement à
la plupart des questions» même son pouvoir de fait
ne constitue pas la totalité du pouvoir exécutif.
À mon sens, il n'est nullement illogique de consi-
dérer le gouverneur en conseil, c'est-à-dire le gou-
verneur général agissant de l'avis du Cabinet,
comme étant la principale émanation du pouvoir
exécutif. Dans ce sens, on pourrait dire qu'il est
une «commission ou organisme fédér[al]». Toute-
fois, selon moi, la question n'est pas de savoir s'il
peut être désigné de la sorte, mais il s'agit plutôt
de savoir si c'est le sens qu'il se donnait dans le
Décret sur les lignes directrices. Je ne crois pas que
ce soit le cas.
Non seulement serait-ce là forcer les choses s'il
entendait être visé par l'expression précitée, mais
nous sommes ici, me semble-t-il, près du coeur du
gouvernement par l'exécutif, et il faudrait un
libellé très clair pour établir que le gouverneur en
conseil est visé par l'expression «ministère, com
mission ou organisme fédéraux». La décision de
diminuer les services ferroviaires voyageurs était,
après tout, une décision budgétaire, et le budget
est une question à l'égard de laquelle le Parlement
va aux voix à la suite de motions de censure. Le
Décret contesté constitue effectivement la mise en
oeuvre de la décision budgétaire d'avril 1989. Il
peut sembler fort souhaitable que ces décrets
subissent une évaluation en matière d'environne-
ment, mais le caractère souhaitable de cette
mesure ne peut s'apprécier qu'en vertu de considé-
rations de politiques qui échappent à la compé-
On trouve des analyses semblables dans les ouvrages sui-
vants: Dussault et Borgeat, Traité de droit administratif, 2e éd.
1984, Halliday «The Executive of the Government of Canada»
(1959), 2 Can. Pub. Admin. 229, Mallory; The Structure of
Canadian Government, 1971, Dawson The Government of
Canada, 5e éd. de N. Ward, 1970.
tence des tribunaux. Ceux-ci doivent se limiter au
libellé des textes législatifs, et à mon sens celui
dont il est question en l'espèce, même largement
interprété, ne révèle aucune intention de la part du
législateur de soumettre toutes les entreprises ou
activités du gouverneur en conseil à une évaluation
en matière d'environnement.
Je crois que cette interprétation est appuyée par
la loi constitutive, la Loi sur le ministère de l'En-
vironnement; c'est en vertu de l'article 6 de cette
Loi que le Décret sur les Lignes directrices ont été
édictées et c'est de lui que proviennent les mots
«ministère, [commission] ou organisme fédéraux».
Le paragraphe 4(1) de la Loi débute ainsi:
4. (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent d'une
façon générale à tous les domaines de compétence du Parle-
ment non attribués de droit à d'autres ministères ou organismes
fédéraux...
Cette disposition semble mettre en parallèle l'ex-
pression «ministères ou organismes fédéraux» non
pas avec le gouverneur en conseil mais plutôt avec
un seul ministre ou ministère du gouvernement.
On peut tirer une conclusion semblable de l'alinéa
5c) où il est dit que le ministre conseille «les chefs
des divers ministères ou organismes fédéraux» sur
les questions ayant trait à l'environnement. L'arti-
cle 6, en vertu duquel a été édicté Décret sur les
lignes directrices, est peut-être encore plus expli-
cite dans la distinction qu'il semble établir entre le
gouverneur en conseil et les ministères et organis-
mes fédéraux:
6. Au titre de celles de ces fonctions qui portent sur la
qualité de l'environnement, le ministre peut par arrêté, avec
l'approbation du gouverneur en conseil, établir des directives à
l'usage des ministères et organismes fédéraux et, s'il y a lieu, à
celui des sociétés d'Etat énumérées à l'annexe III de la Loi sur
la gestion des finances publiques et des organismes de régle-
mentation dans l'exercice de leurs pouvoirs et fonctions. [Souli-
gnements ajoutés.]
Dans l'ensemble, je trouve que la conclusion
s'impose que selon son libellé, le Décret sur les
lignes directrices n'exige pas que le gouverneur en
conseil s'y conforme.
La question restante vise l'obligation qui pour-
rait être faite au ministre des Transports de se
conformer au Décret en question. Il ne fait aucun
doute, évidemment, que les ministres de la Cou-
ronne sont légalement tenus de respecter le Décret
sur les lignes directrices PÉEE: voir l'arrêt Friends
of the Oldman River Society, précité. Le Décret
prévoit même la répartition des responsabilités
lorsqu'il existe deux ou plusieurs ministères res-
ponsables à l'égard d'une proposition (article 9).
Bien qu'à sa lecture le décret contesté dise qu'il
a été pris sur avis conforme du ministre des Trans
ports, et qu'il a été admis au Parlement que le
ministre était le ministre responsable (Débats de la
Chambre des communes, 3 octobre 1989, à la page
4252; Procès-verbaux et témoignages du Comité
permanent des transports, 16 octobre 1989, à la
page 18:36), les intimés ont soutenu que le minis-
tre n'était pas en droit un ministère responsable
mais simplement en mesure de donner des avis ou
de faire des recommandations à l'instance déci-
sionnelle véritable, le gouverneur en conseil. On a
affirmé qu'en l'absence d'autorité décisionnelle, un
ministère n'est pas un «ministère responsable»
selon la définition de cette expression dans le
Décret sur les lignes directrices, et par conséquent
qu'il n'est pas légalement tenu d'appliquer le pro-
cessus qui y est exposé.
On a soutenu pour le compte des appelants que
lorsque le gouverneur en conseil est saisi d'une
proposition sur avis conforme d'un ministre, ce
dernier a exercé un pouvoir de décision à l'égard
de la proposition, et que puisque le ministre en
l'espèce a exercé son pouvoir de décision pour le
compte du gouvernement du Canada à l'égard des
coupures de VIA, il était tenu d'appliquer le
Décret sur les lignes directrices PÉEE. On a cité à
l'appui de cette thèse l'arrêt Re Abel et al. and
Advisory Review Board (1980), 31 O.R. (2d) 520,
une décision de la Cour d'appel de l'Ontario. Le
juge d'appel Arnup a conclu au nom de la Cour
qu'un conseil de révision consultatif constitué en
vertu de la Mental Health Act de l'Ontario,
R.S.O. 1970, chap. 269, afin d'aviser le lieutenant-
gouverneur en conseil sur la détention continue des
patients dans les établissements psychiatriques
pour criminels, prenait des décisions qui lui impo-
saient l'obligation d'agir avec équité.
Toutefois, à mon sens, l'arrêt Re Abel ne peut
aider les appelants dans le présent contexte. Quel-
les que soient les exigences de la justice dans la
procédure relativement à un conseiller, qu'il soit
un particulier ou un conseil, elles ne sauraient
déterminer son statut en qualité de preneur de
décisions aux fins du Décret sur les lignes directri-
ces. La prise de décisions n'est pas définie dans le
Décret, mais en l'espèce au moins, où la mesure est
prise en vertu de l'article 64 de la Loi de 1987 sur
les transports nationaux, le preneur de décisions
ne peut être que le gouverneur en conseil. Je crois
que le juge des requêtes avait parfaitement raison
lorsqu'il a statué sur cette question en une phrase
unique et concise (Dossier d'appel à la page 156
[motifs de l'ordonnance aux pages 4 et 5]):
Même si le ministère des Transports est considéré comme le
ministère responsable, il est évident qu'il n'est pas l'organisme
qui prend les décisions, dans la mesure où ce décret est con
cerné, ce dernier ayant été pris conformément au pouvoir
extraordinaire accordé aux termes de l'article 64 de la Loi sur
les transports nationaux.
Étant donné ma décision sur l'interprétation du
Décret sur les lignes directrices, il ne m'est pas
nécessaire d'étudier les autres arguments des inti-
més visant les motifs pour lesquels un bref de
certiorari ne devrait pas être accordé.
L'appel devrait par conséquent être rejeté avec
dépens.
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: J'ai eu l'avantage de
lire les motifs de jugement rédigés par mon collè-
gue le juge d'appel MacGuigan. Je conclurais dans
le même sens que lui, mais en suivant un raisonne-
ment différent. Il a exposé les faits dans ses motifs,
aussi n'ai-je pas à les répéter. Il a également cité
les principales dispositions du Décret sur les lignes
directrices PÉEE («les Lignes directrices»).
Comme mes motifs se fondent principalement sur
les dispositions de la Loi sur le ministère de l'En-
vironnement («la Loi»), j'estime utile de citer inté-
gralement les articles pertinents de cette Loi.
POUVOIRS ET FONCTIONS DU MINISTRE
4. (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent d'une
façon générale à tous les domaines de compétence du Parle-
ment non attribués de droit à d'autres ministères ou organismes
fédéraux et liés:
a) à la conservation et l'amélioration de la qualité de l'envi-
ronnement naturel, notamment celle de l'eau, de l'air et du
sol;
b) aux ressources naturelles renouvelables, notamment les
oiseaux migrateurs et la flore et la faune sauvages en général;
c) aux eaux;
d) à la météorologie;
e) malgré l'alinéa 4(2)j) de la Loi sur le ministère de la
Santé nationale et du Bien-être social, à l'application, dans
la mesure où ils touchent la conservation et l'amélioration de
la qualité de l'environnement naturel, des règles ou règle-
ments pris par la Commission mixte internationale et pro-
mulgués aux termes du traité signé entre les États-Unis
d'Amérique et Sa Majesté le roi Edouard VII au sujet des
eaux limitrophes et des questions d'intérêt commun pour les
deux pays;
f) à la coordination des plans et programmes du gouverne-
ment fédéral en matière de conservation et d'amélioration de
la qualité de l'environnement naturel;
g) aux parcs nationaux;
h) aux champs de bataille, lieux et monuments historiques
nationaux.
(2) Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent en outre
aux autres domaines de compétence du Parlement liés à l'envi-
ronnement et qui lui sont attribués de droit.
5. Dans le cadre des pouvoirs et fonctions que lui confère
l'article 4, le ministre:
a) lance, recommande ou entreprend à son initiative et coor-
donne à l'échelle fédérale des programmes visant à:
(i) favoriser la fixation ou l'adoption d'objectifs ou de
normes relatifs à la qualité de l'environnement ou à la lutte
contre la pollution,
(ii) faire en sorte que les nouveaux projets, programmes et
activités fédéraux soient, dès les premières étapes de plani-
fication, évalués en fonction de leurs risques pour la qualité
de l'environnement naturel, et que ceux d'entre eux dont
on aura estimé qu'ils présentent probablement des risques
graves fassent l'objet d'un réexamen dont les résultats
devront être pris en considération,
(iii) fournir, dans l'intérêt public, de l'information sur
l'environnement à la population;
b) favorise et encourage des comportements tendant à proté-
ger et améliorer la qualité de l'environnement, et coopère
avec les gouvernements provinciaux ou leurs organismes, ou
avec tous autres organismes, groupes ou particuliers, à des
programmes dont les objets sont analogues;
c) conseille les chefs des divers ministères ou organismes
fédéraux en matière de conservation et d'amélioration de la
qualité de l'environnement naturel.
DIRECTIVES ÉTABLIES PAR ARRÊTÉ
6. Au titre de celles de ses fonctions qui portent sur la
qualité de l'environnement, le ministre peut par arrêté, avec
l'approbation du gouverneur en conseil, établir des directives à
l'usage des ministères et organismes fédéraux et, s'il y a lieu, à
celui des sociétés d'État énumérées à l'annexe III de la Loi sur
la gestion des finances publiques et des organismes de régle-
mentation dans l'exercice de leurs pouvoirs et fonctions.
ACCORDS
7. Le ministre peut, avec l'approbation du gouverneur en
conseil, conclure avec les gouvernements des provinces ou leurs
organismes des accords relatifs à la réalisation de programmes
relevant de sa compétences.
Interprétation de la Loi et des Lignes directrices
La Loi
Selon le libellé de ces dispositions, les pouvoirs
et fonctions du ministre de l'Environnement s'éten-
dent aux domaines de compétence liés à la coordi
nation des plans et programmes du gouvernement
fédéral en matière de conservation et d'améliora-
tion de la qualité de l'environnement naturel 6 ;
dans le cadre de ces pouvoirs et fonctions, le
ministre lance, recommande ou entreprend à son
initiative et coordonne à l'échelle fédérale des pro
grammes visant à faire en sorte que les nouveaux
projets, programmes et activités fédéraux soient,
dès les premières étapes de planification, évalués
en fonction de leurs risques pour la qualité de
l'environnement naturel'; et au titre de celles de
ses fonctions qui portent sur la qualité de l'environ-
nement, le ministre peut établir des directives à
l'usage des ministères et organismes fédéraux'.
J'estime, à la lecture de ces divers articles, que
l'intention du législateur était de faire en sorte que
tous les nouveaux projets, programmes et activités
fédéraux soient évalués dès les premières étapes de
planification et que pour y arriver, des directives
soient établies à l'usage de tous les ministères et
organismes fédéraux. La Loi a pour objet que tous
les nouveaux projets fédéraux soient évalués dès les
premières étapes de planification, et le moyen d'y
arriver réside dans les Lignes directrices. Je note
5 Note: Les avocats des parties ne se sont pas appuyés sur la
Loi canadienne sur la protection de l'environnement, qui a été
sanctionnée le 28 juin 1988 (L.C. 1988, chap. 22; L.R.C.
(1985) (4» suppl.), chap. 16) et qui contient une disposition,
l'article 53, semblable à l'article 6 de la Loi sur le ministère de
l'Environment à l'exception des mots «par arrêté» qui ont été
retranchés. L'article 146 de la Loi abroge l'article 6 de la Loi
sur le ministère de l'Environnement, mais cette disposition n'est
pas encore entrée en vigueur. Par conséquent, les Lignes direc-
trices ont été interprétées uniquement en fonction de la Loi sur
le ministère de l'Environnement en vertu de laquelle elles ont
été établies.
6 Alinéa 4(1)J).
7 Sous-alinéa 5a)(ii) (soulignements ajoutés).
' Article 6.
que l'article 6 ne prévoit pas que les Lignes direc-
trices s'appliquent aux ministères; il prévoit que le
ministre peut établir des directives à l'usage des
ministères, ce qui confirme, à mon sens, la distinc
tion qu'il y a lieu de faire entre l'objet et l'effet de
la Loi, énoncés aux articles 4 et 5, et le moyen
établi pour atteindre l'objet et l'effet de la Loi,
exposé à l'article 6.
Je suis d'avis que la Loi, par son libellé, lie le
gouvernement du Canada et, par conséquent, le
gouverneur en conseil et le Cabinet car à notre
époque
En effet, par conventions constitutionnelles, le pouvoir exécu-
tif réel appartient, au fédéral, à un comité du Conseil Privé—le
Cabinet ... 9
Les mots «projets, programmes et activités fédé-
raux» [soulignement ajouté] utilisés au
sous-alinéa 5a)(ii) de la Loi ne peuvent que com-
prendre des projets, des programmes et des activi-
tés désignés comme étant ceux du gouvernement
du Canada, que celui-ci agisse par l'entremise du
gouverneur en conseil ou d'un ministre particulier.
S'il n'était pas certain que la Loi lie expressé-
ment le gouvernement du Canada, son intention et
son contexte laissent tout au moins supposer, par
déduction nécessaire, qu'elle lie effectivement le
gouvernement.
Dans l'arrêt Province of Bombay v. Municipal
Corporation of the City of Bombay and Another,
lord du Parcq s'est montré d'avis que:
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries préfèrent dire que l'objet
apparent de la loi est un facteur, qui peut être un facteur
important, à considérer lorsque l'on allègue qu'il y a intention
de lier la Couronne. Si l'on peut affirmer qu'au moment où la
loi a été adoptée et a reçu la sanction royale, il ressortait
clairement de son libellé qu'elle serait privée de tout effet
salutaire si elle ne liait pas la Couronne, on peut présumer que
la Couronne a accepté d'être liée. Leurs Seigneuries ajoutent
toutefois que dans ces cas où l'on demande à la Cour de tirer
cette conclusion, il faut toujours se rappeler que si l'intention
du législateur est de lier la Couronne, il n'est rien de plus facile
que de le dire en toutes lettres 10 .
et dans l'arrêt R. c. Ouellette, le juge Beetz s'est
montré d'avis que l'article 16 [S.R.C. 1970, chap.
C-34] (aujourd'hui l'article 17 [L.R.C. (1985),
chap. I-211) de la Loi d'interprétation, qui prévoit
9 Dussault et Borgeat, Traité de droit administratif, 1984, 2'
éd., tome I, aux p. 66 et s.
10 [1947] A.C. 58, à la p. 63.
que sauf indication contraire y figurant, nul texte
ne lie Sa Majesté,
... n'exclut pas la règle selon laquelle les diverses dispositions
d'une loi s'interprètent les unes à la lumière des autres, et il est
possible que Sa Majesté soit implicitement liée par un texte
législatif si telle est l'interprétation que ce texte doit recevoir
lorsqu'il est replacé dans son contexte".
En l'espèce, il me semble manifeste d'après le
libellé de la Loi que son effet salutaire serait
entièrement écarté si le gouvernement du Canada
pouvait jouer sur les mots et établir des distinc
tions là où le Parlement ne l'a pas fait, entre les
projets fédéraux qui sont ceux d'un ministre parti-
culier et les projets fédéraux qui sont ceux du
Cabinet même agissant en qualité de législateur.
La Loi vise une préoccupation très concrète, l'envi-
ronnement, et elle entend par ses termes mêmes
protéger la qualité de l'environnement chaque fois
que l'on prévoit un nouveau projet fédéral. Nous
ne devons pas interpréter la Loi comme s'il s'agis-
sait d'un document constitutionnel ni tenter d'y
voir des nuances constitutionnelles qui créent des
ambiguïtés sans aucun rapport là où en réalité
aucune n'existe pour peu qu'on regarde les mots
clairs qui sont utilisés et qu'on les applique à
l'appareil gouvernemental dans son fonctionne-
ment quotidien. On ne saurait oublier qu'en
matière d'administration contemporaine, le gou-
verneur en conseil ne prépare pas, ne prend pas et
ne met pas à exécution des décisions sans l'aide de
ministres et de ministères particuliers.
La pratique suivie par le gouvernement, au
Canada, est définie comme suit par Peter Hogg:
[TRADUCTION] Lorsque les ministres se réunissent ensemble
en tant que groupe, ils forment le Cabinet ...
Le Cabinet, qui se réunit régulièrement et fréquemment, est
à l'égard de la plupart des questions le pouvoir exécutif
suprême ... Le Cabinet formule et met en oeuvre toutes les
politiques de l'exécutif, et il est responsable de l'administration
de tous les ministères du gouvernement. Il constitue la seule
partie active du Conseil privé, et il exerce les pouvoirs de cet
organisme. Le gouverneur général ne préside pas les réunions
du Cabinet ni même n'y assiste. C'est le premier ministre qui
préside. Lorsque la Constitution ou une loi exige qu'une déci-
sion soit prise «par le gouverneur général en conseil» (et c'est là
une exigence fort commune), aucune réunion n'est tenue avec le
gouverneur général. Le Cabinet (ou un comité du Cabinet
auquel ont été déléguées les affaires courantes du Conseil privé)
prend la décision et envoie un «décret» ou une «minute» de la
décision au gouverneur général pour signature (la convention
veut qu'il la donne automatiquement). Lorsqu'une loi exige
qu'une décision soit prise par un ministre particulier, le Cabinet
" [1980] 1 R.C.S. 568, à la p. 575.
prend alors la décision, et le ministre compétent l'authentique
formellement. Naturellement, le Cabinet se contente de délé-
guer plusieurs questions à des ministres particuliers, mais
chaque ministre reconnaît l'autorité suprême du Cabinet dans
l'éventualité où ce dernier cherche à l'exercer.
Il est donc évident que dans un système de gouvernement
responsable il n'existe pas de «partage des pouvoirs» entre les
branches législative et exécutive du gouvernement. Le chef de
la branche exécutive, le Cabinet, tient ses membres et son
pouvoir de gouverner de la branche législative, le Parlement; et
le Cabinet contrôle le Parlement 12 .
Je crois que les extraits suivants de l'ouvrage de
Fajgenbaum et Hanks' s'appliquent également au
contexte canadien:
[TRADUCTION] La personnalité juridique du gouvernement
exécutif est représentée par la Couronne, par la Reine: c'est-à-
dire, en droit le gouvernement est considéré comme une per-
sonne morale et cette personne est la Reine. Toutefois, dans ce
contexte les termes »la Couronne» et «la Reine» se sont déper-
sonnalisés. En effet, ils désignent non pas la Reine en tant que
personne, mais les fonctions du monarque ou l'institution de la
monarchie. Lorsque nous parlons de la Couronne dans le
contexte du gouvernement australien à la fin du vingtième
siècle, nous parlons d'un système complexe dont le chef officiel
est le monarque. Nous ne parlons pas d'une réplique du gouver-
nement anglais au seizième siècle, lorsque le monarque détenait
et exerçait personnellement le pouvoir réel. Nous faisons plutôt
allusion à cet ensemble d'individus et d'institutions (ministres,
fonctionnaires, un cabinet, le conseil exécutif, un gouverneur ou
un gouverneur général et des organismes statutaires) qui exer-
cent les fonctions exécutives du gouvernement.
En droit, ces individus et ces institutions sont considérés
comme étant des représentants de la Couronne, et un grand
éventail de fonctions exécutives sont considérées comme des
actes de la Couronne. En effet, nombre de décisions et d'actes
importants du gouvernement sont annoncés et exécutés comme
s'il s'agissait des décisions et des actes de la Reine. La déclara-
tion de la guerre ou de la paix, la signature de traités interna-
tionaux, la nomination des juges et des ministres du Cabinet, la
convocation et la dissolution du Parlement et la promulgation
de nombreux règlements, règles et décrets qui régissent et
contrôlent plusieurs aspects des affaires de la collectivité—
toutes ces actions sont exécutées comme si elles reflétaient la
volonté personnelle de la Reine. Et plusieurs autres fonctions
essentielles du gouvernement, bien qu'elles ne soient pas rem-
plies au nom de la Reine, sont confiées à des ministres et des
fonctionnaires qui agissent en qualité de préposés de la Cou-
ronne et non en tant que particuliers lorsqu'ils exécutent les
tâches qui leur sont confiées.
[5.003] Nous ne devons pas oublier, naturellement, que cette
idée que la Couronne est la personnification du gouvernement
est dans une grande mesure une simple façade, un vestige de la
réalité médiévale, conservée à notre époque plus démocratique
parce qu'il s'agit d'une façade commode. Le présumé pouvoir
12 Constitutional Law of Canada, 2» éd. (1985), aux p. 195,
196 et 203 (notes en bas de pages omises).
de la Reine est atténué, et même contrôlé, par ses principaux
préposés et ministres qui, à leur tour comptent, en ce qui
concerne leurs positions, sur la bonne volonté et sur l'appui de
leurs collègues politiques, aussi bien au sein qu'à l'extérieur du
Parlement. Les règles juridiques formelles, auxquelles les tribu-
naux, étant donné leur conservatisme sentimental, ont adhéré,
sont tout empreintes des conventions qui déterminent la façon
dont les pouvoirs prévus par la loi seront exercés 13 .
Par conséquent, j'estime que lorsqu'une loi du
Parlement parle de «projets fédéraux», seuls des
mots explicites pourraient exclure de ces projets
ceux qui sont soi-disant planifiés, faits et exécutés
par le gouverneur en conseil.
Les Lignes directrices
J'en arrive maintenant aux Lignes directrices.
Les appelants n'ont pas mis en cause la validité
des Lignes directrices, aussi dois-je présumer
qu'elles sont valides et qu'elles respectent les limi-
tes établies par la loi habilitante. Cette présomp-
tion est l'une des principales difficultés en l'espèce
car nous avons à interpréter un règlement que l'on
doit présumer valide mais qui peut fort bien, si
l'interprétation de mon collègue le juge MacGui-
gan est correcte, être incompatible avec sa loi
habilitante, telle que je l'interprète. Cependant, s'il
existe une interprétation des Lignes directrices
plus conforme aux dispositions de la Loi, elle doit
être privilégiée car les règlements, tout autant que
leur loi habilitante, sont «censé[s] apporter une
solution de droit» et «s'interprète[nt] de la manière
la plus équitable et la plus large qui soit compati
ble avec la réalisation de [leur] objet», pour
employer le libellé de l'article 12 de la Loi d'inter-
prétation [L.R.C. (1985), chap. I-21] qui s'appli-
que, étant donné la définition des mots «texte» et
«règlement» à l'article 2, aux lois aussi bien qu'aux
règlements et aux décrets. Comme l'a dit Driedger,
[TRADUCTION] L'intention de la loi transcende et régit l'inten-
tion du règlement 14 .
Les Lignes directrices s'appliquent, selon
l'article 6, «aux propositions a) devant être réali-
sées directement par un ministère responsable;
b) pouvant avoir des répercussions environnemen-
tales sur une question de compétence fédérale» et
selon l'article 2 le mot «proposition» s'entend en
outre de «toute entreprise ou activité à l'égard de
13 Fajgenbaum and Hanks' Australian Constitutional Law,
2' éd. (1980), aux p. 339 et 340.
14 Construction of Statutes, 2' éd. (1983), à la p. 247.
laquelle le gouvernement du Canada participe à la
prise de décisions». J'ai souligné les mots «proposi-
tions» et «toute» et les expressions «gouvernement
du Canada» et «question de compétence fédérale»
pour montrer que les Lignes directrices, conformé-
ment à la Loi, sont censées s'appliquer à toute
activité à l'égard de laquelle le gouvernement du
Canada et non un ministère, ministre ou orga-
nisme particuliers, participe à la prise de décisions.
Si je comprends bien les Lignes directrices, elles
s'appliquent chaque fois que, pour le compte du
gouvernement du Canada, entre en jeu la prise
d'une décision qui doit avoir des répercussions
environnementales.
Le juge de première instance et les intimés ont
mis l'accent sur les mots «ministère responsable»
qui ont trait à l'administration des Lignes directri-
ces. Je mettrais plutôt l'accent sur les mots «propo-
sition» et «gouvernement du Canada» qui ont trait
au «champ d'application» des Lignes directrices.
Rien n'exige dans la définition du mot «proposi-
tion» que celle-ci soit faite par un ministère respon-
sable, au sens des Lignes directrices 15 . L'intention
du rédacteur semble être que les Lignes directrices
doivent s'appliquer chaque fois qu'une activité
peut avoir des répercussions environnementales sur
une question de compétence fédérale et quel que
soit le preneur de décision au nom du gouverne-
ment, qu'il s'agisse d'un ministère, d'un ministre
ou du gouverneur en conseil, et cela devient alors
une question purement pratique, lorsque le preneur
de décision ultime n'est pas un ministère, de déter-
miner quel ministère ou ministre est le preneur de
décision originel ou celui qui va effectivement
mettre la décision à exécution, car il se trouve
toujours un ministère ou un ministre qui est pré-
sent «à l'étape de planification» et «avant» que ne
soient prises «des décisions irrévocables» 16 ou qui
voit à la «réalisation directe» de la proposition ". À
mon avis, les Lignes directrices, dès lors qu'elles
s'appliquent à une proposition, doivent être respec-
tées par le(s) ministère(s) ou le(s) ministre(s) qui,
à toutes fins pratiques, est ou sont responsable(s)
de la planification et de la réalisation de la propo
sition. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, le
gouverneur en conseil intervient au dernier
15 Voir l'alinéa 6b).
16 Voir l'article 3.
17 Voir l'alinéa 6a).
moment pour prendre une décision «sur avis con-
forme du ministre des Transports», il y a «proposi-
tion» aux fins de l'application des «Lignes directri-
ces» et le «ministère responsable» aux fins de
l'administration des Lignes directrices est, à la
face même du document, le ministère des Trans
ports. Soutenir le contraire serait, à mon avis, aller
à l'encontre de l'objet des Lignes directrices et de
la Loi sur le ministère de l'Environnement.
Je note, comme l'a fait mon confrère le juge
MacGuigan, que le ministre de l'Environnement
aussi bien que le ministre des Transports se sont
montrés d'avis devant la Chambre des communes
et devant le Comité permanent des transports que
les Lignes directrices s'appliquaient à la réorgani-
sation de VIA Rail et que le ministère des Trans
ports était le «ministère responsable». Bien que ces
remarques n'aient pas force de loi, elles n'en indi-
quent pas moins qu'à toutes fins pratiques le
ministère des Transports estimait être, à bon droit
selon moi, le «ministère responsable».
C'est le ministre des Transports qui a annoncé
[TRADUCTION] «la décision du gouvernement fédé-
ral au sujet du plan quinquennal d'entreprise de
VIA Rail», qui a «fait connaître aux membres du
conseil d'administration de VIA la nouvelle politi-
que du gouvernement», qui a «recueilli les observa
tions de nombreux canadiens», qui a exposé «les
grandes lignes du plan gouvernemental pour l'éta-
blissement d'un réseau ferroviaire restructuré d'en-
vergure nationale» et qui a dit que «les retombées
environnementales possibles du plan d'entreprise
de VIA ont, naturellement, tenu une place impor-
tante dans l'analyse que j'en ai faite», qui a «donné
instruction à mes fonctionnaires d'étudier attenti-
vement ces possibilités» et qui a annoncé «les résul-
tats de notre examen»]$.
C'est le ministre des Transports qui a déposé un
document intitulé «Le processus de cessation de
service» 19 qui contenait l'explication suivante:
Le Parlement a établi ces pouvoirs (dans la Loi nationale sur
les transports) * pour veiller à ce que le gouvernement, de
préférence à tout autre organisme de réglementation, assume
l'entière responsabilité des mesures prises.
's Dossier d'appel, aux p. 19 et 22.
19 Dossier d'appel, à la p. 35.
* Note de l'arrêtiste: le titre de la Loi devrait se lire Loi de
1987 sur les transports nationaux.
Quelle que puisse être la valeur juridique de ce
document, et je soupçonne qu'il n'en a aucune, il
n'en confirme pas moins le peu de «pouvoir de
décision» réel que possédait VIA, à supposer
qu'elle en ait eu, à l'égard de la proposition.
Les avocats des intimés ont avancé à l'audience
que si les Lignes directrices s'appliquaient, le
«ministère responsable» serait VIA. A mon sens,
cette prétention est entièrement contredite par les
éléments de preuve auxquels je viens de renvoyer.
Il n'y avait qu'un «ministère responsable» dans
toute cette affaire, et c'était le ministère des
Transports; il n'existait qu'un «pouvoir de décision»
aux fins des Lignes directrices, et c'était le minis-
tre des Transports. Bien que l'on puisse soutenir
que le pouvoir de décision final était en droit le
gouverneur en conseil, je ne vois rien dans les
Lignes directrices, interprétées en corrélation avec
la Loi, qui indique une idée de «finalité» ou même
de «légalité» dans l'expression «pouvoir de déci-
sion».
Je suis donc entièrement d'accord avec les appe-
lants lorsqu'ils disent que [TRADUCTION] «lorsque
le gouverneur en conseil est saisi d'une proposition
sur avis conforme d'un ministre, ce dernier a
exercé un pouvoir de décision à l'égard de la
proposition» et lorsqu'ils avancent que [TRADUC-
TION] «le ministre des Transports a exercé son
pouvoir de décision pour le compte du gouverne-
ment du Canada à l'égard des coupures de VIA et
il était tenu d'appliquer le Décret sur les lignes
directrices PÉEE».
Le gouverneur en conseil est aussi à mon avis
tenu de se conformer aux Lignes directrices bien
qu'il puisse ne pas être un «ministère responsable»
aux fins de ce Décret. Si dans l'exercice des pou-
voirs que lui confère l'article 64 de la Loi de 1987
sur les transports nationaux, le gouverneur en
conseil fait une proposition pouvant avoir des
répercussions environnementales sur une question
de compétence fédérale, la Loi sur le ministère de
l'Environnement et les Lignes directrices s'appli-
quent à cette proposition car il s'agit là d'une
activité à l'égard de laquelle le gouvernement du
Canada participe à la prise de décisions. Dès lors,
en vertu de la loi et en vertu des règlements, le
gouverneur en conseil est tenu, comme condition
préalable à l'exercice du pouvoir que lui confère la
loi, de s'assurer que le ministère responsable res-
pecte les Lignes directrices. Comme l'a dit le juge
Estey dans l'arrêt Procureur général du Canada c.
Inuit Tapirisat of Canada et autres:
Il faut dire tout de suite que la simple attribution par la loi
d'un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son
exercice échappe à toute révision. Si ce corps constitué n'a pas
respecté une condition préalable à l'exercice de ce pouvoir, la
cour peut déclarer ce prétendu exercice nul 20 .
Subsidiairement, les intimés avancent que les
Lignes directrices ne s'appliquent pas à une déci-
sion qui restreint la portée d'une entreprise ou
activité qui était déjà en cours de réalisation avant
l'entrée en vigueur des Lignes directrices. Je ne
vois pas le bien-fondé de cette thèse. Rien dans les
Lignes directrices n'indique qu'elles ne s'appli-
quent pas aux propositions réduisant la portée
d'entreprises ou activités existantes. La réorganisa-
tion de VIA Rail est un «nouveau projet, pro
gramme et activité fédéra[1]» au sens du sous-ali-
néa 5a)(ii) de la Loi et une «entreprise ou activité»
au sens de la définition du mot «proposition» dans
les Lignes directrices. Je note que le libellé des
Lignes directrices diffère de celui de la Loi mais le
sens des différentes expressions employées semble
être le même et est très étendu. La réorganisation
de VIA Rail est aussi, comme le reconnaissent les
ministres compétents, une proposition «pouvant
avoir des répercussions environnementales sur une
question de compétence fédérale», quoique mini-
mes, au sens de l'alinéa 6b).
Les intimés affirment aussi qu'en tout état de
cause, l'interprétation que donnent les appelants
des exigences des Lignes directrices est incorrecte.
Je n'ai pas à interpréter ici ces exigences, car la
preuve est concluante que ce qui a été fait ne l'a
pas été en vertu ni en fonction des Lignes
directrices.
À l'audience, les intimés ont fait valoir que ce
serait une curieuse situation que les Lignes direc-
trices s'appliquent au gouverneur en conseil mais
qu'elles ne s'appliquent pas, en raison de l'article
7, aux sociétés énumérées à l'annexe D de la Loi
sur l'administration financière [S.R.C. 1970,
chap. F-10]. Si étrange que puisse être cette situa
tion, et il n'entre pas dans mes attributions d'en
juger, elle découle non pas des Lignes directrices
20 [1980] 2 R.C.S. 735, à la p. 748.
mais de la Loi elle-même qui, à l'article 6, prévoit
que les Lignes directrices s'appliquent à de telles
sociétés «s'il y a lieu».
Je trouve un appui à mon interprétation de la
Loi et des Lignes directrices dans diverses déci-
sions de cette Cour. Dans l'arrêt Friends of the
Oldman River, mon collègue le juge Stone, qui
s'exprimait au nom de la Cour [à la page 39], a
parlé de «la portée véritable et, certes, très étendue
du Décret sur les lignes directrices» et il a ajouté
[aux pages 39 et 40]:
Le projet de barrage auquel se rapportait l'approbation tombait
nettement sous le coup de l'alinéa 6b) du Décret sur les lignes
directrices en ce qu'il faisait partie des «propositions ... pou-
vant avoir des répercussions environnementales sur une ques
tion de compétence fédérale». À la suite de cette «proposition»,
le ministère des Transports est devenu le «ministère responsa-
ble» en qualité de ministère qui «exerce le pouvoir de décision».
En commentant le mot «proposition», il a ajouté [à
la page 44]:
Bien que, dans son acceptation courante, le terme «proposition»
puisse impliquer un genre de demande, dans le Décret sur les
lignes directrices ce mot est un terme défini dont la portée est
beaucoup plus large que sa portée courante.
Dans de telles circonstances, s'il existe une «entreprise ou
activité» à l'égard de laquelle le gouvernement du Canada
exerce «le pouvoir de décision», il existe également une
«proposition».
Le juge Stone a dit ce qui suit relativement aux
rôles respectifs du ministre des Transports et du
ministre des Pêches et des Océans dans les circons-
tances de cette affaire [à la page 48]:
... en qualité de ministre responsable de la protection de
l'habitat du poisson et des ressources halieutiques de la rivière
Oldman, le ministre des Pêches et des Océans ait été tenu de
jouer pleinement le rôle que lui assignait le Décret sur les lignes
directrices. Il revenait ensuite au ministre du «ministère respon-
sable», celui des Transports, d'accorder ou de refuser l'approba-
tion au terme de ce processus d'examen 21 .
Dans l'arrêt Féd. can. de la faune Inc. c.
Canada (Min. de l'Environnement) 22 , cette Cour a
conclu que le Décret sur les lignes directrices avait
un caractère impératif:
... l'emploi répété du verbe «shah » dans la version anglaise des
Lignes directrices, et particulièrement aux art. 6, 13 et 20,
montre l'intention évidente que les Lignes directrices aient
21 Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre
des Transports), [1990] 2 C.F. 18 (C.A.).
22 [1990] 2 W.W.R. 69 (C.A.F.).
force obligatoire pour tous ceux qu'elles visent, y compris le
ministre de l'Environnement lui-même 23 .
En première instance, le juge Cullen avait statué
comme suit:
À première vue, il semble que le Décret ne soit destiné qu'aux
ministères et organismes fédéraux (voir la définition des termes
«ministère» et «ministère responsable» dans le Décret), et le
ministre intimé n'a pas tort de dire que le projet est une
entreprise provinciale qui n'est soumise qu'à la réglementation
et qu'aux lignes directrices provinciales. Toutefois, l'article 6 du
Décret prévoit expressément que les lignes directrices en ques
tion s'appliquent aux propositions pouvant avoir des répercus-
sions environnementales sur une question de compétence
fédérale 24 .
À la page 328, il a mentionné que le ministre avait
«participé» au projet dans la mesure où il avait
«(délivr[é] le permis prévu par la Loi sur les
ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau
internationaux)».
Dans l'arrêt Naskapi-Montagnais Innu Assn. c.
Canada (Ministre de la Défense nationale), le juge
Reed a exprimé l'opinion suivante [à la page 392
C.F.]:
... je ne suis pas d'accord pour dire qu'en raison du fait qu'elle
a été implicitement autorisée par le gouverneur en conseil parce
qu'elle fait l'objet d'une entente internationale (dont la signa
ture a été approuvée par le gouverneur en conseil), une proposi
tion ne tombe pas sous le coup du Décret. J'estime bien fondée
la prétention de l'avocat suivant laquelle il faut examiner les
décisions et les mesures que le ministère fédéral compétent doit
prendre pour mettre en oeuvre le traité qui a été conclu. Ce sont
ces décisions et ces activités auxquelles le Décret peut
s'appliquer 25 .
La jurisprudence de la Cour fédérale semble
donner aux Lignes directrices une autorité et une
efficience maximales et les interpréter de façon à
les adapter à la réalité de la machine administra
tive et à les rendre applicables à tous les ministères
ou ministres «participants», à quelqu'étape que leur
participation ait lieu. J'estime qu'il faut considérer
les décisions et les mesures réelles qui ont été
prises et qui doivent l'être par les ministères gou-
vernementaux compétents pour décider quel(s)
ministère(s) est(sont) à un certain moment le pou-
voir de décision réel relativement à un projet ou
une entreprise fédéral(e) et, par conséquent, se
trouve(nt) lié(s) par les Lignes directrices.
23 Le juge Hugessen, J.C.A., à la p.71.
24 [1989] 3 C.F. 309, aux p. 322 et 323.
25 [1990] 3 C.F. 381 (1" inst.).
Dès lors qu'une distinction a été établie entre
l'effet et l'objet de la Loi et les moyens de les
atteindre, et entre l'application et l'administration
des Lignes directrices adoptées en vertu de la Loi,
il devient possible de conclure que le Décret s'ap-
pliquait en l'espèce au ministère des Transports et
constituait une condition préalable à l'exercice du
pouvoir conféré au gouverneur en conseil par la
Loi de 1987 sur les transports nationaux.
Exercice du pouvoir discrétionnaire
C'est une règle incontestable que le bref de
certiorari est de nature discrétionnaire et que lors-
que les circonstances le justifient, il peut être
refusé aux requérants qui ont par ailleurs établi y
avoir droit 26 .
Le juge de première instance ayant conclu que
les appelants n'avaient pas droit de se voir décer-
ner un bref de certiorari, il n'avait pas à traiter de
la question du refus. Quant à moi, au contraire, je
dois le faire.
Les motifs pour lesquels le tribunal peut refuser
d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour décer-
ner un bref de certiorari sont bien établis. Ils
comprennent notamment:
(1) le retard excessif de la part du requérant qui
recherche ce recours;
(2) le fait qu'en raison de ce retard, le tribunal n'a
plus rien à interdire;
(3) le fait qu'accorder ce recours ne servirait
aucune fin utile; et
(4) le fait qu'accorder le bref serait préjudiciable
à la bonne administration 27 .
En l'espèce, le décret a été pris le 4 octobre 1989
et il y est mentionné que le nouveau réseau de
services ferroviaires voyageurs doit être mis en
place à compter du 15 janvier 1990. Le jour même
où le décret a été pris, les résultats de l'étude
environnementale sur les conséquences de la res -
26 Voir Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S.
561.
27 Voir l'ouvrage de Jones et de Villars, Principles of Admi
nistrative Law (1985), aux p. 372 à 375 et l'ouvrage de
de Smith Judicial Review of Administrative Action, 4' éd., aux
p. 422 à 424.
tructuration ont été rendus publics sous forme de
résumé; ils devaient être publiés intégralement le
11 octobre 1989. Avant le 4 octobre 1989, le
ministre des, Transports avait pendant plusieurs
mois reçu les observations d'une grande variété de
citoyens et d'organismes, et il n'existe aucune
preuve que les appelants aient présenté de telles
observations. Le Comité permanent des transports
de la Chambre des communes a tenu des séances
publiques et il a déposé son rapport le 8 novembre
1989; aucun des appelants n'a témoigné dans le
cadre des auditions publiques, mais M. Angus
était membre de ce comité et l'on peut dire que la
Fédération canadienne des municipalités a repré-
senté, parmi d'autres, la ville de Thunder Bay,
bien que nous ne sachions pas si cette représenta-
tion visait l'environnement aussi bien que la cou-
pure des services. Le Comité a demandé que le
gouvernement dépose une réponse détaillée, mais
celle-ci n'est jamais venue. Il y a lieu de mention-
ner que le Comité a recommandé un moratorium
des coupures annoncées des services de VIA Rail.
Les appelants ont signifié aux intimés le 9 janvier
1990 la demande par laquelle ils contestaient la
validité du décret et qui devait être présentée le
12 janvier 1990.
Dans leur affidavit, les appelants n'expliquaient
nullement pourquoi la demande n'avait pas été
déposée avec plus de célérité. L'affidavit n'était
signé que par un des requérants, M. Angus; il ne
contenait pas la résolution du conseil municipal de
la ville de Thunder Bay autorisant la ville à parti-
ciper aux procédures, de sorte que nous ne connais-
sons pas l'intérêt précis de cette ville dans les
procédures; il mentionnait en passant et dans les
termes suivants l'autre appelante, Greenpeace
Canada, dont les activités n'ont pas été portées à
ma connaissance d'office:
[TRADUCTION] M. John Bennett, représentant de Greenpeace
Canada, m'a avisé, et je le crois, que Greenpeace Canada a
aussi convenu de participer à ces procédures 28 .
Bien qu'ils aient déposé leur avis d'appel le 15
janvier 1990, les appelants n'ont pas déposé leur
demande visant l'audition accélérée de leur appel
avant le 23 février 1990. Dans un affidavit déposé
à l'appui de la seconde demande, l'un des appe-
lants a reconnu que la mise en oeuvre de la réduc-
tion du réseau de VIA Rail avait commencé le 15
28 Dossier d'appel, à la p. 5.
janvier 1990 avec l'élimination de certains services
et la mise à pied d'employés, et que l'aliénation de
l'équipement et du matériel roulant nuirait consi-
dérablement à la capacité de VIA de fournir les
services retirés dans l'éventualité de l'annulation
du décret.
En l'espèce, et non sans regret, j'ai conclu que je
dois exercer le pouvoir discrétionnaire qui est le
mien et refuser le bref de certiorari pour divers
motifs qui, considérés individuellement, auraient
pu ne pas me conduire à cette conclusion mais qui,
combinés les uns aux autres, militent fortement
contre les appelants.
Le retard apporté, si court et négligeable soit-il,
reste inexpliqué et bien que je n'aurais pas refusé
d'accorder un bref de certiorari pour ce seul motif,
j'estime que le défaut absolu d'expliquer, même à
l'aide d'un bref affidavit, les raisons du retard
force la Cour à faire des conjectures sur le motif
pour lequel les requérants ont attendu jusqu'à la
dernière minute pour déposer leur acte de procé-
dure, et les conjectures de ce genre ne sont pas
régulièrement du domaine des tribunaux. Les
requérants qui ne se donnent pas la peine de
fournir des explications jouent avec le feu.
Les préoccupations des appelants sont aussi pour
la plupart inexpliquées. Bien que je ne demande-
rais pas aux requérants qui cherchent à obtenir un
bref de certiorari d'expliquer en détail les motifs
pour lesquels ils veulent obtenir cette réparation, je
m'attendrais tout au moins à de plus amples ren-
seignements que ceux qui figurent dans l'affidavit
et ses documents justificatifs. En l'espèce, comme
on l'a déjà souligné, il ne semble pas que les
appelants aient exprimé leurs préoccupations lors-
que l'occasion s'est présentée; la ville appelante n'a
pas déposé la résolution de son conseil autorisant
les procédures, de sorte que nous n'avons aucune
idée des motifs de l'intervention qui n'a été autori-
sée formellement que la veille de son dépôt auprès
de la Cour; l'appelante Greenpeace Canada n'est
mentionnée qu'en passant dans l'affidavit de
M. Angus. Par conséquent, j'en serais encore
réduit aux conjectures à l'égard des préoccupations
des appelants.
Plus important encore, les éléments de preuve
produits par les appelants ne montrent pas ni
n'entendent montrer ni ne laissent entendre même
de prime abord que s'il y avait eu respect des
Lignes directrices, les conclusions du rapport
déposé à la Chambre des communes auraient pu
être différentes. Le Comité permanent des trans
ports, dont l'appelant Angus était membre, n'a
même pas mentionné les Lignes directrices dans
son rapport critiquant la proposition. Rien au dos
sier ne laisse croire, ne serait-ce qu'à première vue,
à des effets directs et immédiats de la proposition
sur la qualité de l'environnement par opposition,
par exemple, aux propositions en cause dans les
arrêts Oldman River et Fédération canadienne de
la faune. Dans l'arrêt Oldman River, mon collègue
le juge Stone a dit ce qui suit [à la page 34]:
Point n'est besoin d'un examen approfondi pour constater
que la construction et l'exploitation du barrage et du réservoir
de la rivière Oldman peuvent avoir des répercussions environne-
mentales sur des questions de compétence fédérale. Au moins
trois de ces questions sembleraient être ainsi visées, soit les
pêcheries, les Indiens et les terres réservées aux Indiens. À mon
sens, la preuve établit avec force et éloquence que la présence
d'un barrage et d'un réservoir risque effectivement d'avoir des
répercussions néfastes sur ces domaines particuliers de la com-
pétence fédérale.
Le moins que je puisse dire en l'espèce, c'est que
la preuve n'est ni forte ni éloquente, et bien que je
n'aie pas à prévoir quels seraient les résultats d'un
examen conforme aux Lignes directrices, ni ne
doive le faire, j'estime qu'avant d'accorder un bref
de certiorari au motif qu'aucun examen de la sorte
n'a eu lieu alors que la conclusion de cet examen
ne lie même pas le ministre compétent, je devrais
disposer d'éléments de preuve indiquant que les
résultats auraient pu être différents. Comme l'a
souligné le juge Reed en refusant d'accorder des
brefs de mandamus et de certiorari dans l'affaire
Naskapi-Montagnais [aux pages 406 et 407 C.F.]:
Si on lui présentait des preuves patentes démontrant que les
vols à basse altitude qui sont actuellement effectués avec une
intensité croissante ont des incidences importantes et domma-
geables sur l'environnement, le tribunal serait amené à accorder
l'ordonnance demandée. Mais on ne m'a présenté aucune telle
preuve patente. Dans les pièces qui ont été produites, on
formule beaucoup de commentaires spéculatifs et hypothétiques
mais aucune preuve concrète ... l'absence d'éléments de preuve
patents et univoques concernant les dommages importants
causés à l'environnement est un facteur dont on peut tenir
compte pour refuser de prononcer l'ordonnance demandée.
En exerçant des pouvoirs discrétionnaires dans
des affaires où le vice reproché est le défaut d'or-
donner un examen qui, nonobstant sa conclusion,
n'aurait pas un caractère impératif, les tribunaux
devraient être réticents à perturber les activités
publiques d'envergure au dernier moment possible
à la demande de requérants qui n'ont pas expliqué
pourquoi ils ont agi aussi tardivement, qui n'ont
pas indiqué au moins de façon générale quelles
étaient leurs préoccupations ou celles du public et
qui n'ont même pas laissé entendre que ce qu'ils
recherchent pourrait servir une fin utile. Les tribu-
naux ne devraient pas exercer leur pouvoir discré-
tionnaire d'accorder un bref de certiorari dans le
vide ou sur de simples conjectures quant à l'iden-
tité des requérants, quant à ce qu'ils recherchent et
quant à la fin que servirait la délivrance du bref.
Par conséquent, dans l'exercice de mes pouvoirs
discrétionnaires et sans approuver d'aucune façon
ce que je considère être un précédent illégal de la
part du gouverneur en conseil et du ministre des
Transports, je refuserais, dans les circonstances
très particulières de l'espèce, de décerner un bref
de certiorari et je rejetterais l'appel, sans dépens.
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