A-17-90
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (appe-
lant)
c.
David Ross Burgon (intimé)
RÉPERTORIÉ: CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IM-
MIGRATION) C. BURGON (CA.)
Cour d'appel, juges Mahoney, MacGuigan et
Linden, J.C.A.—Toronto, 30 janvier; Ottawa, 22
février 1991.
Immigration — Catégories de personnes non admissibles —
L'art. 19(1)a)(ii) de la Loi refuse l'admission aux personnes
qui, pour des raisons d'ordre médical, risqueraient d'entraîner
un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé —
Ancienne héroïnomane sollicitant le droit d'établissement —
Le médecin qui l'a examinée l'a déclarée en bonne santé — Le
médecin agréé a rejeté sa demande pour des raisons d'ordre
médical en raison de son ancienne toxicomanie — Il n'a pas été
démontré que la toxicomanie était une maladie permanente —
Un refus reposant sur des raisons d'ordre médical doit être
fondé sur des preuves médicales — L'art. 19(1)c) de la Loi
refuse l'admission à certaines personnes qui ont été déclarées
coupables — La requérante s'est reconnue coupable, en Angle-
terre, de complot visant à fournir des drogues contrôlées
Elle a fait l'objet d'une ordonnance de probation — La loi
britannique présume que l'accusé n'a pas été déclaré coupable
lorsqu'une ordonnance de probation est prononcée — Il s'agit
de savoir si l'expression «déclarées coupables» dans la Loi sur
l'immigration exclut les déclarations de culpabilité qui ont été
effacées — Il n'existe aucune raison pour que le droit canadien
de l'immigration contrecarre l'objectif du texte de loi
britannique.
Interprétation des lois — Immigration — Catégories de
personnes non admissibles — L'art. 19(1)c) de la Loi sur
l'immigration refuse l'admission aux personnes qui ont été
déclarées coupables d'une infraction punissable au Canada
d'un emprisonnement de dix ans — La requérante s'est recon-
nue coupable en Grande-Bretagne de complot visant à fournir
une substance contrôlée (de l'héroïne) — Elle a par la suite
obtenu un pardon en vertu d'une loi britannique prévoyant
qu'un accusé est réputé ne pas avoir été déclaré coupable
lorsqu'une ordonnance de probation est prononcée — Le sens
des mots «déclarées coupables» dans la Loi est compatible
avec le sens qu'ils ont dans la législation criminelle — La loi
canadienne prévoit la clémence — La loi britannique a le
même objectif — Il y a lieu de respecter les lois des pays
étrangers dont le système juridique repose sur des fondements
analogues à ceux du Canada et qui partagent des valeurs
similaires à celles du Canada, à moins qu'il existe une raison
solide de s'en écarter.
L'intimé, qui est citoyen canadien, a épousé sa femme, Susan
Mary Pearn Burgon, en Angleterre. Mn" Burgon est une
citoyenne britannique. Ils se sont mariés le 26 juin 1986, une
semaine après que Mn" Burgon eut été condamnée à deux ans
de probation après avoir reconnu sa culpabilité à une accusa-
tion de complot en vue de fournir des drogues contrôlées. Aux
termes du paragraphe 13(1) de la Powers of Criminal Courts
Act, 1973 (R.-U.), une personne qui fait l'objet d'une ordon-
nance de probation est réputée ne pas avoir été déclarée
coupable.
Durant la plus grande partie de l'enfance de Mme Burgon, son
père, qui dévalisait les banques, avait été en prison. Elle a
abandonné ses études de nursing lorsqu'elle est devenue
enceinte à l'âge de 20 ans. Elle a divorcé de son premier mari
en 1983. Sous l'influence de son ex-mari, elle est devenue
héroïnomane. A la suite de l'incarcération de ce dernier, elle a
fait le commerce de la drogue, en échange de son propre
approvisionnement, pour le compte d'un criminel nommé
Szuluk. Les membres de la bande de Szuluk ont été arrêtés, y
compris Mme Burgon. Malgré le fait que Szuluk l'avait préve-
nue de garder le silence, elle a volontairement donné un témoi-
gnage à la suite duquel Szuluk et d'autres personnes, dont le
fils de Mme Burgon et son père, ont été condamnés à des peines
d'emprisonnement. Les Burgon ont vécu en Angleterre de juin
1986 janvier 1987, alors qu'ils se sont rendus au Canada. En
mars 1987, parrainée par l'intimé, Mme Burgon a présenté une
demande de résidence permanente au Canada. Le 7 décembre
1987, elle a obtenu en Angleterre une absolution qui a effacé sa
déclaration de culpabilité.
Le ministre a rejeté la demande de résidence permanente.
Cette décision a été communiquée à Mme Burgon en février
1988 alors qu'elle se trouvait en Angleterre pour assister aux
funérailles de son fils, mort à la suite de l'absorption d'une dose
massive d'héroïne. La demande de la requérante a été refusée
au motif qu'elle appartenait à deux catégories de personnes non
admissibles: celle des personnes déclarées coupables d'une
infraction grave au sens de l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur
l'immigration, et celle des personnes qui, pour des raisons
d'ordre médical, risqueraient d'entraîner un fardeau excessif
pour les services sociaux ou de santé au sens du sous-alinéa
19(1)a)(ii). La section d'appel de la Commission de l'immigra-
tion et du statut de réfugié a infirmé la décision initiale sur les
deux motifs. Le ministre a interjeté appel de cette décision.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge Linden, J.C.A.: Le sens des termes «déclarées coupa-
bles» que l'on trouve à l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigra-
tion est compatible avec le sens qu'ils ont dans la législation
criminelle canadienne. La loi britannique poursuit les mêmes
objectifs que le droit criminel canadien en ce qui concerne
l'effet d'une ordonnance de probation à la suite d'une «déclara-
tion de culpabilité».
La Loi prévoit, à son alinéa 18(1)c), que les personnes
déclarées coupables qui se sont réadaptées peuvent être admi-
ses. De même, la Loi sur le casier judiciaire et le Code criminel
permettent d'effacer la déclaration de culpabilité dont une
personne a fait l'objet. Il faut supposer que lorsqu'il a adopté de
nouveau la Loi sur l'immigration, le législateur fédéral connais-
sait l'état du droit criminel; les mots «déclarées coupables» que
l'on trouve dans la Loi devraient être interprétés en harmonie
avec la législation criminelle existante, qui prévoit qu'une per-
sonne qui a obtenu un pardon est réputée ne pas avoir été
déclarée coupable.
Les dispositions législatives britanniques qui prévoient la
clémence sont compatibles avec le droit canadien. Bien que le
droit d'un autre pays ne soit pas déterminant en ce qui concerne
la question de savoir si l'admission devrait être accordée, il y a
lieu de respecter les lois des pays dont les systèmes juridiques
reposent sur les mêmes fondements et les mêmes valeurs que les
nôtres, surtout lorsque leurs objets sont identiques. En l'espèce,
comme il n'y a pas eu de «déclaration de culpabilité» selon la loi
britannique, il n'y a pas eu de déclaration de culpabilité selon la
loi canadienne.
La Section d'appel a eu raison de statuer que l'on n'avait pas
réussi à démontrer que la toxicomanie signalée par ie médecin
agréé est une maladie permanente et que son avis que la
requérante risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les
services sociaux ou de santé pour des raisons d'ordre médical
n'était pas fondé sur un diagnostic médical. Le fait qu'une
personne a été toxicomane ne signifie pas qu'elle tombe auto-
matiquement sous le coup du sous-alinéa 19(l)a)(ii).
Le juge Mahoney, J.C.A. (motifs concordants quant au
dispositif): L'avis que prévoit l'alinéa 19(1)a) est l'avis d'un
médecin, qui doit nécessairement être fondé sur une preuve
médicale. L'aveu d'un profane qu'il a déjà souffert d'une
affection ne constitue pas une preuve médicale et ne peut servir
à frapper la requérante d'exclusion après que le médecin qui l'a
examinée l'a déclarée «en bonne santé» et que le pronostic
prévoit une vie et une santé normales.
La Loi sur l'immigration ne devrait pas être interprétée de
manière à accorder un traitement préférentiel aux personnes
qui ont été déclarées coupables et qui viennent de pays qui
partagent la politique de clémence du Canada par rapport à
ceux qui viennent de pays qui ne la partagent pas. La gravité de
l'infraction se mesure en fonction de la norme du droit cana-
dien, et non de celle du droit étranger. Aux termes de la Loi sur
l'immigration, le mot anglais «convicted» (déclarées coupables)
signifie (found guilty» (reconnues coupables) ou ayant plaidé
coupable. En matière d'immigration, la personne qui a obtenu
un pardon à l'étranger à l'égard d'une infraction commise à
l'étranger continue d'avoir été déclarée coupable, alors que la
personne qui a obtenu un pardon au Canada à l'égard d'une
infraction commise au Canada est réputée ne pas avoir été
déclarée coupable.
La Section d'appel a commis une erreur en statuant que
parce que l'intimé pouvait vivre avec sa femme en Angleterre,
comme il l'avait déjà fait, il n'existait pas de circonstances
extraordinaires justifiant d'accorder pour des raisons d'ordre
humanitaire la mesure sollicitée. L'alinéa 3c) prévoit que la
réunion au Canada des citoyens canadiens avec leurs proches
parents de l'étranger est un des objectifs explicites de la Loi. Il
n'est pas nécessaire que les raisons d'ordre humanitaires soient
extraordinaires. Ces raisons peuvent être aussi ordinaires que
l'amour d'un mari et de sa femme et leur désir naturel de vivre
ensemble.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code criminel, L.R.C. (1985), chap. C-46, art. 736(3)
(mod. par L.R.C. (1985) (let suppl.), chap. 27, art.
162; (4» suppl.), chap. 1, art. 18 (annexe I, item 24)).
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34.
Loi de 1972 modifiant le Code criminel, S.C. 1972,
chap. 13.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
52c).
Loi sur le casier judiciaire, S.C. 1969-70, chap. 40,
art. 5.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 3c),
19(1)a)(ii),c), 77(3)b) (mod. par L.R.C. (1985) (2e
suppl.), chap. 10, art. 6; (4' suppl.), chap. 28, art. 33);
84(1) (mod., idem, (4e suppl.), chap. 28, art. 19).
Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, chap. I-2, art. 5d).
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 19(1)c).
Powers of Criminal Courts Act, 1973 (R.-U.), 1973,
chap. 62, art. 13(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Seyoum c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration), A-419-90, juge Mahoney, J.C.A., jugement en
date du 15-11-90, C.A.F., encore inédit.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Satiacum
(1989), 99 N.R. 171 (C.A.F.); Ministre de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration c. Brooks, [1974] R.C.S.
850; (1973), 36 D.L.R. (3d) 522.
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. McInnis (1973), 1 O.R. (2d) 1; 13 C.C.C. (2d) 471;
23 C.R.N.S. 152 (C.A.); Rex v. Vanek, [1944] O.R. 428;
[1944] 4 D.L.R. 59; (1944), 82 C.C.C. 53 (C.A.); Reg. v.
Blaby, [1894] 2 Q.B. 170; The King v. Sheridan (Frank),
[1937] I K.B. 223 (C.A.); R. v. Grant (1936), 26 Cr App
Rep 8; Ex parte Johnston, [1953] O.R. 207; (1953), 105
C.C.C. 161; 16 C.R. 93 (C.A.); États-Unis d'Amérique
c. Cotroni; États-Unis d'Amérique c. El Zein, [1989] I
R.C.S. 1469; (1989), Q.A.C. 182; 96 N.R. 321; 48
C.C.C. (3d) 193.
DOCTRINE
Canada. Rapport du Comité canadien de la réforme
pénale et correctionnelle (Ottawa, Imprimeur de la
Reine, 1969) (président: Roger Guimet).
Salhany, Roger E. Canadian Criminal Procedure, 5e éd.,
Aurora (Ontario), Canada Law Book, 1989.
Wydrzynski, Christopher J. Canadian Immigration Law
and Procedure, Aurora (Ontario): Canada Law Book,
1983.
AVOCATS:
Donald A. Macintosh pour l'appelant.
Kenneth P. Swan pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant.
Kenneth P. Swan, Toronto, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: J'ai eu l'avantage
de lire le projet de motifs de jugement proposé par
mon collègue le juge Linden. Bien que je sois
d'accord avec lui quant au dispositif et que je
partage, en substance, son opinion sur l'une des
questions en litige, celle de l'exclusion fondée sur
des raisons d'ordre médical, je ne puis me rallier à
son opinion sur l'autre point litigieux qu'il a exa-
miné, en l'occurrence l'exclusion fondée sur la
déclaration antérieure de culpabilité. En consé-
quence, j'estime nécessaire d'aborder une troisième
question: le refus de la Commission d'octroyer une
mesure spéciale pour des raisons d'ordre humani-
taire. Le juge Linden a traité à fond des faits à
l'origine du litige et je ne les répéterai pas.
L'EXCLUSION FONDÉE SUR LES RAISONS
D'ORDRE MEDICAL
La disposition applicable de la Loi sur l'immi-
gration' est l'alinéa 19(1)a):
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégo-
rie non admissible:
a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont
la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un
médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre
médecin agréé, conclut:
(i) soit que ces personnes constituent ou constitueraient
vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité
publiques,
(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'en-
traîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de
santé; [Les soulignements sont de moi.]
L'avis que prévoit cette disposition est l'avis d'un
médecin. L'avis d'un médecin quant à la question
de savoir si une personne souffre de l'une des
maladies ou invalidités visées doit nécessairement
être fondé sur une preuve médicale quelconque. Il
ne s'agit pas de savoir si la personne a déjà pu
souffrir d'une telle maladie ou d'une telle invali-
dité. L'aveu d'un profane qu'il a déjà souffert
d'une maladie ou d'une invalidité quelconque, qui
n'a pas nécessairement un caractère permanent, ne
constitue pas une preuve médicale sur laquelle
l'avis médical exigé peut être fondé. La maladie ou
l'invalidité dont a déjà souffert une personne ne
saurait non plus, en l'absence de preuve médicale,
appuyer l'avis d'un médecin suivant lequel cette
1 L.R.C. (1985), chap. I-2, modifiée.
personne risquerait d'entraîner un fardeau excessif
pour les services sociaux ou de santé. On n'a pas
présenté la moindre preuve médicale justifiant
l'avis formulé en l'espèce. Je partage l'opinion du
juge Linden suivant laquelle le raisonnement suivi
par la Commission sur cette question était
irréprochable.
LA «DÉCLARATION DE CULPABILITÉ»
PRONONCEE AU R.-U.
La disposition pertinente de la Loi est l'alinéa
19(1)c):
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégo-
rie non admissible:
c) celles qui ont été déclarées coupables d'une infraction qui,
si elle a été commise au Canada, peut être, ou, si elle a été
commise à l'étranger, pourrait être punissable, aux termes
d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal de dix ans
et plus et qui ne ...
L'exception prévue par le reste de cette disposition
ne s'applique pas.
La seule question qui se pose est celle de savoir
si, eu égard aux circonstances, l'épouse de l'intimé
a été déclarée coupable; dans l'affirmative, toutes
les autres conditions prévues par la disposition
pour prononcer son exclusion sont réunies. La
Commission a conclu qu'elle n'avait pas été décla-
rée coupable au sens de l'alinéa 19(1)c). À mon
avis, elle a eu tort.
La disposition de la loi britannique, qui est
reproduite dans les motifs du juge Linden, ne
prévoit pas que la personne qui fait l'objet d'une
ordonnance de probation ou d'une absolution sous
condition n'a pas été déclarée coupable; elle pré-
voit plutôt qu'à certaines fins déterminées, le con-
trevenant est réputé ne pas avoir été déclaré cou-
pable. Il va sans dire qu'un tribunal canadien ne
saurait considérer l'une ou l'autre de ces fins
comme étant l'une des fins poursuivies par le droit
canadien.
En toute déférence, je ne suis pas persuadé que
le législateur fédéral avait l'intention d'intégrer
dans notre droit de l'immigration les principes du
droit criminel d'un pays étranger, si compatibles
qu'ils soient avec les nôtres. Les étrangers ne peu-
vent entrer ou demeurer au Canada que dans la
mesure où la loi canadienne applicable leur
accorde expressément ce droit. On ne m'a démon-
tré aucune raison pour laquelle le Canada devrait
accorder à un immigrant éventuel qui a commis
une infraction les avantages d'un principe général
qui reflète les attitudes actuelles de notre société
pour l'unique raison que le pays dans lequel l'in-
fraction a été commise partage nos vues éclairées.
Si, au Canada, le fait d'être déclaré coupable de
l'infraction reprochée donnerait vraisemblable-
ment lieu à une absolution ou à une probation
plutôt qu'à une amende ou à une incarcération,
malgré le fait que le contrevenant encourt un
emprisonnement de dix ans ou plus, pourquoi les
immigrants éventuels ne devraient-ils pas bénéfi-
cier des mêmes avantages, même si le pays dans
lequel ils ont été déclarés coupables ne leur
accorde pas des options analogues en matière de
probation ou d'absolution sous condition? Je ne
suis tout simplement pas convaincu que le législa-
teur fédéral avait l'intention de traiter différem-
ment les personnes qui sollicitent l'admission et qui
se trouvent dans la même situation au simple motif
que les principes généraux du droit criminel de
leur pays d'origine respectif sont différents.
En revanche, comme nous le savons bien, cer-
tains pays punissent sévèrement, voire même sau-
vagement, des infractions que nous considérons
relativement mineures. Pourtant, le législateur
fédéral a bien précisé que c'est la norme cana-
dienne, et non la norme étrangère, de la gravité des
crimes, mesurée en fonction de la durée possible de
la peine, qui régit l'admissibilité au Canada. Le
fondement logique de l'exclusion prévue à l'alinéa
19(1)c) doit certainement être la gravité relative
— envisagée d'un point de vue canadien — de
l'infraction dont la personne en cause a été décla-
rée coupable et non les conséquences réelles de
cette conclusion en droit interne étranger. Si c'est
le fondement logique, il me semble qu'il n'existe
aucune raison de ne pas appliquer uniformément la
norme canadienne à toutes les personnes qui solli-
citent l'admission indépendamment de l'endroit où
l'infraction a été commise.
Je ne puis également partager l'opinion suivant
laquelle la modification par laquelle on a remplacé
en 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52, art. 19(1)c)]
l'expression «les personnes qui ont été déclarées
coupables de quelque crime impliquant turpitude
morale ou qui admettent avoir commis un tel
crime» [Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, chap.
I-2, art. 5d)] par les mots de l'actuel alinéa
19(1)c) a pour conséquence de ne plus permettre
d'invoquer un plaidoyer de culpabilité pour justi-
fier une déclaration de culpabilité au sens de cet
alinéa. J'estime qu'en apportant cette modifica
tion, le législateur voulait corriger l'imprécision
juridique de l'expression «turpitude morale» et
exprimer son intention que la culpabilité soit éta-
blie conformément à la loi et non par l'accusé
lui-même.
En toute déférence, je ne considère pas non plus
que l'exclusion du Canada d'une personne réputée
aux termes d'une loi étrangère ne pas avoir été
déclarée coupable d'une infraction contrecarre les
objectifs de cette loi étrangère. Pour commencer,
en l'absence de traité ou d'accord international, les
législateurs étrangers n'ont tout simplement pas le
droit de s'attendre à ce que nos lois s'ajustent aux
objectifs visés par les leurs. De toute façon, bien
qu'il ne fasse aucun doute qu'elle ait pour objectif
de lever les incapacités civiles internes frappant les
contrevenants, la loi britannique ne devrait pas —
si c'est effectivement son but — viser à faciliter
l'émigration au Canada.
À mon humble avis, en employant le mot anglais
«convicted» (déclarées coupables) à l'alinéa
19(1)c) de la Loi sur l'immigration, le législateur
fédéral voulait dire «found guilty» (reconnues cou-
pables) à la suite notamment d'un plaidoyer de
culpabilité 2 . Il s'ensuit, selon moi, que la Commis
sion a commis une erreur en concluant que c'était
à tort que l'épouse de l'intimé s'était vue refuser
l'admission à titre d'immigrante en raison de l'ali-
néa 19(1)c).
2 Je ne voudrais pas laisser entendre que l'on ne peut invo-
quer les dispositions applicables du Code criminel [L.R.C.
(1985), chap. C-46] pour présumer qu'il n'y a pas eu déclara-
tion de culpabilité lorsque l'art. 19(1)c) prévoit les motifs
justifiant de prendre des mesures d'expulsion contre une per-
sonne (1) qui se trouve légalement au Canada et (2) qui a été
déclarée coupable d'une infraction qui a été commise au
Canada. Cela reviendrait à incorporer dans notre droit de
l'immigration les principes du droit criminel canadien, et non
ceux d'un pays étranger.
POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE FONDÉ
SUR DES RAISONS D'ORDRE
HUMANITAIRE
Étant donné qu'il a obtenu gain de cause devant
la Commission sur d'autres moyens, l'intimé n'a
pas contesté le refus de la Commission d'admettre
son épouse pour des raisons d'ordre humanitaire.
La question n'a pas été examinée par les parties
dans leur mémoire, mais la Cour l'a soulevée au
cours des débats et a donné aux avocats l'occasion
de l'aborder. Comme j'ai conclu, en ce qui con-
cerne la décision de la Commission, que l'épouse
de l'intimé devait être admise pour d'autres rai-
sons, il me faut examiner ce refus.
La Loi dispose [alinéas 3(c), 77(3)b) (mod. par
L.R.C. (1985) (2e suppl.), chap. 10, art. 6; (4e
suppl.), chap. 28, art. 33)]:
3. La politique canadienne d'immigration ainsi que les règles
et règlements pris en vertu de la présente loi visent, dans leur
conception et leur mise en œuvre, à promouvoir les intérêts du
pays sur les plans intérieur et international et reconnaissent la
nécessité:
c) de faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens et
résidents permanents avec leurs proches parents de
l'étranger;
77....
(3) S'il est citoyen canadien ou résident permanent, le répon-
dant peut en appeler devant la Commission en invoquant les
moyens suivants:
b) raisons d'ordre humanitaire justifiant l'octroi d'une
mesure spéciale.
À nouveau, les soulignements sont de moi.
Pour rejeter l'appel de l'intimé sur ce moyen, la
Commission a déclaré:
[TRADUCTION] ... la Commission n'est pas persuadée qu'il
existe des circonstances extraordinaires qui justifient l'octroi
d'une mesure spéciale par la Commission. L'appelant a vécu en
Angleterre pendant quelque seize années. Sa fille de vingt ans
et son fils de treize ans issus d'un mariage antérieur y résident.
Le préjudice qu'il pourrait subir s'il retournait en Angleterre
est surtout de caractère économique.
Elle a poursuivi en ne tenant pas compte de la
crainte et de l'angoisse qu'ils imputent aux mena
ces de revanche proférées par Eddie Szuluk. La
situation est analysée par mon collègue le juge
Linden et je ne veux pas entrer dans les détails de
ce problème.
Il n'est pas nécessaire que les circonstances dans
lesquelles la Commission peut exercer le pouvoir
discrétionnaire que lui confère l'alinéa 77(3)b)
soient extraordinaires. Il suffit qu'il existe des
raisons d'ordre humanitaire. Il me semble que ces
raisons peuvent être les plus ordinaires qui soient:
l'amour d'un mari et de sa femme et leur désir
naturel de vivre ensemble.
En outre, la raison invoquée pour refuser d'oc-
troyer la mesure sollicitée, en l'occurrence l'ab-
sence relative de préjudice que subirait l'intimé s'il
retournait en Angleterre pour y retrouver sa
femme, va manifestement à l'encontre d'un objec-
tif explicite de la Loi sur l'immigration: la réunion
au Canada des citoyens canadiens avec leurs pro-
ches parents de l'étranger. Je n'ai aucune hésita-
tion à affirmer que si l'intimé avait interjeté appel
du refus d'octroyer une mesure spéciale pour des
raisons d'ordre humanitaire, j'y aurais fait droit.
CONCLUSION
La réparation qui peut être accordée dans le
cadre du présent appel est prévue à l'alinéa 52c) de
la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap.
F-7]:
52. La Cour d'appel peut:
c) dans les autres cas d'appel:
(i) soit rejeter l'appel ou rendre la décision qui aurait dû
être rendue,
(ii) soit, à son appréciation, renvoyer l'affaire pour juge-
ment conformément aux instructions qu'elle estime
appropriées;
Notre Cour a jusqu'à maintenant — et à juste titre
— témoigné beaucoup de déférence envers la
Commission en ce qui concerne l'exercice du pou-
voir discrétionnaire que lui confère l'alinéa
77(3)b). Lorsqu'une erreur a été constatée, nous
avons presque toujours exercé le pouvoir discré-
tionnaire prévu au sous-alinéa 52c)(ii) et renvoyé
l'affaire à la Commission pour qu'elle rende une
nouvelle décision. Ceci dit, aucune des dispositions
de la Loi sur l'immigration ne nous enlève le
pouvoir discrétionnaire de réparation que nous
accorde le sous-alinéa 52c)(1). A mon avis, nous
manquerions à notre devoir si nous n'exercions pas
notre pouvoir discrétionnaire en rendant la déci-
sion qui aurait dû être rendue alors qu'il ne reste
plus de question de fait à trancher par la Commis-
Sion et que son erreur de droit repose si manifeste-
ment sur son défaut de respecter les principes
généraux que le législateur fédéral a explicitement
déclarés dans la Loi.
Un appel porte sur une décision, et non sur les
motifs invoqués à l'appui de celle-ci. Comme je
suis d'avis que la Commission est parvenue au bon
résultat, bien que pour la mauvaise raison, je
trancherais l'appel de la manière proposée par le
juge Linden.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LINDEN, J.C.A.: Susan Mary Pearn
Burgon n'a pas eu une vie heureuse en Angleterre.
Née en 1949, la requérante était l'aînée de huit
enfants. Son père dévalisait les banques et a passé
une grande partie de sa vie en prison. Lorsque la
requérante avait neuf ans, sa mère est disparue
pendant un certain temps et les services de protec
tion de l'enfance ont dû s'occuper d'elle et de ses
frères et soeurs. À dix-sept ans, elle vivait seule.
Elle travaillait comme serveuse et étudiait en vue
de devenir infirmière. En 1969, l'âge de 20 ans,
elle est devenue enceinte, a abandonné ses études
et a donné naissance à son fils aîné, Simon. Peu de
temps après, elle a rencontré son premier mari,
Harry Pearn, qu'elle a épousé en 1971. Les Pearn
ont mis au monde un second fils, Nicholas. Harry
Pearn était un homme violent et possessif qui avait
à l'occasion des démêlés avec la justice. En 1981,
M 11Q Burgon a quitté Pearn. Lorsque leur divorce a
été prononcé en 1983, la garde des enfants a été
confiée à Pearn.
Pearn, qui avait consommé régulièrement du
cannabis, a poussé Mme Burgon à en fumer pen
dant un certain temps, mais celle-ci a fini par y
renoncer en 1974. Pearn a commencé à consom-
mer de l'héroïne en 1981 et il y a également initié
Mme Burgon au cours des visites qu'elle rendait aux
enfants. Elle a appris qu'il faisait le commerce de
l'héroïne et, préoccupée par le bien-être de ses
enfants, elle est revenue vivre avec lui pour les
protéger. Malheureusement, elle est elle-même
devenue héroïnomane par la suite.
En 1984, elle a tenté à nouveau sans succès de se
désintoxiquer en allant s'installer en Cornouailles.
Par suite de l'arrestation et de l'emprisonnement
de Pearn pour des délits liés aux stupéfiants, son
approvisionnement en héroïne a été coupé. Au lieu
de cesser de consommer, elle est tombée sous
l'influence d'un pourvoyeur local de drogues
appelé Eddie Szuluk, qui lui a remis un gramme
d'héroïne, qui a été divisé en 20 portions, 2 pour
son propre usage et 18 pour la vente. Son fils aîné,
Simon, est rapidement devenu un consommateur
de drogues. Elle a tenté sans succès d'échapper à
l'influence de Szuluk. Elle a demandé à son père
de l'aider, mais au lieu de la secourir, il est devenu
lui aussi un pourvoyeur pour Szuluk.
En 1985, Mme Burgon a été appréhendée à la
suite d'accusations ayant trait à des stupéfiants
avec Szuluk et d'autres personnes. Pendant qu'elle
attendait de subir son procès en prison, où elle a
passé dix mois, son fils cadet, Nicholas, lui a
appris que son fils aîné, Simon, faisait maintenant
le commerce des stupéfiants pour Szuluk. Malgré
le fait que Szuluk l'avait prévenue de garder le
silence, cette nouvelle l'a incitée à faire à la police
une déclaration qui a conduit à l'incarcération de
son fils, Simon, de son père, de Szuluk, ainsi que
d'autres personnes. Elle s'est reconnue coupable de
complot visant à fournir des drogues contrôlées et
elle a été condamnée le 18 juin 1986 deux ans de
probation. En prononçant la sentence, le juge, sir
Hugh Park, a expliqué qu'il faisait preuve de
clémence envers elle parce qu'elle avait été une
toxicomane, qu'elle avait été influencée par
Szuluk, qu'elle avait fait des aveux complets et
qu'elle était prête à témoigner pour la poursuite.
Szuluk a écopé d'une peine de dix ans d'emprison-
nement et d'autres membres de sa bande ont égale-
ment été condamnés à diverses peines d'emprison-
nement.
Le 26 juin 1986, Mme Burgon a épousé David
Ross Burgon, l'intimé, un citoyen canadien qui
vivait en Angleterre. Ils s'étaient rencontrés en
1981 et étaient restés en contact pendant qu'elle
subissait son procès. Après leur mariage, ils ont
vécu pendant quelques mois à Barnstaple, où Mme
Burgon a travaillé au pub local.
En janvier 1987, la mère de M. Burgon est
tombée malade et les Burgon sont venus la voir au
Canada. En mars 1987, parrainée par son mari,
Mme Burgon a présenté une demande de résidence
permanente au Canada. Le 7 décembre 1987, avec
l'assistance de son agent de probation, elle a
obtenu en Angleterre une absolution qui a eu pour
effet de l'acquitter complètement. Par la suite, elle
a été admise au Canada à titre de visiteur et a
attendu qu'Emploi et Immigration Canada entre
en communication avec elle.
En février 1988, le fils aîné de Mme Burgon,
Simon, est mort à la suite de l'absorption d'une
dose massive de drogues. Elle est retournée en
Angleterre pour assister aux funérailles, et, pen
dant qu'elle se trouvait là-bas, elle a reçu une
lettre des autorités canadiennes de l'immigration
l'informant que sa demande, de résidence perma-
nente avait été rejetée. Son mari a réussi à obtenir
que Mme Burgon soit autorisée à rentrer temporai-
rement au Canada, où ils vivent maintenant et
désirent demeurer en sécurité hors de l'atteinte de
Eddie Szuluk.
La demande d'établissement de Mme Burgon a
initialement été rejetée au motif qu'elle apparte-
nait à deux catégories de personnes non admissi-
bles. On l'a premièrement informée qu'à cause de
sa «déclaration de culpabilité», elle tombait sous le
coup de l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigra-
tion, qui dispose:
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégo-
rie non admissible:
c) celles qui ont été déclarées coupables d'une infraction qui,
si elle a été commise au Canada, peut être, ou, si elle a été
commise à l'étranger, pourrait être punissable, aux termes
d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal de dix ans
et plus et qui ne peuvent justifier auprès du gouverneur en
conseil ni de leur réadaptation ni du fait qu'au moins cinq
ans se sont écoulés depuis l'expiration de leur peine;
En deuxième lieu, on lui a dit qu'à cause de son
ancienne héroïnomanie, elle tombait sous le coup
du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigra-
tion, dont voici le libellé:
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégo-
rie non admissible:
a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont
la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un
médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre
médecin agréé, conclut:
(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'en-
traîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de
santé;
M. Burgon en a appelé devant la Section d'appel
de la Commission de l'immigration et du statut de
réfugié, qui, dans une décision datée du 21 août
1989, a infirmé la décision initiale sur les deux
motifs et a admis la requérante au Canada. Le
ministre de l'Emploi et de l'Immigration se pour-
voit maintenant devant notre Cour.
La question litigieuse plus complexe est celle de
savoir si Mme Burgon est frappée d'exclusion du
Canada en vertu de l'alinéa 19(1)c) parce qu'elle
s'est reconnue coupable du complot en vue de
fournir des substances contrôlées dont elle a été
accusée et à l'égard duquel elle a été condamnée à
une probation de deux ans, ou si elle échappe à
l'application de l'alinéa 19(1)c) par application du
paragraphe 13(1) de la Powers of Criminal Courts
Act, 1973 [(R.-U.), 1973, chap. 62] du Royaume-
Uni, qui dispose:
13. (1) [TRADUCTION] ... le contrevenant qui a été déclaré
coupable d'une infraction pour laquelle il fait l'objet d'une
ordonnance de probation ou d'une ordonnance d'absolution
inconditionnelle ou sous condition prononcée en vertu de la
présente partie de la présente loi est réputé n'avoir été déclaré
coupable que dans le cadre de l'instance au cours de laquelle
l'ordonnance a été prononcée et dans celui de toute poursuite
ultérieure qui pourrait être intentée contre lui en vertu des
dispositions précédentes de la présente loi.
L'avocat de l'appelant prétend notamment que,
comme elle s'est reconnue coupable de l'infraction
dont elle a été accusée et comme elle a été jugée
coupable et a été condamnée, elle a été «déclarée
coupable d'une infraction» au sens de l'alinéa
19(1)c). Il affirme que la loi du Royaume-Uni ne
saurait déterminer le sens des mots «déclarées
coupables» de la Loi sur l'immigration, qui a des
objectifs différents de ceux du droit criminel
britannique.
L'avocat de l'intimé prétend notamment que
c'est à bon droit que la Section d'appel a conclu
que Mme Burgon n'avait pas été déclarée coupable
au Royaume-Uni et, de surcroît, que le droit de
l'Angleterre devait régir la question. En d'autres
termes, si elle est déclarée coupable en Angleterre,
elle est «déclarée coupable» ici; si elle n'est pas
déclarée coupable là-bas, elle n'est pas «déclarée
coupable» ici.
Il est évident que les mots «déclarées coupables»
n'ont pas un sens universel immuable. Comme tant
d'autres mots, ils peuvent avoir [TRADUCTION]
«des sens équivoques et différents selon le contexte
dans lequel ils sont employés» (voir R. v. McInnis
(1973), 1 O.R. (2d) 1 (C.A.), à la page 10, le juge
Martin, J.C.A.; Rex v. Vanek, [1944] O.R. 428
(C.A.), à la page 433, le juge en chef de l'Ontario
Robertson). Il existe plusieurs décisions publiées
dans lesquelles l'expression «déclaration de culpa-
bilité» a été interprétée dans divers contextes de
procédure criminelle, mais ces décisions d'espèce
ne nous sont pas très utiles pour découvrir le sens
de cette expression dans le présent contexte parti-
culier (voir Reg. v. Blaby, [1894] 2 Q.B. 170
(affaire portant sur la détermination de la peine);
The King v. Sheridan (Frank), [1937] 1 K.B. 223
(C.A.); (autrefois convict) R. v. Grant (1936), 26
Cr App Rep 8 (conséquences du plaidoyer de
culpabilité); Ex parte Johnston, [1953] O.R. 207
(C.A.) (conséquences du plaidoyer de culpabilité);
R. v. Mclnnis, précité (pouvoirs en matière
d'appel).
La question à trancher en l'espèce est celle de
savoir si, lorsqu'il s'agit de cerner le sens de l'ex-
pression «déclarées coupables», ce sont les principes
généraux de la Loi sur l'immigration qui l'empor-
tent ou si ce sont ceux du droit criminel, ou encore
si la Cour devrait essayer de concilier les textes de
loi dans ces deux domaines. En outre, il y a un
élément étranger en l'espèce, ce qui oblige notre
Cour à se demander quelle reconnaissance, s'il y a
lieu, devrait être accordée aux lois d'un pays étran-
ger pour interpréter cette expression.
La Loi sur l'immigration définit certaines caté-
gories de personnes non admissibles qui [TRADUC-
TION] «sont caractérisées de façon générale comme
une menace pour la santé publique, le bien-être,
l'économie et la sécurité du Canada» (voir Wydr-
zynski, Canadian Immigration Law and Procedure
(1983), à la page 160). En particulier, l'alinéa
19(1)c) vise [TRADUCTION] «à exclure les person-
nes qui ont été déclarées coupables d'infractions
graves» (ibid., à la page 167). Mais les personnes
qui ont commis des crimes ne sont pas toutes
exclues à jamais. Le droit de l'immigration peut, à
l'instar de la société en général, pardonner à ceux
qui commettent des crimes. Peuvent être admises
les personnes qui «peuvent justifier auprès du gou-
verneur en conseil ... de leur réadaptation [et] du
fait qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis
l'expiration de leur peine»» (voir l'alinéa 19(1)c)). Il
ressort de cette disposition qu'une personne qui
commet un crime grave peut se voir accorder la
chance de refaire sa vie au Canada, du moins à
certaines conditions.
Les principes généraux du droit criminel en
matière de casiers judiciaires ont changé au cours
des dernières années pour refléter l'évolution des
attitudes de la société envers ceux qui ont enfreint
le droit criminel. Le Rapport du Comité canadien
de la réforme pénale et correctionnelle (le comité
Ouimet) a recommandé en 1969 de trouver une
façon d'éviter les conséquences préjudiciables
qu'entraîne l'existence d'un casier judiciaire. (Voir
Salhany, Canadian Criminal Procedure, (5e éd.,
1989, la page 382). La première réaction législa-
tive à cette recommandation a été l'adoption de la
Loi sur le casier judiciaire, S.C. 1969-70, chap.
40, qui permet au gouverneur en conseil d'accorder
un pardon, après l'écoulement d'une certaine
période de temps, sur la recommandation de la
Commission nationale des libérations conditionnel-
les. L'octroi du pardon a pour effet d'«annule[r] la
condamnation pour laquelle il est accordé et, sans
restreindre la portée générale de ce qui précède,
[d']élimine[r] toute déchéance que cette condam-
nation entraîne, pour la personne ainsi déclarée
coupable, en vertu de toute loi du Parlement du
Canada . ..» (article 5). Ainsi donc, en faisant la
preuve de sa «bonne conduite», la personne décla-
rée coupable d'une infraction pouvait être lavée de
toute souillure causée par la déclaration de culpa-
bilité. Peu de temps après, le Code criminel
[S.R.C. 1970, chap. C-34] du Canada a également
été modifié ([Loi de 1972 modifiant le Code cri-
minel] S.C. 1972, chap. 13, sanctionnée le 15 juin
1972) pour permettre aux juges d'octroyer dans
certaines circonstances une absolution incondition-
nelle ou sous condition. Il en résulte que l'accusé
«n'est pas censé avoir été déclaré coupable de
l'infraction quant à laquelle il a plaidé coupable ou
dont il a été déclaré coupable ... » sous réserve de
certaines exceptions. (Voir le paragraphe 662.1(3),
maintenant le paragraphe 736(3) [mod. par
L.R.C. (1985) (1 er suppl.), chap. 27, art. 162;
(4e suppl.), chap. 1, art. 18 (annexe I, item 24)] du
Code criminel du Canada).
Des dispositions semblables visant à aider les
personnes déclarées coupables de crimes à refaire
leur vie ont été édictées au Royaume-Uni ainsi que
dans d'autres pays. Les Britanniques sont allés
plus loin que le Canada: en plus de permettre
l'absolution inconditionnelle et sous condition, on y
a adopté le paragraphe 13 (1) précité qui prévoit
que le contrevenant qui a été déclaré coupable
d'une infraction pour laquelle il fait l'objet d'une
ordonnance de probation [TRADUCTION] «est
réputé [ne pas] avoir été déclaré coupable», sauf à
certaines fins techniques. C'est cette disposition
qui a permis à Mme Burgon de faire effacer sa
déclaration de culpabilité au Royaume-Uni.
L'expert, Me Manraj, a expliqué les conséquen-
ces de ces dispositions législatives du Royaume-
Uni:
[TRADUCTION] Bien qu'une ordonnance de probation ne puisse
être prononcée qu'après que le contrevenant a été déclaré
coupable d'une infraction, ce contrevenant est réputé n'avoir été
déclaré coupable que dans le cadre de l'instance au cours de
laquelle l'ordonnance a été prononcée. Ainsi donc, l'accusé est
réputé avoir été «déclaré coupable» dans le but de lui permettre
d'interjeter appel de la «déclaration de culpabilité», mais il est
réputé ne pas avoir été déclaré coupable pour permettre, par
exemple, par la suite à la Cour de prononcer une peine plus
lourde, dans les cas où cela est possible, pourvu que l'accusé ait
déjà fait l'objet d'une peine, qu'il ait déjà été condamné. Ce
n'est que dans le cas où il est par la suite déclaré coupable du
même type d'infraction que l'on considère que l'accusé a déjà
été «déclaré coupable».
Hormis ces cas, une fois que le contrevenant a fait l'objet d'une
ordonnance de probation qui a été inscrite, il n'est plus «déclaré
coupable» [Soulignements ajoutés].
Ce témoignage a été accepté par la Section d'ap-
pel. Même s'il n'est pas identique à celui du
Canada, ce texte de loi du Royaume-Uni y est
certainement semblable de par son contenu et de
par ses effets.
J'estime qu'il faut supposer que lorsqu'il a
adopté de nouveau la Loi sur l'immigration en
1976 [S.C. 1976-77, chap. 52], le législateur fédé-
ral connaissait ses propres textes de loi pénale
antérieurs, qui permettaient d'effacer les déclara-
tions de culpabilités criminelles du casier des per-
sonnes méritantes. En employant les termes «décla-
rées coupables» à l'alinéa 19(1)c), le législateur
visait donc une déclaration de culpabilité qui
n'avait pas été effacée en vertu de toute autre loi
édictée par lui. Si une «déclaration de culpabilité»
était effacée par application des dispositions d'une
autre loi du législateur fédéral, ce dernier ne vou-
lait pas qu'elle soit traitée de la même manière
qu'une déclaration de culpabilité qui n'avait pas
été supprimée du casier judiciaire d'une personne.
S'il avait voulu que les termes «déclarées coupa-
bles» que l'on trouve dans la Loi sur l'immigration
soient interprétés autrement, il aurait pu et aurait
dû l'exprimer. Lorsqu'on interprète de cette
manière l'alinéa 19(1)c), on réussit à concilier —
et non à mettre en conflit — la Loi sur l'immigra-
tion et la législation criminelle canadienne. Les
principes généraux du droit criminel sont intégrés
dans la Loi sur l'immigration.
Je suis conforté dans cette opinion par l'examen
de l'historique législatif de l'alinéa 19(1)c), qui
était très différent dans sa rédaction antérieure.
L'alinéa 5d) de la Loi sur l'immigration, S.R.C.
1970, chap. I-2, interdisait à certaines catégories
de «personnes qui ont été déclarées coupables de
quelque crime impliquant turpitude morale, ou qui
admettent avoir commis un tel crime ...» [souli-
gnement ajouté] d'entrer au Canada. S'il avait été
repris dans la loi de 1976, ce libellé aurait proba-
blement visé Mme Burgon, qui aurait été légitime-
ment frappée d'exclusion, parce qu'elle avait
«admis avoir commis un crime» [soulignement
ajouté]. Cependant, dans la nouvelle loi de 1976
sur l'immigration, on a laissé tomber les mots
soulignés et on a laissé seulement les mots clés
«déclarées coupables». Cette disposition a mainte-
nant un sens différent: il ne suffirait plus de plai-
der coupable pour tomber sous le coup de cet
article. La réforme législative est intervenue après
l'adoption des modifications qui ont été apportées
au Code criminel et qui ont reçues la sanction
royale le 15 juin 1972, prévoyant notamment l'ab-
solution inconditionnelle ou sous condition à titre
de mesure permise au Canada. Ainsi donc, on doit
supposer que lorsqu'il a omis en 1976 les mots
soulignés dans la Loi sur l'immigration et qu'il a
laissé seulement les mots «déclarées coupables», le
législateur fédéral connaissait la fiction juridique
par laquelle on présume qu'un contrevenant n'a
pas été déclaré coupable et, par conséquent, on
doit supposer que le législateur fédéral voulait
soustraire ces personnes à l'application de l'alinéa
19(1)c) et rendre la Loi sur l'immigration compa
tible avec le Code criminel du Canada:
L'autre question à examiner est celle de savoir si
le texte de loi du Royaume-Uni, dont l'objet est
semblable, mais non identique à celui de la loi
canadienne, devrait être traité de la même façon.
Dans les deux pays, certains contrevenants se
voient accorder l'avantage d'éviter l'infamie causée
par l'existence d'un casier judiciaire pour faciliter
leur réadaptation. Il n'existe aucune raison valable
pour que le droit canadien de l'immigration con-
trecarre l'objectif de ce texte de loi britannique,
qui est compatible avec le droit canadien. Nos
deux systèmes juridiques reposent sur des fonde-
ments analogues et partagent des valeurs sembla-
bles. Dans un autre contexte, qui n'est pas étranger
à celui-ci, le juge MacGuigan de notre Cour a
écrit [Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c.
Satiacum (1989), 99 N.R. 171 (C.A.F.), à la page
176]:
En l'absence d'une preuve de circonstances exceptionnelles ...
les tribunaux canadiens doivent tenir pour acquis qu'il existe un
processus judiciaire équitable et impartial dans le pays étran-
ger. Dans le cas d'un Etat non démocratique, il peut être facile
de faire la preuve contraire, mais en ce qui a trait à un État
démocratique comme les États-Unis, il se peut qu'il faille aller
jusqu'à démontrer, par exemple, que le processus de sélection
du jury est gravement atteint dans la région en question ou que
l'indépendance ou le sens de l'équité des juges est en cause.
[Voir également l'arrêt États-Unis d'Amérique c. Cotroni;
États-Unis d'Amérique c. El Zein, [1989] 1 R.C.S. 1469].
Ce qui a été dit au sujet des États-Unis vaut
également pour le Royaume-Uni.
À moins qu'il existe un motif valable de rendre
une autre décision, j'estime donc qu'il y a lieu de
respecter les lois des pays qui sont semblables aux
nôtres, surtout lorsque leurs buts sont identiques.
Bien que je sois certainement d'accord avec le juge
Bora Laskin pour dire que le droit d'un autre pays
m'est pas déterminant en ce qui concerne une
question relative aux condamnations criminelles
posée aux fins de déterminer si l'immigration au
Canada devrait être permise» (voir Ministre de la
Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Brooks,
[1974] R.C.S. 850, la page 863), nous devons
reconnaître les lois d'autres pays qui reposent sur
les mêmes fondements que les nôtres, à moins qu'il
existe une raison solide de s'en écarter. Pour
reprendre les mots de la Section d'appel:
[TRADUCTION] On porterait gravement atteinte au sens cana-
dien de la justice si le ministère canadien de l'Immigration ou le
système judiciaire canadien s'autorisait lui-même à présumer
qu'une personne est déclarée coupable d'une infraction alors
que cette personne est réputée ne pas avoir été déclarée coupa-
ble de la même infraction dans le territoire où l'infraction
aurait été commise.
Bien que notre Cour ne soit pas, comme le fait
valoir l'avocat de l'intimé, tenue d'aller jusqu'à
«reconnaître» les lois de tous les ressorts étrangers,
il convient de le faire en l'espèce, parce que les lois
et le système juridique de l'autre pays sont similai-
res aux nôtres.
Comme il n'y a pas de «déclaration de culpabi-
lité» au Royaume-Uni et qu'il n'y a pas de raison
de refuser de reconnaître la loi du Royaume-Uni
qui est semblable à la nôtre, Mme Burgon n'a pas
été «déclarée coupable» au sens de l'alinéa 19(1)c)
de la Loi sur l'immigration et elle n'est pas frap-
pée d'exclusion.
La question moins complexe est la question
d'ordre médical. La Section d'appel a infirmé la
décision initiale par laquelle on a refusé l'entrée à
Mme Burgon au motif qu'elle était visée par le
sous-alinéa 19(1)a)(ii). Pour ce faire, la Section
d'appel a suivi le raisonnement suivant:
[TRADUCTION] Le rapport [médical] indique que la requérante
ne souffre d'aucune anomalie; le diagnostic indique que c'est
[TRADUCTION] «une femme en bonne santé» et le pronostic
prévoit [TRADUCTION] «une vie et une santé normales». Suivant
la requérante, le médecin traitant ne l'a pas interrogée au sujet
de sa toxicomanie. Pourtant, le médecin agréé explique, dans
son exposé:
[TRADUCTION] Cette femme a été victime d'héroïnomanie.
Elle a été déclarée coupable de complot en vue de fournir des
drogues contrôlées et fait présentement l'objet d'une proba
tion de deux ans autorisée par les tribunaux qui ne prendra
fin qu'en juin 1988. Elle est non admissible aux termes du
sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi (toxicomanie).
Il semblerait que le médecin qui a procédé à l'examen des
facultés physiques de la requérante n'a pas tiré de conclusion
au sujet de l'ancienne toxicomanie de la requérante et qu'il n'y
a pas fait allusion. Le médecin qui a rédigé l'exposé semble
avoir fondé son avis sur les renseignements fournis par la
requérante, qui a reconnu, au cours de son entrevue avec
l'agent des visas, avoir été accusée de complot en vue de fournir
des drogues contrôlées. La Commission est d'accord avec l'avo-
cat de l'appelant pour dire que le refus fondé sur des raisons
d'ordre médical est entaché de deux erreurs. Premièrement, il
est entaché d'une erreur de fait en ce sens qu'il n'est pas
démontré que la «toxicomanie» signalée par le médecin agréé
est une maladie ou une invalidité permanente auquel le sous-
alinéa 19(1)a)(ii) peut s'appliquer. En deuxième lieu, il est
également entaché d'une erreur en raison de l'avis exprimé dans
l'exposé dans lequel le médecin agréé conclut que la requérante
«entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour
les services sociaux ou de santé„ sur le fondement d'un diagnos
tic qui n'est appuyé par aucune preuve médicale. Les déclara-
tions de culpabilité et les probations mentionnées dans l'exposé
sont dénuées de toute pertinence en ce qui concerne le sous-ali-
néa 19(1)a)(ii).
La Commission conclut que le refus pour des raisons d'ordre
médical n'est nullement fondé et, par conséquent, qu'il n'est pas
valable en droit.
On ne m'a pas convaincu que ce raisonnement
était erroné.
Ce que les médecins ont fait en l'espèce ressem-
ble à ce qui a été fait dans l'arrêt Seyoum c.
Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion) (A-419-90, juge Mahoney, J.C.A., jugement
en date du 15-11-90, encore inédit), dans lequel la
Cour a jugé que le requérant était visé par le
sous-alinéa 19(1)a)(ii) parce qu'il avait été jugé
incapable de subir son procès pour cause d'aliéna-
tion mentale. Le juge Mahoney de notre Cour a
déclaré que cela ne pouvait pas «appuyer automati-
quement la conclusion qu'on pourrait raisonnable-
ment s'attendre à ce qu'il entraîne un fardeau
excessif pour les services sociaux ou de santé». De
même, le fait qu'une personne a été toxicomane ne
signifie pas qu'elle tombe automatiquement sous le
coup du sous-alinéa 19(1)a)(ii), comme l'ont
assumé les médecins agréés.
Mme Burgon n'est donc pas non admissible à
cause du sous-alinéa 19(1)a)(ii).
Par ces motifs, le présent appel est rejeté et Mme
Burgon se voit accorder la possibilité de refaire sa
vie au Canada. Les frais extra-judiciaires seront
accordés à l'intimé conformément au paragraphe
84(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap.
28, art. 19] de la Loi sur l'immigration.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je suis du même
avis.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.