T-1903-87
Walter Gordon Sweeney (demandeur)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: SWEENEY c. CANADA (1 Ye INST.)
Section de première instance, juge Denault—Hali-
fax, 7 février; Ottawa, 6 septembre 1990.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Gains en capital
Entente entre un père et son fils au sujet de l'achat
d'actions d'une entreprise familiale, pour une somme conve-
nue, au moment du décès du père La clause révocatoire
exige un préavis de 60 jours Le père a donné les actions et
a fait un testament en violation de l'entente Après la mort
du père, l'offre d'achat des actions du demandeur a été rejetée
— L'action intentée par le demandeur pour obtenir l'exécution
de son droit en nature a été réglée hors cour pour la somme de
625 000 $ — Calcul du prix de base rajusté du droit d'achat
des actions — Litige portant sur la juste valeur marchande du
droit au jour de l'évaluation — Le demandeur soutient qu'il
n'y a pas gain en capital La clause révocatoire fait partie de
l'entente La juste valeur marchande doit être calculée dans
l'optique d'une offre ferme faite par un tiers Droit sans
valeur Interprétation de l'expression «autres opérations de
quelque nature que ce soit» figurant à l'art. 245(2) de la Loi
de l'impôt sur le revenu — L'omission de révoquer l'entente ne
constitue pas un «avantage» au sens de l'art. 245(2) Le
droit d'acheter les actions a été acquis par contrat, et non par
donation.
Il s'agit d'un appel interjeté à la suite de l'établissement
d'une nouvelle cotisation se rapportant à la déclaration d'impôt
sur le revenu du demandeur pour l'année d'imposition 1983. En
1950, le demandeur avait convenu d'acheter, pour une somme
déterminée, les actions que son père détenait dans une entre-
prise familiale au moment du décès de ce dernier. L'entente
prévoyait que le prix unitaire des actions pouvait être modifié,
que le père ne céderait pas les actions autrement que conformé-
ment à l'entente et que si un tiers faisait une offre ferme, le fils
aurait un droit de premier refus. La convention était révocable
par l'une des parties sur présentation d'un avis de 60 jours. Au
jour de l'évaluation (soit le 31 décembre 1971), le père pos-
sédait 79 des 100 actions émises, d'une valeur de 1 200 000 $.
Le demandeur ne savait pas qu'en contravention de l'entente,
son père avait donné 20 actions à ses autres enfants. Le
testament rédigé par le père en 1965 prévoyait que l'entreprise
devait être liquidée. Le demandeur soutient qu'un tel comporte-
ment montrait qu'au jour de l'évaluation, son père considérait
que l'entente était nulle, mais qu'il avait confirmé celle-ci peu
de temps avant sa mort en lui remettant l'original pour qu'il le
conserve en lieu sûr. Après le décès de son père en 1983, les
soumissions du demandeur lui ont été renvoyées et il a intenté
une action pour obtenir l'exécution en nature de son droit.
L'affaire a été réglée hors cour et la somme de 625 000 $ a été
payée pour tenir lieu de dommages-intérêts. Le demandeur n'a
pas inclus ce montant dans sa déclaration d'impôt de 1983. Le
paragraphe 26(3) des Règles de 1971 concernant l'application
de l'impôt sur le revenu prévoit que le prix de base rajusté est
le montant qui n'est pas le plus élevé ni le moins élevé du coût
réel du bien, de sa juste valeur marchande au
31 décembre 1971 et du produit de disposition. Le litige porte
sur la juste valeur marchande du droit que le demandeur avait
d'acheter les actions de son père au jour de l'évaluation en vue
de déterminer le prix de base rajusté et le gain en capital. Le
demandeur soutient que la juste valeur marchande au jour de
l'évaluation était supérieure au produit de disposition, de sorte
qu'il n'y a pas eu de gain en capital. La Couronne soutient que
la juste valeur marchande au jour de l'évaluation était nulle et
que la moitié du produit de disposition est un gain en capital.
Jugement: l'appel devrait être rejeté.
L'argument du demandeur, à savoir que l'entente devrait être
interprétée comme si elle ne contenait aucune clause révoca-
toire, ne peut pas être retenu. La clause fait partie de la
convention. Même si le père croyait à tort que l'entente était
nulle au 31 décembre 1971, et qu'il était peu probable qu'il
invoque la clause révocatoire, celle-ci est simplement demeurée
inutilisée, ne serait-ce que parce qu'il aurait peut-être préféré
considérer l'entente comme valide à une date ultérieure.
Compte tenu des nombreuses restrictions contenues dans l'en-
tente, il faut établir la juste valeur marchande du droit du
demandeur dans l'optique d'une offre ferme faite par un tiers et
ces restrictions enlèvent toute valeur à son droit.
En ce qui concerne l'argument selon lequel le fait que le père
s'est abstenu de révoquer l'entente constitue une «opération» au
sens du paragraphe 245(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu,
de sorte que la juste valeur marchande du droit doit, selon
l'alinéa 69(1)c), être établie au moment où l'opération a été
effectuée (c'est-à-dire 59 jours avant le décès du père, moment
où la clause révocatoire est devenue inopérante), le
paragraphe 245(2) exige que le contribuable tire réellement un
avantage. L'omission de révoquer l'entente ne confère pas un
avantage au contribuable. Il n'y a pas d'opération, au sens d'un
acte quel qu'il soit, ayant un effet véritable relativement à une
entreprise ou à un bien, 59 jours avant le décès du père.
L'argument selon lequel le demandeur a reçu une donation
de la valeur accrue du droit lorsque son père lui a dit, peu de
temps avant son décès, de conserver l'entente en lieu sûr est lui
aussi non fondé. Compte tenu des agissements antérieurs du
père à l'égard de l'entente, on ne peut en déduire que le père
manifestait son intention de ne pas modifier ou révoquer l'en-
tente. Il n'a rien transféré à son fils. Il a tout au plus confirmé
l'entente.
Il n'y a pas eu de «donation» ou de «succession» au sens de
l'alinéa 69(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu, au moment
où le père est décédé, étant donné que l'entente ne pouvait plus
être révoquée ou modifiée. Le droit d'acheter des actions, prévu
dans un contrat signé et pour des contreparties mutuelles, ne
peut pas être considéré comme un donation. Par définition, la
donation est un transfert de bien intentionnel, volontaire et à
titre gratuit. Il n'y a rien de gratuit dans l'entente ou dans le
testament.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 69(1)c), 245(2).
Règles de 1971 concernant l'application de l'impôt sur le
revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, Partie III,
art. 26(3) (mod. par S.C. 1973-74, chap. 14, art. 75).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Minister of National Revenue v. Dufresne, Didace,
[1967] 2 R.C.É. 128; [1967] C.T.C. 153; (1967),
67 DTC 5105; Boardman (B.M.) et autre c. La Reine,
[1986] 1 C.T.C. 103; (1985), 85 DTC 5628 (C.F.
Ife inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Goodwin Johnson (1960) Ltd c La Reine, [1983]
CTC 389; (1983), 83 DTC 5417 (C.F. 1fe inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Armstrong's Estate v. C. I. R., 146 F. 2d 457 (7th Cir.
1944).
DÉCISION CITÉE:
Minister of National Revenue v. Granite Bay Timber Co.
Ltd., [1958] R.C.É. 179; [1958] C.T.C. 117; (1958),
58 DTC 1066.
AVOCATS:
M. Jill Hamilton pour le demandeur.
Bonnie F. Moon pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Daley, Black & Moreira, Halifax, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DENAULT: Il s'agit d'un appel formé
par le demandeur, Walter G. Sweeney, contre une
nouvelle cotisation établie par le ministre du
Revenu national à l'égard de la déclaration d'im-
pôt sur le revenu du demandeur pour l'année d'im-
position 1983, qui a ajouté un gain en capital
imposable de 312 500 $ au revenu du demandeur.
La seule question en litige est la détermination du
prix de base rajusté du droit du demandeur d'ache-
ter les actions que détenait son père dans la firme
Lawrence Sweeney Fisheries Ltd., prévu dans une
entente conclue le 18 décembre 1950.
Conformément au paragraphe 26(3) des Règles
de 1971 concernant l'application de l'impôt sur le
revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63, Partie III,
mod. par S.C. 1973-74, chap. 14, art. 75], le prix
de base rajusté serait le montant qui n'est pas le
plus élevé ni le moins élevé du coût du bien, de sa
juste valeur marchande au 31 décembre 1971 et
du produit de disposition. Si deux de ces montants
sont identiques, le prix de base rajusté est réputé
être ce montant. Les deux parties sont d'accord sur
le coût et le produit de disposition, mais elles ne
s'entendent pas sur la juste valeur marchande du
droit du demandeur au 31 décembre 1971 (jour de
l'évaluation). Le demandeur soutient que la juste
valeur marchande au jour de l'évaluation était
supérieure au montant provenant du produit de
disposition, de sorte qu'il n'y a pas eu de gain en
capital et qu'il n'y a pas d'impôt à payer. Le
ministre prétend que la juste valeur marchande du
droit du demandeur au jour de l'évaluation était
nulle et, partant, que la moitié du produit de
disposition est un gain en capital imposable.
LES FAITS
Le demandeur a terminé ses études en 1948 et a
commencé à travailler dans l'entreprise de son
père. Le 18 décembre 1950, Walter Lawrence
Sweeney a présenté à son fils Gordon une entente
aux termes de laquelle le fils pourrait acheter, pour
une somme convenue, les actions que le père déte-
nait dans l'entreprise à la mort de ce dernier. Le
prix convenu s'élevait à 1 327,13 $ l'action. L'en-
tente prévoyait que le fils participerait au paie-
ment d'une police d'assurance-vie au nom du père,
dont l'indemnité servirait à acheter les actions; elle
prévoyait aussi que le prix unitaire des actions
serait modifiable, que le père ne céderait pas les
actions autrement qu'en conformité avec l'entente
et que si un tiers faisait une offre ferme, le fils
aurait un droit de premier refus. L'entente pré-
voyait finalement que l'une des parties pourrait la
révoquer sur présentation d'un avis de 60 jours.
Le 31 décembre 1971, le père, qui était alors âgé
de 67 ans, était en bonne santé et participait
activement à l'exploitation de l'entreprise. Il possé-
dait alors 79 des 100 actions de la compagnie. Il
avait en effet donné 20 actions à ses trois autres
enfants au cours des huit années précédentes sans
que le demandeur en soit informé et en contraven
tion de l'entente. Il avait aussi fait, en 1965, un
testament dans lequel il précisait qu'à sa mort, ses
fiduciaires devraient poursuivre sa participation
dans la compagnie, puis liquider celle-ci. Le
demandeur ignorait tout de l'existence de ce testa
ment. La juste valeur marchande des actions du
père au jour de l'évaluation était de 1 200 000 $.
Lorsque le père est décédé le 20 janvier 1983, il
avait été malade pendant à peine une semaine. Peu
de temps avant sa mort, il a affirmé à son fils que
l'entente était toujours valable. Après la mort de
son père, le fils a touché l'indemnité de la police
d'assurance-vie et a offert d'acheter les 79 actions
que le père détenait dans la compagnie pour la
somme de 104 843 $ (1 327,13 $ x 79). Son frère
et ses soeurs lui ont renvoyé les soumissions, et il a
intenté une poursuite devant la Cour suprême de la
Nouvelle-Écosse pour obtenir l'exécution en nature
de son droit d'achat. Après trois jours d'audience,
l'affaire a été réglée hors cour et le demandeur a
reçu 625 000 $ à titre de dommages-intérêts. Les
deux parties conviennent que cette somme repré-
sente le produit de disposition du droit du deman-
deur. Aucune portion de cette rentrée de capital
n'a été incluse dans la déclaration d'impôt sur le
revenu du demandeur pour l'année d'imposition
1983.
PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR
Le demandeur a fait reposer sa position sur
quatre arguments distincts. Il a fait valoir comme
argument principal que pour établir la juste valeur
marchande de son droit au jour de l'évaluation, il
fallait faire comme si l'entente énonçant ses droits
ne contenait aucune clause révocatoire. C'est sur
cette base que l'expert du demandeur a établi que
la juste valeur marchande du droit du demandeur
au jour de l'évaluation variait entre 821 000 $ et
876 000 $.
Le demandeur a tenté de prouver qu'à partir du
milieu des années 60 jusqu'au jour de l'évaluation,
le père avait cessé de considérer que l'entente
conclue en 1950 était valide. Pour appuyer ses
dires, il a fait remarquer que de 1957 à 1978, le
demandeur n'a pas participé à l'exploitation de la
compagnie et qu'à son départ en 1957, il a cessé de
payer les primes annuelles de la police d'assu-
rance-vie, comme le prévoyait le contrat. Sauf à
quelques occasions, son père s'en est chargé. De
plus, en donnant des actions à son autre fils et à
ses filles vers le milieu des années 60, le père a
enfreint la clause 5 de l'entente, et le testament
qu'il a fait en 1965 semble également indiquer
qu'il croyait que l'entente n'avait plus aucune
valeur. Finalement, deux notes écrites par le père,
l'une en avril 1967 et l'autre en janvier 1970,
révèlent qu'il était alors d'avis que l'entente n'avait
plus aucune valeur.
La Couronne s'est opposée au dépôt de ces deux
notes et de deux autres lettres, parce qu'elles
n'étaient pas signées. Toutefois, le demandeur a
fait la preuve que les notes avaient été rédigées en
réponse à des lettres de l'avocat du père, Wal-
ter P. Wakefield. Vu les observations manuscrites
qui figurent sur les notes, le style de rédaction
particulier du père et la preuve non contredite
voulant qu'il s'écrivît constamment des notes, il
semble que Walter Lawrence Sweeney soit effecti-
vement l'auteur de ces documents et que ceux-ci
doivent être acceptés et déposés en preuve comme
tels. Par conséquent, ils étayent aussi l'argument
selon lequel le père considérait que l'entente était
nulle au jour de l'évaluation.
Quoi qu'il en soit, même si le père croyait que
l'entente était nulle, celle-ci n'a jamais été annulée,
ni même modifiée d'une quelconque façon par les
parties. En fait, le père n'a même jamais fait savoir
à son fils qu'il croyait secrètement que l'entente
était nulle. Le père et le fils étaient de proches
collaborateurs et entretenaient de bonnes relations,
même durant la période où le fils s'est installé à
Yarmouth pour s'occuper d'une autre entreprise
familiale. En 1978, le fils est revenu aider son père
à administrer la compagnie Lawrence Sweeney
Fisheries Ltd. Vers la fin de 1982, le demandeur a
appris d'un ami intime de son frère qu'il aurait une
grosse surprise lorsque son père mourrait. Cette
remarque a poussé le demandeur à demander à son
père si l'entente conclue en 1950 était encore
valable, ce à quoi son père a répondu: «Certaine-
ment!» Quelques jours avant Noël, et à peine
quatre semaines avant sa mort, le père a remis
l'original de l'entente à son fils et lui a dit: «Gar-
de-la en lieu sûr».
En résumé, le demandeur prétend que, bien que
le père puisse avoir confirmé par la suite la validité
de l'entente conclue en 1950, il la tenait pour nulle
à l'époque pertinente, soit le 31 décembre 1971.
Comme le père était d'avis que l'entente n'avait
plus aucune valeur, il est très peu probable que la
clause révocatoire aurait été invoquée à ce
moment. Le demandeur soutient que pour cette
raison, il faut lire l'entente comme si la clause
révocatoire n'existait pas. Le demandeur s'est
fondé sur l'arrêt Goodwin Johnson (1960) Ltd c La
Reine, [1983] CTC 389 (C.F. ire inst.) pour affir-
mer que la Cour ne devrait pas s'en tenir unique-
ment au libellé d'un contrat mais devrait aussi
tenir compte du contexte pour évaluer l'incidence
du contrat, et qu'il était même permis de conclure
à l'inexistence d'une clause révocatoire même lors-
qu'elle était expressément prévue au contrat.
Le demandeur a également fait valoir trois
arguments subsidiaires. Le premier argument
repose sur le postulat que la clause révocatoire est
devenue inopérante au moins 59 jours avant la
mort du père puisque, telle qu'elle était libellée,
elle exigeait une période de notification de 60
jours. Par conséquent, à partir du 59e jour précé-
dant la mort du père, la révocation de l'entente par
ce dernier aurait été nulle. Le demandeur soutient
donc que dès le début de cette période de 59 jours,
la valeur des droits du demandeur a considérable-
ment augmenté parce que l'entente ne pouvait plus
être révoquée. L'expert du demandeur a présenté
une preuve non contredite selon laquelle la valeur
de l'entente de 1950, 59 jours avant la mort du
père, se rapprochait de la valeur des actions, ce qui
veut dire qu'elle variait entre 8 200 000 $ et
8 700 000 $.
Le demandeur a fait valoir que l'entente autori-
sait le père à transmettre l'une des entreprises
familiales à son fils aîné. Cette entente est demeu-
rée en vigueur, sans avoir subi aucun changement,
pendant 33 ans. Le demandeur avait proposé à son
père, au fil des ans, de modifier l'entente, mais le
père a refusé. Ce dernier a confirmé la validité de
l'entente quelques mois à peine avant sa mort. Le
demandeur soutient que tous ces événements, liés
au fait que le père se soit abstenu de révoquer
l'entente au moment où il était juridiquement en
mesure de le faire, constituent une «opération» au
sens du paragraphe 245(2) [Loi de l'impôt sur le
revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63], auquel cas la
juste valeur marchande du droit doit, selon l'ali-
néa 69(1)c) de la Loi, être établie non pas au jour
de l'évaluation, mais au moment où l'opération a
été faite, c'est-à-dire 59 jours avant le décès du
père.
L'avocat du demandeur a fait remarquer que la
Cour a interprété de façon assez libérale les mots
«autres opérations de quelque nature que ce soit» et
qu'il fallait prendre en considération les circons-
tances de l'espèce (Minister of National Revenue
v. Granite Bay Timber Co. Ltd., [1958] R.C.É.
179; Minister of National Revenue v. Dufresne,
Didace, [1967] 2 R.C.É. 128; et Boardman (B.M.)
et autre c. La Reine, [ 1986] 1 C.T.C. 103 (C.F. 1"
inst.)). Si l'offre du droit d'acheter les actions peut
être considérée comme une opération effectuée au
moment où l'entente est devenue irrévocable, alors
la juste valeur marchande, établie à cette date,
dépasserait 8 000 000 $, chiffre nettement plus
élevé que le produit de disposition, et le demandeur
n'aurait aucun gain en capital à déclarer.
Le deuxième argument subsidiaire est qu'au
moment où le père du demandeur a remis l'entente
au demandeur en lui disant de la conserver en lieu
sûr, il a, en réalité, fait don au demandeur de
l'accroissement considérable de valeur de l'entente
puisqu'il a remis celle-ci au fils pour qu'il la garde
en lieu sûr, en l'informant qu'elle ne subirait
aucune modification et qu'elle ne serait pas révo-
quée. Le demandeur a soutenu que cet avantage
constituait soit une «opération» au sens du paragra-
phe 245(2), soit une «donation» ce qui, encore une
fois, selon l'alinéa 69(1)c) de la Loi, ferait en sorte
que la juste valeur marchande serait calculée au
moment du décès, moment où la valeur du droit
d'achat était la plus élevée, n'entraînant ainsi
aucun gain en capital pour le demandeur.
Le dernier argument subsidiaire est qu'il y a eu
«donation» ou «succession» au sens de l'alinéa
69(1)c) au moment où le père est décédé, vu qu'il
était certain que l'entente ne serait ni modifiée ni
révoquée, et qu'elle est demeurée en vigueur. Le
demandeur s'est fondé sur l'arrêt américain Arms-
trong's Estate v. C. I. R. (146 F. 2d 457 (7th Cir.
1944)) pour dire que ces mots devaient être inter-
prétés libéralement, de sorte que le fond puisse
primer la forme. Dans cette affaire, on a statué
que les avantages découlant d'un contrat conclu
durant la vie du contribuable étaient, dans le fond,
des avantages assimilables à un legs, et qu'ils
devaient être reconnus comme tels.
PRÉTENTIONS DE LA DÉFENDERESSE
La défense a consisté exclusivement à réfuter les
arguments du demandeur. En ce qui concerne le
premier argument, l'expert de la défenderesse a
soutenu qu'il était incorrect d'employer une appro-
che mathématique, consistant à évaluer l'incidence
de chacune des restrictions frappant le droit du
demandeur au jour de l'évaluation. Il a prétendu
que la juste valeur marchande du droit du deman-
deur d'acheter les actions au moment du décès de
son père devait être calculée, comme pour tout
autre bien, dans l'optique d'une offre ferme faite
par un tiers. Compte tenu des nombreuses restric
tions qui s'appliquaient au droit d'achat du deman-
deur, l'expert de la Couronne a prétendu que la
juste valeur marchande du droit était nulle. Parmi
les restrictions dont l'expert a fait état dans son
témoignage, il y avait (1) le fait que le père
pouvait augmenter le prix d'achat à tout moment
et, si ce prix n'était accepté ni par le demandeur ni
par un tiers acheteur, il pouvait mettre fin à
l'entente; (2) le fait que si un tiers faisait une offre
ferme, le demandeur, ou tout autre acheteur théo-
rique, n'aurait disposé que de 30 jours aux termes
de l'entente pour exercer son droit de premier
refus—non pas en versant le prix mentionné dans
l'entente, mais en faisant une offre équivalente à
l'offre ferme; (3) le fait que le père pouvait révo-
quer l'entente pour quelque raison que ce soit en
donnant un avis de 60 jours; et (4) le fait que rien
n'empêchait le père de réduire la valeur de la
compagnie, en la gérant mal ou autrement. L'ex-
pert a indiqué que la clause permettant de révo-
quer l'entente moyennant l'envoi d'un avis de 60
jours était la plus défavorable au demandeur,
suivie de la faculté qu'avait le père de modifier le
prix d'achat.
La Couronne a également soutenu que le fait
que le père pensait que l'entente était nulle renfor-
çait en réalité sa prétention que le droit d'achat ne
valait rien au jour de l'évaluation puisque la partie
prudente et bien renseignée qui aurait fait une
offre ferme aurait demandé au père de confirmer
l'existence de l'entente. De l'avis de l'expert de la
Couronne, tous ces facteurs, ainsi que la vraisem-
blance d'une poursuite au sujet de la valeur juridi-
que du droit, auraient enlevé toute valeur au droit.
En ce qui concerne les arguments subsidiaires
du demandeur, la Couronne a répondu qu'aucune
«opération» au sens du paragraphe 245(2) n'est
réputée avoir lieu lorsque le contribuable n'en tire
aucun avantage. En l'espèce, la Couronne a sou-
tenu qu'il n'y a pas eu d'avantage; le demandeur a
simplement offert d'acheter les actions pour une
somme inférieure à leur juste valeur marchande,
mais son offre a été rejetée. Selon la Couronne, le
père du demandeur n'a ni directement ni indirecte-
ment cédé les actions ni même le droit d'acheter
ces actions, et puisqu'il n'y a eu aucun transfert de
bien, il ne pouvait y avoir de disposition réputée,
que ce soit par donation ou autrement.
En dernier lieu, la Couronne a soutenu que le
testament du père vient nier toute intention de
conférer un avantage au demandeur, que ce soit
par donation ou par succession, et que l'entente
elle-même confirme la signature d'un contrat
fondé sur des contreparties mutuelles, ce qui
infirme aussi l'hypothèse d'une donation.
Pour ces motifs, la Couronne conclut que le coût
de l'entente était nul, que la juste valeur mar-
chande au jour de l'évaluation était nulle et le prix
de base rajusté selon le paragraphe 26(3) des
Règles de 1971 concernant l'application de l'im-
pôt sur le revenu était par conséquent nul lui aussi.
DÉCISION
Je ne puis souscrire à l'argument principal du
demandeur voulant qu'il faille évaluer l'entente de
1950 au jour de l'évaluation, comme si elle ne
contenait aucune clause révocatoire. Dans l'arrêt
Goodwin Johnson (1960) Ltd, précité, sur lequel le
demandeur a fondé cet argument, la défenderesse
prétendait que la demanderesse ne pouvait transfé-
rer ou céder à quelqu'un d'autre le contrat de
coupe de bois liant les parties. Ces prétentions ne
reposaient toutefois pas sur les clauses du contrat
proprement dit, mais simplement sur des affirma
tions contenues dans des lettres envoyées par le
service sylvicole de la province. Néanmoins, la
Cour a conclu qu'en fait, le contrat aurait pu être
cédé par procuration à tout autre exploitant jouis-
sant d'une bonne réputation. On semble également
indiquer dans l'arrêt que cette question n'avait pas
été vivement contestée. Je vois donc peu de rapport
entre cette cause et la présente espèce. Dans le cas
présent, la clause révocatoire fait partie de l'en-
tente. Même si la Cour souscrivait à l'allégation du
demandeur voulant que le père ait cru à tort que
l'entente était nulle, il n'y a certainement pas de
raison de faire comme si l'entente ne contenait
aucune clause révocatoire. Cette clause est tout
simplement demeurée là, inutilisée, ne serait-ce
que pour la très bonne raison que le père aurait
peut-être préféré considérer l'entente valide à une
date ultérieure, lorsque cela lui avait convenu,
comme il l'a d'ailleurs affirmé par la suite.
Je suis plutôt d'accord avec l'expert de la Cou-
ronne qui a affirmé qu'en raison des nombreuses
restrictions contenues dans l'entente, il fallait éta-
blir la juste valeur marchande du droit du deman-
deur dans l'optique d'une offre ferme faite par un
tiers, et que ces restrictions ont enlevé toute valeur
à son droit.
J'analyserai maintenant le premier argument
subsidiaire du demandeur voulant que puisque la
clause révocatoire a cessé de s'appliquer au
moins 59 jours avant la mort du père, ce dernier, à
ce moment, même s'il ignorait l'imminence de sa
mort, a conféré un avantage au demandeur. Le
demandeur a aussi fait valoir que les circonstances,
y compris la confirmation par le père de la validité
de l'entente quelques mois avant sa mort, liées au
fait qu'il se soit abstenu de révoquer l'entente
lorsqu'il était juridiquement capable de le faire,
ont constitué une opération au sens du paragraphe
245(2) de la Loi.
Je ne suis pas de cet avis. Premièrement, pour
que le paragraphe 245(2) s'applique, il faut
d'abord qu'un avantage ait été conféré au contri-
buable (Boardman (B.M.) et autre c. La Reine,
[1986] 1 C.T.C. 103 (C.F. 1" inst.)). En l'espèce,
la Cour ne peut souscrire à l'affirmation selon
laquelle le père a, le 23 novembre 1982, c'est-à-
dire 59 jours avant sa mort et non rétrospective-
ment, du fait qu'il se soit abstenu de révoquer
l'entente de 1950, conféré un avantage au deman-
deur. À cette date, il n'y a pas eu d'«opération», ce
mot étant employé dans son acception la plus large
possible, [TRADUCTION] «au sens d'un acte quel
qu'il soit ayant un effet véritable relativement à
une entreprise ou à un bien» (Minister of National
Revenue v. Dufresne, Didace, [1967] 2 R.C.É.
128).
En ce qui concerne le deuxième argument subsi-
diaire voulant que le père ait fait une donation au
demandeur lorsqu'il lui a dit de conserver l'entente
en lieu sûr, il ne m'apparaît pas fondé. Compte
tenu des agissements antérieurs du père à l'égard
de l'entente de 1950, on ne peut raisonnablement
en déduire, comme l'avocat l'a laissé entendre,
qu'en remettant à son fils sa propre copie de
l'entente, le père indiquait qu'il ne modifierait ni
ne révoquerait l'entente. Le père n'a rien transféré
à son fils; il a tout au plus confirmé l'entente de
1950, indiquant par là que son fils pourrait un jour
se porter acquéreur du restant des actions de la
compagnie, aux mêmes conditions.
Le dernier argument subsidiaire du demandeur
est qu'il y a eu une «donation> ou une «succession»
au sens de l'alinéa 69(1)c) au moment où le père
est mort, étant donné qu'il ne pouvait plus y avoir
de révocation ou de modification de l'entente.
L'alinéa 69(1)c) est ainsi libellé:
69.(1)...
c) lorsqu'un contribuable a acquis des biens par donation,
legs ou succession, il est réputé les avoir acquis pour une
somme égale à leur juste valeur marchande à la date de leur
acquisition.
Malheureusement pour le demandeur, je ne vois
pas comment on peut considérer comme une dona
tion le droit d'acheter des actions, prévu dans un
contrat signé et pour des contreparties mutuelles.
Par définition, une donation est un transfert de
bien intentionnel, volontaire et à titre gratuit. En
l'espèce, il n'y avait rien de gratuit dans l'entente
de 1950 et le testament, dans lequel le père du
demandeur a stipulé que les actions devaient être
traitées d'une manière incompatible avec l'entente,
vient nier toute intention de sa part de faire une
donation au demandeur à sa mort.
Pour ces motifs, l'appel est rejeté avec frais.
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