A-726-90
Monica Mileva (requérante)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: MILEVA c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION) (C.A.)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Desjardins,
J.C.A.—Montréal, 23 janvier; Ottawa, 25 février
1991.
Immigration — Statut de réfugié — Compétence d'un arbi-
tre et d'un membre de la section du statut de réfugié pour ce
qui est de prendre en considération un «changement de cir-
constances» dans le pays d'origine qui amoindrit le risque de
persécution — Rôle du tribunal de première instance en vertu
de l'art. 46.01 de la Loi sur l'immigration — Question de
savoir si la définition de l'expression «réfugié au sens de la
Convention» à l'art. 2 englobe la notion de «changement de
circonstances» — Rôle de la section du statut de réfugié en
vertu de l'art. 69.1(5).
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Question de savoir s'il est compatible avec les
principes de justice fondamentale de permettre que, dans une
affaire de revendication de statut de réfugié au sens de la
Convention, un tribunal de première instance prenne en consi-
dération un changement de circonstances dans le pays d'origine
qui amoindrit le risque de persécution.
Il était question dans cette affaire d'une requête pour que soit
annulée a) la décision d'un arbitre et d'un membre de la section
du statut de réfugié (tribunal de première instance), décision
selon laquelle la revendication du statut de réfugié de la
requérante était dénuée d'un minimum de fondement et n'avait
pas à être déférée à la section du statut de réfugié, et b)
l'ordonnance d'exclusion découlant de cette décision. La requé-
rante vient de Bulgarie. Elle craignait de retourner dans son
pays parce que la police l'avait faussement accusée de prostitu
tion et l'avait fichée comme prostituée dans ses dossiers. En
outre, elle ne pouvait poursuivre ses études: aucune école ne
voulait l'accepter parce qu'elle avait été arrêtée pour avoir pris
part à des manifestations. Après avoir résumé les récents
changements politiques survenus en Bulgarie, l'arbitre a consi-
déré qu'à son avis la crainte qu'avait la requérante d'être
persécutée n'avait pas le minimum de fondement requis.
La requérante a fait valoir que le tribunal n'aurait pas dû
prendre en considération les changements politiques récemment
survenus en Bulgarie, qui faisaient qu'il y avait moins de
risques qu'elle soit victime de persécution. Elle a soutenu qu'en
vertu du paragraphe 69.1(5) et de l'alinéa 2(2)e) de la Loi sur
l'immigration, seule la section du statut de réfugié est autorisée
à juger, dans les cas où le ministre le demande, si un revendica-
teur a perdu le statut de réfugié parce que les raisons qui lui
faisaient craindre d'être persécuté ont cessé d'exister. La requé-
rante a de plus reproché au tribunal de s'être interrogé sur les
conclusions que, à son avis, la preuve autorisait plutôt que sur
celles qu'aurait pu tirer la section du statut de réfugié si elle
avait été saisie de l'affaire.
Selon l'article 2 de la Loi sur l'immigration, est «réfugié au
sens de la Convention» celui qui satisfait aux exigences énon-
cées à l'alinéa a) et qui n'a pas perdu son statut de réfugié au
sens de la Convention en application du paragraphe 2(2). Selon
ce paragraphe, une personne perd le statut de réfugié au sens de
la Convention lorsque les raisons qui lui faisaient craindre
d'être persécutée ont cessé d'exister. Le paragraphe 69.1(5)
prévoit qu'à l'audience, la section du statut de réfugié est tenue
de donner au ministre la possibilité de produire des éléments de
preuve et, si le ministre informe la section du statut de réfugié
que la revendication met en cause le paragraphe 2(2), de
contre-interroger des témoins et de présenter des observations.
Selon le paragraphe 46.01(6), si l'arbitre ou le membre de la
section du statut de réfugié conclut qu'il existe des éléments
crédibles sur lesquels la section du statut de réfugié peut se
fonder pour reconnaître à l'intéressé le statut de réfugié au sens
de la Convention, l'un ou l'autre conclut que la revendication a
un minimum de fondement.
Arrêt: la requête devrait être accueillie.
Le juge Pratte, J.C.A.: L'argument initial de la requérante
devait être rejeté. Le tribunal de première instance doit décider
s'il est possible que la section du statut de réfugié reconnaisse le
statut de réfugié à la personne qui le revendique. Le fait que la
situation politique existant dans le pays d'origine d'un revendi-
cateur ait évolué de façon à faire disparaître les motifs de sa
crainte de persécution est un fait pertinent à la question de
savoir si cette personne peut sérieusement prétendre être un
réfugié au sens de la Convention. La question que soulève une
telle revendication n'est pas celle de savoir si le revendicateur a
eu, dans le passé, des motifs de craindre d'être persécuté, mais
bien celle de savoir s'il a aujourd'hui des motifs sérieux de
craindre d'être persécuté dans l'avenir. La définition de l'ex-
pression «réfugié au sens de la Convention», qui fait référence
au fait de n'avoir pas perdu son statut de réfugié au sens de la
Convention en application du paragraphe 2(2), étaye cette
affirmation. Le paragraphe 69.1(5) indique seulement dans
quels cas, lors d'une audience portant sur un cas de revendica-
tion du statut de réfugié, le ministre a le droit de contre-interro-
ger des témoins et de présenter des observations. Il n'existe pas
de disposition semblable qui s'applique aux audiences du tribu
nal de première instance parce que ce dernier est toujours tenu,
en vertu du paragraphe 46(3), de «donner au ministre et à
l'intéressé la possibilité de produire des éléments de preuve, de
contre-interroger des témoins et de présenter des observations».
Le second argument de la requérante était fondé. L'arbitre
s'est trompé en tirant des conclusions de la preuve. Le tribunal
de première instance n'est pas tenu de juger si le changement
de circonstances établi parla preuve est suffisant pour faire
échec à la revendication. Il doit seulement décider si cette
preuve est telle qu'il serait impossible que la section du statut
fasse droit à la revendication.
Le juge Marceau, J.C.A. (motifs concourants quant au
résultat): Le tribunal de première instance n'est pas habilité à
prendre en considération les changements politiques intervenus
dans le pays dont le revendicateur s'est enfui. Seule la section
du statut de réfugié peut refuser le statut de réfugié à cause de
changements politiques qui auraient enlevé tout fondement
rationnel à la crainte de persécution, et, dans ce cas, peut-être
uniquement à l'instigation du ministre.
Le «changement de circonstances» qui entraîne la perte du
statut de réfugié, expression figurant au paragraphe 2(2), ne
fait pas partie de la définition de base générale du terme
«réfugié», laquelle a été rédigée de manière à intégrer la
définition de la Convention des Nations Unies relative au statut
des réfugiés. Les principes suivants ont aidé à interpréter les
dispositions applicables: (i) une personne est réfugiée avant
d'être reconnue comme telle: elle ne le devient pas parce qu'elle
est reconnue mais elle est reconnue parce qu'elle est réfugiée;
(ii) le fait qu'une personne soit réfugiée dépend de faits passés
qui l'ont amenée à fuir son pays pour chercher protection et
refuge ailleurs; (iii) le «changement de circonstances» ne joue
que négativement, pour appuyer un refus ou un retrait de
reconnaissance de statut, ce qui est de la compétence exclusive
de la section du statut de réfugié.
Le rôle assigné au tribunal de première instance s'oppose à
une prise en considération des «changements de circonstances».
D'après l'article 46.01, il est évident que si le tribunal de
première instance a décelé des faits susceptibles d'appuyer la
prétention du revendicateur qu'il a fui son pays poussé par une
crainte justifiée de persécution pour les motifs prévus, il ne
saurait prétendre que la revendication n'a aucun fondement
minimum sans évaluer la force des diverses preuves déjà accep-
tées relativement au caractère raisonnable de la crainte que le
revendicateur dit avoir encore. Cette évaluation n'est pas du
ressort du tribunal de première instance.
La seule explication que l'on voit au paragraphe 69.1(5) est
que le changement de circonstances en tant qu'élément négatif
pose des problèmes si complexes en matière de preuve, d'appré-
ciation et même de relations internationales qu'on a voulu que
son examen soit d'abord soumis au contrôle du ministre et
ensuite annoncée à l'avance.
Si le tribunal de première instance était habilité à prendre en
considération un «changement de circonstances» de son propre
chef, il placerait le revendicateur dans une situation procédu-
rale fort difficile. Pour faire valoir son droit, ce dernier ne
pourrait plus se limiter à rendre compte des faits qui l'ont incité
à chercher refuge ailleurs en montrant que sa crainte de
persécution était raisonnable. Il lui faudrait aussi faire la
preuve que les changements politiques survenus dans son pays
depuis son départ n'étaient pas de nature à faire disparaître
cette crainte ou à la rendre déraisonnable. Un tel système
contreviendrait aux principes de justice fondamentale dont il
est fait mention à l'article 7 de la Charte.
Le juge Desjardins, J.C.A.: Le tribunal de première instance
a compétence pour entendre la preuve portant sur les change-
ments politiques survenus dans le pays d'origine de la requé-
rante. Ces changements constituent un des éléments essentiels
de la définition du terme «réfugié au sens de la Convention».
Nier au tribunal de première instance la compétence pour
examiner des éléments de preuve portant sur les changements
de circonstances survenus dans le pays d'origine équivaudrait à
empêcher de rejeter des revendications manifestement frivoles.
Il ne faut pas limiter la portée du paragraphe 46(3) cause
des restrictions contenues au paragraphe 69.1(5). Les deux
niveaux décisionnels ont compétence pour entendre les éléments
de preuve portant sur les changements politiques survenus dans
un pays d'origine, mais ils n'ont pas la même fonction à l'égard
de ces éléments.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 7.
Convention des Nations Unies relative au statut des
réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. n° 6, Art. 1,
sections A, C, E, F.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
28.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. 1-2, art. 2
[mod. par L.R.C. (1985) (4° suppl.), chap. 28, art. 1],
46(3) (mod., idem, art. 14), 46.01(6) (édicté, idem, art.
14), 69.1(5) (édicté, idem, art. 18).
JURISPRUDENCE
Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et l'Immigration)
(1990), 74 D.L.R. (4th) 313; 12 Imm. L.R. (2d) 43
(C.A.F.).
DOCTRINE
Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
Guide des procédures et critères à appliquer pour
déterminer le statut de réfugié au regard de la Con
vention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au
statut des réfugiés. Genève, septembre 1979.
AVOCATS:
Anthony Daoulov pour la requérante.
Johanne Levasseur pour l'intimé.
PROCUREURS:
St-Pierre, Buron & Associés, Montréal, pour
la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: La requérante vient
de Bulgarie. Dès son arrivée au pays, le 18 décem-
bre 1989, elle a revendiqué le statut de réfugié.
Comme le veut maintenant la Loi sur l'immigra-
tion [L.R.C. (1985), chap. I-2], cette revendica-
tion fut soumise à un arbitre et à un membre de la
section du statut pour qu'ils décident si elle méri-
tait d'être déférée à la section du statut ou si elle
ne devait pas plutôt être rejetée sommairement au
motif qu'elle était irrecevable ou dénuée de tout
fondement. Le 10 juillet 1990, l'arbitre et le
membre de la section du statut décidèrent que la
revendication de la requérante n'avait pas un
«minimum de fondement» et ne devait pas, pour ce
motif, être déférée à la section du statut; l'arbitre
prononça immédiatement une ordonnance d'exclu-
sion contre la requérante qu'il avait préalablement
jugée inadmissible au Canada. De là cette
demande faite en vertu de l'article 28 de la Loi sur
la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7].
L'avocat de la requérante a soulevé deux
moyens au soutien de son pourvoi. Il a d'abord
prétendu que l'arbitre et le membre de la section
du statut n'auraient pas dû tenir compte de la
preuve des changements politiques récents surve-
nus en Bulgarie. Suivant lui, il s'agit là d'une
preuve que seule la section du statut aurait pu
prendre en considération si l'affaire lui avait été
déférée. L'avocat de la requérante a aussi soutenu,
c'était son deuxième moyen, que, de toute façon,
l'arbitre et le membre de la section du statut ne
s'étaient pas posé, au sujet de la preuve qu'ils
avaient devant eux, la question qu'ils auraient dû
se poser.
Avant d'aller plus loin, il convient de rappeler la
différence qui existe entre les rôles respectifs de la
section du statut, d'une part, et de l'arbitre et du
membre de la section du statut, d'autre part, lors-
qu'ils ont à statuer sur une revendication du statut
de réfugié dont la recevabilité n'est pas contestée.
Ce que l'on demande à la section du statut',
c'est de déterminer, à la lumière de la preuve, si le
revendicateur est un réfugié au sens de la Conven
tion. La section du statut doit donc prendre con-
naissance de preuves relatives à des faits passés ou
présents qui concernent le revendicateur, sa famille
et son pays d'origine. Ces preuves, la section du
statut doit les apprécier comme le ferait n'importe
quel autre tribunal, en tenant compte de leur
crédibilité et de leur force probante, et décider
quels sont les faits que ces preuves établissent. La
section du statut doit ensuite juger si les faits ainsi
prouvés sont tels qu'ils permettent de conclure que
le revendicateur courrait vraiment le risque d'être
persécuté pour des motifs prévus à la Convention
s'il devait retourner dans son pays. Comme il est
1 Voir l'art. 69.1 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap.
28, art. 18] de la Loi sur l'immigration et, en particulier, la
version anglaise de l'art. 69.1(9).
impossible de prédire l'avenir, en portant pareil
jugement la section du statut ne fait, bien sûr,
qu'exprimer une opinion.
Le rôle de l'arbitre et du membre de la section
du statut est défini par le paragraphe 46.01(6)
[édicté, idem, art. 14] de la Loi. Ils doivent, eux
aussi, prendre connaissance des diverses preuves
qui leur sont soumises. Ils doivent se prononcer sur
la crédibilité de ces preuves. Ils doivent ensuite se
demander si, en se fondant sur celles de ces preu-
ves qu'ils jugent crédibles, il serait raisonnable-
ment possible que la section du statut conclue au
bien fondé de la revendication si l'affaire lui était
déférée. Il ne leur appartient pas de décider quels
faits sont établis par la preuve; ils n'ont pas
d'avantage à juger si la preuve permet de conclure
que le revendicateur courrait vraiment le risque
d'être persécuté s'il retournait chez lui. Après
avoir statué sur la crédibilité des preuves, la seule
question que l'arbitre et le membre de la section
du statut peuvent se poser est celle de savoir si, en
se fondant sur celles de ces preuves qui sont crédi-
bles, la section du statut pourrait, si elle était saisie
de l'affaire, conclure à l'existence de faits qu'elle
pourrait juger suffisants à établir le bien fondé de
la revendication 2 .
J'en reviens maintenant aux deux moyens invo-
qués par la requérante.
L'avocat de la requérante a d'abord soutenu que
l'arbitre et le membre de la section du statut
avaient excédé leur compétence en tenant compte
des preuves qui établissaient que des changements
politiques importants venaient d'avoir lieu en Bul-
garie qui rendaient peu probable que la requérante
puisse être persécutée à l'avenir. Il a fondé cette
prétention sur le paragraphe 69.1(5) et sur l'alinéa
2(2)e) [mod. idem, art. 1] de la Loi' qui, suivant
lui, autoriseraient la section du statut et elle seule
à juger, dans les cas où le ministre le demande, si
un revendicateur a perdu le statut de réfugié parce
que les raisons qui lui faisaient craindre d'être
persécuté ont cessé d'exister.
2 Voir Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration) (1990), 74 D.L.R. (4th) 313 (C.A.F.).
3 Ces deux dispositions se lisent comme suit:
69.1 ...
(5) À l'audience, la section du statut est tenue de donner à
l'intéressé et au ministre la possibilité de produire des élé-
ments de preuve, de contre-interroger des témoins et de
présenter des observations, ces deux derniers droits n'étant
(Suite à la page suivante)
Ce premier moyen doit être rejeté. L'arbitre et
le membre de la section du statut doivent décider
s'il est possible que la section du statut reconnaisse
le statut de réfugié à la personne qui le revendique.
Pour rendre cette décision, ils doivent tenir compte
de toute preuve crédible qui tend à établir des faits
pertinents à cette question. Or, le fait que la
situation politique existant dans le pays d'origine
d'un revendicateur ait évolué de façon à faire
disparaître les motifs qui lui faisaient craindre la
persécution est évidemment un fait pertinent à la
question de savoir si cette personne peut sérieuse-
ment prétendre être un réfugié au sens de la
Convention. La question que soulève la revendica-
tion du statut de réfugié, en effet, n'est pas celle de
savoir si le revendicateur a déjà eu, dans le passé,
des motifs de craindre la persécution, mais bien
celle de savoir s'il a aujourd'hui, au moment ou
l'on statue sur sa revendication, des motifs sérieux
de craindre d'être persécuté dans l'avenir. Tout
doute que l'on pourrait avoir à ce sujet disparaît
lorsqu'on lit la définition que donne le paragraphe
2(1) [mod., idem] de l'expression «réfugié au sens
de la Convention». En effet, suivant cette défini-
tion, est «réfugié au sens de la Convention» celui
qui satisfait aux exigences énoncées dans l'alinéa
a) et qui, en outre, «n'a pas perdu son statut de
réfugié au sens de la Convention en application du
paragraphe (2)» 4 . Le paragraphe 69.1(5) qu'invo-
que l'avocat de la requérante n'a rien à voir avec
cette question. Il ne fait qu'indiquer dans quels
(Suite de la page précédente)
toutefois accordés au ministre que s'il l'informe qu'à son avis,
la revendication met en cause la section E ou F de l'article
premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la
présente loi.
2. ...
(2) Une personne perd le statut de réfugié au sens de la
Convention dans les cas où:
e) les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée
dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est
demeurée ont cessé d'exister.
° Je suppose ici, comme l'a fait le requérant, que l'art. 2(2)
de la Loi sur l'immigration ne vise pas seulement les personnes
qui perdent le statut de réfugié après l'avoir revendiqué avec
succès. Il ne faudrait pas en conclure que cette interprétation
doive être retenue.
cas, lors d'une audience de la section du statut sur
une revendication, le ministre a le droit de contre-
interroger les témoins et de présenter des observa
tions. On ne trouve pas de disposition semblable
qui soit applicable aux audiences de l'arbitre et du
membre de la section du statut parce que ceux-ci
sont toujours tenus, suivant le paragraphe 46(3)
[mod., idem, art. 14], de «donner au ministre et à
l'intéressé la possibilité de produire des éléments
de preuve, de contre-interoger des témoins et de
présenter des observations».
Si l'arbitre et le membre de la section du statut
doivent tenir compte des preuves tendant à démon-
trer un changement de circonstances dans le pays
d'origine du revendicateur, ce n'est pas à eux de
juger si le changement de circonstances établi par
ces preuves est suffisant pour faire échec à la
revendication. Ils doivent seulement décider si
cette preuve est telle qu'il serait impossible que la
section du statut fasse droit à la réclamation.
Je rejoins ici le second moyen de la requérante
qui reproche à l'arbitre et au membre de la section
du statut de s'être interrogés sur les conclusions
que, à leur avis, la preuve autorisait plutôt que sur
celles que pourrait peut-être tirer la section du
statut si elle était saisie de l'affaire.
Ce second reproche me semble fondé. L'arbitre,
dans sa décision, résume d'abord le témoignage de
la requérante dont il ne met pas la crédibilité en
doute:
Vous déclarez voir participé à quatre manifestations publi-
ques. C'est lors de la dernière de ces manifestations que vous
avez été arrêtée, battue, brutalisée puis relâchée car vous étiez
mineure. Peu de temps après, vous avez été renvoyée de votre
école. Cette école comptait quelque 1000 élèves et vous seule
avez été renvoyée, à votre connaissance, ayant été la seule,
selon vous, à participer à cette manifestation.
Par la suite, vous avez été refusée dans deux écoles et exclue
de l'organisation des jeunes communistes, puis vous avez été
arrêtée et accusée de prostitution. Vous avez été fichée comme
prostituée dans les dossiers de la police. Vous avez été sollicitée
par la suite pour devenir délatrice et vous avez refusé.
Vous craignez de retourner en Bulgarie à cause de ce dossier
de prostitution faussement préparé contre vous et aussi parce
que vous ne pouvez, selon vous, aspirer à des études supérieures.
L'arbitre résume ensuite la preuve relative à l'évo-
lution récente de la situation politique en Bulgarie
et fait ensuite part de ses conclusions. Il convient
de citer certains passages de cette dernière partie
de la décision en portant une attention particulière
aux mots que j'ai soulignés:
Après avoir analysé ces preuves et les soumissions, j'en suis
arrivé à la conclusion suivante:
L'évolution positive non-répressive des manifestations à
caractère politique atténue beaucoup, à mon avis, les effets ou
l'impact de votre arrestation lors de la manifestation. Votre
renvoi de l'école étant une conséquence de cette participation à
la manifestation, j'ai tendance à accueillir comme plausible et
possible la proposition de madame Drapeau d'une demande de
révision de votre renvoi de l'école par les autorités en place
actuellement.
Vous craignez que la police utilise le faux dossier de prostitu
tion monté contre vous. Cependant, comme il a été établi qu'il
s'agit d'un délit sous le Code criminel, vous pouvez vous
défendre avec les services d'un avocat.
La crainte subjective existe, puisque vous la manifestez.
Cependant, à mon avis, la crainte objective repose sur des
éléments dont le fondement, dans le contexte actuel de la
Bulgarie, n'a plus le minimum requis. Conséquemment, la
persécution appréhendée n'existe pas, à mon avis, puisqu'on ne
peut plus parler d'éléments de persécution.
Je ne peux faire de lien entre le statut politique déclaré et la
persécution appréhendée, et le besoin de protection ne trouve
pas, dans mon analyse, une justification minimale. Je n'écarte
pas les arguments de maitre Daoulov à l'effet qu'il existe une
incertitude et que les changements vers le respect des libertés
n'ont peut-être pas atteint tous les paliers locaux, encore fau-
drait-il que les faits qui vous sont personnels puissent être
actualisés dans cette optique. Le fait d'être empêchée de pour-
suivre des études ne subsiste pas, à mon avis, à cette actualisa
tion. Le refus de devenir délatrice est, à mon avis, un autre fait
qui perd son acuité lorsqu'examiné dans le contexte actuel du
pays.
Il me paraît, à la lecture de cette décision, que
l'arbitre s'est interrogé sur les conclusions qu'il
convenait, à son avis, de tirer de la preuve. Ce n'est
pas là, je l'ai déjà dit, la question qu'il aurait dû se
poser.
Je ferais donc droit à la requête, je casserais la
décision prononcée le 10 juillet 1990 par l'arbitre
et le membre de la section du statut à l'effet que la
revendication de la requérante n'a pas un mini
mum de fondement et je casserais aussi l'ordon-
nance d'exclusion de la requérante prononcée le
même jour par l'arbitre; enfin, je renverrais l'af-
faire pour que la requérante subisse une nouvelle
enquête au cours de laquelle elle pourra, si elle le
désire, réclamer de nouveau le statut de réfugié.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A. (motifs concourants
quant au résultat): Je partage d'emblée l'opinion
de monsieur le juge Pratte, J.C.A., que cette
demande d'annulation doit être accueillie. Il ne me
paraît pas douteux, moi non plus, que l'arbitre et le
membre de la section du statut ne pouvaient pas
décider que les changements politiques récents sur-
venus en Bulgarie avaient enlevé à la revendication
de la requérante au statut de réfugié le minimum
de fondement requis pour qu'elle soit déférée à la
section du statut. J'appuie ma conclusion, toute-
fois, sur un fondement plus direct et plus décisif
que celui retenu par mon collègue. Je pense, en
effet, que ce tribunal initial d'accès que forment
l'arbitre et le membre de la section du statut, dans
le nouveau système d'adjudication mis sur pied par
le Parlement en matière de revendication du statut
de réfugiés, n'est tout simplement pas habilité à
prendre en considération les changements politi-
ques intervenus dans le pays dont le revendicateur
s'est enfui pour éviter la persécution. Mon collègue
rejette formellement cette proposition qui, évidem-
ment, dépasse la portée du litige et est susceptible,
dans le contexte international actuel, d'être mise
en cause de façon de plus en plus fréquente: aussi
me faut-il essayer d'expliquer avec égards pour-
quoi je la crois fondée.
Ce sont des considérations qu'ils rattachent à la
notion même de réfugié et au rôle assigné au
tribunal d'accès, dans le processus d'examen d'une
revendication du statut de réfugié mis en place par
la législation nouvelle, que font valoir ceux qui
soutiennent que déjà, à cette étape de départ, les
changements politiques intervenus dans le pays
dont le revendicateur s'est enfui doivent être pris
en considération.
On rappelle d'abord qu'au cœur même de la
crainte de persécution du réfugié se trouve le
contexte politique et social du pays d'où il vient, ce
qui fait de ce contexte non seulement un élément
pertinent mais un élément dominant de la défini-
tion de réfugié. On rappelle aussi que le bien-fondé
d'une revendication du statut de réfugié doit être
vérifiée au jour où le tribunal en est saisi, ce qui
implique que le contexte politique et social dont il
5 Loi modifiant la Loi sur l'Immigration de 1976, L.C. 1988,
chap. 35, entrée en vigueur le 1° janvier 1989.
faut tenir compte pour juger du caractère raison-
nable de la crainte du revendicateur de réclamer la
protection de son pays est celui existant au
moment de la décision. On rappelle enfin que la
Loi elle-même reconnaît formellement qu'un chan-
gement de contexte politique et social dans son
pays d'origine, un «changement de circonstances»,
comme l'on dit, peut faire perdre le statut de
réfugié à une personne qui se l'est déjà fait recon-
naître, ce qui force à penser qu'un tel «changement
de circonstances» doit être pris en compte lors de
l'examen de la revendication, comme le laisse
entendre d'ailleurs la définition même de «réfugié
au sens de la Convention» du paragraphe 2(1) en
se référant au cas de perte de statut selon le
paragraphe 2(2). Puis, raisonnant à partir de là, on
dit ne pas voir comment ce tribunal d'accès, dont
le rôle est de vérifier si, dans la preuve qui lui est
soumise et qu'il juge crédible, il existe des élé-
ments susceptibles de conduire la section du statut
à reconnaître le bien-fondé de la revendication,
pourrait s'acquitter pleinement de sa tâche sans
prendre en considération une donnée aussi centrale
qu'un changement d'importance dans le contexte
politique du pays d'où vient le revendicateur.
Ce raisonnement est clair et la conclusion à
laquelle il conduit semble aller de soi, mais je dois
dire avec égards qu'il n'est pas parvenu à me
convaincre. Il repose sur une compréhension de la
Loi qui ne correspond pas tout-à-fait à celle que
j'ai, tant et si bien que ce sont, moi aussi, des
considérations tenant à la notion même de réfugié
et au rôle du tribunal d'accès que j'invoque pour
faire valoir une conclusion inverse. J'appuie en
effet ma façon de voir sur trois considérations
majeures.
1. La première est la plus difficile à faire valoir
car elle se rapporte à la notion même de réfugié et
s'oppose, dans une certaine mesure, à une prémisse
du raisonnement qui appuie la position de mon
collègue. Aussi est-ce avec égard que je la fais
valoir. A mon avis, le «changement de circonstan-
ces»—expression, je le répète, qui est utilisée pour
désigner un changement important survenu au
niveau politique ou social dans le pays que le
revendicateur a été forcé de fuir pour éviter la
persécution (et je me servirai moi aussi de l'expres-
sion pour simplifier)—n'entre pas dans la défini-
tion générale de base du réfugié.
La définition du terme «réfugié au sens de la
Convention» que l'on retrouve au paragraphe 2(1)
de la Loi vise évidemment à reprendre celle de la
Convention des Nations Unies relative au statut
des réfugiés signée à Genève en 1951, partielle-
ment modifiée par un Protocole signé à New York
en 1967. C'est ce qui explique sa formulation
quelque peu alambiquée. Dans la Convention de
1951, le terme «réfugié», selon la définition géné-
rale donnée à l'article 1, section A, paragraphe 2),
s'appliquait à toute personne:
Article premier
A. ...
2) Qui, par suite d'événements survenus avant le premier
janvier 1951 et craignant avec raison d'être persécutée du fait
de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance
à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se
trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou,
du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de
ce pays; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du
pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de
tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut
y retourner.
Cette «date clé» du 1" janvier 1951 avait été
inscrite, on le sait, à la demande de certains États
participants pour limiter les obligations qu'ils assu-
maient. C'est cette limite que le Protocole de New
York a voulu laisser tomber, à cause des situations
nouvelles qui se multipliaient, mais il l'a fait sans
autrement modifier les dispositions de la Conven
tion, et parmi ces dispositions s'en trouvait une
qu'il faut noter spécialement, celle de la section C
de l'article 1 relatif à la définition, qui se lit ainsi:
C. Cette Convention cessera, dans les cas ci-après, d'être
applicable à toute personne visée par les dispositions de la
section A ci-dessus:
I) Si elle s'est volontairement réclamée à nouveau de la
protection du pays dont elle a la nationalité; ou
2) Si, ayant perdu sa nationalité, elle l'a volontairement
recouvrée; ou
3) Si elle a acquis une nouvelle nationalité et jouit de la
protection du pays dont elle a acquis la nationalité; ou
4) Si elle est retournée volontairement s'établir dans le pays
qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte
d'être persécutée; ou
5) Si, les circonstances à la suite desquelles elle a été
reconnue comme réfugiée ayant cessé d'exister, elle ne peut
plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays
dont elle a la nationalité;
Étant entendu, toutefois, que les dispositions du présent
paragraphe ne s'appliqueront pas à tout réfugié visé au para-
graphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer,
pour refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la
nationalité, des raisons impérieuses tenant à des persécutions
antérieures;
6) S'agissant d'une personne qui n'a pas de nationalité, si, les
circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme
réfugiée ayant cessé d'exister, elle est en mesure de retourner
dans le pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle;
Étant entendu, toutefois, que les dispositions du présent
paragraphe ne s'appliqueront pas à tout réfugié visé au para-
graphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer,
pour refuser de retourner dans le pays dans lequel il avait sa
résidence habituelle, des raisons impérieuses tenant à des persé-
cutions antérieures.
Voilà donc les sources qui ont conduit au para-
graphe 2(1) de la Loi, dont je rappelle le texte
dans ses deux versions:
»réfugié au sens de la Convention» Toute personne:
a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa
race, de sa religion, de sa nationalité de son appartenance à
un groupe social ou de ses opinions politiques:
(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et
ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de
la protection de ce pays,
(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du
pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut
ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;
b) n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Conven
tion en application du paragraphe (2).
Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à
l'application de la Convention par les sections E ou F de
l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe
de la présente loi.
Et je rappelle aussi ce paragraphe (2) auquel il est
fait référence:
2....
(2) Une personne perd le statut de réfugié au sens de la
Convention dans les cas où:
a) elle se réclame de nouveau et volontairement de la protec
tion du pays dont elle a la nationalité;
b) elle recouvre volontairement sa nationalité:
c) elle acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protec
tion du pays de sa nouvelle nationalité;
d) elle retourne volontairement s'établir dans le pays qu'elle
a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être
persécutée;
e) les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée dans
le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée ont
cessé d'exister.
On ne peut comprendre ces dispositions, il me
semble, qu'en fonction d'un certain nombre d'idées
sous-jacentes que l'on retrouve d'ailleurs énoncées
dans un chapitre intitulé «Principes généraux»,
placé en tête du Guide des procédures et critères à
appliquer pour déterminer le statut de réfugié,
publié par le Haut Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés 6 .
La première idée est qu'une personne est néces-
sairement réfugiée avant d'être reconnue comme
telle; elle ne devient pas réfugiée parce qu'elle est
reconnue mais elle est reconnue parce qu'elle est
réfugiée; on a d'abord une situation de fait qui
donne lieu à un état, on a ensuite une reconnais
sance de droit qui se traduit par un statut.
Une deuxième idée est qu'une personne est réfu-
giée en fonction de faits passés, car c'est à cause
d'événements qu'elle a vécus qu'elle a cru devoir
fuir son pays pour chercher protection et refuge
ailleurs. «Qui, par suite d'événements survenus ...
et craignant avec raison d'être persécutée ... se
trouve hors du pays ... et qui ... du fait de cette
crainte ne veut se réclamer», dit la Convention.
«Qui, craignant ... se trouve hors du pays dont elle
a la nationalité et ... du fait de cette crainte ne
veut se réclamer», reprend le paragraphe 2(1) de la
Loi. On voit le lien entre la crainte et le fait d'être
hors du pays et la même crainte (cette crainte) et
le refus de retourner. Et en cela, il faut le noter, la
définition technique de la Convention et de la Loi
respecte le sens commun du mot «réfugié» qui (je
prends la définition du Petit Robert) «[s]e dit
d'une personne qui a dû fuir le lieu qu'elle habitait
afin d'échapper à un danger (guerre, persécutions
politiques ou religieuses, etc.)».
Je sais bien que l'on a dégagé en pratique cette
notion de «réfugié sur place» pour l'appliquer à une
personne qui n'a pas fui son pays par crainte de
persécution, mais, après un séjour à l'étranger, a
peur d'y retourner à cause d'événements survenus
pendant son absence. Il peut s'agit d'un diplomate
ou autre fonctionnaire en poste à l'étranger, d'un
6 Je n'oublie évidemment pas que la Convention à laquelle se
réfère le Guide n'est pas comme telle une loi du Canada, mais
notre loi a été adoptée en exécution des obligations découlant
de la Convention et la définition de réfugié qu'on y retrouve se
veut précisément celle de la Convention: on ne saurait trouver
meilleure source de renseignements et outil de compréhension
que le Guide auquel je réfère.
prisonnier de guerre, d'un étudiant, par exemple.
Mais il s'agit là, à mon sens, d'une extension
artificielle de la notion de base de réfugié, que l'on
accepte au niveau de l'octroi du statut à cause de
l'équivalence du besoin de protection ressenti.
Une troisième idée, rattachée à la seconde, c'est
que le «changement de circonstances» survenu
depuis sont départ ne permet pas de contester que
le revendicateur a vraiment fui son pays pour
chercher refuge ailleurs, qu'il est un réfugié de
fait; ce que le «changement de circonstances»
permet uniquement de contester, c'est que le
revendicateur ait encore raison de douter de la
volonté ou de la possibilité des autorités de son
pays de le protéger et que partant il ait vraiment
encore besoin aujourd'hui d'un refuge. C'est ainsi
qu'on ne lui attribue qu'une signification ou valeur
négative comme on le fait pour toutes les clauses
dites de cessation, que notre Loi reprend au para-
graphe 2(2), et pour toutes les clauses dites d'ex-
clusion des sections E et F de l'article 1 de la
Convention, que notre Loi adopte par référence'.
Et cette signification ou valeur négative ne joue
qu'au niveau de la reconnaissance de statut, soit
pour retirer un statut déjà accordé, ce que pré-
voient la section C de l'article 1 de la Convention
et le paragraphe 2(2) de notre Loi, soit pour
refuser de l'accorder, ce que suppose le paragraphe
69.1(5) relatif à la considération d'une revendica-
tion par la section du statut, paragraphe sur lequel
je reviendrai mais dont je rappelle tout de suite le
texte:
' Les sections E et F de l'article 1 de la Convention se lisent
comme suit:
Article premier
E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne
considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel
cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et
les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce
pays.
F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas
applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses
de penser:
a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime
de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des
instruments internationaux élaborés pour prévoir des dis
positions relatives à ces crimes;
b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en
dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme
réfugiés;
c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contrai-
res aux buts et aux principes des Nations Unies.
69.1...
(5) À l'audience, la section du statut est tenue de donner à
l'intéressé et au ministre la possibilité de produire des éléments
de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des
observations, ces deux derniers droits n'étant toutefois accordés
au ministre que s'il l'informe qu'à son avis, la revendication met
en cause la section E ou F de l'article premier de la Convention
ou le paragraphe 2(2) de la présente loi.
Ainsi, tel que je le comprends, le «changement de
circonstances» est un élément qui n'entre pas dans
la définition de base du réfugié, celle qui s'appli-
que au réfugié proprement dit que j'ai appelé un
réfugié de fait; il ne joue que négativement, pour
appuyer un refus ou un retrait de reconnaissance
de statut 8 , ce qui est de la juridiction exclusive de
la section du statut.
2. La deuxième considération que je veux faire
valoir est indépendante de la première en ce sens
qu'elle me paraît valable peu importe que j'aie tort
quant à cette distinction entre critères de valeur
positive et négative dans l'octroi du statut de réfu-
gié et qu'il faille considérer qu'en fait et en tout
état de cause une personne n'est réfugiée que si la
crainte d'être persécutée qui l'a fait fuir son pays
est restée objectivement raisonnable malgré les
changements politiques survenus entre temps. Je
soumets que de toute façon le rôle assigné à l'arbi-
tre et au membre de la section du statut, en tant
que formant le tribunal d'accès dans le processus
de considération d'une revendication du statut de
réfugié, s'oppose à une prise en considération des
«changements de circonstances». Ce rôle est,
comme l'on sait, défini au paragraphe 46.01(6) de
la Loi dans les termes qu'il faut avoir bien présents
à l'esprit:
46.01.. .
(6) L'arbitre ou le membre de la section du statut concluent
que la revendication a un minimum de fondement si, après
examen des éléments de preuve présentés à l'enquête ou à
l'audience, ils estiment qu'il existe des éléments crédibles ou
dignes de foi sur lesquels la section du statut peut se fonder
pour reconnaître à l'intéressé le statut de réfugié au sens de la
Convention. Parmi les éléments présentés, ils tiennent compte
notamment des points suivants:
8 Dans le cas du «réfugié sur place», la situation est évidem-
ment totalement différente puisque là les données naturelles
constituent l'élément, le critère, positif sur lequel la revendica-
tion se fonde.
a) les antécédents en matière de respect des droits de la
personne du pays que le demandeur a quitté ou hors duquel il
est demeuré de crainte d'être persécuté;
b) les décisions déjà rendues aux termes de la présente loi ou
de ses règlements sur les revendications où était invoquée la
crainte de persécution dans ce pays.
Il me paraît tout simplement évident, eu égard à
ma compréhension des notions mises en cause, que
si l'arbitre et le membre du statut ont pu déceler,
dans la preuve crédible reçue par eux, des faits
susceptibles d'appuyer la prétention du revendica-
teur à l'effet qu'il a fui son pays poussé par une
crainte justifiée de persécution pour les motifs
prévus, ils ne sauraient prétendre que la revendica-
tion n'a aucun minimum de fondement. En effet,
pour être en mesure de vérifier si les éléments
nouveaux résultant d'un prétendu «changement de
circonstances» applicables de façon générale annu-
lent les éléments acquis applicables au revendica-
teur spécifiquement au point de les rendre «non-
existants» au sens du texte («il existe des éléments»,
dit le texte), il leur faudrait procéder à une évalua-
tion de la force des diverses preuves acceptées par
eux et des incidences qui peuvent en être tirées
relativement au caractère raisonnable de la crainte
que dit avoir encore le revendicateur, et cette
évaluation n'est tout simplement pas de leur
ressort.
C'est à ce point-ci que je voulais revenir sur ce
paragraphe 69.1(5) dont j'ai déjà dit plus haut
qu'il présupposait que le «changement de circons-
tances» pouvait conduire au refus d'une reconnais
sance de statut. Je pense qu'il convient de repren-
dre le texte:
69.1...
(5) À l'audience, la section du statut est tenue de donner à
l'intéressé et au ministre la possibilité de produire des éléments
de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des
observations, ces deux derniers droits n'étant toutefois accordés
au ministre que s'il l'informe qu'à son avis, la revendication met
en cause la section E ou F de l'article premier de la Convention
ou le paragraphe 2(2) de la présente loi.
Ce que je voulais faire remarquer d'abord c'était
l'utilisation des expressions: en français, «met en
cause ... le paragraphe 2(2) de la présente loi» et
en anglais, «matters involving ... subsection 2(2)
of this Act are raised». C'est certes la possibilité de
refuser le statut pour une des causes de retrait
prévues au paragraphe 2(2) que l'on prévoyait et
non les cas où un statut accordé précédemment
aurait déjà été retiré. Dans le cas d'une revendica-
tion réitérée après la perte du statut, il n'y a pas
besoin d'avis ou de représentations au niveau de la
section du statut; la définition même de réfugié est
rendue inapplicable par le texte même du paragra-
phe 2(1) et nul doute que le rejet de la revendica-
tion doit être prononcé dès le départ.
Mais ce que je voulais souligner tout spéciale-
ment c'est cette exigence d'un avis préalable pour
que le ministre puisse contre-interroger les témoins
et faire des observations lorsqu'à son avis «la
revendication met en cause la section E ou F de
l'article premier de la Convention ou le paragraphe
2(2) de la présente loi». Je veux bien qu'il soit
formellement question dans cet article uniquement
des pouvoirs du ministre et de la possibilité de
rendre la procédure contradictoire lorsqu'il est
question de refuser une reconnaissance pour un des
motifs prévus au paragraphe 2(2), notamment le
«changement de circonstances». Mais cette disposi
tion n'est pas isolée et doit être placée en contexte.
Il faut lui donner un sens. Peut-on penser que le
tribunal d'accès et la section du statut seraient
pleinement habilités à tenir compte du «change-
ment de circonstances», mais que le ministre, lui,
pour simplement le soulever et en discuter, serait
soumis à l'obligation d'un avis préalable. Ou mieux
encore, peut-on penser que le ministre aurait
pleine latitude devant le tribunal d'accès, mais
devant la section du statut son droit de représenta-
tions serait conditionnel à un avis préalable?
La seule explication que je vois à cette disposi
tion est que le «changement de circonstances» en
tant qu'élément négatif pose des problèmes si com
plexes en matière de preuve, d'appréciation et
même possiblement de relations internationales
qu'on a voulu que sa- considération soit d'abord
laissée sous le contrôle du ministre et ensuite
annoncée à l'avance. Ce qui me conduit à ma
troisième considération.
3. Cette troisième considération ne peut donner
ouverture qu'à un argument subsidiaire de conve-
nance mais qui ne me paraît pas sans valeur. Si le
nouveau système d'adjudication mis sur pied par le
Parlement en matière de revendication du statut
de réfugié confiait au tribunal d'accès et à la
section du statut le pouvoir et même le devoir de
prendre en considération, librement et de leur
propre chef, un «changement de circonstances», il
placerait le revendicateur dans une situation procé-
durale fort difficile et le soumettrait à des exigen-
ces de présentation extrêmement lourdes. Le
revendicateur, en effet, pour faire valoir son droit,
ne pourrait plus se limiter à rendre compte des
faits qui l'ont incité à chercher refuge ailleurs en
montrant que sa crainte de persécution était plei-
nement raisonnable, il devrait aussi assumer le
fardeau de prouver que les changements politiques
survenus dans son pays depuis son départ ne sont
pas de nature à faire disparaître cette crainte ou à
la rendre déraisonnable. Et il devrait le faire sans
connaître à l'avance les changements susceptibles
d'être pris en considération et sans moyen adéquat
pour en vérifier pleinement la signification. J'ai
peine à penser qu'un tel système serait en tout
point conforme aux principes de justice fondamen-
tale auxquels se réfère l'article 7 de la Charte
canadienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]].
Ce sont donc là les considérations qui me con-
duisent à affirmer que les changements politiques
survenus dans le pays d'origine du revendicateur
depuis sa fuite (lorsqu'il s'agit d'un réfugié ordi-
naire et non d'un «réfugié sur place» comme pré
cisé ci-haut) ne sont pas de la compétence de
l'arbitre et du membre de la section du statut
chargé de vérifier si la revendication a un mini
mum de fondement. C'est sur la base des événe-
ments passés et vécus par le revendicateur que sa
revendication doit d'abord être appréciée. Sans
doute, le statut de réfugié pourra lui être refusé à
cause de changements politiques qui auraient
enlevé tout fondement rationnel à sa crainte de
réclamer aujourd'hui la protection de son pays
d'origine, parce que là on ne peut plus parler d'une
obligation de lui assurer un refuge. Mais c'est la
section du statut seule qui pourra le faire, et
peut-être même uniquement (mais je n'ai pas
besoin aujourd'hui d'aller jusque là), à l'instigation
du ministre et après avis.
C'est donc d'après moi parce que l'arbitre et le
membre du statut ont excédé leur rôle en procé-
dant sur une base qui n'était pas de leur ressort
que leur décision ne peut tenir et doit être annulée.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: J'estime, tout
comme mon collègue le juge Pratte, J.C.A., que le
tribunal d'accès a compétence pour entendre la
preuve ayant trait au changement politique sur-
venu dans le pays d'origine de la requérante.
Le paragraphe 46(3) de la Loi sur l'immigra-
tion 9 est rédigé en termes généraux. Les change-
ments politiques dans le pays d'origine constituent,
selon moi, un des éléments essentiels de la défini-
tion du terme «réfugié au sens de la Convention»
que l'on retrouve à l'alinéa b) de cette définition 10 ,
lequel incorpore, par voie d'adoption, le paragra-
phe 2(2) de la Loi. Devant le tribunal d'accès, le
revendicateur, qui n'ignore certainement pas lui-
même les changements survenus dans son pays
d'origine, a la charge de démontrer, devant une
preuve contraire mais également sans cette preuve
contraire, que les raisons qui lui faisaient craindre
d'être persécuté n'ont pas cessé d'exister". Il peut
également à ce stade se prévaloir du paragraphe
2(3) [mod., idem, art. 1] de la Loi qui stipule:
2....
(3) Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le
motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons
impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de
se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors
duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée.
9 Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2.
46....
(3) Au cours de l'examen des points visés aux alinéas (I)b)
et c), l'arbitre et le membre de la section du statut doivent
donner au ministre et à l'intéressé la possibilité de produire
des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et
de présenter des observations.
10 Voir art. I de la Loi sur l'immigration.
" Art. 2(2)e) de la Loi sur l'immigration.
Bref, le revendicateur doit toujours démontrer le
bien-fondé de sa crainte.
Le tribunal d'accès doit déterminer la crédibilité
de toute la preuve qui lui est présentée. Il lui
appartient ensuite de déterminer si, devant la
preuve retenue comme étant crédible, la section du
statut pourrait raisonnablement conclure au bien-
fondé de la revendication. Il ne lui appartient pas
de soupeser cette preuve à l'égard de l'existence de
chacun des éléments essentiels de la définition de
«réfugié au sens de la Convention», puisque ce rôle
appartient à la section du statut. Si cependant la
preuve est telle que jamais la section du statut ne
pourrait conclure au bien-fondé de la revendica-
tion, le tribunal d'accès a compétence pour écarter
la revendication au motif qu'elle n'a aucun mini
mum de fondement ' 2 .
Nier au tribunal d'accès la compétence pour
recevoir de la preuve portant sur le changement de
circonstances survenu dans le pays d'origine équi-
vaudrait à lui nier le droit d'écarter une revendica-
tion manifestement frivole.
Mon collègue le juge Marceau, J.C.A., a certes
raison de souligner la différence marquée qui
existe dans la rédaction des paragraphes 69.1(5) 13
et 46(3) de la Loi. Je ne saurais cependant déduire
qu'il faille limiter la portée du paragraphe 46(3) à
cause des restrictions contenues au paragraphe
69.1(5). Les deux paliers décisionnels ont compé-
tence pour entendre la preuve portant sur les chan-
gements politiques survenus dans le pays d'origine
mais n'ont pas la même fonction à l'égard de cette
preuve' 4 .
''- Art. 46(1) et 46.01(6) de la Loi. Leung c. Canada (Minis-
tre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 74 D.L.R. (4th)
313 (C.A.F.).
' 3 69.1...
(5) À l'audience, la section du statut est tenue de donner à
l'intéressé et au ministre la possibilité de produire des élé-
ments de preuve, de contre-interroger des témoins et de
présenter des observations, ces deux derniers droits n'étant
toutefois accordés au ministre que s'il l'informe qu'à son avis
la revendication met en cause la section E ou F de l'article
premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la
présente loi.
14 Nous ne sonores pas concernés, dans la présente affaire,
avec l'application de l'art. 69.2 de la Loi.
Je disposerais de cette affaire tel que le suggère
le juge Pratte, J.C.A.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.