T-627-92
Native Women's Association of Canada, Gail
Stacey -Moore et Sharon Mclvor (requérantes)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
et
Le Conseil national des autochtones du Canada, le
Ralliement national des Métis et La Inuit Tapirisat
du Canada (intervenants)
RÉPERTORIE. NATIVE WOMEN'SASSN. OF CANADA C. CANADA
Ore /NST.)
Section de première instance, juge suppléant Walsh—
Ottawa, 25 et 30 mars 1992.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fonda-
mentales — Liberté d'expression — Le fait que le gouverne-
ment finance quatre groupes autochtones nationaux à prédomi-
nance masculine qui soutiennent que la Charte ne devrait pas
s'appliquer en matière d'autonomie gouvernementale des
autochtones, mais ne finance pas les requérantes, qui forment
un groupement féminin autochtone, et des groupes favorables à
la Charte, ne constitue pas une violation de l'art. 2b) de la
Charte (qui garantit la liberté d'expression) — Les requé-
rantes auront de nombreuses occasions de faire connaître leur
point de vue — Il a été jugé que si la liberté d'expression con-
férait à chacun le droit de participer aux discussions relatives
à la modification de la Constitution, le processus serait para-
lysé.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l'éga-
lité — Le fait que l'État finance quatre groupes autochtones
nationaux à prédominance masculine qui soutiennent que la
Charte ne devrait pas s'appliquer en matière d'autonomie gou-
vernementale des autochtones, mais ne finance pas la Native
Women's Association et des groupes favorables à la Charte, ne
constitue pas de la discrimination fondée sur le sexe, en viola
tion des art. 15 et 28 de la Charte — Le gouvernement exerce
son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il décide, à tort ou à raison,
que les associations autochtones nationales représentent les
personnes des deux sexes.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Prohibition —
Les requérantes demandent une ordonnance de prohibition
empêchant le gouvernement de verser toute autre somme à des
groupes autochtones nationaux, qui soutiennent que la Charte
ne devrait pas s'appliquer en matière d'autonomie gouverne-
mentale des autochtones, tant que les requérantes n'auront pas
reçu une somme égale et ne seront pas représentées aux dis
cussions constitutionnelles afin de promouvoir leur position en
faveur de la Charte — Le financement de groupes à prédomi-
nance masculine et l'omission de reconnaître les femmes
autochtones à titre de groupe distinct ne constitue pas une vio
lation de l'obligation d'agir d'une manière équitable — La
décision selon laquelle les associations autochtones nationales
représentent les personnes des deux sexes n'est pas injuste du
simple fait que les arguments invoqués à l'encontre sont
rejetés — Il est impossible d'obtenir un jugement déclaratoire
lorsque le litige est purement hypothétique — La perte de la
protection de la Charte est simplement hypothétique — La
rédaction et le dépôt d'un projet de loi s'inscrivent dans le
cadre du processus législatif, dans lequel les tribunaux ne
s'immiscent pas.
Peuples autochtones — La Native Women's Association
demande la délivrance d'une ordonnance de prohibition empê-
chant le gouvernement de verser des sommes d'argent à des
organisations autochtones qui seraient apparemment à prédo-
minance masculine, et qui s'opposent à l'application de la
Charte en matière d'autonomie gouvernementale des autoch-
tones — L'Association demande à être financée et à participer
aux conférences constitutionnelles afin de promouvoir l'égalité
des femmes autochtones — Les requérantes s'appuient sur les
art. 2b), 15 et 28 de la Charte — Le présumé traitement inégal
des femmes autochtones par les hommes autochtones n'est pas
une question qu'il convient d'examiner en l'espèce — Les
organisations subventionnées peuvent intervenir car elles ont
des intérêts financiers à protéger et sont en mesure de fournir
des renseignements que Sa Majesté n'aurait pas pu fournir —
Le gouvernement a soutenu que les associations autochtones
représentent les personnes des deux sexes — La position des
organisations autochtones à l'égard de la Charte est examinée
— Les requérantes ne se sont pas vu refuser le droit de faire
connaître leur point de vue — Elles ne sont pas victimes de
discrimination fondée sur le sexe pour le simple motif que
l'État ne les reconnaît pas en tant que groupe distinct — Les
inquiétudes des requérantes sont purement hypothétiques puis-
que le résultat des discussions constitutionnelles est incertain.
Pratique — Parties — Intervention — Demande d'ordon-
nance de prohibition empêchant le gouvernement de verser
toute autre somme aux groupes autochtones non désignés à
titre d'intimés en vertu de l'accord de contribution de 1991 —
La requête en intervention est accueillie, mais sans les dépens,
étant donné que les interventions ne sont pas d'une grande uti-
lité — La documentation concrète à la disposition des interve-
nants pourrait être utile à la Cour — La décision pourrait
influer sur les droits conférés par les accords existants et
futurs.
Il s'agissait d'une demande d'ordonnance de prohibition
visant à empêcher le gouvernement de débourser d'autres
sommes, en vertu de l'accord de contribution de 1991, tant que
celui-ci n'aurait pas versé à la Native Women's Association of
Canada (la NWAC) des sommes égales à celles qui sont ver
sées à chacun des quatre groupes autochtones nationaux con-
formément à cet accord, et tant que la NWAC ne se serait pas
vu conférer le droit d'être également représentée aux discus
sions relatives à la modification de la Constitution. Les requé-
rantes ont soutenu que les groupes bénéficiaires étaient des
groupes à prédominance masculine et qu'ils ne représentaient
pas adéquatement le point de vue des femmes autochtones
dans les discussions constitutionnelles. Elles ont soutenu qu'en
finançant les quatre groupes bénéficiaires, le gouvernement
aide à propager l'idée selon laquelle la Charte ne devrait pas
s'appliquer aux activités en matière d'autonomie gouverne-
mentale des autochtones. Les requérantes et d'autres groupe-
ments féminins autochtones demandent à être également
financés et à participer aux discussions afin de préconiser le
point de vue selon lequel la Charte devrait continuer à s'appli-
quer afin de sauvegarder et de promouvoir l'égalité des
femmes autochtones. En versant des sommes d'argent aux
quatre groupes bénéficiaires sans fournir des sommes équiva-
lentes aux requérantes et à d'autres groupements féminins
autochtones favorables à la Charte, en vue de leur permettre
d'exprimer leur opinion, le gouvernement violerait apparem-
ment l'alinéa 2b) (qui garantit la liberté d'expression), l'ar-
ticle 15 (qui garantit l'égalité devant la loi et l'égalité de béné-
fice et de protection de la loi et interdit la discrimination
fondée sur l'«origine ethnique» ou sur le «sexe») et l'article 28
de la Charte (qui garantit que les droits reconnus par la Charte
s'appliquent également aux personnes des deux sexes). Il a
également été soutenu que le gouvernement violait le para-
graphe 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui garantit
également aux personnes des deux sexes les droits existants,
ancestraux ou issus d'un traité.
Il s'agissait de savoir (1) si le partage inégal des fonds cons-
tituait une violation de la Charte; (2) si la Cour devait interve-
nir au moyen d'une ordonnance de prohibition en vue d'annu-
ler une décision discrétionnaire de nature administrative
concernant le déboursement des deniers publics; et (3) si la
Cour devait exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à
empêcher une simple recommandation d'être faite.
Les quatre groupes bénéficiaires n'ont pas été désignés à
titre d'intimés. Trois d'entre eux ont demandé à intervenir au
début de l'audience.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
La justice fondamentale exigeait que les trois groupes béné-
ficiaires soient désignés à titre de parties parce qu'ils avaient
des intérêts financiers fondamentaux dans l'accord de contri
bution qui était attaqué en l'espèce, bien que deux groupes eus-
sent déjà reçu les pleins montants qui leur étaient attribués en
vertu de l'accord de contribution de 1991. En outre, les inter-
venants éventuels étaient en mesure de fournir à la Cour des
renseignements concrets que l'intimée n'aurait pas pu fournir.
Toutefois, étant donné que les interventions n'étaient pas d'une
grande utilité, les intervenants ne devaient pas se voir adjuger
les dépens.
Les requérantes n'ont pas été privées de la liberté de parole.
Plus on mettrait de l'argent à leur disposition, plus elles pour-
raient se faire entendre, mais elles ont eu et continueront à
avoir de nombreuses occasions de faire connaître leur point de
vue. Juger que la liberté d'expression confère à chacun le droit
de parole lorsqu'il s'agit d'examiner les propositions relatives
à la modification de la Constitution paralyserait le processus.
Quant à la discrimination fondée sur le sexe, la NWAC a
reçu des sommes minimes non parce qu'elle est composée de
femmes, mais parce que le gouvernement ne veut pas recon-
naître qu'elle devrait être considérée comme un groupe distinct
au sein de la collectivité autochtone. La chose ne constitue pas
de la discrimination fondée sur le sexe.
La Cour est compétente pour décerner une ordonnance de
prohibition en l'espèce, mais elle ne devrait pas exercer ce
droit. Le choix des groupes considérés comme représentant
d'une manière générale les peuples autochtones dans leur
ensemble aux fins des discussions n'avait rien d'injuste ou de
contraire à la justice naturelle. La décision de ne pas recon-
naître la NWAC comme «distincte» n'était pas injuste ou con-
traire à la justice naturelle du simple fait que les arguments
invoqués à l'encontre n'étaient pas retenus. La NWAC avait
été entendue et il a été décidé—à tort ou à raison—que les
associations autochtones nationales représentaient les per-
sonnes des deux sexes. Aucun règlement n'est violé lorsque
des décisions relatives au financement et à la représentation
sont prises, puisqu'il s'agit de questions relevant du pouvoir
discrétionnaire des décideurs.
La perte de la protection fournie par la Charte est hypothé-
tique car elle ne se produira que si les participants aux discus
sions constitutionnelles retiennent les arguments des groupes
préconisant que la Charte ne s'applique pas en matière d'auto-
nomie gouvernementale des autochtones et si des résolutions à
cet effet sont par la suite adoptées. Les requérantes auront
d'autres occasions d'exprimer leurs préoccupations avant que
pareille modification ne devienne loi. Un jugement déclaratoire
peut influer sur des droits éventuels mais non lorsque le litige
est purement hypothétique. Les discussions s'inscrivent uni-
quement dans le cadre du processus législatif dans lequel les
tribunaux ne devraient pas s'immiscer. La rédaction et le dépôt
d'un projet de loi s'inscrivent dans le cadre du processus légis-
latif. Il n'appartient pas aux tribunaux d'introduire d'autres
exigences procédurales dans le processus législatif.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de /982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2b), 15, 28.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appen-
dice II, n° 44], art. 35 (mod. par TR/84-102, art. 2).
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. 1-5.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1602
(mod. par DORS/92-43, art. 19).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat qf Canada
et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1;
33 N.R. 304; Martineau c. Comité de discipline de l'Insti-
tution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106
D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; 13 C.R. (3d) 1; 15
C.R. (3d) 315; 30 N.R. 119; Operation Dismantle Inc. et
autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985),
18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287;
59 N.R. 1; Renvoi relatif au Régime d'assistance publique
du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; (1991), 83
D.L.R. (4th) 297; [1991] 6 W.W.R. 1; 58 B.C.L.R. (2d) 1;
127 N.R. 161.
DÉCISION EXAMINÉE:
Federation of Saskatchewan Indians Inc. et al. v. The
Queen et al., juge Krever, jugement en date du 29 mars
1985, non publié.
DÉCISIONS CITÉES:
Fédération canadienne de la faune Inc. et autres c.
Canada (Ministre de l'Environnement) et Saskatchewan
Water Corp. (1989), 26 F.R.T. 241 (C.F. Ire inst.); Pacific
Salmon Industries Inc. c. La Reine, [1985] 1 C.F. 504;
(1984), 3 C.P.R. (3d) 289 (ire inst.).
DOCTRINE
Canada. Rapport du comité mixte spécial sur le renouvel-
lement du Canada. Ottawa, Groupe Communication
Canada -Edition, Approvisionnements et Services
Canada, 1992 (Coprésidents: L'hon. Gérald A. Beau-
doin, sénateur et Dorothy Dobbie, députée).
DEMANDE d'ordonnance de prohibition visant à
empêcher le déboursement d'autres sommes en vertu
de l'accord de contribution de financement de 1991.
Demande rejetée.
AVOCATS:
Mary Eberts pour les requérantes.
Graham R. Garton pour l'intimée.
Ian G. Scott, c.r., pour le Conseil national des
autochtones du Canada, intervenant.
John D. Richard, c. r., pour le Ralliement natio
nal des Métis, intervenant.
Dougald E. Brown pour la Inuit Tapirisat du
Canada, intervenante.
PROCUREURS:
Tory Tory DesLauriers & Binnington, Toronto,
pour les requérantes.
Le sous-procureur general du Canada pour l'in-
timée.
Cowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour le
Conseil national des autochtones du Canada,
intervenant.
Lang, Michener, Honeywell, Wotherspoon,
Ottawa, pour le Ralliement national des Métis,
intervenant.
Nelligan/Power, Ottawa, pour la Inuit Tapirisat
du Canada, intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs de
l'ordonnance rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT WALSH: Les requérantes deman-
dent:
1. Une ordonnance de prohibition empêchant le gou-
vernement du Canada, agissant par l'entremise du
Secrétariat d'État, de débourser toute autre somme en
vertu de l'accord de contribution de financement de
1991 visé par le Programme de révision des affaires
constitutionnelles des autochtones (1'«accord de con
tribution»)
(i) tant qu'il n'aura pas versé à la Native Women's
Association of Canada une somme égale à celle
qu'il verse à l'Assemblée des premières nations, au
Conseil national des autochtones du Canada, au
Ralliement national des Métis et à la Inuit Tapirisat
du Canada («les quatre groupes bénéficiaires»)
conformément à cet accord, et aux mêmes condi
tions; et
(ii) tant qu'il n'aura pas conféré à la Native
Women's Association of Canada le droit de partici-
per au processus de révision de la Constitution aux
mêmes conditions et de la même façon que les
quatre groupes bénéficiaires, et notamment le droit
de participer à toute réunion ou conférence des
premiers ministres afin de discuter du renouvelle-
ment de la Constitution qui aura lieu pendant les
deux années à venir.
Les motifs de la requête sont énoncés passable-
ment au complet dans celle-ci et seront examinés en
même temps que l'argumentation. On peut les résu-
mer en disant que les requérantes croient que le gou-
vernement du Canada se propose, en vertu de l'ac-
cord de contribution, de verser des sommes aux
quatre groupes avant le ler avril 1992, ce qui aura
pour effet de leur fournir des ressources pour encou-
rager leur participation aux discussions liées au
renouvellement de la Constitution qui ont maintenant
lieu au Canada entre les divers gouvernements, et que
certains des quatre groupes bénéficiaires soutiennent
que la Charte canadienne des droits et libertés [qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]]
ne devrait pas s'appliquer aux activités en matière
d'autonomie gouvernementale des autochtones dans
le cadre de quelque reconfiguration proposée de la
Constitution canadienne. Il est soutenu qu'en finan-
çant les quatre groupes bénéficiaires aux fins des dis
cussions liées au renouvellement de la Constitution
qui ont maintenant lieu, le gouvernement du Canada
aide certains d'entre eux à propager l'idée selon
laquelle ladite Charte des droits et libertés ne devrait
pas s'appliquer aux activités en matière d'autonomie
gouvernementale des autochtones, alors que les
requérantes et les autres groupements féminins
autochtones ont également besoin d'être financés et
de participer aux dites discussions puisque, à leur
avis, il est essentiel que ladite Charte continue à s'ap-
pliquer afin de sauvegarder et de promouvoir l'égalité
des femmes autochtones. Il est soutenu que le gou-
vernement du Canada a par le passé manifesté sa pré-
férence pour le point de vue de groupes autochtones à
prédominance masculine sur les questions liées à
l'égalité de la femme et qu'en versant de l'argent aux
quatre groupes bénéficiaires sans également aider les
requérantes et les autres groupements féminins
autochtones favorables à la Charte à exprimer leur
opinion, le gouvernement du Canada enfreint la
Charte, qui le lie, et contrevient à l'article 28, selon
lequel les droits mentionnés dans la Charte sont
garantis également aux personnes des deux sexes,
puisqu'il prive les groupes non subventionnés d'une
occasion comparable de gagner l'opinion publique à
leurs idées. Il est en outre soutenu que cela viole le
paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982
[annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11
(R.-U.) [L.R.C. (1985); appendice II, no 44] (mod.
par TR/84-102, art. 2)] qui, sous la rubrique intitulée
Droits des peuples autochtones du Canada, dit que les
droits existants—ancestraux ou issus de traités—des
peuples autochtones du Canada visés au para-
graphe (1) sont garantis également aux personnes des
deux sexes. De plus, selon les requérantes, l'ar-
ticle 15 de la Charte, qui interdit entre autres la dis
crimination fondée sur le sexe ou sur l'origine natio-
nale et ethnique, garantit l'égalité devant la loi, qui
serait apparemment violée si l'on déboursait des
sommes d'argent afin d'encourager la défense d'une
cause visant à assurer l'abrogation des droits et
libertés garantis par la Charte. Dans leur argumenta
tion, les requérantes concluent qu'en déboursant ces
fonds, le gouvernement du Canada agit d'une
manière inconstitutionnelle et, puisqu'il n'a pas com-
pétence pour débourser lesdits fonds, une ordonnance
de prohibition est demandée en vue d'empêcher la
chose.
La demande est étayée par deux affidavits bien
rédigés, l'un ayant été souscrit par Gail Stacey -
Moore, directrice générale élue de la Native
Women's Association of Canada, et l'autre par Sha-
ron Mclvor, membre du bureau de la Native
Women's Association of Canada pour la région de
l'Ouest, qui participent au mouvement des femmes
autochtones depuis 1978. Les deux requérantes sont
exceptionnellement bien qualifiées pour souscrire ces
affidavits; en particulier, l'affidavit volumineux de
Gail Stacey -Moore est en somme un historique du
mouvement autochtone indien au Canada, soulignant,
avec maintes pièces à l'appui, les injustices perçues
de la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985), ch. I-5] telle
qu'elle s'applique aux femmes ainsi que le traitement
inégal et injuste dont celles-ci sont victimes entre les
mains des Indiens de sexe masculin des diverses
bandes.
Au début de l'audience, la Cour a clairement fait
savoir que le présumé traitement inégal et injuste des
femmes autochtones par les hommes autochtones
n'est pas une question qu'il convient d'examiner dans
cette procédure, qui doit être limitée à la question de
la constitutionnalité dudit partage inégal des fonds
entre les groupes autochtones à prédominance mascu
line et les groupes qui représentent les femmes
autochtones ainsi qu'à la question de la violation pos
sible de la Charte des droits et libertés qui en décou-
lerait, de sorte qu'il s'agira de savoir si, même en
supposant et en reconnaissant que les femmes autoch-
tones ne sont pas, dans bien des cas, traitées de la
même façon que les hommes autochtones dans la
société autochtone et qu'elles veulent donc continuer
à bénéficier de la protection fournie par la Charte des
droits en ce qui concerne l'égalité de traitement, le
fait que les fonds ne sont pas partagés également
constitue une violation de la Charte.
Des arguments subsidiaires importants portent sur
la question de savoir si la Cour doit intervenir au
moyen d'une ordonnance de prohibition en vue d'an-
nuler une décision discrétionnaire de nature adminis-
trative concernant le déboursement des deniers
publics; une troisième question est celle de savoir si,
même si la Cour a le pouvoir discrétionnaire de ren-
dre pareille ordonnance, ce pouvoir devrait être
exercé lorsqu'il semble que l'ordonnance est deman-
dée en vue d'empêcher qu'une recommandation pos
sible défavorable aux intérêts des requérantes soit
faite par suite des travaux relatifs au renouvellement
de la Constitution qui sont sur le point de commen-
cer, recommandation qui, même si elle était faite,
n'aurait aucunement un caractère définitif tant qu'elle
n'aurait pas été adoptée et sanctionnée par une loi,
soit en d'autres termes, en vue d'empêcher dès le
début que pareille recommandation soit faite. Cette
critique du financement sera apparemment utile lors-
qu'il s'agira d'examiner les arguments en faveur de
pareille recommandation (ou d'un accord en vue
d'une telle recommandation, si les parties aux discus
sions en conviennent), et est clairement faite à titre
préventif.
INTERVENTIONS
La requête ne désignait pas comme parties inti-
mées l'Assemblée des premières nations, le Conseil
national des autochtones du Canada, le Ralliement
national des Métis et la Inuit Tapirisat du Canada,
bien que l'ordonnance demandée vise à empêcher
toute autre distribution de fonds à ces groupes en
vertu de l'accord de contribution de financement de
1991 visé par le Programme de révision des affaires
constitutionnelles des autochtones tant que des fonds
n'auront pas été versés aux requérantes aux mêmes
conditions. De toute évidence, les intervenants ont
donc des intérêts financiers à protéger.
Par conséquent, des requêtes visant à l'obtention
de l'autorisation d'intervenir ont été présentées au
début de l'audience pour le compte de trois groupes,
soit le Conseil national des autochtones du Canada, le
Ralliement national des Métis et la Inuit Tapirisat du
Canada. L'Assemblée des premières nations n'a pas
présenté de requête en ce sens. Les requérantes se
sont opposées à ces interventions.
Avant les modifications récemment apportées aux
Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663], les
arrêts faisant autorité en matière d'intervention
disaient qu'il n'était pas simplement suffisant que
l'intervenant ait un intérêt réel dans le résultat, mais
qu'il devait également être en mesure d'exprimer un
point de vue différent de celui que les parties déjà
constituées feraient connaître au tribunal. Voir à cet
égard l'arrêt Fédération canadienne de la faune Inc.
et autres c. Canada (Ministre de l'Environnement) et
Saskatchewan Water Corp. (1989), 26 F.T.R. 241
(C.F. lm inst.), à la page 243, dans lequel on men-
tionne également en l'approuvant l'arrêt Pacific Sal
mon Industries Inc. c. La Reine, [ 1985] 1 C.F. 504
(]re inst.), à la page 510. En l'espèce, il est tout à fait
clair que l'intimée s'opposera vigoureusement à l'or-
donnance de ne pas distribuer d'autres fonds aux
groupes en question, demandée par les requérantes,
ce qui est, bien sûr, ce à quoi les intervenants éven-
tuels s'opposeront également, de sorte qu'il pourrait
bien y avoir un chevauchement inutile des arguments.
On a attiré l'attention de la Cour sur la modifica
tion récemment apportée à la Règle 1602 des Règles
de la Cour fédérale [mod. par DORS/92-43, art. 19],
qui est entrée en vigueur le ler février 1992, et dont le
paragraphe (3) est ainsi libellé: «Toute personne inté-
ressée qui avait des intérêts opposés à ceux de la par-
tie requérante lors de l'instance devant l'office fédé-
ral est désignée à titre intimée dans l'avis de
requête». Toutefois, cette disposition vise les
demandes de contrôle judiciaire de décisions d'un
office fédéral; or, l'intimée, Sa Majesté la Reine, ne
peut pas être ainsi considérée. Je sais que selon cer-
tains arrêts, lorsque Sa Majesté est désignée à titre
d'intimée, cela peut comprendre les ministres de la
Couronne, mais il est douteux que cela s'étende aux
offices fédéraux non désignés, ou à quiconque a signé
l'accord de contribution en vertu duquel les fonds
sont distribués, de façon que la Règle 1602 s'ap-
plique. Il est inutile de déterminer si cette Règle s'ap-
plique en l'espèce, étant donné que selon un argu
ment additionnel invoqué par l'avocat du Conseil
national des autochtones du Canada, même en l'ab-
sence de cette règle, la justice fondamentale exige
qu'ils soient désignés à titre de parties. Les requé-
rantes citent des accords que ceux-ci ont signés et
qu'elles cherchent à faire suspendre, mais bien
qu'elles leur aient signifié des copies des documents,
elles ne les ont pas désignés à titre de parties. Les
arrêts auxquels on m'a reporté visent des tiers qui
avaient un intérêt dans un litige opposant d'autres
personnes, et non une partie qui a elle-même un inté-
rêt fondamental qui est attaqué dans la procédure.
En cherchant à intervenir, la Inuit Tapirisat sou-
tient qu'elle dispose de certains éléments de preuve
concrets différents de ceux des autres, selon lesquels
les requérantes ne les représentent pas étant donné
que leurs femmes ont leur propre association,
qu'elles ne cherchent pas à être financées séparément
et que, dans leur société, les femmes ne sont pas
désavantagées et ne soutiennent pas qu'elles le sont.
Enfin, l'avocate des requérantes a souligné que
l'intimée n'avait pas présenté de documentation par
affidavit, mais simplement un exposé écrit des faits et
du droit qui doit nécessairement être fondé sur la
documentation présentée par les requérantes en ce qui
concerne les faits et qu'on ne devrait pas lui permet-
tre de tirer parti des affidavits se rapportant aux faits
et des arguments invoqués par les intervenants éven-
tuels ou des contre-interrogatoires qui ont déjà eu lieu
au sujet de ces affidavits. Je suis convaincu que les
intervenants éventuels sont en mesure de fournir des
renseignements concrets utiles à la Cour lorsqu'il
s'agira de trancher l'affaire, et dans bien des cas des
renseignements que l'intimée n'aurait pas pu fournir,
et que l'intérêt de la justice exige donc que les inter
ventions soient autorisées, et que les affidavits, les
pièces et les contre-interrogatoires se rapportant aux
affidavits soient versés au dossier.
L'avocate des requérantes a soutenu que si les
interventions étaient autorisées, on devrait demander
à Sa Majesté de payer les dépens y afférents, car des
éléments de preuve seraient présentés, ce que l'inti-
mée a omis de faire. Le fait que, si ces groupes
avaient initialement été désignés à titre d'intimés,
aucune requête en intervention n'aurait été nécessaire
limite la portée de cet argument. Toutefois, puisque je
conclus que les interventions n'ont pas été d'une
grande utilité, bien que je ne blâme pas les interve-
nants de les avoir présentées, et que j'aurais tiré les
mêmes conclusions en tranchant la requête déposée
par les requérantes, même en l'absence d'interven-
tions, il n'est peut-être pas juste d'adjuger les dépens
y afférents, qui s'élèvent à une somme importante,
contre les requérantes en l'espèce, à savoir la Native
Women's Association of Canada. J'exerce donc mon
pouvoir discrétionnaire et j'autorise les interventions,
mais sans les dépens.
L'intitulé de la cause sera modifié en conséquence
de façon à tenir compte de ces interventions.
LES FAITS
Les faits sur lesquels est fondée cette requête sont
énoncés dans les affidavits, les pièces et d'autres
documents versés au dossier et en général, ils ne sont
pas contestés par les parties.
Un document du gouvernement du Canada en date
du 24 septembre 1991, intitulé Bâtir ensemble l'ave-
nir du Canada—Propositions mentionne que: «Le
gouvernement du Canada propose de modifier la
Constitution de manière à consacrer un droit à l'auto-
nomie gouvernementale autochtone invocable devant
les tribunaux afin de reconnaître l'autorité des
autochtones sur leurs propres affaires au sein de la
fédération canadienne». Au paragraphe suivant, il est
déclaré que «ce droit permettrait de tenir compte des
situations différentes dans lesquelles se trouvent les
peuples autochtones du Canada et de leurs besoins
particuliers, et il serait exercé dans le cadre constitu-
tionnel canadien et assujetti à la Charte canadienne
des droits et libertés». [C'est moi qui souligne.]
Le Rapport du comité mixte spécial sur le renou-
vellement du Canada en date du 24 janvier 1992 (le
comité Beaudoin-Dobbie) dit que plusieurs organis-
mes autochtones sont en train d'élaborer leur propre
charte, dans laquelle l'équilibre entre les droits col-
lectifs et les droits individuels serait différent et serait
plus conforme à leurs propres traditions, mais que le
processus est en cours et que la position définitive
des organismes reste à définir. Il est mentionné que
«[1]e Comité a entendu l'Association des femmes
autochtones du Canada, qui appuie fermement le
maintien en vigueur de la charte canadienne. Elle
propose par ailleurs que l'autonomie gouvernemen-
tale des autochtones soit constitutionnalisée de
manière qu'elle s'applique également aux hommes et
aux femmes. Le Comité recommande que les libertés
et les droits fondamentaux de tous les Canadiens, y
compris l'égalité en droit des hommes et des femmes,
soient complètement protégés par la Constitution.»
Le 24 janvier 1992, le très honorable Joe Clark,
ministre des Affaires constitutionnelles, a répondu à
la lettre que Mme Stacey -Moore lui avait envoyée et
dans laquelle était énoncée la position de la Native
Women's Association of Canada sur ce point. Il
déclare que [TRADUCTION] «le gouvernement du
Canada a toujours soutenu que la Charte des droits et
libertés devrait s'appliquer aux gouvernements
autochtones». Il ajoute que [TRADUCTION] «les propo
sitions du gouvernement fédéral réitèrent notre inten
tion à cet égard».
Le 19 février 1992, en réponse à la lettre de
M m e Stacey -Moore, le premier ministre, le très hono
rable Brian Mulroney a réitéré le point de vue selon
lequel [TRADUCTION] «le gouvernement du Canada a
toujours soutenu que la Charte des droits et libertés
devrait s'appliquer aux gouvernements autochtones».
Un affidavit supplémentaire de Gail Stacey -Moore
laisse planer un doute sur l'intention du gouverne-
ment d'exprimer le point de vue des requérantes à la
conférence constitutionnelle à venir. Dans une lettre
adressée à Mme Stacey -Moore le 2 mars 1992, le très
honorable Joe Clark parle d'une discussion qui avait
eu lieu avec elle au sujet de la représentation à la
table de conférence et déclare que [TRADUCTION] «les
préoccupations dont vous avez fait mention, comme
celles qu'ont mentionnées d'autres personnes, doi-
vent être examinées au sein de la collectivité autoch-
tone elle-même. L'addition d'un autre siège à la table
constitutionnelle ne résoudra pas la situation».
Le très honorable Joe Clark déclare que les asso
ciations nationales autochtones représentent les per-
sonnes des deux sexes au sein de leurs collectivités et
demande avec instance à Mme Stacey -Moore de col-
laborer avec celles-ci pour veiller à ce que la Native
Women's Association of Canada soit entendue et
représentée par leur entremise. Il ajoute que c'est
pourquoi les accords de financement signés par les
associations autochtones nationales stipulent que ces
dernières doivent expressément affecter une partie
des fonds reçus aux questions féminines autochtones;
de plus, le gouvernement a financé certains projets
destinés à appuyer des activités précises et le finance-
ment futur dépendra de la nature du processus.
Il va sans dire que cette lettre était loin de rassurer
les requérantes, qui soutiennent que les associations
autochtones au sein de leurs collectivités sont surtout
composées d'hommes, de sorte qu'elles ne peuvent
pas compter sur ces associations pour faire des repré-
sentations adéquates correspondant au point de vue
des femmes autochtones dans la ronde à venir de dis
cussions constitutionnelles, et que les fonds qui leur
sont alloués par ces groupes sont fort peu importants
par rapport aux montants que ces derniers ont reçus.
Les faits à l'appui de ces prétentions sont qu'à la
Conférence autochtone sur la constitution, qui a eu
lieu à Ottawa du 13 au 15 mars 1992, parmi les
184 délégués, la Native Women's Association of
Canada ne comptait que huit sièges et quatre observa-
trices. Quatre des huit sièges, qui n'avaient pas initia-
lement été attribués, ont été obtenus du Conseil natio
nal des autochtones du Canada, et les autres du
complément du gouvernement du Canada. Quant au
financement, des 10 000 000 $ alloués aux quatre
groupes d'intérêt en vertu des accords de contribu
tion, la Native Women's Association of Canada a
reçu 130 000 $ de l'Assemblée des premières nations
et 130 000 $ du Conseil national des autochtones du
Canada, soit au total 260 000 $. Il est reconnu que
des subventions de base sont également reçues du
Secrétariat d'État pour le fonctionnement du bureau
et les services de quatre employés, mais qu'aucune de
ces sommes n'est consacrée aux fins constitution-
nelles, et qu'une subvention a également été reçue du
Secrétariat d'État pour le financement d'une étude de
la Charte canadienne des droits et libertés. L'intimée
fait mention de subventions totales de 300 000 $
directement accordées par le gouvernement, en plus
des 260 000 $ remis à l'aide des 10 000 000 $
accordés aux quatre groupes financés. Quoi qu'il en
soit, il n'est pas contesté que les fonds qu'elles ont
reçus, qui représentent 5 % des montants accordés
aux quatre groupes financés mentionnés dans la
demande en l'espèce, sont comparativement fort peu
importants, étant donné en particulier qu'il est
allégué que les femmes représentent 52 % des
autochtones.
L'intimée soutient qu'un grand nombre de ques
tions doivent être examinées à la prochaine confé-
rence, et notamment la question de savoir si la Charte
continuera à s'appliquer aux gouvernements autoch-
tones si jamais les groupes autochtones se voyaient
conférer une certaine autonomie gouvernementale,
alors que la question de la Charte est la seule qui
semble préoccuper les requérantes en l'espèce ou sur
laquelle ces dernières veulent exprimer un point de
vue qui est peut-être contraire à celui de certains au
moins des quatre groupes financés pour représenter
les autochtones, et que cela expliquerait la différence
entre les montants accordés. Les représentantes de la
Native Women's Association of Canada rétorquent
que leur participation n'est pas limitée à la seule
question de la Charte, puisqu'elles ont le droit d'exa-
miner toutes les questions à l'étude. Il est intéressant
de noter que lorsque les accords de financement ont
été signés avec les quatre groupes, lesquels étaient
destinés à fournir des fonds à ces derniers de façon à
leur permettre de participer aux études et conférences
relatives au renouvellement de la Constitution
(accords qui n'ont pas été produits), cela se passait
plusieurs mois avant le 11 mars 1992, date à laquelle
il a été recommandé que les peuples autochtones
soient invités à participer pleinement au processus
constitutionnel convenu. Par conséquent, on ne peut
pas dire que les fonds visaient expressément à per-
mettre aux groupes en cause de participer à la pro-
chaine conférence.
Quoi qu'il en soit, tout examen du caractère adé-
quat du financement ou de la représentation doit
dépendre de la détermination des questions de droit
liées à la violation possible de la Charte du fait que la
Native Women's Association of Canada n'est pas
reconnue à titre de groupe distinct dont les intérêts ne
sont pas pleinement représentés par les quatre
groupes financés et qu'elle n'a pas le droit d'être
représentée et financée de la même façon.
Pendant l'examen des demandes visant à l'obten-
tion de l'autorisation d'intervenir, la Native Women's
Association of Canada a souligné que deux des
groupes, soit l'Assemblée des premières nations et le
Ralliement national des Métis, avaient déjà reçu les
pleins montants qui leur étaient attribués en vertu de
l'accord de contribution de 1991 et qu'ils n'ont donc
pas intérêt à intervenir dans cette requête, mais que le
Conseil national des autochtones du Canada et la
Inuit Tapirisat ont encore des fonds qui leur revien-
nent aux termes de l'accord. (Il importe de se rappe-
ler que l'Assemblée des premières nations n'a pas
cherché à intervenir.) Cet argument a été pleinement
examiné à ce stade-là de la procédure, mais toutes les
interventions ont été autorisées puisqu'on estimait
que la documentation concrète que ces groupes pour-
raient fournir serait utile et, en outre, que la décision
rendue à l'égard de cette requête pourrait bien influer
sur les droits des quatre groupes lorsqu'il s'agira de
partager les fonds en vertu d'accords futurs, et
notamment de l'accord relatif à l'exercice 1992-1993
maintenant à l'étude.
Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une arme à double
tranchant, car si deux des groupes ont déjà reçu tous
les fonds attribués en vertu de l'accord de contribu
tion de 1991, on pourrait se demander pourquoi les
requérantes demandent qu'une ordonnance soit ren-
due contre eux. Il est évident, et je crois que les
requérantes reconnaîtraient, que ce qui leur importe
le plus et ce qu'elles cherchent à obtenir est une con
clusion selon laquelle elles forment réellement un
cinquième groupe qui a le droit de recevoir un mon-
tant équivalent à celui qui est versé à chacun des
quatre groupes, composés surtout d'hommes, selon
elles, et qui ne les représentent pas adéquatement, et
en outre qu'elles ont le droit d'être représentées de la
même façon aux conférences relatives aux projets de
modifications constitutionnelles visant les autoch-
tones et en particulier les femmes autochtones.
Pareille conclusion s'appliquerait alors lorsque les
accords de contribution futurs seraient à l'étude.
Quant à la position que les quatre groupes en cause
doivent prendre à la prochaine conférence selon les
requérantes, ces dernières craignent principalement
celle que l'Assemblée des premières nations prendra.
Il est allégué que ce groupe croit fermement que la
Charte canadienne des droits et libertés ne devrait
pas s'appliquer en matière d'autonomie gouverne-
mentale des autochtones. En effet, ce groupe s'inté-
resse à l'établissement d'une charte autochtone des
droits et s'oppose à toute charte qui leur serait impo
sée par des tiers.
Le Ralliement national des Métis appuie le main-
tien de la Charte canadienne.
La Inuit Tapirisat est prête à envisager l'applica-
tion de la Charte canadienne des droits et libertés
aux dispositions relatives à l'autonomie gouverne-
mentale que les Inuit pourront négocier avec le gou-
vernement du Canada, et leur groupement féminin
participera pleinement à toute discussion relative au
maintien de la Charte.
La position du Conseil national des autochtones du
Canada est un peu plus équivoque. Selon le Conseil,
la Charte canadienne des droits et libertés devrait
s'appliquer aux gouvernements visés par la Loi sur
les Indiens, mais les activités liées à l'autonomie gou-
vernementale relèvent uniquement des gouverne-
ments autochtones en question. Le Conseil ne laisse
pas entendre que la Charte ne devrait pas s'appliquer,
mais que la chose relève des nations elles-mêmes.
Je ne veux aucunement tenter de prédire quelles
discussions auront lieu à la conférence, en ce qui con-
cerne la question de la Charte, ou le contenu de ces
discussions, mais il ressort de ces déclarations de fait
que, quelle que soit la recommandation qui pourra
être faite au sujet de l'autonomie gouvernementale
des autochtones, le maintien de la Charte canadienne
des droits et libertés sera l'un des sujets que certains
participants du moins, y compris fort probablement
les représentants du gouvernement du Canada, exa-
mineront et appuieront, bien qu'il existe peut-être un
certain doute au sujet de la position que ceux-ci pren-
dront à l'égard de la Charte, compte tenu de la lettre
récente de l'honorable Joe Clark, en date du 2 mars
1992, dont j'ai déjà fait mention et dans laquelle ce
dernier laisse entendre que les questions soulevées
par la Native Women's Association of Canada doi-
vent être examinées au sein de la collectivité autoch-
tone elle-même et déclare que les associations
autochtones représentent les personnes des deux
sexes de leurs collectivités et que la Native Women's
Association of Canada devrait collaborer avec ces
associations pour veiller à être représentée et enten-
due.
CONCLUSIONS DE DROIT
Il n'y a pas de doute, et il ne peut pas y avoir de
doute, que les requérantes en l'espèce bénéficient de
tous les droits mentionnés dans la Charte canadienne
des droits et libertés, et notamment de la «liberté
d'expression» reconnue à l'alinéa 2b) ainsi que de
l'égalité devant la loi et de l'égalité de bénéfice et de
protection de la loi prévues par l'article 15, sans dis
crimination fondée sur 1' «origine ethnique» ou sur le
«sexe». L'article 28 garantit ces droits également aux
personnes des deux sexes. Selon le paragraphe 35(4)
de la Partie II de la Loi constitutionnelle de 1982, les
droits existants—ancestraux ou issus de traités—des
peuples autochtones sont garantis également aux per-
sonnes des deux sexes.
Les requérantes veulent appliquer ces principes
incontestés aux faits de l'espèce. A cet égard, il a été
reconnu aux fins de cette requête, mais non à titre de
conclusion, que dans les sociétés autochtones, ou du
moins dans un nombre important de sociétés autoch-
tones, les hommes ne traitent pas les femmes sur un
pied d'égalité, que les femmes sont désavantagées,
qu'elles ne partagent pas toujours les opinions des
hommes et qu'elles ne peuvent pas compter sur eux
pour faire connaître leur point de vue aux confé-
rences comme celles qui sont sur le point d'avoir
lieu. Il a également été reconnu qu'elles reçoivent
une partie minime des fonds que l'État met à la dis
position des quatre groupes qui, selon elles, ne repré-
sentent pas adéquatement leurs intérêts. (Je tiens à
répéter ici qu'au moins un des groupes, la Inuit Tapi-
risat, s'oppose avec véhémence à ce que ces supposi
tions soient faites, ne serait-ce qu'en vue de débattre
l'affaire, et souligne que leur société est tout à fait
différente de celle des autres groupes (ou associa
tions) autochtones désignés, que, dans leur société,
les femmes ne sont pas désavantagées et qu'elles ne
cherchent pas à être financées ou représentées séparé-
ment.)
Les requérantes soutiennent que si elles ne sont pas
reconnues à titre de groupe dont les intérêts sont
séparés et distincts de ceux des groupes masculins
choisis pour participer aux conférences et les repré-
senter, de sorte qu'elles ne reçoivent pas de fonds
équivalents, leur point de vue ne peut pas être
exprimé comme il convient et qu'on porte ainsi
atteinte à la liberté de parole.
Compte tenu des faits, il est évident que la Native
Women's Association of Canada a eu et continuera à
avoir de nombreuses occasions de faire connaître son
point de vue, tant aux autorités politiques compé-
tentes qu'au public, et même aux groupes qui partici-
peront à la conférence, dont certains du moins parta-
gent la préoccupation de cette association en ce qui
concerne le maintien de l'application de la Charte
aux peuples autochtones. Sans aucun doute, plus on
mettra d'argent à la disposition de ce groupe, plus il
élèvera la voix, mais on ne peut certainement pas dire
qu'il est privé de la liberté de parole en violation de
la Charte.
Comme l'avocat de l'intimée le souligne, tout indi-
vidu ou tout groupe d'intérêt pourrait s'appuyer sur la
liberté d'expression pour justifier sa présence à la
table de réunion, et le processus serait paralysé s'il
était jugé que la liberté d'expression confère à chacun
le droit de parole lorsqu'il s'agit d'examiner les pro
positions relatives à la modification de la Constitu
tion.
Par conséquent, je ne conclus pas que la liberté
d'expression garantie aux requérantes par la Charte a
été violée.
Quant à la discrimination fondée sur le sexe, la
Native Women's Association of Canada a reçu des
sommes minimes non parce qu'elle est composée de
femmes, mais parce que le gouvernement ne veut pas
reconnaître qu'elle devrait être considérée comme un
groupe distinct des quatre groupes désignés au sein
de la collectivité autochtone et qu'elle devrait être
traitée en conséquence. La question de savoir si cela
va à l'encontre de la justice naturelle sera examinée
en même temps qu'un autre argument lié à l'ordon-
nance de prohibition, mais la chose ne constitue pas
en soi de la discrimination fondée sur le sexe en vio
lation de la Charte.
Cela nous amène à une autre question, à savoir si
la Cour est compétente pour délivrer un bref de pro
hibition en l'espèce. Compte tenu des faits et puisque
l'accord de contribution n'a pas été produit, on ne
sait pas exactement qui a pris ou qui prend les déci-
sions relatives au partage des fonds. Apparemment,
cela relève du Secrétariat d'État. Il importe peut-être
peu que le partage soit fait par un ministre ou des
ministres du cabinet fédéral ou par le cabinet fédéral.
Le principe selon lequel il n'existe aucune immunité
à l'égard des décrets illicitement pris a été énoncé
dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Inuit
Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735,
dans lequel le juge Estey a fait remarquer ceci, à la
page 748:
Il faut dire tout de suite que la simple attribution par la loi
d'un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son
exercice échappe à toute révision.
À la page 752 du même jugement, il est déclaré
ceci:
Il est inutile, à mon avis, d'essayer de classer l'action du
gouverneur en conseil ou sa fonction ... dans l'une des caté-
gories traditionnelles établies en droit administratif.
et:
... à mon avis, l'essentiel du principe de droit applicable en
l'espèce est simplement que dans l'exercice d'un pouvoir con-
féré par la loi, le gouverneur en conseil, comme n'importe
quelle autre personne ou groupe de personnes, doit respecter
les limites de la loi édictée par le Parlement ...
Il n'est pas contesté que la Cour a compétence
pour réviser ou infirmer les décisions que les minis-
tres du cabinet ont prises en violation de la loi.
Il n'est pas non plus contesté que le décideur est
tenu d'agir d'une manière équitable et conformément
à la justice naturelle lorsqu'il prend sa décision. L'ar-
rêt Martineau-Matsqui [Martineau c. Comité de dis
cipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S.
602] et d'autres arrêts sont allés plus loin que l'an-
cienne doctrine, selon laquelle il fallait permettre aux
deux parties de se faire entendre, en y incluant l'obli-
gation d'agir d'une manière équitable, et la ligne de
démarcation entre les décisions quasi judiciaires et
les décisions administratives est presque disparue.
Toutefois, dire que la Cour a le droit de délivrer un
bref de prohibition en l'espèce ne veut pas dire que
ce droit devrait être exercé. Les principales plaintes
des requérantes, en ce qui concerne la violation de
l'obligation d'agir d'une manière équitable, visent, en
premier lieu, la composition des groupes choisis en
vue du financement et de la participation à la confé-
rence et, en second lieu, l'omission de reconnaître les
femmes autochtones à titre de groupe séparé, distinct
des groupes financés. La différence entre les sommes
accordées est une conséquence de cette omission.
Il est vrai qu'en ce qui concerne la première ques
tion, il n'y a dans le dossier aucun élément de preuve
au sujet de la façon dont les groupes ont été choisis,
des explications n'étant données que dans l'argumen-
tation de l'intimée. Toutefois, il faut noter que les
requérantes ne disent pas non plus quels autres
groupes (à part, bien sûr, leur propre groupe) auraient
mieux représenté les peuples autochtones que les
groupes de coordination à larges assises qui ont été
choisis. Dans ses observations écrites, l'intimée
déclare que [TRADUCTION] «de toute évidence, les
gouvernements ont invité les quatre organisations
autochtones nationales à participer pleinement à la
discussion parce qu'ils considèrent que ces organisa
tions représentent d'une manière générale les peuples
autochtones dans leur ensemble et non un groupe par-
ticulier». Il a été fait mention de la décision rendue
par le juge Krever (tel était alors son titre) dans l'ar-
rêt Federation of Saskatchewan Indians Inc. et al. v.
The Queen et al. (non publié, jugement en date du 29
mars 1985), dans lequel il est déclaré ceci:
[TRADUCTION] 11 est reconnu que l'art. 37.1(2) de la Loi consti-
tutionnelle de 1982 impose au premier ministre l'obligation
d'inviter les représentants des peuples autochtones du Canada
à cette conférence des premiers ministres. Ce paragraphe ne
peut pas raisonnablement être interprété comme obligeant le
premier ministre à inviter à la conférence les représentants de
tout groupe d'intérêt spécial existant au sein des peuples
autochtones du Canada.
et:
[TRADUCTION] Si aucune mauvaise foi n'est manifestée, le choix
des personnes aptes à représenter les peuples autochtones est
essentiellement un choix politique, c'est-à-dire un choix que
les tribunaux ne peuvent pas légitimement faire. Je tiens à
répéter qu'il n'y a pas de mauvaise foi et on ne peut pas dire
que le choix effectué par le premier ministre va à l'encontre de
la politique et de l'objet de l'art. 37.1 de la Loi constitution-
nelle de 1982.
En conclusion, à mon avis, le fait que les quatre
groupes en question ont été choisis pour représenter
les autochtones à cette conférence n'a rien d'injuste
et n'est pas contraire à la justice naturelle.
Quant à la seconde allégation, soit l'omission de
reconnaître la Native Women's Association of
Canada comme étant «distincte», la position de l'inti-
mée est énoncée dans la lettre du très honorable Joe
Clark, en date du 2 mars 1992, dont il a déjà été fait
mention et dans laquelle, après avoir déclaré que les
préoccupations mentionnées par l'association ainsi
que par d'autres doivent être examinées au sein de la
collectivité autochtone elle-même, le ministre dit que
[TRADUCTION] «les associations autochtones natio-
nales représentent les personnes des deux sexes au
sein de leur collectivité».
En théorie, cette déclaration est peut-être exacte,
mais en pratique il n'en va pas nécessairement de
même, puisque la Native Women's Association of
Canada a affirmé que les femmes autochtones ont
souvent des intérêts différents de ceux des hommes
de la collectivité et qu'elles sont maintenues dans une
situation inférieure et minoritaire. Toutefois, la posi
tion des représentantes de la Native Women's Asso
ciation of Canada avait certainement été prise en note
et examinée avant que cette lettre ne soit rédigée, et
une décision, qu'elle soit correcte ou erronée, n'est
pas injuste ou contraire à la justice naturelle du sim
ple fait que les arguments invoqués à l'encontre ne
sont pas retenus. Aucun règlement n'est violé lorsque
les décisions relatives au financement et à la repré-
sentation sont prises, puisqu'il s'agit de questions qui
relèvent du pouvoir discrétionnaire des décideurs.
Il importe d'examiner une autre question, à savoir
si le résultat visé par les requérantes, compte tenu de
leur crainte de ne plus bénéficier de la protection
fournie par la Charte, est hypothétique. Cela ne se
produirait que si les participants aux travaux relatifs à
la Constitution acceptaient la position de l'Assemblée
des premières nations et d'autres à ce sujet et si, par
la suite, des résolutions à cet effet étaient adoptées
par le Parlement et par les assemblées législatives.
Les requérantes auront d'autres occasions d'exprimer
leurs préoccupations avant que pareille modification
ne devienne loi, à supposer qu'elle soit recomman-
dée. Comme le juge Dickson (tel était alors son titre)
l'a déclaré dans l'arrêt Operation Dismantle Inc. et
autres c. La Reine et autres, [ 1985] 1 R.C.S. 441, à la
page 457 (bien qu'il fût question de jugements décla-
ratoires et d'injonctions):
Comme cette Cour l'a déclaré dans l'arrêt Solosky c. La Reine,
[19801 1 R.C.S. 821, un jugement déclaratoire peut influer sur
des droits éventuels, mais non lorsque le litige en cause est
purement hypothétique.
Le but des discussions multiculturelles imminentes
relatives à la Constitution est d' [TRADUCTION] «ame-
ner la ronde Canada à une conclusion fructueuse». Le
succès dépendra de la mesure dans laquelle on s'en-
tendra sur les propositions relatives aux modifica
tions constitutionnelles à incorporer dans les résolu-
tions parlementaires provisoires. Par conséquent, les
discussions s'inscrivent uniquement dans le cadre du
processus législatif, dans lequel les tribunaux ne
devraient pas s'immiscer.
Dans Renvoi relatif au Régime d'assistance
publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, le
juge Sopinka a déclaré ceci:
La rédaction et le dépôt d'un projet de loi font partie du pro-
cessus législatif dans lequel les tribunaux ne s'immiscent pas.
... il n'appartient pas aux tribunaux judiciaires d'intercaler
dans le processus législatif d'autres exigences procédurales.
Voici une autre raison de refuser de délivrer un
bref de prohibition à ce stade.
Pour ces motifs, la demande présentée par les
requérantes est rejetée avec dépens, si ceux-ci sont
demandés.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.