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T-1299-91
William Stuart Leach (requérant) c.
La Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada, le Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada et le Procu- reur général du Canada (intimés)
RÉPERTORIÉ: LEACH C. COMMISSION DES PLAINTES DU PUBLIC CONTRE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA (1" INST.)
Section de première instance, juge MacKay— Vancouver, 6 juin; Ottawa, 24 juin 1991.
GRC Enquête de la Commission des plaintes du public contre la GRC sur des plaintes d'usage excessif de force L'art. 45.43(1) et 45.42(3)c) de la Loi sur la GRC habilitent le président de la Commission à convoquer une audience hou» à tenir une enquête Le mot .ou» s'emploie dans son sens conjonctif Le président est habilité à convoquer une audience après avoir ordonné une enquête La Commission et son président ne sont habilités qu'à tenir l'audience et à faire des recommandations par écrit Ils ne sont pas habili- tés à ordonner des mesures de réparation, à conclure à la responsabilité ou à prononcer une sanction La tenue de l'audience ne contrevient pas aux principes d'équité La possibilité de recommandations défavorables que pourrait suivre le Commissaire ne justifie pas une interdiction de l'audience ou des mesures que pourrait prendre le Commis- saire sur recommandation L'impossibilité de se faire enten- dre avant que la Commission ne fasse son rapport final ou que le Commissaire ne prenne des mesures n'est pas inique, puis- que l'audience n'équivaut pas à une enquête préliminaire sur des infractions criminelles Les parties VI et VII ne vont pas à l'encontre de la Charte.
Interprétation des lois L'art. 45.43(1) et 45.42(3)c) de la Loi sur la GRC habilitent le président à tenir une enquête nou„ à convoquer une audience Interprété selon le contexte, «ou» s'emploie dans son sens inclusif ou conjonctif Le président est habilité à convoquer l'audience après le début de l'enquête Cette interprétation est corroborée par l'emploi du terme «ou» dans son sens conjonctif dans d'autres dispositions de la partie VII Elle est conforme à l'objet de la Loi, qui est de protéger le public contre la tenue d'enquêtes secrètes sur les plaintes et de prévenir la mise au pilori des membres de la Gendarmerie.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité La Commission des plaintes du public contre la GRC n'est pas habilitée à ordonner des mesures de réparation, à conclure à la responsabilité ou à prononcer une sanction Elle n'est habilitée qu'à tenir une audience et à faire des recommandations par écrit Seul le Commissaire peut pren- dre des mesures concrètes Que les parties VI et VII de la Loi sur la GRC ne fassent pas mention des principes de justice naturelle ne constitue pas une violation de l'art. 7 de la Charte, selon lequel il ne peut être porté atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne qu'en conformité avec les
principes de justice fondamentale Leurs dispositions visent à garantir l'observation des principes de justice naturelle.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Le président de la Commission des plaintes du public contre la GRC a convoqué une audience d'enquête sur des plaintes d'usage excessif de la force au cours d'arrestations Le droit, garanti par l'art. 11 de la Charte, de l'inculpé de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui-même ne s'applique pas aux procédures de la Commission Le requé- rant n'est pas poursuivi au criminel L'audience ne peut avoir aucune conséquence pénale.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité Le président de la Commission des plaintes du public contre la GRC a convoqué, en application de l'art. 18 de la Loi sur la GRC, une audience d'enquête sur des plaintes d'usage excessif de la force au cours d'arrestations L'art. 15 de la Charte ne s'applique pas à la partie VII, qui n'est pas discriminatoire, au regard des motifs de distinction énumérés et des motifs comparables.
Requête intentée par un agent de la GRC pour faire interdire à la Commission des plaintes du public contre la GRC de tenir une audience d'enquête sur des plaintes d'usage excessif de la force au cours de l'arrestation des plaignants, et au Commis- saire de donner suite aux recommandations que pourrait faire le président de la Commission. Une enquête interne avait conclu qu'il n'y avait eu recours qu'à la force nécessaire aux arrestations et qu'il n'y avait eu aucune violation du Code de déontologie de la GRC. L'avocat de la Couronne a décidé qu'il n'y avait pas lieu à poursuite au criminel. La Commission des plaintes du public est intervenue sur plainte des plaignants. Le processus d'intervention de la Commission est prévu à la partie VII de la Loi sur la GRC. La Commission et son président ne sont habilités à ordonner des mesures de réparation, à conclure à la responsabilité ou à imposer une sanction contre aucun membre de la GRC. Ils ont pour seul pouvoir de tenir une audience et de faire un rapport écrit. Seul le Commissaire peut prendre des mesures. En l'espèce, le président de la Commission a décidé, après examen de la plainte, de convoquer une audience d'enquête. Le requérant soutient que le président, ayant terminé son enquête sous le régime du paragraphe 45.43(1), était dessaisi de l'affaire et n'avait plus compétence pour convoquer une audience. Selon le paragraphe 45.43(1) comme l'alinéa 45.42(3)c), le président peut tenir une enquête «ou» convoquer une audience. Le requérant fait valoir que le mot «ou» s'emploie dans son sens exclusif ou disjonctif, c'est-à- dire que le président peut prendre soit l'une soit l'autre des mesures prévues, mais non pas les deux à la fois; et que la procédure instituée par la partie VII laisse à désirer à trois égards: (1) pouvoir illimité de la Commission pour faire un rapport, par lequel elle peut recommander des poursuites péna- les ou des mesures disciplinaires; (2) pouvoir du Commissaire, saisi du rapport d'enquête, de prendre des mesures dont la portée n'est astreinte à aucune limite, sans que la personne visée puisse se faire entendre; et (3) même impossibilité de se faire entendre avant que le président fasse son rapport final. Il échet d'examiner si le président de la Commission avait compé- tence pour convoquer une audience d'enquête, si la procédure établie par la partie VII de la Loi sur la GRC est équitable, et si les parties VI et VII de la même Loi sont compatibles avec les articles 7, 11, 15 et 32 de la Charte, et l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
Le président n'était pas dessaisi de l'affaire. Il a agi dans les limites de sa compétence légale en convoquant l'audience d'en- quête. Envisagé dans son contexte conformément aux principes d'interprétation des lois, le mot «ou» s'emploie dans son sens inclusif ou conjonctif au paragraphe 45.43(1) comme à l'alinéa 45.42(3)c), et le président est habilité à convoquer une audience après avoir ordonné une enquête, que celle-ci ait été terminée ou non à sa satisfaction, à part le rapport destiné au Commissaire. Cette interprétation est corroborée par l'emploi du mot «ou» dans son sens inclusif ou conjonctif dans d'autres dispositions de la partie VII et au paragraphe 45.43(3), qui fait au président obligation de soumettre au ministre et au Commis- saire ses conclusions et recommandations à l'issue de l'enquête, à moins qu'il n'ait déjà convoqué une audience. Le libellé du paragraphe 45.43(3) favorise l'interprétation selon laquelle le législateur entendait prévoir que le président pourrait convo- quer une audience après avoir terminé l'enquête sur une plainte. Enfin, cette interprétation est conforme à l'objet de la Loi, qui est de protéger le public contre la tenue d'enquêtes secrètes sur les plaintes, et de prévenir la mise au pilori des membres de la GRC. Pour préserver la confiance du public dans la GRC et dans ses méthodes, il faut que la Commission ait la faculté, par la voix de son président, de décider quand une audience s'impose. La décision de convoquer une audience présuppose à tout le moins, par la force des choses, une enquête préliminaire du président de la Commission sur la plainte.
L'audience ne contrevient pas aux principes d'équité. Le requérant prévoyait que l'organisme d'enquête pourrait faire des recommandations défavorables à son égard, que ces derniè- res pourraient être appliquées et qu'elles pourraient faire l'objet du rapport final du président. Pareille issue est pure conjecture. Rien ne justifie une ordonnance de prohibition contre une action dont on ne peut que conjecturer sur la survenance. Le requérant soutient encore que l'audience équivaut à une enquête préliminaire sur des infractions criminelles, avec toute la notoriété publique qui s'y attache, sans qu'il ait la possibilité de réfuter une caractérisation défavorable éventuelle de ses actes ou d'y répondre. Les agissements faisant l'objet d'une plainte doivent être examinés ouvertement et faire l'objet d'un rapport, si l'on veut atteindre le but de l'audience et du processus de contrôle, qui est de rechercher la vérité au sujet de l'incident ayant provoqué la plainte, de contrôler le processus d'enquête interne de la GRC et d'examiner le recours à certai- nes méthodes par les agents impliqués dans l'exercice de leurs fonctions. La poursuite au criminel ne constituait pas l'objectif de l'audience, et il y avait prescription pour ce qui était des mesures disciplinaires.
Les parties VI et VII ne sont pas incompatibles avec l'article 7 de la Charte, selon lequel il ne peut être porté atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. L'article 7 n'est pas violé par l'absence de toute mention des principes de justice naturelle dans ces dispositions législatives, qui visent à garantir que le processus d'audience soit en conformité avec les «principes de justice fondamentale».
L'article 11 de la Charte (selon lequel tout inculpé a le droit de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui) ne s'applique pas aux procédures d'audience de la Commission. Le requérant n'est
pas poursuivi au criminel et l'audience ne peut avoir aucune conséquence pénale.
L'audience ne porte pas non plus atteinte aux droits à l'égalité que garantit l'article 15 de la Charte. Celui-ci ne s'applique pas en l'espèce puisque les dispositions de la partie VII ne sont pas discriminatoires, au regard des motifs de distinction énumérés ou des motifs comparables.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 7, 11, 13, 15, 32.
Code criminel, L.R.C. (1985), chap. C-46.
Constitutional Question Act, R.S.B.C. 1979, chap. 63, art. 52.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Viet., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1.) [L.R.C. (1985), appendice II, 5].
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 52.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 18.
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), chap. R-10, art. 45.35, 45.36, 45.38, 45.41, 45.42, 45.43, 45.44, 45.45, 45.46 (édictés par L.R.C. (1985) (2° supp.), chap. 8, art. 16).
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Starr c. Houlden, [1990] 1 R.C.S. 1366; (1990), 72 O.R. (2d) 701 (note); 68 D.L.R. (4th) 641; 55 C.C.C. (3d) 472; 110 N.R. 81; 41 O.A.C. 161.
DECISION EXAMINÉE:
O'Hara c. Colombie-Britannique, [1987] 2 R.C.S. 591; (1987), 45 D.L.R. (4th) 527; [1988] 1 W.W.R. 216; 19
B.C.L.R. (2d) 273; 38 C.C.C. (3d) 233; 80 N.R. 127.
DECISIONS CITÉES:
Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d'Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684; (1978), 12 A.R. 449; 89 D.L.R. (3d) 161; 7 Alta. L.R. (2d) 370; 23 N.R. 565; Rankin (Re), [1991] 1 C.F. 226; (1990), 38 F.T.R. 23 (1" inst.); Ferguson Bus Lines Ltd. c. Syndicat uni du transport, section locale 1374, [1990] 2 C.F. 586; (1990), 68 D.L.R. (4th) 699; 43 Admin. L.R. 18; 108 N.R. 293 (C.A.); Pacific Trollers Association. c. Procureur géné- ral du Canada et autre, T-1921-86, le juge McNair, ordonnance en date du 2-9-86, non publié, C.F. l'° inst.; Estrada c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration) (1987), 8 F.T.R. 317; 1 Imm. L.R. (2d) 24 (C.F. 1" inst.); Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346; [1985] CTC 79; (1985), 85 DTC 5310; 60
N.R. 321 (C.A.); Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; [1984] CTC 294; (1984), 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; Loi sur la gendarmerie royale du Canada (Can.) (Re), [1991] 1 C.F. 529; (1990), 34 F.T.R. 1; 123 N.R. 120 (C.A.); Mahon v. Air New Zealand Ltd., [ 1984] 1 A.C. 808 (P.C.); Duncan c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [ 1990] 3 C.F. 560; (1990), 55 C.C.C. (3d) 28; 32 F.T.R. 189 (1« inst.); Re Nelles et al. and Grange et al. (1984), 46 O.R. (2d) 210; 9 D.L.R. (4th) 79; 42 C.P.C. 109; 3 O.A.C. 40 (C.A.); Meade c. Canada, [1991] 3 C.F. 365 (1' inst.); Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 8; 69 C.R. (3d) 97; 96 N.R. 115.
DOCTRINE
Canada. Débats de la Chambre des communes. Vol. V, 1' Sess., 33e Parl., 34 Eliz. II, 1985.
Canada. Commission d'enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, 2' Rapport. La liberté et la sécurité devant la loi, Ottawa: Approvi- sionnements et Services Canada, 1981 (Rapport de la commission MacDonald).
Canada. Rapport de la Commission d'enquête sur les plaintes du public, la discipline interne et le règlement des griefs au sein de la Gendarmerie royale du Canada, Ottawa: Information Canada, 1976 (Rapport de la commission Marin).
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2' éd. Toronto: Butterworths, 1983.
AVOCATS:
Gordon P. Macdonald pour le requérant.
D. J. Sorochan pour l'intimée Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada.
P. F. Partridge pour l'intimé procureur géné- ral du Canada.
Steven M. Kelliher pour les plaignants Michael et Steven Cooper.
PROCUREURS:
Macdonald & McNeely, Victoria, pour le requérant.
Swinton & Company, Vancouver, pour l'inti- mée Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé procureur général du Canada.
Steven M. Kelliher, Victoria, pour les plai- gnants Michael et Steven Cooper.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MACKAY: Il y a en l'espèce requête, en application de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale', en ordonnances de prohibition: la pre- mière pour interdire à la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada («la Commission»), intimée, de tenir une audience pour enquêter sur deux plaintes déposées par Michael Cooper et son fils Steven Cooper contre le requérant Leach et d'autres, tous agents de la GRC en poste en Colombie-Britannique; la seconde pour interdire au commissaire de la Gen- darmerie royale du Canada («le Commissaire»), intimé, de donner suite aux recommandations que pourrait faire le président de la Commission à la suite des deux plaintes déposées par les Cooper.
Outre les deux intimés nommés dans l'avis de requête introduit en l'espèce, l'avocat du requé- rant, ayant soulevé des questions constitutionnelles touchant la Charte canadienne des droits et liber- tés' et se conformant à la loi dite Constitutional Question Act' de la Colombie-Britannique, a noti- fié aux procureurs généraux de cette province et du Canada qu'il contesterait la constitutionnalité de certains dispositions de la Loi sur la Gendar- merie royale du Canada 4 .
L'avocat du procureur général du Canada, com- paraissant à l'audition de la requête, a fait savoir que ce dernier demandait à être partie de son propre chef à l'instance. J'ai ordonné que le procu- reur général du Canada soit ajouté en qualité de partie intimée et que l'intitulé de la cause soit modifié en conséquence.
L'avocat du requérant avait également notifié la requête aux avocats des autres agents de la GRC visés par les plaintes des Cooper, ainsi qu'à l'avo- cat de ces derniers. Celui-ci comparut brièvement à l'audition, se vit accorder l'autorisation d'interve- nir et exprima, au nom des Cooper, son souhait de voir la tenue de l'audience de la Commission sans délai inutile puisque deux ans s'étaient écoulés
1 L.R.C. (1985), chap. F-7, modifié.
2 qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44].
3 R.S.B.C. 1979, chap. 63.
4 L.R.C. (1985), chap. R-10, modifié.
depuis la survenance du fait qui était à l'origine de leurs plaintes.
Les faits de la cause peuvent se résumer comme suit. Le requérant participa avec d'autres à l'arres- tation de Michael -Cooper et de Steven Cooper, le 27 mai 1989 Langford, en Colombie-Britanni- que. Ces deux derniers ont fait subséquemment l'objet de poursuites pénales. Par la suite, le 25 juin, Michael et Steven Cooper se sont plaints au détachement de la GRC à Colwood qu'ils avaient été victimes de voies de fait et d'usage excessif de la force de la part du requérant et d'autres qui procédèrent à l'arrestation le 27 mai. À l'audition, l'avocat du requérant reconnaissait que celui-ci avait appliqué une prise carotidienne à Michael Cooper au moment de son arrestation, sans pour autant admettre que pareille prise constituait un recours excessif à la force.
Les plaintes ont provoqué à l'origine deux enquêtes. La première était une enquête interne de la GRC, menée par le sergent d'état-major McCombe du détachement de la GRC à Colwood. Il appert qu'elle consistait à recueillir les déclara- tions des Cooper ainsi que les réponses écrites aux questions posées à chacun des agents impliqués, sans que ceux-ci fussent interrogés de vive voix sur l'incident. À l'issue de l'enquête, le surintendant principal Clarke a écrit le 13 septembre 1989 à chacun des deux plaignants pour les informer que selon cette enquête, les agents n'avaient eu recours qu'à la force nécessaire pour les arrêter, qu'il n'y avait eu aucune violation du Code de déontologie de la GRC, et que les plaintes de voies de fait avaient été transmises à l'avocat de la Couronne régional avec les résultats de l'enquête afin que celui-ci décidât s'il y avait lieu de traduire en justice les agents de police impliqués dans l'affaire.
Par lettre en date du 28 septembre 1989, le surintendant principal Clarke a informé chacun des plaignants que l'avocat de la Couronne régio- nal, saisi des résultats de l'enquête, a décidé qu'il n'y avait pas lieu à poursuite au criminel. Le requérant, qui avait été informé le 11 juillet qu'il faisait l'objet d'une enquête de police par suite des plaintes, a été informé en même temps que les Cooper des résultats de l'enquête interne ainsi que de la décision de l'avocat de la Couronne régional de ne pas intenter des poursuites judiciaires.
Par la suite, par lettres séparées dont le timbre dateur indiquait qu'elles furent reçues le 15 novembre 1989, Michael Cooper et Steven Cooper ont informé la Commission intimée qu'ils n'étaient pas satisfaits de la suite donnée à l'affaire par la GRC et pour lui demander d'examiner leurs plaintes.
La Commission des plaintes du public, intimée en l'espèce, a été instituée en application de la partie VI de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada et sa procédure est prévue à la partie VII de la même Loi'. Cette procédure, qui fait suite à la réception de la plainte d'un particulier comme en l'espèce, peut se résumer comme suit, à part les dispositions citées ci-dessous qui autorisent le pré- sident à tenir une enquête ou à convoquer une audience pour enquêter sur la plainte:
(1) Le président de la Commission transmet une copie de la plainte au Commissaire, lequel lui fait tenir alors le dossier de l'enquête de la GRC sur la plainte ainsi que la décision, qui a été notifiée au plaignant 6 .
(2) Le président de la Commission examine la plainte' et
i) s'il est satisfait de la décision de la GRC, en informe par écrit le ministre (c'est-à-dire le Solliciteur général du Canada), le Commissaire intimé, le membre de la GRC dont la conduite fait l'objet de la plainte, et le plaignant 8 ;
ii) s'il n'est pas satisfait de la décision, peut prendre d'autres mesures, savoir:
45.42... .
(3) Après examen de la plainte, le président de la Commis sion, s'il n'est pas satisfait de la décision de la Gendarmerie ou s'il est d'avis qu'une enquête plus approfondie est justifiée, peut:
a) soit établir et transmettre au ministre et au Commissaire un rapport écrit énonçant les conclusions et les recommanda- tions qu'il estime indiquées;
b) soit demander au Commissaire de tenir une enquête plus approfondie sur la plainte;
c) soit tenir une enquête plus approfondie ou convoquer une audience pour enquêter sur la plainte.
5 L.R.C. (1985), chap. R-10, mod. par S.C. 1986, chap. 11, art. 15 (L.R.C. (1985) (2e suppl.), chap.8, art. 16).
6 Note 4, supra, art. 45.41(2).
7 Ibid., art. 45.42(1).
8 Ibid., art. 45.42(2).
(3) Au terme de son enquête, le président de la Commission établit et fait tenir au ministre et au Commissaire intimé un rapport écrit énonçant ses conclusions et recommandations, à moins qu'il n'ait convoqué ou n'envisage de convoquer une audience pour enquêter sur la plainte 9 .
(4) Le président de la Commission peut se saisir de la plainte en dehors des cas il n'est pas satisfait de la décision de la GRC, comme suit:
45.43 (1) Le président de la Commission peut, s'il estime dans l'intérêt public d'agir de la sorte, tenir une enquête ou convoquer une audience pour enquêter sur la plainte portant sur la conduite, dans l'exercice de fonctions prévues à la présente loi, d'un membre ou de toute autre personne nommée ou employée sous le régime de celle-ci, que la Gendarmerie ait ou non enquêté ou produit un rapport sur la plainte, ou pris quelque autre mesure à cet égard en vertu de la présente partie.
(5) Dans le cas le président de la Commission décide de convoquer une audience pour enquêter sur la plainte, la Loi prévoit en détail les mesures à prendre, y compris la signification à toutes les parties, la désignation des personnes chargées de tenir l'audience, les séances du ou des membres constituant la Commission aux fins de l'enquête, les droits des intéressés et le droit de tout témoin de se faire représenter par avocat, les preuves recevables devant la Commission et celles qui sont admissibles et inadmissibles à l'audience d'enquête sur une plainte de violation du Code de déontolo- gie de la GRC, sauf l'audience d'enquête sur un faux témoignage ou un témoignage donné dans l'intention de tromper 10 .
(6) Au terme de l'audience, la Commission est tenue d'établir et de faire tenir au ministre et au Commissaire un rapport écrit énonçant les conclu sions et les recommandations qu'elle estime indiquées 11.
(7) Sur réception du rapport soumis par la Commission ou par le président, que ce soit au terme d'une enquête avec ou sans audience, le Commissaire intimé est tenu de réexaminer la plainte à la lumière des conclusions et recomman- dations figurant au rapport de la Commission, et d'informer le ministre et le président de toute nouvelle mesure qu'il prend à l'égard de la plainte.
9 Ibid., art. 45.43(3).
10 Ibid., art. 45.44, 45.45. " Ibid., art. 45.45(14).
Au cas il ne donne pas suite aux conclusions du rapport, il doit motiver cette décision dans la notification au ministre et au président de la Commission 12 .
(8) Après examen du compte rendu du Commis- saire intimé, c'est le président de la Commission qui a le dernier mot: il établit et fait tenir au ministre, au Commissaire et aux parties un rapport écrit final énonçant les conclusions et les recom- mandations qu'il estime indiquées 13 .
La Commission des plaintes du public et son président ne sont pas habilités par la Loi à ordon- ner des mesures de réparation en faveur du plai- gnant ou de qui que ce soit d'autre, ni à conclure à la responsabilité pénale, civile ou disciplinaire d'un membre de la GRC, ni à prononcer une sanction pénale ou autre. Ils ont pour seul pouvoir d'exami- ner, d'enquêter ou de tenir une audience, et de rapporter par écrit les conclusions et recommanda- tions qu'ils estiment indiquées. C'est au Commis- saire intimé qu'il appartient de prendre des mesu- res à la suite du rapport de la Commission ou de son président.
En l'espèce, le président de la Commission, saisi des deux plaintes émanant des Cooper, a pris les mesures initiales prévues par la Loi. Après instruc tion initiale, il a informé le Commissaire intimé en août qu'à son avis, une enquête approfondie s'im- posait et qu'il avait décidé de la tenir conformé- ment à l'alinéa 45.42(3)c) de la Loi. Par la suite, le directeur des plaintes de la Commission a inter- rogé les Cooper et invité les agents de la GRC impliqués, dont le requérant, à une entrevue, mais ces derniers ont tous décliné l'invitation.
Le requérant a été mis au courant du processus d'audience d'enquête sur les plaintes des Cooper par l'avis reçu du président de la Commission intimée. Par avis de décision de convoquer une audience et d'en désigner les membres en date du 26 novembre 1990, le président de la Commis sion, après avoir rappelé la nature des plaintes des Cooper, respectivement identifiés comme le plai- gnant dans chacune d'elles, et nommé les agents de la GRC impliqués, a désigné certaines personnes
12 Ibid., art. 45.46(1),(2).
13 Ibid., art. 45.46(3).
[TRADUCTION] «pour tenir l'audience d'enquête sur cette plainte» conformément au paragraphe 45.44(1) de la Loi, et a signifié ce qui suit:
[TRADUCTION] IL EST PORTÉ À VOTRE CONNAISSANCE qu'au
sujet de cette plainte, j'ai décidé de convoquer une audience conformément à l'alinéa 45.42(3)c) de la Loi pour enquêter sur toutes les questions et entendre tous les témoignages qui s'y rapportent en vue d'une audition pleine et équitable de la plainte, et pour rapporter, à l'issue de l'audience, les conclu sions et recommandations qui s'imposent.
Par avis de nouvelle désignation des membres chargés de l'audience en date du 20 mars 1991, le président de la Commission annonça le remplace- ment du président initialement désigné de l'au- dience. On peut lire dans le nouvel avis cette mention de la décision de convoquer une audience:
[TRADUCTION] IL EST PORTÉ À VOTRE CONNAISSANCE qu'au
sujet de cette plainte, j'ai convoqué une audience conformément au paragraphe 45.43(1) de la Loi par avis de décision de convoquer une audience et d'en désigner les membres, en date du 26 novembre 1990.
Il y a lieu de noter qu'il y a divergence entre les deux avis susmentionnés au sujet du texte de loi dont le président tient son pouvoir en la matière. L'avis du 26 novembre 1990 indique que l'au- dience est convoquée conformément à l'alinéa 45.42(3)c), alors que celui du 20 mars 1991 invo- que le paragraphe 45.43(1).
L'avocat de la Commission intimée articule entre autres les faits suivants dans son exposé des points de fait et de droit:
[TRADUCTION] 10. Les plaintes des Cooper ne pouvaient être réglées par le processus d'enquête et d'examen de la Commis sion qui ne pouvait se fonder sur les éléments de preuve produits pour départager les versions des faits respectivement avancées par les plaignants et par les agents de la Gendarmerie royale du Canada impliqués.
11. Le 26 novembre 1990, M. Richard Gosse, président de la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada, notifia au requérant William Stuart Leach qu'il avait décidé de convoquer une audience pour enquêter sur les plaintes des Cooper.
12. Le président a convoquer l'audience parce qu'il lui était impossible de mener à terme son enquête par quelque autre moyen que ce soit, vu les points de fait non encore résolus. En outre, l'audience devait enquêter sur la légitimité de la politique de la Gendarmerie royale du Canada pour ce qui était de recourir, dans les situations comme celle qui était à l'origine des plaintes des Cooper, à la prise carotidienne, qui était une prise potentiellement mortelle.
13. L'enquête de la Commission n'a pas été menée à terme, c'est pourquoi il n'y a pas eu un rapport d'enquête, tel que le
prévoit l'article 45.43 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC CR-10 [sic].
Devant la Cour, l'avocat de la Commission inti- mée a également fait savoir, à titre d'information, que l'audience en question était l'une des deux ordonnées en même temps pour enquêter sur des plaintes différentes, émanant des Cooper et d'une autre personne, qui se plaignait du recours à la prise carotidienne de la part des agents du même détachement, dans des conditions comparables au cours d'une arrestation. L'autre audience avait déjà commencé et des experts convoqués pour les deux devaient témoigner une seule fois mais pour les deux audiences.
La thèse respective des parties
Comme noté plus haut, le requérant conclut aux ordonnances de prohibition pour interdire à la Commission intimée de tenir une audience d'en- quête sur les plaintes des Cooper, et au Commis- saire intimé de donner suite aux recommandations que pourrait faire le président de la Commission intimée à la suite de ces plaintes. Voici les motifs de la requête:
[TRADUCTION] 1. Les parties VI et VII de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada vont à l'encontre de la Loi constitutionnelle de 1982 et sont nuls de ce fait. Le requérant invoque à cet effet les articles 7, 11, 15, 32 et 52 de la Loi constitutionnelle.
2. Le président de la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada, ayant terminé une enquête sous le régime du paragraphe 45.43(1) de la Loi sur la Gendar- merie royale du Canada est, de ce fait, dessaisi de l'affaire et n'a plus compétence pour convoquer une audience d'enquête sur les plaintes de Michael Cooper et de Steven Cooper.
Devant la Cour, l'avocat du requérant n'a pas développé le premier de ces deux motifs, savoir que les dispositions en cause de la Loi sur la Gendar- merie royale du Canada allaient à l'encontre de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]] et étaient invalides de ce fait, bien que l'avocat de la Com mission et celui du procureur général y eussent répondu dans leur mémoire comme dans leur argu mentation orale respective. Outre les motifs signi- fiés par écrit, l'avocat du requérant a encore fait valoir que la procédure prévue à la partie VII de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada était
une procédure inique qui devrait être interdite à la lumière de la jurisprudence récente en matière d'enquêtes publiques.
De son côté, l'avocat de la Commission intimée a présenté d'autres éléments d'information comme noté plus haut, savoir que l'enquête effectuée par le président sur les plaintes des Cooper ne pouvait pas être et n'a pas été menée à bien en raison de la divergence entre les versions des faits à l'origine de ces plaintes, ce qui expliquait la décision du prési- dent de convoquer une audience au cours de laquelle les plaignants et les agents de la GRC impliqués seraient cités comme témoins. Il a égale- ment fait savoir que la nouvelle enquête devait porter sur le recours à la prise carotidienne, dont on dit qu'elle peut causer la mort et dont il a été reconnu qu'elle avait été utilisée lors de l'arresta- tion de l'un au moins des Cooper, bien qu'elle figure dans les manuels de formation et d'action de la GRC. Alors que normalement, la Cour désap- prouve la représentation directe des organismes créés par la loi dans les instances de contrôle judiciaire les concernant 14 , une exception s'appli- que aux matières touchant leur compétence 15 , les- quelles sont au coeur de la requête en l'espèce. Quoi qu'il en soit, la représentation directe de la Commission intimée dans cette affaire n'a donné lieu à aucune contestation.
De son côté, le procureur général du Canada, par son avocat, partage dans l'ensemble la position adoptée par la Commission. Chose étonnante, il s'en écarte sur deux points. En premier lieu, il soutient que le pouvoir que le président tient de l'alinéa 45.42(3)c) est quelque peu différent de celui que fait valoir la Commission, comme nous le verrons plus loin. En second lieu, il soutient que la portée de l'audience est limitée aux questions tou- chant directement les plaintes sur les agissements des agents de la GRC impliqués, mais ne s'étend pas aux questions plus générales comme, par exemple, le recours à la prise carotidienne. Ce qui est fort intéressant, c'est que l'avocat du requérant a admis que si l'audience était exclusivement con
14 Règle définie par Northwestern Utilities Ltd. et autre c.
Ville d'Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684, la p. 709, le juge Estey; voir Rankin (Re), [1991] 1 C.F. 226 (1" inst.), aux p. 233 et 234, le juge Denault.
15 Ferguson Bus Lines Ltd. c. Syndicat uni du transport, section locale 1374, [1990] 2 C.F. 586 (C.A.), le juge Maho- ney, J.C.A.
sacrée au recours aux prises d'immobilisation dans les fonctions de police, son client ne verrait aucune objection à comparaître comme témoin. Ce à quoi il s'opposait, c'était le fait que l'audience était manifestement focalisée sur la conduite du requé- rant au moment de l'arrestation des Cooper. A mon sens, l'avis de requête en ordonnances de prohibition ne demande pas une décision sur l'étendue du mandat de l'audience convoquée par la Commission, le seul sujet de préoccupation étant l'enquête sur les agissements du requérant. Aucun autre mandat n'a été porté à la connais- sance de la Cour, à part celui qui ressort de l'avis en date du 26 novembre 1990 du président de la Commission et qui était d'«enquêter sur toutes les questions et entendre tous les témoignages qui s'y rapportent en vue d'une audition pleine et équita- ble de la plainte, et [de] rapporter, à l'issue de l'audience, les conclusions et recommandations qui s'imposent». Je ne m'étendrai donc pas sur «l'éten- due du mandat de l'audience» telle qu'en a fait état l'avocat du procureur général.
Celui-ci a également fait valoir une fin de non- recevoir, savoir que le recours, introduit par requête introductive d'instance, doit être rejeté par ce motif qu'en l'espèce, elle vise à un jugement déclaratoire sur la constitutionnalité d'une partie de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. Il a cité à cet effet différents précédents 16 , mais je n'adopterai pas cette approche vu l'insistance du requérant sur le fait qu'il ne conclut pas à juge- ment déclaratoire. A mon avis, il incombe à la Cour de se prononcer sur la requête dont elle a été saisie et eu égard à la mesure de réparation qui y est visée.
Les points litigieux
Essentiellement la requête porte sur les trois questions suivantes:
1. Le pouvoir du président de la Commission de convoquer une audience;
2. L'équité des procédures prévues à la partie VII de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada; et
16 Voir Pacific Trollers Association c. Procureur général du Canada et autre (numéro du greffe T-1921-86, le juge McNair, ordonnance en date du 2 septembre 1986, non publiée (C.F. 1" inst.)); Estrada c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration) (1987), 8 F.T.R. 317 (C.F. inst.).
3. La conformité des parties VI et VII de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada avec les articles 7, 11, 15, 32 et 52 de la Loi constitu- tionnelle de 1982.
J'examinerai ces trois questions l'une après l'autre.
Le pouvoir du président de la Commission de convoquer une audience
Le requérant soutient dans son avis de requête que le président de la Commission «ayant terminé une enquête sous le régime du paragraphe 45.43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada est, de ce fait, dessaisi de l'affaire et n'a plus compétence pour convoquer une audience». Je présume que le renvoi au texte de loi a été fait par erreur et que le requérant voulait vraiment invo- quer l'alinéa 45.42(3)c), cité dans l'avis de déci- sion du président de convoquer une audience, en date du 26 novembre 1990. Cependant, l'une et l'autre dispositions peuvent fort bien être invo- quées par le président si on s'en tient à la formula tion de son avis du 20 mars 1991, et les deux présentent essentiellement la même construction grammaticale pour prévoir le pouvoir du président. Ainsi donc, le paragraphe 45.43(1) prévoit, comme nous l'avons vu, ce qui suit:
45.43(1) Le président de la Commission peut, s'il estime dans l'intérêt public d'agir de la sorte, tenir une enquête ou convoquer une audience pour enquêter sur une plainte ... [Passages non soulignés dans l'original.]
L'alinéa 45.42(3)c) porte:
45.42... .
(3) Après examen de la plainte, le président de la Commis sion, s'il n'est pas satisfait de la décision de la Gendarmerie ou s'il est d'avis qu'une enquête plus approfondie est justifiée, peut;
c) soit tenir une enquête plus approfondie ou convoquer une audience pour enquêter sur la plainte. [Passages non souli- gnés dans l'original.]
L'argument du requérant, applicable à l'une ou l'autre disposition, veut que le mot «ou» ait été employé en l'occurrence dans son sens exclusif ou disjonctif, c'est-à-dire que le président peut pren- dre soit l'une soit l'autre des mesures prévues mais non pas les deux. L'avocat du procureur général du Canada soutient par contre que ces dispositions prévoient la convocation d'une audience après qu'une enquête aura été effectuée par le président.
De son côté, la Commission fait valoir que le mot «ou» est employé dans son sens inclusif ou conjonc- tif, parfois comme synonyme de «et» et qu'ainsi, le président n'était pas limité à prendre soit l'une soit l'autre mesure, mais pouvait les prendre et l'une et l'autre. Il soutient qu'en l'espèce, il n'a pas été possible de mener à bien l'enquête entreprise en raison de la divergence des versions des faits de part et d'autre, d'où la décision de convoquer une audience pour mener à terme l'enquête et faciliter la préparation du rapport sur les plaintes dont s'agit.
Je conclus que le mot «ou» figurant dans l'une et l'autre dispositions a un sens inclusif ou conjonctif, et que le président de la Commission est habilité à convoquer une audience après avoir ordonné une enquête, que celle-ci ait été terminée ou non à sa satisfaction, à part le rapport destiné au Commis- saire. La Cour d'appel' 7 et la Cour suprême du Canada 18 ont indiqué la bonne méthode d'interpré- tation des lois, résumée comme suit par E. A. Driedger dans Construction of Statutes:
[TRADUCTION] De nos jours, un seul principe ou méthode prévaut pour l'interprétation d'une loi: les mots doivent être interprétés selon le contexte, dans leur acception logique cou- rante en conformité avec l'esprit et l'objet de la loi et l'intention du législateur 19 .
En examinant les autres dispositions de la partie VII de la Loi, on peut en voir certaines il appert que le mot «ou» est aussi employé dans un sens inclusif ou conjonctif 20 . Qui plus est, le paragraphe 45.43(3) de la Loi semble indiquer clairement que la décision d'enquêter sur une plainte n'exclut pas la possibilité pour le président de convoquer une audience; en effet, le libellé de cette disposition favorise l'interprétation selon laquelle le législateur entendait prévoir que le président pourrait convo- quer une audience après avoir entrepris l'enquête sur une plainte. Voici ce que prévoit ce paragraphe:
" Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346 (C.A.), à la p. 352, le juge MacGuigan, J.C.A.
18 Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, la p. 578, le juge Estey.
19 2e éd. 1983, p. 87.
20 Voir l'emploi du mot «or» à la fin de l'alinéa 45.35(1)b) du texte anglais; et du mot «ou» dans le membre de phrase «poursuites pénales, civiles ou administratives» au paragraphe 45.36(2); l'article 45.38; au début du paragraphe 45.42(3); et à la fin de l'alinéa 45.42(3)b).
45.43... .
(3) Au terme de l'enquête prévue à l'alinéa 45.42(3)c) ou au paragraphe (1), le président de la Commission établit et trans- met au ministre et au Commissaire un rapport écrit énonçant les conclusions et les recommandations qu'il estime indiquées, à moins qu'il n'ait déjà convoqué une audience, ou se propose de le faire, pour faire enquête en vertu de cet alinéa ou paragraphe.
Enfin, cette interprétation est conforme à l'objet de la Loi et à la volonté du législateur telle qu'elle s'y exprime. L'avocat de la Commission cite les rapports de commission 21 qui ont abouti à cette Loi ainsi que la déclaration faite par le solliciteur général de l'époque, à la présentation du projet de loi au Parlement 22 , à titre de travaux préparatoires qui permettent de saisir le but ou l'objet des parties VI et VII de la Loi. Certains de ces travaux préparatoires ont été évoqués en Cour d'appel par le juge MacGuigan qui résumait l'objectif de la Loi en ce qui concerne l'examen des plaintes du public, comme suit:
Ainsi donc, un objet de la Loi qu'on peut dégager de la situation qu'elle visait à réformer est de protéger le public contre la tenue d'enquêtes secrètes sur les plaintes. Mais il ressort à l'évidence d'autres éclaircissements fournis par le solliciteur général que l'on voulait aussi se protéger contre un autre abus, à savoir la mise au pilori des membres de la Gendarmerie (Débats, 11 septembre 1985, à la page 6519):
Ce projet donne suite à la plupart des recommandations de la commission Marin et l'on a passé beaucoup de temps à préparer des révisions qui aideront la GRC dans son travail tout en préservant le délicat équilibre entre la protection des droits du public et celle des membres de la GRC.
Cette observation indique que l'on se prémunit également contre les deux abus 23 .
Je pense que pour atteindre ces deux objectifs de la Loi, il faut interpréter le mot «ou» figurant à l'alinéa 45.42(3)c) ou au paragraphe 45.43(3) dans son sens inclusif ou conjonctif et, ainsi qu'il a
21 La liberté et la sécurité devant la loi, rapport de la commission MacDonald (1981), aux p. 101 et s.; Rapport de la Commission d'enquête sur les plaintes du public, la discipline interne et le règlement des griefs au sein de la Gendarmerie royale du Canada (Rapport de la commission Marin, 1976).
22 Débats de la Chambre des communes (Mercredi 11 sep- tembre 1985), Vol. V, 1" session, 33' Parl., aux p. 6518 et 6519.
23 Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (Can.) (Re), [1991] 1 C.F. 529 (C.A.), à la p. 556.
été noté plus haut, comme habilitant le président de la Commission à décider de convoquer une audience même s'il a entrepris une enquête sur la plainte. Si la Commission a pour mandat de pré- server la confiance du public dans la Gendarmerie et dans ses méthodes, il faut qu'elle ait la faculté, par la voix de son président, de décider quand une audience s'impose. On voit mal que le président puisse prendre pareille décision avant d'entrepren- dre au moins une enquête préliminaire sur l'af- faire, par exemple, en examinant la nature et les circonstances de la plainte, l'identité du plaignant et la question de savoir s'il prétend avoir été la victime des méfaits supposés, la minutie de toute enquête antérieure par la Gendarmerie, la question de savoir si le plaignant a été satisfait de la suite donnée par la Gendarmerie à la plainte, l'évalua- tion technique des preuves et témoignages suscep- tibles d'être produits à l'audience, etc. A mon avis, la décision de convoquer une audience, qui visera les deux objectifs définis par le juge MacGuigan, J.C.A., présuppose à tout le moins, par la force des choses, une enquête préliminaire du président de la Commission sur la plainte.
À la lumière de cette interprétation des disposi tions législatives en application desquelles l'au- dience a été convoquée en l'espèce, qu'il s'agisse de l'alinéa 45.42(3)c) ou du paragraphe 45.43(1), on peut dire que le législateur autorise la convocation d'une audience en sus de toute enquête faite par le président de la Commission. Je n'accueille donc pas l'argument du requérant selon lequel le prési- dent a épuisé sa compétence avant la convocation de l'audience.
L'équité des procédures prévues à la partie VII de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada
Le requérant soutient qu'il y a lieu aux ordon- nances recherchées par ce motif que l'équité des procédures prévues à la partie VII de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada est sérieusement en doute. Son argumentation porte sur deux facet- tes de cette question, savoir d'une part les disposi tions législatives elles-mêmes, et d'autre part la nature de l'audience convoquée en l'espèce par le président de la Commission.
Selon l'avocat du requérant, la procédure insti- tuée par la partie VII laisse sérieusement à désirer, sur le plan de l'équité, à trois égards. Il y a d'abord
le pouvoir illimité de l'organe d'enquête, c'est-à- dire la Commission, de faire un rapport écrit «énonçant les conclusions et les recommandations qu'elle estime indiquées» 24 , de telle façon qu'il est loisible à la Commission de recommander des poursuites pénales ou des mesures disciplinaires. Il y a en deuxième lieu le pouvoir qu'a le Commis- saire intimé, saisi du rapport d'enquête, de prendre des mesures dont la portée n'est astreinte à aucune limite, et sans que la personne visée puisse se faire entendre 25 . Il y a en troisième lieu la même impos- sibilité de se faire entendre avant que le président de la Commission fasse son rapport final, une fois informé des mesures que le Commissaire a prises ou va prendre ou de son refus de donner suite au rapport de l'audience d'enquête 26 .
À mon avis, ces préoccupations exprimées par le requérant ne justifient pas les mesures de répara- tion recherchées en cet état de l'affaire. Elles présupposent que l'organisme d'enquête pourrait faire des recommandations défavorables au requé- rant, que ces recommandations pourraient être appliquées et pourraient faire l'objet du rapport final du président de la Commission sur la plainte. Pareille issue est pure conjecture en ce stade de l'affaire. Pour appliquer la Loi conformément à son esprit, l'organisme d'enquête veillera à proté- ger les intérêts des Cooper en leur qualité de plaignants, tout comme les intérêts du requérant et des autres agents impliqués. Il veillera à vérifier le processus d'enquête interne de la GRC sur les plaintes.
Il faut peut-être bien que l'organisme d'enquête, c'est-à-dire la Commission, son président ou le Commissaire, veille à garantir l'équité procédu- rale, en particulier à l'égard des personnes dont les intérêts pourront être affectés par leurs rapports ou leurs actions 27 . En ce qui concerne le processus d'audition lui-même, la Loi prévoit des dispositions expresses à cet effet. Il y aura pourtant d'autres circonstances dont certaines ont inspiré les inquié- tudes du requérant et l'équité procédurale n'est
24 Note 4, supra, art. 45.45(14).
25 Note 4, supra, art. 45.46(1) et (2).
26 Note 4, supra, art. 45.46(3).
27 Voir Mahon v. Air New Zealand Ltd., [1984] 1 A.C. 808 (P.C.), lord Diplock, aux p. 820 et 821; Duncan c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1990] 3 C.F. 560 (1fe inst.).
pas prévue dans la Loi. Ce fait ne suffit pas à justifier l'interdiction de la procédure par une ordonnance de prohibition en prévision du cas les autorités responsables oublieront leurs respon- sabilités. Ces dernières bénéficient des conseils de conseillers juridiques compétents qui veilleront certainement à ce que personne ne puisse se plain- dre de façon plausible que leurs rapports ou déci- sions soient entachés et doivent être infirmés, pour inobservation de l'obligation d'équité ou des princi- pes de justice naturelle applicables.
Rien ne justifie une ordonnance de prohibition contre une action dont on ne peut, en cet état de la cause, que conjecturer sur la survenance, et qui ne mettrait peut-être en jeu aucune véritable question d'abus de pouvoir discrétionnaire.
Le requérant voit une seconde manifestation d'iniquité dans la nature de l'audience elle-même, telle qu'elle ressort des avis en date du 26 novem- bre 1990 du président, qui font état des plaintes des Cooper de voies de fait et de recours à la force excessive dans leur arrestation. Il s'agit d'infrac- tions criminelles prévues au Code criminel [L.R.C. (1985), chap. C-46], et on lit ce qui suit dans l'avis du président: «J'ai décidé de convoquer une audience pour enquêter sur toutes les questions et entendre tous les témoignages qui s'y rapportent en vue d'une audition pleine et équitable de la plainte, et pour rapporter, à l'issue de l'audience, les conclusions et recommandations qui s'impo- sent». Le requérant soutient qu'il ressort de l'avis du président que la Commission examinera si le requérant et les autres agents impliqués ont commis des actes qui constituent des infractions criminelles. À la lumière de la dernière jurispru dence applicable, en particulier de l'arrêt Starr 28 de la Cour suprême, il conclut à l'interdiction de l'audience qui équivaut en fait à une enquête préliminaire sur des infractions criminelles. Son avocat cite également la décision Nelles 29 à l'appui de sa conclusion à ordonnance de prohibition. Que l'audience débouche ou non sur une conclusion d'agissements criminels chez le requérant, il n'évi- tera pas la notoriété publique qui s'attachera à toute caractérisation défavorable de ses actes et il
28 Starr c. Houlden, [1990] 1 R.C.S. 1366.
29 Re Nelles et al. and Grange et al. (1984), 46 O.R. (2d) 210 (C.A.), à la p. 220.
n'aura pas la possibilité de se faire entendre pour rejeter pareille caractérisation ou pour y répondre.
Le dernier de ces arguments représente peut- être une sérieuse préoccupation de la part du requérant, mais ne justifie nullement une ordon- nance de prohibition en cet état de la cause. L'au- dience et le processus d'examen noté ci-dessus, tels qu'ils sont prévus par la Loi, ne serviront à rien si les agissements faisant l'objet d'une plainte ne peuvent être examinés ouvertement et faire l'objet d'un rapport. Dans l'examen et l'appréciation de ces agissements aux stades subséquents à l'au- dience, le requérant et les autres ont le droit et la possibilité de se faire entendre et se faire repré- senter par avocat, les principes de justice naturelle et l'obligation d'équité peuvent, comme noté plus haut, influer sur la manière dont les personnes visées ont leur mot à dire. Mais il s'agit de considérations applicables à une autre instance et à d'autres stades de l'affaire; elles ne justifient pas la délivrance d'ordonnances de prohibition à ce stade.
À mon avis, l'arrêt Starr 30 de la Cour suprême du Canada ne s'applique pas en l'espèce. Il s'agis- sait d'une enquête provinciale dont la Cour jugeait que la province n'avait pas compétence pour insti- tuer puisqu'elle portait sur une affaire de droit et de procédure criminels, matière qui, selon la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu- tionnelle de 1982, 1 [L.R.C. (1985), appendice II, 5]], relève de la compétence exclusive du Parlement. Dans cette affaire, il y avait une enquête de police parallèle sur les agissements des personnes convoquées à titre de témoins contrai- gnables par la commission d'enquête provinciale, dont le mandat était formulé, en partie tout au moins, en termes synonymes avec les infractions prévues au Code criminel. Le juge Lamer (tel était son titre à l'époque), dans les motifs de jugement prononcés au nom de la majorité, voyait dans cette enquête provinciale «un substitut d'enquête de police et d'enquête préliminaire visant des person- nes désignées relativement à une infraction précise» 31 . En l'espèce, l'audience est prévue par
Note 28, supra.
31 Ibid., aux p. 1408 et 1410.
une loi fédérale. Il n'y a aucune enquête criminelle parallèle en cours ou envisagée; en effet, pareille enquête avait été terminée et le requérant ainsi que les plaignants ont été informés avant l'audience prévue en l'espèce qu'il n'y aurait pas de poursuite au criminel. Bien que la possibilité de poursuite au criminel ne fût pas exclue pour l'avenir, elle ne constituait pas l'objectif de l'audience. Qui plus est, il a été noté qu'il n'y avait aucune perspective de sanction disciplinaire contre les agents de la Gendarmerie puisque le paragraphe 43(8) interdit l'audience disciplinaire après qu'un an s'est écoulé depuis la date de la contravention supposée au Code de déontologie et après que l'identité de l'agent impliqué est connu, lequel délai est expiré en l'espèce.
L'objet de l'audience prévue en l'espèce, nonob- stant le libellé de l'avis d'audience, qui doit être envisagé à la lumière des buts que prévoit la loi pour l'enquête, n'est pas de mener à une poursuite sous le régime du Code criminel ou à des mesures disciplinaires. L'audience vise plutôt à rechercher la vérité au sujet de l'incident ayant provoqué la plainte, à contrôler le processus d'enquête interne de la Gendarmerie et, de toute évidence, à exami ner le recours à certaines méthodes par les agents impliqués dans l'exercice de leurs fonctions. Elle ne peut être qualifiée, à mon avis, de substitut d'enquête préliminaire sur une allégation d'agisse- ments criminels. Les faits de la cause sont compa- rables à ceux de l'affaire O'Hara 32 , bien que cette dernière concernât une enquête provinciale qui portait sur un incident spécifique sans chercher à imputer la responsabilité pénale à une personne en particulier car elle s'intéressait aux agissements de la police en général. Dans O'Hara, la Cour suprême du Canada a conclu à la justification de l'enquête provinciale.
Par ces motifs, je conclus que l'audience convo- quée en l'espèce ne contrevient pas aux principes d'équité. Les préoccupations du requérant au sujet de ces principes pourront prendre corps aux stades subséquents de la procédure prévue à la partie VII de la Loi, mais elles pourront être examinées au fur et à mesure qu'elles se produiront, ou pourront faire l'objet d'un contrôle judiciaire si ces principes ne sont pas convenablement appliqués.
32 O'Hara c. Colombie-Britannique, [1987] 2 R.C.S. 591.
Les parties VI et VII de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada et la Loi constitutionnelle de 1982
Le dernier motif de requête est fondé sur la Loi constitutionnelle de 1982. L'une des dispositions citées de cette dernière, l'article 52, est un article déclaratoire établissant la primauté de la Constitu tion du Canada, y compris la Loi constitutionnelle de 1982, qui rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. L'arti- cle 32, également invoqué, est déclaratoire en ce qu'il prévoit l'application de la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, c'est-à-dire de la Charte canadienne des droits et libertés, au Parlement et au gouvernement du Canada pour tous les domai- nes relevant du Parlement, ainsi qu'à la législature et au gouvernement de chaque province. Les autres articles invoqués par le requérant, savoir les arti cles 7, 11 et 15, sont des dispositions de fond de la Charte.
Comme noté plus haut, l'avocat du requérant ne s'est pas étendu sur l'argument fondamental, selon lequel les parties VI et VII de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada sont incompatibles avec ces dispositions de la Charte, sauf dans la mesure cet argument sur l'équité de la procé- dure prévue à la partie VII de la Loi embrasse implicitement les préoccupations exprimées au regard de l'article 7 de la Charte. A mon avis, les conclusions fondées par le requérant sur la Charte ont été réglées par les conclusions écrites et orales des avocats du procureur général et de la Commis sion intimée. Je ne m'étendrai pas là-dessus, mais tirerai mes conclusions à la lumière du magistère applicable.
Je ne pense pas que les parties VI et VII de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada soient incompatibles avec l'article 7 de la Charte, qui porte:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
En cas d'enquête convoquée en application de l'ali- néa 45.42(3)c) ou du paragraphe 45.43(1) de la Loi, celle-ci prévoit qu'un avis écrit de la date, de l'heure et du lieu de l'audience doit être signifié aux parties, dont le plaignant et le membre de la Gendarmerie visé par la plainte, que les parties et
toute personne ayant un intérêt réel et direct dans la plainte doivent avoir toute latitude de présenter des éléments de preuve à l'audience, d'y contre- interroger des témoins et d'y faire des observa tions, soit personnellement soit par l'intermédiaire d'un avocat. Certaines restrictions sont prévues au sujet des témoignages que la Commission peut recueillir à l'audience; sont exclues, par exemple, les déclarations faites à l'occasion d'autres plaintes ou dans le cadre d'une tentative de règlement à l'amiable, cette exception visant à protéger les intérêts du témoin, bien que celui-ci ne soit pas dispensé de répondre aux questions au motif que sa réponse peut l'incriminer ou l'exposer à des pour- suites ou à une peine; dans le cas cependant du témoin qui est un membre de la Gendarmerie, les réponses ou déclarations qu'il a faites au cours d'une audience ne peuvent être utilisées contre lui dans une audience disciplinaire".
Ces dispositions représentent un effort considé- rable pour garantir que le processus d'audience soit en conformité avec les «principes de justice fondamentale». Dans la mesure les dispositions législatives ne mentionnent pas l'observation des principes de justice naturelle ou l'obligation d'équité dans le processus d'audience, dans le rap port subséquent de l'organisme d'enquête au Com- missaire, dans les mesures que celui-ci peut pren- dre, ou dans le rapport final du président de la Commission, on ne saurait dire que la partie VII de la Loi contrevient à l'article 7 de la Charte. Les règles jurisprudentielles établies au sujet de cet article pourraient trouver leur application dans le processus postérieur à l'audience, mais il n'appar- tient pas à la Cour de prévoir à l'avance que ce processus se déroulera de façon contraire à la Charte ou aux principes d'équité applicables, ou de conclure dès maintenant à une violation de cet article de la Charte.
Le requérant n'a pas développé son argumenta tion fondée sur l'article 11 de la Charte, qui prévoit les garanties procédurales en matière pénale. Son exposé des points de fait et de droit fait état de la convocation à l'audience il sera requis de témoigner au sujet de l'incident à l'ori- gine de la plainte, et semble invoquer implicite-
" Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, note 4, supra,
art. 45.45(2),(5),(6),(8),(9),(12),(15).
ment à ce sujet l'alinéa 11c) de la Charte, qui porte:
11. Tout inculpé a le droit:
c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche;
La simple réponse à la préoccupation du requé- rant est que l'article 11 de la Charte ne s'applique pas aux procédures d'audience de la Commission des plaintes du public. Le requérant n'est pas poursuivi au criminel et l'audience ne peut avoir aucune conséquence pénale. Pareille conséquence ne pourrait se faire jour qu'à un stade ultérieur, par action ou décision du Commissaire intimé. Même à ce stade ultérieur, le requérant partage, avec tous les autres témoins à l'audience, le droit garanti par l'article 13 de la Charte «à ce qu'aucun témoignage incriminant qu'il donne ne soit utilisé pour l'incriminer dans d'autres procédures, sauf lors de poursuites pour parjure ou pour témoigna- ges contradictoires» 34 .
Enfin, je conclus que l'audience convoquée en application de la Loi et les dispositions de la partie VII de cette dernière ne portent pas atteinte au droit que l'article 15 de la Charte garantit au requérant. L'application de cet article, qui prévoit l'égalité devant la loi, l'égalité de bénéfice et la protection égale de la loi, a été clarifiée par la Cour suprême du Canada, en particulier par ses arrêts Andrews 35 et Turpin 36 . Il appert, à la lumière de ces décisions, que l'article 15 ne s'appli- que pas dans l'espèce aux dispositions de la partie VII de la Loi, qui ne sont pas discriminatoires, en particulier au regard des motifs de distinction énumérés et des motifs comparables.
Décision
Par ces motifs, je décide comme suit. Le prési- dent de la Commission a agi dans les limites de sa compétence légale en convoquant l'audience d'en- quête sur les plaintes de Michael Cooper et de Steven Cooper. La procédure prévue à la partie VII de la Loi sur la Gendarmerie royale du
34 Voir Meade c. Canada, [1991] 3 C.F. 365 (1" inst.) le juge Pinard.
35 Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143.
36 R. c. Turpin, [ 1989] 1 R.C.S. 1296.
Canada ne va pas à l'encontre des principes d'équité et l'audience prévue ne se substitue pas à une enquête préliminaire sur des agissements cri- minels supposés; dans la mesure il pourra être nécessaire de prendre en considération l'obligation d'équité ou les principes de justice naturelle dans l'exercice des pouvoirs discrétionnaires et des res- ponsabilités prévus par la loi, on peut prévoir en cet état de la cause que les autorités responsables y veilleront; les parties VI et VII de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada telles qu'elles sont généralement invoquées ne portent atteinte à aucun des droits que le requérant tient des articles 7, 11 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, ni ne sont incompatibles avec la Charte telle qu'elle est citée, et ont donc plein effet.
La requête en ordonnances de prohibition est rejetée. La question des dépens n'a pas été abordée devant la Cour, mais ils suivront comme à l'accou- tumée l'issue de l'instance et sont donc accordés aux intimés.
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