T-292-90
Chun Tung Fong (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: FONG c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE
L'IMMIGRATION) (1fsINST.)
Section de première instance, juge McNair —Cal-
gary, 5 juin; Ottawa, 24 juillet 1990.
Immigration — La demande de résidence permanente du
requérant a été rejetée au motif qu'il ne satisfaisait pas aux
exigences de l'emploi — Aucun point d'appréciation n'a été
accordé pour le facteur de l'expérience — Le fait de ne pas
être allé au-delà de la description de la profession envisagée et
de ne pas avoir orienté les questions sur l'expérience de travail
en la décomposant selon ses éléments constitutifs dans le but
d'évaluer la possibilité de les adapter et de les appliquer à la
profession envisagée constitue une erreur de droit — Le fait de
ne pas avoir accordé au requérant la possibilité de répondre
aux allégations formulées contre lui lorsqu'il est devenu évi-
dent que la demande échouerait probablement constitue un
manquement à l'obligation d'agir avec équité — L'agent des
visas était tenu de faire connaître au requérant son impression
première au sujet de l'insuffisance des éléments de preuve
concernant l'emploi envisagé et de permettre au requérant de le
détromper de cette impression cruciale.
Il s'agit d'une requête visant à obtenir un bref de certiorari
annulant la décision par laquelle un agent des visas a refusé
d'accorder le statut de résident permanent au requérant, ainsi
qu'un bref de mandamus enjoignant à l'intimé de réexaminer la
demande de résidence permanente conformément à la loi.
L'agent des visas n'a accordé au requérant aucun point d'appré-
ciation pour le facteur de l'expérience prévu au Règlement sur
l'immigration de 1978, de sorte que le requérant a obtenu trois
points de moins que la marque de passage. Le requérant s'était
vu offrir un emploi au Canada comme directeur de chaîne de
production chez un fabricant de vêtements de ski. Ce poste
exigeait notamment au moins dix années d'expérience sur une
chaîne de production chez un fabricant de vêtements et de
l'expérience en surveillance et en direction de personnel de
chaînes de production. Dans sa demande, le requérant a déclaré
que la profession qu'il envisageait d'exercer était celle de
contremaître dans une manufacture de vêtements et il a relaté
ses antécédents professionnels. Il a précisé qu'il avait dirigé son
propre atelier de couture de 1978 à 1980, que de 1980 à 1986,
il avait travaillé à son compte comme sous-traitant et agent de
travaux de couture pour un gros fabricant de vêtements et que,
depuis lors, il confectionnait des modèles pour une autre com-
pagnie. Le curriculum vit du requérant indiquait qu'il possé-
dait vingt années d'expérience dans l'industrie du vêtement.
Après avoir interrogé le requérant par le truchement d'un
interprète, l'agent des visas a conclu que le requérant ne
satisfaisait pas aux conditions d'emploi, car il n'avait pas
prouvé qu'il avait dix années d'expérience sur une chaîne de
production chez un fabricant de vêtements ou qu'il avait de
l'expérience en surveillance et en direction de personnel. À la
fin de l'entrevue, l'agent des visas a demandé au requérant s'il
voulait ajouter d'autres renseignements utiles qui n'avaient pas
été abordés et dont il voulait que l'agent tienne compte. Le
requérant a répondu qu'il désirait rejoindre les membres de sa
famille qui vivaient au Canada, mais il n'a pas donné de détails
sur ses antécédents professionnels. Le débat porte sur la ques
tion de savoir si l'agent des visas a commis une erreur de droit
ou a manqué à son obligation d'agir avec équité en ne décompo-
sant pas les éléments constitutifs de chacun des emplois signalés
par le requérant dans ses antécédents professionnels et en n'en
tenant pas compte en analysant le poste de directeur de chaîne
de production en vue de déterminer si le requérant répondait
aux exigences.
Jugement: la requête devrait être accueillie.
L'agent des visas a commis une erreur de droit et a manqué à
son obligation d'agir avec équité en n'allant pas au-delà de la
description de la profession de directeur de chaîne de produc
tion et de la définition que la CCDP en donne, et en n'orientant
pas de façon précise ses questions sur l'expérience réelle de
travail du requérant dans l'industrie du vêtement en la décom-
posant selon ses éléments constitutifs dans le but de bien
évaluer la possibilité de les adapter et de les appliquer à la
profession envisagée. Il aurait dû accorder au requérant la
possibilité de répondre aux allégations précises formulées
contre lui sur la question de l'expérience connexe par rapport à
l'offre d'emploi en orientant comme il se doit ses questions
lorsqu'il est devenu évident que la demande échouerait proba-
blement à ce chapitre.
L'agent des visas a également manqué à son obligation d'agir
avec équité en ne faisant pas connaître au requérant sa pre-
mière impression au sujet de l'insuffisance des éléments de
preuve concernant l'emploi envisagé et les emplois connexes et
en ne lui expliquant pas les conséquences qui pouvaient en
découler. En agissant ainsi, l'agent des visas n'a pas donné au
requérant la possibilité de le détromper de cette impression
cruciale.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7,
art. 18.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 6.
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172,
art. 8(1)a) (mod. par DORS/85-1038, art. 3), 9(1),
11(1)b) (mod. par DORS/79-167, art. 4).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
In re H. K. (An Infant), [1967] 2 Q.B. 617 (H.L.);
Hajariwala c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration), [1989] 2 C.F. 79; (1988), 34 Admin. L.R.
206; 23 F.T.R. 241; 6 Imm.L.R. (2d) 222 (1'e inst.); Fung
c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1989), 27
F.T.R. 182 (C.F. 1'e inst.); Wang (L.) c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration (1988), 23 F.T.R. 257; 7
Imm.L.R. (2d) 130 (C.F. l'° inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de
Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106 D.L.R. (3d)
385; 50 C.C.C. (2d) 353; 13 C.R. (3d) 1; 15 C.R. (3d)
315; 30 N.R. 119.
DÉCISION MENTIONNÉE:
Rothmans of Pall Mall Canada Ltd. c. Le Ministre du
Revenu national (n° 2), [1976] 2 C.F. 512; [1976] C.T.C.
347 (C.A.).
DOCTRINE
Rotenberg, C. L. «Conundrum: Immigration Selection—
Occupational and Experience Factors» 6 Imm. L.R.
(2d) 24.
AVOCATS:
Peter W. Wong pour le requérant.
Barbara Ritzen pour l'intimé.
PROCUREURS:
Major, Caron & Company, Calgary, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MCNAIR: Il s'agit d'une requête intro-
ductive d'instance présentée par le requérant en
vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale
[L.R.C. (1985), chap. F-7] en vue d'obtenir répa-
ration à l'égard d'une décision datée du 26 juillet
1989 par laquelle un agent des visas a refusé de lui
accorder le statut de résident permanent. Plus
précisément, le requérant conclut au prononcé
d'un jugement déclaratoire portant que la décision
de l'agent des visas était erronée et contraire à
l'obligation d'agir avec équité et aux règles de
justice naturelle, ainsi qu'au prononcé d'une
ordonnance de bref de certiorari annulant la déci-
sion en question et d'une ordonnance de bref de
mandamus enjoignant à l'intimé de réexaminer la
demande de résidence permanente au Canada du
requérant conformément à la loi et de déterminer
s'il y a lieu de lui accorder ou non le droit d'éta-
blissement en conséquence.
Les moyens invoqués au soutien de la requête
sont essentiellement que l'agent des visas a commis
une erreur en n'accordant au requérant aucun
point d'appréciation pour le facteur de l'expérience
prévu à l'article 3 de la colonne 1 de l'annexe I du
Règlement sur l'immigration de 1978 [DORS/78-
172 (mod. par DORS/79-167, art. 4)], en vertu de
l'alinéa 11(1)b) du règlement en question. L'avo-
cat du requérant ne conteste pas l'appréciation
faite par l'agent des visas au sujet des autres
critères de sélection pour lesquels, en l'espèce, le
requérant a accumulé au total 67 points sur une
possibilité de 100, c'est-à-dire trois points de moins
que la marque de passage de 70. De plus, l'avocat
du requérant reconnaît qu'il lui incombe de prou-
ver que l'agent des visas a commis une erreur de
droit ou, à titre subsidiaire, qu'il a manqué à son
obligation d'agir avec équité, à défaut de quoi la
demande de brefs de prérogative de certiorari et de
mandamus ne peut réussir. Si j'ai bien saisi, le
requérant s'est désisté de sa demande de jugement
déclaratoire, vu l'exception soulevée par l'avocate
de l'intimé, qui prétend qu'un jugement déclara-
toire ne peut être demandé par voie de requête
introductive d'instance mais uniquement au moyen
d'une action (Rothmans of Pall Mall Canada Ltd.
c. Le Ministre du Revenu national (no 2), [1976] 2
C.F. 512 (C.A.)). De toute façon, la question n'a
pas été débattue par l'avocat du requérant. L'avo-
cat du requérant soutient en outre que l'agent des
visas a commis une grave erreur en ne tenant pas
compte de l'expérience connexe du requérant et en
ne décomposant pas les exigences de l'offre d'em-
ploi et du poste de la Classification canadienne
descriptive des professions (CCDP) en leurs com-
posants respectifs.
Le requérant a débuté sa demande de résidence
permanente le P' novembre 1988 par une demande
de promesse d'aide de sa soeur, qui est citoyenne
canadienne et qui vit à Calgary. Le 16 mars 1989,
la confirmation d'une offre d'emploi du requérant
comme directeur de chaîne de production a été
approuvée par le centre de Calgary de la Commis
sion. L'offre provenait de Sun Ice Limited, une
société multinationale dont le centre d'opérations
est Calgary et qui se spécialise dans la production
et la vente de vêtements de ski. Voici la description
d'emploi contenue dans l'offre en question:
[TRADUCTION] Sous les ordres directs du chef d'équipe, le
titulaire du poste est responsable de la productivité de la
chaîne. Il reprend les employés et les aide à exécuter leurs
tâches. S'assure que les matières premières sont disponibles
pour la chaîne. Apprend à faire fonctionner l'équipement infor-
matisé qui commande la chaîne.
Voici les qualités requises qui étaient précisées
dans la confirmation:
[TRADUCTION] Le titulaire du poste doit être très compétent en
réalisation de patrons, en coupe et en couture sur chaîne de
production, de fabricant de vêtements et posséder au moins 10
ans d'expérience. Doit avoir de l'expérience en surveillance et
en direction de personnel de chaînes de production.
Le 24 avril 1989, ou vers cette date, le requérant a
présenté une demande de résidence permanente
dans laquelle il a déclaré que la profession qu'il
envisageait d'exercer au Canada était celle de
contremaître dans une manufacture de vêtements.
Dans sa demande, le requérant a relaté ses antécé-
dents professionnels en précisant qu'il avait dirigé
son propre atelier de couture de 1978 à 1980, que
de 1980 à 1986, il avait travaillé à son compte
comme sous-traitant et agent de travaux de cou-
ture pour un gros fabricant de vêtements et que
depuis lors, il confectionnait des modèles pour
Single Hearted Garment Co., Ltd.
Au cours du mois de juin de 1988, le requérant a
été reçu en entrevue à Hong Kong par Victor
Rempel, vice-président de Sun Ice Limited, qui
s'est assuré que le requérant possédait l'expérience
et les capacités requises pour répondre aux exigen-
ces du poste de directeur de chaîne de production,
sous réserve de la formation que le requérant
devait recevoir pour se familiariser avec les com-
mandes informatisées de la chaîne de production
afin de pouvoir parfaitement maîtriser cet emploi.
Le 24 juillet 1989, le requérant a été reçu en
entrevue à Hong Kong par le deuxième secrétaire
(Immigration) du Commissariat, Richard B.
Thornton, en présence d'un interprète. Cette entre-
vue n'a pas été consignée par écrit et le dossier né
renferme pas de document imprimé à ce sujet. On
trouve cependant au dossier la copie d'un télex
daté du 26 juillet 1989 envoyé par le bureau du
Commissariat à Hong Kong au bureau de Cal-
gary. En voici le passage essentiel:
[TRADUCTION] L'IMMIGRANT ÉVENTUEL A ÉTÉ REÇU EN
ENTREVUE LE 24 JUILLET 1989 AU SUJET D'UNE OFFRE D'EM-
PLOI. SA DEMANDE A ÉTÉ REJETÉE. L'IMMIGRANT ÉVENTUEL
NE SATISFAIT PAS AUX EXIGENCES D'EMPLOI PRÉVUES À LA
SECTION G DU 2151. DEPUIS 1986, IL CONFECTIONNE DES
MODÈLES DANS UNE MANUFACTURE DE VÊTEMENTS. ANTÉ-
RIEUREMENT, IL TRAVAILLAIT CHEZ LUI À SON COMPTE
COMME COUSEUR. IL NE POSSÈDE CERTAINEMENT PAS L'EX-
PÉRIENCE REQUISE COMME DIRECTEUR OU PRÉPOSÉ DE
CHAÎNE DE PRODUCTION. DE PLUS, VU SES CONNAISSANCES
INSUFFISANTES DE L'ANGLAIS ET SES ÉTUDES ET SES RES-
SOURCES LIMITÉES, SON DOSSIER ÉCHOUE AU CHAPITRE DES
POINTS D'APPRÉCIATION. VEUILLEZ AVISER SA RÉPONDANTE.
Ce télex a été suivi par une lettre de refus datée du
26 juillet 1989, dans laquelle on faisait allusion
aux critères de sélection et à la nécessité d'obtenir
un nombre suffisant de points d'appréciation.
Cette lettre se termine par ce qui suit:
[TRADUCTION] Comme vous n'avez pas accumulé suffisam-
ment de points d'appréciation à l'égard des critères de sélection
susmentionnés, vous ne respectez pas les conditions d'admission
au Canada à titre de requérant indépendant.
Les dispositions législatives qui sont les plus
pertinentes à la présente affaire sont l'alinéa
8(1)a) [mod. par DORS/85-1038, art. 3], le para-
graphe 9(1) et l'alinéa 11(1)b) du Règlement sur
l'immigration de 1978, modifié.
À l'appui de la demande, on a déposé deux
affidavits souscrits respectivement le 2 janvier
1990 et le 5 juin 1990 par Kelly Chee Chu Wong,
soeur et répondante du requérant, ainsi qu'un affi
davit signé le 3 janvier 1990 par Victor Rempel.
La partie adverse a déposé l'affidavit que Douglas
R. Haaland, spécialiste en programmes de l'in-
timé, a souscrit le 17 avril 1990 pour identifier le
dossier du requérant, ainsi que l'affidavit de
l'agent des visas, Richard B. Thornton, signé le 16
mai 1990.
Voici ce que déclare M. Rempel aux paragra-
phes 5 et 6 de son affidavit:
[TRADUCTION] 5. Je crois comprendre que M. Fong possède
plus de dix années d'expérience dans la production et la confec
tion de vêtements de dessus et de vêtements connexes. Lorsque
je l'ai rencontré à Hong Kong, il m'a indiqué qu'il travaillait en
ce moment sur des vêtements pour un autre fabricant de
vêtements de ski qui vend ses produits en Alberta et ailleurs
dans l'Ouest canadien. J'étais extrêmement intéressé par l'expé-
rience dont il faisait preuve.
6. Je crois sincèrement que le bureau du Commissariat du
Canada à Hong Kong n'a pas suffisamment approfondi l'expé-
rience connexe à laquelle je me suis intéressé au cours de mon
entrevue avec M. Fong. Comme il avait dix années d'expérience
dans l'industrie de la fabrication de vêtements de ski, j'ai évalué
les aptitudes de M. Fong et j'en suis venu à la conclusion qu'il
possédait les qualités requises pour recevoir une formation à
l'égard du poste pour lequel il possédait déjà une vaste
expérience.
Dans son second affidavit, déposé comme pièce
1, Kelly Chee Chu Wong se contente d'identifier
la lettre datée du 19 mai 1990 qui est jointe à son
affidavit et que lui a envoyée l'employeur actuel du
requérant, Single Hearted Garment Co., Ltd.,
pour confirmer la nature des responsabilités
actuelles du requérant comme confectionneur de
modèles, pour vanter ses aptitudes, et notamment
pour préciser qu'il [TRADUCTION] «dirige qua-
rante ouvriers d'une chaîne de production». L'avo-
cate de l'intimé objecte que les renseignements que
contient cette lettre sont sans incidence sur le
présent débat, qui porte simplement sur la question
de savoir si l'agent des visas a commis une erreur,
compte tenu des renseignements qui avaient été
portés à sa connaissance. On pourrait probable-
ment dire la même chose des autres affidavits,
mais ils servent à tout le moins à illustrer ce qui est
effectivement en jeu, et je me propose de les
examiner sous cet angle.
On a également versé au dossier le curriculum
vitae du requérant, qui fait partie de la même
catégorie que les affidavits qui ont été signés après
coup. Le curriculum vitae indique que le requérant
possède une expérience impressionnante de vingt
années dans l'industrie du vêtement depuis qu'il a
commencé son apprentissage en 1968, après avoir
obtenu son diplôme de fins d'études secondaires à
Hong Kong. Entre 1978 et 1980, le requérant
déclare qu'il a exploité son propre atelier de cou-
ture avec 16 ouvriers et qu'il dessinait ses propres
ébauches et patrons de vêtements.
Il faut se rappeler que l'affidavit de l'agent des
visas, M. Thornton, a été rédigé et signé quelque
neuf mois après l'entrevue menée le 24 juillet
1989. L'avocate de l'intimé affirme que l'affidavit
était basé sur un document en clair des notes
d'entrevue du déposant, mais cela n'est appuyé par
aucune preuve et n'est pas déclaré dans l'affidavit.
En conséquence, il convient d'aborder l'affidavit
avec une certaine circonspection, sans parler de
son caractère intéressé. Avec cette réserve, les
passages les plus pertinents de l'affidavit de M.
Thornton sont les paragraphes 4, 5, 6 et 7, dont
voici le libellé:
[TRADUCTION] 4. Pour déterminer s'il pouvait répondre aux
exigences du poste, j'ai interrogé M. Fong sur ses fonctions
professionnelles présentes et passées. Il a confirmé les ren-
seignements relatés dans sa demande écrite de résidence
permanente au Canada (IMM8) suivant lesquels il avait
travaillé à son compte de 1978 à 1986 comme couseur, et
qu'entre 1986 et la date de l'entrevue, il avait travaillé
comme confectionneur de modèles chez Single Hearted
Garment Co., Ltd. Il a également produit une lettre de
recommandation signé par un administrateur de cette com-
pagnie attestant qu'il avait travaillé comme confectionneur
de modèles. Dans ses réponses à mes questions, M. Fong n'a
pas mentionné qu'il avait travaillé pendant au moins dix ans
sur la chaîne de production d'un fabricant de vêtements, ni
qu'il avait de l'expérience en surveillance et direction de
personnel de chaîne de production.
5. Comme je le fais toujours lorsque le rejet de la demande
paraît possible ou probable, j'ai, à la fin de mon interroga-
toire, demandé à M. Fong s'il y avait d'autres renseigne-
ments pertinents à son dossier que nous n'avions pas abordés
et dont il voulait que je tienne compte. Autant qu'il m'en
souvienne, M. Fong a alors déclaré que plusieurs membres
de sa famille se trouvaient au Canada et qu'il désirait les
rejoindre. À nouveau, autant qu'il m'en souvienne, M. Fong
n'en a pas profité pour me communiquer d'autres renseigne-
ments utiles concernant ses antécédents professionnels, sa
formation ou ses aptitudes qui n'avaient pas déjà été abordés
dans mes questions ou ailleurs dans sa demande.
6. Pour décider de rejeter la demande de M. Fong, j'ai tenu
compte du fait qu'il n'avait pas prouvé qu'il avait dix années
d'expérience de travail sur une chaîne de production chez un
fabricant de vêtements (n'ayant justifié que de trois années
de travail de tout genre chez un fabricant de vêtements) ou
qu'il avait de l'expérience en surveillance et direction de
personnel de chaînes de production. Les connaissances que
j'ai acquises au sujet de l'industrie locale du vêtement au
cours d'interrogatoires antérieurs et de consultations d'ex-
perts locaux m'enseignent que les fonctions de confection-
neur de modèles et celles de directeur de chaîne de produc
tion sont distinctes—de fait, elles semblent se situer aux
deux extrémités du processus de fabrication des vêtements.
Les confectionneurs de modèles n'interviennent normale-
ment pas dans les activités de la chaîne de production—et
vice versa. De plus, le salaire de 4 000 HK par mois (environ
620 $ CAN) que touche M. Fong n'est pas comparable aux
échelles salariales locales de l'industrie du vêtement pour les
postes de contremaîtres ou de cadres. Finalement, aucune
des responsabilités décrites par M. Fong ne correspond à
celles qui figurent dans la description que la CCDP donne
du poste de directeur de chaîne de production au numéro
1143-114 du volume 1 du manuel de la CCDP; il ne satisfait
pas non plus aux exigences de formation et d'admissibilité de
ce poste qui sont exposées au volume 2 de la CCDP, à
savoir, posséder un «diplôme de fin d'études secondaires»
(M. Fong a huit années de scolarité) et «dix ans d'expérience
complétées par des cours à temps plein ou à temps partiel
dans le domaine de leur spécialité ...» (M. Fong n'a ni l'un
ni l'autre).
7. Compte tenu de ce qui précède, j'en suis venu à la conclusion
que M. Fong n'avait pas démontré qu'il possédait de l'expé-
rience professionnelle directe ou connexe permettant de
penser qu'il pouvait satisfaire aux exigences de l'offre d'em-
ploi énoncées au EMP 2151. On ne lui a donc accordé aucun
point d'appréciation pour le troisième facteur prévu à l'an-
nexe I du Règlement sur l'immigration. Sa demande a été
refusée en vertu du paragraphe 11(1) du Règlement sur
l'immigration, qui déclare que l'agent des visas peut fonder
le rejet d'une demande sur le fait qu'aucun point d'apprécia-
tion n'a été attribué pour le facteur de l'expérience (article 3
de la colonne 1 de l'annexe I du Règlement). Le chiffre total
de points d'appréciation qu'un requérant peut se voir attri-
buer pour les autres facteurs prévus à l'annexe I n'empêche
aucunement l'agent de fonder un rejet sur le fait que le
requérant ne respecte pas le paragraphe 11(1) du
Règlement.
L'avocat du requérant souligne que, contraire-
ment à ce qui se produit habituellement, l'entrevue
de M. Thornton n'a pas été consignée par écrit. Il
insiste particulièrement sur le fait que rien ne
permet de savoir si l'agent des visas a tenu compte
de l'expérience connexe du requérant pour déter-
miner si elle correspondait à l'expérience exigée
dans l'offre d'emploi et la classification correspon-
dante de la CCDP. L'avocat a cité un article de M°
C. L. Rotenberg, c.r., intitulé «Conundrum: Immi
gration Selection—Occupational and Experience
Factors», publié dans 6 Imm. L.R. (2d) 24, dans
lequel l'auteur se reporte à un énoncé de principe
d'Emploi et Immigration Canada relatif à l'appré-
ciation des facteurs de l'expérience et de la
demande dans la profession qui sont prévus à la
colonne 1 de l'annexe I du Règlement sur l'immi-
gration de 1978, et particulièrement à la qualifica
tion de la catégorie III figurant dans l'exposé de
principe, dont nous reproduisons le texte:
[TRADUCTION] CATÉGORIE III Le requérant n'a pas
accompli toute la gamme des fonctions, mais a
néanmoins exécuté une certaine partie des
fonctions de la profession «admissible». Ce rai-
sonnement implique que les professions peu-
vent être décomposées selon leurs caractéristi-
ques principales: ainsi, certains pharmaciens
peuvent répondre aux conditions exigées pour
les représentants pharmaceutiques.
L'avocat du requérant souligne que l'analyse de
la catégorie III est une directive par laquelle le
ministre indique aux agents des visas qu'ils doivent
aller au-delà des appellations pour déterminer si le
requérant possède l'expérience globale se rappor-
tant au poste pour lequel il prétend posséder les
qualités requises. À son avis, la seule chose qu'il
nous reste dans le cas qui nous occupe est la
conclusion de M. Thornton suivant laquelle un
confectionneur de modèles n'est pas un directeur
de chaîne de production et qu'il ne possède donc
pas l'expérience requise. Il prétend que si l'on tient
compte de tous les éléments, le préposé à l'entre-
vue a commis une erreur de droit en refusant ou en
négligeant de décomposer les éléments constitutifs
de chacun des emplois signalés par le requérant
dans ses antécédents professionnels et d'en tenir
compte en analysant le poste de directeur de
chaîne de production en vue de déterminer si le
requérant répondait aux exigences. À son avis, en
ne tenant pas compte de ces facteurs, l'agent n'a
accordé aucun point d'appréciation au requérant,
ce qui constitue une erreur de droit.
À titre subsidiaire, l'avocat du requérant pré-
tend qu'en ne tenant pas compte, dans son appré-
ciation de l'expérience professionnelle connexe du
requérant, des différentes fonctions professionnel-
les qu'il avait exercées au cours de toutes les
années où il a travaillé dans l'industrie du vête-
ment, l'agent des visas a manqué à son obligation
d'agir avec équité. L'avocat affirme en outre que
dès que la question de l'expérience professionnelle
est devenue cruciale pour le succès ou l'échec de la
demande, il incombait à l'agent des visas d'orienter
l'entrevue en posant des questions en conséquence,
spécialement eu égard aux difficultés linguistiques
du requérant. Pour reprendre ses termes, le fait de
se contenter de demander au requérant s'il avait
quelque chose à ajouter est un autre manquement
flagrant à l'obligation d'agir avec équité.
L'avocate de l'intimé part du principe qu'aux
termes de l'article 6 de la Loi sur l'immigration de
1976 [S.C. 1976-77, chap. 52], il incombait carré-
ment au requérant de convaincre l'agent des visas
qu'il satisfaisait aux normes réglementaires de
sélection visant à déterminer son admissibilité.
L'avocate affirme que rien ne permet de penser
que l'agent des visas, M. Thornton, n'a pas tenu
compte de tous les éléments de preuve dont il
disposait relativement à la profession envisagée du
requérant. Elle affirme que l'avocat du requérant
me demande simplement de substituer mon opi
nion sur la juste appréciation de l'expérience à
celle de l'agent des visas, contrairement aux princi-
pes dégagés dans les jugements Fung c. Ministre
de l'Emploi et de l'Immigration (1989), 27 F.T.R.
182 (C.F. 1" inst.) et Wang (L.) c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration (1988), 23 F.T.R.
257 (C.F. 1 ie inst.). Quant à l'absence de notes
d'entrevue, l'avocate a expliqué qu'elles étaient
contenues dans un document imprimé qui n'a pas
été ajouté aux pièces pertinentes du dossier. Fina-
lement, l'avocate de l'intimé souligne une fois de
plus que rien ne permet de penser que l'agent des
visas n'a pas bien apprécié le facteur de l'expé-
rience ou qu'il a manqué à son obligation d'agir
avec équité.
Il me semble que tout le débat se ramène à la
question de savoir si l'agent des visas a commis une
erreur de droit dans la manière dont il a mené
l'entrevue, en n'approfondissant pas suffisamment
son examen de l'expérience connexe du requérant
pour n'accorder aucun point d'appréciation à ce
chapitre ou, dans le cas contraire, s'il a manqué à
son obligation d'agir avec équité.
Tant dans l'affaire Fung que dans l'affaire
Wang, les requérants n'avaient pas réussi à con-
vaincre les agents des visas qu'ils possédaient l'ex-
périence nécessaire pour la profession envisagée,
après un examen et une évaluation approfondis de
tous les facteurs pertinents. De fait, dans ces deux
affaires, les agents des visas avaient équitablement
signalé aux requérants les lacunes précises que leur
dossier présentait en ce qui concernait les profes
sions envisagées et ils leur avaient donné ample-
ment l'occasion de réagir.
Dans le jugement Hajariwala c. Canada
(Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989]
2 C.F. 79 (lie inst.), le requérant a réussi à obtenir
un bref de certiorari annulant le rejet de sa
demande de résidence permanente et un bref de
mandamus ordonnant que la demande soit réexa-
minée conformément à la loi au motif que l'agent
des visas avait commis une erreur de droit en ne
tenant pas compte de l'expérience connexe que le
requérant avait acquise dans d'autres professions
par rapport à la profession qu'il entendait exercer,
et en raison du manquement à l'obligation d'agir
avec équité que l'agent avait commis en n'offrant
pas au requérant la possibilité de présenter des
renseignements faisant valoir l'expérience qu'il
possédait actuellement à l'égard de chacune des
professions comprises. Le juge en chef adjoint
Jerome a exposé dans les termes suivants le fonde-
ment de sa décision aux pages 86 et 87:
Comme l'a déclaré l'officier [des visas] dans la lettre reçue par
le requérant:
[TRADUCTION] Je ne crois pas que vos diverses responsabili-
tés puissent être divisées en des composants distincts pour
vous valoir des points d'appréciation au titre de l'expérience à
l'égard des professions que vous envisagez subsidiairement
Une telle interprétation est clairement entachée d'une erreur de
droit. Le Règlement permet au requérant d'être évalué dans
«une profession». Les facteurs énumérés dans la colonne I de
l'annexe I exigent que l'expérience du requérant soit évaluée à
l'égard de la profession qu'il entend exercer. Il n'y a aucune
raison pour laquelle l'expérience effectivement acquise à l'égard
des diverses responsabilités d'une profession et le temps effecti-
vement passé à s'acquitter de telles responsabilités ne pour-
raient être divisés de façon à accorder des points d'appréciation
au titre de l'expérience dans les professions projetées ...
Je devrais également ajouter que l'équité exige que le dossier
comporte l'indication que le requérant s'est vu offrir la possibi-
lité de présenter des informations faisant valoir l'expérience
qu'il possède actuellement à l'égard de chacune des professions
comprises. Le dossier doit également indiquer les motifs
appuyant l'attribution par l'agent des visas d'une appréciation
particulière au titre de l'expérience à l'égard d'une profession
comprise ou les motifs appuyant le refus de ce faire.
À mon avis, il n'y a pas de preuve convaincante
en l'espèce pour démontrer que l'agent des visas
est allé au-delà de la description de la profession
envisagée de directeur de chaîne de production et
de la définition que la CCDP en donne et qu'il a
orienté de façon précise ses questions sur l'expé-
rience réelle de travail du requérant dans l'indus-
trie du vêtement en la décomposant selon ses élé-
ments constitutifs dans le but de bien évaluer la
possibilité de les adapter et de les appliquer à la
profession envisagée. Il ressort à l'évidence de son
affidavit que M. Thornton n'a pas fait cet effort. À
mon avis, son refus de le faire constituait une
erreur de droit. Je suis également d'avis que
l'agent des visas a manqué à son obligation d'agir
avec équité en n'accordant pas au requérant une
possibilité suffisante de répondre aux allégations
précises formulées contre lui sur la question de
l'expérience connexe par rapport à l'offre d'emploi
de directeur de chaîne de production, ce qu'il
aurait pu et aurait dû faire en orientant comme il
se doit ses questions lorsqu'il est devenu évident
que la demande de résidence permanente échoue-
rait probablement à ce chapitre. C'est l'attitude
qu'ont adoptée les agents des visas dans les affaires
Fung et Wang.
En l'espèce, M. Thornton a décidé de suivre une
autre voie. Conformément à sa façon habituelle
d'agir en pareil cas, il a, comme il l'a déclaré au
paragraphe 5 de son affidavit, demandé au requé-
rant s'il voulait ajouter d'autres renseignements
utiles à l'affaire qui n'avaient pas été abordés et
dont il voulait que l'agent tienne compte. Autant
que le déposant s'en souvienne, les questions men-
tionnées par le requérant n'avaient rien à voir avec
la question cruciale. Cela n'est pas étonnant, vu la
difficulté linguistique, malgré la présence d'un
interprète, et le caractère général et vide de sens de
la question, si on peut même la qualifier ainsi.
Dans l'arrêt In re H. K. (An Infant), [1967] 2
Q.B. 617, le juge en chef Parker a déclaré, à la
page 630:
[TRADUCTION] ... Je doute qu'on puisse dire que les autorités
de l'immigration agissent à titre judiciaire ou quasi judiciaire,
au sens où ces termes sont généralement employés. Mais par
ailleurs j'estime personnellement que même si un agent d'immi-
gration n'agit pas à titre judiciaire ou quasi judiciaire, il doit
quand même accorder au requérant l'occasion de le convaincre
de l'existence des éléments mentionnés au paragraphe et, à
cette fin, faire connaître sa première impression à l'immigrant
pour que ce dernier puisse le détromper. Il ne s'agit pas, à mon
sens, d'agir ou d'être obligé d'agir à titre judiciaire, mais d'être
tenu d'agir équitablement.
Entre parenthèses, cette décision est l'un des nom-
breux précédents que le juge Dickson (qui n'était
pas encore juge en chef du Canada) a cités dans le
jugement classique qu'il a rendu dans l'affaire
Martineau c. Comité de discipline de l'Institution
Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, au sujet du recours
au certiorari comme réparation générale à l'égard
du défaut des instances décisionnelles administrati-
ves de respecter leur obligation d'agir équitable-
ment.
Appliquant le principe posé dans l'arrêt In re H.
K. (An Infant), précité, aux faits de la présente
affaire, je conclus que l'agent des visas a égale-
ment manqué à son obligation d'agir équitable-
ment en ne faisant pas connaître au requérant, au
moyen de questions appropriées, sa première
impression au sujet de l'insuffisance des éléments
de preuve concernant l'emploi envisagé et les
emplois connexes et en ne lui expliquant pas les
conséquences qui pouvaient probablement en
découler. En agissant ainsi, l'agent n'a pas donné
au requérant la possibilité de le détromper de cette
impression cruciale.
Par ces motifs, la requête doit être accueillie. En
conséquence, la Cour prononcera une ordonnance
de bref de certiorari annulant la décision du 26
juillet 1989 de l'agent des visas et une ordonnance
de bref de mandamus ordonnant à l'intimé d'exa-
miner la demande de résidence permanente confor-
mément aux dispositions pertinentes de la Loi sur
l'immigration de 1976 et du Règlement sur l'im-
migration de 1978. Le requérant a droit aux
dépens de la requête.
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