A-381-90
Siegfried Janitzki (demandeur)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: JANITZK/ C. CANADA (C.A.)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Hugessen,
J.C.A.—Ottawa, ler et 7 octobre 1991.
Pratique — Appels et nouveaux procès — Le juge a décidé
de ne pas recourir aux services d'un sténographe officiel —
L'enregistrement de la preuve dans toutes les affaires suscep-
tibles d'appel découle des Règles de la Cour fédérale et des
Règles de procédure civile de l'Ontario — Le tribunal de pre-
mière instance est tenu de fournir les moyens nécessaires en
vue de pareil enregistrement sauf lorsque l'affaire n'est pas
susceptible de donner lieu à un appel à l'égard de questions de
fait, lorsque les parties consentent expressément à ce
qu'aucune note sténographique ne soit prise ou renoncent à
leur droit d'interjeter appel — Les erreurs de procédure ne
vicient pas automatiquement le jugement de première instance
— C'est le jugement (le résultat), et non la procédure, qui ris-
que d'être infirmé.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l'éga-
lité — Appel interjeté du rejet d'une action en revendication de
pension d'ancien combattant et en dommages-intérêts
L'appelant est frappé d'une invalidité permanente causée par
une maladie qu'il a contractée pendant qu'il servait dans l'ar-
mée allemande en 1943 — Il est citoyen canadien depuis 1958
— Il prétend avoir fait l'objet d'une discrimination de la part
du gouvernement canadien, puisqu'on lui a refusé les avan-
tages que les anciens combattants canadiens de naissance
auraient reçus — Le droit à une pension est fondé sur un type
de service — Il n'y a pas de discrimination pour l'un quel-
conque des motifs énumérés ou pour quelque motif analogue
— Les dispositions de la Charte ne s'étendent pas aux gouver-
nements étrangers, et n'imposent pas au gouvernement cana-
dien l'obligation de garantir le respect de la Charte par les
gouvernements étrangers — Le gouvernement du Canada n'est
pas tenu en droit de prendre en charge une réclamation pré-
sentée au civil par un citoyen canadien contre un gouverne-
ment étranger, en particulier lorsque pareille demande porte
sur une période pendant laquelle le réclamant était un ressor-
tissant étranger.
Il s'agit d'un appel interjeté du rejet d'une action en «dom-
mages-intérêts particuliers s'élevant à 150 000 $ à titre de pen
sion militaire rétroactive d'invalidité», ainsi qu'en dommages-
intérêts punitifs et exemplaires. L'appelant, ancien combattant
de l'armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale
prétend que le refus par le ministère des Anciens combattants
ou bien de lui accorder une pension d'ancien combattant ou
bien de transmettre sa demande au gouvernement allemand
constitue un déni des droits qu'il tient de l'article 15 de la
Charte. L'appelant est frappé d'une invalidité permanente cau-
sée par une maladie qu'il a contractée pendant qu'il servait
dans l'armée allemande en 1943. Il est citoyen canadien depuis
1958. Il n'existe aucune transcription des procédures qui se
sont déroulées en première instance et de la preuve y présen-
tée, le juge Cullen ayant renvoyé le sténographe chez lui anté-
rieurement au commencement du procès.
Jugement: l'appel devrait être rejeté.
Le juge de première instance a eu tort de ne pas recourir aux
services du sténographe officiel. L'enregistrement de la preuve
présentée devant les tribunaux de première instance, au moyen
de la sténographie ou autrement, dans les affaires susceptibles
d'appel est une pratique qui découle des Règles de la Cour
fédérale par déduction nécessaire, particulièrement de la Règle
200(7), qui exige que l'Administrateur fasse le nécessaire pour
assurer la présence, à chaque séance, de sténographes, et de la
Règle 1204c), qui précise que, en l'absence d'une convention
ou d'un ordre spécial, la transcription fait nécessairement par-
tie du dossier de la cause en appel. De même, les Règles de
procédure civile de l'Ontario imposent implicitement l'enre-
gistrement de la preuve dans toutes les affaires pouvant donner
lieu à un appel en exigeant pour l'appel une transcription de la
preuve, en totalité ou en partie. Fort peu de décisions des cours
de justice, s'il en est, ne sont pas assujetties à au moins un
palier d'appel, et même en l'absence de quelque exigence
législative ou réglementaire précise au sujet de l'enregistre-
ment de la preuve, les tribunaux de première instance sont
tenus de fournir les moyens nécessaires en vue de pareil enre-
gistrement. Ce n'est que lorsque l'affaire n'est pas susceptible
de donner lieu à un appel à l'égard de questions de fait, ou
lorsque les parties consentent expressément à ce qu'aucune
note sténographique ne soit prise ou renoncent à leur droit
d'interjeter appel, que le juge de première instance doit procé-
der à l'audition des témoins sans que des dispositions soient
prises en vue d'enregistrer leur déposition. En l'espèce, il n'y
pas eu un tel consentement ni une telle renonciation.
Une erreur de procédure commise en première instance ne
vicie pas automatiquement la décision. En l'absence d'une vio
lation des principes de justice naturelle, c'est le jugement qui
risque d'être infirmé en appel; la procédure n'est importante
que dans la mesure où elle influe sur le résultat. L'appelant a
eu pleinement la possibilité d'exposer son point de vue.
Il n'y a pas de discrimination pour l'un quelconque des
motifs énumérés ou pour quelque motif analogue, lorsqu'une
pension d'ancien combattant est accordée aux personnes qui
ont servi dans les forces alliées et refusée aux personnes qui
ont servi dans les forces ennemies. Tous les droits à une pen
sion sont fondés sur une distinction quelconque et une distinc
tion fondée sur un type précis de service par le passé n'est pas
discriminatoire.
La portée de la Charte s'applique seulement aux gouverne-
ments fédéral et provinciaux du Canada. Elle ne s'étend pas
aux gouvernements étrangers, ni n'impose au gouvernement
canadien l'obligation de garantir ou de cautionner le respect de
la Charte par les gouvernements étrangers.
Le gouvernement du Canada n'est pas tenu en droit de pren-
dre en charge une réclamation présentée au civil par un citoyen
canadien contre un gouvernement étranger, en particulier lors-
que pareille demande porte sur une période pendant laquelle le
réclamant était citoyen du pays contre lequel la demande est
présentée. Puisque les demandes de l'appelant ne sont nulle-
ment fondées, il n'est pas essentiel que nous disposions d'une
transcription de la preuve pour statuer sur l'appel.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 441.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
200(7), 324, 1204c), tarif A, art. 10, tarif B (mod. par
DORS/87-221, art. 8).
Règles de procédure civile, Règl. de l'Ont. 560/84, Règle
61.05 (mod. par Règl. de l'Ont. 366/87, art. 16).
DEMANDEUR/APPELANT POUR SON PROPRE
COM PTE:
Siegfried Janitzki, Windsor (Ontario).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada, pour la
défenderesse/intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Il s'agit de l'appel d'un
jugement dans lequel le juge Cullen, de la Section de
première instance, a rejeté l'action intentée par l'ap-
pelant [demandeur dans l'intitulé], sans adjuger les
dépens.
L'appel comporte deux caractéristiques.
La première caractéristique se rapporte à l'audition
de l'appel lui-même. Les dossiers d'appel ayant été
préparés et les exposés déposés par les deux parties,
l'appel devait être entendu à Toronto le 17 septembre
1991. Sur réception de l'ordonnance fixant la date de
l'audience, l'appelant, qui agissait pour son propre
compte, a laissé savoir par écrit à la Cour qu'il lui
était impossible de comparaître à l'audience à
Toronto étant donné qu'il était [TRADUCTION] «para-
lysé», «totalement immobile» et qu'il «prenait de la
morphine pour soulager la douleur» comme il l'a lui-
même dit. Dans sa lettre, l'appelant a proposé un cer
tain nombre de solutions de rechange, dont la pre-
mière était que l'appel soit [TRADUCTION] «entendu»
en l'absence des parties. L'avocate de l'intimée a
alors écrit à la Cour pour lui laisser savoir qu'elle ne
s'opposait pas à ce que l'appel soit entendu [TRADUC-
TION] «sur dossier» comme le prévoit la Règle 324
[Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] à
l'égard des requêtes.
Après avoir reçu ces deux lettres, la Cour (soit le
juge Pratte, J.C.A.) a rendu l'ordonnance suivante le
22 juillet 1991:
Après lecture de la lettre de l'appelant en date du 5 juillet
1991 et de la lettre de l'avocat de l'intimée en date du 18 juillet
1991, il est par les présentes ordonné:
(I) Que l'ordonnance de l'administrateur judiciaire selon
laquelle l'affaire devait être entendue à Toronto le 17 sep-
tembre 1991 soit annulée et, sur accord des deux parties, il
est ordonné que l'appel soit tranché sans la tenue d'une
audience, à l'aide de la documentation contenue dans les
exposés que les parties ont déjà déposés et des observa
tions supplémentaires écrites que les parties pourraient
présenter conformément au paragraphe (2) de la présente
ordonnance;
(2) Dans les trois semaines qui suivront la date de la présente
ordonnance, l'appelant aura le droit de présenter des
observations écrites supplémentaires à l'appui de l'appel;
l'intimée disposera alors de deux semaines pour présenter
des observations supplémentaires et, si elle profite de cette
occasion, l'appelant pourra déposer une réponse écrite
dans les deux semaines qui suivront.
Les délais fixés dans le présent paragraphe pourront être
prorogés avec l'accord des parties ou à la suite d'une
ordonnance de la Cour.
(3) Cet appel sera tranché par la Cour aussi rapidement que
possible après l'expiration des délais fixés dans le para-
graphe précédent ou de tout nouveau délai fixé avec l'ac-
cord des parties ou à la suite d'une ordonnance de la Cour.
Par la suite, l'appelant a déposé [TRADUCTION] «un
addenda à l'exposé» le 2 août 1991 et l'intimée a
déposé un exposé supplémentaire le 23 août 1991.
Aucun autre exposé n'ayant été reçu de l'appelant et
le délai fixé pour ce faire ayant expiré, l'affaire a été
renvoyée à la Cour telle qu'actuellement constituée le
ler octobre 1991.
La seconde caractéristique en l'espèce se rapporte
à l'audience que la Section de première instance a
tenue à Windsor (Ontario) le 24 avril 1990. L'appe-
lant y a comparu en personne; un assistant l'accom-
pagnait (comme il en a déjà été fait mention, l'appe-
lant est invalide) ainsi qu'un conseiller. L'intimée
était représentée par une avocate. Ce qui s'est passé,
et qui mérite de faire l'objet de certaines remarques,
est adéquatement décrit dans les trois premiers para-
graphes de l'affidavit de Charlotte A. Bell, c.r.:
[TRADUCTION] I. Je suis avocate au ministère de la Justice du
Canada, et j'ai été chargée de représenter la défenderesse inti-
mée dans l'action intentée par le demandeur appelant le 24
avril 1990; en cette qualité, j'ai personnellement connaissance
des faits ci-après mentionnés.
2. Le 24 avril 1990 au matin, peu de temps après mon arrivée
au Palais de Justice de Windsor (Ontario), où l'audience devait
avoir lieu devant le juge Cullen, j'ai été informée par un
employé de la Cour fédérale du Canada que le sténographe
officiel qui avait initialement été chargé de s'occuper de l'af-
faire du demandeur appelant avait été renvoyé chez lui par le
juge Cullen, ce dernier croyant que les services d'un sténo-
graphe officiel n'étaient pas requis.
3. L'audience a alors eu lieu conformément à la procédure nor-
malement suivie. À l'audience, le demandeur appelant a eu la
possibilité de présenter sa preuve, ce qu'il a d'ailleurs fait. Il a
témoigné pour son propre compte passablement en détail. J'ai
ensuite posé très peu de questions en contre-interrogatoire. On
a offert au demandeur appelant la possibilité de présenter
d'autres éléments de preuve, mais il a refusé de le faire. [Dos-
sier d'appel, appendice I, pages 5-6.]
Par suite de la décision qu'a prise le juge Cullen,
avant l'ouverture du procès, de ne pas avoir recours
aux services du sténographe officiel, nous ne dispo-
sons d'aucune transcription des procédures et, fait
encore plus important, de la preuve présentée devant
la Section de première instance.
À mon avis, en agissant ainsi, le juge Cullen a
commis une erreur. Bien sûr, il n'était pas nécessaire
en common law que la preuve soit consignée au
moyen de notes sténographiques. De fait, avant l'in-
vention de la sténographie, il était impossible de toute
façon de prendre pareilles notes; les cours d'appel et
les cours de révision devaient s'appuyer sur les
propres notes que le juge avait prises dans son dossier
au sujet de la preuve. Toutefois, de nos jours, la
preuve présentée devant les tribunaux de première
instance est toujours enregistrée, au moyen de la sté-
nographie ou autrement, lorsque l'affaire est suscepti
ble de donner lieu à un appel. Cette pratique, qui
n'est pas expressément exigée par les Règles de la
Cour, découle obligatoirement de ces règles par une
déduction nécessaire.
Ainsi, la Règle 200(7) dit ceci:
Règle 200... .
(7) L'Administrateur fera le nécessaire pour assurer la pré-
sence, à chaque séance de la Cour, des autres personnes —
officier au service du shérif, huissiers, sténographes, inter-
prètes et autres préposés — qui peuvent être nécessaires pour
la bonne marche des séances de la Cour; et, sans limiter la por-
tée générale de ce qui précède, l'Administrateur doit, à moins
d'instructions contraires du juge présidant, faire le nécessaire
pour assurer la présence des personnes qui seraient présentes à
une séance analogue de la cour supérieure de la province dans
laquelle a lieu la séance. [C'est moi qui souligne.]
L'exigence selon laquelle un sténographe officiel
doit être présent figure en outre à l'article 10 du tarif
A des Règles:
10. (I) Un sténographe ou autre personne chargée des comptes
rendus d'audiences, qui n'est pas employé de la Cour, peut
percevoir du greffe, sur les fonds publics, soit les honoraires ou
indemnités qui sont payables à un sténographe ou à une autre
personne chargée des comptes rendus d'audiences, pour des
services similaires, dans les cours supérieures de la province
où sont rendus les services, soit le montant que la Cour peut
approuver lorsqu'elle est convaincue que, compte tenu de
toutes les circonstances, il est raisonnable et nécessaire de
payer ce montant pour obtenir les services d'un sténographe
compétent.
(2) L'arrangement conclu entre le greffe et un sténographe
doit prévoir que la Cour et les parties peuvent obtenir, au
besoin, des copies d'une transcription des procédures à des
tarifs conformes à l'exigence ci-dessus.
Les sommes déboursées conformément au tarif A
peuvent être adjugées entre parties conformément à
l'alinéa 1(2)a) du tarif B [mod. par DORS/87-221,
art. 8].
Enfin, la Règle 1204c) montre clairement qu'en
l'absence d'une convention ou d'un ordre spécial, la
transcription fait nécessairement partie du dossier de
la cause en appel:
Règle /204. La cause est présentée en appel sous forme de
dossier conjoint qui doit être constitué (sauf, en tout cas, con
vention contraire entre les parties ou ordre contraire de la
Cour) par
c) une transcription de toute déposition orale faite au cours de
l'audition qui a abouti au jugement porté en appel;
Étant donné qu'en l'espèce, l'audience a eu lieu à
Windsor (Ontario) et puisque la Règle 200(7) préci-
tée parle de la pratique suivie par la cour supérieure
de la province où le procès a lieu, il est opportun de
consulter les Règles de procédure civile de l'Ontario
[Règl. de l'Ont. 560/84]. Comme les Règles de la
Cour fédérale, ces règles n'exigent pas expressément
l'enregistrement de la preuve dans toutes les affaires
pouvant donner lieu à un appel. De même, toutefois,
à l'instar des Règles de la Cour fédérale, elles le font
implicitement, et ce, d'une manière indubitable. La
Règle 61.05 [mod. par Règl. de l'Ont. 366/87, art. 16]
concernant les documents à fournir à la cour d'appel
est ainsi libellée:
61.05(1) En vue de réduire au minimum le nombre de docu
ments et la longueur des transcriptions requis dans l'appel,
l'appelant signifie, avec l'avis d'appel, un certificat de l'appe-
lant relatif à la preuve (formule 6I C) indiquant les parties de la
preuve qui, à son avis, ne sont pas nécessaires à l'appel.
(2) Dans les quinze jours qui suivent la signification du cer-
tificat de l'appelant, l'intimé signifie à l'appelant un certificat
de l'intimé relatif à la preuve (formule 61D), confirmant le
certificat de l'appelant ou indiquant ce qui devrait y être ajouté
ou en être retranché.
(3) L'intimé qui ne signifie pas de certificat dans le délai
prescrit est réputé avoir confirmé le certificat de l'appelant.
(4) Au lieu de suivre la procédure prévue aux paragraphes
(1) à (3), les parties peuvent, dans les trente jours qui suivent la
signification de l'avis d'appel, conclure un accord relatif aux
documents qui doivent être inclus aux dossiers d'appel et aux
transcriptions nécessaires à l'appel.
(5) L'appelant dépose, dans les trente jours suivant le dépôt
de l'avis d'appel, la preuve qu'il a demandé la transcription des
témoignages oraux que les parties n'ont pas convenu
d'omettre, sous réserve d'une directive donnée en application
du paragraphe 61.08(4) (dispense).
(6) La partie qui a déjà demandé la transcription des témoi-
gnages oraux modifie sans délai, par écrit, sa demande pour la
rendre conforme aux certificats ou à l'accord.
(7) Une fois que les témoignages oraux ont été transcrits, le
sténographe judiciaire en avertit sans délai, par écrit, toutes les
parties et le greffier.
(8) Le tribunal peut imposer des sanctions sous forme de
dépens si des témoignages sont transcrits ou des pièces repro-
duits inutilement.
Le fait que la transcription de la preuve, en totalité
ou en partie, sera «exigée en vue de l'appel» mène
inéluctablement à la déduction selon laquelle un sté-
nographe officiel doit être présent à l'instruction de
toute affaire pouvant donner lieu à un appel.
À mon avis, dans le contexte canadien moderne,
où fort peu de décisions des cours de justice, s'il en
est, ne sont pas assujetties à au moins un palier d'ap-
pel, et même en l'absence de quelque exigence légis-
lative ou réglementaire précise au sujet de l'enregis-
trement de la preuve, les tribunaux de première
instance sont tenus de fournir les moyens nécessaires
en vue de pareil enregistrement. Ce n'est que lorsque
l'affaire n'est pas susceptible de donner lieu à un
appel à l'égard de questions de fait', ou lorsque les
parties consentent expressément à ce qu'aucune note
sténographique ne soit prise ou renoncent à leur droit
d'interjeter appel, que le juge de première instance
doit procéder à l'audition des témoins sans que des
dispositions soient prises en vue d'enregistrer leur
déposition.
En l'espèce, le dossier ne montre pas pourquoi le
juge Cullen jugeait inutile d'avoir recours aux ser
vices du sténographe officiel et l'a donc renvoyé. On
peut supposer que c'était dans l'intention tout à fait
louable de mettre le demandeur à l'aise et de lui per-
mettre d'exposer ses griefs en toute liberté, même si
sa demande était peu fondée en droit. Toutefois, il est
clair qu'il n'y a pas eu consentement à ne pas enre-
gistrer la preuve et qu'il n'y a pas eu renonciation au
droit d'interjeter appel. Par conséquent, le juge a
commis une erreur.
Quelle en est la conséquence? Ce ne sont pas
toutes les erreurs de procédure commises en première
instance qui donnent lieu à un appel fructueux. En
l'absence d'une violation des principes de justice
naturelle, ce dont il n'est pas ici question, c'est le
résultat, c'est-à-dire le jugement, qui risque d'être
infirmé en appel; la procédure n'est importante que
dans la mesure où elle influe sur le résultat.
En l'espèce, l'intimée a produit deux affidavits
dans lesquels sont énoncés en détail les événements
qui se sont produits au procès. Ces affidavits n'ont
pas été contestés par l'appelant et leurs auteurs n'ont
pas été contre-interrogés. Les affidavits établissent
au-delà de tout doute que l'appelant a pleinement eu
la possibilité d'exposer son point de vue, qu'il l'a
fait, et que la seule preuve qu'il a présentée était son
propre témoignage.
I Des considérations différentes s'appliquent aux cours ou
aux tribunaux administratifs dont les décisions peuvent uni-
quement être examinées à l'égard de questions de droit ou de
compétence. Bien sûr, c'est la même chose pour les cours et
tribunaux administratifs comme la présente Cour, qui n'enten-
dent pas eux-mêmes les témoignages, mais qui se fondent sur
un dossier constitué ailleurs.
Quelle était la preuve de l'appelant? La déclaration
est ainsi libellée:
[TRADUCTION] I. LE DEMANDEUR RÉCLAME:
a) des dommages-intérêts particuliers s'élevant à 150 000 $
à titre de pension militaire rétroactive d'invalidité;
b) des dommages-intérêts punitifs et exemplaires s'élevant à
1 000 000 $;
e) les dépens de l'action;
d) le maximum actuellement autorisé à l'égard de l'intérêt
échu avant et après le jugement.
2. En sa qualité de citoyen canadien depuis 1958 et d'ancien
combattant de la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle il
a servi dans l'armée allemande, le demandeur s'est vu refuser
les avantages auxquels il aurait pu avoir droit à titre d'ancien
combattant atteint d'une invalidité totale s'il n'avait pas été
victime de discrimination, en violation des dispositions de l'ar-
ticle 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, parce
qu'il:
a) n'était pas né au Canada;
b) avait demandé une pension d'ancien combattant, et non
de civil.
Pendant qu'il servait dans l'armée allemande en Russie au
printemps 1943, le demandeur a été atteint d'une maladie qui
est maintenant reconnue comme étant un type d'encéphalite
due à un arbovirus de la variété printemps-été russe pour
laquelle il n'avait pas acquis d'immunité, étant donné qu'il
était étranger. Les médecins allemands, qui ne connaissaient
pas la maladie, n'ont pas traité le demandeur comme il conve-
nait et lui ont administré quelque chose qui a immédiatement
provoqué des tremblements violents et la perte de la motricité,
symptômes qui n'ont jamais disparu. Pendant qu'il était pri-
sonnier de guerre en France en 1944, les symptômes du
demandeur ont été diagnostiqués comme étant ceux de la
«polynévrite», maintenant connue sous le nom de maladie de
Parkinson. Selon l'opinion médicale qui prévaut à l'heure
actuelle, la maladie de Parkinson, comme de nombreux autres
troubles neurologiques, est un type chronique à progression
lente d'encéphalite contagieuse.
3. Santé et Bien-être social Canada a agi d'une manière discri-
minatoire envers le demandeur en ce sens que le Ministère a
omis d'insister pour que le ministère des Anciens combattants
assume la responsabilité à son égard comme cela aurait été le
cas s'il avait servi dans les Forces armées canadiennes.
4. Le ministère des Anciens combattants a refusé d'accorder au
demandeur une pension d'ancien combattant ou, subsidiaire-
ment, a refusé de transmettre sa demande par les voies appro-
priées au gouvernement allemand bien que, sans passer par
Santé et Bien-être social Canada, celui-ci leur eût expressé-
ment demandé de le faire.
5. Malgré une demande envoyée par l'entremise de l'ambassa-
deur canadien en Allemagne en octobre 1970, dossier 81-
8GFR-2, et malgré un accord réciproque avec le gouvernement
allemand à cet égard, le ministère des Affaires extérieures a
omis de présenter la demande du demandeur, déposée au con-
sulat allemand à Toronto, direction des pensions, en 1961,
comme il aurait pu le faire. L'existence même d'une conven
tion sur la sécurité sociale entre le Canada et la République
fédérale d'Allemagne, dans laquelle il n'est pas fait mention
des pensions accordées aux anciens combattants, et dans
laquelle aucune disposition n'est stipulée à cet égard, pourrait
être considérée comme étant discriminatoire envers les anciens
combattants.
6. En vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, les
institutions canadiennes sont tenues d'accorder à tous les
citoyens canadiens les avantages auxquels ceux-ci ont droit, et
si les institutions canadiennes ne veulent pas ou ne peuvent pas
veiller à ce que les gouvernements des États alliés et en parti-
culier des membres de l'OTAN s'acquittent des obligations
qu'ils ont envers les citoyens canadiens, elles doivent considé-
rer que ces obligations leur incombent et doivent prendre les
mesures requises.
7. Le demandeur, qui agira pour son propre compte, présentera
à l'audience des documents et un témoignage à l'appui de la
demande.
8. Les symptômes du demandeur sont sévères, et sa mobilité
est extrêmement limitée. Il propose donc que l'action soit ins-
truite à Windsor, dans le comté d'Essex. [Dossier d'appel,
pages 2 à 4.]
Si l'on donne à cette demande l'interprétation la
plus généreuse possible, il me semble que trois motifs
de redressement sont invoqués:
a) une demande de pension d'ancien combattant fon-
dée sur le fait que le gouvernement canadien a agi
d'une manière discriminatoire en violation de l'ar-
ticle 15 de la Charte [Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de /982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. ll (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 44]] 2 ;
b) une demande similaire également fondée sur de la
discrimination de la part du gouvernement allemand
et dont le gouvernement canadien doit répondre;
c) une demande de dommages-intérêts résultant de
l'omission par le gouvernement canadien de prendre
en charge la demande du demandeur contre le gou-
vernement allemand.
2 Le juge Cullen a semblé penser que cette partie de la
demande avait été abandonnée par le demandeur (motifs, dos
sier d'appel, à la p. 88). Dans son exposé, ce dernier nie la
chose. Etant donné que nous ne disposons d'aucune transcrip
tion, je présumerai que le juge Cullen a mal compris le point
de vue du demandeur.
En ce qui concerne la première demande, il n'y a
pas de discrimination pour l'un quelconque des
motifs énumérés à l'article 15, ou pour quelque motif
analogue, lorsqu'une pension d'ancien combattant est
accordée aux personnes qui ont servi dans les forces
alliées et refusée aux personnes qui ont servi dans les
forces ennemies. Tous les droits à une pension sont
fondés sur une distinction quelconque et une distinc
tion fondée sur un type précis de service par le passé
n'est pas discriminatoire.
En ce qui concerne la deuxième demande, la por-
tée de la Charte est limitée aux gouvernements fédé-
ral et provinciaux du Canada. Les dispositions de la
Charte ne s'étendent pas aux gouvernements étran-
gers, et n'imposent pas au gouvernement canadien
l'obligation de garantir ou cautionner le respect de la
Charte par les gouvernements étrangers, et ce, que
pareils gouvernements soient des alliés ou des
membres de l'OTAN.
Enfin, le gouvernement du Canada n'est pas tenu
en droit de prendre en charge une réclamation présen-
tée au civil par un citoyen canadien contre un gouver-
nement étranger, en particulier lorsque pareille
demande porte sur une période pendant laquelle le
réclamant était citoyen du pays contre lequel la
demande est présentée.
Dans ces conditions, il n'est pas essentiel que nous
disposions d'une transcription de la preuve présentée
par le demandeur. Il n'y a tout simplement rien qu'il
eût pu dire ou alléguer qui permette de fonder ses
demandes. L'action qu'il a intentée a été rejetée à
bon droit et nous ne devrions pas intervenir.
Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le
juge de première instance n'a pas adjugé les dépens.
Il s'agissait sans aucun doute d'une ordonnance
appropriée et je ne vois pas pourquoi nous devions
intervenir. Toutefois, je ne vois pas non plus pour-
quoi les dépens de l'appel ne devraient pas suivre
l'issue de l'affaire.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je souscris à cet avis.
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Je souscris à cet avis.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.