T-2353-86
Ontario Bus Industries Inc. (demanderesse)
c.
Le navire Federal Calumet, Federal Pacific
(Liberia) Ltd., Fednav Limited (défendeurs)
RÉPERTORIÉ.' ONTARIO Bus INDUSTRIES INC. C. FEDERAL
CALUMET (LE) (lie INST..)
Section de première instance, juge Strayer—Mont-
réal, 30 avril; Ottawa, 17 juin 1991.
Conflit des lois — Marchandises endommagées pendant le
transport par mer — Connaissement délivré en Allemagne;
marchandises embarquées en Belgique — En vertu de la loi
allemande, les Règles de La Haye s'appliquaient; en vertu de
la loi belge, les Règles de La Haye-Visby s'appliquaient —
Limitations différentes de responsabilité en vertu des
deux séries de règles — Connaissement ambigu en ce qui con-
cerne les règles pertinentes — Les Règles de La Haye-Visby
s'appliquaient selon une interprétation contra proferentem du
connaissement et parce que toute l'opération était plus étroite-
ment associée à la Belgique — Préférence accordée à la loi du
lieu de l'exécution, en particulier lorsque le contrat est passé
ailleurs — Exécution commencée en Belgique.
Droit maritime — Transport de marchandises — Il a été jugé
que les Règles de La Haye-Visby régissaient la limitation de
responsabilité — Connaissement modifiant apparemment la
limitation de responsabilité imposée par les Règles — En vertu
de la loi du contrat (la loi belge), les Règles s'appliquaient
obligatoirement — Les Règles prévoyaient que toute clause
limitant la responsabilité découla n t d'une négligence étaient
nulles et sans effet — Connaissement incompatible étant donné
qu'il semblait accepter l'application des Règles, puis les modi
fier — Étant donné que les défendeurs avaient rédigé le con-
naissement, l'interprétation contra proferentem a été donnée.
Il s'agissait d'une action en dommages-intérêts pour la perte
subie par le propriétaire d'un «châssis d'autobus» articulé pen
dant le transport à bord du navire défendeur. Le connaissement
a été délivré en Allemagne. Les marchandises ont été embar-
quées en Belgique. Les défendeurs ont reconnu être respon-
sables du dommage. Le connaissement était ambigu en ce qui
concerne les Règles limitant la responsabilité des transporteurs
qui s'appliquaient. En vertu de la loi belge, les Règles de La
Haye-Visby s'appliquaient aux marchandises embarquées en
Belgique. En vertu de la loi allemande, les Règles de La Haye
s'appliquaient aux marchandises visées par le connaissement
délivré en Allemagne. Les Règles de La Haye limitaient la res-
ponsabilité du transporteur à 100 £ par colis, à moins que la
nature et la valeur supérieure des marchandises n'aient été
déclarées par le chargeur avant l'embarquement et que la
déclaration n'ait été insérée dans le connaissement. Les Règles
de La Haye-Visby limitaient la responsabilité par colis ou
d'après le poids des marchandises endommagées. Si les Règles
de La Haye-Visby s'appliquaient, le connaissement visait
apparemment à modifier les limites imposées en éliminant la
limitation fondée sur le poids. Les Règles de La Haye-Visby
prévoyaient également que la limitation de responsabilité ne
s'appliquait pas si le dommage était causé intentionnellement
ou témérairement et avec conscience qu'un dommage en résul-
terait probablement. Il n'y avait pas d'équivalant dans les
Règles de La Haye. La demanderesse a allégué que les trans-
porteurs avaient agi témérairement et avec conscience qu'un
dommage en résulterait probablement. Il s'agissait de savoir
quelles règles s'appliquaient.
Jugement: les Règles de La Haye-Visby devraient s'appli-
quer.
La Cour avait le droit et l'obligation d'appliquer les règles
canadiennes en matière de conflit de lois dans le cadre de la tex
. lori afin de choisir la loi régissant le contrat que renferme le
connaissement. Étant donné qu'aucune loi canadienne ne régis-
sait la validité et l'interprétation d'un connaissement délivré
dans un pays étranger à l'égard de marchandises embarquées
dans un autre pays, il fallait appliquer les règles de la common
law pour déterminer quelle loi régissait le contrat. Lorsque les
parties n'ont pas expressément ou implicitement choisi la loi
pertinente, la Cour doit déterminer le régime juridique auquel
l'opération est le plus étroitement liée. L'intention de choisir la
lex,jori comme loi pertinente se déduit parfois du choix expli-
cite du tribunal qui tranchera les litiges. Le connaissement
désignait expressément les tribunaux canadiens pour trancher
les actions en découlant, mais une déduction selon laquelle la
lex . fori est la loi pertinente peut être supplantée par d'autres
indications que les parties envisageaient qu'un autre régime
juridique régisse la validité et l'interprétation du contrat. Le
connaissement indiquait qu'un autre régime devait s'appliquer,
mais ne précisait pas quel régime. Si l'on appliquait la règle
d'interprétation qui veut qu'en cas d'ambiguïté, il faut inter-
préter le contrat contra projerentem (contre la partie qui l'a
rédigé, soit en l'espèce les défendeurs), les règles de La Haye-
Visby s'appliquaient. Le connaissement indiquait d'une
manière suffisamment claire que les parties envisageaient l'ap-
plication des Règles de La Haye-Visby. Le choix de la loi
belge favorise la demanderesse.
Il fallait également examiner les faits de l'affaire pour déter-
miner à quel pays l'opération était le plus étroitement associée.
Il faut considérer de préférence la loi qui régit le lieu d'exécu-
tion comme étant la loi pertinente, en particulier lorsque le
contrat est passé dans un pays pour être exécuté dans un autre.
Le contrat a commencé à être exécuté en Belgique où la cargai-
son a été embarquée et le voyage a débuté. Par conséquent, la
loi belge régissait le contrat.
Les parties ne pouvaient pas modifier les Règles sauf si les
Règles elles-mêmes prévoyaient la chose. La demanderesse n'a
pas établi que les défendeurs avaient agi témérairement et avec
conscience qu'un dommage en résulterait probablement. Il y a
eu négligence dans la façon dont le châssis d'autobus avait été
embarqué ou transporté, mais cela n'était pas si évident qu'on
pouvait dire que les défendeurs avaient agi «témérairement» ou
«avec la conscience qu'un dommage en résulterait probable-
ment». Étant donné que la limite d'après le poids était plus éle-
vée, elle devrait prévaloir selon une application stricte des
Règles de La Haye-Visby. Les défendeurs ont soutenu que
conformément au connaissement, les Règles devraient être
modifiées de manière à n'imposer que la limite par unité. La
loi qui s'applique au contrat (la loi belge) régit la validité des
clauses contractuelles limitant la responsabilité. La loi belge
applique obligatoirement les Règles de La Haye-Visby, qui
prévoient que toute clause limitant la responsabilité découlant
d'une négligence est non avenue et sans effet. Même si les
Règles n'annulaient pas la clause, le connaissement était
ambigu en ce sens qu'il prévoyait que les Règles s'appliquaient
et semblait apparemment les modifier. Étant donné que les
défendeurs ont rédigé le connaissement, toute différence doit
être interprétée contre les défendeurs et en faveur de la deman-
deresse selon le principe d'interprétation contra proferentem.
La limitation apparemment imposée ne pouvait pas résister à
l'acceptation par les parties de l'application des Règles, qui
interdisent pareilles limitations.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Convention internationale pour l'unification de certaines
règles en matière de connaissement et Protocole de
signature, Bruxelles, 25 août 1924 («Règles de La
Haye»), art. 3, par. 2, 8; art. 4, par. 5.
Loi sur le transport des marchandises par eau, L.R.C.
(1985), chap. C-27.
Protocole portant modification de la Convention interna-
tionale pour l'unification de certaines règles en matière
de connaissement signée à Bruxelles, le 25 août 1924
(Bruxelles, 23 février 1968) («Règles de Visby»).
Protocole portant modification de la Convention interna-
tionale pour l'unification de certaines règles en matière
de connaissement du 25 août 1924, telle qu'amendée
par le Protocole de modification du 23 février 1968
(Bruxelles, 21 décembre 1979).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663,
Règles 324, 482 (mod. par DORS/90-846, art. 18, 19).
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Vita Food Products, incorporated v. Unus Shipping Co.,
Ld., [ 1939] A.C. 277 (P.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
Atlantic Consolidated Foods Ltd. c. Le Doroty, [1979]
1 C.F. 283 (Ire inst.); conf. par [1981] 1 C.F. 783; (1980),
35 N.R. 160 (C.A.); Bonython, John Lavington v. Com
monwealth of Australia, [1951] A.C. 201 (P.C.); Trop -
wood A.G. et autres c. Sivaco Wire & Nail Co. et autres,
[1979] 2 R.C.S. 157; (1979), 99 D.L.R. (3d) 235; 10
C.P.C. 9; 26 N.R. 313.
DOCTRINE
Carver's Carriage by Sea, vol. 2, 13th ed., London: Ste-
vens & Sons, 1982.
Castel, J.-G., Canadian Conflict of Laws, 2nd ed.,
Toronto: Butterworths, 1986.
Dicey and Morris on the Conflict of Laws, Vol. 2, 10th
ed., London: Stevens & Sons Ltd., 1980.
Scrutton on Charterparties and Bills of Lading, 19th ed.
by Mocatta et al., London: Sweet & Maxwell, 1984.
Tetley, William, Marine Cargo Claims, 3rd ed., Toronto:
Butterworths, 1988.
AVOCATS:
Vincent M. Prager et Mireille A. Tabib pour la
demanderesse.
Peter W. Davidson pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Montréal, pour la demande-
resse.
Brisset Bishop, Montréal, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE STRAYER:
Redressement demandé
Il est question dans cette affaire d'une action en
dommages-intérêts pour la perte subie par la deman-
deresse en tant que propriétaire d'un «châssis d'auto-
bus» articulé expédié sur le navire Federal Calumet
d'Anvers (Belgique) à Toronto. Les défendeurs sont
le navire et ses propriétaires, exploitants, gestion-
naires et affréteurs qui étaient les co-transporteurs du
châssis d'autobus. Il semble, d'après des photogra-
phies qui ont été produites comme preuve, qu'il
s'agissait du châssis d'un autobus articulé, supportant
une carrosserie non finie.
Les parties ont produit un exposé conjoint des faits
au début de l'audience, ce qui a eu pour effet de
réduire considérablement les points en litige. Il est
reconnu que la demanderesse était propriétaire du
châssis d'autobus et que celui-ci a été endommagé
lors de son transport à bord du navire Federal Calu-
met. Il est reconnu également que la perte s'élève à
86 455 $. Le connaissement relatif au transport du
châssis d'autobus a été délivré à Hambourg (Alle-
magne) le 5 octobre 1985 et a été produit comme
pièce avec l'accord des parties. Le châssis, de fabri
cation hongroise, a été chargé à bord du Federal
Calumet à Anvers (Belgique) et déchargé à Toronto,
le 25 octobre 1985.
Les défendeurs ne contestent pas qu'elles ont
négligé de charger, manutentionner, arrimer, trans
porter, etc. convenablement et avec soin le châssis
d'autobus.
Les points en litige
Les points contestés ont trait au régime de lois qui
limite la responsabilité des transporteurs en vertu de
la limitation applicable, ainsi que le montant des inté-
rêts auxquels la demanderesse a droit.
En ce qui concerne le régime de lois applicable, les
principales options semblent être les Règles de La
Haye de 1924 1 ou les Règles de La Haye-Visby 2 .
Dans leur exposé conjoint des faits, les parties recon-
naissent ce qui suit:
[TRADUCTION] I1. En vertu des lois de la Belgique, les Règles
de La Haye, telles que modifiées par les Règles de Visby (ci-
après appelées les «Règles de La Haye-Visby»), ci-jointes,
s'appliquaient obligatoirement aux cargaisons en provenance
de la Belgique ou embarquées dans un port belge en octobre
1985;
12. En vertu des lois de l'Allemagne, les Règles de La Haye
s'appliquaient obligatoirement, notamment, aux cargaisons
visées par un connaissement délivré en Allemagne en octobre
1985; la somme de 100 £ précisée à la règle 5 de l'article 4
équivalait, selon les lois de l'Allemagne, à I 250 deutsche
marks sans référence à la valeur en or; ...
Il est à noter que comme le connaissement a été déli-
vré à Hambourg, on peut soutenir que les Règles de
La Haye s'appliquent; cependant, comme l'autocar a
été expédié d'Anvers, on peut aussi soutenir que ce
sont les Règles de La Haye-Visby qui s'appliquent.
En outre, comme nous le verrons plus loin, le para-
graphe 3 du connaissement est quelque peu ambigu
pour ce qui est de déterminer laquelle de ces deux
1 La Convention internationale pour l'unification de cer-
taines règles en matière de connaissement, Bruxelles, le 25
août 1924.
2 Les Règles de La Haye, ibidem , telles qu'amendées par le
Protocole modificatif de la Convention internationale pour
l'unification de certaines règles en matière de connaissement,
Bruxelles, le 23 février 1968, lequel protocole a été amendé à
son tour par le Second protocole portant modification de la
Convention internationale pour l'unification de certaines règles
en matière de connaissement (du 25 août 1924, tel qu'amendé
par le Protocole modificatif du 23 février 1968), Bruxelles, le
21 décembre 1979.
séries de règles prévaut, et le paragraphe 18 vise à
modifier les Règles de La Haye-Visby si ce sont elles
qui s'appliquent. Le fait de déterminer celle des deux
séries de règles qui s'applique—les Règles de La
Haye, les Règles de La Haye-Visby ou l'une ou
l'autre modifiée par le paragraphe 18 du connaisse-
ment—aura une incidence sur l'issue de l'affaire à
cause des limites de responsabilité que comporte cha-
cun de ces instruments. Selon le paragraphe 5 de
l'Article 4 des Règles de La Haye, la responsabilité
du transporteur se limitait à 100 £ par colis ou unité,
ou l'équivalent de cette somme en une autre monnaie,
à moins que la valeur (supérieure) et la nature des
marchandises n'aient été déclarées par le chargeur
avant leur embarquement et que cette déclaration ait
été insérée au connaissement. L'alinéa 5a) de l'Ar-
ticle 4 des Règles de La Haye, telles que modifiées
par les Règles de La Haye-Visby [Article 2] et
ensuite par le Protocole de Bruxelles de 1979 3 [Arti-
cle II], la disposition qui s'appliquerait si ce sont les
Règles de La Haye-Visby qui régissent la situation,
est libellé en ces termes:
Article 4
5....
a) À moins que la nature et la valeur des marchandises
n'aient été déclarées par le chargeur avant leur embarquement
et que cette déclaration ait été insérée dans le connaissement,
le transporteur, comme le navire, ne seront en aucun cas res-
ponsables des pertes ou dommages des marchandises ou con-
cernant celles-ci pour une somme supérieure à 666,67 unités
de compte par colis ou unité, ou 2 unités de compte par kilo-
gramme de poids brut des marchandises perdues ou endomma-
gées, la limite la plus élevée étant applicable.
D'après ce que j'ai compris, les parties ont convenu
que la valeur d'une unité de compte en monnaie
canadienne, le 25 octobre 1985, était de 1,455671 $.
Cependant, le paragraphe 18 du connaissement
vise apparemment à modifier les limites de responsa-
bilité qu'imposent les Règles de La Haye-Visby en
énonçant ce qui suit:
[TRADUCTION] 18. En cas de pertes de marchandises ou concer-
nant celles-ci, d'une valeur réelle de 500 $ par colis en mon-
naie légale des États-Unis, ou au cas où les marchandises ne
sont pas expédiées en colis par unité de fret habituelle, la
valeur desdites marchandises est réputée être de 500 $ par colis
ou par unité de fret, soit la base de rajustement du fret, et la
responsabilité du transporteur, si responsabilité il y a, sera
3 Ibid.
fixée en prenant pour base une valeur de 500 $ par colis ou par
unité de fret habituelle, à moins que la nature des marchandises
et une valeur supérieure à 500 $ n'aient été déclarées par écrit
par le chargeur au moment de leur remise au transporteur, que
cette déclaration ait été insérée dans le présent connaissement
et que le fret supplémentaire ait été payé de la manière exigée;
dans ce cas, si la valeur réelle des marchandises par colis ou
par unité de fret habituelle excédait cette valeur déclarée, cette
dernière sera néanmoins réputée être la valeur déclarée et la
responsabilité du transporteur, si responsabilité il y a, n'excé-
dera pas cette valeur.
Dans tous les cas où le présent connaissement n'est pas sou-
mis à la Carriage of Goods by Sea Act des États-Unis, le mon-
tant de toute limitation du genre par colis ou, si les marchandi-
ses ne sont pas expédiées en colis, par unité de fret habituelle,
ainsi qu'il est indiqué dans les Règles de La Haye ou de La
Haye-Visby, suivant celles qui s'appliquent au présent contrat
de transport en vertu de la clause 3 des présentes, sera substitué
à la somme ou à la limite de 500 $ susmentionnée; cependant,
sous tous autres rapports, les dispositions qui précèdent
demeureront identiques.
Cela signifie, selon moi, que si ce sont les Règles de
La Haye-Visby qui s'appliquent, la limite monétaire
ne serait que la limite par colis ou par unité, soit
666,67 unités de compte (qui, selon mes calculs,
valaient 970,45 $ (Can) à la date du débarquement de
la cargaison); c'est-à-dire que le paragraphe 18 vise à
supprimer la limite, basée sur le poids, de deux unités
par kilogramme, ce qui, d'après l'avocat de la
demanderesse, élèverait la limite de responsabilité à
30 860 $ environ.
Le montant de responsabilité comporte une autre
différence possible, qui dépend des règles qu'il faut
appliquer; celle-ci découle des dispositions de l'ali-
néa 5e) de l'Article 4 des Règles de La Haye-Visby,
qui n'a pas d'équivalent dans les Règles de La Haye
et qui prescrit ce qui suit:
Article 4
5....
e) Ni le transporteur, ni le navire n'auront le droit de bénéfi-
cier de la limitation de responsabilité établie par ce paragraphe
s'il est prouvé que le dommage résulte d'un acte ou d'une
omission du transporteur qui a eu lieu, soit avec l'intention de
provoquer un dommage, soit témérairement, et avec cons
cience qu'un dommage en résulterait probablement.
La demanderesse ne laisse pas entendre que les trans-
porteurs ont agi avec l'intention de provoquer un
dommage, mais elle allègue qu'ils ont agi téméraire-
ment et avec conscience qu'un dommage en résulte-
rait probablement. Si la demanderesse peut prouver
ce qui précède, les défendeurs ne peuvent se reposer
sur les limites monétaires de responsabilité qui sont
énoncées à l'alinéa 5e) de l'Article 4.
En ce qui concerne la question des intérêts, la
demanderesse cherche maintenant à obtenir un intérêt
avant jugement au taux de 11,58 % par année com-
posé semestriellement, à compter de la date du débar-
quement (les parties ont reconnu que le taux d'intérêt
préférentiel moyen pondéré, entre le 25 octobre 1985
et le 23 avril 1991, était de 11,58 %). La demande-
resse tente aussi d'obtenir un intérêt après jugement
composé semestriellement, dont le taux serait le taux
d'intérêt préférentiel. Les défendeurs s'opposent à ce
que l'on ordonne un intérêt composé et considèrent
que le taux d'intérêt devrait être celui qui est payé sur
les fonds payés en Cour.
Conclusions
Choix de la loi applicable
Il est clair que la Cour a le droit et l'obligation
d'appliquer les règles canadiennes en matière de con-
flit de loi dans le cadre de la lex fori afin de choisir la
loi régissant le contrat que renferme le connaisse-
ment 4 . Le point litigieux en l'espèce est la légalité de
certaines clauses du connaissement, de même que
leur interprétation. Les défendeurs ont indiqué que,
dans le cadre de la lex fori, les questions litigieuses
devraient aussi être régies par la loi canadienne. Cer-
tes, un tribunal canadien pourrait être tenu, par un
texte législatif canadien valide, de se fonder sur la loi
canadienne pour juger de la validité d'un tel connais-
sement et l'interpréter; cependant, il n'existe pas de
loi de ce genre au Canada. L'unique texte législatif
dans ce domaine, la Loi sur le transport des mar-
chandises par eau 5 , traite expressément de l'applica-
tion de règles similaires à celles de La Haye, mais
uniquement en ce qui a trait aux marchandises trans-
portées par navire, «entre un port canadien et tout
autre destination». Cela ne s'applique manifestement
pas en l'espèce. Cependant, l'avocat des défendeurs
s'est aussi fondé sur l'affaire Vita Food 6 pour étayer
la prétention selon laquelle la lex fori devrait s'appli-
a Tropwood A.G. et autres c. Sivaco Wire & Nail Co. et
autres, [1979] 2 R.C.S. 157, aux p. 166 et 167.
5 L.R.C. (1985), chap. C-27.
6 Vita Food Products, Incorporated v. Unus Shipping Co.,
Ld., [1939] A.C. 277 (P.C.).
quer pour interpréter le contrat, qu'une loi cana-
dienne régisse ou non l'affaire, et ce, même si les lois
de l'État où les marchandises ont été embarquées et
celles de l'État où le connaissement a été délivré font
que d'autres règles s'appliquent pour ce qui est de
son interprétation. On a ainsi fait valoir que la com
mon law canadienne devrait s'appliquer à la situation
en question, et la common law canadienne reconnaît
l'existence d'une liberté de contrat complète dans ces
circonstances. Il s'ensuit, selon ce raisonnement,
qu'il faudrait respecter toute limite de responsabilité
fixée par les parties dans le connaissement. Il est tou-
tefois possible d'établir une différence entre l'affaire
Vita Food et la présente espèce: le Comité judiciaire
du Conseil privé a en effet pu conclure que les parties
envisageaient que la loi pertinente régissant le contrat
était la loi anglaise et non celle de Terre-Neuve, où le
connaissement avait été délivré et les marchandises
avaient été embarquées.
Il me faut donc appliquer les règles de la common
law pour déterminer quelle loi régit le contrat. Il est
un principe bien établi que dans les cas où les parties
ont expressément ou implicitement choisi la loi perti-
nente, c'est habituellement sur celle-ci que l'on se
fondera pour trancher des questions telles que la vali-
dité du contrat. Lorsque les parties n'ont pas fait un
tel choix, la Cour doit déterminer le système de lois
auquel la transaction en question est le plus étroite-
ment liée. Une intention de choisir la lex fori comme
loi pertinente se déduit 8 parfois du choix explicite du
tribunal qui tranchera les litiges. Dans la présente
espèce, les parties, de par le paragraphe 4 du connais-
sement, ont choisi les tribunaux canadiens pour tran-
cher toute action pouvant être engagée en vertu du
connaissement. Cependant, toute déduction selon
laquelle la lex fori est la loi pertinente peut être faci-
lement supplantée par d'autres indications des parties
qu'elles envisageaient qu'un autre système de lois
régirait la validité et l'interprétation du contrat. Les
parties en l'espèce ont clairement indiqué, au para-
graphe 3 du connaissement, qu'un autre système
devait s'appliquer, encore que leur choix exact soit
loin d'être clair. Le paragraphe 3 en question est le
suivant:
7 Voir par exemple J.-G. Castel, Canadian Conflict of Laws
(2" éd. 1986), aux p. 529 540.
8 Id., à la p. 532.
[TRADUCTION] 3. Le présent connaissement sera exécutoire sous
réserve des dispositions de toute loi intégrant les règles énon-
cées dans la Convention internationale pour l'unification de
certaines règles en matière de connaissement, datée à Bruxelles
le 25 août 1924 (les Règles de La Haye), ou les Règles amen-
dées par le Protocole signé à Bruxelles, le 23 février 1968 (les
Règles de La Haye-Visby) et qui s'appliquent obligatoirement
au contrat de transport ci-inclus. En l'absence d'une telle loi,
les Règles de La Haye ou, à supposer qu'elles s'appliquent, les
Règles de La Haye-Visby, telles qu'adoptées dans le pays où se
trouve le port d'embarquement, s'appliqueront. Lorsque
aucune loi de ce genre n'est en vigueur dans le pays où se
trouve le port d'embarquement, la loi correspondante du pays
où se trouve le port de débarquement s'appliquera et, à défaut
de toute loi de ce genre, ce sont les dispositions de la Conven
tion de 1924, amendée par le Protocole de 1968, qui prévau-
dront.
Si j'interprète convenablement ce paragraphe, il est
dit à la première phrase que le connaissement doit
être régi soit par les Règles de La Haye soit par les
Règles de La Haye-Visby, à supposer que ces règles
s'appliquent «obligatoirement» au contrat de trans
port. La difficulté qu'il y a à appliquer cette disposi
tion est que les deux séries de règles s'appliquent
obligatoirement au contrat de transport, comme les
parties elles-mêmes l'ont reconnu dans l'exposé con
joint des faits: la loi allemande applique obligatoire-
ment les Règles de La Haye parce que le connaisse-
ment a été délivré en Allemagne; la loi belge
applique obligatoirement les Règles de La Haye-
Visby parce que les marchandises ont été embarquées
en Belgique. La première phrase n'indique donc pas
laquelle des deux lois doit être retenue. La deuxième
phrase du paragraphe ne s'applique littéralement que
dans les cas où aucune loi n'applique obligatoirement
les Règles de La Haye ou les Règles de La Haye-
Visby. Tel n'est pas le cas ici: il existe au contraire
une «telle loi» dans deux pays pertinents. De la
même façon, la troisième phrase n'est pas détermi-
nante à strictement parler parce qu'elle n'est valable
que dans les cas où aucune «loi de ce genre» n'est en
vigueur dans le pays où se trouve le port d'embarque-
ment, alors qu'en fait, comme les parties l'ont
reconnu, il existait une telle loi en Belgique, le pays
où se trouvait le port d'embarquement, ce qui fait que
les Règles de La Haye-Visby sont applicables. Bien
que le texte exact du paragraphe 3 ne permette pas
d'effectuer un choix clair et net, je suis convaincu
que les parties envisageaient que ce soit la loi inté-
grant les Règles de La Haye-Visby qui s'applique,
c'est-à-dire la loi de la Belgique en tant que loi régis-
sant le port d'embarquement. Si la première phrase
du paragraphe laisse à penser qu'il s'agit de la loi
allemande ou de la loi belge, la deuxième prévoit en
fait que si le choix n'est pas fait conformément à la
première phrase, c'est la loi choisie dans la deuxième
phrase qui devrait s'appliquer, dans la mesure du pos
sible: il s'agirait de la loi belge, soit celle qui régit le
port d'embarquement. Pour arriver à cette conclu
sion, j'applique la règle d'interprétation des contrats
qui veut qu'en cas d'ambiguïté, il faut interpréter le
contrat contra proferentem 9 . Les défendeurs ont éta-
bli le connaissement. Choisir la loi belge favorise la
demanderesse et non les défendeurs, comme nous le
verrons. Il faut aussi faire remarquer que le choix que
j'attribue aux parties, tel que décrit à la troisième
phrase du paragraphe 3, est celui des «Règles de La
Haye-Visby, telles qu'adoptées dans le pays où se
trouve le port d'embarquement ... » [Soulignement
ajouté.]
Même si le choix de la loi applicable n'était pas
suffisamment clair au paragraphe 3, je serais con-
traint d'examiner les circonstances entourant l'affaire
pour déterminer à quel pays la transaction était la
plus étroitement associée. Il est généralement
reconnu dans les règles qu'appliquent les tribunaux
canadiens en matière de conflit de loi qu'il faut consi-
dérer de préférence la loi qui régit le lieu d'exécution
comme étant la loi pertinente, surtout lorsque le con-
trat est établi dans un pays pour être exécuté dans un
autre 10 . Dans la présente espèce, le contrat a com-
mencé à être exécuté en Belgique, où la cargaison a
été embarquée et le voyage a débuté. Je conclus
qu'en appliquant ce principe, c'est la loi belge qui
régit le contrat, plutôt que la loi allemande. Je ne dis
pose d'aucun renseignement sur les lois de la Bel-
gique, mais, ainsi qu'il a été dit plus tôt, les parties,
9 Voir, par exemple, l'affaire Atlantic Consolidated Foods
Lid. c. Le Doroty, [1979] I C.F. 283 (Ife inst.), aux p. 293 et
294, confirmée par [1981] I C.F. 783 (C.A.); Tetley, Marine
Cargo Cairns (3e éd. 1988) à la p. 84. Bien que ce soit les
règles d'interprétation de la loi régissant le contrat qu'il con-
vient d'appliquer, je ne dispose d'aucun renseignement sur les
règles pertinentes de la loi belge. Il me faut donc présumer que
ces règles sont les mêmes que dans la loi canadienne: Castel,
précité, note 7, à la p. 145.
11 Voir, par exemple, Castel, ibid., à la p. 539; Carver's Car
riage by Sea (1982) vol. 2, à la p. 719; Bonython, John
Lavington v. Commonwealth of Australia, [1951] A.C. 201
(P.C.); Dicey and Morris on the Conflict of Laws (10e éd.,
I980), à la p. 771.
dans leur exposé conjoint des faits, ont déclaré qu'en
vertu des lois de la Belgique les Règles de La Haye-
Visby «s'appliquaient obligatoirement aux cargaisons
en provenance de la Belgique, ou embarquées dans
un port belge en octobre 1985... »
Je conclus donc que les Règles de La Haye-Visby
s'appliquent au connaissement dont il est question en
l'espèce, et ce, soit parce que les parties, au para-
graphe 3 du connaissement, ont choisi les Règles
adoptées en Belgique, soit parce que, en toutes cir-
constances, la loi régissant le contrat doit être la loi
belge. Dans un cas comme dans l'autre, les Règles de
La Haye-Visby s'appliquent obligatoirement, car telle
est la loi belge. Cela signifie notamment que les par
ties n'ont pas le droit de modifier ces Règles, excep
tion faite de ce qu'envisagent les Règles elles-
mêmes.
Effet de la conclusion
sur la responsabilité des défendeurs
Une conséquence du fait que ce sont les Règles de
La Haye-Visby qui régissent la validité et l'effet du
connaissement est qu'il est possible, en vertu de l'ali-
néa 5e) de l'Article 4 cité ci-dessus, que la responsa-
bilité des transporteurs soit illimitée si, comme l'al-
lègue la demanderesse, ils ont agi «témérairement et
avec conscience qu'un dommage en résulterait proba-
blement». La demanderesse, pour établir la validité
de sa prétention, doit satisfaire à un niveau élevé de
preuve 11 . Je ne suis pas convaincu que la preuve éta-
blit que les défendeurs ont agi «témérairement et
avec conscience qu'un dommage en résulterait proba-
blement». Chaque partie a appelé un évaluateur mari
time comme seul témoin. Chacun des évaluateurs
avait inspecté le châssis d'autobus endommagé dans
le navire, au moment de son arrivée à Toronto. Leur
témoignage a été contradictoire quant au fait de
savoir si des véhicules seraient normalement endom-
magés s'ils étaient placés, comme l'a été le châssis
d'autobus, en travers du navire et sur un chargement
d'acier susceptible de se tasser. Si les observations du
témoin de la demanderesse ont été plus convain-
cantes à cet égard, aucun des deux témoins n'a été
présenté comme expert. Ni l'un ni l'autre n'a produit
un affidavit d'expert, comme l'exige la Règle 482
Il Voir, par exemple, Mocatta et autres, Scruttun on Charter-
parties and Bills of Lading (19e éd., 1984), à la p. 456.
[Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663 (mod.
par DORS/90-846, art. 18], et ils n'ont pas été pré-
sentés pour acceptation par la Cour en tant qu'ex-
perts. L'avocat de la demanderesse a soutenu qu'il
était autorisé à recourir à son témoin comme expert
pour réfuter les déclarations du témoin des défen-
deurs, conformément au paragraphe 482(5) [mod.,
idem, art. 19] des Règles de la Cour fédérale, lequel
permet d'admettre la preuve par réputation d'un
expert sans affidavit antérieur, mais je ne puis accep-
ter son témoignage sur cette base. A aucun moment
a-t-il été demandé à la Cour d'accepter ce témoin
comme expert, et l'avocat des défendeurs n'a pas été
entendu sur la question. Tout ce que je puis conclure
c'est qu'il y a eu négligence dans la façon dont le
châssis d'autobus a été embarqué ou transporté. Je ne
suis pas en mesure de conclure qu'il était à ce point
évident que le châssis d'autobus serait endommagé
que l'on peut dire que les défendeurs ont agi «témé-
rairement» ou «avec conscience qu'un dommage en
résulterait probablement».
Sans autres complications, donc, les limites de res-
ponsabilité des défendeurs seraient celles qui sont
énoncées à l'alinéa 5e) de l'Article 4 (précité) des
Règles de La Haye-Visby, telles qu'amendées par le
Protocole de Bruxelles de 1979. Ces limites seraient
soit 666,67 unités de compte par colis ou unité (nous
avons affaire ici à une seule unité), soit deux unités
de compte par kilogramme de poids brut des mar-
chandises perdues, la limite la plus élevée étant appli
cable. La première base de calcul donnerait, selon
moi, une limite de 970,45 $ représentant 666,67
unités de compte dont la valeur, le 25 octobre 1985,
était de 1,455671 $. Selon la seconde base de calcul,
c'est-à-dire d'après le poids, l'avocat de la demande-
resse (je ne connais pas le poids de l'autobus) m'a dit
que la limite s'élèverait à 30 860,20 $ environ. De
toute évidence, c'est la seconde base de calcul, c'est-
à-dire d'après le poids, qui donne la limite la plus éle-
vée et, si l'on appliquait strictement les Règles de La
Haye-Visby, c'est cette limite qui prévaudrait.
Cependant, les défendeurs soutiennent que le para-
graphe 18 du connaissement (précité) représente une
entente selon laquelle les Règles de La Haye-Visby, à
supposer qu'elles sont applicables par ailleurs,
devraient être modifiées de manière à n'imposer que
la limite fixée par colis ou par unité, sans l'option du
calcul de la valeur au kilogramme. J'ai conclu que
l'on ne peut donner cet effet au paragraphe 18. C'est
la loi pertinente auquel le contrat est soumis qui régit
la validité des clauses contractuelles limitant la res-
ponsabilité des parties 12 . La loi en question est la loi
belge, et celle-ci applique obligatoirement les Règles
de La Haye-Visby au connaissement. Voici ce qui est
indiqué au paragraphe 8 de l'Article 3 de ces Règles:
Article 3
8. Toute clause, convention ou accord dans un contrat de
transport exonérant le transporteur ou le navire de responsabi-
lité pour perte ou dommage concernant des marchandises pro-
venant de négligence, faute ou manquement aux devoirs ou
obligations édictées dans cet article ou atténuant cette respon-
sabilité autrement que ne le prescrit la présente Convention,
sera nulle, non avenue et sans effet. Une clause cédant le béné-
fice de l'assurance au transporteur ou toute clause semblable
sera considérée comme exonérant le transporteur de sa respon-
sabilité.
(Il est à noter que le paragraphe 2 de l'Article 3 crée
la responsabilité du transporteur et l'alinéa 5a) de
l'Article 4 prescrit la limitation normale de cette res-
ponsabilité.) Il m'apparaît que l'un des objets fonda-
mentaux des Règles de La Haye-Vishy est d'assurer
la protection des transporteurs et des chargeurs: les
transporteurs sont protégés contre toute responsabilité
déraisonnable par les limites énoncées dans les
Règles de La Haye-Vishy, limites qui ne peuvent être
modifiées à la hausse que si le chargeur déclare une
valeur plus élevée et est disposé à payer des taux
supérieurs; le chargeur, quant à lui, est protégé, par
des dispositions comme le paragraphe 8 de l'Article
3, contre le fait d'être exclu du niveau de recouvre-
ment prévu par ces règles par suite de quelque
obscure disposition du connaissement, qu'établit
habituellement le transporteur.
Même si l'interdiction relative à une telle limita
tion de responsabilité ne s'appliquait pas obligatoire-
ment en vertu de la loi belge à cette transaction, je
considérerais que le connaissement n'impose pas une
telle limite. Le connaissement, dans la forme où il est
rédigé, est ambigu, en ce sens qu'il existe une diffé-
rence entre les dispositions du paragraphe 3 et celles
du paragraphe 18. Selon le premier de ces deux para-
graphes, les deux séries de règles, soit celles de La
12 Castel, précité, note 7, aux p. 550 et 551.
Haye ou celles de La Haye-Visby, sont applicables et
le connaissement est soumis à la loi où ces règles
sont intégrées ou prescrit que les règles «telles
qu'adoptées ... s'appliqueront». La clause qui inter-
dit de limiter davantage la responsabilité figure dans
les deux séries de règles. Toutefois, le paragraphe 18
vise à modifier ces règles. Comme je l'ai fait remar-
quer plus tôt, les connaissements, à l'instar d'autres
contrats, doivent être interprétés contra proferentem,
c'est-à-dire à l'encontre de ceux qui les ont rédigés.
Comme ce sont les défendeurs qui ont rédigé le con-
naissement, toute différence entre le paragraphe 3 et
le paragraphe 18 doit être interprétée en leur défaveur
et en faveur de la demanderesse, ce qui signifie que la
limite que vise à imposer le paragraphe 18 ne peut
résister à l'acceptation par les parties, au paragraphe
3, que ce sont les Règles de La Haye ou les Règles de
La Haye-Visby, lesquelles interdisent de telles
limites, qui s'appliquent.
La demanderesse a donc droit à un jugement repo-
sant sur les limites de responsabilité prescrites à l'ali-
néa 5a) de l'Article 4 des Règles de La Haye-Visby,
telles qu'amendées par le Protocole de Bruxelles de
1979. Je laisse à l'avocat le soin d'établir le jugement
officiel qui comprendra les calculs exacts, en prenant
pour base deux unités de compte par kilogramme de
poids brut des marchandises en question.
La question des intérêts est un point pour lequel je
puis user de mon pouvoir discrétionnaire. Après avoir
considéré toutes les circonstances, j'accorde à la
demanderesse un intérêt avant jugement au taux de
11,58 % par année, soit le taux reconnu par les par
ties comme étant le «taux d'intérêt préférentiel
moyen pondéré du 25 octobre 1985 au 23 avril
1991». Cet intérêt sera composé semestriellement,
comme la demanderesse l'a demandé. Cet intérêt
avant jugement courra à partir de la date de débarque-
ment, soit le 25 octobre 1985, jusqu'à la date des pré-
sents motifs inclusivement. Après cette date, l'intérêt
correspondra au taux d'intérêt payé sur les fonds
payés en Cour fédérale, sous réserve des règles appli-
cables. J'ai choisi la date des motifs comme date de
changement du taux d'intérêt parce qu'on ne connaît
pas encore la date du jugement officiel, et j'ai utilisé
le taux d'intérêt applicable aux fonds payés en Cour
pour l'intérêt futur parce qu'il existe pour cela une
méthode de calcul établie. La demanderesse a droit à
ses dépens, ce qu'ont concédé les défendeurs si j'en
venais à conclure que la limitation de responsabilité
applicable était fondée sur le poids du châssis d'auto-
bus.
Je demande par les présentes à l'avocat de la
demanderesse d'établir un projet de jugement et
d'obtenir le consentement de l'avocat des défendeurs
quant à la forme de ce projet. Si la chose est possible,
la demande d'autorisation du jugement officiel
devrait être faite par écrit en vertu de la Règle 324,
mais s'il le faut, l'avocat pourra présenter ses obser
vations orales à une date ultérieure.
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