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T-627-92
Native Women's Association of Canada, Gail Stacey -Moore et Sharon Mclvor (requérantes)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
et
Le Conseil national des autochtones du Canada, le Ralliement national des Métis et La Inuit Tapirisat du Canada (intervenants)
RÉPERTORIE. NATIVE WOMEN'SASSN. OF CANADA C. CANADA Ore /NST.)
Section de première instance, juge suppléant Walsh— Ottawa, 25 et 30 mars 1992.
Droit constitutionnel Charte des droits Libertés fonda- mentales Liberté d'expression Le fait que le gouverne- ment finance quatre groupes autochtones nationaux à prédomi- nance masculine qui soutiennent que la Charte ne devrait pas s'appliquer en matière d'autonomie gouvernementale des autochtones, mais ne finance pas les requérantes, qui forment un groupement féminin autochtone, et des groupes favorables à la Charte, ne constitue pas une violation de l'art. 2b) de la Charte (qui garantit la liberté d'expression) Les requé- rantes auront de nombreuses occasions de faire connaître leur point de vue Il a été jugé que si la liberté d'expression con- férait à chacun le droit de participer aux discussions relatives à la modification de la Constitution, le processus serait para- lysé.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'éga- lité Le fait que l'État finance quatre groupes autochtones nationaux à prédominance masculine qui soutiennent que la Charte ne devrait pas s'appliquer en matière d'autonomie gou- vernementale des autochtones, mais ne finance pas la Native Women's Association et des groupes favorables à la Charte, ne constitue pas de la discrimination fondée sur le sexe, en viola tion des art. 15 et 28 de la Charte Le gouvernement exerce son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il décide, à tort ou à raison, que les associations autochtones nationales représentent les personnes des deux sexes.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Prohibition Les requérantes demandent une ordonnance de prohibition empêchant le gouvernement de verser toute autre somme à des groupes autochtones nationaux, qui soutiennent que la Charte ne devrait pas s'appliquer en matière d'autonomie gouverne- mentale des autochtones, tant que les requérantes n'auront pas reçu une somme égale et ne seront pas représentées aux dis cussions constitutionnelles afin de promouvoir leur position en faveur de la Charte Le financement de groupes à prédomi- nance masculine et l'omission de reconnaître les femmes
autochtones à titre de groupe distinct ne constitue pas une vio lation de l'obligation d'agir d'une manière équitable La décision selon laquelle les associations autochtones nationales représentent les personnes des deux sexes n'est pas injuste du simple fait que les arguments invoqués à l'encontre sont rejetés Il est impossible d'obtenir un jugement déclaratoire lorsque le litige est purement hypothétique La perte de la protection de la Charte est simplement hypothétique La rédaction et le dépôt d'un projet de loi s'inscrivent dans le cadre du processus législatif, dans lequel les tribunaux ne s'immiscent pas.
Peuples autochtones La Native Women's Association demande la délivrance d'une ordonnance de prohibition empê- chant le gouvernement de verser des sommes d'argent à des organisations autochtones qui seraient apparemment à prédo- minance masculine, et qui s'opposent à l'application de la Charte en matière d'autonomie gouvernementale des autoch- tones L'Association demande à être financée et à participer aux conférences constitutionnelles afin de promouvoir l'égalité des femmes autochtones Les requérantes s'appuient sur les art. 2b), 15 et 28 de la Charte Le présumé traitement inégal des femmes autochtones par les hommes autochtones n'est pas une question qu'il convient d'examiner en l'espèce Les organisations subventionnées peuvent intervenir car elles ont des intérêts financiers à protéger et sont en mesure de fournir des renseignements que Sa Majesté n'aurait pas pu fournir Le gouvernement a soutenu que les associations autochtones représentent les personnes des deux sexes La position des organisations autochtones à l'égard de la Charte est examinée Les requérantes ne se sont pas vu refuser le droit de faire connaître leur point de vue Elles ne sont pas victimes de discrimination fondée sur le sexe pour le simple motif que l'État ne les reconnaît pas en tant que groupe distinct Les inquiétudes des requérantes sont purement hypothétiques puis- que le résultat des discussions constitutionnelles est incertain.
Pratique Parties Intervention Demande d'ordon- nance de prohibition empêchant le gouvernement de verser toute autre somme aux groupes autochtones non désignés à titre d'intimés en vertu de l'accord de contribution de 1991 La requête en intervention est accueillie, mais sans les dépens, étant donné que les interventions ne sont pas d'une grande uti- lité La documentation concrète à la disposition des interve- nants pourrait être utile à la Cour La décision pourrait influer sur les droits conférés par les accords existants et futurs.
Il s'agissait d'une demande d'ordonnance de prohibition visant à empêcher le gouvernement de débourser d'autres sommes, en vertu de l'accord de contribution de 1991, tant que celui-ci n'aurait pas versé à la Native Women's Association of Canada (la NWAC) des sommes égales à celles qui sont ver sées à chacun des quatre groupes autochtones nationaux con- formément à cet accord, et tant que la NWAC ne se serait pas vu conférer le droit d'être également représentée aux discus sions relatives à la modification de la Constitution. Les requé- rantes ont soutenu que les groupes bénéficiaires étaient des groupes à prédominance masculine et qu'ils ne représentaient pas adéquatement le point de vue des femmes autochtones
dans les discussions constitutionnelles. Elles ont soutenu qu'en finançant les quatre groupes bénéficiaires, le gouvernement aide à propager l'idée selon laquelle la Charte ne devrait pas s'appliquer aux activités en matière d'autonomie gouverne- mentale des autochtones. Les requérantes et d'autres groupe- ments féminins autochtones demandent à être également financés et à participer aux discussions afin de préconiser le point de vue selon lequel la Charte devrait continuer à s'appli- quer afin de sauvegarder et de promouvoir l'égalité des femmes autochtones. En versant des sommes d'argent aux quatre groupes bénéficiaires sans fournir des sommes équiva- lentes aux requérantes et à d'autres groupements féminins autochtones favorables à la Charte, en vue de leur permettre d'exprimer leur opinion, le gouvernement violerait apparem- ment l'alinéa 2b) (qui garantit la liberté d'expression), l'ar- ticle 15 (qui garantit l'égalité devant la loi et l'égalité de béné- fice et de protection de la loi et interdit la discrimination fondée sur l'«origine ethnique» ou sur le «sexe») et l'article 28 de la Charte (qui garantit que les droits reconnus par la Charte s'appliquent également aux personnes des deux sexes). Il a également été soutenu que le gouvernement violait le para- graphe 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui garantit également aux personnes des deux sexes les droits existants, ancestraux ou issus d'un traité.
Il s'agissait de savoir (1) si le partage inégal des fonds cons- tituait une violation de la Charte; (2) si la Cour devait interve- nir au moyen d'une ordonnance de prohibition en vue d'annu- ler une décision discrétionnaire de nature administrative concernant le déboursement des deniers publics; et (3) si la Cour devait exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à empêcher une simple recommandation d'être faite.
Les quatre groupes bénéficiaires n'ont pas été désignés à titre d'intimés. Trois d'entre eux ont demandé à intervenir au début de l'audience.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
La justice fondamentale exigeait que les trois groupes béné- ficiaires soient désignés à titre de parties parce qu'ils avaient des intérêts financiers fondamentaux dans l'accord de contri bution qui était attaqué en l'espèce, bien que deux groupes eus- sent déjà reçu les pleins montants qui leur étaient attribués en vertu de l'accord de contribution de 1991. En outre, les inter- venants éventuels étaient en mesure de fournir à la Cour des renseignements concrets que l'intimée n'aurait pas pu fournir. Toutefois, étant donné que les interventions n'étaient pas d'une grande utilité, les intervenants ne devaient pas se voir adjuger les dépens.
Les requérantes n'ont pas été privées de la liberté de parole. Plus on mettrait de l'argent à leur disposition, plus elles pour- raient se faire entendre, mais elles ont eu et continueront à avoir de nombreuses occasions de faire connaître leur point de vue. Juger que la liberté d'expression confère à chacun le droit de parole lorsqu'il s'agit d'examiner les propositions relatives à la modification de la Constitution paralyserait le processus.
Quant à la discrimination fondée sur le sexe, la NWAC a reçu des sommes minimes non parce qu'elle est composée de femmes, mais parce que le gouvernement ne veut pas recon-
naître qu'elle devrait être considérée comme un groupe distinct au sein de la collectivité autochtone. La chose ne constitue pas de la discrimination fondée sur le sexe.
La Cour est compétente pour décerner une ordonnance de prohibition en l'espèce, mais elle ne devrait pas exercer ce droit. Le choix des groupes considérés comme représentant d'une manière générale les peuples autochtones dans leur ensemble aux fins des discussions n'avait rien d'injuste ou de contraire à la justice naturelle. La décision de ne pas recon- naître la NWAC comme «distincte» n'était pas injuste ou con- traire à la justice naturelle du simple fait que les arguments invoqués à l'encontre n'étaient pas retenus. La NWAC avait été entendue et il a été décidé—à tort ou à raison—que les associations autochtones nationales représentaient les per- sonnes des deux sexes. Aucun règlement n'est violé lorsque des décisions relatives au financement et à la représentation sont prises, puisqu'il s'agit de questions relevant du pouvoir discrétionnaire des décideurs.
La perte de la protection fournie par la Charte est hypothé- tique car elle ne se produira que si les participants aux discus sions constitutionnelles retiennent les arguments des groupes préconisant que la Charte ne s'applique pas en matière d'auto- nomie gouvernementale des autochtones et si des résolutions à cet effet sont par la suite adoptées. Les requérantes auront d'autres occasions d'exprimer leurs préoccupations avant que pareille modification ne devienne loi. Un jugement déclaratoire peut influer sur des droits éventuels mais non lorsque le litige est purement hypothétique. Les discussions s'inscrivent uni- quement dans le cadre du processus législatif dans lequel les tribunaux ne devraient pas s'immiscer. La rédaction et le dépôt d'un projet de loi s'inscrivent dans le cadre du processus légis- latif. Il n'appartient pas aux tribunaux d'introduire d'autres exigences procédurales dans le processus législatif.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de /982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2b), 15, 28.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appen- dice II, 44], art. 35 (mod. par TR/84-102, art. 2).
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. 1-5.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1602 (mod. par DORS/92-43, art. 19).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat qf Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304; Martineau c. Comité de discipline de l'Insti- tution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106 D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; 13 C.R. (3d) 1; 15 C.R. (3d) 315; 30 N.R. 119; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985),
18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1; Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; (1991), 83 D.L.R. (4th) 297; [1991] 6 W.W.R. 1; 58 B.C.L.R. (2d) 1; 127 N.R. 161.
DÉCISION EXAMINÉE:
Federation of Saskatchewan Indians Inc. et al. v. The Queen et al., juge Krever, jugement en date du 29 mars 1985, non publié.
DÉCISIONS CITÉES:
Fédération canadienne de la faune Inc. et autres c. Canada (Ministre de l'Environnement) et Saskatchewan Water Corp. (1989), 26 F.R.T. 241 (C.F. Ire inst.); Pacific Salmon Industries Inc. c. La Reine, [1985] 1 C.F. 504; (1984), 3 C.P.R. (3d) 289 (ire inst.).
DOCTRINE
Canada. Rapport du comité mixte spécial sur le renouvel- lement du Canada. Ottawa, Groupe Communication Canada -Edition, Approvisionnements et Services Canada, 1992 (Coprésidents: L'hon. Gérald A. Beau- doin, sénateur et Dorothy Dobbie, députée).
DEMANDE d'ordonnance de prohibition visant à empêcher le déboursement d'autres sommes en vertu de l'accord de contribution de financement de 1991. Demande rejetée.
AVOCATS:
Mary Eberts pour les requérantes.
Graham R. Garton pour l'intimée.
Ian G. Scott, c.r., pour le Conseil national des
autochtones du Canada, intervenant.
John D. Richard, c. r., pour le Ralliement natio
nal des Métis, intervenant.
Dougald E. Brown pour la Inuit Tapirisat du
Canada, intervenante.
PROCUREURS:
Tory Tory DesLauriers & Binnington, Toronto,
pour les requérantes.
Le sous-procureur general du Canada pour l'in-
timée.
Cowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour le Conseil national des autochtones du Canada, intervenant.
Lang, Michener, Honeywell, Wotherspoon, Ottawa, pour le Ralliement national des Métis, intervenant.
Nelligan/Power, Ottawa, pour la Inuit Tapirisat du Canada, intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT WALSH: Les requérantes deman- dent:
1. Une ordonnance de prohibition empêchant le gou- vernement du Canada, agissant par l'entremise du Secrétariat d'État, de débourser toute autre somme en vertu de l'accord de contribution de financement de 1991 visé par le Programme de révision des affaires constitutionnelles des autochtones (1'«accord de con tribution»)
(i) tant qu'il n'aura pas versé à la Native Women's Association of Canada une somme égale à celle qu'il verse à l'Assemblée des premières nations, au Conseil national des autochtones du Canada, au Ralliement national des Métis et à la Inuit Tapirisat du Canada («les quatre groupes bénéficiaires») conformément à cet accord, et aux mêmes condi tions; et
(ii) tant qu'il n'aura pas conféré à la Native Women's Association of Canada le droit de partici- per au processus de révision de la Constitution aux mêmes conditions et de la même façon que les quatre groupes bénéficiaires, et notamment le droit de participer à toute réunion ou conférence des premiers ministres afin de discuter du renouvelle- ment de la Constitution qui aura lieu pendant les deux années à venir.
Les motifs de la requête sont énoncés passable- ment au complet dans celle-ci et seront examinés en même temps que l'argumentation. On peut les résu- mer en disant que les requérantes croient que le gou- vernement du Canada se propose, en vertu de l'ac- cord de contribution, de verser des sommes aux quatre groupes avant le ler avril 1992, ce qui aura pour effet de leur fournir des ressources pour encou- rager leur participation aux discussions liées au renouvellement de la Constitution qui ont maintenant lieu au Canada entre les divers gouvernements, et que certains des quatre groupes bénéficiaires soutiennent que la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]]
ne devrait pas s'appliquer aux activités en matière d'autonomie gouvernementale des autochtones dans le cadre de quelque reconfiguration proposée de la Constitution canadienne. Il est soutenu qu'en finan- çant les quatre groupes bénéficiaires aux fins des dis cussions liées au renouvellement de la Constitution qui ont maintenant lieu, le gouvernement du Canada aide certains d'entre eux à propager l'idée selon laquelle ladite Charte des droits et libertés ne devrait pas s'appliquer aux activités en matière d'autonomie gouvernementale des autochtones, alors que les requérantes et les autres groupements féminins autochtones ont également besoin d'être financés et de participer aux dites discussions puisque, à leur avis, il est essentiel que ladite Charte continue à s'ap- pliquer afin de sauvegarder et de promouvoir l'égalité des femmes autochtones. Il est soutenu que le gou- vernement du Canada a par le passé manifesté sa pré- férence pour le point de vue de groupes autochtones à prédominance masculine sur les questions liées à l'égalité de la femme et qu'en versant de l'argent aux quatre groupes bénéficiaires sans également aider les requérantes et les autres groupements féminins autochtones favorables à la Charte à exprimer leur opinion, le gouvernement du Canada enfreint la Charte, qui le lie, et contrevient à l'article 28, selon lequel les droits mentionnés dans la Charte sont garantis également aux personnes des deux sexes, puisqu'il prive les groupes non subventionnés d'une occasion comparable de gagner l'opinion publique à leurs idées. Il est en outre soutenu que cela viole le paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985); appendice II, no 44] (mod. par TR/84-102, art. 2)] qui, sous la rubrique intitulée Droits des peuples autochtones du Canada, dit que les droits existants—ancestraux ou issus de traités—des peuples autochtones du Canada visés au para- graphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes. De plus, selon les requérantes, l'ar- ticle 15 de la Charte, qui interdit entre autres la dis crimination fondée sur le sexe ou sur l'origine natio- nale et ethnique, garantit l'égalité devant la loi, qui serait apparemment violée si l'on déboursait des sommes d'argent afin d'encourager la défense d'une cause visant à assurer l'abrogation des droits et libertés garantis par la Charte. Dans leur argumenta tion, les requérantes concluent qu'en déboursant ces
fonds, le gouvernement du Canada agit d'une manière inconstitutionnelle et, puisqu'il n'a pas com- pétence pour débourser lesdits fonds, une ordonnance de prohibition est demandée en vue d'empêcher la chose.
La demande est étayée par deux affidavits bien rédigés, l'un ayant été souscrit par Gail Stacey - Moore, directrice générale élue de la Native Women's Association of Canada, et l'autre par Sha- ron Mclvor, membre du bureau de la Native Women's Association of Canada pour la région de l'Ouest, qui participent au mouvement des femmes autochtones depuis 1978. Les deux requérantes sont exceptionnellement bien qualifiées pour souscrire ces affidavits; en particulier, l'affidavit volumineux de Gail Stacey -Moore est en somme un historique du mouvement autochtone indien au Canada, soulignant, avec maintes pièces à l'appui, les injustices perçues de la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985), ch. I-5] telle qu'elle s'applique aux femmes ainsi que le traitement inégal et injuste dont celles-ci sont victimes entre les mains des Indiens de sexe masculin des diverses bandes.
Au début de l'audience, la Cour a clairement fait savoir que le présumé traitement inégal et injuste des femmes autochtones par les hommes autochtones n'est pas une question qu'il convient d'examiner dans cette procédure, qui doit être limitée à la question de la constitutionnalité dudit partage inégal des fonds entre les groupes autochtones à prédominance mascu line et les groupes qui représentent les femmes autochtones ainsi qu'à la question de la violation pos sible de la Charte des droits et libertés qui en décou- lerait, de sorte qu'il s'agira de savoir si, même en supposant et en reconnaissant que les femmes autoch- tones ne sont pas, dans bien des cas, traitées de la même façon que les hommes autochtones dans la société autochtone et qu'elles veulent donc continuer à bénéficier de la protection fournie par la Charte des droits en ce qui concerne l'égalité de traitement, le fait que les fonds ne sont pas partagés également constitue une violation de la Charte.
Des arguments subsidiaires importants portent sur la question de savoir si la Cour doit intervenir au moyen d'une ordonnance de prohibition en vue d'an- nuler une décision discrétionnaire de nature adminis-
trative concernant le déboursement des deniers publics; une troisième question est celle de savoir si, même si la Cour a le pouvoir discrétionnaire de ren- dre pareille ordonnance, ce pouvoir devrait être exercé lorsqu'il semble que l'ordonnance est deman- dée en vue d'empêcher qu'une recommandation pos sible défavorable aux intérêts des requérantes soit faite par suite des travaux relatifs au renouvellement de la Constitution qui sont sur le point de commen- cer, recommandation qui, même si elle était faite, n'aurait aucunement un caractère définitif tant qu'elle n'aurait pas été adoptée et sanctionnée par une loi, soit en d'autres termes, en vue d'empêcher dès le début que pareille recommandation soit faite. Cette critique du financement sera apparemment utile lors- qu'il s'agira d'examiner les arguments en faveur de pareille recommandation (ou d'un accord en vue d'une telle recommandation, si les parties aux discus sions en conviennent), et est clairement faite à titre préventif.
INTERVENTIONS
La requête ne désignait pas comme parties inti- mées l'Assemblée des premières nations, le Conseil national des autochtones du Canada, le Ralliement national des Métis et la Inuit Tapirisat du Canada, bien que l'ordonnance demandée vise à empêcher toute autre distribution de fonds à ces groupes en vertu de l'accord de contribution de financement de 1991 visé par le Programme de révision des affaires constitutionnelles des autochtones tant que des fonds n'auront pas été versés aux requérantes aux mêmes conditions. De toute évidence, les intervenants ont donc des intérêts financiers à protéger.
Par conséquent, des requêtes visant à l'obtention de l'autorisation d'intervenir ont été présentées au début de l'audience pour le compte de trois groupes, soit le Conseil national des autochtones du Canada, le Ralliement national des Métis et la Inuit Tapirisat du Canada. L'Assemblée des premières nations n'a pas présenté de requête en ce sens. Les requérantes se sont opposées à ces interventions.
Avant les modifications récemment apportées aux Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663], les arrêts faisant autorité en matière d'intervention disaient qu'il n'était pas simplement suffisant que l'intervenant ait un intérêt réel dans le résultat, mais
qu'il devait également être en mesure d'exprimer un point de vue différent de celui que les parties déjà constituées feraient connaître au tribunal. Voir à cet égard l'arrêt Fédération canadienne de la faune Inc. et autres c. Canada (Ministre de l'Environnement) et Saskatchewan Water Corp. (1989), 26 F.T.R. 241 (C.F. lm inst.), à la page 243, dans lequel on men- tionne également en l'approuvant l'arrêt Pacific Sal mon Industries Inc. c. La Reine, [ 1985] 1 C.F. 504 (]re inst.), à la page 510. En l'espèce, il est tout à fait clair que l'intimée s'opposera vigoureusement à l'or- donnance de ne pas distribuer d'autres fonds aux groupes en question, demandée par les requérantes, ce qui est, bien sûr, ce à quoi les intervenants éven- tuels s'opposeront également, de sorte qu'il pourrait bien y avoir un chevauchement inutile des arguments.
On a attiré l'attention de la Cour sur la modifica tion récemment apportée à la Règle 1602 des Règles de la Cour fédérale [mod. par DORS/92-43, art. 19], qui est entrée en vigueur le ler février 1992, et dont le paragraphe (3) est ainsi libellé: «Toute personne inté- ressée qui avait des intérêts opposés à ceux de la par- tie requérante lors de l'instance devant l'office fédé- ral est désignée à titre intimée dans l'avis de requête». Toutefois, cette disposition vise les demandes de contrôle judiciaire de décisions d'un office fédéral; or, l'intimée, Sa Majesté la Reine, ne peut pas être ainsi considérée. Je sais que selon cer- tains arrêts, lorsque Sa Majesté est désignée à titre d'intimée, cela peut comprendre les ministres de la Couronne, mais il est douteux que cela s'étende aux offices fédéraux non désignés, ou à quiconque a signé l'accord de contribution en vertu duquel les fonds sont distribués, de façon que la Règle 1602 s'ap- plique. Il est inutile de déterminer si cette Règle s'ap- plique en l'espèce, étant donné que selon un argu ment additionnel invoqué par l'avocat du Conseil national des autochtones du Canada, même en l'ab- sence de cette règle, la justice fondamentale exige qu'ils soient désignés à titre de parties. Les requé- rantes citent des accords que ceux-ci ont signés et qu'elles cherchent à faire suspendre, mais bien qu'elles leur aient signifié des copies des documents, elles ne les ont pas désignés à titre de parties. Les arrêts auxquels on m'a reporté visent des tiers qui avaient un intérêt dans un litige opposant d'autres personnes, et non une partie qui a elle-même un inté- rêt fondamental qui est attaqué dans la procédure.
En cherchant à intervenir, la Inuit Tapirisat sou- tient qu'elle dispose de certains éléments de preuve concrets différents de ceux des autres, selon lesquels les requérantes ne les représentent pas étant donné que leurs femmes ont leur propre association, qu'elles ne cherchent pas à être financées séparément et que, dans leur société, les femmes ne sont pas désavantagées et ne soutiennent pas qu'elles le sont.
Enfin, l'avocate des requérantes a souligné que l'intimée n'avait pas présenté de documentation par affidavit, mais simplement un exposé écrit des faits et du droit qui doit nécessairement être fondé sur la documentation présentée par les requérantes en ce qui concerne les faits et qu'on ne devrait pas lui permet- tre de tirer parti des affidavits se rapportant aux faits et des arguments invoqués par les intervenants éven- tuels ou des contre-interrogatoires qui ont déjà eu lieu au sujet de ces affidavits. Je suis convaincu que les intervenants éventuels sont en mesure de fournir des renseignements concrets utiles à la Cour lorsqu'il s'agira de trancher l'affaire, et dans bien des cas des renseignements que l'intimée n'aurait pas pu fournir, et que l'intérêt de la justice exige donc que les inter ventions soient autorisées, et que les affidavits, les pièces et les contre-interrogatoires se rapportant aux affidavits soient versés au dossier.
L'avocate des requérantes a soutenu que si les interventions étaient autorisées, on devrait demander à Sa Majesté de payer les dépens y afférents, car des éléments de preuve seraient présentés, ce que l'inti- mée a omis de faire. Le fait que, si ces groupes avaient initialement été désignés à titre d'intimés, aucune requête en intervention n'aurait été nécessaire limite la portée de cet argument. Toutefois, puisque je conclus que les interventions n'ont pas été d'une grande utilité, bien que je ne blâme pas les interve- nants de les avoir présentées, et que j'aurais tiré les mêmes conclusions en tranchant la requête déposée par les requérantes, même en l'absence d'interven- tions, il n'est peut-être pas juste d'adjuger les dépens y afférents, qui s'élèvent à une somme importante, contre les requérantes en l'espèce, à savoir la Native Women's Association of Canada. J'exerce donc mon pouvoir discrétionnaire et j'autorise les interventions, mais sans les dépens.
L'intitulé de la cause sera modifié en conséquence de façon à tenir compte de ces interventions.
LES FAITS
Les faits sur lesquels est fondée cette requête sont énoncés dans les affidavits, les pièces et d'autres documents versés au dossier et en général, ils ne sont pas contestés par les parties.
Un document du gouvernement du Canada en date du 24 septembre 1991, intitulé Bâtir ensemble l'ave- nir du Canada—Propositions mentionne que: «Le gouvernement du Canada propose de modifier la Constitution de manière à consacrer un droit à l'auto- nomie gouvernementale autochtone invocable devant les tribunaux afin de reconnaître l'autorité des autochtones sur leurs propres affaires au sein de la fédération canadienne». Au paragraphe suivant, il est déclaré que «ce droit permettrait de tenir compte des situations différentes dans lesquelles se trouvent les peuples autochtones du Canada et de leurs besoins particuliers, et il serait exercé dans le cadre constitu- tionnel canadien et assujetti à la Charte canadienne des droits et libertés». [C'est moi qui souligne.]
Le Rapport du comité mixte spécial sur le renou- vellement du Canada en date du 24 janvier 1992 (le comité Beaudoin-Dobbie) dit que plusieurs organis- mes autochtones sont en train d'élaborer leur propre charte, dans laquelle l'équilibre entre les droits col- lectifs et les droits individuels serait différent et serait plus conforme à leurs propres traditions, mais que le processus est en cours et que la position définitive des organismes reste à définir. Il est mentionné que «[1]e Comité a entendu l'Association des femmes autochtones du Canada, qui appuie fermement le maintien en vigueur de la charte canadienne. Elle propose par ailleurs que l'autonomie gouvernemen- tale des autochtones soit constitutionnalisée de manière qu'elle s'applique également aux hommes et aux femmes. Le Comité recommande que les libertés et les droits fondamentaux de tous les Canadiens, y compris l'égalité en droit des hommes et des femmes, soient complètement protégés par la Constitution.»
Le 24 janvier 1992, le très honorable Joe Clark, ministre des Affaires constitutionnelles, a répondu à la lettre que Mme Stacey -Moore lui avait envoyée et dans laquelle était énoncée la position de la Native
Women's Association of Canada sur ce point. Il déclare que [TRADUCTION] «le gouvernement du Canada a toujours soutenu que la Charte des droits et libertés devrait s'appliquer aux gouvernements autochtones». Il ajoute que [TRADUCTION] «les propo sitions du gouvernement fédéral réitèrent notre inten tion à cet égard».
Le 19 février 1992, en réponse à la lettre de M m e Stacey -Moore, le premier ministre, le très hono rable Brian Mulroney a réitéré le point de vue selon lequel [TRADUCTION] «le gouvernement du Canada a toujours soutenu que la Charte des droits et libertés devrait s'appliquer aux gouvernements autochtones».
Un affidavit supplémentaire de Gail Stacey -Moore laisse planer un doute sur l'intention du gouverne- ment d'exprimer le point de vue des requérantes à la conférence constitutionnelle à venir. Dans une lettre adressée à Mme Stacey -Moore le 2 mars 1992, le très honorable Joe Clark parle d'une discussion qui avait eu lieu avec elle au sujet de la représentation à la table de conférence et déclare que [TRADUCTION] «les préoccupations dont vous avez fait mention, comme celles qu'ont mentionnées d'autres personnes, doi- vent être examinées au sein de la collectivité autoch- tone elle-même. L'addition d'un autre siège à la table constitutionnelle ne résoudra pas la situation».
Le très honorable Joe Clark déclare que les asso ciations nationales autochtones représentent les per- sonnes des deux sexes au sein de leurs collectivités et demande avec instance à Mme Stacey -Moore de col- laborer avec celles-ci pour veiller à ce que la Native Women's Association of Canada soit entendue et représentée par leur entremise. Il ajoute que c'est pourquoi les accords de financement signés par les associations autochtones nationales stipulent que ces dernières doivent expressément affecter une partie des fonds reçus aux questions féminines autochtones; de plus, le gouvernement a financé certains projets destinés à appuyer des activités précises et le finance- ment futur dépendra de la nature du processus.
Il va sans dire que cette lettre était loin de rassurer les requérantes, qui soutiennent que les associations autochtones au sein de leurs collectivités sont surtout composées d'hommes, de sorte qu'elles ne peuvent pas compter sur ces associations pour faire des repré- sentations adéquates correspondant au point de vue
des femmes autochtones dans la ronde à venir de dis cussions constitutionnelles, et que les fonds qui leur sont alloués par ces groupes sont fort peu importants par rapport aux montants que ces derniers ont reçus.
Les faits à l'appui de ces prétentions sont qu'à la Conférence autochtone sur la constitution, qui a eu lieu à Ottawa du 13 au 15 mars 1992, parmi les 184 délégués, la Native Women's Association of Canada ne comptait que huit sièges et quatre observa- trices. Quatre des huit sièges, qui n'avaient pas initia- lement été attribués, ont été obtenus du Conseil natio nal des autochtones du Canada, et les autres du complément du gouvernement du Canada. Quant au financement, des 10 000 000 $ alloués aux quatre groupes d'intérêt en vertu des accords de contribu tion, la Native Women's Association of Canada a reçu 130 000 $ de l'Assemblée des premières nations et 130 000 $ du Conseil national des autochtones du Canada, soit au total 260 000 $. Il est reconnu que des subventions de base sont également reçues du Secrétariat d'État pour le fonctionnement du bureau et les services de quatre employés, mais qu'aucune de ces sommes n'est consacrée aux fins constitution- nelles, et qu'une subvention a également été reçue du Secrétariat d'État pour le financement d'une étude de la Charte canadienne des droits et libertés. L'intimée fait mention de subventions totales de 300 000 $ directement accordées par le gouvernement, en plus des 260 000 $ remis à l'aide des 10 000 000 $ accordés aux quatre groupes financés. Quoi qu'il en soit, il n'est pas contesté que les fonds qu'elles ont reçus, qui représentent 5 % des montants accordés aux quatre groupes financés mentionnés dans la demande en l'espèce, sont comparativement fort peu importants, étant donné en particulier qu'il est allégué que les femmes représentent 52 % des autochtones.
L'intimée soutient qu'un grand nombre de ques tions doivent être examinées à la prochaine confé- rence, et notamment la question de savoir si la Charte continuera à s'appliquer aux gouvernements autoch- tones si jamais les groupes autochtones se voyaient conférer une certaine autonomie gouvernementale, alors que la question de la Charte est la seule qui semble préoccuper les requérantes en l'espèce ou sur laquelle ces dernières veulent exprimer un point de vue qui est peut-être contraire à celui de certains au
moins des quatre groupes financés pour représenter les autochtones, et que cela expliquerait la différence entre les montants accordés. Les représentantes de la Native Women's Association of Canada rétorquent que leur participation n'est pas limitée à la seule question de la Charte, puisqu'elles ont le droit d'exa- miner toutes les questions à l'étude. Il est intéressant de noter que lorsque les accords de financement ont été signés avec les quatre groupes, lesquels étaient destinés à fournir des fonds à ces derniers de façon à leur permettre de participer aux études et conférences relatives au renouvellement de la Constitution (accords qui n'ont pas été produits), cela se passait plusieurs mois avant le 11 mars 1992, date à laquelle il a été recommandé que les peuples autochtones soient invités à participer pleinement au processus constitutionnel convenu. Par conséquent, on ne peut pas dire que les fonds visaient expressément à per- mettre aux groupes en cause de participer à la pro- chaine conférence.
Quoi qu'il en soit, tout examen du caractère adé- quat du financement ou de la représentation doit dépendre de la détermination des questions de droit liées à la violation possible de la Charte du fait que la Native Women's Association of Canada n'est pas reconnue à titre de groupe distinct dont les intérêts ne sont pas pleinement représentés par les quatre groupes financés et qu'elle n'a pas le droit d'être représentée et financée de la même façon.
Pendant l'examen des demandes visant à l'obten- tion de l'autorisation d'intervenir, la Native Women's Association of Canada a souligné que deux des groupes, soit l'Assemblée des premières nations et le Ralliement national des Métis, avaient déjà reçu les pleins montants qui leur étaient attribués en vertu de l'accord de contribution de 1991 et qu'ils n'ont donc pas intérêt à intervenir dans cette requête, mais que le Conseil national des autochtones du Canada et la Inuit Tapirisat ont encore des fonds qui leur revien- nent aux termes de l'accord. (Il importe de se rappe- ler que l'Assemblée des premières nations n'a pas cherché à intervenir.) Cet argument a été pleinement examiné à ce stade-là de la procédure, mais toutes les interventions ont été autorisées puisqu'on estimait que la documentation concrète que ces groupes pour- raient fournir serait utile et, en outre, que la décision
rendue à l'égard de cette requête pourrait bien influer sur les droits des quatre groupes lorsqu'il s'agira de partager les fonds en vertu d'accords futurs, et notamment de l'accord relatif à l'exercice 1992-1993 maintenant à l'étude.
Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une arme à double tranchant, car si deux des groupes ont déjà reçu tous les fonds attribués en vertu de l'accord de contribu tion de 1991, on pourrait se demander pourquoi les requérantes demandent qu'une ordonnance soit ren- due contre eux. Il est évident, et je crois que les requérantes reconnaîtraient, que ce qui leur importe le plus et ce qu'elles cherchent à obtenir est une con clusion selon laquelle elles forment réellement un cinquième groupe qui a le droit de recevoir un mon- tant équivalent à celui qui est versé à chacun des quatre groupes, composés surtout d'hommes, selon elles, et qui ne les représentent pas adéquatement, et en outre qu'elles ont le droit d'être représentées de la même façon aux conférences relatives aux projets de modifications constitutionnelles visant les autoch- tones et en particulier les femmes autochtones. Pareille conclusion s'appliquerait alors lorsque les accords de contribution futurs seraient à l'étude.
Quant à la position que les quatre groupes en cause doivent prendre à la prochaine conférence selon les requérantes, ces dernières craignent principalement celle que l'Assemblée des premières nations prendra. Il est allégué que ce groupe croit fermement que la Charte canadienne des droits et libertés ne devrait pas s'appliquer en matière d'autonomie gouverne- mentale des autochtones. En effet, ce groupe s'inté- resse à l'établissement d'une charte autochtone des droits et s'oppose à toute charte qui leur serait impo sée par des tiers.
Le Ralliement national des Métis appuie le main- tien de la Charte canadienne.
La Inuit Tapirisat est prête à envisager l'applica- tion de la Charte canadienne des droits et libertés aux dispositions relatives à l'autonomie gouverne- mentale que les Inuit pourront négocier avec le gou- vernement du Canada, et leur groupement féminin participera pleinement à toute discussion relative au maintien de la Charte.
La position du Conseil national des autochtones du Canada est un peu plus équivoque. Selon le Conseil, la Charte canadienne des droits et libertés devrait s'appliquer aux gouvernements visés par la Loi sur les Indiens, mais les activités liées à l'autonomie gou- vernementale relèvent uniquement des gouverne- ments autochtones en question. Le Conseil ne laisse pas entendre que la Charte ne devrait pas s'appliquer, mais que la chose relève des nations elles-mêmes.
Je ne veux aucunement tenter de prédire quelles discussions auront lieu à la conférence, en ce qui con- cerne la question de la Charte, ou le contenu de ces discussions, mais il ressort de ces déclarations de fait que, quelle que soit la recommandation qui pourra être faite au sujet de l'autonomie gouvernementale des autochtones, le maintien de la Charte canadienne des droits et libertés sera l'un des sujets que certains participants du moins, y compris fort probablement les représentants du gouvernement du Canada, exa- mineront et appuieront, bien qu'il existe peut-être un certain doute au sujet de la position que ceux-ci pren- dront à l'égard de la Charte, compte tenu de la lettre récente de l'honorable Joe Clark, en date du 2 mars 1992, dont j'ai déjà fait mention et dans laquelle ce dernier laisse entendre que les questions soulevées par la Native Women's Association of Canada doi- vent être examinées au sein de la collectivité autoch- tone elle-même et déclare que les associations autochtones représentent les personnes des deux sexes de leurs collectivités et que la Native Women's Association of Canada devrait collaborer avec ces associations pour veiller à être représentée et enten- due.
CONCLUSIONS DE DROIT
Il n'y a pas de doute, et il ne peut pas y avoir de doute, que les requérantes en l'espèce bénéficient de tous les droits mentionnés dans la Charte canadienne des droits et libertés, et notamment de la «liberté d'expression» reconnue à l'alinéa 2b) ainsi que de l'égalité devant la loi et de l'égalité de bénéfice et de protection de la loi prévues par l'article 15, sans dis crimination fondée sur 1' «origine ethnique» ou sur le «sexe». L'article 28 garantit ces droits également aux personnes des deux sexes. Selon le paragraphe 35(4) de la Partie II de la Loi constitutionnelle de 1982, les droits existants—ancestraux ou issus de traités—des
peuples autochtones sont garantis également aux per- sonnes des deux sexes.
Les requérantes veulent appliquer ces principes incontestés aux faits de l'espèce. A cet égard, il a été reconnu aux fins de cette requête, mais non à titre de conclusion, que dans les sociétés autochtones, ou du moins dans un nombre important de sociétés autoch- tones, les hommes ne traitent pas les femmes sur un pied d'égalité, que les femmes sont désavantagées, qu'elles ne partagent pas toujours les opinions des hommes et qu'elles ne peuvent pas compter sur eux pour faire connaître leur point de vue aux confé- rences comme celles qui sont sur le point d'avoir lieu. Il a également été reconnu qu'elles reçoivent une partie minime des fonds que l'État met à la dis position des quatre groupes qui, selon elles, ne repré- sentent pas adéquatement leurs intérêts. (Je tiens à répéter ici qu'au moins un des groupes, la Inuit Tapi- risat, s'oppose avec véhémence à ce que ces supposi tions soient faites, ne serait-ce qu'en vue de débattre l'affaire, et souligne que leur société est tout à fait différente de celle des autres groupes (ou associa tions) autochtones désignés, que, dans leur société, les femmes ne sont pas désavantagées et qu'elles ne cherchent pas à être financées ou représentées séparé- ment.)
Les requérantes soutiennent que si elles ne sont pas reconnues à titre de groupe dont les intérêts sont séparés et distincts de ceux des groupes masculins choisis pour participer aux conférences et les repré- senter, de sorte qu'elles ne reçoivent pas de fonds équivalents, leur point de vue ne peut pas être exprimé comme il convient et qu'on porte ainsi atteinte à la liberté de parole.
Compte tenu des faits, il est évident que la Native Women's Association of Canada a eu et continuera à avoir de nombreuses occasions de faire connaître son point de vue, tant aux autorités politiques compé- tentes qu'au public, et même aux groupes qui partici- peront à la conférence, dont certains du moins parta- gent la préoccupation de cette association en ce qui concerne le maintien de l'application de la Charte aux peuples autochtones. Sans aucun doute, plus on mettra d'argent à la disposition de ce groupe, plus il élèvera la voix, mais on ne peut certainement pas dire
qu'il est privé de la liberté de parole en violation de la Charte.
Comme l'avocat de l'intimée le souligne, tout indi- vidu ou tout groupe d'intérêt pourrait s'appuyer sur la liberté d'expression pour justifier sa présence à la table de réunion, et le processus serait paralysé s'il était jugé que la liberté d'expression confère à chacun le droit de parole lorsqu'il s'agit d'examiner les pro positions relatives à la modification de la Constitu tion.
Par conséquent, je ne conclus pas que la liberté d'expression garantie aux requérantes par la Charte a été violée.
Quant à la discrimination fondée sur le sexe, la Native Women's Association of Canada a reçu des sommes minimes non parce qu'elle est composée de femmes, mais parce que le gouvernement ne veut pas reconnaître qu'elle devrait être considérée comme un groupe distinct des quatre groupes désignés au sein de la collectivité autochtone et qu'elle devrait être traitée en conséquence. La question de savoir si cela va à l'encontre de la justice naturelle sera examinée en même temps qu'un autre argument lié à l'ordon- nance de prohibition, mais la chose ne constitue pas en soi de la discrimination fondée sur le sexe en vio lation de la Charte.
Cela nous amène à une autre question, à savoir si la Cour est compétente pour délivrer un bref de pro hibition en l'espèce. Compte tenu des faits et puisque l'accord de contribution n'a pas été produit, on ne sait pas exactement qui a pris ou qui prend les déci- sions relatives au partage des fonds. Apparemment, cela relève du Secrétariat d'État. Il importe peut-être peu que le partage soit fait par un ministre ou des ministres du cabinet fédéral ou par le cabinet fédéral. Le principe selon lequel il n'existe aucune immunité à l'égard des décrets illicitement pris a été énoncé dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, dans lequel le juge Estey a fait remarquer ceci, à la page 748:
Il faut dire tout de suite que la simple attribution par la loi d'un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son exercice échappe à toute révision.
À la page 752 du même jugement, il est déclaré ceci:
Il est inutile, à mon avis, d'essayer de classer l'action du gouverneur en conseil ou sa fonction ... dans l'une des caté- gories traditionnelles établies en droit administratif.
et:
... à mon avis, l'essentiel du principe de droit applicable en l'espèce est simplement que dans l'exercice d'un pouvoir con- féré par la loi, le gouverneur en conseil, comme n'importe quelle autre personne ou groupe de personnes, doit respecter les limites de la loi édictée par le Parlement ...
Il n'est pas contesté que la Cour a compétence pour réviser ou infirmer les décisions que les minis- tres du cabinet ont prises en violation de la loi.
Il n'est pas non plus contesté que le décideur est tenu d'agir d'une manière équitable et conformément à la justice naturelle lorsqu'il prend sa décision. L'ar- rêt Martineau-Matsqui [Martineau c. Comité de dis cipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602] et d'autres arrêts sont allés plus loin que l'an- cienne doctrine, selon laquelle il fallait permettre aux deux parties de se faire entendre, en y incluant l'obli- gation d'agir d'une manière équitable, et la ligne de démarcation entre les décisions quasi judiciaires et les décisions administratives est presque disparue.
Toutefois, dire que la Cour a le droit de délivrer un bref de prohibition en l'espèce ne veut pas dire que ce droit devrait être exercé. Les principales plaintes des requérantes, en ce qui concerne la violation de l'obligation d'agir d'une manière équitable, visent, en premier lieu, la composition des groupes choisis en vue du financement et de la participation à la confé- rence et, en second lieu, l'omission de reconnaître les femmes autochtones à titre de groupe séparé, distinct des groupes financés. La différence entre les sommes accordées est une conséquence de cette omission.
Il est vrai qu'en ce qui concerne la première ques tion, il n'y a dans le dossier aucun élément de preuve au sujet de la façon dont les groupes ont été choisis, des explications n'étant données que dans l'argumen- tation de l'intimée. Toutefois, il faut noter que les requérantes ne disent pas non plus quels autres groupes part, bien sûr, leur propre groupe) auraient mieux représenté les peuples autochtones que les groupes de coordination à larges assises qui ont été
choisis. Dans ses observations écrites, l'intimée déclare que [TRADUCTION] «de toute évidence, les gouvernements ont invité les quatre organisations autochtones nationales à participer pleinement à la discussion parce qu'ils considèrent que ces organisa tions représentent d'une manière générale les peuples autochtones dans leur ensemble et non un groupe par- ticulier». Il a été fait mention de la décision rendue par le juge Krever (tel était alors son titre) dans l'ar- rêt Federation of Saskatchewan Indians Inc. et al. v. The Queen et al. (non publié, jugement en date du 29 mars 1985), dans lequel il est déclaré ceci:
[TRADUCTION] 11 est reconnu que l'art. 37.1(2) de la Loi consti- tutionnelle de 1982 impose au premier ministre l'obligation d'inviter les représentants des peuples autochtones du Canada à cette conférence des premiers ministres. Ce paragraphe ne peut pas raisonnablement être interprété comme obligeant le premier ministre à inviter à la conférence les représentants de tout groupe d'intérêt spécial existant au sein des peuples autochtones du Canada.
et:
[TRADUCTION] Si aucune mauvaise foi n'est manifestée, le choix des personnes aptes à représenter les peuples autochtones est essentiellement un choix politique, c'est-à-dire un choix que les tribunaux ne peuvent pas légitimement faire. Je tiens à répéter qu'il n'y a pas de mauvaise foi et on ne peut pas dire que le choix effectué par le premier ministre va à l'encontre de la politique et de l'objet de l'art. 37.1 de la Loi constitution- nelle de 1982.
En conclusion, à mon avis, le fait que les quatre groupes en question ont été choisis pour représenter les autochtones à cette conférence n'a rien d'injuste et n'est pas contraire à la justice naturelle.
Quant à la seconde allégation, soit l'omission de reconnaître la Native Women's Association of Canada comme étant «distincte», la position de l'inti- mée est énoncée dans la lettre du très honorable Joe Clark, en date du 2 mars 1992, dont il a déjà été fait mention et dans laquelle, après avoir déclaré que les préoccupations mentionnées par l'association ainsi que par d'autres doivent être examinées au sein de la collectivité autochtone elle-même, le ministre dit que [TRADUCTION] «les associations autochtones natio- nales représentent les personnes des deux sexes au sein de leur collectivité».
En théorie, cette déclaration est peut-être exacte, mais en pratique il n'en va pas nécessairement de même, puisque la Native Women's Association of
Canada a affirmé que les femmes autochtones ont souvent des intérêts différents de ceux des hommes de la collectivité et qu'elles sont maintenues dans une situation inférieure et minoritaire. Toutefois, la posi tion des représentantes de la Native Women's Asso ciation of Canada avait certainement été prise en note et examinée avant que cette lettre ne soit rédigée, et une décision, qu'elle soit correcte ou erronée, n'est pas injuste ou contraire à la justice naturelle du sim ple fait que les arguments invoqués à l'encontre ne sont pas retenus. Aucun règlement n'est violé lorsque les décisions relatives au financement et à la repré- sentation sont prises, puisqu'il s'agit de questions qui relèvent du pouvoir discrétionnaire des décideurs.
Il importe d'examiner une autre question, à savoir si le résultat visé par les requérantes, compte tenu de leur crainte de ne plus bénéficier de la protection fournie par la Charte, est hypothétique. Cela ne se produirait que si les participants aux travaux relatifs à la Constitution acceptaient la position de l'Assemblée des premières nations et d'autres à ce sujet et si, par la suite, des résolutions à cet effet étaient adoptées par le Parlement et par les assemblées législatives. Les requérantes auront d'autres occasions d'exprimer leurs préoccupations avant que pareille modification ne devienne loi, à supposer qu'elle soit recomman- dée. Comme le juge Dickson (tel était alors son titre) l'a déclaré dans l'arrêt Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [ 1985] 1 R.C.S. 441, à la page 457 (bien qu'il fût question de jugements décla- ratoires et d'injonctions):
Comme cette Cour l'a déclaré dans l'arrêt Solosky c. La Reine, [19801 1 R.C.S. 821, un jugement déclaratoire peut influer sur des droits éventuels, mais non lorsque le litige en cause est purement hypothétique.
Le but des discussions multiculturelles imminentes relatives à la Constitution est d' [TRADUCTION] «ame- ner la ronde Canada à une conclusion fructueuse». Le succès dépendra de la mesure dans laquelle on s'en- tendra sur les propositions relatives aux modifica tions constitutionnelles à incorporer dans les résolu- tions parlementaires provisoires. Par conséquent, les discussions s'inscrivent uniquement dans le cadre du processus législatif, dans lequel les tribunaux ne devraient pas s'immiscer.
Dans Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, le juge Sopinka a déclaré ceci:
La rédaction et le dépôt d'un projet de loi font partie du pro- cessus législatif dans lequel les tribunaux ne s'immiscent pas. ... il n'appartient pas aux tribunaux judiciaires d'intercaler dans le processus législatif d'autres exigences procédurales.
Voici une autre raison de refuser de délivrer un bref de prohibition à ce stade.
Pour ces motifs, la demande présentée par les requérantes est rejetée avec dépens, si ceux-ci sont demandés.
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