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A-382-90
Ahmad Ali Zalzali (appelant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: ZALZALI c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (C.A.)
Cour d'appel, juges Hugessen, MacGuigan et Décary, J.C.A.—Montréal, 17 avril; Ottawa, 30 avril 1991.
Immigration Statut de réfugié Ressortissant du Liban menacé par deux milices opposées Incapable de se réclamer de la protection de ce pays vu l'absence d'État auquel s'adres- ser L'État n'a pas à participer à la persécution, il suffit qu'il soit incapable d'offrir une protection contre la persécu- tion en quelqu'endroit que ce soit de son territoire Pouvoir de la Cour de réviser la conclusion visant la crédibilité en présence d'une erreur grossière de la section du statut dans l'appréciation de la preuve.
Il s'agit d'un appel d'une décision par laquelle la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rejetait la revendication du statut de réfugié de l'appe- lant au motif qu'il n'avait pas fait la preuve de la persécution alléguée et qu'il n'était pas un témoin crédible.
L'appelant est un ressortissant du Liban. Il se dit sympathi- que à l'armée libanaise plutôt qu'aux milices opposées. Il appert de la preuve documentaire à l'audience de la section du statut et du témoignage de l'appelant que ce dernier était sollicité au moyen de menaces à la fois par la milice Amal et par la milice Hezbollah. A l'époque, le gouvernement d'occupation nationale n'exerçait un contrôle effectif sur aucune partie du territoire libanais. L'appelant, s'il devait retourner au Liban, serait consi- déré comme un traître par l'une et l'autre de ces milices. La Section du statut a conclu que l'appelant aurait se réclamer de la protection de l'Armée libanaise.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
La section du statut a mis en doute la crédibilité de l'appe- lant parce qu'elle croyait à tort qu'il était resté au Liban quatre mois après avoir reçu des menaces de mort, alors qu'en réalité il a quitté ce pays deux jours plus tard. Cette grossière erreur dans l'appréciation de la preuve autorise la Cour à réviser la conclusion de non-crédibilité.
En vertu du sous-alinéa 2(1)a)(i) de la Loi sur l'immigra- tion, celui qui est incapable de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité est tout aussi admissible au statut de réfugié que celui qui ne veut pas le faire, par crainte d'être persécuté. En l'espèce, l'appelant ne pouvait se réclamer de la protection de son gouvernement, car il n'y en avait pas auquel s'adresser. Lorsque la revendication se fonde sur l'incapacité à se réclamer de la protection de l'État, celui-ci n'a pas à participer à la persécution redoutée. Celle-ci peut être le fait de groupes de la population contre lesquels l'État est incapable d'offrir sa protection, en raison par exemple d'une guerre civile. En l'absence de la participation de l'État, la section du statut
doit décider si ceux qui persécutent le demandeur de statut le font en raison des opinions politiques qu'il a ou qu'ils lui attribuent.
Il n'y a pas persécution au sens de la Convention si l'État offre une protection suffisante quelque part sur son territoire peut se retirer celui qui est persécuté. En l'espèce, aucune autorité établie n'était en mesure de fournir à l'appelant la protection souhaitée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. 1-2, art. 2(1)a)(i) (mod. par L.R.C. (1985) (4' suppl.), chap. 28, art. 1(2)).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.); Canada (Procureur géné- ral) c. Ward, [1990] 2 C.F. 667; (1990), 67 D.L.R. (4th) 1; 10 Imm. L.R. (2d) 189; 108 N.R. 60 (C.A.); Ovaki- moglu c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1983), 52 N.R. 67 (C.A.F.).
DÉCISIONS CITÉES:
Ahmed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration) (1990), 12 Imm. L.R. (2d) 212 (C.A.F.); Suruj- pal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1985), 60 N.R. 73 (C.A.F.); Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171 (C.A.F.); Sali- bian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1990] 3 C.F. 250; (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 165 (C.A.); Karnail Singh, 83-1189, décision en date du 14-l1-83, C.A.I., non publiée; Ramkissoon, T84-9057, décision en date du 21-6-84, C.A.I., non publiée; da Silva, T86-9740, décision en date du 10-12-86, C.A.F., non publiée.
DOCTRINE
Hathaway, James C., The Law of Refugee Status, Toronto: Butterworths, 1991.
Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Guides des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Con vention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Genève, 1979.
AVOCATS:
Denis Buron pour l'appelant. J. Granger pour l'intimé.
PROCUREURS:
Saint-Pierre, Buron et ass., Montréal, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: L'appelant, un res- sortissant du Liban, se prétend persécuté en raison de sa nationalité, de son opinion politique et de son appartenance à un groupe social particulier et il revendique en conséquence le statut de réfugié. La section du statut a rejeté sa demande, d'où l'appel dont nous sommes saisis.
La décision attaquée comprend deux volets. Dans un premier temps, la section du statut en vient à la conclusion que l'appelant n'a pas fait la preuve des motifs de persécution qu'il avait allé- gués. Puis, renversant l'ordre habituel des choses, la section du statut en vient, dans un deuxième temps, à la conclusion que l'appelant n'était pas un témoin crédible.
L'appelant, devant nous, s'est attaqué au volet «crédibilité» ainsi qu'à l'aspect «opinion politique» du volet «motifs de persécution».
La crédibilité
Un des éléments retenus par la section du statut pour mettre en doute la crédibilité de l'appelant est le fait qu'il n'aurait quitté le Liban «qu'environ quatre mois» après qu'il eût reçu des menaces de mort. Or, la preuve révèle, et le procureur de l'intimé concède ce point, que l'appelant a quitté le Liban deux jours, et non pas quatre mois, après qu'il eût reçu ces menaces. Il s'agit d'une erreur grossière dans l'appréciation de la preuve, erreur qui a de toute évidence influencé de façon détermi- nante la section du statut, laquelle la commet à deux reprises. Ce genre d'erreur autorise cette Cour à remettre en question la conclusion de non- crédibilité à laquelle en est venue la section du statut' .
La persécution
La section du statut a rejeté en ces termes la prétention de l'appelant à l'effet qu'il était persé- cuté en raison de ses opinions politiques:
Pour ce qui est de ses opinions politiques, le demandeur a témoigné qu'il voudrait que le pouvoir revienne à l'armée libanaise. Il est entendu que pour se prévaloir du statut de réfugié en ce qui a trait à ce motif il faut que des opinions politiques soient connues ou imputés (sic) au demandeur. Il n'a
' Voir Ahmed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration) (1990), 12 Imm. L.R. (2d) 212 (C.A.F.).
jamais été démontré que les différentes milices soit Amal et Hezbollah connaissent ou imputent au demandeur des opinions politiques se rattachant à l'Armée libanaise. Il a plutôt été démontré que chacun des groupes soit Amal ou Hezbollah accusait le demandeur d'être de l'autre groupe, afin qu'il participe dans leur groupe. Le demandeur obtint protection du mouvement Amal quand il commença à collaborer avec eux. Le demandeur n'a pas essayé d'obtenir la protection de l'Armée libanaise vers laquelle ses opinions politiques étaient rattachées.
Il appert de la preuve documentaire et du témoi- gnage de l'appelant que: 1) le gouvernement liba- nais d'occupation nationale n'exerçait un contrôle effectif sur aucune partie du territoire libanais au moment se sont produits les incidents qui ont amené l'appelant à s'enfuir; 2) il y avait en réalité autant de gouvernements qu'il y avait de milices; 3) l'appelant était sollicité et menacé à la fois par la milice Amal et par la milice Hezbollah; 4) l'appelant, s'il devait retourner au Liban, serait considéré comme un traître par l'une et l'autre de ces milices et vraisemblablement exécuté par l'une ou l'autre.
Est-il possible, dans ces circonstances, de repro- cher à l'appelant, comme l'a fait la section du statut, de n'avoir pas essayé d'obtenir la protection de l'armée libanaise? Est-il possible de soutenir, comme l'a fait le procureur de l'intimé, qu'il ne saurait y avoir persécution puisque le gouverne- ment libanais n'était ni l'agent de persécution ni le complice de cet agent? Je suis d'avis que non.
La définition de «réfugié au sens de la Conven tion», telle qu'elle apparaît au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration 2 , requiert du demandeur
2 L.R.C. (1985), chap. I-2: 2. (1)
«réfugié au sens de la Convention» Toute personne:
a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:
(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;
b) n'a pas perdu de son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2). [Mes soulignements.]
de statut qui craint la persécution qu'il ne puisse ou, du fait de cette crainte, ne veuille se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité. La personne qui ne peut pas se prévaloir de la protec tion de l'Etat est tout aussi admissible au statut de réfugié que celle qui ne veut pas.
Dans la plupart des cas de demande de statut de réfugié, l'Etat, s'il n'est lui-même l'agent de persé- cution, s'en sera fait le complice par tolérance ou par inertie. Il sera alors permis de parler en termes de persécution imputable à l'État et de conclure que le demandeur de statut avait raison de ne pas vouloir se réclamer de la protection qu'un Etat, selon toute vraisemblance, ne lui donnerait pas.
C'est ainsi que les arrêts Rajudeen 3 , Surujpal 4 et Satiacum 5 ont examiné des cas le demandeur de statut, sachant ou croyant que l'État était lui- même l'agent de persécution, ou que l'État était complice de la persécution, ou que l'État fermait les yeux sur la persécution effectuée par des per- sonnes dont il n'était pas formellement responsa- ble, ne voulait pas se réclamer de la protection de l'état car il savait ou croyait que l'État ne voudrait pas le protéger. Le juge Urie, J.C.A., faisant une synthèse des principes dégagés dans Rajudeen et Surujpal, concluait dans Ward 6 , à la page 680, que «la participation de l'État est une condition préalable lorsque le demandeur de statut ne veut pas se réclamer de la protection du pays visé».
Qu'en est-il cependant lorsque le demandeur de statut ne peut pas se réclamer de la protection de son pays? Est-il également nécessaire, alors, que le pays visé participe d'une quelconque manière aux actes de persécution? Dans Ward, la Cour était amenée, pour la première fois me semble-t-il, à comparer la situation du demandeur de statut qui ne veut pas se réclamer de la protection de l'État à celle du demandeur de statut qui ne le peut pas, le juge Urie, J.C.A., pour la majorité, s'est exprimé comme suit la page 680]:
3 Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'immigration (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.).
° Surujpal c. Ministre de l'Emploi et de l'immigration (1985), 60 N.R. 73 (C.A.F.).
5 Ministre de l'Emploi et de l'immigration c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171 (C.A.F.).
6 Canada (Procureur général) c. Ward, [1990] 2 C.F. 667 (C.A.), aux p. 693-697, autorisation de pourvoi accordée par la Cour suprême du Canada le 8 novembre 1990, [1990] 2 R.C.S. xii.
D'autre part, le fait que le demandeur de statut «ne peut» pas se réclamer de cette protection [du pays dont il a la nationalité] implique littéralement, à mon sens, qu'il ne peut pas, en raison de son incapacité matérielle à le faire, même rechercher la protection de son État. Cela implique des circonstances qui échappent à sa volonté et n'est pas une notion applicable à l'espèce.
Le juge MacGuigan, J.C.A., par ailleurs dissident, disait de son côté ce qui suit la page 696]:
Il me semble que le requérant a probablement raison quand il dit que les mots ne peut signifient littéralement est incapable, c'est-à-dire incapable même de prendre contact.
Là, cependant, s'est arrêtée la comparaison entre le ne veut et le ne peut, car les membres de la Cour se sont dits d'avis que le demandeur de statut n'était pas dans la situation du «ne peut» puisqu'il pouvait, en pratique, «rechercher la protection» de l'État (juge Urie, J.C.A.) ou «prendre contact» avec ce dernier (juge MacGuigan, J.C.A.). En l'espèce, il n'y a pas de doute que le «ne peut» s'applique, la preuve ayant établi que l'appelant ne pouvait rechercher la protection de son état ni même prendre contact avec lui, pour cette raison simple et brutale qu'il n'y avait pas d'État auquel s'adresser.
Une des difficultés que soulève la notion de protection de l'État vient de ce qu'elle peut entrer en ligne de compte aux fins de déterminer s'il y a persécution au sens de la Convention et de ce qu'elle entre en ligne de compte nécessairement aux fins de déterminer si le demandeur de statut est dans la situation d'un ne veut, comme dans Ward, ou d'un ne peut comme en l'espèce. Le juge Urie, J.C.A. a affirmé, dans Ward, à la page 680, qu'il faut éviter de confondre «la détermination de la persécution et la protection inefficace» et qu'«il faut traiter de ces deux concepts et y satisfaire de façon indépendante», mais si je comprends bien sa conclusion, telle qu'elle apparaît à la page 681, il voulait éviter dans les faits que l'un (la protection inefficace) ne servit de présomption en faveur de l'autre (la persécution). Je ne pense pas qu'il ait voulu affirmer que ces deux concepts ne pouvaient être interreliés aux fins d'interpréter, en droit, la définition de réfugié. Il faut, à mon avis, pour bien définir ce qu'est un réfugié, examiner le libellé dans son ensemble et interpréter le tout à la lumière de chacune de ses composantes.
À tout événement, les circonstances de l'affaire Ward sont tellement exceptionnelles et ont si peu à voir avec la question beaucoup plus générale dont
nous sommes ici saisis, que j'appliquerais avec infiniment de prudence au présent dossier les prin- cipes que la Cour a pu, à la majorité, y dégager.
La question, au fond, qui se pose en l'espèce, lorsqu'elle est réduite à son expression la plus simple et la plus pratique, est la suivante: peut-il y avoir persécution, au sens de la Convention et de la Loi sur l'immigration, en l'absence de toute forme de culpabilité, de complicité ou de participation de l'État? À la lumière du libellé de la définition de réfugié, de la jurisprudence de cette Cour, de la doctrine tant canadienne qu'internationale, je suis d'avis qu'il faut répondre à cette question par l'affirmative.
La définition de «réfugié» réfère à la crainte «d'être persécuté», sans préciser qu'il s'agit de la crainte d'être persécuté «par l'État». Cette omis sion me paraît des plus significative: je ne vois pas en vertu de quel principe d'interprétation il fau- drait restreindre le sens de l'expression «être persé- cuté», d'autant plus que les objectifs mêmes de la Loi sur l'immigration, laquelle incorpore cette définition au droit canadien, invitent à une appro- che libérale et généreuse (article 3 de la Loi).
Il y a davantage. Le sens naturel des mots «ne peut», comme l'ont souligné mes collègues dans Ward, suppose une incapacité objective du deman- deur de statut, et le fait que «ne peut» n'est pas, contrairement au «ne veut», qualifié par «du fait de cette crainte», me paraît confirmer que l'incapacité dont il s'agit répond à des critères objectifs qui sont vérifiables indépendamment de la crainte entretenue et donc, indépendamment des actes ayant suscité cette crainte et de leurs auteurs. Ce serait faire violence au texte que d'y voir quelque lien gue ce soit entre le «ne peut» et la complicité de l'Etat.
Outre Ward, deux arrêts de cette Cour méritent considération particulière. Dans Ovakimoglu 7 , la Cour a renvoyé l'affaire à la Commission d'appel de l'immigration au motif qu'elle n'avait pas tenu compte, entre autres, du «refus des autorités de le protéger, lui et ses compatriotes arméniens, contre le harcèlement tant physique que mental auquel ils étaient soumis par les Turcs musulmans simple
' Ovakimoglu c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1983), 52 N.R. 67 (C.A.F.).
ment parce qu'ils étaient des Arméniens de foi chrétienne 8 . Il parait y avoir là, implicitement, reconnaissance de la possibilité d'une persécution étrangère à l'État lorsque ce dernier ne peut offrir de protection. Dans Rajudeen, le juge Stone, J.C.A., à la page 135, s'était exprimé comme suit:
De toute évidence, une personne ne peut être considérée comme un «réfugié au sens de la Convention» seulement parce qu'elle a subi des mauvais traitements de la part de ses concitoyens dans son pays. Selon moi, il faut, pour satisfaire à la définition, que la persécution dont on se plaint ait été commise ou tolérée par l'État lui-même, et qu'elle se traduise par des actes commis par l'État contre un particulier ou par la tolérance dont l'État fait preuve sciemment à l'égard de la conduite de certains de ses citoyens, ou par son refus de protéger un particulier contre cette conduite, ou son incapacité à le faire. [Mes souligne- ments.]
Il reconnaissait, ce disant, qu'il peut y avoir persé- cution, au sens de 1a. Convention, même si les actes répréhensibles sont ceux de concitoyens, lorsque l'Etat est incapable de protéger la victime contre leur comportement. Il y a donc, déjà, dans la jurisprudence de cette Cour, preuve est faite qu'un État ne peut offrir la protection nécessaire, un embryon de reconnaissance d'une persécution qui ne serait ni directement ni indirectement ratta- chée à l'État.
Cette interprétation trouve appui dans le Guide des procédures et critères à appliquer pour déter- miner le statut de réfugié au regard de la Conven tion de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés 9 :
65. On entend normalement par persécution une action qui est le fait des autorités d'un pays. Cette action peut également être le fait de groupes de la population qui ne se conforment pas aux normes établies par les lois du pays. A titre d'exemple, on peut citer l'intolérance religieuse, allant jusqu'à la persécution, dans un pays par ailleurs laïc mais d'importantes fractions de la population ne respectent pas les convictions religieuses d'autrui. Lorsque des actes ayant un caractère discriminatoire grave ou très offensant sont commis par le peuple, ils peuvent être considérés comme des persécutions s'ils sont sciemment tolérés par les autorités ou si les autorités refusent ou sont incapables d'offrir une protection efficace.
98. Lorsqu'il ne peut se réclamer de cette protection, cela tient à des circonstances indépendantes de sa volonté. Il peut y avoir, par exemple, un état de guerre, une guerre civile ou d'autres troubles graves qui empêchent le pays dont l'intéressé a la nationalité de lui accorder sa protection ou qui rendent cette protection inefficace. La protection du pays dont l'intéressé a la
8 Ibid. à la p. 69.
'Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés,
Genève, septembre 1979 aux p. 17, 18 et 24.
nationalité peut également lui avoir été refusée. Ce refus de protection peut confirmer ou accroître la crainte qu'a l'intéressé d'être persécuté et peut même constituer en soi un élément de persécution. [Mes soulignements.]
et est celle retenue par le professeur Hathaway '°:
la page 125] [TRADUCTION] Dans la mesure il est établi que le requérant peut jouir d'une protection réelle de l'État, on ne peut dire qu'il existe une crainte de persécution. Cette règle découle du statut principal accordé au rapport national qui existe entre un particulier et son État, et du principe selon lequel il convient d'invoquer le droit international en matière de droits de la personne seulement lorsqu'un État ne se confor- mera pas à son obligation classique de défendre les intérêts de ses citoyens ou lorsqu'il ne peut le faire. Andrew Shacknove a énoncé de manière utile ce principe comme une analyse de la protection à laquelle on devrait s'attendre du plus simple État légitime:
La persécution n'est qu'une manifestation d'un phénomène plus vaste: l'absence de protection de l'État à l'égard des besoins fondamentaux du citoyen. C'est cette absence de protection de l'État qui constitue la négation pleine et entière de la société et le fondement du statut de réfugié.
[Aux pages 127-128] Outre ces actes commis par des entités auxquelles l'État est officiellement ou implicitement lié, la persécution peut également résulter du défaut ou de l'incapa- cité d'un gouvernement à protéger de manière efficace les droits de la personne fondamentaux de sa population. Précisé- ment, il y a absence de protection lorsqu'un gouvernement est peu disposé à défendre ses citoyens contre un préjudice à la personne, et dans des situations de façon objective il est incapable d'assurer une protection significative. Il s'agit d'une notion un peu plus complexe qui découle du principe selon lequel la légitimité d'un gouvernement est inextricablement liée au caractère suffisant de la protection qu'il accorde à ses citoyens. Comme cela a été soutenu et accepté dans la décision du Conseil d'État de France Esshak Dankha:
. l'existence et l'autorité de l'État sont conçues et justifiées sur le fondement qu'il s'agit du moyen par lequel les mem- bres de la communauté nationale sont protégés contre l'agression, de la part de leurs concitoyens ou de forces extérieures à l'État. [Traduction non-officielle]
Par conséquent, l'État qui néglige ou qui est incapable de répondre aux attentes légitimes en matière de protection ne remplit pas ses obligations les plus fondamentales et soulève ainsi la possibilité qu'il soit nécessaire d'avoir recours à une autre source de protection. L'intention par l'État de causer un préjudice n'est pas pertinente: que ce soit par la perpétration d'un acte, par une omission ou par incapacité, il reste qu'on ne permet pas aux personnes de jouir des garanties fondamentales de la dignité humaine et elles méritent donc la protection par le droit relatif aux réfugiés.
[Aux pages 132-133] L'obligation en droit canadien d'évaluer le caractère suffisant de la protection d'un État sur le fonde- ment de la viabilité de fait du recours efficace aux autorités nationales, plutôt que d'examiner les formes précises des actes coupables de l'État, est donc entièrement conforme à la ten- dance internationale générale.
10 James C. Hathaway, The Law of Refugee Status (Toronto: Butterworths, 1991).
Cette étude du libellé de la définition, de la jurisprudence de la Cour et de la doctrine m'amène à reprendre à mon compte, dans un contexte différent, ces propos du juge MacGuigan, J.C.A. dans Ward, à la page 698:
Sans aucun doute cette interprétation rendra-t-elle admissibles à entrer au Canada les demandeurs de statut venant de pays déchirés par les conflits, dont les problèmes procèdent non pas de leur gouvernement nominal, mais de diverses factions enne- mies, mais je ne puis croire que cela soit contraire aux »obliga- tions légales du Canada sur le plan international et ... [à] sa traditionnelle attitude humanitaire à l'égard des personnes déplacées ou persécutées» [sic] *.
Il existe vraisemblablement plusieurs raisons indépendantes de sa volonté pour lesquelles une personne ne pourrait se réclamer de la protection de l'État, l'une d'elle, et c'est l'évidence même, étant la non-existence d'un gouvernement auquel cette personne pourrait s'adresser. Il est des cas, et le cas sous étude en est un, la situation politique et militaire dans un pays est telle, à un moment précis, qu'on ne peut tout simplement pas parler de gouvernement ayant contrôle du territoire et étant en mesure d'offrir une protection efficace. De même qu'une situation de guerre civile ne fait point obstacle à une demande de statut ", de même la non-existence d'un gouvernement ne saurait non plus y faire obstacle. La position de l'intimé, en l'espèce, conduirait tout droit à ce résultat absurde, que plus grand serait le chaos dans un pays donné, moins les actes de persécution seraient susceptibles de donner ouverture à une demande de statut de réfugié.
Je n'ai pas ici à décider ce qu'il faut entendre par «gouvernement». Je sais qu'en principe une persécution dans une région donnée ne sera pas
* Note de l'arrêtiste: Dans les motifs rendus en anglais par le juge MacGuigan, J.C.A., dans l'affaire Ward, la citation vient de l'alinéa 3(g) de la Loi, dont voici le libellé exact:
3. La politique canadienne d'immigration ainsi que les règles et règlements pris en vertu de la présente loi visent, dans leur conception et leur mise en oeuvre, à promouvoir les intérêts du pays sur les plans intérieur et international et reconnaissant la nécessité:
g) de remplir, envers les réfugiés, les obligations imposées au Canada par le droit international et de continuer à faire honneur à la tradition humanitaire du pays à l'endroit des personnes déplacées ou persécutées; ...
11 Voir Salibian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 250 (C.A.).
une persécution au sens de la Convention si le gouvernement du pays est en mesure, ailleurs sur son territoire, d'assurer la protection voulue, mais encore faut-il qu'on puisse raisonnablement atten- dre des victimes, compte tenu de toutes les circons- tances, qu'elles se déplacent vers cette partie du territoire elles seraient protégées 12 . Je sais aussi que la Convention parle de la protection du «pays dont (la personne) a la nationalité», que le profes- seur Hathaway, dans les extraits de son ouvrage auxquels j'ai déjà référé, parle plutôt en termes de «gouvernement légitime» et que le juge MacGui- gan, J.C.A., dans Ward, a parlé de «gouvernement nominal». Ce «pays», ce «gouvernement national», ce «gouvernement légitime», ce «gouvernement nominal», varieront vraisemblablement au gré des circonstances et de la preuve et il serait présomp- tueux d'en vouloir donner une définition générale. Je veux simplement signaler ici que je n'écarte pas d'entrée de jeu la possibilité qu'il y ait, dans un même pays, plusieurs autorités établies qui soient chacune en mesure, sur une partie qu'elles contrô- lent du territoire, de fournir une protection qui, sans être nécessairement parfaite, soit adéquate.
La conclusion à laquelle j'en arrive emporte, par ailleurs, l'obligation de modifier certains principes établis en d'autres circonstances. En effet, il n'existe aucune autorité établie, il ne sera pas possible d'appliquer intégralement les principes énoncés relativement à la persécution pour cause d'opinion politique, puisqu'il n'y a pas à propre- ment parler d'Etat qui puisse connaître l'opinion politique du demandeur de statut ou lui en imputer une. Dans ce cas, tribunal d'accès et la section du statut devront, à la lumière de toutes les cir- constances mises en preuve, décider si ceux-là qui persécutent le demandeur de statut le font en raison d'opinions politiques qu'il a ou qu'ils lui imputent.
Dans le cas présent, la section du statut a repro- ché à l'appelant de n'avoir pas essayé d'obtenir la
"- La Commission d'appel de l'immigration en a ainsi décidé à plusieurs reprises. Voir Karnail Singh, Dossier: 83-1189, C.L.I.C. 62.4, le 14 novembre 1983; Jainarine Jerome Ramkissoon, T84-9057, 21 juin 1984; Bento Rodrigues da Silva, T-86-9740, 10 décembre 1986; Hathaway, supra, note 10 à la p. 134; Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Conven tion de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, supra, note 9 au paragr. 91.
protection de l'armée libanaise. Or, la preuve est à l'effet qu'aucune autorité établie n'était en mesure de fournir à l'appelant la protection souhaitée. L'appelant ne pouvait donc pas, dans les circons- tances, se réclamer de la protection de son pays, ce qui, loin de le disqualifier, lui permettait au con- traire de remplir l'une des conditions imposées dans la définition de réfugié.
Vu l'erreur de fait déterminante commise par la Section du statut dans l'appréciation de la crédibi- lité de l'appelant et vu l'erreur de droit commise dans l'interprétation de la définition de réfugié, je serais d'avis d'accueillir l'appel, d'infirmer la déci- sion de la section du statut et de renvoyer l'affaire à celle-ci afin qu'elle procède à un nouvel examen en tenant compte des présents motifs.
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: J'y souscris. LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: J'y souscris.
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