T-442-91
CCH Canadian Limited (demanderesse)
c.
Butterworths Canada Ltd. et Les Publications
Dacfo Inc. (défenderesses)
RÉPERTORIÉ.' CCH CANADIAN LTD. C. /3UTTERWORTHS
CANADA LTD. (ire INST.)
Section de première instance, juge Cullen—Ottawa, 9
mai et 11 juillet 1991.
Injonctions — Requête en injonction interlocutoire pour
interdire aux défenderesses d'utiliser ou d'annoncer des titres
à propos de publications sur l'impôt sur le revenu — Contrat
accordant à la demanderesse le droit exclusif de publier le ser
vice de documentation fiscale mais réservant à la seconde
défenderesse le droit d'auteur sur les données publiées — La
demanderesse a mis fin au contrat puis s'est pourvue en justice
contre la première défenderesse pour l'empêcher de publier le
service sous les titres en cause — Question importante à tran-
cher — Marques de commerce présumées valides dans les ins
tances interlocutoires — La protection du droit d'auteur
s'étend aux titres — La demanderesse ne subirait aucun préju-
dice irréparable si l'injonction est refusée — La balance des
préjudices de part et d'autre penche du côté des défenderesses
— Absence de rapports de confiance bien que le président de
la seconde défenderesse fat le conseil de la demanderesse.
Marques de commerce — Passing off — Requête en injonc-
tion interlocutoire pour interdire la publication d'un service de
documentation sur l'impôt sur le revenu — Contrat entre les
parties muet au sujet de la propriété des marques de commerce
constituant les titres — La validité des marques de commerce
n'est pas un facteur à considérer dans les instances interlocu-
toires — La demanderesse n'a pas fait valoir un argument con-
cluant d'invalidité — L'action en passing off de la demande-
resse est fondée sur l'art. 7b) de la Loi sur les marques de
commerce — Jurisprudence invoquée — Il appartient au juge
saisi de l'action de se prononcer sur la preuve des éléments
constitutifs du passing off — Concept de signification secon-
daire analysé — La première défenderesse n'a pas pris un ris-
que calculé puisque la demanderesse avait abandonné la
publication du service.
Droit d'auteur — Injonctions — Le droit d'auteur sur le ser
vice de documentation fiscale s'étend aux titres — L'enregis-
trement du droit d'auteur ne peut servir à interdire l'utilisation
du titre comme marque de commerce — Le droit d'auteur
détenu par la défenderesse ne constitue pas une exception à
l'action en passing off de la demanderesse.
Requête en injonction interlocutoire pour interdire aux
défenderesses d'utiliser ou d'annoncer certains titres à propos
de leurs publications sur l'impôt sur le revenu. La demande-
resse CCH Canadian Limited (CCH) est une maison d'édition
d'ouvrages de droit qui, de février 1988 à décembre 1990,
publia un service mensuel de documentation sur feuillets
mobiles appelé ACCESS TO CANADIAN INCOME TAX
ainsi qu'un bulletin parallèle intitulé THE ACCESS LETTER,
lesquels donnaient des informations sur les dernières interpré-
tations et applications de la législation fiscale par Revenu
Canada. Ces documents étaient publiés en vertu d'un contrat
conclu en février 1988 par CCH et la défenderesse Les Publi
cations Dacfo Inc. (Dacfo) et le président de cette dernière,
contrat par lequel CCH s'est vu accorder le droit exclusif de
publier le service ACCESS et Dacfo conservait le droit d'au-
teur sur les données publiées. Le contrat est muet sur la pro-
priété des marques de commerce que pouffaient représenter les
titres donnés au service. A l'automne 1989, au moment où les
deux publications furent distribuées pour la première fois,
Dacfo décida de produire un service de documentation en fran-
çais sur la TPS; CCH refusa l'offre de publication parce
qu'elle avait ses propres plans en la matière. Arguant du conflit
d'intérêts chez Dacfo et du refus de celle-ci de renoncer à son
projet, CCH a décidé de mettre fin au contrat, conclu avec
Dacfo, de publication des services ACCESS, et elle en a
informé les abonnés en conséquence. En janvier 1991, Dacfo
se mit en rapport avec Butterworths pour voir si la publication
des services ACCESS l'intéressait. En février 1991, Butter-
worths ayant annoncé son intention de publier ces services,
CCH a intenté cette action et décidé de lancer les nouvelles
publications «WINDOW ON CANADIAN TAX» et «THE
TAX WINDOW» à titre de «successeurs» des publications
ACCESS.
Il échet d'examiner si la demanderesse a prouvé qu'il y a
une question importante à trancher, qu'elle subira un préjudice
irréparable si l'injonction est refusée, et que la balance des pré-
judices réciproques penche de son côté.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
Afin de faire valoir qu'il y a une question importante à tran-
cher, la demanderesse doit prouver que les titres en cause ont
acquis une signification secondaire, c'est-à-dire qu'ils évo-
quent dans l'esprit du public un lien entre les publications
ACCESS et elle-même en tant qu'éditeur. Autrement dit, elle
doit être en mesure de prouver que ces titres évoquent, dans
l'esprit du public qui s'y intéresse, une publication qui lui est
propre. CCH soutient que l'enregistrement des marques de
commerce ACCESS par Dacfo est invalide mais, quand bien
même ce serait le cas, la jurisprudence prédominante en la
matière a posé pour règle qu'on ne saurait mettre en cause la
validité des marques de commerce dans les instances interlocu-
toires, où elle doit être présumée. Il s'ensuit que dans le cadre
de cette requête, les marques de commerce de Dacfo doivent
être considérées comme valides.
L'action en passing off de la demanderesse est fondée sur
l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce et, pour
avoir gain de cause, CCH doit prouver que les titres dont il
s'agit ont été associés sur le marché avec ses propres publica
tions. La demanderesse aura du mal à faire valoir une action en
passing off au procès, comme elle avait abandonné toute idée
de continuer à publier sous les titres ACCESS et étant donné la
convention implicite entre les parties, en vertu de laquelle les
défenderesses étaient propriétaires des marques de commerce
constituant les titres en cause. Cependant, étant donné qu'un
titre peut avoir une signification secondaire qui l'associe à un
éditeur et qu'il pourrait y avoir un droit résiduel suffisant sur le
bon renom des marques de commerce pour soutenir une action
en passing off, la demanderesse a fait la preuve, qui lui
incombe, qu'il y a une question importante à trancher. Quant à
la question du droit d'auteur, les défenderesses soutiennent à
bon droit que la protection du droit d'auteur s'étend au titre.
Cependant, le fait que les défenderesses détiennent le droit
d'auteur ne constitue pas une exception à l'action en passing
off.
Quant à la question du préjudice irréparable et de la balance
des préjudices réciproques, les facteurs qui doivent entrer en
ligne de compte ont été résumés par le juge Stone dans Turbo
Resources Ltd. c. Petro Canada Inc.; à la lumière de cette ana
lyse, la demanderesse n'a pas fait la preuve d'un préjudice
auquel des dommages-intérêts ne sauraient remédier. La
preuve du préjudice irréparable doit être concluante et non pas
conjecturale. La balance des préjudices de part et d'autre
penche en faveur des défenderesses, car elles ont investi des
sommes considérables dans la production et la promotion des
services ACCESS alors que CCH a décidé d'en cesser la publi
cation. Il faut maintenir le statu quo en attendant le procès, car
accorder une injonction en cet état de la cause reviendrait en
fait à trancher l'action principale. L'argument de CCH selon
lequel Butterworths a pris un risque calculé en publiant les ser
vices ACCESS représente une caractérisation incorrecte des
actions de cette défenderesse. La Cour ne saurait non plus faire
droit à l'argument selon lequel le fait que le président de la
défenderesse Dacfo avait été par le passé le conseil de CCH à
titre de membre de l'étude Martineau Walker fait que cette
transaction, de relations d'affaires ordinaires, est devenue rap
ports de confiance. Il n'a pas été prouvé qu'il a acquis des
informations spéciales ou un avantage de ses rapports avec sa
cliente.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), chap. C-42, art.
2.
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), chap.
T-13, art. 7b).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc., [1989] 2 C.F.
451; (1989), 22 C.I.P.R. 172; 24 C.P.R. (3d) 1; 91 N.R.
341 (C.A.); Mathieson v. Sir Isaac Pitman & Sons Ltd.
(1930), 47 R.P.C. 541 (Ch. D.); Syntex Inc. c. Apotex Inc.
(1989), 27 C.I.P.R. 123; 28 C.P.R. (3d) 40; 32 F.T.R. 39
(C.F. 1 r inst.); Maple Leaf Mills Ltd. c. Quaker Oat Co.
of Can. (1984), 2 C.I.P.R. 33; 82 C.P.R. (2d) 118 (C.F. lre
inst.); Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries
Ltd., [1987] 3 C.F. 544; (1987), 38 D.L.R. (4th) 544; 17
C.1.P.R. 263; 14 C.P.R. (3d) 314; 12 F.T.R. 317; 80 N.R.
9 (C.A.); Consumers Distributing Company Ltd. c. Seiko
Time Canada Ltd. et autres, [1984] 1 R.C.S. 583; (1984),
10 D.L.R. (4th) 161; 29 C.C.L.T. 296; 3 C.1.P.R. 223; 1
C.P.R. (3d) 1; 54 N.R. 161; Norman Kark Publications
Ltd. v. Odhams Press Ltd., [1962] R.P.C. 163 (Ch. D.);
British Columbia v. Mihaljevic (1989), 26 C.P.R. (3d) 184
(C.S.C.-B); Korz v. St. Pierre et al. (1987), 61 O.R. (2d)
609; 43 D.L.R. (4th) 528; 23 O.A.C. 226 (C.A.); Lac
Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd.,
[1989] 2 R.C.S. 574; (1989), 69 O.R. (2d) 287; 61 D.L.R.
(4th) 14; 26 C.P.R. (3d) 97.
DECISIONS CITÉES:
Pizza Pizza Ltd. c. Little Caesar International Inc., [1990]
1 C.F. 659; (1989), 27 C.I.P.R. 126; 27 C.P.R. (3d) 525;
32 F.T.R. 43 We inst.); WaxoylAG v. Waxoyl Canada Ltd.
(1982), 38 O.R. (2d) 672; 66 C.P.R. (2d) 170 (H.Ct.);
Joseph E. Seagram & Sons Ltd. c. Andres Wines Ltd.
(1987), 16 C.I.P.R. 131; 16 C.P.R. (3d) 481; (1987), 11
F.T.R. 139 (C.F. Ire inst.); Syntex Inc. c. Novopharm Ltd.
(1991), 36 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.).
DOCTRINE
Salmond on the Law of Torts, 17th ed. by R. S. V. Hous-
ton, London: Sweet & Maxwell, 1977.
AVOCATS:
John R. Morrissey et Alistair G. Simpson pour la
demanderesse.
Daniel V. MacDonald pour la défenderesse But-
terworths.
Arthur A. Garvis et Richard Uditsky pour la
défenderesse Les Publications Dacfo Inc.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Toronto, pour la demanderesse.
McMillan Binch, Toronto, pour la défenderesse
Butterworths.
Mendelsohn, Rosentzveig, Schacter pour la
défenderesse les Publications Dacfo Inc.
Ce qui suit est la version française des motifs de
l'ordonnance rendus par
LE JUGE CULLEN: Il y a en l'espèce requête de la
demanderesse en injonction interlocutoire pour inter-
dire aux défenderesses d'utiliser ou d'annoncer les
titres ACCESS TO CANADIAN INCOME TAX et
THE ACCESS LETTER à propos de leurs publica
tions sur l'impôt sur le revenu.
Je dois tout d'abord m'excuser auprès des avocats
des deux côtés pour avoir mis deux mois à me pro-
noncer sur cette requête, c'est-à-dire bien plus
longtemps qu'il ne me faut d'habitude. Je ne peux
qu'invoquer une charge de travail exceptionnelle à la
fin de mai et pendant tout le mois de juin, ainsi que le
fait que cette affaire est, à mon avis, l'une des plus
compliquées et m'a obligé à consulter un grand nom-
bre de magistères en la matière.
LES FAITS DE LA CAUSE
La demanderesse CCH Canadian Limited
(«CCH») et la défenderesse Butterworths of Canada
Limited («Butterworths») sont l'une et l'autre édi-
teurs au Canada d'ouvrages portant sur divers
domaines du droit et des affaires. De février 1988 à
décembre 1990, CCH publia un service mensuel de
documentation sur feuillets mobiles, qui tenait les fis-
calistes au courant des dernières interprétations et
applications de la législation fiscale par Revenu
Canada. Ce document était publié sous le titre
ACCESS TO CANADIAN INCOME TAX. CCH
publiait aussi un bulletin mensuel parallèle, intitulé
THE ACCESS LE FIER.
Ces deux publications ACCESS reposaient sur une
base de données créée en 1985 par Claude Désy, avo-
cat de son état et président de la défenderesse Les
Publications Dacfo Inc. («Dacfo»), laquelle base de
données emmagasinait les informations obtenues de
Revenu Canada en vertu de la loi sur l'accès à l'in-
formation. Désy avait fait quelque deux cents
demandes de renseignements à Revenu Canada et
constaté que les informations qu'il recueillait de cette
façon seraient d'un grand intérêt pour les fiscalistes.
En 1987, Dacfo, par l'intermédiaire de Désy et de sa
compagnie mère Gestion Dacfo Inc. («Gestion»),
engagea des négociations avec CCH, par l'intermé-
diaire du président de cette dernière, Ken Lata, pour
publier ces informations accompagnées de commen-
taires, à l'intention des fiscalistes. Un contrat fut
signé le 16 février 1988 entre CCH, Dacfo et Désy,
par lequel ces deux derniers accordèrent à CCH le
droit de publier ce service. Le contrat prévoyait, entre
autres, que CCH mettrait à la disposition de Dacfo les
installations nécessaires à la production des données
destinées aux publications ACCESS; il prévoyait
aussi le paiement du prix du service à Dacfo. Selon
ce contrat, Dacfo conservait le droit d'auteur sur les
données incluses dans le service. Voici les stipula
tions du contrat qui nous intéressent en l'espèce (dans
ce contrat, Dacfo est appelée «la propriétaire», Désy,
«le spécialiste» et CCH, «l'éditeur»):
[TRADUCTION] Article 2.1 Le service aura pour titre «Access to
Revenue Canada Income Tax» ou tout autre nom convenu
entre les parties.
Article 2.13 Le nom du spécialiste sera imprimé sur le dos de
chaque reliure et apparaîtra sur les annonces publicitaires du
service. Le spécialiste figurera comme rédacteur en chef du
service dans toutes les annonces publicitaires et sur les mises à
jour mensuelles.
Article 5.1 La propriétaire conserve le droit d'auteur sur tous
les éléments de sa base de données (appelés collectivement
«base de données»), sur tout logiciel créé par la propriétaire ou
pour son compte, et sur toutes les données qu'elle fournit pour
inclusion dans le service.
Article 5.2 La propriétaire par les présentes accorde à l'éditeur
le droit et la licence exclusifs de publier et d'utiliser les don-
nées qu'elle lui fournit pour inclusion dans le service. Les
droits et licence accordés par les présentes à l'éditeur ne seront
pas révoqués pendant la durée du présent contrat; la proprié-
taire (ou le spécialiste) ne pourra, pendant la durée du présent
contrat, accorder à aucune autre personne ou compagnie,
aucun droit ou licence de publier ou d'utiliser tout ou partie
desdites données.
Article 5.4 Nonobstant le droit d'auteur que conserve la pro-
priétaire sur les éléments de la base de données, ni la proprié-
taire ni le spécialiste n'a, pendant la durée du contrat, le droit
de les vendre, commercialiser ou mettre en vente, ni, notam-
ment, le droit de les vendre ou mettre en vente en tout ou en
partie par transmission en ligne ou sur disque laser ou autre
support non imprimé.
Article 6.1 L'éditeur ou la propriétaire peut dénoncer le présent
contrat par préavis écrit de 90 jours à l'autre partie, au cas où
les abonnements au service n'atteindraient pas 1 200 unités à
la fin de la troisième année de redevances.
Article 6.2 L'éditeur peut dénoncer le présent contrat à tout
moment après la fin de la troisième année de redevances, par
préavis écrit de 90 jours à la propriétaire, s'il juge que l'accueil
réservé par le marché au service a été ou est devenu insatisfai-
sant ou n'a pas été à la mesure des espoirs des parties quant à
la rentabilité de l'entreprise.
Article 8 Chaque partie s'engage à ne pas produire ou vendre,
ou s'associer avec une autre personne ou compagnie pour pro-
duire ou vendre, pendant la durée du présent contrat, des don-
nées qui concurrenceraient le service visé aux présentes.
Le contrat est muet sur la propriété de marques de
commerce que pourraient représenter les titres
donnés au service. La demanderesse fait valoir qu'à
son avis, il était entendu qu'elle était propriétaire de
toutes les marques de commerce qui s'attachaient aux
titres. CCH fait encore savoir que le droit accordé à
Dacfo de conserver le droit d'auteur sur le service
était une exception à sa pratique de détenir le droit
d'auteur sur ses services de documentation sur feuil-
lets mobiles. Elle produit à l'appui le témoignage
d'expert par affidavit de l'un de ses propres diri-
geants, Michael Sloly, sur l'usage de ce secteur d'ac-
tivité en la matière.
La thèse des défenderesses pour ce qui est de la
propriété des marques de commerce est bien entendu
différente de celle de la demanderesse. Durant les
négociations, Gestion, la compagnie mère de Dacfo,
a demandé, le 21 janvier 1988, donc avant la signa
ture du contrat, l'enregistrement de plusieurs marques
de commerce comprenant le mot ACCESS, dont
ACCESS TO CANADIAN INCOME TAX. L'enre-
gistrement eut lieu le 29 mars 1991. Le 18 septembre
1989, Dacfo demanda l'enregistrement de la marque
de commerce THE ACCESS LETTER, laquelle fut
enregistrée le 25 janvier 1991. Dacfo et Désy soutien-
nent que ce dernier a informé Lata qu'il se réservait
plusieurs titres pour le compte de Gestion. Le dossier
ne dit pas quand exactement Lata a été expressément
informé pour la première fois des mesures prises par
les défenderesses au sujet des marques de commerce.
Cependant, Désy affirme pendant le contre-interroga-
toire sur son affidavit, que Lata devait savoir durant
les négociations menant à la signature du contrat, que
ces titres étaient réservés pour Gestion car, si ces
négociations avec CCH devaient achopper, Désy
aurait engagé immédiatement des négociations avec
d'autres éditeurs. Désy indique également dans son
affidavit que durant l'été 1989, après que le contrat
eut été signé, il a informé Lata que le titre choisi par
Dacfo pour ce service était ACCESS TO CANA-
DIAN INCOME TAX, ce à quoi Lata a acquiescé.
(Sloly affirme dans son affidavit que Lata conteste la
version des faits de Désy, mais il n'y a aucun affida
vit à cet effet de Lata lui-même). De son côté, CCH
affirme qu'elle n'a été mise au courant des assertions
de Dacfo et de Désy au sujet de la propriété des
marques de commerce qu'en décembre 1990, après la
résolution du contrat.
D'autres communications entre les parties ont été
citées à titre d'indication supplémentaire de leur posi
tion respective sur la question de la propriété des
marques de commerce. Le 20 juin 1989, Dacfo fit
tenir à CCH un tableau de répartition de leurs attribu-
tions de part et d'autre. L'une des responsabilités pré-
vues pour Dacfo était la [TRADUCTION] «Réservation
de la marque de commerce pour le titre». Les défen-
deresses y voient la preuve indéniable qu'il était
entendu entre les parties qu'elles seraient les proprié-
taires de la marque de commerce. CCH rétorque que
cette phrase est équivoque et ne prouve pas la con
vention des parties pour ce qui était de savoir laquelle
serait propriétaire de la marque de commerce. Elle
fait valoir que la phrase pourrait facilement être inter-
prétée comme signifiant, par exemple, que Dacfo
devait réserver la marque de commerce pour CCH.
Le bulletin d'information mensuel THE ACCESS
LETTER fut distribué au Canada pour la première
fois aux environs de septembre 1989. Le service de
documentation ACCESS TO CANADIAN INCOME
TAX fut distribué pour la première fois en novembre
1989. CCH entreprit une grande campagne de promo
tion pour les deux publications entre septembre 1989
et décembre 1990, y mettant plus de 2 300 000 dol
lars. Elle a aussi payé à Dacfo 1 200 000 dollars pour
la production du service. L'apport de CCH au con-
tenu proprement dit du service était très limité; il con-
cernait les questions comme la présentation et
d'autres fonctions d'édition comme les tableaux et les
index. Toutes les parties reconnaissent que le service
de documentation et le bulletin d'information étaient
un succès commercial.
À l'automne 1989, Dacfo décida de produire un
service de documentation en français sur la taxe sur
les produits et services (TPS). Elle en proposa la
publication à CCH, laquelle refusa l'offre parce
qu'elle avait déjà des plans pour publier une version
française de son propre service TPS. Dacfo décida
alors de commercialiser elle-même son service, sous
le titre TPS CANADA-QUÉBEC. CCH y voyait
cependant une concurrence avec son service prévu, et
un conflit d'intérêts chez Dacfo. (Il ne semble pas
que CCH y ait vu alors une violation de la clause de
non-concurrence de son contrat avec Dacfo et Désy,
et il appert qu'elle n'invoquait pas ce motif à
l'époque. À mon avis, les deux services ne se font
pas concurrence, puisque l'un est consacré à la taxe à
la consommation alors que l'autre porte sur l'impôt
sur le revenu). Il appert que pour composer le service
TPS concurrent, Désy s'est servi du matériel mis à sa
disposition par CCH en vue de la production des
publications ACCESS. CCH lui demanda de mettre
fin à la nouvelle entreprise, mais Désy s'y refusa. Les
rapports entre les deux prirent un tour acrimonieux,
comme les difficultés entre les parties au sujet
d'autres publications communes furent aussi discu-
tées. Le 3 décembre 1990, CCH informa Désy et
Dacfo qu'elle mettait fin au contrat de publication du
service. Elle publia le dernier numéro de ACCESS
TO CANADIAN INCOME TAX et de THE
ACCESS LETTER le 22 novembre 1990. En janvier
1991, elle envoya l'avis suivant aux abonnés:
[TRADUCTION] CCH Canadian Limited a le regret d'annoncer
que pour des raisons qui échappent à sa volonté, elle a cessé la
publication de Access to Canadian Income Tax, y compris The
Access Letter, après le numéro 12 en date du 22 novembre
1990.
Les abonnés recevront sous pli séparé un crédit pour le solde
de leur abonnement.
Nous remercions nos fidèles abonnés du soutien qu'ils ont
accordé à ce service de documentation et espérons que les
informations qui y sont contenues continueront à leur servir
dans leurs recherches à l'avenir.
Après la résiliation du contrat, les défenderesses
ont pressenti d'autres maisons d'édition pour publier
le service. Dacfo, par l'intermédiaire de Désy, se mit
en rapport avec Butterworths en janvier 1991 pour
voir si la publication des services ACCESS l'intéres-
serait. Butterworths était intéressée mais, par mesure
de précaution, contacta CCH pour l'en informer et
pour lui demander si elle accepterait de lui vendre sa
liste d'abonnés. Butterworths prit la décision de
publier les services ACCESS le 22 janvier 1991 et en
informa CCH. En février 1991, Butterworths
annonça au public qu'elle allait publier les services
ACCESS. CCH menaça alors de la poursuivre en jus
tice. Butterworths fit savoir qu'elle se défendrait
vigoureusement. CCH intenta cette action le 21
février 1991. Entre-temps, Butterworths a poursuivi
ses efforts de commercialisation des deux services;
THE ACCESS LE1"l'ER fut publié le 4 mars 1991.
ACCESS TO CANADIAN INCOME TAX devait
être publié et distribué en mai 1991.
Une fois informée que Butterworths envisageait de
publier les services ACCESS, CCH a décidé de
publier ce qu'elle appelait les «successeurs» des
publications ACCESS, sous les titres «WINDOW
ON CANADIAN TAX» et «THE TAX WINDOW»
avec le concours d'une autre étude d'avocats fiscalis-
tes.
LA THÈSE DE LA DEMANDERESSE
À l'appui de sa requête en injonction, CCH sou-
tient qu'elle est la propriétaire des marques de com
merce ACCESS TO CANADIAN INCOME TAX et
THE ACCESS LETTER, étant donné qu'elle les a
utilisées de manière à en faire des marques distinc-
tives de CCH dans l'esprit du public. Elle reconnaît
que les défenderesses étant les propriétaires des don-
nées, elles ont le droit de faire publier le service par
un autre éditeur. Ce que vise CCH dans cette action,
c'est d'empêcher les défenderesses de publier le ser
vice sous les titres en litige.
CCH fait valoir que, bien que n'utilisant plus les
marques de commerce dont il s'agit, elle retient sur
leur renom un droit résiduel qui peut fonder une
action en passing off. De permettre aux défenderesses
de publier le service sous le titre ACCESS diminue-
rait le bon renom de CCH et constituerait de ce fait
un préjudice irréparable. CCH soutient aussi que per-
sonne, à part elle-même, n'a utilisé les marques de
commerce en question avant février 1991. Et que
faute de caractère distinctif, les marques de com
merce enregistrées par les défenderesses étaient inva-
lides.
CCH prétend aussi que par leurs agissements, les
défenderesses ont violé l'alinéa 7b) de la Loi sur les
marques de commerce [L.R.C. (1985), chap. T-13],
aux termes duquel nul ne peut appeler l'attention du
public sur ses marchandises, ses services ou son
entreprise de manière à causer ou à vraisemblable-
ment causer de la confusion au Canada entre ses mar-
chandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un
autre. CCH soutient qu'en publiant le service sous
les titres en question, les défenderesses font passer
leurs marchandises pour les siennes propres.
LA THÈSE DES DÉFENDERESSES
Les défenderesses soutiennent que Dacfo est pro-
priétaire du droit d'auteur sur les titres en litige, en
raison de son droit d'auteur sur le service de docu
mentation, et qu'elle est propriétaire des marques de
commerce enregistrées pour ces titres. Elles font
valoir en conséquence qu'il n'y a aucune question
importante à trancher, puisque Dacfo est sans con-
teste la propriétaire des marques de commerce. La
validité d'une marque de commerce enregistrée doit
normalement être présumée en cas de requête en
injonction interlocutoire.
Les défenderesses soutiennent aussi qu'il n'y a
aucune preuve de préjudice irréparable pour CCH si
l'injonction interlocutoire est refusée. En ce qui con-
cerne la balance des préjudices de part et d'autre,
elles affirment qu'elle penche en leur faveur. Dans
leur argumentation au sujet de ces questions, les
défenderesses soutiennent entre autres que, si inter
diction leur est faite d'utiliser les titres ACCESS, cela
signifiera que l'action aura été effectivement décidée
au stade interlocutoire. En cas d'interdiction, elles
auront à donner un autre titre à leurs publications et si
l'injonction est rapportée au moment du procès, elles
ne gagneraient rien à reprendre les anciens titres. Par
contre, si l'injonction est refusée, CCH peut conti-
nuer à publier son service Window et les défenderes-
ses peuvent continuer à publier leur service Access.
Tout préjudice que CCH subirait en raison du main-
tien du statu quo peut être réparé au moyen de dom-
mages-intérêts.
ANALYSE
Les conditions de l'injonction interlocutoire sont
bien connues. Le requérant doit prouver (I) qu'il y a
une question importante à trancher, (2) qu'il subira
un préjudice irréparable si l'injonction est refusée, et
(3) que la balance des préjudices réciproques penche
de son côté: voir Turbo Resources Ltd. c. Petro
Canada Inc., [1989] 2 C.F. 451 (C.A.). J'examinerai
en premier lieu les points de droit pour voir s'il y a
une question importante à trancher, puis les argu
ments relatifs au préjudice irréparable et à la balance
des préjudices de part et d'autre.
Question importante à trancher
À mon avis, l'argument de la question importante à
trancher qu'avance la demanderesse repose sur le
droit de propriété, si droit de propriété il y a, que
CCH peut faire valoir sur les titres en cause. Si elle
arrive à montrer que ces titres ont acquis une signifi
cation secondaire, c'est-à-dire qu'ils évoquent dans
l'esprit du public un lien entre les publications
ACCESS et elle-même en tant qu'éditeur, je conclu-
rai qu'il peut y avoir une question importante à tran-
cher. Dans Mathieson v. Sir Isaac Pitman & Sons
Ltd. (1930), 47 R.P.C. 541 (Ch. D.), le demandeur,
qui avait publié un livre intitulé «How To Appeal
Against Your Rates in the Metropolis» de 1887 à
1929, cherchait à faire interdire à la défenderesse de
vendre deux livres intitulés «How to Appeal Against
Your Rates Within the Metropolis» et «How to
Appeal Against Your Rates Without the Metropolis»,
qui furent publiés pour la première fois en 1930. Le
juge Maugham a évoqué comme suit les principes à
appliquer aux faits de la cause, en page 550:
[TRADUCTION] Il a été souvent jugé que dans les cas de ce genre,
il faut examiner si les mots descriptifs qui servent à la vente
des marchandises ont acquis une signification secondaire ou
spéciale. La question qui se pose au sujet du titre d'un livre est
donc la suivante: ce titre évoque-t-il dans l'esprit du public le
lien entre l'ouvrage en question et son auteur, ou même dans
de rares cas, son éditeur? Prenons par exemple le cas du livre
en cause: si nous envisageons les mots «signification secon-
daire» au sujet d'un livre publié toutes ces années par le
demandeur sur les méthodes d'appel contre l'impôt foncier
«How to appeal against your rates», l'existence de cette signi
fication secondaire n'est pas prouvée par la simple affirmation
que quiconque demandait «How to appeal against your rates»
avant janvier de cette année devait avoir à l'esprit, s'il connais-
sait tant soit peu ce livre, celui de M. Lawrie. Pareille affirma
tion n'est pas preuve de signification secondaire. Dans ce con-
texte, la signification secondaire doit être telle que sur le
marché où ce livre est en vente ou parmi le public qui l'achète,
le titre «How to appeal against your rates» indique à lui seul
l'ouvrage de M. Andrew Douglas Lawrie, et peut-être même
que le livre est publié par Effingham Wilson; à moins que ce
fait ne puisse être établi, je pense que les prétentions du
demandeur doivent succomber. [Non souligné dans le texte
original.]
Ainsi, CCH pourrait fort bien réussir, au procès, à
faire interdire à Butterworths de publier le texte de
Dacfo sous les titres ACCESS, si elle pouvait prouver
que ce texte évoque, dans l'esprit du public qui s'y
intéresse, une publication CCH. À mon avis donc, ce
point litigieux satisfait au critère de la question
importante à trancher à l'égard du recours en injonc-
tion.
Avant d'aborder les questions du préjudice irrépa-
rable et de la balance des préjudices réciproques, il
faut cependant examiner un certain nombre de ques
tions préalables qui ont fait l'objet d'une argumenta
tion considérable de la part des parties. Il s'agit en
premier lieu de l'effet qu'a sur cette cause le fait que
Dacfo est propriétaire des marques de commerce
enregistrées que représentent les titres, et en second
lieu de l'effet qu'a sur cette cause le fait que Dacfo
détient le droit d'auteur sur le service.
Validité des marques de commerce
La demanderesse affirme qu' elle est propriétaire
des marques de commerce que représentent les titres.
Dans leur défense contre l'injonction interlocutoire,
les défenderesses invoquent en partie le fait qu'elles
sont les propriétaires inscrits des marques de com
merce en question. CCH soutient cependant que l'en-
registrement des marques de commerce ACCESS par
Dacfo est invalide pour les raisons suivantes: a) elles
sont dépourvues de caractère distinctif, b) Dacfo ne
s'en servait pas au moment du dépôt des déclarations
d'utilisation, et c) Dacfo n'avait pas vraiment l'inten-
tion de les utiliser à la date des demandes d'enregis-
trement. Les défenderesses rétorquent qu'il n'est pas
question, au stade de l'injonction interlocutoire, de
discuter de la validité d'une marque de commerce
enregistrée.
Je conviens avec les défenderesses qu'on ne saurait
mettre en cause la validité des marques de commerce
dans cette procédure interlocutoire, et que ces
marques doivent être présumées valides. Pareille
approche est conforme à la jurisprudence prédomi-
nante en la matière. Comme l'a fait remarquer le juge
Dubé au sujet de l'argument que la marque de com
merce de la demanderesse était invalide dans Syntex
Inc. c. Apotex Inc. (1989), 27 C.I.P.R. 123 (C.F. lre
inst.), à la page 125:
... les arguments ... étaient très sérieux et [ils] feront à n'en
pas douter l'objet d'un examen approfondi au moment oppor-
tun, à l'instruction de la présente affaire. Ces arguments étaient
cependant prématurés dans la mesure où ils visaient avant tout
la validité de la marque de commerce, laquelle doit, à ce stade
de l'instance, être présumée.
Voir également Pizza Pizza Ltd. c. Little Caesar
International Inc., [1990] 1 C.F. 659 (Ire inst.);
Waxoyl AG v. Waxoyl Canada Ltd. (1982), 38 O.R.
(2d) 672 (H.Ct.), aux pages 681 et 682; Joseph E.
Seagram & Sons Ltd. c. Andres Wines Ltd. (1987), 16
C.I.P.R. 131 (C.F. Ire inst.), aux pages 135 et 136.
Il est vrai que selon certains précédents, la règle,
qui exclut l'examen de la validité d'une marque de
commerce au stade interlocutoire, n'est pas absolue
dans certains cas. Le juge Cattanach a tiré à ce propos
cette conclusion dans Maple Leaf Mills Ltd. c. Qua-
ker Oat Co. of Can. (1984), 2 C.I.P.R. 33 (C.F. lre
inst.), à la page 43:
[TRADUCTION] I1 n'appartient normalement pas au juge saisi
d'une demande de se prononcer sur la validité de l'enregistre-
ment d'une marque de commerce. Celle-ci est présumée être
une marque valide, validement enregistrée à moins d'argument
concluant d'invalidité et dans ce contexte, possibilité de radia
tion vaut à mes yeux «validité». [Mot non souligné dans l'ori-
ginal.]
En l'espèce, cependant, je ne saurais dire que la
demanderesse a présenté un «argument concluant
d'invalidité». Par ailleurs, à supposer qu'il soit justi
fiable dans certains cas d'examiner la validité dans
un recours en injonction interlocutoire, je ne pense
pas que ce soit le cas en l'espèce. Une décision sur la
validité de la marque de commerce en l'espèce sur la
base des motifs avancés par la demanderesse nécessi-
terait des témoignages extensifs sur des points de fait
contestés. Il s'ensuit qu'il ne convient pas d'instruire
les points litigieux de ce genre au stade interlocu-
toire: voir Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1991), 36
C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.). Je conclus donc que dans le
cadre de cette requête, les marques de commerce des
défenderesses doivent être considérées comme
valides.
Passing off
Si j'ai conclu que les marques de commerce des
défenderesses doivent être présumées validement
enregistrées au regard de la requête en l'espèce, cela
ne signifie qu'il n'y a pas une question importante à
trancher. Comme noté plus haut, il est possible
qu'une action en passing off soit accueillie au procès
bien que les marques de commerce en cause eussent
été enregistrées par les défenderesses, si CCH peut
prouver que les titres dont il s'agit ont été associés
sur le marché avec ses propres publications. Ainsi
que l'a conclu le juge Gray dans Waxoyl, supra, en
page 681, [TRADUCTION] «Le seul fait qu'une marque
de commerce a été enregistrée ne constitue nullement
un moyen de défense contre l'action en passing off».
L'action en passing off qu'a intentée la demanderesse
devant la Cour est fondée sur l'alinéa 7b) de la Loi
sur les marques de commerce, qui est une codifica
tion des règles applicables au délit de passing off de
la common law. Voici ce que prévoit l'alinéa 7b):
7. Nul ne peut:
b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses
services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisem-
blablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a
commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandi-
ses, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre.
Ainsi que l'a fait remarquer le juge MacGuigan
J.C.A., dans Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac
Industries Ltd., [1987] 3 C.F. 544 (C.A.), cet alinéa
comporte trois éléments: nul ne peut 1) appeler l'at-
tention du public sur ses marchandises, services ou
entreprise (2) de manière à causer, effectivement ou
vraisemblablement, de la confusion au Canada (3)
lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention,
entre ses marchandises, ses services ou son entreprise
et ceux d'un autre. Que ces éléments aient été établis
ou non en l'espèce, il s'agit là, à mon avis, d'une
question qu'il appartient au juge saisi de l'action de
trancher.
Le délit de passing off en général a été analysé en
ces termes dans l'ouvrage Salmond on Torts (17th.
ed., 1977), aux pages 400 et 401, cité par le juge
Estey dans Consumers Distributing Company Ltd. c.
Seiko Time Canada Ltd. et autres, [1984] 1 R.C.S.
583, à la page 597:
Vendre des marchandises ou exploiter une entreprise sous une
dénomination, une marque, une description ou de quelque
autre façon de manière à faire croire au public qu'il s'agit des
marchandises ou de l'entreprise d'une autre personne constitue
un délit civil donnant matière à des poursuites à la demande de
cette autre personne. Cette forme de préjudice, selon la for-
mule assez lourde communément employée, consiste à faire
passer ses marchandises ou son entreprise pour celles d'une
autre personne et constitue l'exemple le plus important du délit
de tromperie dommageable, bien que les règles qui s'y appli-
quent soient à ce point spéciales qu'il vaut mieux le considérer
comme un domaine à part. Si l'on réduit les choses à l'essen-
tiel, il y a passing off dès lors que les marchandises donnent
une fausse impression, et que cette impression est destinée à
induire en erreur. Dans ce cas, le droit vise à protéger les com-
merçants contre le type de concurrence déloyale qui consiste à
s'approprier, par la tromperie, l'avantage de la réputation
qu'ont pu établir des concurrents.
Dans Mathieson, supra, le juge Maugham a ana-
lysé en ces termes, à la page 549, les principes appli-
cables au passing off à l'égard de livres:
[TRADUCTION] Je ne saurais mieux exposer ce qui a été constaté
qu'en adaptant aux livres la conclusion tirée par lord Herschel!
dans Reddaway v. Banham à la page 240. En voici l'essentiel:
le nom d'une personne ou les mots appartenant au vocabulaire
général, qui décrivent par exemple le contenu d'un livre, peu-
vent devenir si indissociables du livre d'un auteur qu'on peut
prouver que leur seule mention, sans explication ou sans quali
fication de la part d'un autre éditeur, pourrait amener l'ache-
teur à croire qu'il a acheté un livre écrit par A, alors qu'en fait
il a acheté un autre livre complètement différent, écrit par B.
Dans un cas de ce genre, la preuve faite par le demandeur que
les défendeurs donnent à leur livre un titre qu'il a adopté pour
le sien propre ne suffit pas à elle seule à lui assurer la répara-
tion demandée; il ne se verrait accorder cette réparation qu'en
prouvant à la fois que les défendeurs se sont approprié le titre
de son livre et qu'ils l'ont utilisé de manière à faire croire aux
acheteurs de leur livre que celui-ci est le sien propre. S'il arri-
vait à faire cette preuve, il aurait, conformément aux principes
établis, droit à une injonction. En conséquence, en ma qualité
de juge des faits, je dois examiner si les preuves produites en
l'espèce établissent que les défendeurs ont fait passer leur livre
pour celui du demandeur, tout en me rappelant que le seul fait
qu'il y a similarité ne suffit pas à justifier une mesure de répa-
ration en faveur du demandeur.
À mon avis, et comme l'a noté le juge Maugham
ci-dessus, il est possible que dans des cas exception-
nels, un titre ait une signification secondaire qui l'as-
socie à l'éditeur ainsi qu'à un auteur, et qui justifie-
rait une action en passing off par cet éditeur. Je pense
qu'en général, le titre d'un livre désigne ce livre
lui-même et peut-être l'auteur, mais n'évoquerait nor-
malement pas le nom de l'éditeur dans l'esprit du
public. Cependant, il est possible qu'une signification
secondaire associant les titres ACCESS à CCH puisse
être établie au procès proprement dit. Il me semble
cependant que la demanderesse aura du mal à faire
valoir une action en passing off au procès, pour les
raisons suivantes.
En premier lieu, il est clair à mes yeux que CCH
avait abandonné toute idée de continuer à publier
sous ces titres. Il est vrai, comme CCH le soutient,
qu'il a été jugé que même si une marque de com
merce n'est plus utilisée, le demandeur peut en faire
interdire l'utilisation au défendeur s'il arrive à prou-
ver qu'il conserve un droit résiduel sur le bon renom
de cette marque au moment de l'utilisation par le
défendeur. Ainsi que l'a conclu le juge Wilberforce
(tel était son titre à l'époque) dans Norman Kark
Publications Ltd. v. Odhams Press Ltd., [1962]
R.P.C. 163 (Ch. D.), à la page 169:
[TRADUCTION] Le principe à observer est, à mon avis, celui
qui s'applique dans tous les cas où le demandeur cherche à
protéger un nom commercial (qui n'est pas une marque de
commerce déposée), savoir que le demandeur doit prouver
qu'à la date de l'utilisation par le défendeur, dont il se plaint, il
détient un droit de propriété sur le bon renom de ce nom, autre-
ment dit que ce nom demeure le trait distinctif de son produit,
à tel point qu'une utilisation par le défendeur est un effort déli-
béré d'induire en erreur.
Cependant, étant donné le libellé sans équivoque
de l'avis de cessation de publication envoyé aux
abonnés (d'autant plus que ceux-ci font partie d'un
groupe relativement restreint d'usagers avisés) et
étant donné que la demanderesse a lancé un nouveau
service de documentation fiscale sous un autre titre, il
appert que si CCH avait retenu quelque droit que ce
soit sur le bon renom au moment de la résiliation du
contrat, elle n'a fait absolument aucun effort pour
protéger ce droit de manière à l'habiliter à en faire
interdire l'utilisation aux autres. Si CCH jouissait
d'une réputation quelconque dans l'esprit des anciens
abonnés, il me semble que ce serait à titre d'ancien
éditeur des services ACCESS: voir Norman Kark,
supra, à la page 176. CCH fait valoir qu'à ses yeux la
publication WINDOW est un «successeur» du ser
vice ACCESS, et que si elle a employé le titre WIN
DOW au lieu d'ACCESS, c'était parce que l'étude
d'avocats avec laquelle elle composait le service
WINDOW ne tenait pas à se trouver mêlée à un con-
flit de marque de commerce. Cette convention avec
l'étude d'avocats n'empêche pas que le message
envoyé au public était, à mon avis, que CCH ne
publiait plus sous les titres ACCESS.
Cet abandon sans équivoque par CCH fait, à mon
avis, qu'elle aurait du mal à faire valoir la tromperie
du public sur la source des services ACCESS. La
question qui est au coeur de toute action en passing
off est le fait de faire passer ses propres marchandises
pour celles d'un autre ou de faire penser qu'elles ont
un rapport avec cette autre personne. Comme l'argu-
ment de tromperie sur la source ne réussira probable-
ment pas, le chef de passing off devra être probable-
ment centré sur le contenu ou la nature des services
en cause. Le résultat serait tout aussi problématique,
puisqu'il appert que le service ACCESS publié par
Butterworths est essentiellement semblable à celui
publié par CCH. Cependant, toute différence entre les
deux services est, à mon avis, une question à trancher
au procès proprement dit.
En second lieu, bien que la convention entre les
parties en ce qui concerne la propriété des marques
de commerce constituant les titres ne soit pas con-
cluante pour la solution du conflit, si tant est que
cette convention ait un effet quelconque, les preuves
produites dans le cadre de cette requête en injonction
me portent à croire que la convention implicite entre
les parties était que les défenderesses seraient les pro-
priétaires des marques de commerce constituant les
titres en cause. Une lecture du contrat passé entre
Dacfo, Désy et CCH vient renforcer cet argument. Il
ressort à l'évidence que CCH assumait le rôle d'un
simple concessionnaire de la publication du service,
sans aucun contrôle sur le droit d'auteur afférent à
l'ouvrage.
Malgré mes doutes quant au succès ultime, il est
toujours possible que des preuves soient produites au
procès qui établiraient un droit résiduel sur le bon
renom des marques de commerce, droit suffisant pour
soutenir une action en passing off. Je conclus en con-
séquence que la demanderesse a fait la preuve, qui lui
incombe, qu'il y a une question importante à tran-
cher.
Droit d'auteur
Les parties ont longuement argumenté sur la ques
tion du droit d'auteur, et sur celle de savoir si le droit
d'auteur, que détenait Dacfo sur le service, s'étendait
aux titres ACCESS. La demanderesse soutient qu'un
simple titre ne peut faire l'objet d'un droit d'auteur.
Les défenderesses soutiennent de leur côté que selon
l'article 2 de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C.
(1985), chap. C-42, «est assimilé à une oeuvre le titre
de l'oeuvre lorsque celui-ci est original et distinctif»,
et qu'en conséquence, le droit d'auteur sur une oeuvre
littéraire embrasse aussi le titre qui est un élément de
cette oeuvre.
Je conviens avec les défenderesses que la protec
tion du droit d'auteur s'étend au titre. Cependant, il a
été expressément jugé dans British Columbia v.
Mihaljevic (1989), 26 C.P.R. (3d) 184 (C.S.C.-B.), à
la page 190, que l'enregistrement du droit d'auteur
sur une oeuvre ne peut servir à faire interdire à quel-
qu'un d'autre d'utiliser le titre de cette oeuvre comme
marque de commerce. En conséquence, le fait que les
défenderesses détiennent le droit d'auteur ne consti-
tue pas une exception à l'action en passing off de la
demanderesse.
Ayant conclu de ce qui précède qu'il y a une ques
tion importante à trancher, je me penche maintenant
sur la question du préjudice irréparable et de la
balance des préjudices de part et d'autre.
Préjudice irréparable/balance des préjudices
Dans Turbo Resources, le juge Stone J.C.A.
résume comme suit les facteurs qui pourraient entrer
en ligne de compte une fois établi qu'il y a une ques
tion importante à trancher, en pages 473 et 474:
a) lorsque les dommages-intérêts que le demandeur pourrait
obtenir à l'égard de la poursuite par le défendeur de ses acti-
vités pendant l'instance indemniseraient adéquatement le
demandeur et seraient à la mesure des moyens financiers du
défendeur, l'injonction interlocutoire ne devrait normalement
pas être accordée;
b) lorsque de tels dommages-intérêts n'indemniseraient pas le
demandeur adéquatement mais que des dommages-intérêts
(recouvrables en vertu de l'engagement du demandeur) suffi-
raient à compenser le préjudice subi par le défendeur à la suite
de la limitation de ses activités, il n'existerait aucun motif jus-
tifiant le refus d'une injonction interlocutoire;
c) lorsqu'il est douteux que le redressement en dommages-in-
térêts pouvant s'offrir à l'une ou à l'autre partie soit adéquat, il
doit être tenu compte de la répartition des inconvénients;
d) lorsque les autres facteurs en jeu tendent à s'équilibrer, il est
prudent de prendre des mesures qui préserveront le statu quo;
e) lorsque les éléments de preuve présentés avec la requête font
apparaître la cause d'une partie comme beaucoup plus forte
que celle de l'autre, la répartition des inconvénients pourra être
considérée comme favorisant cette première partie pourvu que
les préjudices irréparables subis par les parties respectivement
ne soient pas très disproportionnés;
f) d'autres facteurs particuliers qui ne sont pas précisés peuvent
être considérés dans les circonstances particulières des diffé-
rentes espèces.
Appliquant le premier principe directeur esquissé
ci-dessus par le juge Stone, J.C.A. aux faits de la
cause, je constate que la demanderesse n'a pas fait la
preuve d'un préjudice irréparable auquel des domma-
ges-intérêts ne sauraient remédier. La demanderesse
n'a pas produit les preuves suffisantes pour établir
que son bon renom pâtira de la soi-disant utilisation
de sa marque de commerce non enregistrée. Ainsi
que l'a récemment décidé le juge Heald J.C.A. dans
Syntex Inc. c. Novopharm Ltd., supra, la preuve du
préjudice irréparable doit être concluante et non pas
conjecturale. Par ailleurs, Butterworths s'est engagée
à tenir la comptabilité de tous les abonnements au
service, ce qui permettrait de calculer facilement les
dommages-intérêts qui pourraient être prononcés le
cas échéant.
Pour ce qui est de la balance des préjudices de part
et d'autre, je suis aussi convaincu qu'elle penche du
côté des défenderesses. Celles-ci ont investi des
sommes considérables dans la production et la pro
motion des services ACCESS alors que CCH a
décidé de cesser la publication de ces services, puis
de revenir sur le marché avec un service doté d'un
titre différent. À mon avis, il faut maintenir le statu
quo en attendant le procès.
CCH a entrepris d'assimiler la publication par But-
terworths du service ACCESS aux cas où le défen-
deur prend un risque calculé, en ce qu'en l'espèce, les
défenderesses ont pris pied sur le marché [traduction]
«parfaitement conscientes» de la possibilité que la
marque de commerce constituant le titre avait été
prise: voir Joseph E. Seagram c. Andres Wines Ltd.,
supra. Je ne saurais accepter cette caractérisation des
actions de Butterworths. Elle n'est entrée sur le mar
ché qu'après que CCH eut résilié le contrat, et après
avoir conclu que Dacfo était propriétaire à la fois des
marques de commerce et du droit d'auteur. Elle a fait
preuve tout au long d'une conduite exemplaire, en
informant CCH de son intention de publier le nou-
veau service, et pendant tout ce temps, CCH était au
courant des plans de Butterworths pour le service.
J'estime aussi qu'accorder une injonction en cet
état de la cause reviendrait en fait à trancher l'action
principale. Ainsi que l'ont fait remarquer les défende-
resses, une interdiction ordonnée en cet état de la
cause les obligerait à trouver un autre titre pour le
service en attendant le procès. Si l'injonction est rap-
portée au moment du procès, il serait inutile pour le
service de reprendre les titres ACCESS après avoir
été publié sous un autre pendant une période plus ou
moins longue.
Enfin, CCH soutient que les liens entre les parties
doivent entrer en ligne de compte dans l'examen de
la balance des préjudices réciproques. Que Désy et
son étude Martineau Walker avaient été par le passé
les conseils de CCH, et qu'il y a en conséquence un
lien de confiance entre les parties. Ce lien donne lieu
à une situation de droit qui, en equity, interdit à
Dacfo de retenir les marques de commerce, en ce que
Dacfo aurait dû être tenue à l'obligation de divulguer
intégralement tout ce qu'elle faisait au sujet de ces
marques de commerce, au lieu de s'en remettre à une
convention implicite avec Lata.
Il est vrai qu'un avocat peut être tenu à une obliga
tion fiduciaire envers un ancien client, s'il a tiré un
avantage ou une connaissance spéciale de ses rap
ports avec ce client. Dans Korz v. St. Pierre et al.
(1987), 61 O.R. (2d) 609 (C.A.), un avocat n'avait
pas révélé à d'anciens clients avec lesquels il s'était
associé qu'il était insolvable au point d'être à l'abri
des jugements. La Cour, en décidant qu'il était tenu à
l'obligation de révéler ce fait, s'est prononcée en ces
termes [à la page 618]:
[TRADUCTION] L'avocat se trouvant en possession de renseigne-
ments spéciaux et confidentiels au sujet de ses clients, ne doit
pas tirer parti de cette position avantageuse lorsqu'il conclut
une transaction avec eux. S'il conclut pareille transaction, il est
tenu de révéler intégralement ce qu'il sait pour que son client
n'en soit pas désavantagé. La déontologie et l'équité requièrent
cette divulgation. Autrement les avocats jouiraient indûment
d'une position avantageuse et seraient en mesure de tirer parti
d'informations spéciales et confidentielles reçues des clients
qui les consultaient sur des questions juridiques, tout en évitant
subrepticement les risques qu'ils savent assumés par leurs
clients. Ce principe doit s'appliquer dans de nombreux cas à
l'égard d'anciens clients autant qu'à l'égard des clients actuels.
Cependant je ne suis pas convaincu qu'on puisse dire
en l'espèce que Désy a acquis des informations spé-
ciales ou un avantage de par sa qualité d'avocat de
CCH, qui feraient que cette transaction, de relations
d'affaires ordinaires, est devenue rapports de con-
fiance. J'ajouterais en passant qu'il faut envisager
avec circonspection le concept d'obligation fiduciaire
dans le contexte commercial. S'il est vrai, comme l'a
conclu le juge Stone J.C.A. dans Turbo, que des fac-
teurs particuliers non précisés peuvent être considérés
dans certains cas, je dois aussi observer cette mise en
garde faite par le juge Sopinka dans Lac Minerals
Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2
R.C.S. 574, à la page 596, au sujet des obligations
fiduciaires dans les opérations commerciales: « on ne
doit avoir recours au moyen brutal employé en equity
que dans les situations où la protection spéciale de
l'equity se révèle vraiment nécessaire».
DÉCISION
Tout en concluant à la possibilité qu'il y ait une
question importante à trancher, je ne suis pas con-
vaincu que la demanderesse ait prouvé qu'elle subi-
rait un préjudice irréparable si elle n'obtenait pas une
injonction interlocutoire, ou que la balance des préju-
dices réciproques penche en sa faveur. En consé-
quence, la demande sera rejetée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.