A-403-91
Louis Arthur H. Rudolph (requérant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(intimé)
et
La Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith
Canada et Kenneth Narvey (intervenants)
RÉPERTORIÉ' RUDOLPH C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Hugessen, Stone et MacGuigan,
J.C.A.—Toronto, 8 et 9 avril; Ottawa, ler mai 1992.
Immigration — Expulsion — Demande d'annulation de la
mesure de renvoi prise contre un citoyen allemand qui avoue
avoir employé des prisonniers civils de guerre h la production
de munitions pendant la Seconde Guerre mondiale — L'art.
19(1)j) de la Loi sur l'immigration interdit l'admission au
Canada des personnes dont on peut penser qu'elles ont com-
mis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, qui
aurait constitué, au Canada, une infraction au droit canadien
en son état à l'époque de la perpétration — Agissements cons-
tituant un crime de guerre et un crime contre l'humanité au
sens du droit international coutumier et du droit international
conventionnel, incorporé par référence par l'art. 7(3.76) du
Code criminel dans la loi canadienne — Aide et encourage
ment à l'enlèvement et à la séquestration au sens du Code cri-
minel en vigueur à l'époque au Canada — L'élément «cana-
dien» de la qualification criminelle prévue à l'art. 19(1)j) ne
requiert la transposition sur le sol canadien que du fait maté
riel — Invalidité en l'espèce du moyen de défense de l'obéis-
sance à l'autorité de facto d'un État étranger — Selon l'art.
19(1)j), le requérant n'a pas droit au bénéfice du doute.
Droit international — L'art. 7(3.76) du Code criminel intè-
gre par référence dans la loi canadienne, le droit international
coutumier et le droit international conventionnel — Avant
1945, il n'y avait en droit international conventionnel aucune
interdiction expresse de l'emploi des prisonniers de guerre
dans la fabrication des munitions, mais cette interdiction se
dégage de la Convention concernant les lois et coutumes de la
guerre sur terre — Le statut du Tribunal Militaire Internatio
nal, déclaratoire du droit international coutumier, a été con
firmé par les Nations Unies — Ce statut définit les crimes de
guerre et les crimes contre l'humanité — Motifs raisonnables
permettant de conclure que l'emploi par le requérant de pri-
sonniers à la production de munitions durant la Seconde
Guerre mondiale constituait un crime de guerre et un crime
contre l'humanité.
Demande d'annulation de la mesure de renvoi prise contre le
requérant, national et résident d'Allemagne, qui avoue avoir
employé des prisonniers étrangers dans un camp de concentra
tion à la production de munitions de 1943 à 1945. Ces muni
tions étaient destinées à servir contre les populations civiles
des pays alliés. L'alinéa 19(1)j) de la Loi sur l'immigration
interdit l'admission au Canada des personnes dont on peut pen-
ser, pour des motifs raisonnables, qu'elles ont commis un
crime de guerre ou un crime contre l'humanité qui aurait cons-
titué, au Canada, une infraction au droit canadien en son état à
l'époque de la perpétration. Selon leur définition respective au
paragraphe 7(3.76) du Code criminel, peu importe que le
«crime de guerre» ou le «crime contre l'humanité» ait ou non
constitué une transgression du droit en vigueur à l'époque et au
lieu de la perpétration, pourvu qu'il ait constitué, à l'époque et
dans ce lieu, une transgression du droit international coutumier
ou conventionnel. Il échet d'examiner (1) si les agissements du
requérant constituaient un crime de guerre ou un crime contre
l'humanité et (2) s'ils auraient constitué une infraction au
Canada.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
(1) Le paragraphe 7(3.76) intègre par référence dans la loi
canadienne à la fois le droit international coutumier et le droit
international conventionnel. Si avant 1945 il n'y avait en droit
international conventionnel aucune interdiction expresse de
l'emploi des prisonniers dans la fabrication des munitions,
cette interdiction se dégage de la Convention concernant les
lois et coutumes de la guerre sur terre, qui interdit d'employer
les prisonniers de guerre dans les travaux ayant un rapport
avec les opérations de la guerre et de forcer les étrangers à
prendre part aux opérations de guerre dirigées contre leur pro-
pre pays. La fabrication d'armes dont le but unique était de
terroriser les populations civiles rentrait dans le concept
d'«opérations de la guerre» et de «participation aux opérations
de la guerre». Les agissements du requérant tombaient implici-
tement et nécessairement sous le coup de ces interdictions.
Le statut du Tribunal Militaire International (institué pour
juger les criminels de guerre) est déclaratoire du droit interna
tional coutumier en matière de crimes de guerre et de crimes
contre l'humanité. La confirmation par les Nations Unies en
1946 a encore ajouté à l'autorité de ce statut. Les agissements
du requérant constituent des motifs raisonnables permettant de
conclure qu'il était un participant actif et un complice à la fois
dans des crimes de guerre et dans des crimes contre l'humanité
au sens des définitions ci-dessus.
(2) Le second élément, ou l'élément «canadien», du critère
de la «double qualification criminelle» prévu à l'alinéa 19(1)j)
(«un fait ... qui aurait constitué, au Canada») exige la trans
position sur le sol canadien du seul fait matériel et non pas de
toutes les circonstances qui permettraient d'invoquer le moyen
de défense de l'obéissance à l'autorité de facto d'un État étran-
ger. Pour décider si les agissements du requérant auraient cons-
titué une infraction aux lois du Canada, ce sont ses actes et
omissions qui doivent être transposés dans ce pays, et non pas
tout l'appareil étatique du troisième Reich.
Les conclusions sur les faits de l'arbitre sont autant de
motifs raisonnables permettant de conclure que le requérant a
aidé et encouragé au crime d'enlèvement prévu au sous-alinéa
297a)iii) du Code criminel en vigueur au Canada de 1943 à
1945, et au crime de séquestration visé à l'alinéa 297b).
Enfin, si l'arbitre a commis une erreur, cette erreur consistait
à imposer une norme de preuve trop rigoureuse au gouverne-
ment et à accorder au requérant le bénéfice du doute, auquel
celui-ci n'a pas droit selon l'alinéa 19(1)j).
LOIS ET RÈGLEMENTS
Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands
criminels de guerre des Puissances européennes de
l'Axe, 8 août 1945, 82 U.N.T.S. 279, Statut du Tribunal
Militaire International, Art. 6.
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 7, 11, 15.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 7(3.76) (mod.
par L.R.C. (1985) (3° suppl.), ch. 30, art. 1).
Code criminel, S.R.C. 1927, ch. 36, art. 297.
Convention concernant les lois et coutumes de la guerre
sur terre, La Haye, 18 octobre 1907 (IVe Convention de
la Haye, in Friedman, Leon (Ed.). The Law of War: A
Documentary History, vol. I, New York: Random
House, 1972), Art. VI, XXIII, LII.
Décret portant refonte des divers décrets relatifs à l'em-
ploi des prisonniers de guerre, C.P. 6495, 18 août 1944.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. 1-2, art. 19(1)j)
(mod. par L.R.C. (1985) (3° suppl.), ch. 30, art. 3).
JURISPRUDENCE
DÉCISION CITÉE:
Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.).
DOCTRINE
Djonovich, D. J. United Nations Resolutions, Vol. I, New
York: Oceana Publications, Inc., 1973, Resolution
95(1).
Rapport de la Commission d'enquête sur les criminels de
guerre, Partie I: Public, Ottawa: Approvisionnements
et Services, 1986 (Commissaire: J. Deschênes).
The International Military Tribunal: Trial of the Major
War Criminals, vol. 22, Nuremberg, Allemagne, 1948.
DEMANDE d'annulation d'une mesure de renvoi.
Demande rejetée.
AVOCATS:
Barbara Kulaszka pour le requérant.
Charlotte A. Bell et Donald Macintosh pour
l'intimé.
Marvin Kurz pour la Ligue des droits de la per-
sonne de B'Nai Brith Canada, intervenante.
COMPARUTION:
Kenneth M. Narvey pour son propre compte.
PROCUREURS:
Barbara Kulaszka, Brighton (Ontario), pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in-
timé.
Dale, Streiman & Kurz, Brampton (Ontario),
pour la Ligue des droits de la personne de B'Nai
Brith Canada, intervenante.
INTERVENANT POUR LUI - MÊME:
, Kenneth M. Narvey, Toronto.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement de la Cour rendus par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Il s'agit d'une demande
faite en vertu de l'article 28 [Loi sur la Cour fédé-
rale, L.R.C. (1985), ch. F-7] à l'encontre de la
mesure de renvoi prise contre le requérant au motif
que celui-ci, national et résident d'Allemagne, est une
personne visée à l'alinéa 19(1)j) de la Loi sur l'immi-
gration':
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégo-
rie non admissible:
j) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables,
qu'elles ont commis, à l'étranger, un fait constituant un
crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens du
paragraphe 7(3.76) du Code criminel et qui aurait constitué,
au Canada, une infraction au droit canadien en son état à
l'époque de la perpétration.
Voici la définition que donne le paragraphe 7(3.76)
du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46 (mod. par
L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 1)] de «crime
de guerre» et de «crime contre l'humanité» respecti-
vement:
7. (3.76) ...
«crime contre l'humanité» Assassinat, extermination,
réduction en esclavage, déportation, persécution ou
autre fait — acte ou omission — inhumain d'une
1 L.R.C. (1985), chap. I-2 [mod. par L.R.C. (1985) (3C
suppl.), ch. 30, art. 3].
part, commis contre une population civile ou un
groupe identifiable de personnes — qu'il ait ou non
constitué une transgression du droit en vigueur à
l'époque et au lieu de la perpétration — et d'autre
part, soit constituant, à l'époque et dans ce lieu, une
transgression du droit international coutumier ou
conventionnel, soit ayant un caractère criminel
d'après les principes généraux de droit reconnus par
l'ensemble des nations.
«crime de guerre» Fait — acte ou omission — commis au
cours d'un conflit armé international — qu'il ait ou
non constitué une transgression du droit en vigueur
à l'époque et au lieu de la perpétration — et consti-
tuant, à l'époque et dans ce lieu, une transgression
du droit international coutumier ou conventionnel
applicable à de tels conflits.
Il est constant que le requérant, en sa qualité de
directeur de la production, a demandé, utilisé et
dirigé le travail forcé de prisonniers étrangers dans la
production de la fusée V-2 à Mittelwerk pendant les
années 1943 à 1945. Les conditions brutales dans les-
quelles ces prisonniers étaient astreints au travail sont
indescriptibles.
Nous n'avons pas jugé nécessaire de demander à
l'intimé de répondre à plusieurs arguments qu'a fait
valoir l'avocat du requérant.
En particulier nous n'avons pu conclure au bien-
fondé d'aucun des arguments du requérant qui tou-
chent de près ou de loin à la Charte [Charte cana-
dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I
de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C.
(1985), appendice II, no 44]]. Le renvoi du requérant
hors du Canada ne met en danger ni sa vie ni sa
liberté ni la sécurité de sa personne (article 7). Mal-
gré l'intégration par référence de certaines définitions
du Code criminel dans la Loi sur l'immigration, le
requérant ne comparaît pas devant la Cour en qualité
d'«inculpé» (article 11). Rien dans le fait que le
requérant ne soit pas admissible au Canada à cause de
ses faits et gestes dans le passé ne constitue une
mesure discriminatoire au regard des motifs prévus à
l'article 15 ou d'autres motifs analogues.
D'autres arguments avancés par le requérant
découlent d'une interprétation manifestement erronée
de l'alinéa 19(1)j). N'est pas rétrospectif le texte de
loi qui prévoit, à compter de son entrée en vigueur,
l'inadmissibilité de certaines personnes au Canada en
raison de ce qu'elles ont fait par le passé. De même,
le second élément, ou l'élément «canadien», du cri-
tère de la «double qualification criminelle» prévu à
l'alinéa 19(1)j) exige la transposition sur le sol cana-
dien du seul fait matériel («un fait ... qui aurait cons-
titué, au Canada, ...»), et non pas de toutes les cir-
constances qui permettraient d'invoquer le moyen de
défense de l'obéissance à l'autorité de facto d'un État
étranger. En termes concrets, pour décider si les agis-
sements du requérant auraient constitué une infrac
tion aux lois du Canada, ce sont ses actes et omis
sions qui doivent être transposés dans ce pays, et non
pas tout l'appareil étatique du troisième Reich. Le fait
que le gouvernement allemand ordonnait ou tolérait
ce que faisait le requérant n'aurait pu constituer un
moyen de défense à une accusation d'avoir fait la
même chose au Canada 2 .
Ce qui nous amène à la principale question, la
seule sur laquelle il nous fallait entendre l'intimé,
savoir si les agissements avoués du requérant en
Allemagne au cours des années 1943 à 1945 consti-
tuaient un crime de guerre ou un crime contre l'hu-
manité et s'ils auraient constitué une infraction au
Canada.
Le paragraphe 7(3.76) intègre par référence dans la
loi canadienne à la fois le droit international coutu-
mier et le droit international conventionnel. En effet,
l'alinéa 11g) de la Charte intègre ce droit internatio
nal dans les fibres mêmes de notre Constitution.
Comme l'a fait remarquer le juge Deschênes dans ce
document monumental qu'est le Rapport de la Com
mission d'enquête sur les criminels de guerre [aux
pages 141 et 142]:
Au Canada, une personne accusée d'un crime n'a doréna-
vant plus le droit un acquittement si l'acte, au moment où il a
été commis, était un crime selon les principes généraux de
droit reconnus par l'ensemble des nations. En intégrant cette
disposition dans sa Constitution, le Canada ne pouvait pas
attester plus clairement son respect du droit international; il
n'aurait pas pu se soumettre avec plus de révérence à la
croyance universelle en une loi fondamentale commune à tout
le genre humain; et il n'aurait pu intégrer plus éloquemment
cette loi dans son propre système juridique.
Avant 1945, il n'y avait en droit international con-
ventionnel aucune interdiction expresse et clairement
applicable pour ce qui était de l'emploi des prison
2 À moins, bien entendu, qu'à l'époque le gouvernement
allemand ne fût une autorité de facto au Canada.
niers dans la fabrication des munitions. Cette inter
diction se dégage cependant sans mal de plusieurs
articles de la Convention concernant les lois et cou-
tumes de la guerre sur terre, conclue le 18 octobre
1907 à La Haye (Convention no IV de La Haye). On
peut citer en particulier les dispositions suivantes:
ARTICLE 6
L'État peut employer, comme travailleurs, les prisonniers de
guerre, selon leur grade et leurs aptitudes, à l'exception des
officiers. Ces travaux ne seront pas excessifs et n'auront aucun
rapport avec les opérations de la guerre 3 .
ARTICLE 23
Il est également interdit à un belligérant de forcer les natio-
naux de la Partie adverse à prendre part aux opérations de
guerre dirigées contre leur pays, même dans le cas où ils
auraient été à son service avant le commencement de la
guerre 4 .
ARTICLE 52
Des réquisitions en nature et des services ne pourront être
réclamés des communes ou des habitants, que pour les besoins
de l'armée d'occupation. Ils seront en rapport avec les res-
sources du pays et de telle nature qu'ils n'impliquent pas pour
les populations l'obligation de prendre part aux opérations de
la guerre contre leur patrie 5 . [Mots non soulignés dans le
texte.]
À notre avis, le fait que le requérant forçait des pri-
sonniers civils, nationaux des pays alliés, à participer
activement à la production des fusées V-2, qui étaient
destinées à causer et qui devaient causer effective-
ment la mort et la destruction parmi les populations
civiles de ces mêmes pays, tombait implicitement et
nécessairement sous le coup de ces interdictions.
Dans le contexte de la guerre totale livrée par le troi-
sième Reich, la fabrication d'armes dont le but mani-
feste et unique était de terroriser les populations
civiles rentrait dans les concepts d'«opérations de la
guerre» et de «participation aux opérations de la
guerre».
3 Texte anglais reproduit dans The Law of War: A Documen
tary History, vol. I (Leon Friedman, Ed.), à la p. 314.
4 Ibid., à la p. 318.
5 Ibid., à la p. 323.
Passons maintenant au droit international coutu-
mier. Il est indubitable que pareil corps de droit
existe, et existait durant la période 1943 1945 à
l'égard des crimes de guerre et des crimes contre
l'humanité. Il suffit de citer à ce propos le préambule
de la Ive Convention de La Haye:
En attendant qu'un Code plus complet des lois de la guerre
puisse être édicté, les Hautes Parties contractantes jugent
opportun de constater que, dans les cas non compris dans les
dispostions réglementaires adoptées par Elles, les populations
et les belligérantes restent sous la sauvegarde et sous l'empire
des principes du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages
établis entre nations civilisées, des lois de l'humanité et des
exigences de la conscience publique 6 . [Mots non soulignés
dans le texte.]
À la fin de la guerre en Europe en 1945, les
grandes Puissances alliées ont conclu à Londres l'Ac-
cord concernant la poursuite et le châtiment des
grands criminels de guerre des Puissances euro-
péennes de l'Axe. Cet accord établit le statut du Tri
bunal Militaire International (TMI), dont l'article 6
est déclaratoire du droit international coutumier tel
qu'il était en vigueur à l'époque:
Article 6
Le Tribunal établi pour l'Accord mentionné à l'article ler ci-
dessus pour le jugement et le châtiment des grands criminels
de guerre des pays européens de l'Axe sera compétent pour
juger et punir toutes personnes qui, agissant pour le compte des
pays européens de l'Axe, auront commis, individuellement ou
à titre de membres d'organisations, l'un quelconque des crimes
suivants.
Les actes suivants, ou l'un quelconque d'entre eux, sont des
crimes soumis à la juridiction du Tribunal et entraînent une res-
ponsabilité individuelle:
(a) Les Crimes contre la Paix: c'est-à-dire la direction, la
préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une
guerre d'agression, ou d'une guerre en violation des
traités, assurances ou accords internationaux, ou la parti
cipation à un plan concerté ou à un complot pour l'ac-
complissement de l'un quelconque des actes qui précè-
dent;
(b) Les Crimes de Guerre: c'est-à-dire les violations des lois
et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent,
sans 'y être limitées, l'assassinat, les mauvais traitements
et la déportation pour des travaux forcés ou pour tout
autre but, des populations civiles dans les territoires
occupés, l'assassinat ou les mauvais traitements des pri-
sonniers de guerre ou des personnes en mer, l'exécution
6 Ibid., à la p. 309.
des otages, le pillage des biens publics ou privés, la des
truction sans motif des villes et des villages ou la dévas-
tation que ne justifient pas les exigences militaires;
(c) Les Crimes contre l'Humanité: c'est-à-dire l'assassinat,
l'extermination, la réduction èn esclavage, la déporta-
tion, et tout autre acte inhumain commis contre toutes
populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien
les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou
religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient
constitué ou non une violation du droit interne du pays
où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout
crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en
liaison avec ce crime.
Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui
ont pris part à l'élaboration ou à l'exécùtion d'un plan concerté
ou d'un complot pour commettre l'un quelconque des crimes
ci-dessus définis sont responsables de tous les actes accomplis
par toutes personnes en exécution de ce plan 7 .
Le caractère déclaratoire du statut du TMI a été
formellement rappelé par celui-ci dans son arrêt:
[TRADUCTION] L'établissement du statut relevait de l'exercice
du pouvoir législatif souverain des pays auxquels le Reich alle-
mand a capitulé sans conditions; et le droit incontesté de ces
pays de légiférer à l'égard des territoires occupés a été reconnu
par le monde civilisé. Le statut ne représente pas un exercice
de pouvoir arbitraire de la part des nations victorieuses, mais
de l'avis du Tribunal, il est, comme nous le verrons, l'expres-
sion du droit international applicable au moment de sa créa-
tion; et à ce titre, il est en soi une contribution au droit interna
tionals. [Mots non soulignés dans le texte.]
Ce qu'il y a de plus important encore, étant donné
que l'Accord de Londres et l'arrêt du TMI ont été
attaqués, encore qu'à tort, ainsi que l'a fait le requé-
rant en l'espèce, comme étant partiaux, iniques et
typiques de la «justice des vainqueurs», c'est que le
statut du TMI et l'arrêt de ce dernier ont été expressé-
ment confirmés et reconnus par la Résolution 95(1)
de l'Assemblée générale des Nations Unies en date
du 11 décembre 1946, comme suit:
95 (I). Confirmation des principes de droit international
reconnus par le statut de la Cour de Nuremberg
L'Assemblée générale,
Reconnaît l'obligation qui lui incombe aux termes de l'Ar-
ticle 13, paragraphe 1, alinéa a, de la Charte, de provoquer des
études et de faire des recommandations en vue d'encourager le
développement progressif et la codification du droit internatio
nal;
7 Ibid., à la p. 886.
N The International Military Tribunal: Trial of the Major
War Criminals, vol. 22 (Nuremberg, Allemagne, 1948), à la p.
461.
Prend acte de l'Accord relatif à la création d'une Cour mili-
taire internationale chargée de poursuivre et de châtier les
grands criminels de guerre de l'Axe européen, Accord signé à
Londres le 8 août 1945, ainsi que du statut joint en annexe;
prend acte également du fait que des principes analogues ont
été adoptés dans le statut de la Cour militaire internationale
chargée de juger les grands criminels de guerre en Extrême-
Orient, statut promulgué à Tokyo, le 19 janvier 1946;
En conséquence,
Confirme les principes de droit international reconnus par le
statut de la Cour de Nuremberg, et par l'arrêt de cette Cour;
Invite la Commission chargée de la codification du droit
international, créée par la résolution de l'Assemblée générale
en date du 11 décembre 1946, à considérer comme une ques
tion d'importance capitale les projets visant à formuler, dans le
cadre d'une codification générale des crimes commis contre la
paix et la sécurité de l'humanité ou dans le cadre d'un Code de
droit criminel international, les principes reconnus dans le sta-
tut de la Cour de Nuremberg et dans l'arrêt de cette Cour 9 .
[Mots non soulignés dans le texte.]
Il ne serait pas possible à notre avis de trouver
preuve plus concluante du contenu du droit interna
tional coutumier applicable à l'époque en cause.
Nous sommes aussi d'avis que les agissements
avoués du requérant constituent des motifs raison-
nables permettant de conclure qu'il était un partici
pant actif et un complice à la fois dans des crimes de
guerre («les mauvais traitements et la déportation
pour des travaux forcés ... des populations
civiles ... les mauvais traitements des prisonniers de
guerre») et dans des crimes contre l'humanité («la
réduction en esclavage, la déportation, et tout autre
acte inhumain commis contre toutes populations
civiles»lo.
Les actes et omissions du requérant auraient-ils
constitué une infraction aux lois du Canada? Dans ses
conclusions sur les faits, l'arbitre a expressément
relevé ce qui suit:
9 Reproduit dans Djonovich, D. J., United Nations Resalu-
tions, vol. I.
io Dans sa réponse, l'avocate du requérant soutient que le
point-virgule, qui se trouvait entre le mot «guerre» et le mot
«ou» à l'alinéa (c) de l'article 6 du texte anglais du statut du
TMI (supra), a été remplacé par une virgule, ce qui a considé-
rablement changé la portée de la définition des crimes contre
l'humanité. À supposer qu'il en soit ainsi, cela ne changerait
rien à la situation du requérant puisque ses agissements ren-
trent aussi dans la définition des crimes de guerre.
[TRADUCTION] ... dans l'exercice de ses fonctions normales de
directeur des opérations de l'usine de fabrication des V-2, il a
effectivement aidé et encouragé ses supérieurs à ordonner le
recours au travail forcé dans le cadre des opérations de la
guerre de l'ennemi et à employer des prisonniers de guerre aux
travaux interdits.
... il savait que ce système était répréhensible et qu'il ne fal-
lait pas employer des prisonniers politiques à la production
d'une arme comme la fusée V-2.
... il entendait produire des fusées V-2 avec de la main-d'oeu-
vre forcée.
La demande de la main-d'oeuvre forcée supplémentaire et la
direction réussie de la production de ces fusées grâce à l'utili-
sation de cette main-d'oeuvre avaient pour effet d'aider les S.S.
à poursuivre la séquestration de ces prisonniers en vue de la
production des V-2. (Dossier, pages 872 et 873)
Le Code criminel en vigueur au Canada pendant
les années 1943 à 1945 était le chapitre 36 des Statuts
révisés de 1927. Voici ce que prévoyait son article
297:
297. Est coupable d'un acte criminel et passible de vingt-
cinq ans d'emprisonnement, quiconque, sans autorisation
légale,
a) Enlève une autre personne dans l'intention
i) de la faire séquestrer ou secrètement emprisonner au
Canada, contre son gré, ou
ii) de la faire conduire ou transporter illégalement hors
du Canada, contre son gré, ou
iii) de la faire vendre ou emmener comme esclave ou en
servitude, de quelque manière que ce soit, contre son
gré; ou
b) Saisit de force et séquestre ou emprisonne une autre per-
sonne au Canada.
2. À l'instruction d'une infraction visée par le présent arti
cle, l'absence de résistance de la part de la personne ainsi illé-
galement détenue ou enlevée, ne constitue pas un moyen de
défense, à moins qu'il n'apparaisse que cette absence de résis-
tance n'était pas due aux menaces, à la contrainte, à la violence
ou à une manifestation de force.
À notre avis, les conclusions sur les faits de l'ar-
bitre, citées plus haut, sont autant de motifs raison-
nables permettant de conclure que le requérant a aidé
et encouragé au crime d'enlèvement prévu au sous-
alinéa 297a)iii): les prisonniers en question ont été
enlevés et transportés deux fois, la première fois de
leur pays d'origine au camp de concentration
(«Dora») et la seconde fois, de ce camp aux installa
tions de production à Mittelwerk. Dans le premier
cas, c'était probablement", et dans le second cas,
indubitablement, dans le but de les tenir en servitude
contre leur gré.
L'intervenant M. Narvey .a établi de façon con-
cluante, par référence aux décrets en conseil appli-
cables, qu'il ne pouvait y avoir au Canada, pendant la
guerre, aucune «autorisation légale» pour employer
des prisonniers de guerre ou internés civils dans des
travaux forcés ou dans la fabrication d'armes ou de
munitions 12 .
Nous sommes aussi d'avis que les conclusions de
l'arbitre sont autant de motifs raisonnables permet-
tant de conclure que le requérant a aidé et encouragé
au crime de séquestration visé à l'alinéa 297b). Cette
séquestration se faisait à l'intérieur de l'usine de pro
duction elle-même et n'aurait pas eu lieu si le requé-
rant n'avait pas demandé que les prisonniers y fus-
sent amenés.
Il s'ensuit à notre avis que les deux conditions de
la «double qualification criminelle» de l'alinéa
19(1)j) sont réunies et que la mesure de renvoi a été
prise à bon droit contre le requérant.
Il y a lieu enfin de noter que la décision de l'arbitre
n'est pas à l'abri de tout reproche. Il n'appartient tou-
tefois pas au requérant de formuler ce reproche puis-
que si l'arbitre a commis une erreur, cette erreur con-
sistait à imposer une norme de preuve trop rigoureuse
au gouvernement et à accorder au requérant le béné-
fice du doute, auquel celui-ci n'a pas droit selon l'ali-
néa 19(1)j). Il se trouve cependant que cette erreur ne
tire pas à conséquence.
La demande fondée sur l'article 28 sera rejetée.
11 Cette probabilité est manifestement suffisante pour satis-
faire au critère de l'alinéa 19(1)j). Voir Ramirez c. Canada
(Ministre de l'Emploi et de l'immigration), [1992] 2 C.F. 306
(C.A.).
12 Voir en particulier le Décret portant refonte des divers
décrets relatifs à l'emploi des prisonniers de guerre, C.P. 6495,
18 août 1944.
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