A-2-89
Alan Tyler (appelant)
c.
Le ministre du Revenu national (intimé)
RÉPERTORIÉ: TYLER c. M.R.N. (C.A.)
Cour d'appel, juges Pratte, Hugessen et Stone,
J.C.A.—Toronto, 3 octobre; Ottawa, 19 novembre
1990.
Impôt sur le revenu — Pratique — Appel contre le rejet de
la demande visant à faire interdire la sommation de produire
des renseignements en application de l'art. 231.2(1)a) de la Loi
de l'impôt sur le revenu — L'appelant est poursuivi pour
importation et trafic de stupéfiants — Revenu Canada exigeait
la production des états signés des frais, de l'actif (y compris
les biens pour la possession desquels l'appelant est accusé) et
du passif — L'appelant objecte que ces renseignements pour-
raient servir de preuve à son détriment dans les poursuites au
criminel — Appel accueilli — Le fait de communiquer les
états signés à la police alors que des poursuites au criminel
sont pendantes constitue une infraction à l'art. 7 de la Charte.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Appel contre le rejet de la demande visant à faire
interdire au ministre du Revenu national d'exiger des rensei-
gnements sur l'actif (y compris les biens pour la possession
desquels l'appelant est accusé) alors que les poursuites enga
gées contre l'appelant pour importation et trafic de stupéfiants
sont pendantes — Appel accueilli — L'art. 7 de la Charte
prévoit une protection résiduelle en sus de celle des art. 8 à 14
— La communication des renseignements à la police alors que
les poursuites sont pendantes reviendrait à priver l'intéressé de
son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne —
Violation du principe de justice fondamentale (droit de l'ac-
cusé de garder le silence).
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Le juge de première instance a rejeté
la demande visant à faire interdire au ministre d'exiger des
renseignements financiers sous le régime de l'art. 231.2(1)a) de
la Loi de l'impôt sur le revenu — L'art. 8 de la Charte n'a pas
été enfreint puisque l'action était raisonnable — L'art. 11c)
n'a pas été enfreint — Protection contre le témoignage forcé de
l'«inculpé» — Les poursuites au criminel n'ont aucun rapport
avec les infractions en matière d'impôt sur le revenu.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Recours —
L'art. 7 de la Charte est enfreint si les renseignements relatifs
aux biens pour la possession desquels l'appelant est accusé,
lesquels renseignements étaient exigés par Revenu Canada en
application de l'art. 231.2(1)a) de la Loi de l'impôt sur le
revenu, sont communiqués à la police alors que la poursuite
pour importation et trafic de stupéfiants est pendante — Une
infraction éventuelle à la Charte peut faire l'objet d'une répa-
ration prévue à l'art. 24 pour prévenir une injustice fondamen-
tale dans le système de justice pénale.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limita-
tive — La question de la constitutionnalité de l'art. 241(3) de
la Loi de l'impôt sur le revenu ne pourrait être soulevée pour
la première fois en appel — Le ministre subirait un préjudice
s'il lui incombait de démontrer que l'art. 293(1) était justifia
ble au regard de l'art. 1 de la Charte, sans pouvoir citer le
contexte législatif à l'appui.
Il s'agit d'un appel contre un jugement de première instance
qui a rejeté la demande visant à faire interdire à l'intimé
d'exiger des renseignements en application de l'alinéa
231.2(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu et de les commu-
niquer à qui que ce soit, et à l'obliger à restituer les renseigne-
ments et documents déjà obtenus de cette façon. En 1987,
l'appelant fut poursuivi pour importation et trafic de stupé-
fiants de 1982 à 1987, en violation de la Loi sur les stupéfiants
et du Code criminel. Dans le cadre de l'enquête ouverte pour
déterminer si l'appelant avait déclaré l'intégralité de son revenu
pour ces années, Revenu Canada lui a signifié diverses «somma-
tions» en application de l'alinéa 231.2(1)a) pour exiger la
production, sous peine de poursuite, d'états signés de frais
personnels et frais de subsistance, de l'actif (y compris les biens
pour la possession desquels il est accusé) et du passif de ces
années. L'appelant soutient que ces renseignements pourraient
servir de preuve à son détriment dans les poursuites au crimi-
nel. Le juge de première instance a conclu que le paragraphe
231.2(1) n'avait pas été invoqué pour des fins n'ayant aucun
rapport avec l'application ou l'exécution de la Loi de l'impôt
sur le revenu. Il a jugé qu'il n'y avait pas violation des articles 7
(droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, auquel
il ne peut être porté atteinte qu'en conformité avec les principes
de justice fondamentale), 8 (protection contre les fouilles,
perquisitions ou saisies abusives), 11c) (droit de l'inculpé de ne
pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute
poursuite intentée pour l'infraction qu'on lui reproche), et 13
(droit du témoin à ce qu'aucun témoignage incriminant qu'il
donne ne soit utilisé contre lui dans d'autres procédures) de la
Charte. L'appelant soutient que le juge de première instance a
commis une erreur faute d'avoir conclu que les mesures prises
par le ministre visaient en partie à aider la GRC dans son
enquête, faute d'avoir conclu aux violations de la Charte, et
faute d'avoir conclu que le paragraphe 241(3) de la Loi de
l'impôt sur le revenu est inopérant. Le paragraphe 241(3)
exempte les poursuites au criminel de l'application des paragra-
phes (1) et (2) qui interdisent la divulgation des renseignements
obtenus aux fins d'application de la Loi de l'impôt sur le
revenu. L'appelant cherche à faire valoir que le paragraphe
241(3) va à l'encontre de la Charte, bien que cette question
n'ait pas été soulevée en première instance.
Arrêt: l'appel doit être accueilli.
La question de la constitutionnalité du paragraphe 241(3) ne
saurait être soulevée pour la première fois en appel. En règle
générale, la juridiction d'appel ne doit pas instruire un point
soulevé pour la première fois en appel, à moins qu'il ne soit
manifeste que, la question eût-elle été soulevée au moment
voulu, elle n'aurait pas été éclaircie. La Cour viendrait-elle à
conclure que le paragraphe 241(3) est inconstitutionnel, l'in-
timé subirait un préjudice car il lui incomberait de démontrer, à
la lumière de l'article premier de la Charte, s'il en était
capable, que cette disposition est justifiable, sans avoir eu la
possibilité de faire la preuve du contexte législatif à cet effet.
Il était loisible au juge de première instance de refuser de
conclure des faits que les renseignements recherchés par l'in-
timé étaient destinés à aider la police dans la poursuite au
criminel. Rien dans le dossier ne permet de penser que l'intimé
n'agissait pas aux seules fins d'application et d'exécution de la
loi de l'impôt.
Les droits de l'appelant garantis par l'article 8 ou l'alinéa
11c) de la Charte n'ont pas été violés. La Cour suprême a jugé
que l'action autorisée par la disposition remplacée depuis par le
paragraphe 231.2(1) était raisonnable et n'allait pas à l'encon-
tre de l'article 8 de la Charte. Le paragraphe 231.2(1) ne viole
donc pas l'article 8. Il n'y a pas eu violation de l'alinéa 11c)
puisque les accusations portées n'avaient rien à voir avec les
infractions à la Loi de l'impôt sur le revenu. La garantie de cet
alinéa est une protection contre le témoignage forcé de l'«in-
culpé». Il ne protègerait pas contre la communication des états
signés en cause à l'intimé ou à la police.
L'article 7 peut assurer une protection résiduelle au-delà des
garanties des articles 8 à 14 de la Charte. Les droits de
l'appelant garantis par l'article 7 de la Charte seraient violés en
cas de communication des états signés à la police alors que les
poursuites au criminel sont pendantes. La production forcée de
ces états reviendrait à le priver de son droit à la liberté et à la
sécurité de sa personne, et irait à l'encontre des principes de
justice fondamentale puisque l'inculpé serait privé de son droit
de garder le silence. Le droit pour l'inculpé de garder le silence
fait partie intégrante des postulats de base de notre droit et
constitue un principe de justice fondamentale. Ce qui est
important au regard de cette conclusion, c'est que les accusa
tions avaient été portées avant la date de la procédure engagée
en application de l'alinéa 231.2(1)a).
Le fait d'accorder une réparation convenable et juste au sens
de l'article 24 de la Charte ne constituerait pas une remise en
question à peine voilée de la constitutionnalité du paragraphe
241(3). Le pouvoir de garder par-devers soi ou de communi-
quer les états signés n'est pas prévu de façon impérative par ce
paragraphe; il s'agit d'un simple pouvoir administratif. L'action
de l'intimé est toute volontaire, n'ayant pas sa source dans un
pouvoir prévu au paragraphe 241(3). Celui-ci ne fait que lever
l'interdiction des paragraphes (1) et (2). La violation éventuelle
d'un droit garanti par la Charte peut, dans certains cas, faire
l'objet d'une mesure de réparation en vertu du paragraphe
24(1). Si aucune mesure de réparation n'est à la disposition de
l'appelant en l'espèce, son droit de garder le silence sera
compromis par la communication à la police de tout ou partie
des états signés tant que les poursuites au criminel sont pendan-
tes. Le pouvoir de prévenir pareille injustice fondamentale dans
notre système de justice pénale se trouve dans le paragraphe
24(1).
Le juge de première instance n'a pas commis une erreur en
concluant que l'article 241 n'interdit pas la communication des
états signés à la police.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 1, 7, 8,
l lc),d), 13, 24.
Code criminel, L.R.C. (1985), chap. C-46, art. 312.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7,
art. 18.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
1101a).
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148
(mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1), art. 231.2
(édicté par S.C. 1986, chap. 6, art. 121), 238(2) (mod.,
idem, art. 123), 239(1), 241(3) (mod. par S.C.
1980-81-82-83, chap. 68, art. 117; 1987, chap. 46, art.
68).
Loi sur les stupéfiants, L.R.C. (1985), chap. N-1, art.
4(1), 5(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Lamb v. Kincaid (1907), 38 R.C.S. 516; 27 C.L.T. 489;
Thomson v. Lambert, [1938] R.C.S. 253; [1938] 2
D.L.R. 545; (1938), 70 C.C.C. 78; MacKay c. Manitoba,
[1989] 2 R.C.S. 357; [1989] 6 W.W.R. 351; (1989), 61
Man. R. (2d) 270; R. c. Amway Corp., [1989] 1 R.C.S.
21; (1989), 56 D.L.R. (4th) 309; 33 C.P.C. (2d) 163; 68
C.R. (3d) 97; 37 C.R.R. 235; [1989] 1 C.T.C. 255; 91
N.R. 18; Canadian Bank of Commerce v. Attorney Gene
ral of Canada, [1962] R.C.S. 729; (1962), 35 D.L.R.
(2d) 49; 62 DTC 1236; R. c. McKinlay Transport Ltd.,
[1990] 1 R.C.S. 627; (1990), 76 C.R. (3d) 283; 106 N.R.
385; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des
enquêtes et recherches, Commission des pratiques res-
trictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425; (1990), 76
C.R. (3d) 129; R. v. Wooley (1988), 40 C.C.C. (3d) 531;
63 C.R. (3d) 333; 25 O.A.C. 390 (C.A. Ont.); Operation
Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1
R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R.
16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1; R. c. Vermette, [1988] 1
R.C.S. 985; (1985), 14 O.A.C. 161; 41 C.C.C. (3d) 523;
64 C.R. (3d) 82; 84 N.R. 296.
DÉCISION INFIRMÉE:
A. Tyler c. M.R.N., [1989] 1 C.T.C. 153; (1988), 88
DTC 5044; 24 F.T.R. 38 (C.F. 1« inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S.
486; (1985), 24 D.L.R. (4th) 536; [1986] 1 W.W.R. 481;
69 B.C.L.R. 145; 23 C.C.C. (3d) 289; 48 C.R. (3d) 289;
18 C.R.R. 30; 36 M.V.R. 240; 63 N.R. 266; R. c. Hebert,
[1990] 2 R.C.S. 151; Bowen c. Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration, [1984] 2 C.F. 507; (1984), 58 N.R. 223
(C.A.); Yri-York Ltd. c. Canada, [1988] 3 C.F. 186;
(1988), 30 Admin. L.R. 1; 16 F.T.R. 319; 83 N.R. 195
(C.A.); Kravets c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1985] 1 C.F. 434 (lie inst.).
AVOCATS:
Peter I. Waldmann pour l'appelant.
Roslyn J. Levine pour l'intimé.
PROCUREURS:
Golden, Green & Chercover, Toronto, pour
l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE, J.C.A.: Appel a été interjeté
d'un jugement rendu le 6 décembre 1988', par
lequel la Section de première instance a rejeté un
recours fondé sur l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7]. L'appelant
demandait qu'il fût interdit à l'intimé d'exiger, en
application de l'alinéa 231.2(1)a) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148,
modifiée [S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1; S.C.
1986, chap. 6, art. 121], des renseignements de la
part de l'appelant ou le concernant et de les com-
muniquer à qui que ce soit, et qu'il lui fût ordonné
de restituer les renseignements et documents déjà
obtenus de cette façon.
LES FAITS DE LA CAUSE
En juillet 1987, l'appelant et d'autres personnes
ont été poursuivis sous le chef d'avoir commis,
durant la période du ler octobre 1982 au 6 juin
1987, l'infraction d'importation et de trafic de
stupéfiant en violation des paragraphes 5(1) et
4(1) de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. (1985),
chap. N-1, et de l'article 312 du Code criminel
[L.R.C. (1985), chap. C-46], ainsi que d'avoir,
durant la même période, comploté pour avoir en
leur possession des biens immeubles ou meubles,
ou leur produit, d'une valeur supérieure à 1 000 $,
en sachant qu'ils provenaient, directement ou indi-
rectement, de la commission au Canada de l'in-
fraction de trafic de stupéfiant, en violation du
paragraphe 4(1) de cette Loi et de l'article 312 du
Code criminel.
Peu de temps après avoir été informé de cette
inculpation par un article de presse en date du 4
septembre 1987, le ministère du Revenu national a
ouvert une enquête pour déterminer si l'appelant
n'avait pas déclaré l'intégralité de son revenu les
années précédentes. Il a réexaminé les déclarations
d'impôt sur le revenu conservées dans ses archives
1 A. Tyler c. M.R.N., [1989] 1 C.T.C. 153.
ainsi que les documents saisis par la Gendarmerie
royale du Canada au cours de l'enquête criminelle
et mis à la disposition du ministère à cette fin. À la
demande de la GRC, le ministère lui a communi-
qué verbalement une estimation de l'avoir net de
l'appelant et, par la suite, un calcul provisoire de
l'avoir net, basé en partie sur les renseignements
communiqués par l'appelant au cours d'une entre-
vue avec le ministère. Dans les deux cas, le minis-
tère avait eu le bénéfice de l'avis du ministère de la
Justice.
Estimant qu'il avait besoin de plus de renseigne-
ments qu'il n'en avait reçu, Revenu Canada a
décidé alors de signifier à l'appelant diverses «som-
mations» en application de l'alinéa 231.2(1)a) de
la Loi de l'impôt sur le revenu, qui porte:
231.2 (1) Nonobstant les autres dispositions de la présente
loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour
l'application et l'exécution de la présente loi, par avis signifié à
personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger
d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis,
a) qu'elle fournisse tout renseignement ou tout renseigne-
ment supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou
une déclaration supplémentaire;
Sept «sommations» en date du 15 octobre 1987 ont
été signifiées le 2 novembre 1987. L'appelant était
sommé de s'y conformer dans les trente jours.
Plusieurs de ces sommations visaient à un «état
signé de vos frais personnels et de subsistance», et
d'autres à un «état signé de vos actif et passif» au
31 décembre des années 1983, 1984, 1985 et 1986.
Ce dernier état devait indiquer séparément cer-
tains éléments de l'actif et donner [TRADUCTION]
«tous les détails relatifs à tout autre élément d'actif
dont vous êtes propriétaire, que ce soit sous votre
nom ou sous le nom de quelqu'un d'autre» au 31
décembre de ces mêmes années. Chacune de ces
sommations se termine par l'avertissement suivant:
[TRADUCTION] Vous devez certifier ce renseignement comme
étant exact autant que vous puissiez en juger et le transmettre
au Bureau de district de l'impôt, 36, rue Adelaide est, Toronto
(Ontario) M5C 1J7.
Faute d'obtempérer, vous pourrez être poursuivi sans préavis.
Le paragraphe 238(2) de la Loi prévoit que l'inobservation de
cette obligation est punie soit d'une amende de 200 $ à
10 000 $, soit de cette amende et d'un emprisonnement maxi
mal de six mois. Par ailleurs, le paragraphe 231.2(7) prévoit
que le tribunal peut rendre l'ordonnance qu'il estime indiquée
pour faire respecter l'exigence de fourniture ou production
lorsqu'une personne est déclarée coupable d'infraction au para-
graphe 238(2) pour manquement à cette obligation'.
Il est manifeste que le requérant sera tenu par
ses états signés, et sous peine de poursuite, de
donner entre autres des détails exacts quant à
l'actif qu'il détenait pendant la période où les
infractions reprochées auraient été commises
(entre le ler octobre 1982 et le 6 juin 1987),
lesquels états devront comprendre les détails rela-
tifs aux biens supposés en sa possession, c'est-à-
dire, des «biens immeubles ou meubles, ou leur
produit, d'une valeur supérieure à mille dollars
(1 000,00 $), sachant qu'ils provenaient directe-
ment ou indirectement de la commission au
Canada de l'infraction de trafic de stupéfiant» en
violation du paragraphe 4(1) de la Loi sur les
stupéfiants.
L'appelant soutenait qu'il ne tenait à «fournir
aucun détail financier [par suite des sommations
fondées sur l'alinéa 231.2(1)a)] qui puisse servir
de preuve contre moi-même»' dans la poursuite au
criminel. En conséquence, le 26 novembre 1987, il
a saisi la Section de première instance du recours
suivant:
2 Dossier d'appel, vol. 1, p. 24 et 25. À la date des somma-
tions faites en application de l'alinéa 231.2(1 )a), savoir le 15
octobre 1987, voici les passages applicables du paragraphe
238(2) [mod par. S.C. 1986, chap. 6, art. 123] de la Loi:
238... .
(2) Quiconque a omis d'observer ou a enfreint ... les
articles 230 à 232 est coupable d'une infraction et, en plus de
tout autre peine prévue par ailleurs, est passible sur déclara-
tion sommaire de culpabilité
a) d'une amende d'au moins $200 et d'au plus $10,000, ou
b) à la fois de l'amende prescrite par l'alinéa a) et d'un
emprisonnement d'au plus 6 mois.
Le paragraphe 231.2(7) ancien de la Loi de l'impôt sur le
revenu porte:
231.2 ...
(7) Le tribunal peut rendre l'ordonnance qu'il estime
indiquée pour faire respecter l'exigence de fourniture ou
production prévue au paragraphe (1), lorsqu'une personne est
déclarée coupable d'infraction au paragraphe 238(2) pour
n'avoir pas obtempéré à cette exigence.
Ce paragraphe a été abrogé par L.C. 1988, chap. C-55, art.
174.
Aux termes du paragraphe 239(1), constitue une infraction
le fait de faire une déclaration fausse ou trompeuse.
3 Affidavit de l'appelant, Dossier d'appel, vol. I, p. 2.
[TRADUCTION] a) ordonnance de prohibition, ou ordonnance
de même nature, pour interdire à l'intimé, le ministre du
Revenu national, d'exiger, sous le régime de l'alinéa
231.2(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, des renseigne-
ments de la part du requérant ou le concernant, par ce motif
que le ministre ne l'a pas fait aux fins d'application ou
d'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu,
b) ordonnance enjoignant au ministre du Revenu national de
restituer tous documents ou renseignements concernant le
requérant et déjà obtenus en application de l'alinéa
231.2(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, et lui interdi-
sant d'en communiquer la teneur à qui que ce soit, et
Le 6 décembre 1988, la Section de première ins
tance a rejeté la demande avec dépens, le juge
Strayer ayant conclu que le paragraphe 231.2(1)
avait été invoqué à bon droit et qu'il n'y avait pas
lieu d'interdire la communication volontaire des
renseignements obtenus sous son régime aux
agents de police chargés de poursuivre des infrac
tions criminelles, à l'égard desquelles les accusa
tions avaient été déjà portées. Il a également rejeté
l'argument de l'atteinte aux droits de l'appelant,
tels qu'ils sont garantis par les articles 7, 8, 11d) et
13 de la Charte canadienne des droits et libertés
[qui constitue la partie I de la Loi constitution-
nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 44]].
LES POINTS LITIGIEUX
Les points litigieux dans cet appel, tels que les
fait valoir l'appelant, portent sur le fait que le juge
de première instance:
a) n'a pas tiré des faits la conclusion que les mesures prises
par l'intimé visaient en partie à aider la GRC, d'où invalidité
des sommations faites à l'appelant en application de la Loi de
l'impôt sur le revenu;
b) n'a pas conclu que les droits de l'appelant, tels que les
garantissent les articles 7, 8, 11c) et 11d) de la Charte des
droits et libertés, étaient enfreints par les actions de l'intimé,
et n'a pas accordé la réparation convenable conformément à
l'article 24 de la Charte^;
c) n'a pas conclu que le paragraphe 241(3) de la Loi de
l'impôt sur le revenu est inopérant au regard du paragraphe
52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
Il est aussi nécessaire d'examiner un autre argu
ment de l'appelant, savoir que le juge de première
instance a mal interprété le paragraphe 241(3) de
la Loi de l'impôt sur le revenu.
4 11 y a lieu de noter que l'appelant n'a présenté devant la
Cour aucun argument spécifique sur l'atteinte au droit garanti
par l'alinéa I ld) de la Charte.
ANALYSE
La constitutionnalité du paragraphe 241(3)
Je me penche en premier lieu sur le dernier des
points soulevés. Les paragraphes (1), (2) et (3) de
l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu
[mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 68, art. 117;
1987, chap. 46, art. 68] portent ce qui suit:
241. (1) Sauf comme l'autorise le présent article, aucun
fonctionnaire ni aucune personne autorisée ne doit
a) sciemment communiquer ni sciemment permettre que soit
communiqué à quiconque un renseignement obtenu par le
Ministre ou en son nom aux fins de la présente loi ou de la
Loi de l'impôt sur les revenus pétroliers, ni
b) sciemment permettre à quiconque d'examiner tout livre,
registre, écrit, déclaration ou autres documents obtenus par
le Ministre ou en son nom aux fins de la présente loi ou de la
Loi de l'impôt sur les revenus pétroliers, ou d'y avoir accès,
ni
c) sciemment utiliser, en dehors du cadre de ses fonctions
liées à l'application ou à l'exécution de la présente loi ou de
la Loi de l'impôt sur les revenus pétroliers, un renseignement
obtenu par le ministre ou en son nom pour l'application de la
présente loi ou de la Loi de l'impôt sur les revenus pétroliers.
(2) Nonobstant toute autre loi, aucun fonctionnaire ni
aucune personne autorisée ne doit être requise, dans le cas de
procédures judiciaires
a) de témoigner relativement à quelque renseignement
obtenu par le Ministre ou en son nom aux fins de la présente
loi ou de la Loi de l'impôt sur les revenus pétroliers, ni
b) de produire quelque livre, registre, écrit, déclaration ou
autres documents obtenus par le Ministre ou en son nom aux
fins de la présente loi ou de la Loi de l'impôt sur les revenus
pétroliers.
(3) Les paragraphes (1) et (2) ne s'appliquent ni aux pour-
suites au criminel, sur acte d'accusation ou sur déclaration
sommaire de culpabilité, engagées par le dépôt d'une dénoncia-
tion, en vertu d'une loi fédérale, ni aux poursuites ayant trait à
l'application ou à l'exécution de la présente loi ou de la Loi de
l'impôt sur les revenus pétroliers.
Bien que la question de la constitutionnalité du
paragraphe 241(3) n'ait pas été soulevée en pre-
mière instance, l'appelant a cherché à l'invoquer
devant la Cour. Après avoir formé l'appel, il a
déposé un «Avis de question d'ordre constitutionnel
fondé sur la Règle 1101» 5 en date du 3 avril 1990,
comme suit:
5 La Règle 1101a) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C.,
chap. 663] porte:
Règle 1101. Lorsqu'une question d'ordre constitutionnel
ou une question d'intérêt général se pose dans une affaire
dont la Cour est saisie,
a) toute partie peut signifier un avis au procureur général
du Canada ou au procureur général de toute province qui
peut être intéressée;
[TRADUCTION] Il est porté à votre connaissance que l'appe-
lant se propose de soulever la question de la constitutionnalité
du paragraphe 241(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu dans
l'appel susmentionné, en soutenant que cette disposition est
inopérante par application du paragraphe 52(1) de la Constitu
tion du Canada, et aussi qu'elle est inconstitutionnelle du fait
qu'elle porte atteinte aux droits de l'appelant, que garantissent
les articles 7, 8, 11c), 11d) et 13 de la Charte des droits et
libertés.
La Section de première instance n'ayant été
saisie que de l'interprétation du paragraphe 241(3)
et non pas de sa constitutionnalité, l'intimé s'op-
pose à ce que cette dernière question soit instruite
puisqu'elle a été soulevée pour la première fois en
appel. En règle générale, la juridiction d'appel ne
doit pas instruire un point soulevé de cette façon,
[TRADUCTION] «à moins qu'il ne soit manifeste
que, la question eût-elle été soulevée au moment
voulu, elle n'aurait pas été éclaircie (voir Lamb v.
Kincaid (1907), 38 R.C.S. 516, à la page 539, cité
par le juge en chef Duff dans Thomson v. Lam-
bert, [1938] R.C.S. 253, à la page 269).
Je conviens avec l'intimé qu'il pourrait subir un
certain préjudice si la Cour devait instruire cette
question qui n'a pas été soulevée en première
instance. Ce préjudice tiendrait à ce que, la Cour
viendrait-elle à faire droit à la conclusion de l'ap-
pelant que ce paragraphe est incompatible avec la
Charte, il incomberait à l'intimé de démontrer à la
lumière de l'article premier de cette dernière, s'il
en était capable, que cette disposition est justifia
ble dans une société libre et démocratique, bien
qu'il n'ait pas eu la possibilité de faire la preuve du
contexte législatif qui eût pu lui permettre de
satisfaire à l'impératif de l'article premier. Si les
preuves concernant cet article n'ont pas été produi-
tes en première instance, c'est que la question de la
constitutionnalité du paragraphe 241(3) n'y a pas
été soulevée.
L'importance que revêt l'existence des faits per-
tinents pour une décision relative à la Charte a été
récemment soulignée par la Cour suprême du
Canada dans son arrêt MacKay c. Manitoba,
[ 1989] 2 R.C.S. 357, conclusion du juge Cory aux
pages 361 et 362:
Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être
rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la
Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées.
La présentation des faits n'est pas, comme l'a dit l'intimé, une
simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon
examen des questions relatives à la Charte.... Les décisions
relatives à la Charte ne peuvent pas être fondées sur des
hypothèses non étayées qui ont été formulées par des avocats
enthousiastes.
La Cour suprême du Canada a également refusé
d'instruire une question relative à l'article 7, soule-
vée pour la première fois devant elle. Dans R. c.
Amway Corp., [1989] 1 R.C.S. 21, à la page 42, le
juge Sopinka s'est prononcé en ces termes:
À mon avis, compte tenu de l'importance de l'art. 7 de la
Charte, une décision concernant son application ne devrait pas
être rendue sans obtenir l'opinion des tribunaux d'instance
inférieure et sans accorder aux intervenants éventuels la possi-
bilité de participer aux procédures.
Dans ce contexte, je me prononce pour le refus
d'instruire la question de la constitutionnalité du
paragraphe 241(3) de la Loi de l'impôt sur le
revenu.
La question de l'inférence
Il appert que l'appelant conteste la conclusion
du juge de première instance, savoir que les rensei-
gnements visés par les «sommations» fondées sur
l'alinéa 231.2(1)a) n'étaient pas recherchés à la
demande de la GRC dans le cadre des poursuites
au criminel susmentionnées. Le juge de première
instance a rejeté la conclusion de l'appelant à ce
sujet, en qualifiant la preuve citée à l'appui de
«tissu d'insinuations» 6 . Il a expressément refusé de
conclure que la vérification d'impôt servait unique-
ment à la poursuite au criminel par ce motif
qu'elle avait été entreprise après que le ministère
eut été informé de cette poursuite. Je ne vois
aucune raison valide de remettre en question le
refus du juge de première instance de conclure que
les renseignements recherchés par l'intimé, par
voie de «sommations», étaient destinés aux poursui-
tes au criminel. Le distingué juge de première
instance a décidé que ces «sommations» visaient à
l'application et à l'exécution de la Loi de l'impôt
6 [1989] 1 C.T.C. 153, à la p. 156.
sur le revenu', et pareille appréciation relève par-
faitement de sa compétence. Il n'y a rien dans le
dossier qui permette de penser que l'intimé n'agis-
sait pas aux seules fins d'application et d'exécution
de la Loi dont s'agit.
La question des violations de la Charte
L'appelant soutient que la communication des
états signés à l'intimé ou à la police porterait
atteinte aux droits qu'il tient des articles 7, 8 et
11c) de la Charte et demande à la Cour de lui
accorder la réparation «convenable et juste» prévue
au paragraphe 24(1) de la Charte 8 . Il échet donc
d'examiner si, comme le prétend l'appelant, les
droits que lui garantissent les articles 7, 8 et 11c)
ont été violés et, dans l'affirmative, s'il a droit à la
réparation demandée en l'espèce.
Commençons par l'argument de l'appelant,
selon lequel il y a atteinte aux droits que lui
garantissent les articles 8 ou 11c). Cette approche
serait conforme à la jurisprudence qui a établi que
les droits garantis par les articles 8 à 14 de la
Charte sont couverts par le droit plus général que
prévoit l'article 7 (voir Renvoi: Motor Vehicle Act
de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, jugement de la
majorité rendu par le juge Lamer, aux pages 502
et 503; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada
(Directeur des enquêtes et recherches, Commission
sur les pratiques restrictives du commerce),
[1990] 1 R.C.S. 425, le juge Lamer, à la page 442,
Mme le juge Wilson, à la page 470, le juge La
Forest, aux pages 536 et 537, le juge L'Heureux-
Dubé, aux pages 570 et 571, le juge Sopinka, à la
' Comme l'a conclu le juge de première instance, l'arrêt
Canadian Bank of Commerce v. Attorney General of Canada,
[1962] R.C.S. 729, a jugé valide la recherche, fondée sur
l'alinéa 231.2(1)a), de renseignements qui se rapportent, de
façon toute objective, aux obligations fiscales d'une personne
déterminée comme l'appelant, dont les obligations fiscales font
l'objet d'une enquête, attendu qu'elle avait pour objet l'applica-
tion et l'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu. Voir aussi
R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, aux p.
639 et 640.
8 Le paragraphe 24(1) porte:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation
des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente
charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir
la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu
égard aux circonstances.
page 601). Ainsi donc, si nous en venions à con-
clure que le fait pour l'intimé d'exiger les états
signés ou de les communiquer à la police porte
atteinte à un droit garanti par l'article 8 ou l'alinéa
11c), il ne serait pas nécessaire d'examiner si un
droit garanti par l'article 7 est violé par la même
occasion.
La garantie de l'article 8
L'appelant soutient que le juge de première
instance a commis une erreur en concluant que
l'action autorisée par l'alinéa 231.2(1)a) de la Loi
de l'impôt sur le revenu ne constituait pas une
saisie au sens de l'article 8 de la Charte, que voici:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives.
Voici la conclusion tirée à ce propos par le juge de
première instance:
Il n'est pas question ici d'intrusion physique: le contribuable est
légalement requis de fournir les renseignements exigés mais,
avant de s'exécuter, il lui est loisible de contester, comme il le
fait en l'espèce, la validité de ces demandes'.
Je conviens qu'il faut rejeter l'argument de l'ap-
pelant. Dans R. c. McKinlay Transport Ltd.,
[1990] 1 R.C.S. 627, la Cour suprême du Canada
a jugé que l'action autorisée par le paragraphe
231(3) (remplacé depuis par le paragraphe
231.2(1)) était «raisonnable» et, partant, n'allait
pas à l'encontre de l'article 8. Cette jurisprudence
semble régler définitivement la question.
La garantie de l'alinéa 11c)
Je ne saurais conclure non plus qu'il y a en
l'espèce atteinte au droit garanti par l'alinéa 11 c),
lequel prévoit ce qui suit:
11. Tout inculpé a le droit:
c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même
dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction
qu'on lui reproche;
De l'avis du juge de première instance, l'appelant
... n'est manifestement pas contraint de fournir une réponse
«dans [une] poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on
lui reproche», selon les exigences de l'alinéa 11c) de la Charte.
La vérification fiscale ne porte en effet sur aucune infraction.
La protection qu'offrait la common law contre le témoignage
9 [1987] 1 C.T.C. 153, à la p. 160.
incriminant n'a jamais, antérieurement à la Charte, visé des
questions de cette nature, et depuis son adoption, l'alinéa 11c)
n'a pas non plus été interprété différemment 10
Si je comprends bien cette conclusion, l'appelant
ne peut se prévaloir de l'alinéa 11c) parce que la
poursuite dont il faisait l'objet ne portait pas sur le
défaut de déclarer un ou des revenus imposables et
de payer l'impôt y relatif sous le régime de la Loi
de l'impôt sur le revenu. Aucune «procédure» de ce
genre n'était en cours au moment considéré. Au
contraire, les accusations portées n'avaient, rien à
voir avec la Loi dont s'agit, mais se rapportaient
aux infractions réprimées par la Loi sur les stupé-
fiants et le Code criminel.
Il est généralement admis que la garantie de
l'alinéa 11c) est une protection contre le témoi-
gnage forcé de l'«inculpé». (Voir Thomson News
papers, op. cit., Mme le juge Wilson, à la page
481, et le juge Sopinka, à la page 601.) En consé-
quence, l'alinéa 11c) ne protègerait pas contre la
communication des états signés en cause à l'intimé
ou à la police. Bien qu'il ait fait certaines observa
tions à ce sujet, le juge de première instance a jugé
inutile de décider si l'appelant devait être consi-
déré comme un «témoin>".
La garantie de l'article 7
Il est ainsi nécessaire d'examiner l'argument
ultime que fonde l'appelant sur la Charte, savoir
que l'article 7 le protège contre la production des
états signés à l'intimé ou leur communication à la
police dans ce contexte. Cet article porte:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Le juge de première instance a décidé sans hésita-
tion que l'article 7 n'était d'aucun secours pour
l'appelant, en ces termes:
Ensuite, quant à l'article 7, je doute qu'il accorde une
protection procédurale additionnelle dans des domaines déjà
visés par les autres garanties juridiques figurant aux articles 8 à
14. L'avocat du requérant n'a assurément pas réussi à convain-
cre la Cour de l'existence en l'espèce d'une protection constitu-
tionnelle allant au-delà des garanties spécifiquement inscrites
dans la Charte dont il a déjà été question 12 .
10 Op. cit. à la p. 158.
" [1987] 1 C.T.C. 153, à la p. 158.
12 [1989] 1 C.T.C. 153, à la p: 160.
Il appert cependant que l'article 7 peut assurer
dans certains cas une protection résiduelle au-delà
des garanties des articles 8 à 14 de la Charte. On
peut citer à ce propos cette conclusion du juge La
Forest dans Thomson Newspapers, à la page 537:
Comme mes collègues, je suis prêt à reconnaître que l'art. 7 de
la Charte peut accorder, à tout le moins dans certains cas, aux
intérêts que le droit vise à protéger une protection résiduelle qui
va au-delà de la protection spécifique prévue par l'al. 11c) et
l'art. 13.
À mon avis, la production forcée de ces états,
qu'exigeait l'intimé en application de l'alinéa
231.2(1)a), reviendrait à priver l'appelant de son
droit à la liberté et à la sécurité de sa personne,
que garantit l'article 7. Cette approche serait con-
forme à l'analyse faite dans Thomson Newspapers
par Mme le juge Wilson, aux pages 459 à 461, le
juge La Forest, à la page 536, et le juge L'Heu-
reux-Dubé, aux pages 572 et 573.
Je conviens cependant que, en cas de vérification
d'impôt, cette atteinte ne constitue pas une viola
tion des principes de justice fondamentale. Dans
une vérification d'impôt proprement dite, il n'y a
ni suspect ni accusé. Il s'agit d'une procédure
entièrement administrative. (Voir par exemple R.
c. McKinlay, op. cit., le juge La Forest, à la page
650.)
Il reste à décider si l'atteinte au droit à la liberté
et à la sécurité de sa personne serait en conformité
avec les principes de justice fondamentale, étant
donné que des poursuites au criminel intentées
sous le régime d'autres lois fédérales sont pendan-
tes. À mon avis, toute communication des états
signés à la police dans ces conditions reviendrait à
«enrôler» l'appelant contre lui-même dans les pour-
suites en cours, en violation des principes de justice
fondamentale en ce que pareille action le priverait
de son droit, en sa qualité d'inculpé, au silence.
Le droit pour l'inculpé de garder le silence a été
reconnu comme un principe fondamental de notre
système de droit et, partant, un principe de justice
fondamentale. Je m'inspire à ce sujet de plusieurs
jurisprudences, dont R. v. Woolley (1988), 40
C.C.C. (3d) 531 (C.A. Ont.), motifs prononcés par
le juge Cory (qui siégeait à l'époque à la Cour
d'appel de l'Ontario), à la page 539:
[TRADUCTION] L'article 7 de la Charte prévoit que personne
ne peut être privé de sa liberté si ce n'est en conformité avec les
principes de justice fondamentale. Ces principes fondamentaux
font partie des postulats de base de notre système de droit.
Celui-ci a toujours eu pour postulat qu'un suspect ou accusé a
le droit de garder le silence lors de l'enquête criminelle et au
procès. À tout le moins, il est clair qu'un inculpé n'est tenu à
aucune obligation légale de parler aux autorités de la police et
que la police n'a aucun pouvoir légal d'obliger l'inculpé à
parler: voir, par exemple, R. v. Esposito (1985), 24 C.C.C. (3d)
88, page 94, 53 O.R. (2d) 356, page 362, 49 C.R. (3d) 193, pp.
200-1 (C.A.); autorisation de pourvoi en Cour suprême du
Canada refusée le 24 février 1986, voir C.C.C. & O.R. loc. cit.,
65 N.R. 224n; R. v. Manninen ( 1983), 8 C.C.C. (3d) 193, page
199, 3 D.L.R. (4th) 541, 48 O.R. (2d) 731 (C.A. Ont.).
Le droit de garder le silence est un principe bien établi qui
fait partie intégrante des postulats de base de notre droit depuis
des générations.
Dans Thomson Newspapers, le juge Sopinka s'est
prononcé en ces termes, à la page 599:
Le droit de garder le silence constitue le fondement de la
non-contraignabilité d'un accusé à témoigner à son procès, mais
ce n'est pas uniquement à la barre des témoins qu'on peut s'en
prévaloir. Dans l'arrêt R. v. Esposito (1985), 24 C.C.C. (3d) 88
(C.A. Ont.), à la p. 94, le juge Martin de la Cour d'appel
précise la portée de ce droit:
[TRADUCTION] Le droit d'un suspect ou d'un accusé de
garder le silence est profondément enraciné dans notre tradi
tion juridique. Dans le processus criminel, le droit en ques
tion produit ses effets tant à l'étape de l'enquête qu'à celle du
procès.
On peut citer aussi cette conclusion du juge La
Forest, à la page 537:
... le privilège ou le droit de ne pas s'incriminer, que l'on
désigne parfois comme le droit de garder le silence, fait partie
intégrante des principes de justice fondamentale dans notre
système judiciaire.
et à la page 540:
Je suis d'accord avec le juge Sopinka que le droit de l'accusé de
garder le silence doit s'étendre au-delà du procès lui-même,
mais je ne crois pas qu'il doive s'étendre à ceux qui sont
contraints de témoigner dans une procédure comme celle que
prévoit l'art. 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions.
À mes yeux, la communication à la police des
renseignements forcés alors que les poursuites au
criminel sont en instance, reviendrait à priver l'ap-
pelant de son droit de garder le silence, en viola
tion des principes de justice fondamentale ".
Je tiens à faire encore deux observations à ce
propos. En premier lieu, la Cour n'est pas saisie en
l'espèce de la question de l'admissibilité lors de
procédures subséquentes des preuves dont la pro
duction a été forcée, notamment en application de
la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette question n'a
tout simplement pas été soulevée. En second lieu,
ce qui est important au regard de ma conclusion
que la communication à la police des renseigne-
ments obtenus de force reviendrait à priver l'appe-
lant de son droit de garder le silence, c'est que les
accusations fondées sur les autres textes fédéraux
avaient été portées avant la date de la procédure
engagée en application de l'alinéa 231.2(1)a). La
question ne s'est pas posée en appel de savoir si le
résultat serait différent au cas où les accusations
auraient été portées après cette date.
La réparation en vertu de la Charte
Il reste à examiner si, eu égard aux faits de la
cause, il est loisible à la Cour d'accorder la répara-
tion «convenable et juste» au sens de l'article 24 de
la Charte. Je dois me demander tout d'abord si le
fait d'accorder pareille réparation ne constituerait
pas en fait une remise en question à peine voilée de
la constitutionnalité du paragraphe 241(3) lui-
même alors que, comme je l'ai fait remarquer,
cette question n'a pas été proprement soulevée en
l'espèce. Il n'en est rien à mes yeux. Le pouvoir de
garder par-devers soi ou de communiquer les états
signés n'est pas prévu de façon impérative par
cette disposition; il s'agit au contraire d'un simple
pouvoir administratif. L'action de l'intimé est
toute volontaire, n'ayant pas sa source dans un
véritable pouvoir issu du paragraphe 241(3).
Celui-ci ne fait que lever l'interdiction des para-
graphes (1) et (2) qui, du coup, ne s'appliquent «ni
aux poursuites au criminel, sur acte d'accusation
ou sur déclaration sommaire de culpabilité, enga
gées par le dépôt d'une dénonciation, en vertu
d'une loi fédérale, ni aux poursuites ayant trait à
l'application ou à l'exécution de la présente Loi ou
de la Loi de l'impôt sur les revenus pétroliers.»
3 Le droit de garder le silence en vertu de l'art. 7 de la
Charte, qui s'entend également de l'importance qu'il y a à
interdire aux pouvoir publics de priver un accusé de son choix
d'insister là-dessus, a été tout récemment analysé par la Cour
suprême du Canada dans un arrêt qui n'a pas été cité en
l'espèce, R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151.
Je dois aussi me demander si la contravention
éventuelle à la Charte est telle que la Cour est
justifiée d'accorder la réparation visée au paragra-
phe 24(1). Les tribunaux, dont les deux divisions
de la Cour fédérale, ne sont pas unanimes sur ce
point. Certaines jurisprudences établissent en fait
que la réparation ne peut être accordée que si
l'atteinte a déjà eu lieu (voir, par exemple, Bowen
c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1984] 2 C.F. 507 (C.A.); Yri-York Ltd. c.
Canada (Procureur général), [1988] 3 C.F. 186
(C.A.), alors que d'autres sont parvenues à la
conclusion contraire. (Voir, par exemple, Kravets
c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1985] 1 C.F. 434 (i fe inst.)).
Bien que la Cour suprême ne se soit pas encore
prononcée de façon définitive en la matière, il me
semble à la lumière des arrêts qu'elle a rendus à ce
jour, qu'une violation éventuelle de la Charte peut,
dans certains cas, faire l'objet d'une mesure de
réparation en vertu du paragraphe 24(1). Par
exemple, dans Operation Dismantle Inc. et autres
c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441 (non
cité dans Yri-York), le juge en chef Dickson,
prononçant les motifs du jugement de la majorité,
a tiré cette conclusion, à la page 456: «Personne,
qu'il s'agisse du gouvernement ou d'une personne
privée, ne saurait être tenu responsable en droit
d'un acte à moins que ce dernier ne porte atteinte
à des garanties juridiques ou ne menace de le
faire»; et, à la page 486, Mme le juge Wilson a
souligné la nécessité d'«établir à tout le moins qu'il
y a menace de violation, sinon violation réelle».
Plus récemment, l'arrêt R. c. Vermette, [1988] 1
R.C.S. 985 (postérieur à l'arrêt Yri-York), s'ap-
puyant sur Operation Dismantle, illustre encore
davantage la volonté de la Cour suprême du
Canada de donner une interprétation plus libérale
' du pouvoir de réparation prévu au paragraphe
24(1). Dans le jugement rendu au nom de la Cour,
le juge La Forest constate, à la page 992, que cette
réparation est possible
... non seulement dans le cas d'une violation réelle des droits
garantis, mais aussi quand un requérant peut démontrer qu'il y
a menace d'une telle violation.
J'estime que, si aucune mesure de réparation
n'est à la disposition de l'appelant en l'espèce, son
droit de garder le silence sera compromis par la
communication à la police de tout ou partie des
états signés tant que les poursuites au criminel sont
pendantes. Le pouvoir de prévenir pareille injustice
fondamentale dans notre système de justice pénale
se trouve, je pense, dans le paragraphe 24(1).
L'interprétation de l'article 241
J'en viens à la dernière question de fond soule-
vée par l'appelant. Il soutient que le distingué juge
de première instance a commis une erreur en
concluant que les paragraphes 241(1), (2) et (3)
de la Loi de l'impôt sur le revenu, correctement
interprétés, n'interdisaient pas la communication
des états signés à la police. A mon avis, le distin-
gué juge de première instance a eu parfaitement
raison de rejeter cet argument. J'aurais fait de
même, et par les mêmes motifs que ceux qu'il a
prononcés.
SOMMAIRE
En résumé, le distingué juge de première ins
tance: a) n'a pas commis une erreur en refusant de
conclure des faits que les mesures prises par l'in-
timé visaient en partie à venir en aide à la GRC;
b) n'a pas commis une erreur en concluant qu'il
n'y avait pas atteinte aux droits de l'appelant, que
garantit l'article 8 ou l'alinéa 11c) de la Charte; c)
a commis une erreur pour ne pas avoir conclu que
le droit de l'appelant de garder le silence en vertu
de l'article 7 de la Charte pourrait être violé par la
communication à la GRC des états signés requis
en application de l'alinéa 231.2(1)a) de la Loi de
l'impôt sur le revenu à quelque moment que ce soit
tant que les poursuites au criminel sont pendantes,
et pour ne pas avoir conclu que cette communica
tion devrait être interdite; d) n'a pas commis une
erreur dans son interprétation des paragraphes
241(1),(2) et (3) de la Loi de l'impôt sur le
revenu, ou pour ne pas avoir déclaré le paragraphe
241(3) inopérant, attendu que la constitutionnalité
de cette disposition n'était pas contestée en pre-
mière instance.
DÉCISION
Par ces motifs, je me prononce pour l'accueil de
l'appel avec dépens devant cette Cour et en pre-
mière instance, pour l'infirmation du jugement
rendu le 6 décembre 1988 par la Section de pre-
mière instance, et pour la délivrance d'une ordon-
nance interdisant à l'intimé de communiquer à la
Gendarmerie royale du Canada ou à qui que ce
soit d'autre tout ou partie des états signés que
l'intimé a exigés de l'appelant par «sommations»
faites le 15 octobre 1987 en application de l'alinéa
231.2(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, à
quelque moment que ce soit tant que les accusa
tions portées contre l'appelant en application des
paragraphes 4(1) et 5(1) de la Loi sur les stupé-
fiants et de l'article 312 du Code criminel sont
encore pendantes.
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Je souscris aux
motifs ci-dessus.
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