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A-490-89
Letraset Canada Limited (appelante)
c.
W.H. Brady (intimée)
RÉPERTORIÉ: W.H. BRADY CO. c. LETRASET CANADA LTD. (C.A.)
Cour d'appel, juges Marceau, MacGuigan et Décary, J.C.A.—Ottawa, 12 et 21 décembre 1990.
Pratique Frais et dépens Le droit aux dépens est fondé sur l'obligation qu'a une partie envers son procureur L'obli- gation qu'a une partie envers son procureur n'est pas modifiée par le fait qu'une tierce partie assume les dépenses reliées au litige.
Pratique Jugements et ordonnances Annulation ou modification Le juge a révisé la taxation établie par le protonotaire Le juge pouvait uniquement rendre l'ordon- nance que le protonotaire pouvait lui-même rendre Le protonotaire ne peut rendre une ordonnance incompatible avec une décision de la Cour La taxation des dépens à rien est incompatible avec l'adjudication des dépens par le juge de première instance à la partie qui a obtenu gain de cause Recours à la Règle 1733 qui permet de demander la modifica tion d'un jugement en s'appuyant sur des faits survenus postérieurement.
L'appelante a obtenu gain de cause dans sa défense à l'action principale en contrefaçon de brevet intentée contre elle. À l'issue du procès, l'action a été rejetée et la demande reconven- tionnelle a été accueillie. Le juge du procès a accordé les dépens entre parties à l'appelante. Lors de la taxation, le protonotaire a rejeté l'objection générale à la taxation des dépens soulevée par l'intimée, et a taxé les dépens au montant de 64 051,94 $.
L'intimée a demandé à la Cour une révision de la taxation en vertu de la Règle 346(2). Elle contestait le droit de l'appelante avec dépens, plutôt que le montant accordé. Devant le juge des requêtes, l'intimée a soulevé la même objection que celle qu'elle avait soulevée devant le protonotaire, à savoir que l'appelante n'était pas tenue de payer les frais de l'action à ses propres procureurs. Cette objection était fondée sur l'argument voulant que la société mère de l'appelante, Letraset R.-U., ait dirigé la conduite du litige et payé les mémoires de frais des procureurs. Le juge des requêtes a annulé le certificat décerné par le protonotaire et a ordonné que les dépens de l'appelante soient taxés et adjugés à rien. C'est cette ordonnance qui est portée en appel.
Jugement: l'appel devrait être accueilli, et le certificat du protonotaire devrait être rétabli.
Aux termes de la Règle 346(2), le juge saisi d'une demande de révision d'une taxation peut uniquement rendre l'ordonnance que l'officier taxateur pouvait lui-même rendre. La Règle 336(1)b)(i) interdit à un protonotaire de rendre une ordon- nance incompatible avec une ordonnance précédemment rendue par la Cour ou un juge. En l'espèce, la taxation des dépens à rien est incompatible avec l'ordonnance du juge de première
instance portant que les dépens soient adjugés et taxés. L'inti- mée aurait plutôt se fonder sur la Règle 1733 qui autorise une partie à demander l'annulation ou la modification d'une ordonnance en s'appuyant notamment sur de nouveaux élé- ments de preuve.
La partie au litige qui a eu gain de cause peut recouvrer de la partie adverse les frais dans l'action seulement si elle est tenue de les payer à ses procureurs. Cette obligation est l'obligation légale qu'a une partie de payer les services fournis par le procureur, et que celui-ci peut faire exécuter contre elle. L'obli- gation du client n'est pas modifiée par l'engagement pris par une tierce partie, soit envers la partie au litige, soit envers les procureurs, de payer les dépenses reliées au litige: pareille entente est res inter alios acta. En l'espèce, le fait que la société mère puisse avoir dirigé la conduite de l'action et payé les mémoires de frais ne change rien au fait que les procureurs ont le droit de réclamer leur à l'appelante.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 336(1)6)(i), 346(2) (mod. par DORS/87-221, art. 3), 1733.
JURISPRUDENCE
DÉCISION INFIRMÉE:
W.H. Brady Co. c. Letraset Canada Ltd., [1990] 1 C.F. 51; (1989), 28 C.P.R. (3d) 167; 30 F.T.R. 153 (1" inst.) inf. W.H. Brady Co. c. Letraset Canada Ltd., [1990] 1 C.F. (lta inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Simpson v. Local Board of Health of Belleville (1917), 41 O.L.R. 320 (H.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
W.H. Brady Co. c. Letraset Canada Ltd. (1985), 7 C.P.R. (3d) 82; 7 C.I.P.R. 1; Adams v. London Improved Motor Coach Builders, [1921] 1 K.B. 495 (C.A.); Armand v. Carr, [1927] R.C.S. 348; Broderick v. Fierro, [1933] 1 D.L.R. 476 (C.S. Ont.).
AVOCATS:
Gordon F. Henderson, c.r., et Neil R. Bel-
more pour l'appelante.
A. David Morrow pour l'intimée.
PROCU REURS:
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour
l'appelante.
Smart & Biggar, Ottawa, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Appel est interjeté d'une décision d'un juge de la Section de première instance [[1990] 1 C.F. 51] qui, saisi d'une requête en révision présentée conformément à la Règle 346(2) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663 (mod. par DORS/87-221, art. 3)] telle qu'elle existait en 1989', a annulé un certificat de taxation décerné par le protonotaire [[1990] 1 C.F. 46 (1"e inst.)].
Les parties se sont opposées dans un long litige relatif à un brevet. L'appelante, Letraset Canada Limited, a obtenu gain de cause dans la poursuite en contrefaçon qui avait été intentée contre elle et, par voie de demande reconventionnelle, a réussi à faire invalider le brevet de l'intimée. Dans le juge- ment [(1985), 7 C.P.R. (3d) 82 (C.F. lre inst.)], les dépens entre parties ont été accordés à l'appelante.
Lors de l'audition de la taxation devant le proto- notaire, l'avocat de l'intimée a soulevé une objec tion générale à la taxation des dépens, objection qu'il a déclaré fondée sur des renseignements recueillis au cours du contre-interrogatoire de l'au- teur de l'affidavit déposé à l'appui du mémoire de frais de l'avocat de l'appelante. Il a été soutenu que, bien que l'appelante ait eu droit à ses frais dans l'action, elle ne devrait rien pouvoir recouvrer parce que, en réalité, ce n'est pas l'appelante, mais la société mère, Letraset R.-U., qui a dirigé la conduite du litige et payé toutes les dépenses qui s'y rapportaient. L'objection a été rejetée par le protonotaire, qui a procédé à la taxation des dépens de l'appelante au montant de 64 051,94 $. L'intimée a demandé une révision de la taxation, non pas à cause du montant accordé, qu'elle n'a pas contesté, mais à cause du rejet de son objection générale. Le juge des requêtes a souscrit à la thèse
' Elle était ainsi libellée:
Règle 346... .
(2) Les dépens sont taxés par:
a) un protonotaire, qui est également officier taxateur, ou
b) un officier du greffe désigné par ordonnance de la Cour à titre d'officier taxateur,
sous réserve d'être révisés par la Cour sur demande présentée dans les 14 jours suivant la taxation par une partie qui en est insatisfaite.
de l'intimée et a annulé le certificat décerné par le protonotaire, en disant la page 63] que «des dépens que la défenderesse peut recouvrer de la demanderesse [étaient] taxés et arrêtés à un mon- tant nul». C'est cette décision qui est portée en appel en l'espèce.
Il y a une question préliminaire que ni l'un ni l'autre avocat n'a soulevée, mais que la Cour se dois d'examiner parce qu'elle concerne la compé- tence: le protonotaire avait-il le pouvoir de sous- crire à la thèse selon laquelle l'appelante n'avait pas droit aux dépens parce que c'est la société mère qui a dirigé l'action et payé les mémoires de frais des procureurs? Cette question est primor- diale, car, en accueillant la requête en révision, le juge pouvait uniquement rendre la décision que le protonotaire- pouvait lui-même rendre. Je dirai simplement ici qu'il me semble difficile de répon- dre par l'affirmative à cette question, vu les dispo sitions de la Règle 336(1) des Règles de la Cour et les directives prises aux termes de cette Règle. Ces dispositions définissent les pouvoirs des protonotai- res et elles sont en partie rédigées ainsi qu'il suit:
Règle 336. (1) Nonobstant la Règle 326(1), un protonotaire a le pouvoir
a) de faire toute chose autorisée par les présentes Règles,
b) s'il est convaincu que toutes les parties concernées y ont consenti, de rendre toute ordonnance pouvant' être rendue par
. la Division de première instance à l'exception
(i) d'une ordonnance incompatible avec une ordonnance précédemment rendue par la Cour ou un juge, et
g) de statuer sur toute demande interlocutoire qui lui a été nommément confiée ou qui a été confiée à l'un quelconque des protonotaires sur directive spéciale ou générale du juge en chef ou du juge en chef adjoint. [C'est moi qui souligne.]
Directive générale
en vertu de la Règle 336(1)g)
Suivant la Règle 336(1)g), le protonotaire en chef et le protonotaire en chef adjoint ont le pouvoir d'instruire et de juger toute demande interlocutoire portée devant la Division de première instance à l'exception de:
5. toute demande faite en vue d'obtenir une modification ou l'annulation d'une ordonnance rendue par un juge de la Cour. [C'est moi qui souligne.]
Il me semble clair que l'intimée, dont la thèse consistait à nier le droit même de l'appelante à des dépens, demandait que soit rendue une décision incompatible avec une ordonnance ayant été
rendue par la Cour, à savoir le jugement rendu dans l'action, ce qui excédait la compétence du protonotaire. L'intimée prétend que les faits qui ont donné lieu à l'objection ont été connus seule- ment après que le jugement a été rendu dans l'action, mais cela ne saurait évidemment pas être une source de pouvoir pour le protonotaire. De toute façon il y a une Règle spéciale qui permet à une partie de demander la modification d'un juge- ment en s'appuyant sur des faits découverts posté- rieurement. Il s'agit de la Règle 1733, qui dispose:
Règle 1733. Une partie qui a droit de demander en justice l'annulation ou la modification d'un jugement ou d'une ordon- nance en s'appuyant sur des faits survenus postérieurement à ce jugement ou à cette ordonnance ou qui ont été découverts par la suite, ou qui a droit d'attaquer un jugement ou une ordonnance pour fraude, peut le faire, sans intenter d'action, par simple demande à cet effet dans l'action ou autre procédure dans laquelle a été rendu ce jugement ou cette ordonnance.
L'intimée prétend aussi que le juge à qui a été confiée l'audition de la requête en révision et qui a rendu l'ordonnance contestée est celui-là même qui a présidé le procès et signé le jugement. encore, il y a une réponse toute simple: cette coïncidence ne pouvait pas avoir pour effet de donner d'autres options au juge saisi de cette requête en révision. Du reste, il serait erroné de croire que la difficulté réside seulement dans une question de procédure au sens strict du terme. En effet, lorsqu'une requête en réexamen est présentée aux termes de la Règle 1733, la tenue d'une nouvelle audience est ordonnée et toutes les parties concernées produi- sent des éléments de preuve comme cela se fait d'ordinaire. Par contre, lorsqu'il s'agit simplement d'une requête en révision, comme celle dont il est question en l'espèce, la seule preuve qui peut être utilisée est celle dont le protonotaire a été saisi. En l'espèce, il s'agit de l'affidavit joint au mémoire de frais et de la transcription du contre-interrogatoire de l'auteur de l'affidavit, ce qui est plutôt mince comme source de preuve.
Le pouvoir du protonotaire et, partant, du juge, d'accueillir l'objection en rendant la décision con- testée en l'espèce me paraît extrêmement douteux. J'hésite cependant à me fonder là-dessus pour trancher l'appel. D'une part, la question de la compétence n'a peut-être pas été très bien fouillée, car l'avocat n'en a été averti qu'à l'audience, et aucune cause antérieure, même parmi celles dans lesquelles on a soulevé une objection semblable au
sujet du droit aux dépens devant l'officier taxateur seulement, n'y fait même allusion. D'autre part, l'aspect le plus délicat de cette affaire concerne la preuve, comme je viens de le mentionner, et il se trouve que, à mon avis, le règlement de la question de fond en l'espèce ne dépend pas autant que dans d'autres litiges du poids de la preuve produite. Je traiterai donc de la question de fond.
L'objection de l'intimée, qu'a maintenue le juge des requêtes, repose sur un raisonnement compre- nant deux propositions. L'avocat de l'intimée réaf- firme d'abord la règle jurisprudentielle bien établie voulant que la partie au litige qui a eu gain de cause peut recouvrer de la partie adverse les frais dans l'action seulement si elle est tenue de les payer à ses procureurs et, à l'instar du juge des requêtes dans son jugement, il cite à l'appui de cette première proposition générale l'ancienne affaire Simpson v. Local Board of Health of Belleville (1917), 41 O.L.R. 320 (H.C.). Il s'atta- che ensuite aux faits propres à la présente espèce et soutient que l'appelante dans la cause n'était pas tenue aux dépens, puisque la preuve a permis d'établir que, en réalité, c'est la société mère qui a dirigé l'action et payé les honoraires des procu- reurs. Selon lui, il s'ensuit nécessairement que l'appelante n'a pas droit aux dépens.
On comprendra aisément qu'une condition très fondamentale doit être remplie pour qu'on puisse tirer cette conclusion préconisée par l'avocat de l'intimée: il faut que l'obligation dont on parle soit la même dans les deux propositions. À mon sens, ce n'est pas du tout le cas en l'espèce.
La proposition générale voulant qu'une partie ait le droit de recouvrer ses frais à condition d'être tenue de les payer à ses procureurs repose sur le principe selon lequel les dépens entre parties cons tituent une indemnité ou un dédommagement pour les dépenses qu'a subir la partie qui a eu gain de cause dans le litige. Le paiement des dépens à une partie ne doit pas être un cadeau. Il serait inacceptable de laisser une partie percevoir des dépens qui se rapportent, pour la plupart, à la
prestation de services professionnels si l'avocat qui a fourni ces services n'est pas légalement en mesure de demander à cette partie de lui verser son dû. Il est facile de définir l'obligation qui doit exister pour respecter le principe en cause: c'est l'obligation légale qu'une partie a envers son pro-
cureur de payer les services qu'elle a obtenus, et que le procureur peut faire exécuter à tout moment. Est-ce le genre d'obligation dont parle l'avocat de l'intimée lorsqu'il prétend que l'appe- lante n'était pas tenue aux dépens en l'espèce? Bien sûr que non.
Il est indéniable que les procureurs en l'espèce ont agi pour le compte de l'appelante dans cette affaire. Le juge des requêtes a fait des remarques équivoques à cet égard dans ses motifs, mais l'avo- cat de l'intimée a facilement reconnu qu'il ne fallait pas en tenir compte. On peut se demander ce que les procureurs faisaient s'ils ne représen- taient pas la défenderesse dans l'action, et per- sonne n'a semblé dire qu'ils ont pu s'engager à ce point dans le litige sans la connaissance et le consentement de l'intimée. En revanche, il est également indéniable que l'appelante et ses procu- reurs n'ont jamais conclu d'entente susceptible de restreindre le droit de ceux-ci de réclamer leur à l'appelante. La déclaration du juge des requêtes sur cette question est sans équivoque la page 60):
La demanderesse éprouverait les plus grandes difficultés à trouver entre le Cabinet Gowling & Henderson et la défende- resse une entente en vertu de laquelle ce cabinet ne compterait pas sur la société défenderesse pour ses frais parce que je suis convaincu qu'il n'en existe aucune.
L'on ne saurait donc nier que les procureurs ont acquis le droit d'être payés par l'appelante en contrepartie de la prestation de leurs services pro- fessionnels et qu'ils peuvent exercer ce droit en tout temps au moyen d'une action en justice, que ne pourrait jamais faire échouer une entente que l'appelante ou les procureurs eux-mêmes d'ail- leurs pourrait avoir conclue avec une tierce partie (res inter alios acta). L'obligation qu'a l'ap- pelante envers ses procureurs au sens du principe existe certainement.
Lorsque l'avocat de l'intimée prétend que l'appe- lante n'était pas tenue aux dépens, il veut dire que l'appelante n'était pas censée les payer dans les faits, soit parce qu'elle pouvait compter sur une autre partie pour le faire, soit parce qu'elle avait le droit de les réclamer à cette autre partie ou d'être indemnisée par celle-ci si elle était contrainte de les payer elle-même. Cette obligation n'est pas celle qui est visée par le principe; à mon avis, son absence ne saurait empêcher une partie qui a eu gain de cause d'avoir droit aux dépens entre par-
ties. (Voir: Adams v. London Improved Motor Coach Builders, [1921] 1 K.B. 495 (C.A.); Armand v. Carr, [1927] R.C.S. 348, à la page 350; Broderick v. Fierro, [1933] 1 D.L.R. 476 (C.S. Ont.)). Le fait que la société britannique ait mené la barque dans les faits et ait payé les mémoires de frais n'a, à mon sens, aucune espèce d'importance.
Selon moi, l'objection de l'intimée reposait sur une interprétation erronée de l'obligation qui doit exister pour qu'une partie ait droit à ses frais. Elle n'était manifestement pas fondée. Je suis donc d'avis d'accueillir l'appel, d'annuler l'ordonnance contestée rendue par la Section de première ins tance et de rétablir le certificat du protonotaire en date du 1" août 1989.
LE JUGE MACGWGAN, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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