A-993-90
A-222-91
Joseph Orelien et Marie Aurelien (requérants)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(intimé)
RÉPERTORIÉ' ORELlEN C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Stone,
J.C.A.—Winnipeg, 6 et 7 novembre; Ottawa, 22
novembre 1991.
Immigration — Statut de réfugié — Un arbitre et un membre
de la section du statut ont conclu que les revendications du
statut de réfugiés au sens de la Convention des requérants
n'avaient pas un minimum de fondement — Les requérants ne
se sont pas conformés aux avis d'interdiction de séjour — Des
mesures d'expulsion ont été prises après la seconde enquête —
Les moyens des requérants se fondent sur la Charte, la Décla-
ration des droits, le droit international et le bien-fondé de l'af-
faire — Étude de l'économie des art. 46(2) et 46.01 de la Loi
sur l'immigration — Le demandeur a l'obligation de prouver
le minimum de fondement de sa revendication — Distinction
faite entre les premier et second paliers d'audience — L'art.
46(2) de la Loi sur l'immigration n'est pas incompatible avec
l'art. 7 de la Charte et ni avec l'art. 2e) de la Déclaration des
droits — Le tribunal n'a pas mentionné les questions que l'art.
46.01(6) lui impose de considérer.
Les requérants, tous deux Haïtiens, ont fait l'objet d'avis
d'interdiction de séjour après qu'un arbitre et un membre de la
section du statut de réfugié aient conclu que leurs revendica-
tions du statut de réfugiés au sens de la Convention n'avaient
pas un minimum de fondement. Comme les requérants ne se
sont pas conformés aux avis d'interdiction de séjour, une autre
enquête a été tenue au terme de laquelle on a conclu qu'ils
n'étaient pas admissibles à présenter de nouvelles revendica-
tions du statut de réfugié au sens de la Convention, et des
mesures d'expulsion ont été prises. Ces décisions et ordon-
nances ont fait l'objet de demandes fondées sur l'article 28 de
la Loi sur la Cour fédérale visant à obtenir la révision de la
décision concluant au manque d'un minimum de fondement
des revendications et l'annulation des mesures d'expulsion. La
légalité des mesures d'expulsion dépend de la légalité des avis
d'interdiction de séjour, laquelle dépend à son tour de la léga-
lité de la décision initiale concluant à l'absence d'éléments cré-
dibles sur lesquels la section du statut pouvait se fonder pour
reconnaître aux requérants le statut de réfugiés au sens de la
Convention. Les moyens des requérants se fondaient sur 1) la
Charte canadienne des droits et libertés et la Déclaration
canadienne des droits 2) le droit international et 3) le bien-
fondé de l'affaire.
Arrêt: les demandes devraient être accueillies.
1) La revendication du statut de réfugié au sens de la Con
vention fait entrer en jeu l'alinéa 2e) de la Déclaration cana-
dienne des droits ou l'article 7 de la Charte canadienne des
droits et libertés. Les requérants affirment que ces dispositions
ont été violées à cinq égards différents par ce qui suit: i) la
participation d'un arbitre, ii) le rôle d'adversaire de l'agent
chargé de présenter le cas, iii) le fardeau de la preuve, iv) la
faculté de nier le minimum de fondement de la revendication
et v) le caractère suffisant du contrôle judiciaire.
i) On a fait valoir que l'arbitre, étant un juge de l'immigra-
tion, a tendance à considérer les demandeurs comme une
menace à l'intégrité de l'économie de la Loi sur l'immigration.
La conclusion préliminaire de l'arbitre que, ne serait-ce de la
revendication du statut de réfugié au sens de la Convention,
une personne n'aurait pas le droit d'entrer au Canada ou d'y
demeurer ne préjuge nullement de la validité de la revendica-
tion du statut de réfugié. La partialité institutionnelle de l'ar-
bitre n'est pas inhérente à l'économie de la Loi. Aucune
preuve ne donne créance à l'existence de la partialité institu-
tionnelle. La reconnaissance du droit des authentiques réfugiés
au sens de la Convention de demeurer au Canada fait tout
autant partie de l'économie de la Loi que toute autre chose sur
laquelle les arbitres peuvent avoir à se prononcer. ii) Le para-
graphe 200 du Guide des procédures et critères à appliquer
pour déterminer le statut de réfugié, qui dit que l'examinateur
doit mettre le demandeur en confiance, n'envisage pas un pro-
cessus de sélection de type accusatoire. C'est l'avocat du
demandeur et non l'agent chargé de présenter le cas qui, selon
l'économie de la Loi, doit mettre le demandeur en confiance et
l'aider à exposer son cas. La procédure de type accusatoire ne
comporte rien d'essentiellement contraire à la justice fonda-
mentale. Le rôle d'adversaire de l'agent chargé de présenter le
cas au premier palier d'audience ne nuit à aucun droit accordé
au demandeur de statut par l'article 7 de la Charte ou l'alinéa
2e) de la Déclaration canadienne des droits; iii) Selon le para-
graphe 46(2) de la Loi, le demandeur de statut doit prouver que
sa revendication est recevable par la section du statut de réfu-
gié et qu'elle a un minimum de fondement. Les requérants
affirment que cette obligation constitue un déni de justice fon-
damentale. Ils ne font toutefois aucune distinction entre le pre
mier et le second paliers d'audience. A ce dernier palier, où il
s'agit de décider si le demandeur est réellement un réfugié au
sens de la Convention, la section du statut soupèse les éléments
de preuve, et il y a place au bénéfice du doute. Tout ce qu'a à
faire le premier palier, c'est de déterminer s'il existe des élé-
ments crédibles ou dignes de foi sur lesquels la section du sta-
tut, au second palier, peut se fonder pour reconnaître au
demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention. Il ne
s'agit pas à ce stade de soupeser des éléments de preuve con-
tradictoires et il n'y a pas place au bénéfice du doute. Il
n'existe aucune incompatibilité entre le paragraphe 46(2) de la
Loi et la Charte ou la Déclaration des droits. iv) Les requérants
font valoir que puisque la conclusion selon laquelle la revendi-
cation du statut de réfugié au sens de la Convention n'a pas un
minimum de fondement prive le demandeur de statut de son
droit de demeurer au Canada en attendant le contrôle judi-
ciaire, une conclusion défavorable constitue nécessairement un
déni du droit à un procès équitable en conformité avec les prin-
cipes de justice naturelle. Il ne n'agit pas là réellement de la
contestation du pouvoir du premier palier d'audience de con-
clure à l'absence du minimum de fondement de la revendica-
tion; il s'agit d'une attaque dirigée contre les conséquences
possibles de cette conclusion. L'arbitre a correctement décidé
qu'il n'était pas habilité à ordonner qu'il soit permis aux
requérants de demeurer au Canada en attendant le contrôle
judiciaire. Il appartient à la Cour de déterminer s'il y a lieu de
surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion à cette fin.
L'argument selon lequel la faculté du premier palier d'au-
dience de conclure à l'absence d'éléments crédibles et dignes
de foi sur lesquels la section du statut peut se fonder pour
reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la
Convention, et la faculté résultante de l'arbitre d'ordonner
l'expulsion sont incompatibles avec l'alinéa 2e) de la Déclara-
tion des droits, n'a aucun bien-fondé. v) Selon l'alinéa 28(1)c)
de la Loi sur la Cour fédérale, cette Cour ne peut annuler la
décision concluant à l'absence d'un minimum de fondement
que si le tribunal qui l'a rendue a fondé sa décision sur une
conclusion de fait erronée et s'il a tiré celle-ci de façon abusive
ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont
il disposait. La prétention des requérants voulant que le con-
trôle judiciaire ait là une assise trop étroite pour satisfaire aux
exigences de la justice fondamentale ne concerne aucune des
questions dont est saisie la Cour dans le cadre des présentes
demandes.
2) On affirme que l'audience sur le minimum de fondement
viole les obligations du Canada aux termes de la Quatrième
Convention de Genève et du Protocole II des Conventions de
Genève et la règle habituelle du refuge temporaire. Ces lois et
instruments internationaux ont force de loi interne au Canada
et ils peuvent être mis à exécution par les tribunaux canadiens
sur demande d'un particulier. Toutefois, l'obligation ou l'in-
tention d'exécuter une mesure d'expulsion qui violerait les lois
susmentionnées ne vicie nullement, d'une part, le processus
prévu par la Loi sur l'immigration, en vertu duquel la revendi-
cation du statut de réfugié au sens de la Convention d'une per-
sonne venant d'un pays comme Haïti peut être considérée
comme dépourvue d'un minimum de fondement, et d'autre
part, la prise d'une mesure d'expulsion consécutive à cette
conclusion. Ces questions ne sont pas des matières dont doi-
vent se préoccuper le premier palier d'audience ou l'arbitre
seul lorsqu'ils rendent leur décision ou prennent une mesure
d'expulsion, ni cette Cour lorsqu'elle en fait la révision.
3) Les requérants ont prétendu que le tribunal a mal compris
leur moyen, et ils ont insisté pour dire que tous les Haïtiens à
l'extérieur de Haïti peuvent revendiquer avec un minimum de
fondement la qualité de réfugiés. Il ne va pas de soi que les
nationaux d'un pays qui ont fui ce dernier ne puissent pas
craindre avec raison d'être persécutés du fait de leur nationalité
s'ils étaient renvoyés dans ce pays. Le dossier contient de nom-
breux éléments de preuve relatifs aux conditions existantes à
Haïti. Le tribunal n'a nullement fait mention des questions
qu'il doit expressément examiner aux termes des alinéas a) et
b) du paragraphe 46.01(6). Étant donné la formulation erronée
par le tribunal du moyen fondé sur la nationalité, on ne doit pas
présumer que les éléments de preuve ont été considérés de
façon appropriée. Rien ne distingue la prétention des requé-
rants d'être persécutés du fait de leur appartenance à ce groupe
social particulier de personnes pauvres et déshéritées, de leur
prétention d'être persécutés du fait de leur nationalité haïtienne
elle-même. Le premier palier d'audience a commis une erreur
en considérant la revendication des requérants selon son bien-
fondé comme il l'a fait.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 7.
Convention des Nations Unies relative au statut des réfu-
giés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. No 6.
Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appen-
dice III, art. 2e).
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-
77, chap. 33.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
28, 52.
Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), chap.
G-3, art. 2 (mod. par L.C. 1990, chap. 14, art. 1).
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 46(1),
(2) (mod. par L.R.C. (1985) (4° suppl.), chap. 28, art.
14), 46.01, 46.02 (mod. idem).
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12
Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Danson c.
Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086;
(1990), 73 D.L.R. (4th) 686; 43 C.P.C. (2d) 165; 112 N.R.
362; Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration) (1990), 74 D.L.R. (4th) 313; 12 Imm. L.R. (2d)
43 (C.A.F.); R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309; (1987), 44
D.L.R. (4th) 193; 37 C.C.C. (3d) 1; 61 C.R. (3d) 1; 80
N.R. 161.
DECISIONS EXAMINÉES:
MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856; (1985), 22
D.L.R. (4th) 119; 16 Admin. L.R. 109; 6 C.H.R.R.
D/3064; 85 CLLC 17,023; 18 C.R.R. 165; 62 N.R. 117
(C.A.); Conseil canadien des Églises c. Canada, [1990] 2
C.F. 534; (1990), 106 N.R. 61 (C.A.).
DECISIONS CITÉES:
Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673; (1985),
52 O.R. (2d) 779; 24 D.L.R. (4th) 161; 23 C.C.C. (3d)
193; 49 C.R. (3d) 97; 19 C.R.R. 354; 37 M.V.R. 9; 64
N.R. 1; 14 O.A.C. 79; Mohammad c. Canada (Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 363; 0988),
55 D.L.R. (4th) 321; 21 F.T.R. 240 (note); 91 N.R. 121
(C.A.).
DOCTRINE
Canada, Commission de l'immigration et du statut de
réfugié—Système de reconnaissance du statut de réfu-
gié.
Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
Guide des procédures et critères à appliquer pour
déterminer le statut de réfugié au regard de la Conven
tion de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut
des réfugiés, Genève, septembre 1979.
Paciocco, David M. Charter Principles and Proof in Cri-
minai Cases, Toronto: Carswell, 1987.
Perluss, Deborah and Hartman, Joan F. «Temporary
Refuge: Emergence of a Customary Norm» (1986), 26
Virg. J1, Int'l Law 551.
AVOCATS:
David Matas pour les requérants.
Gerald L. Chartier et Brian H. Hay pour l'in-
timé.
PROCUREURS:
David Matas, Winnipeg, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in-
timé.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Les requérants, mari et
femme, sont Haïtiens. Un arbitre et un membre de la
section du statut ont conclu que leurs revendications
du statut de réfugiés au sens de la Convention
n'avaient pas un minimum de fondement, après quoi
l'arbitre leur a donné un avis d'interdiction de séjour.
Voilà les décisions et ordonnances qui font l'objet de
la demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour
fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7] portant le numéro
de greffe A-993-90.
Les requérants ne se sont pas conformés aux avis
d'interdiction de séjour. Une autre enquête a été
ordonnée. On a conclu que les requérants n'étaient
pas admissibles à présenter de nouvelles revendica-
tions du statut de réfugié au sens de la Convention et
des mesures d'expulsion ont été prises. Il s'agit des
décisions et ordonnances qui font l'objet de la
demande fondée sur l'article 28 portant le numéro de
greffe A-222-91.
Étant donné l'alinéa 46.01(1)f) de la Loi sur l'im-
migration', la décision consécutive à la seconde
enquête selon laquelle les revendications des requé-
rants n'étaient pas recevables ne peut être contestée.
Le caractère légal des mesures d'expulsion dépend
entièrement du caractère légal des avis d'interdiction
de séjour, lequel dépend entièrement, pour sa part, de
la légalité de la décision initiale concluant à l'absence
d'éléments crédibles sur lesquels la section du statut
pouvait se fonder pour reconnaître aux requérants le
statut de réfugiés au sens de la Convention.
Les requérants ont soulevé devant l'instance infé-
rieure et fait valoir devant nous des moyens que l'on
peut, pour des fins pratiques, réunir sous les
rubriques suivantes: (A) moyens fondés sur la Charte
et la Déclaration des droits; (B) moyens fondés sur le
droit international, et (C) moyens fondés sur le bien-
fondé de l'affaire.
Les moyens fondés sur la Charte et sur la Déclara-
tion des droits font tous valoir que l'audience portant
sur le minimum de fondement prévue au paragraphe
46(1) de la Loi n'offre pas aux requérants une audi
tion impartiale de leur cause, selon les principes de
justice fondamentale comme l'exige l'alinéa 2e) de la
Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985),
appendice III] et comme le garantit l'article 7 de la
Charte canadienne des droits et libertés [qui consti-
tue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du
Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob-
stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et
s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou
enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus
et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la
diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du
Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
L.R.C. (1985), chap. 1-2, modifié par L.R.C. (1985) (4e
suppl.), chap. 28, art. 14.
46.01 (1) La revendication de statut n'est pas recevable
par la section du statut si le demandeur se trouve dans l'une
ou l'autre des situations suivantes:
f) il est visé par un avis d'interdiction de séjour et n'a pas
encore quitté le Canada ou, l'ayant quitté en conformité
avec l'avis, n'a pas été légalement autorisé à entrer dans un
autre pays.
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de
sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la
définition de ses droits et obligations;
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Il ne fait aucun doute que l'une ou l'autre de ces dis
positions entre en jeu lorsqu'une personne reven-
dique le statut de réfugié au sens de la Convention 2 .
On soutient que ces dispositions sont violées par ce
qui suit:
1. La participation d'un arbitre à la décision relative
au minimum de fondement de la revendication.
2. La participation d'un agent chargé de présenter le
cas dans le rôle d'un adversaire à l'audience portant
sur le minimum de fondement, et particulièrement le
droit de cet agent de contre-interroger les deman-
deurs.
3. L'obligation pour le demandeur de prouver le
minimum de fondement de sa revendication et, en
tout état de cause, l'obligation qu'il a, au plan de la
preuve, d'établir ce minimum de fondement selon la
prépondérance des probabilités.
4. La faculté de nier que la revendication de la per-
sonne qui revendique le statut de réfugié a un mini
mum de fondement.
5. Les restrictions apportées par les articles 28 et 52
de la Loi sur la Cour fédérale 3 à la compétence de
cette Cour de modifier une décision ou ordonnance.
Dans un moyen fondé sur le paragraphe 3 mais qui
touchait aussi au droit international, on a avancé que
l'obligation de prouver le minimum de fondement de
la revendication violait les obligations du Canada aux
termes de la Convention des Nations Unies relative
au statut des réfugiés, et par conséquent la Loi sur
l'immigration elle-même aussi bien que la Charte et
la Déclaration des droits.
Dans leurs moyens fondés sur le droit internatio
nal, les requérants soutiennent que l'audience sur le
minimum de fondement viole les obligations du
2 Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1985] 1 R.C.S. 177.
3 L.R.C. (1985), chap. F-7.
Canada aux termes de la Quatrième Convention de
Genève du 12 août 1949 et du Protocole II des Con
ventions de Genève du 12 août 1949, tous deux
«approuvés» par des Lois du Parlement 4 , et la règle
coutumière du refuge temporaires. Selon ces moyens,
communs aux trois sources des obligations du
Canada sur le plan international, la conclusion défa-
vorable du premier palier d'audience pourrait entraî-
ner l'expulsion du demandeur en violation des obli
gations susmentionnées. Pour ce qui est du bien-
fondé des revendications, on a soutenu que le tribunal
a commis une erreur en concluant à l'absence d'élé-
ments crédibles sur lesquels la section du statut pou-
vait se fonder pour reconnaître aux requérants le sta-
tut de réfugiés au sens de la Convention du fait de
leur nationalité, de leur appartenance à un groupe
social ou de leurs opinions politiques.
A. Les moyens fondés sur la Charte et la
Déclaration des droits
1. La participation de l'arbitre
Le point essentiel de cet argument tient à ce que
l'arbitre est un juge de l'immigration, tenu principa-
lement de décider de l'admissibilité au Canada des
immigrés éventuels, ou du renvoi possible de ceux
qui sont déjà au pays. Selon la thèse avancée, les
réfugiés représentent une lacune du système en ce
sens que, en l'absence du statut de réfugié, ils pour-
raient ne pas répondre aux critères d'admissibilité et,
par conséquent, les arbitres ont tendance à considérer
les demandeurs du statut de réfugié comme une
menace à l'économie générale de la Loi sur l'immi-
gration. Cela revient à dire qu'il y a préjugé institu-
tionnel en raison des diverses fonctions attribuées aux
arbitres.
L'intimé soutient que cette thèse a été, par voie de
conséquence nécessaire, écartée par cette Cour dans
I' arrêt Mohammad c. Canada (Ministre de l'Emploi
et de l'Immigration) 6 lorsqu'elle a statué que l'écono-
mie de la Loi sur l'immigration de 1976 7 respectait
les critères énoncés dans l'arrêt Valente c. La Reine et
4 Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), chap.
G-3, art. 2, modifiée par L.C. 1990, chap. 14, art. 1.
5 Perluss and Hartman, «Temporary Refuge: Emergence of a
Customary Norm» (1986), Virg. il. Int'I Law 551.
6 [1989] 2 C.F. 363 (CA.).
7 S.C. 1976-77, chap. 52.
autres 8 , et que les arbitres constituaient des tribunaux
indépendants envisagés par les exigences de l'article
7 de la Charte. Les arbitres n'avaient aucun rôle au
sein du processus de détermination des réfugiés en
vertu de cette Loi; cependant, dans l'arrêt Conseil
canadien des Églises c. Canada 9 , parmi les nombreu-
ses questions soulevées se trouvait une requête en
radiation d'un acte de procédure visant à faire décla-
rer invalides ou sans effet un certain nombre de dis
positions de l'actuel régime législatif au motif que:
L'arbitre n'est pas indépendant et impartial, ce qui prive le
réfugié du droit à une audience équitable conformément aux
principes de justice fondamentale ...
En radiant l'acte de procédure, la Cour a statué
comme suit:
Cet argument a cependant été rejeté par cette Cour dans
Mohammad c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration....
Cette Cour ne peut pas raisonnablement être priée de réouvrir
la question de l'indépendance des arbitres un peu plus d'un an
après qu'elle s'est prononcée sur celle-ci.
Bien que la Cour n'ait pas, dans ses motifs, fait
expressément mention de l'impartialité institution-
nelle des arbitres, celle-ci était parfaitement en cause
et, me semble-t-il, il en aurait sûrement été fait men
tion si on en avait débattu. Je ne crois pas que l'on
puisse conclure avec assurance que la question a été
réglée.
L'affaire MacBain c. Ledernuzn 10 nous fournit un
exemple d'une crainte raisonnable de partialité, ou de
partialité institutionnelle, découlant d'un mélange de
fonctions; dans cette affaire, la Loi canadienne sur
les droits de la personnel [ , comme elle était alors
rédigée, autorisait la Commission canadienne des
droits de la personne à conclure qu'une plainte était
justifiée en se fondant sur une enquête tenue par une
personne qu'elle avait désignée, et ensuite à désigner
les membres du tribunal qui enquêteraient de nou-
veau sur la question, qui décideraient si la plainte
était justifiée et, le cas échéant, qui imposeraient des
peines et des sanctions. La conclusion préliminaire de
l'arbitre que, ne serait-ce de la revendication du statut
de réfugié au sens de la Convention, une personne
n'aurait pas le droit d'entrer au Canada ou d'y
8 [1985] 2 R.C.S. 673.
9 [1990] 2 C.F. 534 (C.A.) à la p. 555.
10 [1985] 1 C.F. 856 (C.A.).
11 S.C. 1976-77, chap. 33.
demeurer ne préjuge nullement, ni ne peut raisonna-
blement être considérée comme préjugeant, de la
validité de la revendication du statut de réfugié. La
partialité institutionnelle de l'arbitre n'est pas inhé-
rente à l'économie de la Loi.
Il n'existe pas un iota de preuve pour donner
créance à la thèse fondamentale des requérants selon
laquelle les arbitres ont tendance à considérer que les
demandeurs de statut de réfugié constituent une
menace pour l'économie générale de la Loi. Il n'y a
aucune raison pour qu'il en soit ainsi; la reconnais
sance du droit des authentiques réfugiés au sens de la
Convention de demeurer au Canada fait tout autant
partie de l'économie de la Loi que toute autre chose
sur laquelle les arbitres peuvent avoir à se prononcer.
On a statué que 12 :
En général, toute contestation relative à la Charte fondée sur la
prétention que les effets de la loi visée sont inconstitutionnels
doit être appuyée par une preuve recevable concernant les
effets contestés.
Le moyen des requérants est entièrement dénué de
fondement intellectuel probant et raisonnable.
2. Le rôle d'adversaire de l'agent chargé de
présenter le cas
En faisant valoir ce moyen, les requérants se fon-
dent particulièrement sur la phrase suivante du para-
graphe 200 du Guide des procédures et critères d
appliquer pour déterminer le statut de réfugié 13 :
200.... L'examinateur devra alors mettre le demandeur en
confiance pour l'amener à exposer clairement son cas et à
exprimer pleinement ses opinions et ses sentiments.
Les requérants assimilent l'agent chargé de présen-
ter le cas à l'examinateur, et ils soutiennent que son
rôle d'adversaire, particulièrement en ce qui concerne
le contre-interrogatoire, prive le demandeur de la jus
tice fondamentale exigée par la Déclaration des droits
et la Charte. On peut noter que le paragraphe 200
débute avec la phrase suivante:
200. Un examen approfondi des différentes méthodes d'éta-
blissement des faits dépasserait le cadre du présent Guide.
12 Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S.
1086, à la p. 1101.
13 Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés,
Genève, septembre 1979.
Il est évident que le paragraphe 200 n'envisage pas
un processus de sélection de type accusatoire.
Cette Cour a statué comme suit 14 :
... à l'étape du «minimum de fondement», le tribunal n'a pas
à faire de constatations de fait mais doit se limiter à déterminer
l'existence d'éléments crédibles ou dignes de foi à l'égard de
chacun des éléments nécessaires de la revendication, sur les-
quels la section du statut peut se fonder pour reconnaître à l'in-
téressé le statut de réfugié au sens de la Convention. Le rôle
principal du tribunal est d'analyser la crédibilité de la preuve.
Pour cela, il a le droit de tirer les conclusions qui sont néces-
saires à cette fin, par exemple en déterminant que l'intégralité
ou une partie de l'histoire d'un témoin n'est pas fiable parce
qu'elle n'est pas plausible ou que le témoin s'est contredit.
C'est un lieu commun de dire que le contre-interroga-
toire est un outil précieux dans la recherche de la
vérité et l'appréciation de la crédibilité. La remarque
suivante convient bien à l'espèce 15 :
[TRADUCTION] Le contre-interrogatoire est un moyen, et non
une fin en elle-même. On y recourt pour aider à démontrer le
crédit que l'on peut accorder aux témoignages.
Le pouvoir et l'obligation qu'a l'agent chargé de
présenter le cas de contre-interroger les demandeurs
ne doivent pas être isolés des autres dispositions de la
Loi. Conformément aux étapes obligatoires du pro-
cessus de sélection, le demandeur a droit à une audi
tion orale [article 29], à l'assistance d'un avocat
[paragraphe 30(1)] et, si nécessaire, aux services d'un
avocat aux frais du ministre [paragraphe 30(2)], à la
possibilité de produire des éléments de preuve, de
contre-interroger les témoins et de présenter des
observations [paragraphe 46(3)], et le tribunal doit
motiver toute décision défavorable au demandeur
[article 46.02]. Une mention subséquente du Guide
démontrera que l'expression «examinateur» que l'on
y trouve décrit de façon appropriée différents fonc-
tionnaires responsables du processus canadien de
détermination du statut de réfugié selon ce qu'ils
font. C'est l'avocat du demandeur et non l'agent
chargé de présenter le cas qui, selon l'économie de la
Loi, doit mettre le demandeur en confiance et l'aider
à exposer clairement son cas.
La procédure de type accusatoire ne comporte rien
d'essentiellement contraire à la justice fondamentale;
14 Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion) (1990), 74 D.L.R. (4th) 313 (C.A.F.), à la p. 314.
15 Paciocco, Charter Principles and Proof in Criminal
Cases, Carswell (1987), à la p. 289.
si tel était le cas, notre système judiciaire aurait
depuis longtemps cessé de fonctionner comme il le
fait presqu'universellement. Les requérants aime-
raient voir un système plus favorable aux demandeurs
de statut. Dans l'arrêt R. c. Lyons 16 , on a dit d'une
personne accusée d'une infraction criminelle:
... art. 7 de la Charte reconnaît à l'appelant le droit à un pro-
cès équitable; il ne lui donne pas le droit de bénéficier des pro-
cédures les plus favorables que l'on puisse imaginer.
On peut dire la même chose des demandeurs de sta-
tut. À mon sens, dans le cadre de la Loi, le rôle d'ad-
versaire de l'agent chargé de présenter le cas au pre
mier palier d'audience ne nuit à aucun droit accordé
au demandeur de statut par l'article 7 de la Charte ou
l'alinéa 2e) de la Déclaration des droits.
3. Le fardeau de la preuve
La Loi prévoit ce qui suit:
46....
(2) II appartient au demandeur de statut de prouver que sa
revendication est recevable et qu'elle a un minimum de fonde-
ment.
46.01.. .
(6) L'arbitre ou le membre de la section du statut concluent
que la revendication a un minimum de fondement si, après
examen des éléments de preuve présentés à l'enquête ou à l'au-
dience, ils estiment qu'il existe des éléments crédibles ou
dignes de foi sur lesquels la section du statut peut se fonder
pour reconnaître à l'intéressé le statut de réfugié au sens de la
Convention. Parmi les éléments présentés, ils tiennent compte
notamment des points suivants:
a) les antécédents en matière de respect des droits de la per-
sonne du pays que le demandeur a quitté ou hors duquel il
est demeuré de crainte d'être persécuté;
b) les décisions déjà rendues aux termes de la présente loi ou
de ses règlements sur les revendications où était invoquée la
crainte de persécution dans ce pays. [Je souligne.]
Selon le paragraphe 46.03(5), si l'arbitre et le mem-
bre de la section du statut ou l'un d'eux concluent en
faveur du demandeur, la revendication est déférée à
la section du statut.
16 [1987] 2 R.C.S. 309, à la p. 362.
Ce que les requérants affirment être un déni de jus
tice fondamentale, c'est l'obligation faite au deman-
deur d'établir, selon la prépondérance des probabi-
lités, que les éléments de preuve produits à l'audience
sont crédibles et dignes de foi, et que la section du
statut peut se fonder sur eux pour reconnaître à l'inté-
ressé le statut de réfugié au sens de la Convention.
Les requérants font en l'espèce une distinction entre
l'obligation de produire des éléments de preuve et le
fardeau de la persuasion. C'est ce dernier qui, à leur
avis, constitue à l'égard du demandeur un déni de
justice fondamentale. Si je comprends bien le moyen
avancé, le fardeau de la persuasion équivaut au refus
d'accorder au demandeur le bénéfice du doute.
Les requérants renvoient à une publication de la
Commission de l'immigration et du statut de réfugié
intitulée Système de reconnaissance du statut de réfu-
gié, dans laquelle, au-dessus de la signature du prési-
dent, on peut lire [à la page 1]:
La Commission entend accorder le bénéfice du doute à tous les
demandeurs du statut de réfugié.
Les requérants trouvent, aux paragraphes 203 et 204
du Guide des N.U. précité, un appui pour la proposi
tion selon laquelle c'est un déni de justice fondamen-
tale à l'endroit du demandeur de statut que de lui
refuser le bénéfice du doute lorsqu'il revendique le
statut de réfugié, bien que le paragraphe 204 dise en
partie:
204. Néanmoins, le bénéfice du doute ne doit être donné que
lorsque tous les éléments de preuve disponibles ont été réunis
et vérifiés et lorsque l'examinateur est convaincu de manière
générale de la crédibilité du demandeur.
Finalement, les requérants avancent que c'est une
violation de la Convention des Nations Unies relative
au statut des réfugiés définie au paragraphe 2(1) de la
Loi et, par conséquent, une violation de la Loi elle-
même, aussi bien qu'un déni de justice fondamentale,
que de refuser d'authentiques réfugiés et les renvoyer
vers le danger et, par conséquent, toute procédure
conduisant à ce refus, y compris l'imposition du far-
deau de la preuve au demandeur, viole elle-même ces
instruments.
La politique de la Commission de l'immigration et
du statut de réfugié ne peut naturellement l'emporter
sur la disposition expresse d'une Loi du Parlement,
même si l'on devait conclure que les audiences du
premier palier étaient des procédures relevant de la
compétence de la Commission. Bien qu'il soit égale-
ment clair que le Guide des Nations Unies ne peut
l'emporter sur la Loi, le Guide envisage le fait que
ceux qui prétendent être des réfugiés au sens de la
Convention ne le sont pas tous réellement, et il recon-
naît le caractère légitime d'un processus de sélection
pour établir la probabilité de la validité des revendi-
cations individuelles. Il me semble que l'on ne peut
être convaincu que les éléments de preuve sont cré-
dibles ou dignes de foi sans être convaincu qu'il est
probable qu'ils le sont, et non simplement possible.
Les requérants ne font aucune distinction entre le
premier et le second paliers d'audience. À ce dernier
palier, où il s'agit de décider si le demandeur est réel-
lement un réfugié au sens de la Convention, la sec
tion du statut soupèse les éléments de la preuve, et il
y a place au bénéfice du doute. Tout ce qu'a à faire le
premier palier d'audience, de fait tout ce qu'il est
habilité à faire, c'est de déterminer s'il existe des élé-
ments crédibles ou dignes de foi sur lesquels la sec
tion du statut, au second palier, peut se fonder pour
reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens
de la Convention 17 . Il ne s'agit pas là de soupeser des
éléments de preuve contradictoires. S'il existe des
éléments de preuve crédibles, aucun élément de
preuve contraire ne peut modifier ce fait. Il n'y a pas
place au bénéfice du doute. Je ne vois dans l'exi-
gence contenue au paragraphe 46(2) aucune incom-
patibilité avec l'article 7 de la Charte ni avec l'alinéa
2e) de la Déclaration des droits.
4. Refus de reconnaître un minimum de fondement
à la revendication
On soutient que la conclusion que la revendication
du statut de réfugié est dénuée d'un minimum de fon-
dement est inconstitutionnelle. Lorsque cette conclu
sion est tirée, l'arbitre doit ensuite décider s'il va
donner un avis d'interdiction de séjour ou prendre
une mesure d'expulsion [paragraphe 46.02(1)] et
faire l'un ou l'autre [article 32]. S'il prend une
mesure d'expulsion, le ministre doit la mettre à exé-
cution «dès que les circonstances le permettent» [arti-
cle 48], sous réserve uniquement d'un sursis de 72
heures sur demande pour permettre à l'intéressé de
demander l'autorisation de présenter une demande de
r Leung c. MEJ., précité.
contrôle judiciaire auprès de cette Cour [alinéa
49(1)b)].
Les requérants font valoir que puisque la conclu
sion que la revendication du statut de réfugié au sens
de la Convention n'a pas un minimum de fondement
prive le demandeur de statut de son droit de demeurer
au Canada en attendant la révision judiciaire, une
conclusion défavorable constitue nécessairement le
déni du droit à un procès équitable en conformité
avec les principes de justice naturelle. Il ne s'agit pas
là réellement de la contestation du pouvoir du pre
mier palier d'audience de conclure à l'absence du
minimum de fondement de la revendication; il s'agit
d'une attaque dirigée contre les conséquences pos
sibles de cette conclusion. L'arbitre a correctement
décidé qu'il n'était pas habilité à ordonner qu'il soit
permis aux requérants de demeurer au Canada en
attendant la révision judiciaire. Il appartient à la Cour
de déterminer s'il y a lieu de surseoir à l'exécution de
la mesure d'expulsion à cette fin.
La constitutionnalité du sursis obligatoire de 72
heures est l'une des questions laissées en suspens
dans l'arrêt Conseil canadien des Églises c.
Canada 18 . Même si le sursis avait déjà été déclaré
inconstitutionnel, cela ne saurait vicier le caractère
légal de toute décision ou ordonnance contestée en
l'espèce, soit la conclusion que les revendications du
statut de réfugié n'ont pas un minimum de fonde-
ment, la délivrance d'avis d'interdiction et la prise de
mesures d'expulsion. Cela ne pourrait toucher que
l'exécution des mesures ou la nécessité de se confor-
mer aux avis. De fait, bien que cela ne soit pas perti
nent à l'espèce, le Canada ne met pas actuellement à
exécution les mesures d'expulsion à Haïti; il ne l'a
fait à aucune période concernée dans cette action.
L'on ne m'a pas persuadé du bien-fondé de ce qui
est pertinent en l'espèce, à savoir l'argument selon
lequel la faculté du premier palier d'audience de con-
clure à l'absence d'éléments crédibles et dignes de
foi sur lesquels la section du statut peut se fonder
pour reconnaître au demandeur le statut de réfugié au
sens de la Convention, et la faculté résultante de l'ar-
bitre d'ordonner l'expulsion sont incompatibles avec
l'article 7 de la Charte ou l'alinéa 2e) de la Déclara-
tion des droits.
18 [1990] 2 C.F. 534 (C.A.), à la p. 561.
5. Le caractère suffisant de la révision judiciaire
Si la Cour conclut que le tribunal qui a refusé de
reconnaître un minimum de fondement à la revendi-
cation du statut de réfugié a tiré une conclusion de
fait erronée, l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour
fédérale permet à notre Cour d'annuler la décision
contestée seulement si le tribunal qui l'a rendue (1) a
fondé sa décision sur cette conclusion de fait et (2)
s'il a tiré celle-ci de façon abusive ou arbitraire ou
sans tenir compte des éléments dont il disposait. De
plus, si la Cour conclut que le tribunal a commis
l'une des erreurs visées au paragraphe 28(1), l'alinéa
52c) de la Loi sur la Cour fédérale ne l'autorise qu'à
infirmer la décision ou à l'infirmer et à renvoyer l'af-
faire au tribunal pour jugement conformément à ses
instructions. Elle ne peut rendre la décision que,
selon elle, le tribunal aurait dû rendre bien que, d'un
point de vue pratique, ses instructions peuvent être
suffisamment précises pour dicter l'issue du nouvel
examen. Les requérants font valoir que la révision
judiciaire a une assise trop étroite pour satisfaire aux
exigences de la justice fondamentale, au moins pour
ce qui est des demandeurs du statut de réfugié, et que
ce qui est exigé est un droit d'appel qui permettrait à
la Cour de substituer son point de vue sur l'affaire à
celle du tribunal si elle considère abusive la décision
rendue par l'instance inférieure.
De même qu'il en est pour la constitutionnalité du
sursis légal de 72 heures, je ne vois pas la pertinence
de cet argument quant à l'une quelconque des ques
tions soumises à la Cour dans le cadre des présentes
demandes fondées sur l'article 28. L'arbitre, seul ou
de concert avec le membre de la section du statut
n'avait pas, en rendant les décisions ou en prenant les
mesures contestées en l'espèce, à considérer le carac-
tère suffisant des dispositions prises par le Parlement
à l'égard de leur révision judiciaire. L'insuffisance de
ces dispositions, le cas échéant, ne saurait justifier
l'annulation des décisions ou des mesures contestées;
elle ne peut fournir qu'une excuse ou un motif pour
ne pas les exécuter.
B. Les moyens fondés sur le droit international
Je ne vois pas la nécessité de résumer les moyens
fondés sur le droit international. J'admets, aux fins de
ces moyens, que renvoyer une personne à Haïti dans
les circonstances qui existent actuellement et qui
existaient aux époques concernées, ce serait violer les
obligations du Canada aux termes de la Quatrième
Convention de Genève, du Deuxième Protocole et de
la règle coutumière de droit international qui interdit
le rapatriement forcé des nationaux étrangers qui ont
fui la violence généralisée et d'autres menaces pour
leur vie et leur sécurité découlant d'un conflit armé
domestique dans l'État dont ils ont la nationalité. Je
reconnais aussi, toujours aux fins des moyens
invoqués, que ces lois et ces instruments internatio-
naux ont force de loi interne au Canada et qu'ils peu-
vent être mis à exécution par les tribunaux canadiens
sur demande d'un particulier. Toutefois, je ne saurais
admettre que l'obligation ou l'intention d'exécuter
une mesure d'expulsion qui, si elle était exécutée,
violerait les lois susmentionnées vicie le moindre-
ment, d'une part, le processus prévu par la Loi sur
l'immigration, en vertu duquel la revendication du
statut de réfugié au sens de la Convention d'un natio
nal de l'État visé peut être considérée comme dépour-
vue d'un minimum de fondement, et d'autre part, la
prise d'une mesure d'expulsion consécutive à cette
conclusion.
Ces questions, comme il en est du caractère suffi-
sant, aux yeux de la Constitution, des dispositions
prises par le Parlement à l'égard de la révision judi-
ciaire et du sursis de 72 heures, ne sont pas des
matières dont doivent se préoccuper le premier palier
d'audience ou l'arbitre seul lorsqu'ils rendent leur
décision ou prennent une mesure d'expulsion, ni cette
Cour lorsqu'elle en fait la révision. Dire que ces
questions ne sont pas pertinentes aux décisions ou
aux mesures visées ne déprécie évidemment en rien
leur importance. Ce serait évidemment une question
sérieuse et, j'ose l'espérer, qui relèverait des tribu-
naux, si le Canada devait exécuter des mesures d'ex-
pulsion dans des circonstances incompatibles avec
ses obligations découlant du droit international et qui
mettent en danger la vie, la liberté ou la sécurité d'au-
trui.
C. Le bien-fondé des moyens
Le réfugié au sens de la Convention est défini de
façon pertinente comme étant:
... Toute personne
a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa
race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à
un groupe social ou de ses opinions politiques:
(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et
ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de
la protection de ce pays, ...
Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites
à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'ar-
ticle premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe
de la présente loi.
Il n'est pas ici question de race ni de religion.
On a soutenu que tous les Haïtiens peuvent reven-
diquer avec un minimum de fondement la qualité de
réfugiés au sens de la Convention parce qu'ils sont
Haïtiens. Le tribunal a conclu ce qui suit:
[TRADUCTION] ... il serait absurde de retenir la proposition de
votre avocat selon laquelle tous les Haïtiens sont des réfugiés,
car ce serait là offrir une protection internationale aussi bien
aux victimes qu'à ceux qui commettent des crimes, et contre
qui vous cherchez à vous protéger.
Les requérants disent que le tribunal a mal compris
leur moyen. Ils n'ont pas prétendu que tous les Haï-
tiens étaient des réfugiés, mais que tous les Haïtiens à
l'extérieur de Haïti peuvent revendiquer avec un
minimum de fondement la qualité de réfugiés. Ils
disent en outre que, en raison de cette méprise, le tri
bunal s'est penché sur la question propre au second
palier d'audience: les requérants sont-ils des réfugiés,
plutôt que sur la question propre au premier palier:
existe-t-il des éléments crédibles ou dignes de foi en
vertu desquels on pourrait leur reconnaître le statut de
réfugiés? Ils soulignent aussi que la possibilité de ce
qui a été considéré comme menant à une absurdité a
été écartée par la définition de l'expression réfugié au
sens de la Convention, qui exclut les personnes visées
par la section F de l'article premier de la Convention,
dont voici le libellé:
Article premier
F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas appli-
cables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de
penser:
a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de
guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instru
ments internationaux élaborés pour prévoir des disposi
tions relatives à ces crimes;
b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en
dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme
réfugiées;
c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements con-
traires aux buts et aux principes des Nations Unies.
Il suffit de se remémorer l'histoire récente du
Cambodge pour reconnaître la possibilité de la persé-
cution générale de la population par un régime natio
nal. En toute déférence, il ne va pas de soi que les
nationaux d'un pays qui ont fui ce dernier ne puissent
pas craindre avec raison d'être persécutés du fait de
leur nationalité s'ils étaient renvoyés dans ce pays. Le
dossier contient de nombreux éléments de preuve
relatifs aux conditions existantes à Haïti, dont le trai-
tement des Haïtiens qui ont été rapatriés de force par
les États-Unis. Leur crédibilité n'a pas été mise en
doute. Il appartient à la section du statut de réfugié, et
non à l'audience de présélection, de soupeser ces élé-
ments de preuve et de décider s'ils appuient l'élément
objectif de la revendication des requérants.
Dans ses [TRADUCTION] «motifs de décision sur le
minimum de fondement» 19 relativement brefs, le tri
bunal n'a nullement fait mention des questions qu'il
doit expressément examiner aux termes des alinéas a)
et b) du paragraphe 46.01(6). Bien que l'on ne puisse
aucunement en conclure que les éléments de preuve,
qui étaient nombreux, n'ont pas été considérés, c'est
plutôt surprenant dans le cas de demandeurs haïtiens.
Étant donné la formulation erronée par le tribunal du
moyen fondé sur la nationalité, j'estime peu sage de
présumer que les éléments de preuve ont été consi-
dérés de façon appropriée.
Le groupe social auquel les requérants affirment
appartenir est celui des pauvres et des déshérités de
Haïti. Le tribunal a souligné que la preuve documen-
taire établissait que la population haïtienne est consi-
dérablement pauvre et déshéritée. Les requérants ne
se sont pas penchés sur cet argument dans leur
exposé des points d'argument, bien que leur avocat y
ait fait allusion en passant dans sa plaidoirie. Si je
comprends bien le tribunal, je suis porté à être d'ac-
cord avec lui sur le point suivant: rien ne distingue la
prétention des requérants d'être persécutés du fait de
19 Séance du 6 septembre 1990. Dossier, p. 150, 1.23 à la p.
152, 1.8. Ces motifs traitaient du bien-fondé de la revendica-
tion. Les moyens fondés sur la Charte, la Déclaration des droits
et le droit international avaient été rejetés au cours d'une
séance antérieure.
leur appartenance à ce groupe social particulier, de
leur prétention d'être persécutés du fait de leur natio-
nalité haïtienne elle-même.
Pour ce qui est de la revendication fondée sur des
opinions politiques, son seul fondement semble lui
aussi dépendre entièrement de la crainte des requé-
rants de retourner à Haïti en raison du traitement
qu'ils pourraient subir. Ils n'ont pas fait état d'opi-
nions ni d'activités politiques, ni prétendu avoir été
harcelés en raison d'opinions politiques. Ils s'ap-
puient plutôt, comme il est dit dans leur exposé, sur
une preuve documentaire qui, affirment-ils, [TRADUC-
TION] «montre que le gouvernement de Haïti consi-
dère que ceux qui refusent de retourner à Haïti lui
sont opposés, et qu'il les persécute pour ce motif.»
Ceci, tout comme la revendication fondée sur l'ap-
partenance au groupe social des pauvres et des déshé-
rités, semble selon la preuve être rien de plus qu'une
nouvelle formulation de la revendication fondée sur
la nationalité.
Le tribunal a trouvé significatif que les requérants
aient demandé au Canada un visa d'immigrant avant
de quitter Haïti. Cela peut être pertinent au second
palier d'audience, où l'on soupèse les éléments de
preuve et l'on décide si une personne est réellement
sortie du pays dont elle a la nationalité et ne veut pas
y retourner parce qu'elle craint d'être persécutée. Il
me semble bien que le désir d'émigrer et la crainte
d'être persécuté dans son propre pays peuvent diffici-
lement s'exclure l'un l'autre. S'il était possible à une
personne de quitter le pays où elle craint d'être persé-
cutée en émigrant légalement, cette solution semble-
rait des plus satisfaisantes. Le fait qu'une personne
ait cherché à émigrer me semble un bien faible motif
pour mettre en doute la crédibilité de son témoignage
selon lequel elle craint d'être persécutée dans son
pays.
Les requérants ont formulé d'autres objections à
l'endroit des motifs du tribunal; étant donné la façon
dont je statuerais sur leurs demandes, je n'ai pas à en
traiter. Pour conclure, je ne trouve soit aucun bien-
fondé, soit aucune pertinence aux moyens fondés sur
la Charte et la Déclaration des droits, et je ne vois
aucune pertinence dans les moyens fondés sur le droit
international. Je conclus toutefois que le premier
palier d'audience a commis une erreur en considérant
la revendication des requérants selon son bien-fondé
comme il l'a fait.
J'accueillerais par conséquent les deux demandes
fondées sur l'article 28. Pour ce qui est du dossier A-
993-90, j'annulerais d'une part, la conclusion de l'ar-
bitre K. D. Fussey et du membre de la section du sta-
tut R. Rushowy, en date du 6 septembre 1990, qu'il
n'existait pas d'éléments crédibles ou dignes de foi
sur lesquels la section du statut pouvait se fonder
pour reconnaître aux requérants le statut de réfugiés
au sens de la Convention et d'autre part, les avis d'in-
terdiction de séjour subséquents donnés aux requé-
rants par l'arbitre K. D. Fussey le ler octobre 1990, et
je renverrais l'affaire au tribunal pour un nouvel exa-
men compatible avec ces motifs. Quant au dossier n°
A-222-91, j'annulerais les mesures d'expulsion en
date du 28 décembre 1990, prises contre les requé-
rants par l'arbitre Lyle Moffatt.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.