A-560-91
Alcan Aluminium Limitée, le ministre de
l'Environnement, le ministre des Affaires
indiennes et du Nord canadien, le ministre des
Pêches et des Océans et le ministre des Transports
(appelants)
c.
Le Conseil de la tribu Carrier-Sekani, Marvin
Charlie, chef de la bande indienne Cheslatta, en
son nom propre et au nom de tous les autres
membres de la bande indienne Cheslatta, Maureen
Ogen, chef de la bande indienne de Broman Lake,
en son nom propre et au nom de tous les autres
membres de la bande indienne de Broman Lake,
Geoffrey Thomas, chef de la bande indienne de
Stoney Creek, en son nom propre et au nom de
tous les autres membres de la bande indienne de
Stoney Creek, Peter Quaw, chef de la bande
indienne de Fort George, en son nom propre et au
nom de tous les autres membres de la bande
indienne de Fort George, Ernie Nooski, chef de la
bande indienne de Fraser Lake, en son nom
propre et au nom de tous les autres membres de la
bande indienne de Fraser Lake, Robert Michell,
chef de la bande indienne Stellaquo, en son nom
propre et au nom de tous les autres membres de la
bande indienne Stellaquo, Leonard Thomas, chef
de la bande indienne Necoslie, en son nom propre
et au nom de tous les autres membres de la bande
indienne Necoslie, Edward John, chef de la bande
indienne Tl'azt'en Nation, en son nom propre et
au nom de tous les autres membres de la bande
indienne Tl'azt'en Nation, Roy French, chef de la
bande indienne de Takla Lake, en son nom propre
et au nom de tous les autres membres de la bande
indienne de Takla Lake, Wilf Adam, chef de la
bande indienne de Lake Babine, en son nom
propre et au nom de tous les autres membres de la
bande indienne de Lake Babine, Robert Charlie,
chef de la bande indienne de Burns Lake, en son
nom propre et au nom de tous les autres membres
de la bande indienne de Burns Lake (intimés)
A-561-91
Alcan Aluminium Limitée, le ministre de
l'Environnement, le ministre des Affaires
indiennes et du Nord canadien, le ministre des
Pêches et des Océans et le ministre des Transports
(appelants)
c.
La Save the Bulkley Society, la Nechako Neyenkut
Society, le Syndicat des pêcheurs et travailleurs
assimilés, la B.C. Wildlife Federation, The
Steelhead Society of British Columbia,
l'Association canadienne des travailleurs de
fonderie et ouvriers assimilés (intimés)
RÉPERTORIE: CONSEIL DE LA TRIBU CARRIER-SEKANI C.
CANADA (MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT) (C.A.)
Cour d'appel, juges Heald, Marceau et Linden, J.C.A.
—Vancouver, 16, 17, 18, 19 et 20 décembre 1991 et
8, 9 et 10 avril 1992; Ottawa, 8 mai 1992.
Environnement — Travaux d'achèvement du projet Kemano
(travaux KCP) destinés à accroître la capacité de la centrale
hydro-électrique sur la rivière Nechako pour alimenter une
fonderie d'Alcan à Kitimat — Il échet d'examiner si ces tra-
vaux sont soumis à l'application du Décret sur les lignes direc-
trices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière
d'environnement (Décret sur les lignes directrices) — Arrêté
portant que le Décret sur les lignes directrices ne s'applique
pas aux travaux KCP — Arrêtés d'exemption pris par le minis-
tre des Transports en application de la Loi sur la protection
des eaux navigables et de la Loi sur les pêches — Décision par
la Cour suprême par l'arrêt Oldman River que le Décret sur
les lignes directrices s'applique dans les cas où l'exercice du
pouvoir ou de l'obligation ministériel est nécessaire _à la mise
à exécution du projet — Les exemptions ministérielles ne
représentent pas l'exercice de pareil pouvoir ou obligation —
Une conclusion sur les faits ne constitue pas un exercice de
pouvoir réglementaire.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements
déclaratoires — Saisi de la requête en certiorari contre les
ministres nommés, le juge des requêtes a invalidé l'arrêté —
Délivrance d'ordonnances de certiorari et de mandamus après
instruction des exceptions — Décision déclaratoire de par sa
nature — Il ne peut être question de jugement déclaratoire
contre l'arrêté que dans le cadre d'une action intentée contre
le procureur général — Le certiorari est un recours contre des
mesures administratives, non pas contre des textes législatifs
— D'accorder les ordonnances recherchées sans entendre les
défenses au fond revient à priver les appelants du droit de se
faire entendre.
Droit constitutionnel — Arrêté pris par le gouverneur en
conseil après la promulgation du Décret sur les lignes direc-
trices pour en exempter un projet spécifique — Il échet d'exa-
miner si cet arrêté est inconstitutionnel — Faute de disposition
contraire de la loi d'habilitation, l'autorité investie du pouvoir
réglementaire peut exempter de l'application d'un règlement
qu'elle a pris elle-même.
Il y a en l'espèce appel et appel incident contre la décision
rendue par la Section de première instance sous forme d'or-
donnances de certiorari et de mandamus.
En 1967, Alcan a construit un barrage sur la rivière Nechako
dans la région centre-ouest de la Colombie-Britannique en vue
d'alimenter en électricité sa fonderie à Kitimat. En 1979, le
ministère des Pêches et des Océans a intenté contre Alcan une
action devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique,
action à laquelle a été joint le Procureur général de cette pro
vince, en vue d'assurer un certain débit de l'eau déversée par
ce barrage. L'affaire a été réglée à l'amiable en 1987. En exé-
cution de l'entente de règlement, le gouverneur en conseil a
pris un décret portant obligation pour le ministre des Pêches et
des Océans d'exercer, conformément à cette entente, ses pou-
voirs discrétionnaires pour approuver les travaux d'Alcan sur
la Nechako, et un arrêté (DORS/90-729) portant que le Décret
sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et
d'examen en matière d'environnement ne s'appliquait pas à la
seconde phase de ces travaux, c'est-à-dire les travaux d'achè-
vement du projet Kemano (Kemano Completion Project ou
KCP). Le ministre des Pêches et des Océans a émis, en appli
cation du paragraphe 20(10) de la Loi sur les pêches, l'opinion
que le débit postérieur aux travaux KCP serait suffisant pour
assurer la sécurité et le frai des poissons. De son côté, le minis-
tre des Transports a pris divers arrêtés d'exemption et d'appro-
bation en application de la Loi sur la protection des eaux navi-
gables.
Les intimés cherchent à soumettre les travaux KCP à un exa-
men en règle des répercussions environnementales. Ils avaient
intenté une action devant la Cour fédérale en avril 1988, mais
n'ont pris aucune mesure pour y donner suite après que Alcan
eut déposé sa défense en mai 1989. Les procédures en cours
ont été intentées en octobre 1990 par voie de requêtes en cer-
tiorari et en mandamus contre la signature de l'entente de
règlement, contre les approbations ministérielles et, par modi
fication subséquente des requêtes, contre l'arrêté DORS/90-
729. Les appelants y ont opposé plusieurs exceptions, les-
quelles, après audition, ont été rejetées par le juge des requêtes
qui a aussi fait droit aux requêtes.
Arrêt: les appels devraient être accueillis, l'appel incident
rejeté.
L'appel incident porte sur le défaut, de la part du juge des
requêtes, de citer comme motif d'accueil des demandes les
droits que garantit aux peuples autochtones l'article 35 de la
Loi constitutionnelle de /982; cependant, il ne peut y avoir
appel que contre une décision, non pas contre les motifs de
cette décision.
Un arrêté du gouverneur en conseil ne peut être attaqué en
justice que par action intentée contre le procureur général. Les
ministres nommés dans les demandes ne représentent pas le
gouverneur en conseil. Une ordonnance faisant droit à l'at-
taque contre la constitutionnalité d'un arrêté est déclaratoire de
par sa nature, et la procédure sommaire de la requête introduc-
tive d'instance ne peut servir qu'en vue d'un bref de préroga-
tive, comme le bref de certiorari, et non pas d'un redressement
par voie de jugement déclaratoire. Le bref de certiorari est un
recours pour le contrôle des décisions administratives, non pas
des textes législatifs. Les intimés soutiennent que ce qu'ils
contestent, c'est la recommandation qui a abouti à l'adoption
de l'arrêté, mais cette recommandation ne saurait être contestée
indépendamment de l'arrêté, qui est le seul instrument légal
auquel on puisse donner effet.
L'audition présidée par le juge des requêtes était exclusive-
ment consacrée à l'instruction des exceptions. L'avocat des
appelants n'a pas répondu aux points soulevés dans les
requêtes introductives d'instance, et n'a pu le faire. Il s'ensuit
que les appelants ont été privés du droit de soumettre à la Cour
tous leurs moyens de défense. Le juge des requêtes n'était pas
en droit de rendre les ordonnances en question avant que les
appelants pussent faire pleinement valoir leurs arguments.
Aucune des mesures ministérielles attaquées n'était une
décision de nature à faire tomber les travaux KCP dans le
champ d'application du Décret sur les lignes directrices. Celui-
ci s'applique aux «propositions», lesquelles s'entendent de
«toute entreprise ou activité à l'égard de laquelle le gouverne-
ment du Canada participe à la prise de décision». Les règles
applicables ont été définies par le récent arrêt Friends of the
Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), par
lequel la Cour suprême du Canada a conclu que le Décret sur
les lignes directrices ne reçoit pas application chaque fois
qu'un projet peut comporter des répercussions environnemen-
tales sur un domaine de compétence fédérale. Ce texte s'ap-
plique dans tous les cas od la loi prévoit pour un ministre fédé-
ral le pouvoir et l'obligation de donner ou de refuser la
permission de construire un ouvrage, ou d'imposer des condi
tions sous lesquelles cet ouvrage pourrait être construit, le pro-
moteur n'ayant pas le droit de commencer sans l'autorisation
ministérielle préalable. La signature de l'entente de règlement
par le ministre des Pêches et des Océans ne représentait pas
l'exercice du pouvoir susmentionné. La décision de règlement
représentait l'exercice du pouvoir exécutif du gouverneur en
conseil, sous forme de décret. De même, l'opinion émise que
le débit d'eau prévu était suffisant pour les pêcheries en aval ne
constituait pas une approbation du projet, mais une instruction
sur la manière dont celui-ci devait être mis à exécution pour
satisfaire aux conditions que la loi imposait au propriétaire,
afin que le ministre ne se voie pas dans l'obligation d'interve-
nir. Les déclarations d'exemption faites en application de la
Loi sur la protection des eaux navigables étaient strictement
fondées sur une conclusion sur les faits tirée par le ministre des
Transports, savoir que les ouvrages visés ne gêneraient pas
sérieusement la navigation, et les conséquences de droit à tirer
de cet état de choses sont que le ministre n'a ni pouvoir ni
obligation de réglementation dans le cadre de cette loi. Une
conclusion sur les faits n'est pas une décision rendue dans
l'exercice du pouvoir réglementaire.
L'arrêté DORS/90-729 fait, par son libellé même, obstacle
au redressement recherché par les intimés. Qu'on voie dans cet
arrêté une modification apportée au Décret sur les lignes direc-
trices ou une clarification de sa portée, il était clairement auto-
risé par la loi, en application de l'article 6 de la Loi sur le
ministère de l'Environnement. Le pouvoir d'adopter des règle-
ments s'entend forcément aussi du pouvoir de les clarifier ou
modifier. Si un ministre n'a pas le pouvoir de passer outre à
l'application de la loi, une autorité investie du pouvoir régle-
mentaire est habilitée, sauf disposition contraire de la loi, à
exempter quelqu'un de l'application d'un règlement qu'elle a
pris elle-même. Si le Décret sur les lignes directrices avait pu
comporter une disposition qui exemptait les travaux KCP, le
même résultat pourrait être aussi atteint au moyen d'un texte
réglementaire subséquent. S'il n'y a pas contravention à l'ob-
jectif de la loi, on ne saurait parler de mauvaise foi en ce qui
concerne la promulgation de l'arrêté DORS/90-729. On ne
peut pas dire que le gouvernement a manqué à son obligation
fiduciaire envers les autochtones, sans connaître le contenu
exact de cette obligation. Rien dans le dossier ne permet de
conclure que le gouvernement ne pouvait remplir cette obliga
tion qu'en appliquant le Décret sur les lignes directrices aux
travaux KCP. La doctrine de l'attente légitime ne s'applique
pas en l'espèce puisque aucune autorité n'a fait une promesse
sur laquelle se seraient fondés les intimés. D'ailleurs, cette
doctrine ne s'applique qu'aux questions de procédure adminis
trative; elle n'a aucun rapport avec la question de la validité
d'un texte législatif.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Arrêté sur les lignes directrices visant les travaux d'achè-
vement du projet Kemano, DORS/90-729.
Décret sur les lignes directrices visant le processus d'éva-
luation et d'examen en matière d'environnement,
DORS/84-467.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appen-
dice H, n° 44], art. 35.
Loi de 1979 sur l'organisation du gouvernement, S.C.
1978-79, ch. 13, art. 6.
Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985),
ch. N-22, art. 5(2), 10(2).
Loi sur le ministère de l'Environnement, L.R.C. (1985),
ch. E-10, art. 4, 5, 6.
Loi sur le ministère de l'Environnement, S.R.C. 1970 (2e
suppl.), ch. 14, art. 6 (mod. par S.C. 1978-79, ch. 13,
art. 14).
Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F-14, art. 20(10),
33.1 (édicté par S.R.C. 1970 (1 07 suppl.), ch. 17, art. 3;
S.C. 1976-77, ch. 35, art. 8).
Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, art. 22(3), 37.
Règlement sur les ordonnances relatives au barrage Ken-
ney et au déversoir du lac Skins, DORS/87-723.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 321.1
(édictée par DORS/88-221, art. 7; mod. par DORS/90-
846, art. 8; DORS/92-43, art. 4), 419, 1203 (mod. par
DORS/79-57, art. 20).
Utilities Commission Act, S.B.C. 1980, ch. 60.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre
des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; [1992] 2 W.W.R. 193;
(1992), 7 C.E.L.R. (N.S.) 1.
DÉCISION CITÉE:
Attorney General of Canada et al. v. Aluminum Co. of
Canada et al.; B.C. Wildlife Federation, Intervenor
(1987), 35 D.L.R. (4th) 495; [1987] 3 W.W.R. 193; 10
B.C.L.R. (2d) 371; 26 Admin. L.R. 18; 15 C.P.C. (2d)
289 (C.A.C.-B.); infirmant [1987] 1 C.N.L.R. 10; (1986),
15 C.P.C. (2d) 8 (C.S.C.-B.).
DOCTRINE
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 2nd ed.,
Toronto: Carswell Co. Ltd., 1985.
APPEL ET APPEL INCIDENT d'une ordonnance
de la Section de première instance (1991), 6 C.E.L.R.
(N.S.) 265, qui faisait droit à des requêtes en certio-
rari et en mandamus. Appel accueilli, appel incident
rejeté.
AVOCATS:
Brian J. Wallace, c.r. et Ron A. Skolrood pour
l'appelante Alcan Aluminium Limitée.
H.J. Wruck, c.r. et Valerie Osborne pour les
appelants ministre de l'Environnement, ministre
des Affaires indiennes et du Nord canadien,
ministre des Pêches et des Océans, et ministre
des Transports.
Arthur Pape et John Rogers pour l'intimé Con-
seil de la tribu Carrier-Sekani.
Martin L. Palleson pour l'intimée Save the
Bulkley Society.
PROCUREURS:
Lawson, Lundell, Lawson, Vancouver, pour l'ap-
pelante Alcan Aluminium Limitée.
Le sous-procureur général du Canada pour les
appelants ministre de l'Environnement, ministre
des Affaires indiennes et du Nord canadien,
ministre des Pêches et des Océans, et ministre
des Transports.
Pape & Salter, Vancouver, pour l'intimé Conseil
de la tribu Carrier-Sekani.
Ferguson, Gifford, Vancouver, pour l'intimée
Save the Bulkley Society.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: La Cour est saisie de
deux appels et d'un appel incident, tous formés con-
tre la décision rendue par un juge des requêtes de la
Section de première instance sous forme de diverses
ordonnances de certiorari et de mandamus. Le litige
a son origine dans les travaux d'achèvement du projet
dit Kemano, c'est-à-dire la seconde phase de la cons
truction d'une centrale hydro-électrique et d'une alu-
minerie d'Alcan Aluminium Limitée («Alcali») dans
la région centre-ouest de la Colombie-Britannique.
Plusieurs parties sont en cause. D'un côté se trouvent,
avec Alcan, quatre ministres de la Couronne fédérale:
Environnement, Pêches et Océans, Transports,
Affaires indiennes et Nord canadien («les ministres
appelants»), qui auraient illégalement autorisé la mise
à exécution du projet. De l'autre côté, se trouvent le
Conseil de la tribu Carrier-Sekani et les chefs de onze
bandes indiennes Carrier qui agissent en leur nom
propre et au nom des membres de leurs bandes res-
pectives («le Conseil tribal»), avec une coalition
d'écologistes et de défenseurs de pêcheries menée par
la Save the Bulkley Society («la Save the Bulkley
Society»), qui attaquent les actions des ministres et
cherchent à forcer un examen fédéral des répercus-
sions environnementales du projet. Les points liti-
gieux sont nombreux et complexes et, pour que la
Cour puisse les instruire comme il convient, doivent
être envisagés avec soin dans leur contexte. Il faut
donc reprendre tous les faits qui sont à l'origine du
litige ainsi que l'historique de l'instance elle-même.
Les faits de la cause
Les installations existantes
En 1950, Alcan a conclu avec le gouvernement de
la Colombie-Britannique un accord sur la construc
tion d'une centrale hydro-électrique et d'une alumi-
nerie dans la région centre-ouest de la province. Cet
accord lui donnait le droit d'accumuler et de redistri-
buer les eaux des rivières Nechako et Nanika. Avant
de commencer les travaux de construction de la pre-
mière phase du projet, la compagnie a eu avec le
ministère fédéral des Pêches des discussions à l'issue
desquelles le ministre a conclu en 1952 que le débit
minimal des eaux pouvait être maintenu par déverse-
ment de 100 pieds cubes par seconde dans la rivière
Nechako par un déversoir à creuser au lac Skins.
Les travaux ont été terminés en 1967. Le principal
élément de ces premières installations était un bar
rage (le barrage Kenney) qui contrôlait le débit de la
rivière Nechako coulant vers l'est et permettait l'ac-
cumulation d'une grande quantité d'eau dans un
réservoir (le réservoir Nechako) et le détournement
d'une partie de cette eau vers l'ouest, vers une cen-
trale installée à Kemano et alimentant une fonderie
d'aluminium à Kitimat.
Le projet d'expansion des installations
Durant les années 1970, Alcan a mis au point un
plan pour la seconde phase d'aménagement qui con-
sistait à accroître sa capacité à retenir et à détourner
l'eau des deux rivières Nechako et Nanika. Ce plan
devait être connu par la suite sous le nom de travaux
d'achèvement du projet Kemano ou travaux KCP
[Kemano Completion Project].
Le différend avec les autorités fédérales
En 1979, le ministère fédéral des Pêches et des
Océans a commencé à s'inquiéter au sujet du débit de
l'eau déversée par les installations existantes dans la
rivière Nechako, en particulier par le déversoir du lac
Skins. Alcan ayant contesté la validité de l'analyse de
ce ministère, le procureur général du Canada a
intenté une action en Cour suprême de la Colombie-
Britannique et obtenu une ordonnance mandatoire
pour forcer la compagnie à assurer un certain débit.
Alcan a produit une défense et intenté une demande
reconventionnelle. Le procureur général de la Colom-
bie-Britannique a été alors constitué codéfendeur.
Après un certain temps, Alcan, en 1983, déterminée à
poursuivre les travaux KCP malgré l'action en ins
tance, a demandé la délivrance d'un certificat de pro-
jet de production d'énergie en application de la loi
provinciale dite Utilities Commission Act, S.B.C.
1980, ch. 60. Elle a par la suite sursis à sa demande
et, pour parvenir à un plein accord avec les autorités
fédérales, a soumis à l'examen du ministère des
études de débit qu'elle avait effectuées elle-même.
Pendant que les deux côtés essayaient de résoudre
leur différend, d'autres parties ont manifesté leur
intérêt dans l'affaire. En 1984, le Conseil tribal a
informé le ministre des Affaires indiennes que la ges-
tion du système de la rivière Nechako serait l'une des
questions centrales dans les négociations à venir sur
leurs revendications territoriales. En 1985, après que
Alcan eut déposé sa demande reconventionnelle révi-
sée, le Conseil tribal a même essayé de se constituer
partie dans l'action pendante, mais la Cour suprême
de la Colombie-Britannique a rejeté sa demande par
ce motif que le litige portait sur une question consti-
tutionnelle, dont la solution ne pouvait compromettre
la position juridique des Indiens'.
L'action vint à procès en août 1987. Le principal
point litigieux portait sur l'étendue du pouvoir
qu'avait le ministre des Pêches et des Océans de con-
trôler le débit de la rivière Nechako, dans le cadre de
la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14; il y
avait aussi certaines questions subsidiaires, comme la
quantité d'eau effectivement déversée et le débit
nécessaire pour la protection des poissons.
Le règlement à l'amiable du litige
Le 14 septembre 1987, à l'ouverture de la troi-
sième semaine du procès, les trois parties en cause, la
Reine du chef du Canada, la Reine du chef de la
Colombie-Britannique et Alcan, ont conclu une
entente («l'entente de règlement») qui mit effective-
ment fin au litige. Alcan renonça aux droits qu'elle
s'était vu accorder en 1950 pour retenir l'eau par un
barrage et la déverser dans le bassin hydraulique de la
rivière Nanika, ainsi qu'à son droit d'accumuler une
partie du débit de la rivière Nechako; elle s'engagea
aussi à construire des installations qui amélioreraient
la qualité de l'eau de la rivière et contribueraient à la
préservation des poissons. En contrepartie, Alcan a
I Attorney General of Canada et al. v. Aluminum Co. of
Canada et al.; B.C. Wildlife Federation, Intervenor (1987), 35
D.L.R. (4th) 495 (C.A.C.-B.); infirmant [1987] 1 C.N.L.R. 10
(C.S.C.-B.).
obtenu que des normes précises fussent définies au
sujet des ressources halieutiques locales, ce dont elle
avait besoin pour pouvoir mener à bien son expan
sion; à cet effet, le ministre des Pêches et des Océans
a immédiatement émis, en application du paragraphe
20(10) de la Loi sur les pêcheries [S.R.C. 1970, ch.
F-14], l'opinion que, sous réserve de certaines
mesures correctives, le débit actuel et le débit posté-
rieur aux travaux KCP dans la rivière Nechako
seraient suffisants pour assurer la sécurité et le frai
des poissons 2 . Il était aussi entendu qu'un comité
formé de représentants de chacune des trois parties
serait chargé de contrôler et de gérer le débit de la
rivière Nechako.
Le 10 décembre 1987, le gouverneur en conseil a
pris les décrets C.P. 1987-2481 et 1987-2482 [Règle-
ment sur les ordonnances relatives au barrage Ken-
ney et au déversoir du lac Skins, DORS/87-723]. Le
premier, pris en application de l'article 6 de la Loi de
1979 sur l'organisation du gouvernement [S.C. 1978-
79, ch. 13], portait approbation de l'entente de règle-
ment; le second, pris en application de l'alinéa
33.1(3)b) [édicté par S.R.C. 1970 (1er suppl.), ch. 17,
art. 3; S.C. 1976-77, ch. 35, art. 8] de la Loi sur les
pêcheries (alinéa 37(3)b) de l'actuelle Loi sur les
pêches), portait obligation pour le ministre d'exercer
les pouvoirs qu'il tenait du paragraphe 33.1(2) [édicté
idem] (paragraphe 37(2) nouveau) de la Loi de
manière conforme à l'entente de règlement et à l'opi-
nion qu'il avait émise par écrit en application du
paragraphe 20(10) de la même Loi.
Les suites de l'entente de règlement
Le 14 avril 1988, la Save the Bulkley Society et
d'autres demandeurs ont intenté en Cour fédérale une
action contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada,
le ministre des Pêches et des Océans et le procureur
général du Canada, pour contester la validité de l'en-
tente de règlement. Selon une modification apportée
A la déclaration et déposée le 8 juin 1988, l'entente de
règlement était invalide par ce motif entre autres
qu'elle constituait une délégation et/ou diminution
illégale des pouvoirs discrétionnaires que le ministre
des Pêches et des Océans tenait de la Loi sur les
pêches. Alcan, ayant été constituée défenderesse, a
2 Il s'agit là de l'une des actions du ministre que la Cour doit
examiner; j'y reviendrai plus loin.
déposé sa défense le 5 mai 1989. Depuis, les deman-
deurs n'ont pris aucune autre mesure pour donner
suite à leur action.
Le 10 août 1988, Alcan, munie de l'autorisation
provinciale nécessaire, annonça son intention d'entre-
prendre l'expansion de ses installations de production
d'électricité. Les travaux de construction KCP ont
finalement commencé à l'automne 1988.
Certains travaux KCP consistaient en constructions
dans le lit ou en travers d'eaux navigables. À l'égard
de ces travaux, le ministre des Transports a pris, en
1988 et 1989, divers «arrêtés d'exemption» en appli
cation du paragraphe 5(2) de la Loi sur la protection
des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22.
D'autres travaux nécessitaient la modification du
déversoir existant et, à cet égard, le ministre des
Transports a aussi délivré une «approbation» en
application du paragraphe 10(2) de la même Loi 3 .
Le 12 octobre 1990, le gouverneur en conseil, sur
recommandation en date du 4 octobre 1990 du minis-
tre de l'Environnement, a pris l'Arrêté sur les lignes
directrices visant les travaux d'achèvement du projet
Kemano («DORS/90-729»). Aux termes de cet arrêté,
le règlement sur l'environnement, pris en application
de l'article 6 de la Loi sur le ministère de l'Environ-
nement [S.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 14; mod. par
S.C. 1978-79, ch. 13, art 14; maintenant L.R.C.
(1985), ch. E-10], c'est-à-dire le décret DORS/84-
467 intitulé Décret sur les lignes directrices visant le
processus d'évaluation et d'examen en matière d'en-
vironnement («Décret sur les lignes directrices») ne
s'appliquait pas aux travaux KCP. Cet arrêté est com-
munément connu sous le nom d'«arrêté d'exemp-
tion».
Les travaux KCP se sont poursuivis comme prévu
jusqu'en juin 1991, date à laquelle, par suite de la
décision rendue par le juge des requêtes dans cette
procédure, Alcan a suspendu les travaux jusqu'à ce
que l'appel fût définitivement tranché. À ce moment-
là, une grande partie du projet avait été terminé.
Historique de la procédure
L'instance dont la Cour est ici saisie fut intentée en
octobre 1990. La Save the Bulkley Society a été la
3 Je reviendrai aussi sur ces mesures.
première à présenter sa requête introductive d'ins-
tance le 5 octobre, suivie par le Conseil tribal qui a
soumis la sienne le 11 octobre. Les uns et les autres,
non satisfaits de la suite réservée par les ministres à
leur demande d'un plein examen des répercussions
environnementales des travaux KCP, réclamaient
contre les ministres des ordonnances portant annula-
tion de l'entente de règlement ainsi que des mesures
ministérielles susmentionnées, prises en application
de la Loi sur les pêches et de la Loi sur la protection
des eaux navigables, et ordonnant un examen en
règle des répercussions environnementales des tra-
vaux KCP conformément au Décret sur les lignes
directrices. Le 5 novembre 1990, les parties ont con-
senti à ce que l'affaire fût entendue le 26 février
1991.
Les demandes introduites ne faisaient nulle men
tion de l'arrêté d'exemption DORS/90-729, et ne
citaient pas Alcan comme défenderesse. Le 17 jan-
vier 1991, le Conseil tribal et la Save the Bulkley
Society (les intimés en l'espèce) ont modifié leurs
requêtes introductives d'instance respectives pour
ajouter à la liste des ordonnances recherchées, une
ordonnance portant annulation de l'arrêté DORS/90-
729. Quelques jours après, Alcan a demandé à se
constituer intimée, et sa demande a été accueillie.
Alcan et les ministres (les appelants en l'espèce)
ont opposé aux requêtes introductives d'instance plu-
sieurs exceptions faisant valoir qu'il y avait lieu de
les radier ou, du moins, de surseoir à leur audition. Le
18 février 1991, le juge des requêtes saisi de l'affaire
a décidé qu'il était préférable d'ajourner l'audition
jusqu'à une séance spéciale à tenir le 26 février 1991,
à l'ouverture de laquelle ces exceptions seraient exa
minées.
En conséquence, le 26 février 1991, le juge des
requêtes avait devant lui les deux requêtes introduc-
tives d'instance, présentées par la Save the Bulkley
Society et le Conseil tribal, qui concluaient aux
mesures de redressement de prérogative, et les deux
exceptions opposées par les ministres et Alcan, en
vue de la radiation des demandes ou de l'ajournement
de leur audition.
Les requêtes introductives d'instance portaient les
mêmes conclusions, à part quelques différences dans
leur formulation:
a) Ordonnance de certiorari invalidant la signature par le
ministre des Pêches et Océans de l'entente de règlement;
b) Ordonnance de certiorari portant annulation de la déci-
sion prise par le ministre des Pêches et Océans en applica
tion du paragraphe 20(10) de la Loi sur les pêcheries;
c) Ordonnance de certiorari portant annulation des déclara-
tions d'exemption et de l'approbation suivantes, faites par le
ministre des Transports en application de la Loi sur la pro
tection des eaux navigables:
(i) Déclaration d'exemption en date du 22 juin 1989,
numéro de dossier 8200-T-3489.1;
(ii) Déclaration d'exemption en date du 24 juillet 1989,
numéro de dossier 8200-T-7558-1;
(iii) Déclaration d'exemption en date du 26 septembre
1989, numéro de dossier 8200-T-7560-1;
(iv) Déclaration d'exemption en date du 15 décembre
1989, numéro de dossier 8200-T-2768.2;
(v) Approbation en date du 19 février 1990, numéro de
dossier 8200-4560.
d) Ordonnance de mandamus portant obligation pour les
ministres des Pêches et Océans, des Transports, des Affaires
indiennes et du Nord canadien, et de l'Environnement,
intimés, de se conformer au Décret sur les lignes directrices
et de soumettre les décisions visées aux alinéas a) à c) ci-
dessus à l'évaluation préalable et à l'évaluation initiale pré-
vues à l'article 10 du Décret sur les lignes directrices.
e) Ordonnance de certiorari portant annulation de l'Arrêté
sur les lignes directrices visant les travaux d'achèvement du
projet Kemano, DORS/90-729.
Les exceptions faisaient essentiellement valoir que
la Save the Bulkley Society et le Conseil tribal ne
pouvaient prétendre au redressement auquel elles
concluaient dans leurs requêtes, les ministres soute-
nant qu'aucune des ordonnances recherchées ne pou-
vait être rendue alors que Alcan ne contestait qu'une
seule conclusion, savoir celle qui visait à l'annulation
de l'arrêté DORS/90-729. On soutenait aussi, à titre
subsidiaire, qu'il devait y avoir un procès sur les
points litigieux ou qu'à tout le moins, l'audition
devait être ajournée, pour que Alcan et les ministres
pussent rapporter les preuves en réponse aux alléga-
tions contenues dans la documentation volumineuse
déposée à l'appui des requêtes introductives d'ins-
tance.
On peut trouver dans le dossier la transcription de
l'audition qui a duré trois jours et à l'issue de laquelle
la décision a été remise à plus tard.
Le 14 mai 1991, le juge des requêtes a rendu sa
décision: les exceptions furent rejetées et le redresse-
ment recherché dans les requêtes introductives d'ins-
tance accordé. La décision a été immédiatement por-
tée en appel devant cette Cour.
Comme indiqué au début des présents motifs, il y a
eu aussi appel incident par le Conseil tribal qui
regrettait que le juge des requêtes n'eût pas ajouté
aux motifs par lesquels il avait déclaré que l'arrêté
DORS/90-729 constituait un excès de pouvoir, l'ar-
gument selon lequel ce texte était incompatible avec
certains droits que garantit aux peuples autochtones
l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982
[annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11
(R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Il est
fort douteux que le contre-appelant puisse recourir à
pareille procédure, attendu que le contre-appel doit
porter sur la décision elle-même, non pas sur ses
motifs (voir la Règle 1203 des Règles de la Cour
[Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, mod.
par DORS/79-57, art. 20]). En outre, il aurait fallu
que dans le cadre des appels principaux, la validité du
jugement attaqué fût confirmée au regard de tous les
motifs invoqués dans les requêtes introductives d'ins-
tance. Quoi qu'il en soit, l'appel incident n'a été à
aucun moment poursuivi indépendamment des appels
principaux.
L'audition des appels a duré sept jours et demi,
cinq jours en décembre 1991 et deux jours et demi en
avril 1992, au cours desquels tous les points de droit
qui se faisaient jour ont été analysés et débattus en
détail par un groupe d'avocats de classe. L'argumen-
tation écrite couvrait des centaines de pages. Certains
de ces débats ont dû être repris après que la Cour
suprême du Canada eut rendu le 23 janvier 1992 son
arrêt, longtemps attendu, dans l'affaire Friends of the
Oldman River Society c. Canada (Ministre des Trans
ports) [[1992] 1 R.C.S. 3], arrêt qui se trouvait au
coeur de tous les arguments et qui devait constituer
l'autorité à suivre pour disposer des requêtes intro-
ductives d'instance.
Je ne vois aucune raison, dans les présents motifs
de jugement, de reprendre et d'analyser en détail cha-
cun des arguments présentés. Après analyse et
réflexion, je suis parvenu à la conclusion—si j'ai bien
saisi les faits et les principes juridiques en cause, en
particulier les conclusions de la Cour suprême dans
Oldman River—que ces appels peuvent être tranchés
à la lumière d'arguments moins complexes et moins
élaborés que ne le ferait croire l'argumentation exten
sive et compétente des avocats en présence. Je me
limiterai strictement à donner mes conclusions et à
expliquer clairement, mais aussi brièvement que pos
sible, la méthodologie et le raisonnement juridique
que j'ai suivis pour y parvenir.
Les nombreux motifs invoqués par les appelants
contre la décision du juge des requêtes se regroupent
sous trois principales allégations. En premier lieu, les
appelants soutiennent que le juge des requêtes a com-
mis une erreur en refusant de radier le paragraphe 5
des requêtes introductives d'instance. En deuxième
lieu, qu'en décidant d'instruire immédiatement ces
requêtes, il les a privés d'une audition pleine et équi-
table. En troisième lieu, qu'en tout cas le redresse-
ment recherché dans les requêtes introductives d'ins-
tance ne pouvait être accordé. Bien que chacune de
ces allégations puisse aboutir à l'accueil de l'appel, il
est manifeste qu'elles n'ont pas la même portée et,
par conséquent, ne peuvent aboutir au même juge-
ment. Chaque allégation doit être examinée séparé-
ment et, étant donné la conclusion que je tire au sujet
de la troisième allégation, je vais passer brièvement
en revue les deux premières.
I
Le paragraphe 5 de chacune des requêtes introduc-
tives d'instance conclut à ordonnance portant annula-
tion de l'arrêté DORS/90-729. Voici ce qu'il porte
dans la requête du Conseil tribal:
[TRADUCTION] (5) Dans la mesure où elle est nécessaire,
ordonnance de certiorari portant annulation de l'Arrêté sur
les lignes directrices visant les travaux d'achèvement du
projet Kemano, DORS/90-729, par ce motif qu'il excède la
compétence prévue à l'article 6 de la Loi sur le ministère de
l'Environnement; ou qu'il a été pris de mauvaise foi en ce
qu'il portait atteinte aux obligations fiduciaires que les
intimés devaient aux requérants, savoir le devoir de se con-
former au décret DORS/84-467 avant de prendre des déci-
sions ou des mesures qui pourraient porter atteinte aux droits
ou intérêts des requérants; ou qu'il va à l'encontre de la
reconnaissance et de l'affirmation des droits autochtones
existants des requérants, que garantit l'article 35 de la Loi
constitutionnelle de 1982.
La requête de la Save the Bulkley Society conclut au
même redressement, mais sous une formulation diffé-
rente:
[TRADUCTION] (5) Ordonnance de certiorari portant annula-
tion de l'Arrêté sur les lignes directrices visant les travaux
d'achèvement du projet Kemano, DORS/90-729, pour viola
tion de l'obligation d'équité.
Les appelants soutiennent qu'un arrêté du gouver-
neur en conseil ne pourrait être attaqué en justice que
par procédure engagée contre le procureur général;
qu'un arrêté de cet ordre, pris dans l'exercice d'une
fonction législative, ne peut faire l'objet d'un recours
en certiorari; et qu'en tout cas, le redressement
recherché, qui est en fait un jugement déclaratoire,
n'est possible qu'en cas d'instance engagée par voie
d' action.
Je pense que ces trois objections d'ordre procédu-
ral sont toutes fondées. Il est hors de doute que les
ministres en cause n'agissent pas et ne peuvent pas
agir en qualité de représentants en justice du gouver-
neur en conseil. Le sous-procureur général a comparu
au nom des ministres intimés, conformément à ses
responsabilités légales en la matière, mais non pas en
qualité de représentant du procureur général du
Canada et encore moins du Cabinet ou du gouverneur
en conseil. Il est aussi hors de doute que, aussi étendu
qu'il ait pu devenir, le bref de certiorari est un
recours de common law qui a été conçu et qui existe
toujours pour le contrôle des conclusions ou déci-
sions administratives, non pas des prescriptions légis-
latives. Et surtout, selon la règle établie de longue
date, la procédure sommaire de la requête introduc-
tive d'instance ne peut servir qu'en vue d'un bref de
prérogative, et non pas d'un redressement par voie de
jugement déclaratoire.
La réponse des intimés selon laquelle ce qu'ils
contestent en fait, c'est la recommandation du minis-
tre de l'Environnement qui a abouti à l'adoption de
l'arrêté, et non pas cet arrêté lui-même, ne leur est, à
mon avis, d'aucun secours. La recommandation du
ministre n'a pas en soi force de loi et ne saurait être
isolée et contestée indépendamment de l'arrêté, qui
est le seul instrument légal auquel on puisse donner
effet. De même, il ne servirait à rien de répliquer que
les objections ne portent pas sur le fond, comme s'il
s'agissait en l'espèce d'une requête ordinaire en
radiation d'une déclaration par ce motif que les allé-
gations y contenues ne révèlent aucune cause raison-
nable d'action. Les objections soulevées en l'espèce
sont en effet d'ordre procédural, mais ce serait une
erreur que de n'y voir qu'un simple argument de pro-
cédure, puisque certains impératifs de l'administra-
tion de la justice sont directement en jeu. L'impor-
tance et les conséquences possibles de la contestation
de la validité d'un arrêté sont trop grandes pour que
la Cour puisse l'entendre par procédure sommaire,
sans les protections procédurales normales. Enfin, il
est spécieux de soutenir qu'aucun jugement déclara-
toire formel n'a été recherché ni rendu. L'arrêté était
contesté par ce motif qu'il constituait un excès de
pouvoir, qu'il a été pris de mauvaise foi et en viola
tion de l'article 35 de la Constitution; une ordon-
nance judiciaire faisant droit à pareille attaque est
certainement déclaratoire de par sa nature.
À mon avis donc, les objections soulevées par les
appelants quant à l'admissibilité au redressement
recherché au paragraphe 5 des requêtes introductives
d'instance sont toutes fondées. S'ensuit-il que le juge
des requêtes n'avait d'autre choix que de radier le
paragraphe attaqué des deux requêtes? Je ne le pense
pas. La requête en radiation habituelle, introduite
sous le régime de la Règle 419 des Règles de la Cour
et qui porte sur une action, aboutira normalement au
rejet de cette action. Mais, comme indiqué plus haut,
les exceptions formées en l'espèce ne ressemblaient
qu'en apparence aux requêtes fondées sur la Règle
419; elles ne faisaient pas valoir que les intimés
n'avaient manifestement pas droit au redressement
qu'ils recherchaient, mais seulement qu'ils ont
engagé la mauvaise procédure. S'il était possible de
rectifier la situation en ordonnant que certaines
mesures soient prises—et nul doute que c'était le cas
en l'espèce—la radiation du paragraphe attaqué non
seulement serait inutile, mais pourrait constituer une
mauvaise mesure de réparation. Ce qui demeure
cependant indéniable, c'est que les appelants sont
fondés à faire valoir que le juge des requêtes ne pou-
vait pas, dans le cadre de la procédure dont il était
saisi, accorder, comme il l'a fait, le redressement
recherché au paragraphe 5 des deux requêtes intro-
ductives d'instance.
II
Comme noté plus haut, les appelants ne s'en sont
pas tenus là. Ils soutiennent que le juge des requêtes
ne pouvait accorder, comme il l'a fait, le redresse-
ment recherché dans les requêtes introductives d'ins-
tance, sans violer le principe le plus fondamental de
justice naturelle. Ils citent la transcription des débats
pour montrer que l'audition était exclusivement con-
sacrée à l'instruction des exceptions, à la suite de la
décision que les requêtes introductives d'instance
seraient soumises au juge en chef adjoint pour fixa
tion de la date d'audition, alors que ce renvoi aurait
dû leur permettre de déposer des documents et de
procéder aux contre-interrogatoires au sujet des affi
davits sur lesquels s'appuyaient les intimés en l'es-
pèce. Ils n'ont pas répondu aux points soulevés dans
les requêtes introductives d'instance, disent-ils, et
n'ont pas pu le faire. Ce qui s'est manifestement pro-
duit, c'est qu'à l'issue de l'audition et durant la mise
en délibéré, le juge des requêtes est parvenu à la con
clusion qu'il pouvait examiner les questions de fond
bien que n'ayant pas entendu l'argumentation des
avocats en la matière, puisque tous les documents
nécessaires pour établir les faits invoqués à l'appui de
ces requêtes se trouvaient déjà dans le dossier, et que
ce jugement immédiat permettrait d'éviter une longue
procédure coûteuse.
Les avocats des intimés ne nient pas que les points
soulevés dans les requêtes introductives d'instance
n'étaient pas directement débattus lors de l'audition
orale. Ils répliquent cependant: en premier lieu, que
Alcan avait présenté ses conclusions en la matière
dans son mémoire déposé avant l'audition et que les
ministres fédéraux ne pouvaient s'en prendre qu'à
eux-mêmes s'ils ne l'avaient pas fait, au mépris de la
Règle 321.1 [édictée par DORS/88-221, art. 7;
DORS/90-846, art. 8; DORS/92-43, art. 4]; en
deuxième lieu, qu'il s'agissait presque entièrement de
points de droit qui ne nécessitaient guère la référence
aux faits matériels; et en troisième lieu, que le juge
des requêtes avait la compétence et les pouvoirs dis-
crétionnaires pour rendre des décisions sur-le-champ
et, vu les faits de la cause pris dans leur ensemble, il
avait des motifs valides pour exercer ses pouvoirs
discrétionnaires de cette façon.
Sauf le respect que je leur dois, je ne saurais parta-
ger l'avis des avocats des intimés. Il ressort de la
transcription des débats que la procédure adoptée en
première instance a pu avoir pour effet de priver les
appelants d'une audition pleine et équitable. La règle
«audi alteram partem» est certainement trop fonda-
mentale pour qu'on puisse y déroger afin de gagner
du temps et d'économiser de l'argent. Les appelants
ont eu raison de soutenir que le juge des requêtes
n'était pas en droit de rendre les ordonnances aux-
quelles concluaient les requêtes introductives d'ins-
tance avant qu'ils pussent faire pleinement valoir
leurs arguments.
L'argument de justice naturelle est apparu encore
plus concluant au fil de l'audition de l'appel. Dans
leurs avis de requête modifiés, les intimés avaient
inclus dans les différentes décisions ministérielles
contre lesquelles ils concluaient à ordonnance de cer-
tiorari, une approbation donnée le 19 février 1990 à
Alcan sous le régime de la Loi sur la protection des
eaux navigables. Au cours de l'audition en première
instance, les avocats des intimés avaient accepté de
rayer cette approbation de la liste; les assertions con-
tenues dans un affidavit déposé par Alcan les avaient
portés à conclure que ce document n'avait aucun rap
port avec les travaux KCP. Le dispositif de la déci-
sion de la Section de première instance fait toujours
mention de cette approbation (probablement parce
que les requêtes écrites n'avaient pas été officielle-
ment modifiées), mais il était entendu que la question
n'était pas soumise au juge des requêtes qui, en fait,
n'en parle pas du tout dans ses motifs de décision. Au
cours de l'audition d'appel cependant, il est apparu
qu'il y avait eu un certain malentendu de la part de
tous les intéressés puisque, en fait, cette approbation
avait réellement un rapport avec les travaux KCP; les
avocats des intimés ont demandé à la Cour la permis
sion de retirer l'acceptation qu'ils avaient donnée de
ne pas attaquer ce document et ce, afin d'en faire de
nouveau un motif de contestation. Les avocats d'Al-
can étaient disposés à ne pas s'opposer au retrait,
mais faisaient savoir qu'ils se proposaient d'adminis-
trer des preuves établissant les circonstances dans les-
quelles cette approbation a été accordée, afin de sou-
tenir à titre subsidiaire, au besoin, que cette mesure
avait été prise à titre de surcroît de précaution et
qu'elle n'était pas nécessaire à l'achèvement du pro-
jet.
Vu ces vices, il est hors de doute que la Cour ne
saurait confirmer les conclusions du juge des
requêtes, sans priver les appelants de leur droit de
soumettre à la Cour tous leurs moyens de défense.
III
Les appelants poussent encore plus loin leur argu
mentation. Ils soutiennent que de toute façon, à la
lumière du dossier tel qu'il est en cet état de la cause,
aussi incomplet et peu satisfaisant qu'il soit, et même
s'il s'y ajoute la question de l'approbation du 19
février 1990, la seule conclusion, que le juge des
requêtes eût pu tirer était que le Décret sur les lignes
directrices ne s'appliquait à aucune des décisions
ministérielles relevées par les requêtes comme ayant
été prises à l'égard des travaux d'achèvement du pro-
jet Kemano, et que par conséquent, il n'aurait pu
accorder les redressements auxquels concluaient les
requêtes introductives d'instance. Je conclus que cet
argument final et décisif est aussi fondé.
En effet, je conclus: a) qu'aucune des mesures
ministérielles attaquées comme ayant déclenché l'ap-
plication du Décret sur les lignes directrices aux tra-
vaux KCP n'était une décision de nature à faire tom-
ber ces derniers dans le champ d'application du
Décret; et b) que s'il y avait un doute quelconque à ce
sujet, l'arrêté DORS/90-729 aurait réglé la question
une fois pour toutes.
a) Les mesures ministérielles en cause n'étaient pas
des décisions au sens du Décret sur les lignes
directrices.
L'article 6 du Décret sur les lignes directrices pré-
voit que celles-ci ne s'appliquent qu'aux «proposi-
tions», lesquelles, aux termes de l'article 2, s'enten-
dent de «toute entreprise ou activité à l'égard de
laquelle le gouvernement du Canada participe à là
prise de décisions». Dans son récent arrêt Oldman
River, la Cour suprême du Canada a été appelée à
délimiter, pour la première fois, le champ d'applica-
tion du Décret sur les lignes directrices en interpré-
tant la définition que donne l'article 2 du terme «pro-
position». Prononçant les motifs de la décision
unanime de la Cour (sauf avis dissident du juge Ste-
venson sur d'autres questions), le juge La Forest,
après avoir rejeté l'argument que le Décret sur les
lignes directrices ne pouvait s'appliquer qu'aux pro-
jets à l'égard desquels le gouvernement fédéral était
la principale ou l'unique autorité décisionnelle, s'est
prononcé en ces termes, aux pages 47 50:
Je ne veux pas dire pour autant que le Décret sur les lignes
directrices reçoit application chaque fois qu'un projet peut
comporter des répercussions environnementales sur un
domaine de compétence fédérale. Il doit tout d'abord s'agir
d'une «proposition» qui vise une «entreprise ou activité à
l'égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à la
prise de décisions». (Je souligne.) À mon avis, l'interprétation
qu'il faut donner à l'expression «participe à la prise de déci-
sions» est que le gouvernement fédéral, se trouvant dans un
domaine relevant de sa compétence en vertu de l'art. 91 de la
Loi constitutionnelle de 1867, doit avoir une obligation posi
tive de réglementation en vertu d'une loi fédérale relativement
à l'entreprise ou l'activité proposée. On n'a pas pu vouloir que
le Décret sur les lignes directrices soit invoqué chaque fois
qu'il existe certaines possibilités de répercussions environne-
mentales sur un domaine de compétence fédérale. En consé-
quence, l'expression «participe à la prise de décisions» dans la
définition du terme «proposition» ne devrait pas être interpré-
tée comme ayant trait à des questions relevant généralement de
la compétence fédérale. Cette expression signifie plutôt une
obligation légale. Si cette obligation existe, il s'agit alors de
déterminer qui est le «ministère responsable» en la matière,
puisque c'est ce ministère qui exerce le pouvoir de décision à
l'égard de la proposition et qui doit donc entamer le processus
d'évaluation visé par le Décret sur les lignes directrices.
La nécessité d'une obligation positive de réglementation
pour que le gouvernement du Canada «participe à la prise de
décisions» ressort d'autres dispositions du Décret sur les lignes
directrices, qui laissent entendre que le ministère responsable
doit détenir un certain pouvoir de réglementation sur le projet.
Par exemple, l'art. 12 dispose que:
12. Le ministère responsable examine ou évalue chaque
proposition à l'égard de laquelle il exerce le pouvoir de déci-
sion, afin de déterminer:
f) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur
l'environnement sont inacceptables, auquel cas la propo
sition est soit annulée, soit modifiée et soumise à un nou-
vel examen ou évaluation initiale.
L'article 14:
14. Le ministère responsable voit à la mise en application
de mesures d'atténuation et d'indemnisation, s'il est d'avis
que celles-ci peuvent empêcher que les effets néfastes d'une
proposition sur l'environnement prennent de l'ampleur.
Ces dispositions amplifient le pouvoir de réglementation que
doit avoir le gouvernement du Canada en vertu d'une loi fédé-
rale avant de pouvoir participer à la prise de décisions.
Si on applique cette interprétation à l'espèce, on se rendra
compte que le projet de barrage sur la rivière Oldman peut être
qualifié de proposition dont le ministre des Transports seul est
le ministère responsable. A mon avis, la Loi sur la protection
des eaux navigables impose une obligation positive de régle-
mentation au ministre des Transports. Cette loi a mis en place
un mécanisme de réglementation qui prévoit qu'il est néces-
saire d'obtenir l'approbation du ministre avant qu'un ouvrage
qui gêne sérieusement la navigation puisse être placé dans des
eaux navigables ou sur, sous, au-dessus ou à travers de telles
eaux. L'article 5 accorde au ministre le pouvoir de fixer les
modalités qu'il juge à propos lorsqu'il approuve un ouvrage; si
le propriétaire ne se conforme pas aux modalités, le ministre
peut lui ordonner d'enlever l'ouvrage ou de le modifier. Pour
ces motifs, je conclurais qu'il s'agit ici d'une «proposition»
dont le ministre des Transports est un «ministère responsable».
La Loi sur les pêches ne renferme cependant pas de disposi
tion de réglementation équivalente qui serait applicable au pro-
jet. L'article 35 interdit d'exploiter des ouvrages ou entreprises
entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de
l'habitat du poisson, et l'art. 40 assortit cette interdiction d'une
sanction pénale. En vertu du par. 37(1), le ministre des Pêches
et des Océans peut demander des renseignements à quiconque
exploite ou se propose d'exploiter des ouvrages ou entreprises
de nature à entraîner la détérioration, la perturbation ou la des
truction de l'habitat du poisson. Toutefois, cette demande n'a
pas pour objet la mise en ouvre d'une procédure de réglemen-
tation; elle aide simplement le ministre à exercer le pouvoir
législatif spécial, qui lui a été délégué en vertu du par. 37(2),
d'autoriser une exception à l'interdiction générale. En voici le
libellé:
37....
(2) Si, après examen des documents et des renseignements
reçus et après avoir accordé aux personnes qui les lui ont
fournis la possibilité de lui présenter leurs observations, il
est d'avis qu'il y a infraction ou risque d'infraction au para-
graphe 35(1) ou à l'article 36, le ministre ou son délégué
peut, par arrêté et sous réserve des règlements d'application
de l'alinéa (3)b) ou, à défaut, avec l'approbation du gouver-
neur en conseil:
a) soit exiger que soient apportées les modifications et
adjonctions aux ouvrages ou entreprises, ou aux docu
ments s'y rapportant, qu'il estime nécessaires dans les cir-
constances;
b) soit restreindre l'exploitation de l'ouvrage ou de l'en-
treprise.
Il peut en outre [sic], avec l'approbation du gouverneur en
conseil dans tous les cas, ordonner la fermeture de l'ouvrage
ou de l'entreprise pour la période qu'il juge nécessaire en
l'occurrence. [Je souligne.]
A mon avis, le fait que le ministre possède le pouvoir discré-
tionnaire de demander des renseignements visant à l'aider dans
l'exercice d'une fonction législative ne signifie pas qu'il parti-
cipe à la prise de décisions au sens du Décret sur les lignes
directrices. Alors que le ministre des Transports a une respon-
sabilité en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables
à titre d'autorité réglementante, le ministre des Pêches et des
Océans a, en vertu de l'art. 37 de la Loi sur les pêches, un
pouvoir législatif spécial limité qui ne constitue pas une obli
gation positive de réglementation. Pour ce motif, je ne crois
pas que la demande de bref de mandamus visant à forcer le
ministre à agir soit bien fondée.
Les mots clés dans les passages cités ci-dessus sont
«obligation positive de réglementation», lesquels sont
manifestement employés par opposition à «pouvoir
législatif spécial». Leur signification exacte dans le
contexte dans lequel ils sont employés n'est pas par-
faitement claire et les avocats en présence étaient en
désaccord total quant à leur portée et à leur contenu
lorsqu'il s'agissait de les appliquer aux faits et aux
dispositions législatives en cause. Les avocats des
appelants n'y voient qu'une portée très limitée, fai-
sant valoir par exemple qu'en cas de «pouvoir légis-
latif spécial», tel celui que le ministre des Pêches et
des Océans tient du paragraphe 37(2) de la Loi sur les
pêches, le Décret sur les lignes directrices n'entrerait
jamais en jeu. De leur côté, les avocats des intimés
préconisent une large interprétation, en s'appuyant
sur les propos catégoriques tenus par le juge La
Forest à l'ouverture de ses motifs de jugement pour
souligner l'importance qu'a prise la protection de
l'environnement dans la société contemporaine.
Je n'interprète pas ce jugement tout à fait de la
même façon que les avocats. Je ne pense pas que le
juge La Forest ait jamais vu dans le pouvoir discré-
tionnaire du ministre des Pêches et des Océans de
demander des renseignements conformément à l'ar-
ticle 37, l'exercice effectif des pouvoirs qu'il tient du
paragraphe 37(2) pour imposer des modifications,
adjonctions ou restrictions à l'ouvrage ou à l'entre-
prise. Je ne pense pas non plus que l'importance atta-
chée de nos jours à la protection de l'environnement
ait quelque effet que ce soit sur la question de savoir
s'il y a déclenchement ou non de l'examen prévu au
Décret sur les lignes directrices. Dans notre pays, la
protection de l'environnement incombe à tous les
ordres de gouvernement, et il faut présumer que le
défi qu'elle est devenue, pour reprendre les termes
employés par le juge La Forest, est relevé par tous les
ordres de gouvernement dans le cadre de leur pouvoir
législatif respectif; elle n'est donc pas en soi le point
litigieux en l'espèce. L'importance de la protection
de l'environnement ne saurait nous aider à décider à
quel gouvernement appartient et incombe la respon-
sabilité en la matière.
Les principes sur lesquels se fonde le jugement cité
ci-dessus sont, à mon avis, les suivants. Le Décret sur
les lignes directrices doit s'appliquer sans réserve
dans tous les cas où la loi prévoit pour un ministre
fédéral le pouvoir et l'obligation de donner ou de
refuser la permission de construire un ouvrage, ou
d'imposer des conditions sous lesquelles cet ouvrage
pourrait être construit, le promoteur n'ayant pas le
droit de commencer sans l'autorisation ministérielle
préalable. Le Décret sur les lignes directrices ne s'ap-
plique cependant pas dans le cas où le ministre, qui a
le pouvoir et l'obligation d'intervenir sous certaines
conditions, en est encore à surveiller, à contrôler et à
vérifier s'il existe vraiment des conditions telles que
son intervention est nécessaire. L'évaluation des
répercussions sur l'environnement, dont le Décret sur
les lignes directrices prévoit l'obligation, ne vise pas
à satisfaire une simple curiosité intellectuelle, mais à
aider un ministre dans l'exercice d'une attribution,
qui consiste à intervenir et à prendre des mesures
concrètes à l'égard de la mise en chantier ou de
l'achèvement d'un projet.
C'est conformément à ces principes que j'ai conclu
qu'aucune des actions attaquées des ministres, savoir:
i) la signature de l'entente de règlement; ii) la déci-
sion prise en application du paragraphe 20(10) de la
Loi sur les pêcheries; iii) les différentes déclarations
d'exemption faites sous le régime du paragraphe 5(2)
de la Loi sur la protection des eaux navigables; et
enfin iv) l'approbation donnée en application du
paragraphe 10(2) de la Loi sur la protection des eaux
navigables, ne nécessitait l'application préalable du
Décret sur les lignes directrices au projet, car aucune
de ces mesures n'était le résultat d'une décision prise
dans l'exercice de la responsabilité décisionnelle
d'un ministre fédéral.
(i) La signature de l'entente de règlement par le
ministre des Pêches et des Océans n'était pas une
décision de cette catégorie. Il s'agissait en premier
lieu, comme noté plus haut, d'un accord entre Alcan,
Sa Majesté la Reine du chef du Canada et Sa Majesté
la Reine du chef de la province de la Colombie-Bri-
tannique et qui avait pour objet, entre autres, de
régler à l'amiable le litige entre Alcan et la Couronne
fédérale. La décision de règlement relevait du pou-
voir exécutif du gouvernement du Canada. Le minis-
tre des Pêches et des Océans n'a fait que signer l'en-
tente au nom de la Couronne. Il a certes préparé la
décision et son influence au sein du Cabinet a dû être
un facteur important vu ses responsabilités éven-
tuelles en la matière, mais il n'a exercé à cet égard
aucun pouvoir décisionnel indépendant; il a fallu
prendre un décret, C.P. 1987-2481, pour approuver
l'entente de règlement.
Qui plus est, l'action en justice réglée par l'entente
avait été intentée, comme indiqué plus haut, par suite
des préoccupations des autorités fédérales des pêches
au sujet de la quantité d'eau déversée par les installa
tions existantes dans la rivière Nechako, et le princi
pal point litigieux était la portée du pouvoir légal et
constitutionnel du ministre de contrôler le débit de la
rivière Nechako sous le régime de la Loi sur les
pêches. Il était donc inévitable que pour se prononcer
sur les conditions du règlement, il fallait tenir compte
non seulement des installations existantes, mais aussi
de l'expansion envisagée. La décision de conclure
l'entente n'en devenait pas pour autant une décision
prise dans l'exercice d'une obligation positive de
réglementation prévue par une loi fédérale.
Les intimés font valoir qu'en vertu des dispositions
de l'entente de règlement, le ministre des Pêches et
des Océans a assumé une certaine obligation de
réglementation à l'égard des travaux KCP. Il se peut
qu'il en soit ainsi, mais cette obligation serait nou-
velle et assumée; elle ne serait pas une obligation pré-
vue par une loi fédérale, et l'entente n'a manifeste-
ment pas été conclue en exécution de pareille
obligation. Par ailleurs, si la création d'un mécanisme
de gestion coopérative des ressources halieutiques et
hydrauliques de la rivière Nechako est indubitable-
ment l'un des principaux éléments de l'entente, ce
mécanisme ne représente qu'un moyen d'aider le
ministre à remplir ses responsabilités générales en
matière de pêcheries. Ce mécanisme ne crée pas en
soi une obligation positive de réglementation chez le
ministre. Au contraire, il vise à permettre d'éviter
l'exercice de son pouvoir d'intervenir et d'imposer
les modalités et conditions spéciales que les circons-
tances pourraient requérir.
(ii) De même, la signature par le même ministre
des Pêches et des Océans d'une opinion en applica
tion du paragraphe 20(10) de la Loi sur les pêcheries
(devenu le paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches)
ne constituait pas une décision qui pourrait déclen-
cher l'application du Décret sur les lignes directrices.
Voici ce que prévoit ce paragraphe 22(3):
22....
(3) Le propriétaire ou l'occupant d'un obstacle veille à
l'écoulement, dans le lit de la rivière en aval de l'obstacle, de
la quantité d'eau qui, de l'avis du ministre, suffit à la sécurité
du poisson et à la submersion des frayères à la profondeur
nécessaire, selon le ministre, pour assurer la sécurité des oeufs
qui y sont déposés.
Cette disposition ne concerne pas l'approbation ou
le rejet d'une proposition ou d'un projet. Elle vise au
contraire l'obstacle qui est déjà en place. D'ailleurs,
en exprimant son avis sur la quantité d'eau nécessaire
pour la sécurité du poisson et la submersion des
frayères, le ministre ne s'acquittait pas d'une obliga
tion positive de réglementation, mais ne faisait que
définir les conditions dans lesquelles il ne se verrait
pas dans l'obligation d'intervenir. Autrement dit,
l'opinion émise n'était pas une approbation, mais
juste une instruction sur la manière dont le projet
devait être mis à exécution pour satisfaire aux obliga
tions que la loi imposait au propriétaire ou à l'occu-
pant.
(iii) Il est également clair à mes yeux que les
déclarations d'exemption faites par le ministre des
Transports à l'égard de certains éléments des travaux
KCP qui devaient être construits dans le lit ou en tra-
vers d'eaux navigables ne pouvaient déclencher l'ap-
plication du Décret sur les lignes directrices.
L'article applicable de la Loi sur la protection des
eaux navigables est le suivant:
5. (1) Il est interdit de construire ou de placer un ouvrage
dans des eaux navigables ou sur, sous, au-dessus ou à travers
de telles eaux à moins que:
a) préalablement au début des travaux, l'ouvrage, ainsi que
son emplacement et ses plans, n'aient été approuvés par le
ministre selon les modalités qu'il juge à propos;
b) la construction de l'ouvrage ne soit commencée dans les
six mois et terminée dans les trois ans qui suivent l'approba-
tion visée à l'alinéa a) ou dans le délai supplémentaire que
peut fixer le ministre;
c) la construction, l'emplacement ou l'entretien de l'ouvrage
ne soit conforme aux plans, aux règlements et aux modalités
que renferme l'approbation visée à l'alinéa a).
(2) Sauf dans le cas d'un pont, d'une estacade, d'un barrage
ou d'une chaussée, le présent article ne s'applique pas à un
ouvrage qui, de l'avis du ministre, ne gêne pas sérieusement la
navigation.
En prévoyant au paragraphe 5(2) que le paragraphe
5(1) ne s'applique pas aux ouvrages qui ne gênent
pas sérieusement la navigation, le législateur a claire-
ment indiqué que le ministre n'a ni obligation ni pou-
voir de réglementation à l'égard des ouvrages de
cette catégorie. Cette limitation est parfaitement con-
forme à la compétence réservée par la Constitution à
l'autorité fédérale, laquelle compétence ne se fait jour
qu'en cas d'obstacle réel ou éventuel à la navigation.
Les déclarations d'exemption en cause étaient
toutes strictement fondées sur la constatation que les
ouvrages visés ne gêneraient pas sérieusement la
navigation. Par suite, les dispositions du paragraphe
5(1) en matière d'approbation n'étaient pas appli-
cables. Il s'agit strictement en l'espèce d'une conclu
sion sur les faits. Le mot exemption peut induire en
erreur, bien qu'il y ait dans un certain sens exemption
de la nécessité de l'approbation. En réalité, l'«exemp-
tion» en vertu du paragraphe 5(2) est une constatation
fondée sur une conclusion sur les faits. Il se peut que
la conclusion sur les faits servant de fondement à la
constatation soit erronée et susceptible d'être contes-
tée d'une façon ou d'une autre. Il est cependant hors
de doute qu'une conclusion sur les faits, dans ce con-
texte ou dans tout autre contexte, ne saurait être con-
sidérée comme une décision rendue dans l'exercice
du pouvoir réglementaire.
(iv) Le même raisonnement s'applique, à mon avis,
à l'approbation donnée le 19 février 1990 par le
ministre des Transports toujours en application de la
Loi sur la protection des eaux navigables, plus préci-
sément de son paragraphe 10(2).
L'article 10 de la Loi sur la protection des eaux
navigables porte ce qui suit:
10. (1) Un ouvrage légalement construit peut être reconstruit
ou réparé si, de l'avis du ministre, la reconstruction ou répara-
tion ne gêne pas la navigation davantage.
(2) Un ouvrage légalement construit peut être modifié si les
conditions suivantes sont respectées:
a) les plans de la modification projetée sont déposés au
bureau du ministre et approuvés par ce dernier;
b) de l'avis du ministre, la modification ne gêne pas la navi
gation davantage.
(3) Pour l'application des articles 5, 6 et 12, les plans de
l'ouvrage s'entendent également des plans de la modification.
(4) La reconstruction, réparation ou modification d'un
ouvrage existant et légalement construit qui, de l'avis du
ministre, est devenu un danger ou un obstacle pour la naviga
tion en raison du temps écoulé et de l'évolution des conditions
de la navigation dans les eaux navigables en cause est considé-
rée comme un nouvel ouvrage.
À mon avis, l'approbation donnée en application
du paragraphe (2) ci-dessus est du même type que
l'exemption prévue au paragraphe 5(2). Il est vrai que
si l'on s'en tient à la lettre du texte, le ministre doit
décider l'approbation, mais il ne faut pas se laisser
obnubiler par la technique législative. La décision
prévue au paragraphe 10(2) revient à constater le fait
que la modification ne gênera pas sérieusement la
navigation, en conséquence de quoi le ministre n'aura
pas à exercer son pouvoir pour intervenir.
Ainsi donc, je conclus qu'aucun des actes attaqués
des ministres n'aurait pu déclencher l'application du
Décret sur les lignes directrices à l'égard du projet.
b) L'arrêté d'exemption DORS/90-729
À supposer même que mon analyse ci-dessus laisse
à désirer, l'«arrêté d'exemption» aurait réglé la ques
tion de toute façon. L'arrêté DORS/90-729 prévoit
expressément que le Décret sur les lignes directrices
ne s'applique pas au projet Kemano. En voici le
texte:
C.P. 1990-2252 12 octobre 1990
Sur avis conforme du ministre de l'Environnement et en
vertu de l'article 6 de la Loi sur le ministère de l'Environne-
ment, il plaît à Son Excellence le Gouverneur général en con-
seil d'approuver l'Arrêté établissant les lignes directrices
visant les travaux d'achèvement du projet Kemano, ci-après,
pris par le ministre de l'Environnement, le 4 octobre 1990.
ARRÊTÉ ÉTABLISSANT LES LIGNES
DIRECTRICES VISANT LES TRAVAUX
D'ACHÈVEMENT DU PROJET KEMANO
Titre abrégé
1. Arrêté sur les lignes directrices visant les travaux d'achè-
vement du projet Kemano.
Lignes directrices
2. Le Décret sur les lignes directrices visant le processus
d'évaluation et d'examen en matière d'environnement ne s'ap-
plique pas au projet connu sous le nom des travaux d'achève-
ment du projet Kemano et notamment aux décisions prises
conformément à l'Entente de règlement conclue par Sa
Majesté du chef du Canada, Sa Majesté du chef de la province
de la Colombie-Britannique et Alcan Aluminium Limitée le 14
septembre 1987 et approuvée par le gouverneur en conseil par
le décret C.P. 1987-2481 du 10 décembre 1987.
Cet arrêté fait, par son libellé même, obstacle au
redressement recherché par les intimés dans leurs
requêtes introductives d'instance, et le juge des
requêtes s'est immédiatement aperçu que, malgré ses
réserves pour ce qui était de savoir s'il était en droit
de le faire, il lui fallait invalider ce texte pour donner
effet à sa conclusion que le Décret sur les lignes
directrices était applicable en l'espèce. Voici la con
clusion qu'il a tirée à ce sujet (à la page 300):
Le paragraphe 5 présente un problème plus difficile en ce
qui concerne le décret DORS/90-729, car nous sommes dans
une grande incertitude, vu la jurisprudence, au sujet de la pos-
sibilité de l'annuler dans les présentes procédures, si tant est
que l'on puisse l'annuler. Les requérants maintiennent que
c'est la recommandation du ministre qui a amené la prise du
décret qu'ils veulent faire annuler et que si elle est annulée, le
décret lui-même sera inopérant. Certes, je suis disposé à annu-
ler la décision du ministre, mais il me semble que si je ne dis
rien au sujet du décret, les intimés pourront sans aucun doute
l'invoquer ultérieurement pour contrecarrer l'ordonnance ren-
due en l'espèce exigeant que soit mené un examen des évalua-
tions environnementales en conformité avec le PÉEE. Ce qui
entraînerait d'autres procédures qui prendraient du temps. Par
conséquent, pour éviter ce résultat en pratique, il est peut-être
nécessaire non seulement d'annuler la recommandation du
ministre selon laquelle aucun examen ne devait être fait, mais
encore d'annuler le décret en découlant, par lequel a été
approuvée cette recommandation; j'accorderai donc aussi le
certiorari relatif au paragraphe 5 des requêtes.
Le juge des requêtes ne dit pas sur quelle règle de
droit il s'est fondé pour invalider l'arrêté. Autre part
il en critique vaguement l'adoption et note, avec une
certaine irritation, que l'arrêté fut pris le lendemain
du dépôt des requêtes introductives d'instance. Mais
si, dans le passage crucial cité ci-dessus, il explique
pourquoi il juge nécessaire d'annuler l'arrêté, il n'in-
dique pas le fondement juridique de sa décision. En
défendant la conclusion du juge des requêtes, les
intimés réitèrent ce qu'ils avaient allégué dans l'ins-
tance, savoir que l'arrêté excédait les pouvoirs prévus
par la Loi; qu'il a été pris de mauvaise foi et en viola
tion de l'article 35 de la Constitution; et enfin qu'il a
été pris au mépris de l'attente légitime des intimés.
L'un quelconque de ces motifs peut-il être accueilli?
Je ne le pense pas.
Qu'on voie dans cet arrêté une modification appor-
tée au Décret sur les lignes directrices pour en
exempter expressément le projet, ou la simple confir
mation que celui-ci ne tombe pas dans son champ
d'application, c'est-à-dire un simple éclaircissement,
il me semble que du fait qu'il a été pris en application
de l'article 6 de la Loi sur le ministère de l'Environ-
nement, il était clairement autorisé par la loi. Le pou-
voir d'adopter des règlements et autres textes s'en-
tend forcément aussi du pouvoir de les clarifier ou
modifier, à condition bien entendu que ce pouvoir ne
soit pas exercé de façon qui irait à l'encontre de la
volonté du législateur. Cependant, il m'est impossible
de voir comment on pourrait dire que l'arrêté en
question va à l'encontre des fonctions du ministre,
telles qu'elles sont définies à l'article 4 de la Loi sur
le ministère de l'Environnement, ou qu'il a été pris
sans égard aux prescriptions de l'article 5 de la même
Loi 4 .
4 Voici les art. 4, 5 et 6 de la Loi sur le ministère de l'Envi-
ronnement:
4. (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent
d'une façon générale à tous les domaines de compétence du
Parlement non attribués de droit à d'autres ministères ou
organismes fédéraux et liés:
a) à la conservation et l'amélioration de la qualité de l'en-
vironnement naturel, notamment celle de l'eau, de l'air et
du sol;
b) aux ressources naturelles renouvelables, notamment les
oiseaux migrateurs et la flore et la faune sauvages en
général;
c) aux eaux;
d) à la météorologie;
(Suite à la page suivante)
Les intimés soutiennent que, selon un principe fon-
damental de droit constitutionnel, une autorité inves-
tie du pouvoir réglementaire ne saurait déroger à la
loi à moins qu'elle n'y soit formellement habilitée.
Ils citent à l'appui un passage du traité de droit cons-
titutionnel du professeur Hogg, Constitutional Law of
Canada (2e éd., 1985), la page 631, ainsi que la
jurisprudence qui y est invoquée. Voici ce passage:
(Suite de la page précédente)
e) malgré l'alinéa 4(2)j) de la Loi sur le ministère de la
Santé nationale et du Bien-être social, à l'application,
dans la mesure où ils touchent la conservation et l'amélio-
ration de la qualité de l'environnement naturel, des règles
ou règlements pris par la Commission mixte internatio-
nale et promulgués aux termes du traité signé entre les
États-Unis d'Amérique et Sa Majesté le roi Édouard VII
au sujet des eaux limitrophes et des questions d'intérêt
commun pour les deux pays;
f) à la coordination des plans et programmes du gouverne-
ment fédéral en matière de conservation et d'amélioration
de la qualité de l'environnement naturel;
g) aux parcs nationaux;
h) aux champs de bataille, lieux et monuments historiques
nationaux.
(2) Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent en
outre aux autres domaines de compétence du Parlement liés
à l'environnement et qui lui sont attribués de droit.
5. Dans le cadre des pouvoirs et fonctions que lui confère
l'article 4, le ministre:
a) lance, recommande ou entreprend à son initiative et
coordonne à l'échelle fédérale des programmes visant à:
(i) favoriser la fixation ou l'adoption d'objectifs ou
de normes relatifs à la qualité de l'environnement ou
à la lutte contre la pollution;
(ii) faire en sorte que les nouveaux projets, pro
grammes et activités fédéraux soient, dès les pre-
mières étapes de planification, évalués en fonction de
leurs risques pour la qualité de l'environnement natu-
rel, et que ceux d'entre eux dont on aura estimé
qu'ils présentent probablement des risques graves
fassent l'objet d'un réexamen dont les résultats
devront être pris en considération;
(iii) fournir, dans l'intérêt public, de l'information
sur l'environnement à la population;
b) favorise et encourage des comportements tendant à
protéger et à améliorer la qualité de l'environnement, et
coopère avec les gouvernements provinciaux ou leurs
organismes, ou avec tous autres organismes, groupes ou
particuliers, à des programmes dont les objets sont ana
logues;
(Suite à la page suivante)
[TRADUCTION] Un corollaire de la jurisprudence établie par
des décisions telles que Entick v. Carrington et Roncarelli v.
Duplessis est que le premier ministre fédéral (ou provincial) ou
un ministre de la Couronne ou autre représentant du gouverne-
ment n'a le pouvoir ni de suspendre l'application d'une loi
pour une certaine période ni d'en exempter une personne ou un
groupe donné. Les Stuart ont revendiqué ces pouvoirs de «sus-
pension» et d'«exemption», mais le Bill of Rights les a abolis
en 1688. Les gouvernements des temps modernes les revendi-
quent périodiquement, mais cette revendication est rejetée par
les tribunaux judiciaires qui chaque fois ajoutent la sévère
admonition que la Couronne n'est pas au-dessus de la loi 21 .
Et on peut lire à la note 21 en bas de la page:
21 [TRADUCTION] Fitzgerald v. Muldoon [1976] 2 N.Z.L.R.
615 (N.Z. S.C.) (Le premier ministre de Nouvelle-Zélande
ne peut suspendre l'obligation légale de contribution au
régime de pension de l'État); Re la Loi anti-inflation [1976]
2 R.C.S. 373 (le lieutenant-gouverneur en conseil ne peut
changer la loi avec l'accord du gouverneur en conseil); Man.
Govt. Employees Assn. c. Gouvernement du Manitoba
[1978] 1 R.C.S. 1123 (même conclusion); R. v. Catagas
(1977) 81 D.L.R. (3d) 396 (C.A. Man.) (Le ministre ne peut
exempter les autochtones de l'application de la Loi sur la
Convention concernant les oiseaux migrateurs.)
Il faut mettre en garde contre un malentendu à ce
propos. Il est évident que la volonté du Parlement est
souveraine et qu'aucun pouvoir administratif ou exé-
cutif ne peut y contrevenir, directement ou indirecte-
ment. Mais cela ne signifie pas qu'une autorité inves-
tie du pouvoir réglementaire n'est pas habilitée à
exempter quelqu'un de l'application d'un règlement
qu'elle a pris elle-même. Cela pourrait être le cas,
j'en conviens, s'il est manifeste que selon la volonté
du législateur, le règlement à prendre s'appliquerait à
tout et chacun. Par exemple, l'auxiliaire «doit» eût-il
été employé dans l'article 6 de la Loi sur le ministère
de l'Environnement au lieu de l'auxiliaire «peut», on
pourrait soutenir que la volonté du législateur était
d'interdire toute exemption. Mais tel n'est pas le cas
(Suite de la page précédente)
c) conseille les chefs des divers ministères ou organismes
fédéraux en matière de conservation et d'amélioration de
la qualité de l'environnement naturel.
6. Au titre de celles de ses fonctions qui portent sur la
qualité de l'environnement, le ministre peut par arrêté, avec
l'approbation du gouverneur en conseil, établir des direc
tives à l'usage des ministères et organismes fédéraux et, s'il
y a lieu, à celui des sociétés d'État énumérées à l'annexe III
de la Loi sur la gestion des finances publiques et des orga-
nismes de réglementation dans l'exercice de leurs pouvoirs
et fonctions.
en l'espèce. Et si le Décret sur les lignes directrices
avait pu comporter une disposition qui exemptait les
travaux KCP, pourquoi le même résultat ne pourrait-
il pas être atteint en deux étapes? Un recours fréquent
à pareille méthode pourrait saper l'autorité du Décret
sur les lignes directrices, mais il s'agit là d'une ques
tion à résoudre par le Parlement, non pas par les tri-
bunaux. Il est manifeste, à mes yeux, qu'on ne peut
dire que l'arrêté DORS/90-729 a été pris en violation
de la volonté du Parlement.
Par ailleurs, l'allégation que cet arrêté a été pris de
mauvaise foi et en violation de l'article 35 de la
Constitution—à supposer qu'elle soit pertinente, ce
dont je doute—est totalement dénuée de fondement.
S'il n'y a pas contravention à l'objectif de la Loi, on
ne saurait parler de mauvaise foi et, à la lumière des
preuves et témoignages produits, l'article 35 de la
Constitution n'a aucun rapport avec l'affaire en ins
tance. Pour affirmer qu'en prenant cet arrêté, le gou-
vernement a illégalement manqué à son obligation
fiduciaire envers les autochtones, il aurait fallu non
seulement qu'on sache le contenu exact de cette obli
gation, mais plus particulièrement, qu'on soit con-
vaincu que le seul moyen de remplir cette obligation,
eu égard aux faits de la cause, serait de confirmer que
le Décret sur les lignes directrices est applicable à
l'égard du projet. Rien cependant dans le dossier ne
permet pareille conclusion.
Enfin, je ne vois pas comment l'arrêté en cause
pourrait être attaqué du point de vue de l'attente légi-
time. En premier lieu, les conditions nécessaires à
l'application possible de cette doctrine récemment
élaborée de l'attente légitime n'existent pas puisqu'il
n'y a aucune preuve établissant qu'une autorité quel-
conque ait fait une promesse sur laquelle se seraient
fondés les intimés. En second lieu—et cet argument
est encore plus important—cette doctrine, telle que je
la comprends, ne s'applique qu'aux questions de pro-
cédure administrative; elle n'a et ne saurait rien à
voir, à mon sens, avec la validité d'un texte législatif
ou réglementaire.
À mon avis, il n'y a tout simplement aucun fonde-
ment juridique sur lequel on puisse se baser pour
déclarer l'arrêté DORS/90-729 nul et non avenu. À
supposer que je me sois trompé en pensant qu'aucune
des actions attaquées des ministres était subordonnée
à l'application du Décret sur les lignes directrices
dans le contexte des travaux KCP, ce soi-disant arrêté
d'exemption doit régler toutes les difficultés.
Ma conclusion générale est, en conséquence, qu'il
faut accueillir les appels, rejeter l'appel incident,
annuler les diverses ordonnances rendues par le juge
des requêtes et rejeter les requêtes introductives
d'instance des intimés.
Les appelants auront droit à leurs dépens en appel
comme en première instance. Alors que les requêtes
introductives d'instance faisaient l'objet d'une argu
mentation commune en appel et en première instance,
l'appelante Alcan et les ministres appelants étaient
représentés par des avocats différents devant les deux
sections. En conséquence, l'appelante Alcan et les
ministres appelants auront droit à des dépens distincts
devant la Cour comme en première instance.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-
dessus.
LE JUGE LINDEN, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-
dessus.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.