T-2604-90
Sa Majesté la Reine (demanderesse) (défenderesse
en contre-appel)
c.
Albert Kieboom (défendeur) (demandeur en contre-
appel)
RÉPERTORIÉ: CANADA C. K/EBOOM Ore /MT)
Section de première instance, juge Denault—Calgary,
l er mai; Ottawa, 30 juillet 1991.
Impôt sur le revenu — Corporations — Le contribuable
(âme dirigeante de la société) a diminué .con intérêt écono-
mique dans la société en accroissant la participation d'autres
membres de sa famille — Il a gardé le même nombre d'actions,
mais son épouse et ses enfants ont .souscrit à des actions qui
venaient d'être créées moyennant une valeur symbolique — Le
principe selon lequel la société est une entité juridique sépa-
rée, les actionnaires n'ayant aucun droit de propriété sauf sur
les actions, n'est plus absolu — !ta jurisprudence a nuancé ce
principe de façon ù tenir compte des réalités du droit commer
cial, en particulier dans le cas des petites sociétés Où il y a un
actionnaire principal — Les tribunaux ont fait abstraction de
la personnalité morale si le seul mobile étai! l'évitement fiscal
— L'expression «nonobstant la forme ou les effets juridiques
des opérations» . figurant â l'art. 245(2)c) laisse entendre que
le ministre examinera la nature véritable de l'opération
Étant donné que la société ne .r'est procuré aucun capital par
le biais des opérations contestées (raison d'être des actions), le
but des opérations était d'augmenter le nombre d'actions déte-
nues par la famille du contribuable — Les opérations par les-
quelles la famille du contribuable a acquis des actions pour
une .somme inférieure à leur juste valeur marchande constitue
un avantage conféré par le contribuable — Disposition réputée
être à titre gratuit en vertu de l'art. 245(2)c).
Impôt sur le revenu — Donations — Le contribuable a dimi-
nué son intérêt économique dans la société en créant des
actions auxquelles son épouse et, par la suite, .ses enfants ont
souscrit moyennant une contrepartie symbolique — Disposi
tion réputée être n titre gratuit en vertu de l'art. 245(2)c) —
Étant donné que l'art. 245(2)c) est une disposition de caracté-
risation, il faut se reporter à une autre partie de la Loi pour
trouver la disposition d'application — La règle concernant les
transferts entre vifs d'actions du capital-actions de la .société
ne .s 'appliquent pas étant donné que c'est le droit de souscrire
ri des actions qui a été transféré et non des actions — Les
règles d'attribution du revenu entre conjoints ne s'appliquent
pas étant donné que ce sont les actions, et non le droit de sous-
crire ô des actions, qui ont produit le revenu — L'opération ne
peut pas être â la fois une disposition réputée être â titre gra-
tuit aux termes de l'art. 245(2)c) et un transfert entre conjoints
en vertu de l'art. 74(1).
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Gains en capital
— Le contribuable a diminué son intérêt économique dans la
société en créant des actions auxquelles son épouse et, par la
suite, ses enfants ont souscrit moyennant une contrepartie sym-
bolique — Disposition réputée être à titre gratuit en vertu de
l'art. 245(2)c) — Le bien transféré est assujetti aux disposi
tions concernant les gains en capital — Le contribuable est
réputé avoir reçu le produit de la disposition s'il dispose d'un
bien pour une somme inférieure à sa juste valeur marchande
en vertu de l'art. 69(1)b)(ii).
Il s'agissait d'un appel et d'un contre-appel d'une décision
de la Cour canadienne de l'impôt. Le contribuable détenait
neuf actions ordinaires dans une société qui exploitait une
entreprise de vente de tapis et son épouse en détenait une. Le
contribuable était l'âme dirigeante de la société. En 1979,
10000 actions sans droit de vote de catégorie «A» ont été
créées. En 1980, l'épouse du contribuable a souscrit à huit des
nouvelles actions moyennant une contrepartie symbolique, ce
qui portait sa participation à 50 %, alors que le contribuable a
gardé ses neuf actions, ce qui a porté sa participation de 90 à
50%. En 1981, huit actions ordinaires de catégorie «A» ont
été émises à chacun des trois enfants du contribuable, moyen-
nant une contrepartie symbolique, ce qui portait la participa
tion du contribuable et de son épouse à 21,4 % chacun, la parti
cipation de chacun des enfants étant de 19 %. En 1982, la
société a distribué des dividendes. Le ministre a établi une
nouvelle cotisation à l'égard du contribuable pour 1981 au
motif que l'émission des actions aux enfants constituait une
disposition à titre gratuit d'un intérêt économique par le contri-
buable et son épouse, conformément à l'alinéa 245(2)c) de la
Lai de l'impôt sur le revenu. L'alinéa 245(2)c) prévoit que
lorsqu'une opération a pour résultat qu'une personne confere
un avantage à un contribuable, cette personne est réputée avoir
fait au contribuable un paiement égal au montant de l'avantage
conféré, nonobstant la forme ou les effets juridiques des opéra-
tions; le paiement doit, selon les circonstances, être•réputé être
une disposition à titre gratuit. Le contribuable et son épouse
étaient réputés avoir reçu un produit de disposition égal à la
juste valeur marchande des actions. Une somme égale à 80 %
du gain en capital imposable reçu par l'épouse du contribuable
a été attribuée au contribuable et a été incluse dans son revenu,
conformément au paragraphe 74(2) de la Loi (selon lequel le
gain tiré d'un bien transféré à un conjoint est réputé être le
gain en capital de l'auteur du transfert). Le ministre a égale-
ment établi une nouvelle cotisation à l'égard du contribuable
pour 1982 au motif que les dividendes reçus par son épouse
devraient être inclus dans son revenu conformément au para-
graphe 74(1), qui prévoit que tout revenu tiré d'un bien trans-
féré à un conjoint est réputé être le revenu de l'auteur du trans-
fert.
Le litige portait sur (I) la nature de l'opération; (2) la ques
tion de savoir si l'alinéa 245(2)c) établissait un impôt; et (3) si
les règles d'attribution du revenu entre conjoints s'appli-
quaient.
Le contribuable a soutenu (I) qu'il n'avait pas conféré
d'avantage aux membres de sa famille parce qu'il n'avait rien
reçu directement et n'avait pas disposé de quoi que ce soit. La
société a émis les actions. Le contribuable a invoqué le prin-
cipe selon lequel une société est une entité juridique séparée et
distincte de ses actionnaires. Par conséquent, les actions non
émises appartiennent exclusivement à la société. Aucun bien
n'a été transféré parce que le contribuable avait gardé le même
nombre d'actions avant et après les opérations. Subsidiaire-
ment, il a été soutenu que la Loi n'impose pas le paiement d'un
don. Si la disposition concernant les gains en capital (arti-
cle 69) s'applique, le paragraphe 73(5), qui permet au contri-
buable de réduire le gain en capital découlant d'un transfert
d'actions, doit s'appliquer, de sorte que les enfants jouissent
d'un transfert des actions libre d'impôt. (2) Il a en outre été
soutenu que les règles d'attribution du revenu entre conjoints
ne devraient pas s'appliquer parce qu'il n'y a pas eu de dispo
sition d'un bien du contribuable en faveur de sa femme ou de
ses enfants. En outre, ce sont les actions qui donnent lieu au
revenu et c'est un intérêt économique qui a été transféré aux
enfants et non des actions.
Jugement: le contre-appel du contribuable concernant le
gain en capital devrait être rejeté; le contre-appel concernant le
gain en capital du conjoint, attribué au contribuable, devrait
être accueilli. L'appel de la Couronne à l'égard du revenu de
dividendes attribué au contribuable devrait être rejeté.
(I) Les opérations qui ont permis à l'épouse et aux enfants
du contribuable d'acquérir des actions pour une somme infé-
rieure à leur juste valeur marchande constituaient un avantage
conféré par le contribuable, lequel était «réputé être une dispo
sition à titre gratuit» en vertu de l'alinéa 245(2)c). Le principe
selon lequel la société est une entité juridique séparée, les
actionnaires n'ayant aucun droit de propriété, sauf sur les
actions, n'est plus absolu. Ce principe a été nuancé par la juris
prudence de façon à tenir compte des réalités du droit commer
cial, en particulier dans le cas des petites sociétés où il y a un
actionnaire principal. Dans le cas des sociétés plus impor-
tantes, les administrateurs sont de plus en plus tenus respon-
sables des actes de la société. Dans les affaires fiscales, les tri-
bunaux ont fait abstraction de la personnalité morale si le seul
mobile derrière la constitution de la société était l'évitement
fiscal. L'expression «nonobstant la forme ou les effets juri-
diques des opérations» figurant à l'alinéa 245(2)c) laisse égale-
ment entendre qu'indépendamment de la forme de l'opération,
le ministre en examinera la nature véritable. Lorsqu'un action-
naire dominant conçoit une opération qui vise à accroître la
participation des membres de sa famille dans la société tout en
diminuant la valeur de sa propre participation, cette opération
sera examinée afin de déterminer l'impôt à payer. L'ali-
néa 245(2)c) vise à évaluer la raison pour laquelle les actions
ont été émises. La principale raison d'être des actions est de
permettre à la société de se procurer des capitaux. En l'espèce,
la société ne s'est procuré aucun capital par le biais des opéra-
tions contestées. Le contribuable ne peut pas invoquer le prin-
cipe selon lequel la société est une entité juridique distincte de
ses actionnaires, lesquels ont seulement un droit de propriété
sur les actions, lorsque le véritable but de l'opération n'était
pas de se procurer du capital, mais d'augmenter la participation
de la famille. Le fait que le contribuable a gardé le même nom-
bre d'actions n'est pas un facteur déterminant.
L'article 245 est une disposition de caractérisation. Il prévoit
qu'un avantage a pour caractéristique d'être une disposition
présumée. Il vise à qualifier les opérations qui y sont énoncées
de paiements ou de transferts indirects. Il se trouve à la par-
tie XVI, qui est intitulée «Évasion fiscale». Il faut se reporter à
une autre partie de la Loi pour trouver les dispositions d'appli-
cation. En vertu du sous-alinéa 69(I)b)(ii), le contribuable est
réputé avoir reçu le produit de la disposition d'un bien s'il en
dispose pour une somme inférieure à sa juste valeur mar-
chande. La raison d'être des dispositions concernant la disposi
tion présumée est d'empêcher les contribuables de transférer
un droit de propriété uniquement pour éviter des conséquences
fiscales. L'alinéa 245(2)c) précise qu'il n'est pas nécessaire
d'avoir l'intention d'éviter des impôts pour qu'il y ait disposi
tion présumée dans le cas du transfert d'un bien. Le contribua-
ble a réduit son intérêt économique dans la société pour une
somme inférieure à sa juste valeur marchande et il est réputé
avoir reçu le produit de la disposition. Par conséquent, le bien
transféré est assujetti aux dispositions de la Loi en matière de
gains en capital. Les règles relatives aux transferts entre vifs
d'actions du capital-actions d'une société exploitant une petite
entreprise (paragraphe 73(5)) ne s'appliquaient pas. Le para-
graphe 73(5) exige que le bien ait été une action immédiate-
ment avant le transfert. C'est un droit de souscrire à des actions
qui a été transféré et non les actions elles-mêmes. Le bien
transféré n'est pas devenu une action tant que les enfants n'ont
pas levé l'option et qu'ils n'ont pas souscrit à des actions.
(2) Les règles d'attribution du revenu entre les conjoints ne
s'appliquaient pas. Le mot «transfert» figurant au para-
graphe 74(1) pourrait comprendre le transfert indirect d'un
intérêt économique, mais il est plus difficile de savoir si ce
transfert portait sur des biens desquels l'épouse du contribua-
ble aurait tiré un revenu. Ce sont les actions elles-mêmes qui
ont donné lieu au revenu et non le droit de souscrire à des
actions. L'épouse du contribuable n'a pas reçu un droit direct
de recevoir des dividendes, mais le droit d'acquérir des actions,
droit qu'elle a exercé. Ce droit en soi ne produisait pas de
revenu. C'est en l'exerçant que l'épouse du contribuable a
acquis le bien qui lui a permis de toucher un revenu. En second
lieu, les deux opérations par lesquelles le contribuable s'est
départi de ses actions ont été jugées être des «dispositions pré-
sumées à titre gratuit» aux termes de l'alinéa 245(2)c). L'ar-
ticle 69 s'appliquait donc. L'opération qui a créé le droit pour
l'épouse du contribuable de souscrire à des actions ne saurait
être à la fois «réputée être une disposition à titre gratuit» aux
termes de l'alinéa 245(2)c) et un transfert entre conjoints visé
au paragraphe 74(I). Les règles d'attribution ne s'appliquent
pas en l'absence d'un transfert entre conjoints.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Companies Act, R.S.A. 1980, chap. C-20, art. 27.
Loi de l'impnt sur le revenu, S.C. 1970-7I-72, chap. 63,
art. 69(1)b)(ii), 73(5) (mod. par S.C. 1979, chap. 5,
art. 24), 74 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 26,
art. 39, 82(1)), 227.1(1) (édicté par S.C. 1980-81-82-
83, chap. 140, art. 124), 245(2)c).
The Companies Act, R.S.A. 1970, chap. 60, art. 16 (mod.
par S.A. 1975, chap. 44, art. 2; 1976, chap. 61, art.2).
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Minister of National Revenue v. Dufresne, Didace, [ 1967]
R.C.É. 128; [1967] C.T.C. 153; (1967), 67 DTC 5105; La
succession Levine c. Le ministre du Revenu national,
[1973] C.F. 285; [1973] CTC 219; (1973), 73 DTC 5182
(I 7 C inst.); Applebaum c. Ministre du revenu national
(1971), 71 DTC 371 (C.A.I.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Kit-Win Holdings (1973) Ltd c La Reine, [1981] CTC 43;
81 DTC 5030 (C.F. Ire inst.); Fasken, David v. Minister of
National Revenue, [1948] R.C.É. 580; [1948] CTC 265;
(1948), 49 DTC 491.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Salomon v. Salomon & Co., [1897] A.C. 22 (H.L.);
Macaura v. Northern Assurance Co., [1925] A.C. 619
(H.L.); Kosmopoulos et al. v. Constitution Insurance Co.
of Canada et al. (1983), 42 O.R. (2d) 428; 149 D.L.R.
(3d) 77; 22 B.L.R. 11I; I C.C.L.I. 83; [1983] I.L.R. I-660
(C.A.); conf. par [1987] 1 R.C.S. 2; (1987), 34 D.L.R.
(4th) 208; 36 B.L.R. 233; 22 C.C.L.I. 297; [1987] I.L.R.
1-2147; 74 N.R. 360; 21 O.A.C. 4; Berger v. Willowdale
A.M.C. et al. (1983), 41 O.R. (2d) 89; 145 D.L.R. (3d)
247; 23 B.L.R. 19 (C.A.); Sask. Econ. Dev. Corpn. v. Pat-
terson-Boyd Mfg. Corpn., [1981] 2 W.W.R. 40; (1981), 6
Sask. R. 325 (C.A.); Glacier Realties Ltd c La Reine,
[1980] CTC 308; (1980), 80 DTC 6243 (C.F. Ire inst.).
DOCTRINE
University of Alberta. Institute of Law Research and
Reform. Proposals for a New Alberta Business Corpo
rations Act, Volume I, Report No. 36, Edmonton,
Alberta, August 1980.
Welling, Bruce Corporate Law in Canada: The Gover
ning Principles, Toronto: Butterworths, 1984.
AVOCATS:
Helen C. Turner pour la demanderesse (défende-
resse en contre-appel).
H. George McKenzie pour le défendeur (deman-
deur en contre-appel).
PROCUREURS:
Le sous -procureur général du Canada pour la
demanderesse (défenderesse en contre-appel).
Bell, Felesky, Flynn, Calgary, pour le défendeur
(demandeur en contre-appel).
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE DENAULT: Il s'agit d'un appel interjeté par
le ministre du Revenu national d'une décision de la
Cour canadienne de l'impôt, de même que d'un con-
tre-appel interjeté par le contribuable. L'instance
porte sur deux opérations: la première a permis à
l'épouse du défendeur d'acquérir des actions de la
société qu'il contrôlait; la seconde a permis à ses
enfants d'acquérir des actions. Le litige intéresse les
années d'imposition 1981 et 1982.
LES FAITS
Les parties se sont entendues sur les faits perti-
nents, lesquels sont énoncés dans un exposé conjoint
des faits.
Le défendeur, Albert Kieboom, est un particulier
qui réside au Canada aux fins de la Loi de l'impôt sur
le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63] (la «Loi»). Il
était propriétaire de neuf actions ordinaires du capi-
tal-actions de «Carpet Colour Centre (Red Deer)
Limited» (la «société»). La société a été constituée le
3 mai 1976. Elle exploitait une entreprise de vente de
tapis à Red Deer et dans la région avoisinante. Il
s'agissait d'une «corporation privée dont le contrôle
est canadien», au sens de la Loi. Par conséquent, la
juste valeur marchande de l'actif, ou une fraction
importante de celle-ci, était affectée à l'exploitation
active d'une entreprise, principalement au Canada. À
l'époque où la société a été constituée, Adriana Kie-
boom («Adriana»), l'épouse d'Albert, a acquis une
action ordinaire du capital-actions de celle-ci. A
toutes les époques en cause, le défendeur était l'âme
dirigeante de la société. Les Kieboom ont trois
enfants, Sheila Ibbotson («Sheila»), Yost Kieboom
(«Yost») et Alma Kieboom («Alma»), lesquels
étaient tous âgés de plus de 18 ans et étaient des rési-
dents canadiens à toutes les époques en cause, aux
fins de la Loi.
Par résolution spéciale passée le 31 octobre 1979
et enregistrée auprès du registre des entreprises de
l'Alberta, le capital-actions de la société a été majoré
par la création de 10 000 actions ordinaires sans droit
de vote de catégorie «A». À une assemblée tenue le
12 février 1980 pour décider quels seraient les droits
afférents aux actions nouvellement créées, le défen-
deur n'a souscrit à aucune de celles-ci. Cependant,
Adriana a souscrit à huit de ces actions, moyennant
une contrepartie d'un dollar l'action. Après l'assem-
blée, Adriana détenait une action ordinaire et huit
actions ordinaires de catégorie «A», ce qui portait sa
participation à 50 %. Pour sa part, le défendeur gar-
dait ses neuf actions ordinaires, lesquelles représen-
taient une participation de 50 %. Avant l'assemblée,
le défendeur détenait neuf actions ordinaires, c'est-à-
dire une participation de 90 %, tandis qu'Adriana
détenait une action ordinaire, soit une participation de
10 %.
Le ler mars 1981, le défendeur et Adriana, lesquels
étaient à l'époque les administrateurs et seuls action-
naires de la société, ont tenu une assemblée. Ils ont
décidé que huit actions ordinaires de catégorie «A»
de la société seraient émises à chacun de leurs trois
enfants, moyennant une contrepartie d'un dollar l'ac-
tion. Aucune action n'a été émise à Adriana ou au
défendeur.
Après l'émission de ces actions aux enfants, la par
ticipation du défendeur et d'Adriana s'établissait à
21,4 %, tandis que la participation de chacun des
enfants, soit Yost, Alma et Sheila, était de 19 %.
L'émission des actions à Adriana et aux enfants, par
la suite, a eu pour effet de diminuer la participation
du défendeur dans la société et d'accroître les partici-
pations respectives de son épouse et de ses enfants.
Le défendeur a planifié et réalisé ces opérations.
Celui-ci voulait que la société émette des actions
d'abord à son épouse, puis à ses enfants, de manière à
diminuer sa propre participation aux actions émises
de la société (et celle de son épouse, par la suite).
Au cours de l'année d'imposition 1982, la société a
distribué 4 000 $ de dividendes par action ordinaire
et 3 750 $ par action de catégorie «A». Au cours de
l'année d'imposition 1982, le montant imposable de
dividendes reçus par Adriana (après la majoration
prévue au paragraphe 82(1)) imputables à 7,2 de ses
actions de catégorie «A», s'établissait à 40 500 $
(3750$ x 7,2 x 1,5 = 40500$).
Dans un avis à cet effet en date du 10 août 1987, le
ministre du Revenu national a établi une nouvelle
cotisation à l'égard du défendeur pour l'année d'im-
position 1981. L'émission des actions à Sheila, Yost
et Alma constituait une disposition à titre gratuit d'un
intérêt économique, par le défendeur et Adriana,
visée à l'alinéa 245(2)c) de la Loi. En conséquence,
le défendeur et Adriana étaient réputés avoir reçu un
produit de disposition de 113 450 $ chacun, c'est-à-
dire la juste valeur marchande de l'intérêt écono-
mique des actions. Une somme égale à 80 % du gain
en capital imposable reçu par Adriana a été attribuée
au défendeur et a été incluse dans son revenu, confor-
mément au paragraphe 74(2) [mod. par S.C. 1974-75-
76, chap. 26, art. 39] de la Loi, lequel établit les
règles d'attribution du revenu entre conjoints.
Dans un avis à cet effet en date du 25 mai 1989, le
ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard du
défendeur pour son année d'imposition 1982, au
motif que les dividendes reçus par Adriana (40 500 $)
devaient être inclus dans son revenu, conformément
au paragraphe 74(1) [mod., idem] de la Loi.
Pour établir les nouvelles cotisations respectives, le
ministre a présumé les faits susmentionnés. Néan-
moins, à l'origine, il avait estimé que la juste valeur
marchande des actions émises par la société aux
enfants était de 9 450 $ au ler mars 1981. Or, il est
maintenant disposé à admettre que la juste valeur
marchande de ces actions à cette date était de
6 800 $.
THÈSE DE LA DEMANDERESSE
Le défendeur a diminué son intérêt économique
proportionnel dans la société en faisant émettre huit
actions autodétenues à Adriana, lui conférant par là
un avantage. L'avantage est réputé être un paiement à
celle-ci en vertu du paragraphe 245(2), et ce paiement
est réputé être une disposition à titre gratuit aux
termes de l'alinéa 245(2)c). En vertu du paragraphe
74(1), cette disposition à titre gratuit est réputée être
un transfert d'un bien en immobilisation. Ce para-
graphe prescrit l'attribution au défendeur du revenu
tiré de ces biens. En conséquence, c'est à bon droit
que le ministre a inclus la somme de 40 500 $, au
titre de dividendes imposables dans le revenu du
défendeur pour l'année 1982.
Le défendeur et Adriana ont diminué leur intérêt
économique proportionnel dans la société en faisant
émettre huit actions autodétenues à leurs enfants.
Cette opération a conféré un avantage à ces derniers.
En vertu du paragraphe 245(2), l'avantage est réputé
être un paiement et celui-ci est réputé être une dispo
sition à titre gratuit aux termes de l'alinéa 245(2)c).
Le défendeur est réputé avoir reçu la somme de
204 120 $, au titre du produit de cette disposition à
titre gratuit en faveur de ses enfants, de la manière
suivante: son propre intérêt dans la société en vertu
du sous-alinéa 69(1)b)(ii) et, à cause de l'intérêt éco-
nomique d'Adriana, les dispositions du paragraphe
74(2) font en sorte que la fraction imputable à celle-ci
doit être incluse dans le revenu imposable du défen-
deur.
THÈSE DU DÉFENDEUR
La thèse du défendeur est fondée sur la présomp-
tion selon laquelle il n'existe aucun droit de propriété
distinct qui se rapporte à une société que l'on puisse
qualifier d'«intérêt économique». La participation
d'une personne dans une société dépend uniquement
du nombre d'actions qu'elle détient. Par conséquent,
le défendeur nie la présomption de la demanderesse
selon laquelle certains actionnaires possédaient des
biens qui constituaient un intérêt économique distinct
des actions de la société.
Le ministre cherche à imposer le défendeur en
s'appuyant sur la diminution de la valeur de sa parti
cipation dans la société, à la suite de l'accroissement
de la participation de son épouse et celle de ses
enfants. Cette position est dénuée de fondement, eu
égard aux dispositions de la Loi. L'émission d'ac-
tions par la société à son épouse et à ses enfants
représentait un avantage qui leur a été conféré par la
société et non par lui.
À titre subsidiaire, si la Cour conclut que l'émis-
sion d'actions par la société à Adriana et aux enfants
constituait un avantage qui leur a été conféré par le
défendeur aux termes de l'alinéa 245(2)c) au moyen
d'une disposition à titre gratuit, cela n'a aucune con-
séquence fiscale pour le défendeur. Aucune disposi
tion de la Loi n'impose le paiement d'un don.
Si le paiement réputé d'un don est assujetti à l'im-
pôt en vertu de la Loi, il n'entraîne pas une disposi
tion de biens par le défendeur en faveur d'Adriana.
Par conséquent, les paragraphes 74(1) et 74(2) ne
s'appliquent pas aux sommes touchées par Adriana
relativement à ses actions.
Le défendeur en appelle de la conclusion de la
Cour de l'impôt selon laquelle l'émission des actions
par la société aux enfants du défendeur a donné lieu à
une disposition des biens de celui-ci, laquelle était
assujettie à l'impôt en vertu de la Loi.
ANALYSE
Il convient d'abord de déterminer la nature de
l'opération par laquelle Adriana a acquis des actions
de la société et par laquelle les enfants ont acquis des
actions par la suite. L'avocat du défendeur soutient
qu'en l'espèce, la société a émis des actions autodéte-
nues à Mme Kieboom et aux enfants, par la suite. Le
défendeur n'a pas reçu de revenu directement. Il n'a
rien reçu et n'a pas disposé de quoi que ce soit. Or,
toute obligation fiscale doit découler d'un revenu
réputé ou imputé.
Le défendeur admet qu'Adriana et leurs enfants,
par la suite, ont reçu un avantage visé à l'alinéa
245(2)c).
245... .
(2) Lorsqu'une ou plusieurs ventes, échanges, déclarations
de fiducie ou autres opérations de quelque nature que ce soit,
ont pour résultat qu'une personne confere un avantage a un
contribuable, cette personne est réputée avoir fait au contribua-
ble un paiement égal au montant de l'avantage conféré, nonob-
stant la forme ou les effets juridiques des opérations ou le fait
qu'une ou plusieurs autres personnes y aient été également par
ties; et, qu'il y ait eu ou non une intention d'éviter ou d'éluder
des impôts prévus par la présente loi, le paiement doit, selon
les circonstances, être
c) réputé être une disposition à titre gratuit.
Le fait qu'Adriana et les enfants aient pu acquérir des
actions pour une somme moindre que leur juste
valeur marchande représente un avantage.
En l'espèce, il s'agit de décider si M. Kieboom a
conféré ou non un avantage à Mme Kieboom. Selon
le défendeur, le ministre a fait défaut d'alléguer, dans
ses plaidoiries, que M. Kieboom a conféré l'avantage
et l'appel devrait être rejeté pour ce seul motif. Au
soutien de cet argument, l'avocat du défendeur
invoque un jugement du juge Cattanach où il a été
statué que, lorsque «le ministre a fait défaut d'allé-
guer un fait qui constitue un élément essentiel à la
validité d'une cotisation conformément à la disposi
tion applicable de la Loi, le contribuable n'est pas
tenu de réfuter ce fait parce que les présomptions qui
ont été établies ne permettaient pas en elles-mêmes
d'étayer la cotisation» 1 .
Cet argument ne me convainc pas. Je ne décèle
aucun vice de forme dans les plaidoiries de la deman-
deresse à cet égard. Dans son exposé des faits, le
ministre a plaidé que le défendeur était l'âme diri-
geante de la société. Aux paragraphes 19 et 20 de sa
déclaration, il plaide que le défendeur a planifié et
réalisé les opérations et que l'intérêt économique reçu
par Adriana était un don assujetti aux dispositions de
l'alinéa 245(2)c) et du paragraphe 74(1). Au para-
graphe 28 de la déclaration, le ministre plaide spécia-
lement que le défendeur a diminué son intérêt écono-
mique, ce qui a eu pour effet de conférer un avantage
à son épouse. Au paragraphe 30, le ministre plaide
que cette opération a pareillement eu pour effet de
conférer un avantage à ses enfants. Les faits en l'es-
pèce sont différents de ceux dans l'affaire Kit-Win
Holdings. Dans cette affaire là, le ministre devait
alléguer que l'un des facteurs déterminants au
moment de l'acquisition du terrain était la possibilité
de le revendre. Le ministre cherchait à inclure le pro-
duit de cette vente dans le revenu du contribuable au
titre d'une affaire de caractère commercial. En l'es-
pèce, il fallait alléguer qu'une opération a eu lieu par
laquelle une personne a conféré un avantage visé à
l'alinéa 245(2)c). Puisque ceci a été plaidé, j'estime
que les plaidoiries de la demanderesse ne sont pas
entachées d'un vice de forme sous ce rapport.
L'avocat du défendeur a plaidé que M. Kieboom
n'a pas transféré de biens à son épouse Adriana ou à
ses enfants. Le défendeur était propriétaire du même
nombre d'actions avant et après l'assemblée qui a
permis à Mme Kieboom d'acquérir les actions. Selon
l'avocat du défendeur, la société a émis des actions
autodétenues à Mme Kieboom. Cette thèse est fondée
sur la présomption selon laquelle l'action représente
le seul lien entre une société et un actionnaire. Effec-
tivement, le défendeur invoque le principe, établi de
longue date en droit des sociétés, selon lequel une
société est une entité juridique séparée et distincte de
ses actionnaires. Par conséquent, les actions non émi-
I Kit-Win Holdings (/973) Ltd c La Reine, [1981] CTC 43
(C.F. Ife inst.), aux p. 55 et 56.
ses appartiennent exclusivement à la société. À cet
égard, l'avocat du défendeur a cité l'article 16 de la
Companies Act de l'Alberta 2 , lequel énonce les obli
gations juridiques d'une société par actions. Il a éga-
lement attiré mon attention sur divers articles de doc
trine qui énoncent la nature et la définition des
actions par rapport à la société. Une action est notam-
ment définie comme étant [TRADUCTION] «simplement
un intérêt proportionnel dans la valeur nette d'une
entreprise» 3 . Selon une autre définition qu'il a citée:
[TRADUCTION] «une action est l'intérêt d'un action-
naire dans la société ... une action n'est pas une
somme d'argent établie d'une manière suggérée; il
s'agit plutôt d'un intérêt mesuré par une somme d'ar-
gent ... ». Une autre question intéressante qui a été
traitée dans les documents fournis par le défendeur
porte sur l'objet visé par la notion d'action. Comme
le signale le professeur Welling, [TRADUCTION] «la
structure sociale est devenue le moyen juridique de
combiner les efforts économiques des entrepreneurs,
lesquels participaient personnellement et ceux des
capitalistes, lesquels participaient financièrement» 4 .
Autrement dit, l'action permet à la société de se pro
curer des capitaux tout en permettant aux investis-
seurs de placer de l'argent dans une société.
Du fait que l'action représente le seul lien entre
l'actionnaire et la société, la thèse du ministre selon
laquelle le contribuable avait un intérêt économique
dans la société est dénuée de fondement, eu égard au
droit des sociétés et aux dispositions de la Loi de
l'impôt sur le revenu. Cependant, le principe selon
lequel une société est une entité juridique séparée et
distincte de ses actionnaires n'est plus absolu. Le
principe juridique général veut que l'actionnaire n'ait
pas un droit de propriété sur la société, laquelle ne
peut être possédée du fait de sa personnalité juri-
dique. L'actionnaire est plutôt propriétaire des
actions, qui confèrent seulement les droits qui sont
précisés dans les statuts de la société. Toutefois, ce
principe a été nuancé pour tenir compte des réalités
du droit commercial. Je vais brièvement passer en
revue l'évolution du droit des sociétés en ce qui a
2 The Companies Act, R.S.A. 1970, chap. 60, art. 16 (mod.
par S.A. 1975, chap. 44, art. 2; 1976, chap. 61, art. 2).
3 Proposais . /r a New Alberta Business Corporations Act.
4 Welling, Bruce Corporate Law in Canada: The Governing
Principles, «The Corporate Capital Structure» (Toronto: But-
terworths), à la p. 569.
trait au principe voulant que la société soit une entité
juridique distincte.
L'arrêt Salomon v. Salomon & Co. 5 a établi le
principe de la personnalité juridique distincte de la
société. Dans cette affaire, M. Salomon avait consti-
tué une société à laquelle il avait vendu son entreprise
de cordonnerie. En contrepartie, il avait acquis des
actions et une débenture de la société, si bien qu'il
était devenu un créancier garanti de celle-ci. La
société a été liquidée un an plus tard et les créanciers
ont tenté de recouvrer ce qui leur était dû de
M. Salomon. Ceux-ci plaidaient que la société était
l'alter ego de M. Salomon. Selon l'arrêt de la Cham-
bre des lords, tant que les exigences légales en
matière de constitution en personne morale sont res-
pectées, une société devient une entité juridique sépa-
rée et distincte de la personne qui l'a fait constituer.
Peu importe qu'il y ait un seul actionnaire, ou les
objets pour lesquels la société a été constituée. La
société est une entité juridique distincte de ses action-
naires.
Ce principe est consacré dans les lois régissant le
droit des sociétés. Ainsi, le certificat de constitution
représente une preuve concluante de constitution en
vertu de la Companies Act 6 . La politique qui sous-
tend cette règle vise à encourager l'activité commer-
ciale sans que l'entrepreneur ne soit tenu personnelle-
ment responsable des dettes de la société. Elle vise
aussi à encourager l'investissement dans les sociétés
en permettant aux investisseurs de placer leur argent
en limitant leurs pertes à un montant déterminé à
l'avance.
Avec le temps, les difficultés afférentes à la per-
sonnalité juridique distincte de la société sont deve-
nues évidentes. En droit des assurances, un action-
naire principal ne pouvait se faire indemniser pour
une perte subie par la société du fait que son intérêt
assurable se rapportait aux actions et non à la société.
Le contrat d'assurance de l'entreprise devait être fait
au nom de la société 7 . Cependant, dans un arrêt onta-
rien de 1981 8 , le tribunal a permis à un actionnaire
5 Salomon v. Salomon & Co., [1897] A.C. 22 (H.L.).
6 Companies Act, R.S.A. 1980, chap. C-20, art. 27.
7 Macaura v. Northern Assurance Co., [1925] A.C. 619
(H.L.).
% Kosmopoulos et al. v. Constitution Insurance Co. of
Canada et al. (1983), 42 O.R. (2d) 428 (C.A.); conf. par
[1987] 1 R.C.S. 2.
unique de se faire indemniser en vertu d'un contrat
d'assurance qui avait été enregistré à son nom et non
à celui de la société qu'il avait fait constituer. Le tri
bunal a jugé que même si l'actionnaire unique n'avait
aucun droit de propriété à l'égard des biens de la
société, il était le seul qui pouvait subir une perte si
les biens étaient détruits. Par conséquent, si les biens
sont assurés par l'actionnaire à titre personnel, il peut
se faire indemniser car il sera certain de subir une
perte.
Il est d'autres circonstances dans lesquelles les tri-
bunaux ont fait abstraction de la personnalité morale,
notamment le cas où un administrateur a été jugé per-
sonnellement responsable lorsqu'il a fait défaut
d'agir alors qu'il pouvait constater que la société ne
remplissait pas ses fonctions 9 , et le cas où une société
a été créée pour éluder certaines obligations juri-
diques et obtenir un rang prioritaire à l'égard d'une
créance ] o.
En résumé, le principe selon lequel la société est
une entité juridique distincte de ses actionnaires, les-
quels n'ont aucun droit de propriété, sauf sur les
actions, n'est plus absolu. Ce principe a été nuancé
pour tenir compte des réalités du droit commercial.
Cette tendance vise surtout les petites sociétés où il y
a un actionnaire principal, comme en l'espèce. Dans
le cas des sociétés plus importantes, les administra-
teurs sont, de plus en plus, tenus responsables des
actes de la société.
En droit fiscal, les tribunaux ont fait abstraction de
la personnalité morale pour établir les mobiles der-
rière la constitution de la société. Si le seul mobile
était l'évitement fiscal, les tribunaux ont fait abstrac
tion de la personnalité morale. Dans le jugement Gla
cier Realties Ltd c La Reine, le juge Addy (tel était
alors son titre) a fait abstraction de la personnalité
morale pour connaître le but principal de l'achat d'un
terrain:
Le fait que la société a été constituée dans le seul but de
détenir un unique terrain et qu'elle n'a exercé aucune autre
activité est un facteur 3 considérer, mais ne constitue nullement
la preuve concluante du but que poursuivait le contribuable en
achetant le terrain ... Les objectifs d'une société sont moins
9 Berger v. Willowdale A.M.C. et al. (1983), 41 O.R. (2d)
89 (C.A.).
II) Sask. Econ. Dey. Corp. v. Patterson-Boyd Mfg. Corpn.,
[1981] 2 W.W.R. 40 (C.A.).
importants que ses actions quand il s'agit d'établir ses inten
tions ... En ce qui concerne les sociétés privées comme celle
qui est en cause, il est important de pénétrer dans les coulisses
de l'entreprise pour étudier les antécédents de ses actionnaires
afin de cerner avec plus de sûreté si possible le but ou les buts
de l'achat en cause 11 .
Un autre exemple dans la Loi où il est fait abstrac
tion de la personnalité morale se trouve au para-
graphe 227.1(1) [édicté par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 140, art. 124], qui tient les administrateurs de la
société personnellement responsables des impôts
impayés.
En l'espèce, il s'agit d'établir la nature véritable
d'une opération. La disposition pertinente de la Loi
est l'alinéa 245(2)c). Il s'agit de savoir si le défen-
deur avait un intérêt dans la société qui lui permettait
de conférer à son épouse et à ses enfants, par la suite,
le droit de souscrire à des actions. Cet alinéa dispose:
245... .
(2) Lorsqu'une ou plusieurs ventes, échanges, déclarations
de fiducie ou autres opérations de quelque nature que ce soit
ont pour résultat qu'une personne confère un avantage à un
contribuable, cette personne est réputée avoir fait au contribua-
ble un paiement égal au montant de l'avantage conféré, nonob-
stant la forme ou les effets juridiques des opérations ou le fait
qu'une ou plusieurs autres personnes y aient été également par
ties; et, qu'il y ait eu ou non une intention d'éviter ou d'éluder
des impôts prévus par la présente loi, le paiement doit, selon
les circonstances, être
c) réputé être une disposition à titre gratuit.
Cette disposition précise qu'elle s'applique «nonob-
stant la forme ou les effets juridiques des opérations».
Cela laisse entendre qu'indépendamment de la forme
de l'opération, le ministre en examinera la nature
véritable.
L'avocat de la demanderesse a invoqué le juge-
ment Minister of National Revenue v. Dufresne,
Didacet 2 , dans lequel le tribunal a interprété la dispo
sition correspondant à l'alinéa 245(2)c) actuel. Dans
l'affaire Dufresne, le contribuable était l'actionnaire
dominant et le propriétaire de presque toutes les
actions. M. Dufresne était propriétaire de 164 actions,
11 Glacier Realties Ltd c La Reine, [ 1980] CTC 308 (C.F. 1"
inst.), à la p. 310.
12 Minister of National Revenue v. Dufresne, Didace, [ 1967]
R.C.É. 128.
son épouse était propriétaire d'une action, tandis que
chacun de ses cinq enfants était propriétaire de 15
actions. Il était le chef de la famille et exerçait une
influence dominante sur le cours des événements qui
ont mené à la nouvelle cotisation et à l'appel. Dans
les opérations contestées dans l'affaire Dufresne, la
société avait offert à chacun des actionnaires le droit
d'acheter trois nouvelles actions pour chaque action
détenue au prix d'achat de 100 $ l'action. Avant l'op-
tion d'achat d'actions, les actions émises à l'origine
avaient une valeur de 1 421,47 $. Les enfants ont levé
leurs options, tandis que le contribuable et son épouse
n'ont pas levé les leurs. En conséquence, le contri-
buable est demeuré propriétaire du même nombre
d'actions, soit 164. Cependant, la valeur des actions a
chuté de 243 044 $ à 78 560 $. La participation des
enfants est passée de 15 à 360 actions ordinaires,
dont la valeur est passée de 21 315 $ à 199 400 $.
La Cour de l'Échiquier a statué que le contribua-
ble, M. Dufresne avait conféré un avantage à ses
enfants. En effet, la Cour a jugé que M. Dufresne
avait un intérêt séparé et distinct des actions qu'il
détenait. Le président Jackett (tel était alors son titre)
a énoncé les motifs sous-jacents à l'opération: [TRA-
DUCTION] «L'ordre chronologique dans lequel les évé-
nements se sont produits dénote clairement qu'il
s'agissait d'une série d'opérations de la société plani-
fiées à l'avance par l'actionnaire principal et le père,
après avoir obtenu les conseils professionnels appro-
priés, dans le but d'augmenter la participation des
enfants dans le capital-actions de la société» 13 .
L'alinéa 137(2)c) [S.R.C. 1952, chap. 148], le pré-
décesseur de l'alinéa 245(2)c) actuel, a été interprété
de manière à pouvoir faire abstraction de la personna-
lité morale pour pouvoir connaître la nature véritable
de l'opération. Lorsqu'un actionnaire dominant con-
çoit une opération qui vise à accroître la participation
des membres de sa famille dans la société tout en
diminuant la valeur de sa propre participation, cette
opération sera examinée aux fins de déterminer l'im-
pôt à payer.
Bien que le jugement Dufresne ait été rendu sous le
régime de l'alinéa 137(2)c), le prédécesseur de l'ali-
néa 245(2)c), son libellé est identique au texte actuel,
sauf les mots «à laquelle s'applique la partie IV», les-
13 Ibid., à la p. 138.
quels ont été supprimés. L'impôt sur les dons a été
aboli en 1971. Je traiterai cette question plus loin.
Le président Jackett a statué que si M. Dufresne
avait conféré un avantage à ses enfants, il était alors
réputé avoir fait à chacun d'eux un paiement égal au
montant de l'avantage. Ce paiement était «réputé être
une disposition à titre gratuit», laquelle était imposa-
ble sous le régime de la partie IV, en vigueur à
l'époque.
Le jugement Dufresne a également été suivi dans
la décision Applebaum c. Ministre du revenu natio
nal 14 . Dans cette affaire, les enfants du contribuable
avaient acquis le droit de souscrire à des actions
grâce au transfert secret de la part du contribuable
dans la société. Le membre de la Commission d'ap-
pel de l'impôt a fait les commentaires suivants, à la
page 378:
Cet abandon de la majorité par l'appelant au profit des autres
actionnaires était la conséquence directe de sa décision de ne
pas exercer pleinement son «droit» et de l'exercice subséquent
par les autres actionnaires de leurs «droits». Il ne fait aucun
doute que l'appelant était le chef de sa famille et qu'il avait à
cœur l'avenir de celle-ci, tout en étant l'actionnaire majoritaire
de la compagnie familiale. Il a donc conçu la marche à suivre
avec le ferme espoir que ses souhaits seraient respectés et le
plan accepté, ce qui s'est en fait passé.
Le jugement Dufresne a également été suivi dans
l'affaire La succession Levine c. Le ministre du
Revenu national 15 où le fils du défunt avait acquis
5 000 actions de la société de son père à prix réduit. Il
a été jugé que les opérations qui avaient permis de
conférer le droit de souscrire aux actions avaient été
réalisées à la demande de l'âme dirigeante de la
société, feu M. Abe Levine. Par conséquent, l'avan-
tage était un don imposable comme revenu de
M. Levine.
L'alinéa 245(2)c) vise à évaluer la raison pour
laquelle les actions ont été émises. Comme je l'ai
signalé précédemment, la principale raison d'être des
actions est de permettre à la société de se procurer
des capitaux. En l'espèce, la société ne s'est procuré
aucun capital par le biais des opérations contestées.
Au contraire, elle a émis des actions, moyennant une
14 Applebaum c. Ministre du revenu national (1971), 71
DTC 371 (C.A.I.).
15 La succession Levine c. Le ministre du Revenu national,
[I973] C.F. 285 (Ire inst.).
contrepartie symbolique, aux membres de la famille
de l'actionnaire dominant. Le défendeur ne peut
s'acharner à invoquer le principe selon lequel la
société est une entité juridique distincte de celle de
ses actionnaires, lesquels ont seulement un droit de
propriété sur les actions, lorsque le véritable but de
l'opération n'était pas de se procurer du capital mais
d'augmenter la participation de sa famille.
Ce raisonnement est applicable dans la présente
affaire. En l'espèce, le défendeur était l'âme diri-
geante de la société. Tous admettent que le défendeur
voulait que la société émette des actions d'abord à
son épouse, puis à ses enfants, si bien que sa propre
participation dans la société, dans un premier temps,
puis la sienne et celle de son épouse, par la suite ont
diminué. Par conséquent, le fait que M. Kieboom ait
gardé le même nombre d'actions n'est pas un facteur
déterminant. Il s'est départi de son intérêt écono-
mique pour avantager son épouse et, par la suite, ses
enfants. Il l'a fait en diluant sa propre participation et
en augmentant celle de son épouse, puis celle de ses
enfants. Cette conclusion est conforme au raisonne-
ment exposé dans l'affaire Dufresne, de même qu'à
l'évolution du droit des sociétés en matière d'actions.
L'avocat du défendeur prétend qu'une distinction
peut être faite entre la présente cause et l'affaire
Dufresne, du fait que cette dernière a été jugée à une
époque où il existait un impôt sur les dons. Puisque
cet impôt n'existe plus, une telle situation n'entraîne
aucune conséquence fiscale. Le défendeur soutient
que l'article 245 est une disposition d'application,
c'est-à-dire qu'elle doit inclure quelque chose dans le
revenu du contribuable. Une disposition d'application
opère en deux étapes: il doit d'abord y avoir un avan-
tage; ensuite, l'avantage est réputé être un paiement.
Puisque le ministre a soutenu qu'il s'agissait d'une
disposition à titre gratuit aux termes de l'alinéa
245(2)c), il n'y a aucune conséquence fiscale, puis-
que l'impôt sur les dons a été aboli. Alors que la Loi
impose les dispositions de biens ailleurs, l'article ne
traite pas cette question, il prévoit simplement que le
paiement est «réputé être une disposition à titre gra-
tuit». Selon l'avocat du défendeur, le ministre, pour
imposer l'opération, a dû interpréter la Loi selon un
raisonnement tortueux et dénué de fondement.
Cet argument ne me convainc pas. À mon avis,
l'article 245 est une disposition de caractérisation. Il
vise à qualifier les opérations qui y sont énoncées de
paiements ou de transferts indirects. La disposition se
trouve à la partie XVI, laquelle est intitulée «Évasion
fiscale». Même si l'impôt sur les dons n'avait pas été
aboli, il serait nécessaire de se reporter à une autre
partie de la Loi pour trouver les dispositions d'appli-
cation. Par conséquent, il n'est pas nécessaire que cet
article inclue quelque chose dans le revenu du contri-
buable. L'article prévoit qu'un avantage a pour carac-
téristique d'être une disposition présumée.
D'autres dispositions de la Loi ont pour effet d'im-
poser les dons. Selon les notes techniques fournies
par le ministère des Finances, invoquées par les deux
avocats, ce Ministère n'estimait pas que l'abrogation
de l'impôt sur les dons créait un vide fiscal. Les dis
positions en matière de gain en capital ont pour effet
d'imposer les dons. La disposition applicable en l'es-
pèce est le sous-alinéa 69(1)b)(ii), en vertu duquel le
contribuable est réputé avoir reçu le produit de la dis
position d'un bien s'il en dispose pour une somme
inférieure à sa juste valeur marchande. La raison
d'être de ces dispositions en vertu desquelles les
biens sont réputés être aliénés à leur juste valeur mar-
chande est d'empêcher les contribuables de transférer
un droit de propriété pour éviter des conséquences
fiscales. L'alinéa 245(2)c) précise qu'il n'est pas
nécessaire d'avoir l'intention d'éviter des impôts
pour qu'il y ait disposition présumée dans le cas du
transfert d'un bien. En l'espèce, j'ai conclu que le
contribuable avait réduit son intérêt économique dans
la société pour une somme inférieure à sa juste valeur
marchande et qu'il est réputé avoir reçu le produit de
la disposition. Par conséquent, le bien transféré est
assujetti aux dispositions de la Loi en matière de
gains en capital. Bien que le raisonnement suivi
puisse être tortueux, le principe est simple. En effet,
un contribuable ne peut se départir d'un droit de pro-
priété moyennant une contrepartie inférieure à sa
juste valeur marchande sans être assujetti à l'impôt.
Ce principe vise à assujettir les opérations conçues
pour transférer le droit de propriété sans entraîner de
conséquences fiscales.
À titre subsidiaire, le défendeur prétend que si l'ar-
ticle 69 s'applique en l'espèce, le paragraphe 73(5)
[mod. par S.C. 1979, chap. 5, art. 24] doit s'appliquer
également, si bien que les enfants jouissent d'un
transfert des actions libre d'impôt. Le paragraphe
73(5) permet au contribuable de réduire le gain en
capital découlant d'un transfert d'actions. Les condi
tions d'application de ce paragraphe sont énoncées
comme suit:
73....
(5) Aux fins de la présente Partie et sauf lorsque les règles
exposées au paragraphe 74(2) exigent qu'un gain en capital
imposable, tiré de la disposition d'un bien par le contribuable,
soit inclus dans le revenu d'une personne autre que le contri-
buable, lorsque, à une date quelconque, un bien a été transféré
par un contribuable à son enfant qui résidait au Canada immé-
diatement avant le transfert, et que le bien était, immédiate-
ment avant le transfert, une action du capital-actions d'une cor
poration exploitant une petite entreprise, les règles suivantes
s'appliquent ...
Il y a lieu de suivre le même raisonnement que
celui de l'analyse précédente de l'alinéa 245(2)c). Le
contribuable a transféré un bien à ses enfants qui
étaient résidents du Canada. Cependant, pour que le
paragraphe 73(5) puisse s'appliquer, il fallait que le
bien soit une action, immédiatement avant le trans-
fert. En l'espèce, c'est un droit de souscrire à des
actions qui a été transféré et non pas les actions elles-
mêmes. Le bien transféré n'est pas devenu une action
tant que les enfants n'ont pas levé l'option et qu'ils
n'ont pas souscrit à des actions. En conséquence, les
règles en matière de transfert entre vifs d'actions du
capital-actions d'une corporation exploitant une
petite entreprise ne peuvent s'appliquer en l'espèce.
En résumé, les deux opérations qui ont permis à
Mme Kieboom d'acquérir des actions moyennant une
contrepartie d'un dollar et qui ont permis aux enfants
d'en acquérir d'autres par la suite, constituent un
avantage conféré par le défendeur, lequel est «réputé
être une disposition à titre gratuit». Cette conclusion
est fondée sur l'alinéa 245(2)c) et sur la jurispru
dence selon laquelle cette disposition devait être
interprétée de manière à connaître la nature véritable
d'une opération. L'argument selon lequel la société a
émis des actions autodétenues ne permet pas au
défendeur d'éviter les conséquences fiscales qui
pourraient s'ensuivre. Comme je l'ai déjà expliqué, le
principe voulant que la société soit une entité juri-
dique distincte de ses actionnaires n'est plus absolu,
notamment en ce qui a trait aux petites sociétés.
Il reste à statuer sur l'effet des règles d'attribution
du revenu entre les conjoints. Si ces règles s'appli-
quent, le revenu tiré du bien que M. Kieboom a trans-
féré à son épouse est attribué à celui-ci. En l'espèce,
le revenu tiré des actions d'Adriana serait attribué au
défendeur, notamment le revenu reçu de la disposi
tion présumée en conséquence de l'opération qui a
conféré un avantage à leurs enfants. Le paragraphe
74(1) dispose:
74. (1) Lorsqu'une personne a transféré des biens, directe-
ment ou indirectement, le 1cr août 1917 otï après, par un acte
de fiducie ou par tout autre moyen que ce soit à son conjoint,
ou à une personne qui est depuis devenue son conjoint, tout
revenu ou toute perte, le cas échéant, pour une année d'imposi-
tion, provenant des biens ou de biens y substitués, est réputée,
durant la vie de l'auteur du transfert, tandis qu'il réside au
Canada et que le bénéficiaire du transfert est son conjoint, être
un revenu ou une perte, le cas échéant, de l'auteur du transfert
et non de celui à qui le transfert a été fait.
Le défendeur soutient qu'il n'a transféré aucun
bien à Adriana ou à ses enfants. La société a émis des
actions autodétenues aux parties respectives. Par con-
séquent, les règles d'attribution du revenu entre les
conjoints ne peuvent s'appliquer. En outre, ce sont
les actions qui donnent lieu au revenu. Or, celles-ci
n'ont pas été transférées aux enfants. Puisque le
ministre soutient que le défendeur a transféré un inté-
rêt économique dans la société à son épouse et à ses
enfants, par la suite, aucun bien susceptible de pro-
duire un revenu n'a été transféré. Bien que la valeur
de ses actions ait pu diminuer, le contribuable ne se
trouve pas à avoir transféré des biens de manière à
l'assujettir à l'impôt en vertu des règles d'attribution
du revenu.
Selon le ministre, le transfert de biens visé au para-
graphe 74(1) est suffisamment large pour comprendre
l'intérêt économique qui a été transféré en l'espèce.
Au soutien de cette conclusion, l'avocat du ministre
invoque la décision Fasken, David v. Minister of
National Revenue 16 . Dans cette affaire, le contribua-
ble avait constitué une société en vue d'acheter un
immeuble au Texas. Il était propriétaire de toutes les
actions de la société, mais il les a toutes transférées
par la suite. Cependant, à l'époque du transfert, le
contribuable avait conservé son droit contre la société
16 Fasken, David v. Minister of National Revenue, [1948]
R.C.É. 580.
à l'égard du prix d'achat de la ferme et d'autres
avances. En 1924, la société a signé une reconnais
sance de dette portant intérêt en faveur des trois fidu-
ciaires et, à la même date, ceux-ci ont fait leurs décla-
rations de fiducie en vertu desquelles ils possédaient
les créances, lesquelles déclarations prévoyaient éga-
lement que les intérêts seraient versés à l'épouse du
contribuable. Le président Thorson a analysé la signi
fication de la notion de transfert de biens au sens de
la Loi. À la page 592, il a donné à la notion de «trans-
fert», visée dans la Loi une interprétation très large.
En effet, selon lui, il suffit que le contribuable se
départisse de ses biens et les remette à son épouse. Il
n'est pas nécessaire qu'il soit fait selon une forme
particulière, ni qu'il soit fait directement. Dans cette
affaire, le président Thorson a statué que le contri-
buable avait transféré un bien à son épouse.
L'avocat de la demanderesse prétend que les faits
de l'affaire Fasken sont analogues à ceux en l'espèce.
Dans l'affaire Fasken, l'épouse du contribuable
n'avait pas reçu de droit sur la créance du contribua-
ble envers la société. Elle avait plutôt reçu un droit au
paiement des intérêts. En l'espèce, Mme Kieboom
n'a pas reçu d'actions. Elle a plutôt reçu un droit de
souscrire à des actions. Par conséquent, il est logique
de conclure qu'un bien a été transféré au sens du
paragraphe 74(1).
En l'espèce, l'interprétation large qui est donnée
au mot «transfert» pourrait comprendre l'opération
par laquelle Adriana a acquis les actions. J'ai conclu
que le défendeur s'est départi d'un intérêt écono-
mique dans la société et qu'il l'a remis à son épouse.
En effet, M. Kieboom a transféré indirectement son
intérêt économique dans la société à son épouse. Tou-
tefois, il est plus difficile de savoir si ce transfert por-
tait sur des biens desquels Adriana aurait tiré un
revenu.
Dans l'affaire Fasken, le bien transféré était un
droit de recevoir des intérêts. Le tribunal a assimilé
ce droit aux fruits du bien, auxquels les règles d'attri-
bution devaient s'appliquer. Selon la demanderesse,
il s'agit d'un cas analogue à celui en l'espèce, où
Adriana a acquis le droit de souscrire à des actions.
Par conséquent, le revenu tiré de ces actions doit être
attribué à l'auteur du transfert. Cependant, l'analogie
n'est pas aussi convaincante que ne le prétend l'avo-
cat du ministre. Dans l'arrêt Fasken, le bénéficiaire
avait acquis un droit direct de recevoir le revenu,
c'est-à-dire un droit de recevoir des intérêts de la
société de son époux. En l'espèce, Mme Kieboom n'a
pas reçu un droit direct de recevoir des dividendes.
Elle a plutôt reçu le droit d'acquérir des actions, droit
qu'elle a exercé. Ce droit, en soi, ne produisait pas de
revenu. C'est en l'exerçant que Mme Kieboom a
acquis le bien qui lui a permis de toucher un revenu.
Par conséquent, les circonstances de l'espèce nous
obligent à poursuivre notre raisonnement d'une étape
par rapport à la définition de bien qui avait été trans-
féré dans l'affaire Fasken.
Je ne suis pas disposé à étendre l'effet de l'opéra-
tion contestée au point de conclure qu'elle a permis
de créer des biens qui produisent un revenu. En l'es-
pèce, j'ai conclu que M. Kieboom a transféré son
intérêt économique dans la société à son épouse et à
ses enfants, par la suite. Les bénéficiaires ont reçu un
droit de souscrire à des actions moyennant une valeur
symbolique, et ils ont exercé ce droit, ce qui a
entraîné des conséquences fiscales pour le défendeur.
Ce n'est pas le droit de souscrire à des actions qui a
produit un revenu, mais les actions elles-mêmes. Par
conséquent, les règles d'attribution du revenu entre
les conjoints ne s'appliquent pas en l'espèce. J'ai
conclu que le contribuable ne pouvait se prévaloir des
dispositions du paragraphe 73(5) du fait que le bien
transféré n'était pas une action. Pareillement, le
ministre ne peut attribuer un revenu au défendeur et
ainsi maximiser les conséquences fiscales, puisque ce
dernier a donné un droit de souscrire à des actions et
non pas les actions elles-mêmes.
Il y a une autre raison pour laquelle la thèse du
ministre est indéfendable. Celui-ci prétend que les
deux opérations, c'est-à-dire celle de 1980 par
laquelle Mme Kieboom a acquis des actions et celle
de 1981 par laquelle les enfants en ont acquis
d'autres, sont des dispositions présumées à titre gra-
tuit aux termes de l'alinéa 245(2)c). Par conséquent,
l'article 69 s'applique en l'absence de quelqu'autre
disposition de la Loi. En ce qui a trait à la première
opération, le ministre prétend que le paragraphe 74(1)
a préséance sur l'article 69, ce qui entraîne l'attribu-
tion du revenu du fait qu'il y a eu un transfert entre
conjoints. Je ne souscris pas à cet argument. J'ai déjà
conclu que ces opérations semblables sont «réputées
être une disposition à titre gratuit» visée à l'alinéa
245(2)c). L'opération conclue en 1980 n'est pas en
cause, puisque le ministre a décidé qu'aucun événe-
ment imposable ne s'était produit cette année-là.
L'opération effectuée en 1980, celle qui a créé le
droit pour Adriana de souscrire à des actions ne sau-
rait être à la fois «réputée être une disposition à titre
gratuit», aux termes de l'alinéa 245(2)c) et un trans-
fert entre conjoints visé au paragraphe 74(1). L'ali-
néa 245(2)c) crée une disposition réputée pour englo-
ber certaines opérations. Il ne va pas jusqu'à créer la
présomption d'un transfert de biens. Or, les règles
d'attribution ne s'appliquent pas en l'absence d'un
transfert entre conjoints.
CONCLUSION
Le contre-appel du défendeur à l'égard de son
année d'imposition 1981 est rejeté, en ce qui a trait
au gain en capital de 81 600 $. Son contre-appel est
accueilli à l'égard du gain en capital de son conjoint
qui lui a été attribué. L'appel de la demanderesse à
l'égard de l'année d'imposition 1982 du défendeur,
en ce qui a trait au revenu de dividendes qui lui a été
attribué est rejeté.
La Cour ordonne au ministre de modifier la nou-
velle cotisation conformément aux modalités établies
dans les motifs du jugement.
La Cour n'adjuge pas de dépens en l'instance.
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