A-947-90
Senthilvel Nadarajah (appelant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(intimé)
RÉPERTORIA' NADARAJAAC. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI
ET DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juge Heald, J.C.A.—Toronto, 11 mars;
Ottawa, 19 mars 1992.
Immigration — Statut de réfugié — Pratique — Requête fon-
dée sur les Règles 1102 et 1305 pour obtenir une ordonnance
tendant à ajouter des documents au dossier d'appel — Requête
accueillie en vertu de la Règle 1305 — Revendication du statut
de réfugié — La section du statut de réfugié s'est trompée en
refusant d'examiner de la documentation présentée après l'au-
dience, mais avant qu'une décision n'ait été rendue — La sec
tion du statut de réfugié était saisie de l'affaire tant qu'elle,
n'avait pas rendu sa décision — La documentation faisait par-
tie de «toutes les pièces pertinentes, en ce qui concerne l'af-
faire soumise au tribunal dont l'ordonnance ou la décision fait
l'objet de l'appel ... qui sont en la possession ou sous le con-
trôle du tribunal» (Règle 1305) — Les documents étaient perti-
nents puisqu'ils permettaient d'établir une menace beaucoup
plus grave de persécution.
Pratique — Appels et nouveaux procès — Requête fondée
sur les Règles 1102 et 1305 pour obtenir une ordonnance ten-
dant à modifier le contenu du dossier d'appel par l'ajout de
certains documents — Requête accueillie en vertu de la Règle
1305 — Revendication du statut de réfugié devant la section du
statut de réfugié — L'avocate du requérant a présenté de la
documentation sur les événements récents au Sri Lanka, après
l'audience, mais avant qu'une décision n'ait été rendue — La
section du statut de réfugié s'est trompée en refusant d'exami-
ner la documentation puisqu'elle était saisie de l'affaire tant
qu'elle n'avait pas rendu sa décision — La documentation fai-
sait partie de «toutes les pièces pertinentes, en ce qui concerne
l'affaire soumise au tribunal dont l'ordonnance ou la décision
fait l'objet de l'appel... qui sont en la possession ou sous le
contrôle du tribunal» (Règle /305) — Le fait que la documen
tation n'était plus en la possession du tribunal ne rendait pas
inapplicable la Règle 1305b) — Les documents étaient mani-
festement pertinents puisqu'ils tendaient à établir une menace
beaucoup plus grave de persécution.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Lai constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 7.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
28.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
1102, 1305.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Pacific Press Ltd. c. Canada (Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration), A-1026-90, juge Heald, J.C.A., jugement
en date du 12-12-90, C.A.F., encore inédit.
AVOCATS:
Brenda J. Wemp pour l'appelant.
Neelam Jolly pour l'intimé.
PROCUREURS:
Brenda J. Wemp, Toronto, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de
l'ordonnance rendus par
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Par avis de requête fondé
sur les Règles 1102 et 1305 [Règles de la Cour fédé-
rale, C.R.C., chap. 663]I, l'appelant en l'espèce solli-
1 Règle I102.(1) La Cour d'appel pourra, à sa discrétion,
pour des raisons spéciales, recueillir ou compléter la preuve sur
toute question de fait, cette preuve devant être recueillie par
l'interrogatoire en séance, ou sous forme de déposition écrite,
selon que la Cour le prescrit.
(2) Au lieu de recueillir ou compléter la preuve en vertu de
l'alinéa (1), la Cour pourra prescrire un renvoi en vertu de la
Règle 500 comme si cette Règle et les Règles 501 à 507 étaient
insérées dans la présente Partie dans la mesure où elles sont
applicables.
Règle 1305. La cause est présentée en appel sous forme de
dossier qui doit être constitué (sauf, en tout cas, convention
contraire entre les personnes intéressées ou ordre contraire
donné par la Cour sur demande d'une personne intéressée, du
sous-procureur général du Canada ou d'un conseil nommé spé-
cialement pour faire cette demande pour le compte du tribunal)
par
a) l'ordonnance ou la décision portée en appel ainsi que
ses motifs;
b) toutes les pièces pertinentes, en ce qui concerne l'af-
faire soumise au tribunal dont l'ordonnance ou la décision
fait l'objet de l'appel (ci-après appelé «le tribunal») et qui
a abouti à l'ordonnance ou à la décision portée en appel,
qui sont en la possession ou sous le contrôle du tribunal;
(Suite à la page suivante)
cite une ordonnance tendant à modifier le contenu du
dossier d'appel par l'ajout de certains documents 2 .
La présente requête a été plaidée oralement devant
moi à Toronto, le 11 mars 1992. La revendication du
statut de réfugié présentée par l'appelant a fait l'objet
d'une audience tenue devant la section du statut de
réfugié (dont les membres étaient Barbara Fraser et
Lorraine Thomson) le 6 février et le 11 avril 1990. A
la fin de l'audience du 11 avril, la présidente, Mme
Fraser, a affirmé ceci (dossier d'appel, volume 1, à la
page 68):
[TRADUCTION] Nous différons notre décision. L'audience est
maintenant levée.
(Suite de la page précédente)
c) une transcription de toute déposition orale faite au
cours de l'audition qui, le cas échéant, a abouti à l'ordon-
nance ou à la décision portée en appel;
d) les affidavits, les documents déposés au cours de cette
audition, comme pièces ou à un autre titre;
e) les objets déposés comme pièces au cours de cette audi
tion.
2 1. La lettre de Brenda J. Wemp, avocate, en date du 16
juillet 1990, et adressée au greffier de la Commission de l'im-
migration et du statut de réfugié, laquelle lettre a pour objet
Nadarajah Senthilvel et porte le tampon de réception de la
Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du
18 juillet 1990.
2. La lettre de Brenda J. Wemp, avocate, en date du 16 juil-
let 1990, adressée à la Commission de l'immigration et du sta-
tut de réfugié, à l'attention de Mme Barbara Fraser, présidente
de l'audience, qui a pour objet Nadarajah Senthilvel et porte le
tampon de réception de la Commission de l'immigration et du
statut de réfugié en date du 18 juillet 1990.
3. Des copies des documents suivants, lesquels étaient cités
dans les lettres susmentionnées et faisaient partie des pièces
jointes:
(i) «Bitter Siege symbolizes Sri Lankan war», The
Toronto Star, le 8 juillet 1990
(ii) «We Are Back to Square One», TIME, le 2 juillet
1990
(iii) «Civil War in Sri Lanka», Newsline, le 20 juin 1990,
A Sri Lankan Newsletter
(iv) «Bullets for Reporters», Time Magazine, le 23 avril
1990
(v) «Bombings killed civilians, Sri Lankan official
admits», The Globe and Mail, le 29 juin 1990
(vi) «War Declared on Rebels», The Globe and Mail, le
19 juin 1990
4. La lettre de la Commission de l'immigration et du statut
de réfugié en date du 26 juillet 1990, adressée à Brenda J.
Wemp, avocate, qui a pour objet Nadarajah Senthilvel.
Le 16 juillet 1990, Brenda Wemp, l'avocate de l'ap-
pelant, a écrit une lettre au greffier de la section du
statut de réfugié à laquelle était jointe une autre lettre,
également datée du 16 juillet 1990, adressée à la pré-
sidente de l'audience, Mme Fraser. Cette lettre était
libellée en ces termes:
[TRADUCTION] Le 16 juillet 1990
Commission de l'immigration et du statut de réfugié
Section du statut de réfugié
1, rue Front ouest, 5e étage
Toronto (Ontario)
M5J 1A5
A l'attention de Mme Barbara Fraser, présidente de l'audience
Objet: Nadarajah Senthilvel, dossier T89-05894 URGENT
Madame,
Vous trouverez, sous pli, de la documentation récente sur des
événements qui se sont produits au Sri Lanka depuis un mois et
qui ont un rapport direct avec la revendication du statut de
réfugié de M. Senthilvel. L'audition de sa revendication a pris
fin le 11 avril et la décision a été différée. Puisque nous
n'avons pas encore reçu de décision, je demande qu'il soit tenu
compte des documents ci-joints avant qu'une décision ne soit
rendue.
Selon le témoignage de M. Senthilvel, il était un partisan
connu du LTTE dans sa région, si bien qu'il a été persécuté par
les autorités militaires sri lankaises, l'IPKF et le FLTE. A l'au-
dience, on a beaucoup insisté sur le fait qu'à l'époque, le LTTE
contrôlait Jaffna et poursuivait des négociations avec le gou-
vernement sri lankais. M. Senthilvel a soutenu que la, paix ne
durerait pas, que la guerre éclaterait et qu'il serait de nouveau
persécuté par les autorités sri lankaises, lesquelles le soupçon-
neraient d'appuyer le LTTE.
Les événements qui se sont produits depuis le 10 juin 1990 ont
confirmé les craintes de M. Senthilvel. Selon la documentation
jointe, les hostilités ont éclaté et le gouvernement sri lankais a
déclaré la guerre au LTTE. Les provinces de l'est et du nord
font l'objet d'attaques de la part des forces sri lankaises et de
nombreux civils ont été tués ou blessés en conséquence. Pres-
que 2 000 hommes tamouls soupçonnés d'avoir appuyé le
LTTE ont été arrêtés à Colombo.
A la lumière des événements récents, M. Senthilvel craint avec
raison d'être persécuté comme tamoul et partisan du LITE.
J'espère que vous tiendrez compte de ces documents avant de
rendre une décision.
Je vous prie d'agréer, Madame, mes salutations distinguées.
«Brenda J. Wemp»
Brenda J. Wemp
Avocate.
La section du statut de réfugié a reçu ces deux lettres,
mais celles-ci ont été retournées par la suite à Me
Wemp. L'original de chacune des lettres porte le tam
pon de réception de la Commission de l'immigration
et du statut de réfugié du Canada en date du 18 juillet
1990. Elles ont été retournées à Me Wemp, accompa-
gnées d'une lettre datée du 26 juillet 1990, de la part
de l'agent d'audience E. Bird, de la section du statut
de réfugié. Le bureau de Me Wemp a reçu cette lettre
le 30 juillet 1990. Le passage pertinent de cette lettre
se lit ainsi:
[TRADUCTION] Vous trouverez sous pli les documents que vous
avez fournis à la section du statut de réfugié relativement au
dossier cité en rubrique. Une décision définitive a été rendue à
l'égard de cette revendication du statut de réfugié, de sorte que
la présidente de l'audience n'examinera pas la nouvelle docu
mentation.
La décision de la section du statut de réfugié portant
refus de la revendication du statut de réfugié présen-
tée par l'appelant est datée du 30 juillet 1990 et elle a
été signée le 2 août 1990. L'autorisation d'en appeler
de cette décision devant cette Cour a été accordée le
22 octobre 1990.
Au soutien de sa demande d'autorisation d'en
appeler, l'appelant a notamment plaidé que ses droits
à la justice fondamentale prévus à l'article 7 de la
Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]
avaient été violés à cause du refus de la section du
statut de réfugié d'examiner la documentation qui fait
l'objet de la présente requête. Cette documentation
avait été présentée après l'audience mais avant que la
section du statut de réfugié n'ait rendu sa décision.
L'appelant soutient que les lettres et la documenta
tion susmentionnées tombent sous le coup de la
Règle 1305b). Selon l'appelant, cette documentation
est visée par l'expression: «toutes les pièces perti-
nentes, en ce qui concerne l'affaire soumise au tribu
nal dont l'ordonnance ou la décision fait l'objet de
l'appel ... qui sont en la possession ou sous le con-
trôle du tribunal». Je suis également de cet avis. La
section du statut de réfugié n'avait pas rendu sa déci-
sion le 18 juillet 1990, lorsqu'elle a reçu les lettres et
les autres documents envoyés par l'avocate de l'appe-
lant le 16 juillet 1990. En effet, cette décision n'a été
rendue que le 30 juillet 1990.
L'intimé prétend que la Règle 1305b) ne s'ap-
plique pas en l'espèce. Cet argument est exposé au
paragraphe 9 de ses observations:
[TRADUCTION] Les éléments qui ne se trouvaient pas au dossier
au moment où la décision a été rendue et qui n'auraient pas pu
l'être du fait qu'ils n'existaient pas à l'époque, ne sauraient
être assimilés à «toutes les pièces pertinentes, en ce qui con-
cerne l'affaire soumise au tribunal». Cette honorable Cour a
d'ailleurs refusé d'ajouter de tels éléments au dossier dans ce
cas: Pacific Press Limited c. Canada (M.E.1.), A-1026, le 12
décembre 1990 (C.A.F.).
À mon avis, les faits de l'affaire Pacific Press, préci-
tée, sont faciles à distinguer du cas dont nous
sommes saisis. Dans l'affaire Pacifie Press, précitée,
la requête visait à ajouter des éléments au dossier
dans le cadre d'une demande fondée sur l'article 28
[Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7].
La décision en cause était datée du 18 octobre 1990.
Les éléments que la partie requérante voulait faire
ajouter au dossier ont commencé à exister le 6
novembre 1990, plus de deux semaines après le pro-
noncé de la décision contestée en vertu de l'article
28. La requête a été rejetée puisque les éléments que
l'on voulait faire ajouter ne se trouvaient pas au dos
sier au moment où l'arbitre a rendu sa décision et
n'auraient pas pu l'être du fait qu'ils n'existaient pas.
Ce n'est pas le cas en l'espèce. La section du statut
de réfugié était encore saisie de l'affaire le 18 juillet
1990 lorsqu'elle a reçu les nouveaux éléments de
l'avocate de l'appelant. Lorsque la section du statut
de réfugié a reçu les nouveaux éléments de preuve, sa
décision demeurait différée, si bien que l'affaire était
pendante.
Par conséquent, ces éléments de preuve tombent
manifestement sous le coup de la Règle 1305b). Le
fait que la documentation ne soit plus «en la posses
sion ou sous le contrôle du tribunal» ne rend pas
inapplicable la Règle 1305b) puisque la section du
statut de réfugié a choisi, de son propre chef, de
retourner la preuve à l'avocate de l'appelant.
En ce qui a trait à la pertinence, les documents
cités aux paragraphes 1, 2 et 4, c'est-à-dire les lettres
échangées entre l'avocate de l'appelant et la Com
mission, ont manifestement rapport à l'argument
fondé sur la Charte que l'appelant projette d'invoquer
à l'audition de l'appel. Les documents cités au para-
graphe 3 ont également un rapport direct avec les
questions soulevées dans l'appel. Ces documents,
s'ils sont acceptés, permettront d'établir que les
tamouls et les membres du LITE au Sri Lanka font
face à une menace beaucoup plus grave depuis le
mois de juin 1990. Ils semblent donc contredire l'avis
exprimé par le tribunal selon lequel les conditions au
Sri Lanka s'étaient améliorées considérablement en
raison de [TRADUCTION] «développements récents»
(dossier d'appel, volume 2, à la page 248).
Vu la conclusion à laquelle je suis arrivé relative-
ment à la Règle 1305b), il ne m'est pas nécessaire
d'examiner les arguments présentés à titre subsidiaire
par l'avocate de l'appelant en ce qui a trait à l'appli-
cabilité de la Règle 1102.
En conséquence, j'accueillerais la requête et je
modifierais le contenu du dossier d'appel en y ajou-
tant les documents énumérés aux paragraphes 1 à 4,
inclusivement, de l'avis de requête.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.