T-183-88
Antrim Yards Ltd., Bakerview Forest Products
Inc., Brink Forest Products Inc., Byrnexco Inc.,
English Bay Cedar Products Ltd., Faulkener
Wood Specialties Ltd., Greenwood Forest Pro
ducts (1983) Ltd., Hollcan Millworks Ltd., Marks
Lumber Limited, Midland Wood Products Ltd.,
Naimark Lumber Ltd., Northwest Pre-Cut Inc.,
Okanagan Lumber Services Ltd, Pacific Pallet
Ltd., Portbec Forest Products Ltd., Prince George
Precut Limited, Quadra Wood Products Ltd.,
Ridge Forest Products Inc., Sauder Industries
Limited, Shera Wood Products Inc., Spruceland
Millworks B.C. Ltd., Spruceland Millworks Ltd.,
Still Creek Forest Products Ltd., Summerland
Forest Products, Tyee Timber Products Ltd.,
Moga Timber Mill Ltd., Peter F. Beulah, John
Brink, Trevor Russell Buddo, George Burns,
Harry Earnest Erskine, Vernon D. Friesen, Jean
Patricia Fujikawa, Levi Giesbrecht, John
Gorman, Morris Grondin, Raymond Harms, Ian
C. Hudson, William LaCoste, William Arthur
McInnes, Erik Madsen, Fred Marks, Barry Nai-
mark, Peter Redeker, William L. Sauder, Ben
Sawatzky, Peter Sheremeta, David M. Sweeney,
Robert F. West et Balwinder Brar (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: ANTRIM YARDS LTD. C. CANADA (1" INST.)
Section de première instance, juge Strayer—
Vancouver, 26 mars; Ottawa, 29 avril 1991.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — Le Décret sur l'exemption du droit à l'exportation
de produits de bois d'oeuvre exempte du droit à l'exportation
de 15 % seulement des compagnies déjà exemptées par les
É.-U. — Les personnes morales demanderesses ne sont pas
protégées par l'art. 15 de la Charte, qui ne s'applique qu'aux
personnes physiques — Les distinctions créées par le Décret
sur l'exemption ne sont pas contraires à l'art. 15 — L'art. 15
n'interdit la discrimination que pour les motifs énumérés ou
analogues — La discrimination prohibée porte sur des distinc
tions fondées sur des caractéristiques personnelles qui ne
peuvent être aisément modifiées — Les demandeurs n'ont pas
été désavantagés par leur appartenance à un groupe de compa-
gnies non exemptées du paiement du droit car le groupe
n'existait pas avant la perpétration de l'action discriminatoire
reprochée — L'adoption des distinctions relatives aux deman-
des tardives et aux motifs d'ordre économique invoquées par
les autorités américaines pour refuser l'exemption n'est pas
«tellement injuste» ni «dénuée de tout lien rationnel avec un
objectif légitime de l'État» qu'elle viole le droit à la même
protection et au même bénéfice de la loi — Aucun des signes
de discrimination permettant de trouver des motifs analogues
(les stéréotypes, les désavantages historiques, la vulnérabilité à
des préjugés politiques) n'est présent.
Pratique — Parties — Qualité pour agir — Les demandeurs
sollicitent un jugement déclaratoire portant que le Décret sur
l'exemption du droit à l'exportation de produits de bois d'oeu-
vre est inconstitutionnel au motif qu'il est incompatible avec
l'art. 15 de la Charte; ils sollicitent aussi le recouvrement des
droits à l'exportation déjà payés — Les exigences applicables
à la qualité pour agir varient selon le recours — Les personnes
morales demanderesses et les personnes physiques demande-
resses ont qualité pour rechercher un jugement déclarant le
Décret inconstitutionnel — Application des critères exposés
dans l'arrêt Ministre de la Justice du Canada et autre c.
Borowski — Les personnes morales demanderesses obtiennent
qualité pour agir à l'égard de la demande en dommages-inté-
rêts ou en remboursement d'argent, mais les personnes physi
ques demanderesses n'ont pas obtenu qualité pour agir à cet
égard — Seule la partie qui a subi le préjudice peut demander
un remboursement ou des dommages-intérêts.
Interprétation des lois — Art. 15 de la Charte des droits —
Il s'agit de savoir si seuls les droits à l'égalité des personnes
physiques sont garantis — Le sens plus précis du mot «indivi-
dual» de la version anglaise est préféré au terme potentielle-
ment plus général de la version française, soit «personne», le
premier étant considéré plus conforme aux motifs de discrimi
nation prohibés visant des caractéristiques personnelles.
Il s'agit d'une demande de jugement déclaratoire portant que
le Décret sur l'exemption du droit à l'exportation de produits
de bois d'oeuvre est invalide en raison de son incompatibilité
avec l'article 15 de la Charte. Les demandeurs ont aussi
sollicité une ordonnance libérant les personnes morales deman-
deresses de toute obligation de paiement des droits à l'exporta-
tion impayés exigibles en vertu de la Loi sur le droit à
l'exportation de produits de bois d'oeuvre, et ils ont aussi
réclamé des dommages-intérêts spéciaux pour les droits à l'ex-
portation déjà payés, et des dommages-intérêts généraux pour
perte de ventes.
Des concurrents américains, alléguant que l'industrie cana-
dienne du bois d'oeuvre était injustement subventionnée par
certains programmes fédéraux, a demandé au Department of
Commerce des États-Unis d'imposer un droit compensatoire de
27 % sur certains produits de bois d'oeuvre importés aux États-
Unis. Le 30 juin 1986, le Department of Commerce a fait
savoir que les exportateurs canadiens avaient jusqu'au 11 juil-
let pour présenter leur demande d'exemption du paiement du
droit en question. Certaines des personnes morales demanderes-
ses n'ont pas été avisées de la possibilité de faire une telle
demande. D'autres, que le gouvernement du Canada avait
attesté être admissibles aux exemptions, ont vu le Department
of Commerce les leur refuser. Lorsqu'il est devenu évident
qu'un droit compensatoire d'au moins 15 % serait imposé, il a
été entendu que le gouvernement du Canada imposerait un
droit à l'exportation de 15 % sur certains produits de bois
d'oeuvre exportés aux États-Unis en échange du retrait de la
pétition en cause. Il a été convenu que seules les compagnies
que le Department of Commerce exemptait déjà du paiement
du droit compensatoire seraient exemptées du paiement du
droit à l'exportation. Peu après la conclusion de l'entente, la Loi
sur le droit à l'exportation de produits de bois d'oeuvre, qui
permettait au gouverneur en conseil d'«exempter toute personne
de l'obligation de payer ces droits», a été déposée. Le'gouver-
neur en conseil a alors pris le Décret sur l'exemption du droit à
l'exportation de produits de bois d'oeuvre, qui exemptait les
vingt-deux compagnies et deux de leurs associées déjà exemp-
tées par les E.-U. du paiement du droit compensatoire améri-
cain. Les compagnies non exemptées ont été obligées de payer
le droit à l'exportation canadien pendant toute l'année 1987.
L'article 15 de la Charte garantit le droit de «tous» à la
même protection et au même bénéfice de la loi. La défenderesse
a soutenu que les personnes morales défenderesses n'avaient pas
qualité pour agir parce qu'elles n'ont pas droit à la protection
prévue au paragraphe 15(1) de la Charte, qui ne garantit que
les droits des personnes physiques. Invoquant le principe posé
dans l'arrêt Foss v. Harbottle suivant lequel seule une personne
morale peut poursuivre pour le préjudice dont elle a été victime,
la défenderesse a affirmé également que les personnes physi
ques demanderesses n'avaient pas non plus qualité pour agir
parce que la perte qu'elles prétendent avoir subie est imputable
au préjudice causé aux personnes morales et non à elles. Les
demandeurs ont soutenu que l'emploi du mot «personne» dans la
version française de l'article 15 était suffisamment général pour
comprendre les personnes morales.
Les demandeurs ont fait valoir que les compagnies demande-
resses ont été victimes d'une «discrimination» en se faisant
refuser l'exemption prévue par la loi canadienne parce qu'elles
s'étaient vu refuser l'exemption du paiement du droit compen-
satoire américain en vertu de la loi américaine, soit en raison du
dépôt tardif de la demande d'exemption du paiement du droit
compensatoire, soit à cause du rejet de leur demande. Les
points litigieux sont les suivants: (1) les demandeurs ont-ils
qualité pour introduire la présente action; (2) le paragraphe
15(1) de la Charte s'applique-t-il aux personnes morales; (3) le
paragraphe 15(1) de la Charte interdit-il le type de distinctions
que fait le Décret sur l'exemption du droit à l'exportation de
produits de bois d'oeuvre; et (4) les recours que les demandeurs
cherchent à exercer sont-ils appropriés.
Jugement: l'action devrait être rejetée.
(1) Comme les exigences relatives à la qualité pour agir
varient d'un recours à l'autre, il a été nécessaire d'examiner
séparément chacun d'eux.
Les personnes morales et les personnes physiques demande-
resses ont qualité pour demander un jugement déclaratoire
d'inconstitutionnalité. D'une part, la défenderesse soutient que
les demandeurs ne peuvent revendiquer une qualité pour agir
fondée sur «l'intérêt public» parce qu'ils demandent d'être
exemptés de taxes, c'est-à-dire parce qu'ils ont un intérêt
particulier à faire annuler le décret d'exemption. D'autre part,
on a soutenu que la constitutionnalité du décret d'exemption ne
peut être contestée par les demandeurs parce que les parties
directement touchées, les personnes morales demanderesses,
n'ont pas le droit d'invoquer la Charte, et que les personnes
physiques demanderesses qui prétendent subir un préjudice
indirect n'ont pas le droit de se plaindre du préjudice causé à la
personne morale. En ce qui concerne la qualité pour solliciter
un jugement déclaratoire, il est nécessaire d'établir une distinc
tion entre la reconnaissance de la qualité du demandeur pour
introduire l'action et la preuve ultime de la violation d'un droit
substantiel du demandeur. Lorsqu'il existe une question suscép-
tible d'être tranchée par les voies de justice, la qualité pour agir
peut être fondée sur «le droit des citoyens au respect de la
constitution par le Parlement» et également par le gouverneur
en conseil. Il existe une question susceptible d'être tranchée par
les voies de justice. Il n'est pas essentiel que le demandeur
démontre qu'il a été personnellement victime d'une violation de
ses droits substantiels pour avoir qualité pour agir, pourvu que
les critères relatifs à la qualité pour solliciter un jugement
déclaratoire d'inconstitutionnalité exposés par la Cour suprême
dans l'arrêt Ministre de la Justice du Canada et autre c.
Borowski soient respectés. Si l'on applique ces critères: (1) La
violation possible de la Charte par le décret d'exemption est une
question sérieuse. (2) Les personnes morales demanderesses
sont directement touchées en étant tenues de payer le droit à
l'exportation alors que certains de leurs concurrents n'y ont pas
été contraints. On ne devrait pas leur refuser la qualité pour
agir au seul motif qu'elles ne réussiront pas à établir le bien-
fondé du moyen qu'elles tirent de la constitution. Elles ont un
«intérêt véritable» en tant qu'entrepreneurs canadiens dans la
constitutionnalité de la mesure législative. La personne morale
qui peut démontrer qu'elle a elle-même subi un préjudice
financier en raison d'une loi inconstitutionnelle a sûrement un
«intérêt» quelconque à demander un jugement déclaratoire d'in-
constitutionnalité. En leur qualité d'administrateurs et d'action-
naires des compagnies qui auraient perdu de l'argent en raison
d'une loi, les personnes physiques demanderesses ont aussi un
«intérêt véritable» à contester la constitutionnalité de cette loi.
Elles sont «directement touchées» par la perte de salaire et des
dividendes. (3) Le seul autre moyen de soumettre la question
aux tribunaux serait une action introduite par la défenderesse
pour obtenir le paiement forcé des taxes imposées ou une
poursuite intentée contre les personnes morales demanderesses
ou contre les personnes physiques demanderesses en vertu de la
Loi pour omission de payer. Les demandeurs n'ont pas à
attendre d'être poursuivis pour contester la loi en vertu de
laquelle de telles accusations pourraient être portées.
En ce qui concerne la demande de dommages-intérêts ou de
remboursement d'argent, seules les personnes morales ont la
qualité pour agir parce qu'elles demandent d'être remboursées
de l'argent qu'elles ont payé et d'être indemnisées des pertes
qu'elles ont subies en raison du décret d'exemption. Une action
en remboursement d'argent ou en dommages-intérêts ne peut
être intentée que par la personne qui a effectivement subi la
perte.
(2) Le mot «individual» dans la version anglaise de l'article
15 ne garantit les droits à l'égalité qu'aux personnes physiques,
selon son sens courant et plusieurs décisions de la Cour d'appel
fédérale. Le sens plus précis du mot «individual» dans la version
anglaise de l'article 15 se concilie davantage que le terme plus
général de la version française avec les formes de discrimina
tion — visant les attributs personnels — prohibées par le
paragraphe 15(1).
(3) Les distinctions créées par le décret d'exemption ne
violent pas les garanties prévues par le paragraphe 15(1). Bien
qu'un traitement défavorable de nature économique, même de
nature fiscale, puisse donner ouverture à une demande fondée
sur le paragraphe 15(1), les motifs de cette distinction défavo-
rable doivent équivaloir à une «discrimination» au sens de
l'article 15. Il doit y avoir une distinction défavorable fondée
sur l'un des motifs énumérés à ce paragraphe ou sur un motif
analogue. La «discrimination» vise des distinctions fondées sur
des «caractéristiques personnelles» d'un genre que les personnes
physiques ne peuvent aisément changer.
Les demandeurs ne sont pas désavantagés en raison de leur
appartenance à un groupe, à savoir le groupe de compagnies qui
n'ont pas droit à l'exemption du paiement du droit compensa-
toire américain. Pour qu'une personne fasse l'objet d'un traite-
ment défavorable en raison de son association à un groupe, il
faut que ce groupe ait existé avant la perpétration de l'acte
discriminatoire reproché.
Les demandeurs ont également avancé qu'il pouvait y avoir
discrimination inconstitutionnelle fondée sur d'autres motifs
que ceux qui sont énumérés au paragraphe 15(1). L'adoption
par les autorités canadiennes des distinctions fondées sur les
demandes tardives et les motifs d'ordre économique invoquées
par les autorités américaines n'est pas «tellement injuste» ni si
«dénuée de tout lien rationnel avec un objectif légitime de
l'État» qu'elle enfreint le principe de l'application égale et
générale de la loi et qu'elle justifie la Cour d'intervenir en vertu
du paragraphe 15(1). Ceux qui ont déposé des demandes
tardives sont en partie responsables du fait qu'elles n'ont pas été
présentées dans les délais prescrits. L'argument des deman-
deurs selon lequel le gouvernement canadien n'aurait pas dû
signer le protocole d'entente ne peut être retenu puisque la
vérification des décisions de principe ne relève pas de la «com-
pétence institutionnelle des tribunaux». Même si les motifs de
discrimination illicites ne se limitent pas nécessairement à ceux
qui sont exposés au paragraphe 15(1) ou à des motifs analo
gues, cette possibilité a été restreinte de manières qui sont
pertinentes à la présente affaire. Le groupe que représentent les
demandeurs ne présente aucun des signes de discrimination
permettant de trouver des motifs analogues, c'est-à-dire les
stéréotypes, les désavantages historiques ou la vulnérabilité à
des préjugés politiques.
(4) Les recours tels qu'ils sont formulés soulèvent plusieurs
difficultés. Un jugement déclarant inconstitutionnel le décret
d'exemption n'empêcherait pas les demandeurs d'être assujettis
au paiement du droit à l'exportation prévu par la Loi. Il en
résulterait que les compagnies exemptées aux termes du décret
seraient assujetties au paiement du droit à l'exportation et que
la demande visant à libérer les personnes morales demanderes-
ses de toute obligation de paiement des droits à l'exportation
impayés serait irrecevable. La demande de «dommages-intérêts
spéciaux» équivalant aux droits à l'exportation déjà payés serait
aussi irrecevable si le décret d'exemption était simplement
déclaré inconstitutionnel. Pour recouvrer les droits payés, il
faudrait prouver que les paiements ont été faits sous la con-
trainte, entraînant l'enrichissement sans cause de la défende-
resse.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 1, 15.
Décret sur l'exemption du droit à l'exportation de pro-
duits de bois d'oeuvre, DORS/87-480 (mod. par
DORS/88-67).
Loi sur le droit à l'exportation de produits de bois
d'oeuvre, L.C. 1987, chap. 15, art. 15.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Thorson c. Procureur général du Canada et autres,
[1975] 1 R.C.S. 138; (1974), 43 D.L.R. (3d) 1; 1 N.R.
225; Ministre de la Justice du Canada et autre c.
Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575; (1981), 130 D.L.R. (3d)
588; [1982] 1 W.W.R. 97; 12 Sask. R. 420; 64 C.C.C.
(2d) 97; 24 C.P.C. 62; 24 C.R. (3d) 352; 39 N.R. 331;
Conseil canadien des églises c. Canada, [1990] 2 C.F.
534; (1990), 106 N.R. 61 (C.A.); Foss v. Harbottle
(1843), 67 E.R. 189 (Ch.); Edmonton Journal c. Alberta
(Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326; (1989), 103
A.R. 321; 64 D.L.R. (4th) 577; [1990] 1 W.W.R. 577; 71
Alta. L.R. (2d) 273; 45 C.R.R. 1; 102 N.R. 321; Asso
ciation des détaillants en alimentation du Québec c.
Ferme Carnaval Inc., [1986] R.J.Q. 2513; [1987] D.L.Q.
42 (C.S.); Andrews c. Law Society of British Columbia,
[1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2
W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91
N.R. 255; R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48
C.C.C. (3d) 8; 69 C.R. (3d) 97; 96 N.R. 115.
DÉCISION EXAMINEE:
Renvoi relatif à la Workers' Compensation Act, 1983
(T.-N.), [1989] 1 R.C.S. 922; (1989), 76 Nfld. &
P.E.I.R. 181; 56 D.L.R. (4th) 765; 235 A.P.R. 181; 96
N.R. 227.
DÉCISIONS CITÉES:
Rogers v. Bank of Montreal, [1985] 5 W.W.R. 193;
(1985), 64 B.C.L.R. (2d) 63; 30 B.L.R. 41 (C.S.C.-B);
confirmée [1987] 2 W.W.R. 364; (1986), 9 B.C.L.R.
(2d) 190 (C.A.C.-B.); McCauley v. B.C. (1989), 39
B.C.L.R. (2d) 223 (C.A.); Operation Dismantle Inc. et
autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441;
(1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13
C.R.R. 287; 59 N.R. 1; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procu-
reur général), [1989] 1 R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R.
(4th) 577; 25 C.P.R. (3d) 417; 94 N.R. 167; Organisa
tion nationale anti -pauvreté c. Canada (Procureur géné-
ral), [1989] 3 C.F. 684; (1989), 60 D.L.R. (4th) 712; 26
C.P.R. (3d) 440; 28 F.T.R. 160; 99 N.R. 181 (C.A.);
New Brunswick Broadcasting Co., Limited c. Conseil de
la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes,
[1984] 2 C.F. 410; (1984), 13 D.L.R. (4th) 77; 2 C.P.R.
(3d) 433; 12 C.R.R. 249; 55 N.R. 143 (C.A.); Canada
(Procureur général) c. Central Cartage Co., [1990] 2
C.F. 641; (1990), 71 D.L.R. (4th) 253; 109 N.R. 357
(C.A.); Re Aluminum Co. of Canada, Ltd. and the
Queen in right of Ontario; Dofasco Inc., Intervenor
(1986), 55 O.R. (2d) 522; 29 D.L.R. (4th) 583; 19
Admin. L.R. 192; 1 C.E.L.R. (N.S.)1; 25 C.R.R. 50; 16
O.A.C. 14 (Div. Ct.); Milk Bd. v. Clearview Dairy Farm
Inc., [1987] 4 W.W.R. 279; (1987), 12 B.C.L.R. (2d)
116 (C.A.C.-B.); United States v. Carolene Products Co.,
304 U.S. 144 (S.C., 1938); Jacobs (George Porky) Enter
prises Ltd. v. City of Regina, [1964] R.C.S. 326; (1964),
44 D.L.R. (2d) 179; 47 W.W.R. 305; Eadie v. Township
of Brantford, [1967] R.C.S. 573; (1967), 63 D.L.R. (2d)
561; Hydro Electric Commission of Nepean c. Ontario
Hydro, [1982] 1 R.C.S. 347; (1982), 132 D.L.R. (3d)
193; 16 B.L.R. 215; 41 N.R. 1.
DOCTRINE
Ely, John Hart Democracy and Distrust, Cambridge,
Mass.: Harvard Univ. Press, 1980.
AVOCATS:
Bryan Williams, c.r. et Meredith A. Quarter-
main pour les demandeurs.
Harry J. Wruck et Mary A. Humphries pour
la défenderesse.
PROCUREURS:
Swinton & Company, Vancouver, pour les
demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER:
Réparation demandée
Les demandeurs sollicitent un jugement déclara-
toire portant que le Décret sur l'exemption du
droit à l'exportation de produits de bois d'oeuvre'
pris en application de la Loi sur le droit à l'expor-
tation de produits de bois d'oeuvre 2 est inconstitu-
tionnel au motif qu'il est inconciliable avec le
paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des
droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]]. Ils sollici-
tent également une ordonnance libérant les person-
nes morales demanderesses envers la défenderesse
de toute obligation de paiement des droits à l'ex-
portation impayés exigibles en vertu de la Loi en
question. Ils réclament également des dommages-
intérêts spéciaux pour les droits à l'exportation que
les personnes morales demanderesses ont déjà
payés à la défenderesse, et des «dommages-intérêts
généraux».
' DORS/87-480 du 30 juillet 1987, modifié par DORS/88-67
du 31 décembre 1987.
2 L.C. 1987, chap. 15.
Avant le procès, les parties avaient déposé un
exposé conjoint des faits, et certains témoins et
documents ont été produits au procès. A l'ouver-
ture du procès, il a été expliqué que les parties
avaient convenu que je devais trancher les ques
tions en litige d'après les éléments de preuve qui
seraient produits au sujet d'Antrim Yards Ltd.
(«Antrim») et de Prince George Precut Limited
(«PGP»), deux des personnes morales demanderes-
ses, et d'après les éléments de preuve concernant
deux des personnes physiques demanderesses, Wil-
liam LaCoste et William McInnes, qui sont res-
pectivement les principaux actionnaires d'Antrim
et de PGP. Les parties ont accepté que la décision
que je rendrais au sujet de ces parties s'applique-
rait aux autres demandeurs.
Il a également été convenu que je n'aurais pas à
déterminer le montant des éventuels dommages-
intérêts, et que cette question serait probablement
tranchée dans le cadre d'un renvoi dont la tenue
serait ordonnée au besoin dans le jugement.
Les faits
Les personnes morales demanderesses en ques
tion étaient à l'époque en cause des fabricants du
secteur secondaire de produits de bois d'oeuvre au
Canada et des exportateurs de ces produits aux
États-Unis. Si j'ai bien compris, un «fabricant du
secteur secondaire» ne fait pas directement l'abat-
tage d'arbres sur pied; il prend du bois de sciage de
premier débit et le transforme en des pièces de
dimensions précises, il procède à la taille ou à la
finition des pièces de bois selon les spécifications
de certains utilisateurs ultimes ou améliore la qua-
lité des pièces obtenues de producteurs du secteur
primaire en procédant à un équarrissage et à un
débitage sélectifs.
Suivant l'exposé conjoint des faits, le 19 mai
1986, la Coalition for Fair Lumber Imports, un
groupe américain représentant des associations de
bois d'oeuvre et des compagnies de produits fores-
tiers des États-Unis, a adressé au Department of
Commerce des États-Unis une pétition dans
laquelle elle alléguait que l'industrie canadienne
du bois d'oeuvre était injustement subventionnée
par certains programmes fédéraux et provinciaux.
Elle a demandé qu'un droit compensatoire de
27 % soit imposé sur certains produits de bois
d'oeuvre exportés du Canada aux États-Unis. Le
11 juin 1986 ou vers cette date, le Department of
Commerce a ouvert une enquête pour donner suite
à cette pétition.
La défenderesse, qui est représentée par le gou-
vernement du Canada, a été mise au courant de
cette pétition le jour de son dépôt. Le Conseil
canadien des industries forestières, qui représente
dix-huit associations membres (qui à leur tour
représentent la plupart des producteurs du secteur
primaire de bois d'oeuvre du Canada et certains
producteurs du secteur secondaire de bois d'oeu-
vre) en avait lui aussi déjà été informé. Il a avisé
ses membres dès le 3 juin de la tenue de l'enquête
et les a informés qu'ils pouvaient demander à être
soustraits à l'application d'un décret imposant un
droit compensatoire. Selon l'exposé conjoint des
faits, ce n'est que le 30 juin 1986 que le Depart
ment of Commerce a officiellement informé le
gouvernement du Canada que les demandes
d'exemption seraient examinées et que la date
limite pour présenter ces demandes était fixée au
11 juillet 1986. Toute compagnie canadienne dési-
rant demander une exemption était tenue d'en
informer le Department of Commerce au plus tard
à cette date. Par la suite, pour compléter leur
demande, les compagnies en question devaient
répondre à un questionnaire et le gouvernement du
Canada devait ensuite attester, relativement à
chaque compagnie, si elle bénéficiait d'un tel pro
gramme de «subvention». Même dans le cas des
compagnies qui bénéficiaient de tels programmes,
si le gouvernement du Canada attestait que les
avantages qu'elles recevaient étaient négligeables,
les compagnies en question seraient quand même
admissibles à l'exemption. Les questionnaires et les
attestations devaient être remplis au plus tard le
16 octobre 1986.
Suivant la preuve, le gouvernement du Canada a
d'abord décidé, après avoir consulté les gouverne-
ments provinciaux, de s'en remettre au Conseil
canadien des industries forestières pour qu'il
informe ses associations membres qui devaient, à
leur tour, informer leurs membres. On pensait que
c'était la meilleure façon de mettre l'industrie
manufacturière canadienne du bois d'oeuvre au
courant de la possibilité et des moyens d'obtenir
une exemption de l'obligation de payer un éventuel
droit compensatoire. Antrim—qui constitue un
exemple typique des diverses compagnies deman-
deresses—n'était membre d'aucune des associa
tions affiliées au Conseil canadien des industries
forestières et elle n'a donc reçu aucun avis concer-
nant les demandes d'exemption. PGP était
membre de la British Columbia Council of Forest
Industries, une association membre du Conseil
canadien des industries forestières, et elle a donc
été avisée. Au 11 juillet 1986, cinquante-neuf com-
pagnies canadiennes avaient déposé une demande
auprès du Department of Commerce de Washing-
ton en vue d'obtenir une exemption. PGP était au
nombre de ces compagnies. Antrim, qui n'était pas
au courant de la nécessité ou de la possibilité de
demander une exemption, n'a pas présenté sa
demande avant le 11 juillet. Au 16 octobre 1986,
le gouvernement du Canada avait attesté que qua-
rante-sept des cinquante-neuf compagnies qui
avaient déposé leur demande dans les délais pres-
crits avaient le droit d'obtenir une exemption. PGP
était au nombre de ces compagnies. Le gouverne-
ment a attesté que PGP recevait seulement des
avantages négligeables en vertu des présumés pro
grammes de «subvention».
Le 16 octobre 1986, le Department of Com
merce a rendu une décision préliminaire par
laquelle il a conclu que les subventions versées aux
producteurs canadiens équivalaient à 15 % de la
valeur du bois d'oeuvre produit et il a imposé un
droit compensatoire provisoire de 15 % sur cer-
tains ,produits de bois d'oeuvre exportés du Canada
aux Etats-Unis. Sur les quarante-sept compagnies
ayant fait l'objet d'une attestation de leur droit à
une exemption de la part du gouvernement du
Canada, seulement vingt ont obtenu une approba
tion d'exemption du Department of Commerce.
Le Department of Commerce devait se pronon-
cer de façon définitive au plus tard le 31 décembre
1986 sur l'existence d'une subvention. Le gouver-
nement du Canada ne savait pas avec certitude si
la décision définitive serait identique à la décision
préliminaire, si un droit compensatoire élevé serait
imposé et, dans l'affirmative, quel en serait le
montant ou si d'autres exemptions seraient accor-
dées à part les vingt exemptions qui avaient déjà
été accordées. Le gouvernement du Canada, et
plus précisément le ministère des Affaires exté-
rieures et du Commerce extérieur, a fait de nouvel-
les démarches au sujet des compagnies dont les
demandes d'exemption présentées dans les délais
prescrits avaient été refusées, et a également reçu
et examiné en vue de délivrer une attestation les
demandes d'autres compagnies qui n'avaient
entendu parler de la possibilité de présenter une
demande qu'après l'expiration du délai se termi-
nant le 11 juillet. Antrim, l'une de ses dernières
compagnies, n'avait entendu parler de la possibilité
d'obtenir une exemption qu'après le 16 octobre en
apprenant que vingt compagnies, y compris cer-
tains de ses concurrents, avaient obtenu une
exemption. Sa demande a été examinée par le
ministère des Affaires extérieures et du Commerce
extérieur. Malgré, le fait que le Department of
Commerce des Etats-Unis avait précisé le 4
décembre 1986 qu'il n'examinerait pas d'autres
demandes d'exemption que celles qui avaient été
reçues avant le 11 juillet, le gouvernement du
Canada a déposé, le 23 décembre, soixante-dix
nouvelles demandes dûment attestées, ainsi que
onze attestations révisées concernant des compa-
gnies qui avaient déposé une demande avant le 11
juillet mais dont la demande avait été refusée dans
la décision annoncée le 16 octobre.
Pourtant, selon l'exposé conjoint des faits, au fur
et à mesure que le différend progressait, il est
devenu de plus en plus évident pour le gouverne-
ment du Canada que le Department of Commerce
rendrait une décision défavorable et qu'il impose-
rait un droit compensatoire d'au moins 15 % qui
pourrait peut-être aller jusqu'à 27 %. Pendant la
période qui a suivi le 16 octobre, des pourparlers
étaient également en cours sur le plan politique. Il
ressort des réponses que les demandeurs ont obte-
nues au cours de l'interrogatoire préalable du sous-
ministre adjoint (États-Unis) du ministère des
Affaires extérieures et du Commerce extérieur,
Donald Campbell, ainsi que des documents qui ont
été produits à cet égard et qui ont été mis en
preuve par les demandeurs, que le ministre du
Commerce extérieur de l'époque, Pat Carney, était
en pourparlers avec Malcolm Baldridge, le Secre
tary of Commerce des États-Unis. Il y a également
eu le 21 novembre 1986 Vancouver une rencon-
tre des premiers ministres du Canada au cours de
laquelle la question a été discutée. On s'est
entendu pour appuyer une proposition aux termes
de laquelle, en échange du retrait de la procédure
de droit compensatoire en cours devant le Depart
ment of Commerce de Washington, le gouverne-
ment canadien prendrait des mesures (pour
reprendre le libellé du communiqué de presse qui a
été publié à l'issue de la rencontre):
[TRADUCTION] ... qui permettront aux provinces de conserver
le droit de gérer leurs ressources naturelles sans restrictions de
l'étranger et de garder au Canada les recettes provenant des
ressources.
À l'époque, le gouvernement du Canada avait déjà
proposé le 16 novembre ou vers cette date au
gouvernement des États-Unis de régler le différend
par l'imposition par le gouvernement du Canada
d'un droit à l'exportation de 15 % sur certains
produits de bois d'oeuvre exportés du Canada aux
Etats-Unis en échange du retrait de la pétition
déposée devant le Department of Commerce au
sujet du droit compensatoire. Il est constant qu'au
cours de ces négociations, le gouvernement du
Canada était conscient du traitement inégalitaire
qui existait entre les compagnies canadiennes qui
avaient déjà présenté avec succès avant le 11 juillet
une demande d'exemption et celles, comme
Antrim et PGP, qui de l'avis du gouvernement du
Canada avaient également droit à une exemption
mais qui semblaient avoir peu de chances d'obtenir
une exemption à l'issue de la procédure en cours.
L'entente à laquelle le gouvernement du Canada
et celui des États-Unis en sont finalement arrivés a
été énoncée dans un protocole d'entente dont la
version définitive a été rédigée le 30 décembre
1986. Elle prévoyait le retrait de la pétition rela
tive au droit compensatoire et l'imposition par le
gouvernement du Canada d'un droit à l'exporta-
tion de 15 % sur certains produits de bois d'oeuvre
exportés du Canada aux Etats-Unis à partir du 8
janvier 1987. Il a été convenu que les seules com-
pagnies qui pouvaient être exemptées du paiement
de ce droit seraient les vingt compagnies à qui le
Department of Commerce avait déjà accordé une
exemption de paiement du droit compensatoire,
car les négociateurs américains avaient bien pré
cisé (suivant l'exposé conjoint des faits) qu'il n'y
aurait pas d'entente si l'on insistait pour obtenir
d'autres exemptions que celles qui avaient déjà été
accordées. Peu de temps après la conclusion de
cette entente, le gouvernement du Canada a
déposé devant le Parlement la Loi sur le droit à
l'exportation de produits de bois d'oeuvre qui a
finalement été adoptée et promulguée le 20 juillet
1987. Le paragraphe 15(1) de la Loi prévoit
notamment que le gouverneur en conseil peut
«exempter toute personne de l'obligation de payer
ces droits». Le 30 juillet 1987, le gouverneur en
conseil a pris le Décret sur l'exemption du droit à
l'exportation de produits de bois d'oeuvre («le
décret d'exemption») qui exemptait vingt-deux
compagnies de l'obligation de payer le droit à
l'exportation imposé par la Loi. Ces vingt-deux
compagnies étaient les vingt compagnies déjà
exemptées par les É.-U. du paiement du droit
compensatoire américain ainsi que deux autres
compagnies acceptées comme associées à deux
compagnies exemptées et réputées avoir été visées
par la décision américaine d'exemption. Ni Antrim
ni PGP n'ont été, évidemment, exemptées. Les
compagnies non exemptées ont été obligées de
payer le droit à l'exportation canadien pendant
toute l'année 1987. Au lei janvier 1988, on a mis
fin à toutes les exemptions accordées aux compa-
gnies car les provinces ont remplacé le droit à
l'exportation par d'autres mesures pour obtenir des
recettes supplémentaires pour la province tout en
évitant d'autres mesures compensatoires. Au cours
de 1987, PGP n'a payé qu'une partie du droit à
l'exportation qu'elle devait; elle a remis quelque
203 000 $, mais n'a pas acquitté le solde. La
réclamation du gouvernement du Canada pour le
solde impayé s'élevait, avec les intérêts, à quelque
380 000 $ au moment du procès. Antrim a
acquitté la totalité du droit à l'exportation qu'elle
devait en 1987, à savoir quelque 205 000 $.
Comme je l'ai déjà signalé, ces compagnies
demanderesses demandent d'être remboursées des
droits qu'elles ont payés en 1987 et, dans le cas de
PGP, d'être libérée de toute obligation du paie-
ment des droits à l'exportation impayés.
Les compagnies demanderesses sollicitent égale-
ment des dommages-intérêts généraux et je crois
comprendre, d'après le sens général de leur argu
mentation, que ces dommages-intérêts incluraient
les pertes dont les compagnies demanderesses se
prétendent victimes en raison du manque à gagner
qu'elles ont subi par suite de l'exemption du paie-
ment du droit à l'exportation qui a été accordée à
certains de leurs concurrents aux termes du décret
d'exemption. Il a été convenu que la question du
montant des dommages-intérêts ne devait pas être
tranchée au procès, mais il y a eu un différend
entre les avocats sur la question de savoir si les
demanderesses devaient établir une perte quelcon-
que pour que la Cour puisse tirer une conclusion
au sujet de la responsabilité. Ils étaient également
en désaccord sur la question de savoir si les
demandeurs avaient effectivement démontré qu'ils
avaient subi une perte en raison de l'exemption
accordée à certains de leurs concurrents. Toute-
fois, dans les réponses qu'il a données au cours de
l'interrogatoire préalable et qui ont été déposées au
procès, M. Donald Campbell, le représentant de la
défenderesse, avait reconnu que les compagnies
visées par le décret d'exemption auraient un [TRA-
DUCTION] «avantage concurrentiel> sur les compa-
gnies non exemptées du paiement du droit à l'ex-
portation. Antrim et PGP ont également présenté
des éléments de preuve tendant à démontrer qu'el-
les avaient subi un manque à gagner par suite de
l'imposition du droit à l'exportation. Même si elle
était très insuffisamment détaillée, la preuve n'a
pas été réfutée efficacement par le contre-interro-
gatoire ou par des éléments de preuve présentés
par la défenderesse. Je conclus qu'il y a suffisam-
ment d'éléments de preuve concernant le préjudice
financier subi par les demandeurs pour soutenir à
tout le moins une demande visant à obtenir un
jugement déclaratoire d'inconstitutionnalité (les
autres critères étant respectés) et, probablement,
pour justifier une conclusion de responsabilité, à
cette réserve près que dans le cadre d'un renvoi
visant à fixer le montant, les demandeurs seraient
obligés d'établir les dommages subis en établissant
un lien de causalité précis à déterminer dans les
conditions du renvoi. Pour des raisons qui devien-
dront évidentes plus loin, je ne crois pas que l'issue
de la cause des demandeurs dépende de cette
question.
Les deux personnes physiques demanderesses
dont la situation représente l'«exemple type» de
celle de toutes les personnes physiques demande-
resses nommément désignées ont toutes les deux
témoigné. Il s'agit de William Arthur McInnes,
président de PGP, et de William LaCoste, vice-
président d'Antrim. Chacun a témoigné qu'à cause
des pertes de sa compagnie, il avait subi une
réduction de revenu. J'estime que cela démontre
qu'ils ont subi un préjudice suffisant pour justifier
le bien-fondé apparent d'une action en dommages-
intérêts, qui pourraient être précisés dans le cadre
d'un renvoi au sujet duquel des directives appro-
priées seraient fournies, en supposant que tous les
autres éléments de la responsabilité seraient par
ailleurs établis. De nouveau, pour des raisons qui
deviendront évidentes, je ne pense pas que les
réclamations des personnes physiques demanderes-
ses puissent être rejetées d'emblée du seul fait qu'il
n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve spéci-
fiques au sujet des pertes qu'elles ont subies. Il y a
des questions plus fondamentales dont l'issue de la
cause doit dépendre.
Questions en litige
Il me semble que les principaux points litigieux
qui découlent des actes de procédure et des plaidoi-
ries sont les suivants:
(1) Les personnes morales demanderesses et les
personnes physiques demanderesses ont-elles res-
pectivement qualité pour introduire la présente
action?
(2) Le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne
des droits et libertés protège-t-il les personnes
morales contre la discrimination?
(3) Le paragraphe 15(1) de la Charte interdit-il le
type de distinctions que fait le Décret sur l'exemp-
tion du droit à l'exportation de produits de bois
d'oeuvre?
(4) Si les distinctions faites par le décret d'exemp-
tion sont interdites par le paragraphe 15(1) de la
Charte, sont-elle néanmoins justifiables en vertu
de l'article premier de la Charte?
(5) Les recours que les demandeurs cherchent à
exercer leur sont-ils ouverts et sont-ils utiles?
Conclusions
J'aborderai à tour de rôle chacun de ces points.
Qualité pour agir
La défenderesse soutient essentiellement que les
personnes morales demanderesses n'ont pas qualité
pour agir parce que les personnes morales n'ont
pas droit à la protection prévue au paragraphe
15(1) de la Charte, et que les personnes physiques
demanderesses n'ont pas qualité pour agir parce
que la perte qu'elles prétendent avoir subie est
imputable au préjudice qui a été causé aux person-
nes morales et non à elles. En ce qui concerne ce
dernier point, elle invoque le principe posé dans
l'arrêt Foss v. Harbottle 3 suivant lequel seule une
personne morale peut poursuivre pour le préjudice
dont elle a été victime.
En matière de qualité pour agir, il est nécessaire
d'examiner séparément chaque recours étant
donné que les exigences de la qualité pour agir
varient d'un à l'autre. L'un des recours sollicités en
l'espèce est un jugement déclaratoire d'inconstitu-
tionnalité. Il me semble que la défenderesse va
trop loin en affirmant qu'aucun des demandeurs
n'a qualité pour solliciter un jugement déclarant
inconstitutionnel le décret d'exemption. D'une
part, la défenderesse soutient que les demandeurs
ne peuvent revendiquer une qualité pour agir
fondée sur «l'intérêt public» parce qu'ils deman-
dent d'être remboursés ou exemptés de taxes,
c'est-à-dire parce qu'ils ont un intérêt particulier à
faire annuler le décret d'exemption. D'autre part,
la défenderesse soutient que la constitutionnalité
du décret d'exemption ne peut être contestée par
aucune des parties en cause étant donné que les
parties directement touchées, les personnes mora-
les demanderesses, n'ont pas le droit d'invoquer la
norme constitutionnelle en question, et que les
personnes physiques demanderesses qui prétendent
subir un préjudice indirect en raison du décret
d'exemption n'ont pas le droit de se plaindre du
préjudice causé à la personne morale.
En ce qui concerne du moins la qualité pour
solliciter un jugement déclaratoire, j'estime néces-
saire d'établir une distinction entre la reconnais
sance de la qualité du demandeur pour introduire
l'action et la preuve ultime de la violation d'un
droit substantiel du demandeur. Ainsi que le juge
Laskin [tel était alors son titre] l'a dit dans l'arrêt
Thorson c. Procureur général du Canada et
autres, lorsqu'il existe une question susceptible
d'être tranchée par les voies de justice, la qualité
pour agir peut être fondée sur
... le droit des citoyens au respect de la constitution par le
Parlement ...
On peut dire la même chose du respect de la
constitution par le gouverneur en conseil agissant
en vertu des lois du Parlement. Il est constant qu'il
3 (1843), 67 E.R. 189 (Ch.); suivi dans les décision canadien-
nes comme Rogers v. Bank of Montreal, [1985] 5 W.W.R. 193
(C.S.C.-B.); confirmée [1987] 2 W.W.R. 364 (C.A.C.-B.); et
McGauley v. B.C. (1989), 39 B.C.L.R. 223 (C.A.).
4 [1975] 1 R.C.S. 138, la p. 163.
existe en l'espèce une question susceptible d'être
tranchée par les voies de justice. Les critères à
respecter pour se voir reconnaître la qualité pour
demander un jugement déclarant une loi inconsti-
tutionnelle ont été énoncés par la Cour suprême.
Les voici: il doit exister une question sérieuse au
sujet de l'inconstitutionnalité et la personne qui
sollicite le jugement déclaratoire doit démontrer
qu'elle est directement touchée par cette loi ou
qu'elle «a, à titre de citoyen, un intérêt véritable»
quant à sa constitutionnalité et qu'il n'y a pas
d'autre manière raisonnable et efficace de soumet-
tre la question à la Cours. Il ressort à l'évidence de
la jurisprudence moderne concernant la qualité
pour demander, sur le fondement de «l'intérêt
public», un jugement déclaratoire d'inconstitution-
nalité, et notamment de l'arrêt même dans lequel
ces critères ont été péremptoirement énoncés, l'ar-
rêt Borowski, qu'il n'est pas essentiel que le
demandeur qui sollicite un tel jugement déclara-
toire soit en mesure de démontrer qu'il a été
personnellement victime d'une violation de ses
droits substantiels pour qu'on lui reconnaisse la
qualité pour agir. En invoquant la jurisprudence
fondée sur la Charte, il est nécessaire d'établir une
distinction entre les affaires dans lesquelles les
demandes de jugements déclaratoires ont été reje-
tées non pas à cause d'une absence de qualité pour
agir mais à cause de l'incapacité à démontrer
l'existence d'un droit substantiel ou la violation de
celui-ci 6 . Si le demandeur répond aux trois critères
susmentionnés, on peut lui reconnaître la qualité
pour agir, même s'il ne réussit pas à démontrer
qu'il est personnellement fondé à bénéficier du
droit substantiel qui est garanti par la constitution
et qu'il prétend violé.
Si j'applique ces trois critères au cas qui nous
occupe, il n'est pas contesté qu'il existe une ques
tion sérieuse à examiner au sujet de la possible
violation de la Charte par le décret d'exemption.
5 Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski,
[1981] 2 R.C.S. 575, la p. 598.
6 Voir, par ex., l'arrêt Operation Dismantle Inc. et autres c.
La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; l'arrêt Irwin Toy Ltd.
c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, et notam-
ment le moyen tiré de l'article 7 de la Charte qui a été rejeté
aux p. 1002 1004 et l'arrêt Edmonton Journal c. Alberta
(Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, la p. 1382, où le
juge La Forest, qui s'exprimait au nom de trois juges, a
expressément fait cette distinction et a refusé d'aborder la
question de la qualité pour agir.
Le second critère, celui qui exige que le deman-
deur soit «directement» touché ou qu'il ait «à titre
de citoyen, un intérêt véritable» quant à la consti-
tutionnalité de la loi, me semble respecté tant par
les personnes morales demanderesses que par les
personnes physiques demanderesses. Les compa-
gnies demanderesses allèguent qu'elles ont été
directement touchées par la loi en question en
étant forcées de payer le droit à l'exportation alors
que certains de leurs concurrents n'y ont pas été
contraints, et elles prétendent que la loi qui les a
ainsi touchées est inconstitutionnelle. On ne
devrait pas refuser de leur reconnaître la qualité
pour agir au seul motif qu'elles ne réussiront pas à
établir le bien-fondé du moyen qu'elles tirent de la
constitution; cela aurait pu justifier une demande
de radiation de l'action sur des moyens de fond
mais cela ne constitue pas une raison valable de
refuser de leur reconnaître la qualité pour agir à
cette étape-ci. De plus, on peut considérer qu'elles
ont un «intérêt véritable» (je n'accorde aucune
importance particulière aux mots «à titre de
citoyen» qu'on trouve dans l'arrêt Borowski) en
tant qu'entrepreneurs, quant à la validité de cette
loi. Dans l'arrêt Conseil canadien des églises c.
Canada', la Cour fédérale du Canada a reconnu
qu'une personne morale pouvait avoir un intérêt
suffisant à l'égard de l'égalité de traitement des
réfugiés qui demandent un jugement déclarant
inconstitutionnelles certaines modifications appor-
tées à la Loi sur l'immigration de 1976 8 du moins
lorsqu'il n'existait «aucune autre manière raisonna-
ble et efficace» de soumettre les questions au tribu-
nal—le troisième critère énoncé dans l'arrêt
Borowski pour se voir reconnaître la qualité pour
demander un jugement déclaratoire d'inconstitu-
tionnalité. À plus forte raison, une personne
morale qui peut démontrer qu'elle .a elle-même
subi un préjudice financier en raison d'une loi
inconstitutionnelle doit sûrement avoir un «intérêt»
quelconque à demander un jugement déclaratoire
d'inconstitutionnalité.
Il semblerait également qu'en leur qualité d'ad-
ministrateurs et d'actionnaires des compagnies qui
auraient perdu de l'argent en raison d'une loi, les
personnes physiques demanderesses ont un «intérêt
véritable» à contester la constitutionnalité de cette
loi. On peut également considérer qu'elles sont
' [1990] 2 C.F. 534 (C.A.), aux p. 546 et 547.
8 S.C. 1976-77, chap. 52.
«directement touchées» par cette loi, certainement
beaucoup plus que la personne physique qui sollici-
tait un jugement déclaratoire dans l'affaire
Borowski. Si les personnes physiques demanderes-
ses pouvaient établir leurs dommages, ceux-ci con-
sisteraient en une perte de salaire et de dividendes
et cette perte découlerait directement de la loi.
En ce qui concerne le troisième critère de l'arrêt
Borowski, celui de savoir si la question de la
constitutionnalité du décret d'exemption pourrait
être soumise aux tribunaux par d'autres moyens, il
me semble que le seul autre moyen probable serait
une action introduite par la défenderesse pour
obtenir le paiement forcé des taxes impayées ou
une poursuite intentée contre les personnes mora-
les demanderesses ou contre les personnes physi
ques demanderesses en vertu de la Loi sur le droit
à l'exportation de produits de bois d'oeuvre pour
omission de payer. A mon avis, la jurisprudence
relative à la qualité pour solliciter un jugement
déclaratoire d'inconstitutionnalité n'oblige pas les
demandeurs à attendre d'être poursuivis pour con-
tester la loi en vertu de laquelle de telles accusa
tions pourraient être portées.
Dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire,
je suis par conséquent d'avis de reconnaître aux
personnes morales demanderesses et aux personnes
physiques demanderesses la qualité pour solliciter
un jugement déclaratoire d'inconstitutionnalité.
En ce qui concerne la demande de dommages-
intérêts ou de remboursement d'argent, je pense
qu'il suffit de dire que les personnes morales
demanderesses ont la qualité pour agir parce que
ce qu'elles demandent, c'est d'être remboursées de
l'argent qu'elles ont payé et d'être indemnisées des
pertes que leur compagnie aurait subies en raison
du décret d'exemption. Je suis incapable de trouver
un fondement à la qualité des personnes physiques
demanderesses pour demander le remboursement
de l'argent payé par leur compagnie ou une indem-
nité pour les pertes commerciales qu'aurait subies
leur compagnie en raison du décret contesté. J'es-
time que le principe posé dans l'arrêt Foss v.
Harbottle 9 rend irrecevable en droit toute action
qu'elles pourraient intenter. A la différence d'une
action en jugement déclaratoire, une action en
9 Supra, note 3.
remboursement d'argent ou en dommages-intérêts
ne peut être intentée que par la personne qui a
effectivement subi la perte. C'étaient les compa-
gnies qui étaient les contribuables et qui étaient les
concurrents des compagnies exemptées par le
décret d'exemption. J'en viens donc à la conclusion
que les personnes physiques demanderesses n'ont
pas qualité pour demander d'être remboursées des
sommes payées ou d'être indemnisées des domma-
ges subis en raison du décret d'exemption.
Application du paragraphe 15(1) de la Charte aux
personnes morales
Le paragraphe 15(1) de la Charte prévoit ce qui
suit dans les deux langues officielles:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori-
gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge
ou les déficiences mentales ou physiques.
La défenderesse adopte le point de vue selon lequel
parce que ce paragraphe garantit les droits de
toute «personne» (en anglais «individual»), ces
droits ne sont pas garantis aux personnes morales.
Par conséquent, on ne saurait dire que les person-
nes morales demanderesses ont été victimes d'une
violation des droits prévus à ce paragraphe. Les
personnes morales demanderesses prétendent tou-
tefois que le libellé de la version française du
paragraphe 15(1) est suffisamment large pour
comprendre les personnes morales. Elles soulignent
qu'ailleurs dans la Charte, par exemple au para-
graphe 6(4), où le mot «individuals» est employé
en anglais, c'est le mot «individus» qui est employé
dans la version française tandis qu'au paragraphe
15(1) dans lequel on trouve dans la version
anglaise l'expression
15. (1) Every individual is equal before and under the
law ... [C'est moi qui souligne.]
la version française dispose:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous ... [C'est moi qui souligne.]
Elles affirment qu'il ressort de l'emploi du terme
«personne», qui pourrait vraisemblablement s'ap-
pliquer tant aux personnes morales qu'aux person-
nes physiques, et du fait qu'il est précisé que la loi
s'applique également «à tous»—expression dont il
n'est pas nécessaire de restreindre la portée aux
êtres humains—que la version française indique
que le législateur voulait que les garanties prévues
au paragraphe 15(1) s'appliquent tant aux person-
nes morales qu'aux personnes physiques.
Certes, dans son sens habituel, le mot anglais
«individual» ne s'appliquerait qu'aux êtres
humains. Je suis lié par plusieurs décisions dans
lesquelles c'est ce qu'a statué la Cour d'appel
fédérale au sujet du paragraphe 15(1) 1 °. Divers
tribunaux provinciaux ont statué dans le même
sens". Cette opinion a également reçu l'assenti-
ment de trois juges de la Cour suprême dans
l'arrêt Edmonton Journal c. Alberta (Procureur
général) 12 . Les personnes morales demanderesses
font toutefois valoir que le libellé par hypothèse
plus large de la version française n'a été examiné
dans aucune de ces décisions. Même si elles ont
raison, je préfère me rallier au raisonnement suivi
par le juge Gonthier, qui était alors juge à la Cour
supérieure du Québec, dans le jugement Associa
tion des détaillants en alimentation du Québec c.
Ferme Carnaval Inc. 13 dans lequel il compare les
deux versions du paragraphe 15 (1) et conclut que
les garanties qui y sont énoncées ne s'appliquent
pas aux personnes morales. Voici le raisonnement
qu'il a suivi:
L'expression une fait acception de personne» est indéfinie et
ne précise pas le type de personne qui peut être visée. Le
pronom «tous» est également indéfini.
Par contre, le texte anglais énonce:
[Citation du texte anglais]
Ici, l'expression employée «individual» est précise et ne prête
pas à ambiguïté. Elle exclut les corporations.
Le mot «individual» est d'ailleurs conséquent avec les motifs
de discrimination qui sont énumérés à l'article, ceux-ci visant
des attributs que seul un individu, une personne naturelle, peut
posséder, soit la race, l'origine ethnique, la couleur, la religion,
le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques. Seule
une origine nationale pourrait être attribuée aussi à une corpo-
10 Organisation nationale anti -pauvreté c. Canada (Procu-
reur général), [1989] 3 C.F. 684 (C.A.); New Brunswick
Broadcasting Co., Limited c. Conseil de la radiodiffusion et
des télécommunications canadiennes, [1984] 2 C.F. 410
(C.A.); Conseil canadien des églises c. Canada, supra, note 7;
Canada (Procureur général) c. Central Cartage Co., [1990] 2
C.F. 641 (C.A.).
" Voir, par ex., le jugement Re Aluminum Co. of Canada,
Ltd. and The Queen in right of Ontario; Dofasco Inc., Interve-
nor (1986), 55 O.R. (2d) 522 (C. div.) et l'arrêt Milk Bd. v.
Clearview Dairy Farm Inc., [1987] 4 W.W.R. 279 (C.A.C.-B.).
12 Supra, note 6. Les autres juges n'ont pas traité de ce point.
13 [1986] R.J.Q. 2513 (C.S.), à la p. 2533.
ration. Ces mêmes attributs sont repris au deuxième alinéa, où
le texte français emploie le mot «individus».
Il favorise donc le sens plus précis du mot «indivi-
dual» de la version anglaise parce qu'il se concilie
davantage avec les formes de discrimination—
visant des attributs personnels—qu'interdit le
paragraphe 15(1).
Je conclus donc qu'il y a lieu de donner au mot
anglais «individual» le sens courant qu'il a dans la
version anglaise de manière à garantir les droits à
l'égalité prévus au paragraphe 15(1) seulement
aux personnes physiques et non aux personnes
morales.
Il s'ensuit que le décret d'exemption ne pourrait
être déclaré inconstitutionnel que si l'on pouvait
démontrer d'une façon quelconque qu'il restreint
les droits que possèdent les personnes physiques en
vertu du paragraphe 15 (1) de la Charte.
Les distinctions que fait le décret d'exemption
sont-elles contraires au paragraphe 15(1) de la
Charte?
L'acte discriminatoire qu'on reproche à la
défenderesse est d'avoir fait des distinctions «arbi-
traires et injustes» entre, d'une part, les vingt
compagnies et les sociétés qui leur sont affiliées
qui ont été exemptées en vertu du décret d'exemp-
tion de l'obligation de payer le droit à l'exportation
et, d'autre, part, les autres compagnies qui expor-
tent aux Etats-Unis des produits secondaires de
bois d'oeuvre, parmi lesquelles se trouvent les per-
sonnes morales demanderesses. Les demanderesses
prétendent que, malgré le fait qu'elle savait que les
compagnies demanderesses s'étaient vu injuste-
ment refuser par les autorités américaines l'exemp-
tion du paiement du droit compensatoire, la défen-
deresse a, en signant le protocole d'entente et en y
donnant suite par le décret d'exemption, perpétué
la distinction arbitraire et injuste en l'incorporant
dans la loi canadienne. Par ce moyen, les person-
nes morales demanderesses et les personnes physi
ques demanderesses se seraient vu nier le droit à la
même protection et au même bénéfice de la loi
indépendamment de toute discrimination. En sub
stance, elles affirment que les compagnies deman-
deresses ont été victimes d'une «discrimination» en
se faisant refuser l'exemption prévue par la loi
canadienne en raison du fait que, à cause soit du
dépôt tardif de la demande d'exemption du paie-
ment du droit compensatoire (dans le cas d'An -
trim) soit du refus des autorités américaines de
faire droit à la demande d'exemption présentée
dans les délais prescrits (dans le cas de PGP), elles
s'étaient vu refuser l'exemption du paiement du
droit compensatoire américain en vertu d'une loi
américaine.
Je ne doute pas qu'un traitement défavorable de
nature économique, même de nature fiscale, puisse
donner ouverture à une demande fondée sur le
paragraphe 15(1), condition que les motifs de
cette distinction défavorable équivalent à une «dis-
crimination». Mais il existe plusieurs arrêts de la
Cour suprême du Canada dans lesquels il a été
statué que, pour qu'il y ait «discrimination» au sens
du paragraphe 15(1), il faut que la loi établisse
une distinction défavorable fondée sur l'un des
motifs énumérés à ce paragraphe ou sur un motif
analogue 14 . L'avocat des demandeurs prétend tou-
tefois que dans le premier de ces arrêts, l'arrêt
Andrews c. Law Society of British Columbia, la
Cour suprême a ouvert la porte à l'inclusion d'au-
tres motifs. En examinant les jugements des juges
McIntyre et Wilson, qui ont rédigé l'opinion des
juges majoritaires, il me semble que même s'ils
voulaient tous les deux éviter une limitation pré-
maturée du sens du mot «discrimination», ils ont
tous les deux considéré qu'il visait des distinctions
fondées sur des «caractéristiques personnelles» d'un
genre que des personnes physiques ne peuvent
aisément changer. Ainsi que le juge McIntyre l'a
déclaré:
J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme
une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des
motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu
ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet
individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des
désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de
restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avanta-
ges offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions
fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un
seul individu en raison de son association avec un groupe sont
presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles
fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont
rarement 15 .
14 Andrews c. Law Society of British Columbia, [ 1989] 1
R.C.S. 143; Renvoi relatif à la Workers' Compensation Act,
1983 (T-N.), [1989] 1 R.C.S. 922; R. c. Turpin, [1989] 1
R.C.S. 1296.
15 Arrêt Andrews, ibid., aux p. 174 et 175.
Tous les juges de la Cour qui ont participé à cette
décision ont souscrit à l'analyse du juge McIntyre.
On a fait valoir en l'espèce que les demandeurs
étaient désavantagés en raison de leur apparte-
nance à un «groupe», à savoir le groupe de compa-
gnies qui n'ont pas droit à l'exemption du paie-
ment du droit compensatoire américain. J'ai deux
sérieuses réserves à formuler au sujet de cette
prétention. Premièrement, je pense qu'on doit envi-
sager avec scepticisme l'accusation de discrimina
tion fondée sur le paragraphe 15(1) que porte une
personne qui a été l'unique victime d'un traitement
défavorable sur le simple fondement d'un acte ou
d'une omission de cette personne. Deuxièmement,
j'estime qu'on doit également considérer avec tout
autant de scepticisme l'accusation de discrimina
tion fondée sur l'appartenance à un groupe que
porte une personne, alors que ce groupe n'avait pas
été identifié en fait ou en droit avant l'acte discri-
minatoire dont la personne se prétend victime. En
d'autres termes, si le groupe est défini uniquement
en fonction d'une caractéristique commune, à
savoir que tous ses membres ont fait l'objet du
même acte discriminatoire présumé, il ne serait
pas normalement considéré comme le type de
groupe évoqué par le juge McIntyre dans son
jugement. Pour qu'une personne fasse l'objet d'un
traitement défavorable en raison de son association
à un groupe, il faut que ce groupe ait existé avant
la perpétration de l'acte discriminatoire reproché.
En l'espèce, les demandeurs ont tous fait l'objet
d'un traitement défavorable en raison du décret
d'exemption du seul fait que, par leur propre faute
ou pour une autre raison, ils n'avaient pas réussi à
convaincre les autorités américaines qu'ils devaient
être exemptés du paiement du droit compensatoire.
Cette distinction défavorable, qui a été initiale-
ment faite en vertu d'une loi américaine, a été
reprise par le gouvernement du Canada lorsqu'il a
pris le décret d'exemption. Ceux qui n'ont pas été
exemptés en vertu de la loi canadienne ont été
choisis en fonction de leur incapacité à convaincre
les autorités américaines et c'est la détermination
de ces compagnies individuelles qui est à l'origine
du «groupe» en question. Je ne vois aucune raison
d'étendre aux faits de l'espèce le concept de la
discrimination qui a été énoncé dans le jugement
du juge McIntyre et auquel tous les juges qui ont
participé à l'arrêt Andrews ont souscrit.
Les demandeurs ont également cherché un
appui dans le jugement distinct que le juge La
Forest a prononcé dans cet arrêt afin d'amener
éventuellement la Cour à conclure à l'existence
d'actes discriminatoires inconstitutionnels fondés
sur d'autres motifs que ceux qui sont énumérés au
paragraphe 15 (1) et sur des motifs qui leur sont
analogues. Le juge La Forest a déclaré:
... il se peut fort bien qu'une différenciation d'individus ou de
groupes par une loi ou un gouvernement s'avère tellement
injuste pour un individu ou un groupe et tellement dénuée de
tout lien rationnel avec un objectif légitime de l'État qu'elle
viole le principe de l'égalité devant la loi et dans la loi et justifie
ainsi une intervention conformément à l'art. 15. Pour ces
motifs, je pense qu'il est préférable à cette étape de l'évolution
de la Charte de laisser la question en suspens ' 6 .
De nouveau, je suis incapable de considérer que les
faits de l'espèce répondent à cette définition et
qu'on puisse les qualifier de «tellement injuste[s]»
ou de «dénué[s] de tout lien rationnel avec un
objectif légitime de l'État». Je ne suis pas appelé à
décider si le protocole d'entente signé entre le
Canada et les Etats-Unis constituait la meilleure
entente que le Canada pouvait obtenir dans l'inté-
rêt de l'ensemble de l'industrie canadienne du bois
d'oeuvre. Mais la preuve semble démontrer à l'évi-
dence que le fait de limiter l'exemption aux vingt
compagnies et à leurs sociétés affiliées qui avaient
déjà obtenu une exemption des autorités américai-
nes faisait partie intégrante de l'entente et en
constituait une condition sine qua non. Il semble
également que la raison pour laquelle les compa-
gnies demanderesses n'avaient pas obtenu l'exemp-
tion du paiement du droit compensatoire et qu'el-
les n'avaient par conséquent pas obtenu
l'exemption prévue par la loi canadienne tient au
fait qu'elles n'avaient pas présenté dans les délais
prescrits une demande en vue d'obtenir l'exemp-
tion américaine ou parce qu'elles n'avaient pas
réussi à convaincre les autorités américaines qu'el-
les ne recevaient pas de subventions excessives. Je
suis d'accord avec l'avocat des demandeurs pour
dire que si les autorités américaines avaient fait
entre les fabricants canadiens de bois d'oeuvre une
distinction fondée sur la race, le sexe, ou un autre
des motifs énumérés au paragraphe 15(1) ou un
motif analogue, le législateur fédéral et le gouver-
nement du Canada violeraient ce paragraphe s'ils
reprenaient la même distinction dans la loi cana-
dienne. Mais comme les autorités américaines ont
' 6 Ibid., à la p. 194.
rejeté certaines demandes parce qu'elles n'avaient
pas été présentées dans les délais prescrits et d'au-
tres pour des raisons économiques appliquées selon
la loi américaine, je suis incapable de dire que
l'adoption des mêmes distinctions par les autorités
canadiennes est «tellement injuste» ou «dénuée de
tout lien rationnel avec un objectif légitime de
l'État». On peut à tout le moins prétendre que ceux
qui ont produit leur demande tardivement à cause
de leur ignorance des exigences américaines doi-
vent porter au moins une partie de la responsabi-
lité du retard de leur demande. Il se peut que le
gouvernement du Canada aurait pu ou aurait dû
prendre davantage de mesures pour les aviser au
lieu de s'en remettre à l'avis donné par les gouver-
nements provinciaux et de communiquer avec l'in-
dustrie par l'intermédiaire du Conseil canadien des
industries forestières. Mais on pourrait également
prétendre que les entrepreneurs canadiens qui
exportent aux États-Unis—lesquels constituent un
marché qui, comme ils le disent eux-mêmes, est
très important pour eux—devraient prendre certai-
nes mesures pour s'assurer qu'ils sont au courant
des règlements américains en matière d'importa-
tion qui ont une incidence sur leurs produits. Ils
imputent une grande partie du blâme au gouverne-
ment du Canada à cause de son omission de les
informer, mais il s'agissait au départ d'une ques
tion d'ordre juridique qui concernait le gouverne-
ment américain et les exportateurs canadiens en
question, et non les deux gouvernements. Pour
refuser de conclure que les faits de l'espèce relè-
vent de la catégorie hypothétique des différencia-
tions «tellement injustes» qu'a mentionnées le juge
La Forest dans l'arrêt Andrews, je tiens compte
d'un autre commentaire qu'il a formulé dans ce
jugement immédiatement avant le passage qui est
maintenant invoqué. Voici en quels termes il s'est
exprimé:
... je suis convaincu qu'en adoptant l'art. 15 on n'a jamais
voulu qu'il serve à assujettir systématiquement à l'examen
judiciaire des choix législatifs disparates qui ne portent aucune-
ment atteinte aux valeurs fondamentales d'une société libre et
démocratique. À l'instar de mon collègue, je ne suis pas prêt à
accepter que toutes les classifications législatives doivent être
rationnellement défendables devant les tribunaux. Une bonne
partie de la formulation des politiques en matière socio-écono-
mique ne relève tout simplement pas de la compétence institu-
tionnelle des tribunaux: leur rôle est d'assurer une protection
contre les empiétements sur des valeurs fondamentales et non
de vérifier des décisions de principe".
" Ibid.
En l'espèce, les demandeurs prétendent que le
gouvernement du Canada n'aurait pas dû signer le
protocole d'entente, qu'il aurait dû permettre aux
demandeurs d'exercer les recours que la loi améri-
caine pouvait leur ouvrir et qui leur auraient
permis de faire annuler ou réduire le droit compen-
satoire, ou que si le Canada devait signer le proto-
cole d'entente, cette entente aurait dû exempter
toutes les personnes morales demanderesses du
paiement du droit à l'exportation qui devait rem-
placer le droit compensatoire, ou qu'il aurait dû
prévoir qu'aucune compagnie canadienne ne serait
exemptée (rendant ainsi inutile un décret d'exemp-
tion). En revanche, il ressort à l'évidence de cer-
tains extraits de l'interrogatoire préalable des
témoins de la défenderesse que les demandeurs ont
déposé en preuve, ainsi que de l'exposé conjoint des
faits, que le gouvernement du Canada a jugé pré-
férable une entente dont les conséquences seraient
certaines à l'incertitude que comportait la procé-
dure relative au droit compensatoire qui était en
instance à l'époque. Il a jugé préférable dans l'inté-
rêt de l'ensemble de l'industrie canadienne de con-
server au moins les vingt exemptions accordées par
les E -U. et a estimé que l'entente aurait pour
conséquence générale de conserver au Canada les
recettes générées par la Loi sur le droit à l'expor-
tation de produits de bois d'oeuvre (évaluées entre
400 et 600 millions de dollars par année) au lieu
de laisser les autorités américaines percevoir des
recettes semblables en vertu d'un droit compensa-
toire imposé au même taux. Quel que soit le
bien-fondé de chacun de ces points de vue, j'estime
que leur révision par notre Cour implique, pour
reprendre les termes employés par le juge La
Forest, une vérification de décisions de principe
qui ne relève pas de la «compétence institutionnelle
des tribunaux».
Même si, dans leurs jugements, les juges Wilson
et La Forest ont effectivement tous les deux laissé
la possibilité d'ajouter des motifs de distinction
illicites à ceux qui sont énumérés au paragraphe
15 (1) ou à ceux qui leur sont analogues, des
décisions subséquentes de la Cour suprême rédi-
gées par les mêmes juges ont; à mon avis, restreint
cette possibilité de manières qui sont pertinentes à
la présente affaire. Dans l'arrêt Andrews, le juge
McIntyre a conclu que ceux qui n'ont pas la
citoyenneté constituent une «minorité discrète et
isolée 18 » et qu'ils forment en conséquence un
groupe qui fait l'objet d'une discrimination fondée
sur des motifs analogues à ceux qui sont énumérés
au paragraphe 15(1). Dans le même arrêt, le juge
Wilson a analysé plus en détail ce concept, en
invoquant les écrits de J. H. Ely [Democracy and
Distrust, Cambridge, Mass.: Harvard Univ. Press,
1980] suivant lequel ces groupes ont besoin d'être
protégés parce que les représentants élus n'ont pas
d'intérêt direct à protéger des personnes qui n'ont
pas le droit de vote. Elle a poursuivi en disant que
la question de savoir si un groupe fait partie d'une
catégorie analogue est une conclusion
... qui ne peut pas être tirée seulement dans le contexte de la
loi qui est contestée mais plutôt en fonction de la place occupée
par le groupe dans les contextes social, politique et juridique de
notre société 19 .
Rédigeant l'opinion des juges majoritaires dans
l'arrêt ultérieur Turpin, elle a énuméré certains
signes de discrimination, dans le but de trouver des
motifs analogues, notamment «[les] stéréotypes,
[les] désavantages historiques ou [...] la vulnéra-
bilité à des préjugés politiques ou sociaux ...» Elle
a poursuivi en appliquant ces critères au «groupe»
de personnes qui invoquait le paragraphe 15(1)
dans cette affaire, à savoir des personnes accusées
de meurtre à l'extérieur de l'Alberta, et elle a
conclu qu'il ne possédait aucune des caractéristi-
ques en question".
De la même manière, dans la présente affaire, je
ne distingue aucune des caractéristiques en ques
tion dans le «groupe» qui serait représenté par les
demandeurs. Ils ne possèdent aucun des attributs
des stéréotypes, des désavantages sociaux ou de
l'isolement politique. En fait, ils se sont prévalus
des mécanismes politiques canadiens, ayant engagé
un représentant qui a comparu devant le comité
parlementaire chargé d'étudier la Loi sur le droit
à l'exportation de produits de bois d'oeuvre et a
rencontré le ministre du Commerce extérieur. En
tant qu'employeurs de bon nombre d'électeurs
canadiens, ils ne pouvaient tout simplement pas
être ignorés par les représentants élus.
1 8 Ibid., à la p. 183, reprenant l'expression employée par la
Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt United States v.
Carolene Products Co., 304 U.S. 144 (1938), aux p. 152 et
153.
19 Ibid., à la p. 152.
20 Supra, note 14, aux p. 1332 et 1333.
L'arrêt Renvoi relatif à la Workers' Compensa
tion Act, 1983 (T.-N.) 21 de la Cour suprême est un
autre exemple de l'application de l'arrêt Andrews à
titre de restriction à la portée du paragraphe
15(1). Le juge La Forest, qui avait laissé entendre
dans l'arrêt Andrews qu'il pouvait exister des dif-
férenciations «tellement injustes» qui seraient
quand même interdites par le paragraphe 15 (1)
même si elles ne relevaient pas des motifs énumé-
rés ou des motifs analogues, a néanmoins limité
dans cet arrêt les formes de discrimination illicites
à ces motifs. Le juge, qui rédigeait le jugement de
la Cour, a rejeté la proposition que la limite impo
sée aux personnes visées par la loi à l'indemnisa-
tion accordée par cette loi à la place d'un droit
d'action ne constituait pas un motif de distinction
analogue à ceux qui sont énumérés au paragraphe
15(1). Il y a lieu d'observer que le «groupe» en
question dans cette affaire était défini par le texte
de loi même qui était contesté au motif qu'il était
discriminatoire, et qu'il n'a pas été associé à un
préjudice historique ou à un stéréotype ou à un
isolement politique et social.
J'en viens donc à la conclusion que le type de
distinctions que crée le décret d'exemption et dont
les demandeurs se plaignent ne viole pas les garan-
ties prévues par le paragraphe 15 (1) de la Charte.
Justification du décret d'exemption en vertu de
l'article premier de la Charte
Compte tenu de ma conclusion qu'il n'y a pas
violation des droits garantis par le paragraphe
15(1), il n'est pas nécessaire que j'examine cette
question.
Ouverture et utilité des recours sollicités
Bien que pour la même raison il ne soit pas
nécessaire que j'examine ces questions, je tiens à
souligner que les recours soulèvent plusieurs diffi-
cultés tels qu'ils sont formulés.
Les demandeurs sollicitent un jugement décla-
rant inconstitutionnel le décret d'exemption.
Même si cette réparation était accordée, cela
n'empêcherait pas les demandeurs d'être assujettis
au paiement du droit à l'exportation prévu par la
Loi sur le droit à l'exportation de produits de bois
21 Supra, note 14.
d'oeuvre. Il en résulterait simplement que les vingt
compagnies et les deux sociétés qui leur sont affi-
liées qui bénéficient d'une exemption aux termes
du décret d'exemption seraient assujetties au paie-
ment du droit à l'exportation.
Cela rendrait à son tour irrecevable la demande
d'ordonnance présentée par les personnes morales
demanderesses en vue d'être «libérées de toute
obligation ... de paiement à l'égard des droits à
l'exportation impayés».
En ce qui concerne la demande de «dommages-
intérêts spéciaux» équivalant aux droits à l'expor-
tation déjà payés, elle serait également irrecevable
(même si elle était régulièrement formée) si le
décret d'exemption était simplement déclaré
inconstitutionnel de sorte que tous les exportateurs
de bois d'oeuvre aux États-Unis seraient assujettis
au droit à l'exportation. Mais même si l'on avait
plaidé avec succès que tout le système de percep
tion du droit à l'exportation, y compris la Loi, était
inconstitutionnel parce que discriminatoire, il
serait ensuite nécessaire de demander de la
manière appropriée le remboursement des droits
payés conformément à ce système. Pour ce faire, il
faudrait, selon moi, alléguer que les paiements
avaient été faits sous la contrainte, entraînant
l'enrichissement sans cause de la défenderesse 22 .
Les éléments requis en question n'ont pas été
plaidés ou prouvés en l'espèce.
Je refuse expressément de formuler des com-
mentaires au sujet de la demande de dommages-
intérêts généraux, même si j'ai déjà fait remarquer
que les personnes physiques demanderesses n'ont
pas droit à des dommages-intérêts relativement
aux présumées pertes commerciales subies par les
personnes morales demanderesses.
Dispositif
L'action est par conséquent rejetée avec dépens.
22 Voir, par ex. les arrêts Jacobs (George Porky) Enterprises
Ltd. v. City of Regina, [1964] R.C.S. 326; Eadie v. Township
of Brantford, [1967] R.C.S. 573 et Hydro Electric Commis
sion of Nepean c. Ontario Hydro, [1982] 1 R.C.S. 347.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.