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A-560-91
Alcan Aluminium Limitée, le ministre de l'Environnement, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, le ministre des Pêches et des Océans et le ministre des Transports (appelants)
c.
Le Conseil de la tribu Carrier-Sekani, Marvin Charlie, chef de la bande indienne Cheslatta, en son nom propre et au nom de tous les autres membres de la bande indienne Cheslatta, Maureen Ogen, chef de la bande indienne de Broman Lake, en son nom propre et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de Broman Lake, Geoffrey Thomas, chef de la bande indienne de Stoney Creek, en son nom propre et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de Stoney Creek, Peter Quaw, chef de la bande indienne de Fort George, en son nom propre et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de Fort George, Ernie Nooski, chef de la bande indienne de Fraser Lake, en son nom propre et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de Fraser Lake, Robert Michell, chef de la bande indienne Stellaquo, en son nom propre et au nom de tous les autres membres de la bande indienne Stellaquo, Leonard Thomas, chef de la bande indienne Necoslie, en son nom propre et au nom de tous les autres membres de la bande indienne Necoslie, Edward John, chef de la bande indienne Tl'azt'en Nation, en son nom propre et au nom de tous les autres membres de la bande indienne Tl'azt'en Nation, Roy French, chef de la bande indienne de Takla Lake, en son nom propre et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de Takla Lake, Wilf Adam, chef de la bande indienne de Lake Babine, en son nom propre et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de Lake Babine, Robert Charlie, chef de la bande indienne de Burns Lake, en son nom propre et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de Burns Lake (intimés)
A-561-91
Alcan Aluminium Limitée, le ministre de l'Environnement, le ministre des Affaires
indiennes et du Nord canadien, le ministre des Pêches et des Océans et le ministre des Transports (appelants)
c.
La Save the Bulkley Society, la Nechako Neyenkut Society, le Syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés, la B.C. Wildlife Federation, The Steelhead Society of British Columbia, l'Association canadienne des travailleurs de fonderie et ouvriers assimilés (intimés)
RÉPERTORIE: CONSEIL DE LA TRIBU CARRIER-SEKANI C. CANADA (MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT) (C.A.)
Cour d'appel, juges Heald, Marceau et Linden, J.C.A. —Vancouver, 16, 17, 18, 19 et 20 décembre 1991 et 8, 9 et 10 avril 1992; Ottawa, 8 mai 1992.
Environnement Travaux d'achèvement du projet Kemano (travaux KCP) destinés à accroître la capacité de la centrale hydro-électrique sur la rivière Nechako pour alimenter une fonderie d'Alcan à Kitimat Il échet d'examiner si ces tra- vaux sont soumis à l'application du Décret sur les lignes direc- trices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement (Décret sur les lignes directrices) Arrêté portant que le Décret sur les lignes directrices ne s'applique pas aux travaux KCP Arrêtés d'exemption pris par le minis- tre des Transports en application de la Loi sur la protection des eaux navigables et de la Loi sur les pêches Décision par la Cour suprême par l'arrêt Oldman River que le Décret sur les lignes directrices s'applique dans les cas l'exercice du pouvoir ou de l'obligation ministériel est nécessaire la mise à exécution du projet Les exemptions ministérielles ne représentent pas l'exercice de pareil pouvoir ou obligation Une conclusion sur les faits ne constitue pas un exercice de pouvoir réglementaire.
Contrôle judiciaire Recours en equity Jugements déclaratoires Saisi de la requête en certiorari contre les ministres nommés, le juge des requêtes a invalidé l'arrêté Délivrance d'ordonnances de certiorari et de mandamus après instruction des exceptions Décision déclaratoire de par sa nature Il ne peut être question de jugement déclaratoire contre l'arrêté que dans le cadre d'une action intentée contre le procureur général Le certiorari est un recours contre des mesures administratives, non pas contre des textes législatifs D'accorder les ordonnances recherchées sans entendre les défenses au fond revient à priver les appelants du droit de se faire entendre.
Droit constitutionnel Arrêté pris par le gouverneur en conseil après la promulgation du Décret sur les lignes direc- trices pour en exempter un projet spécifique Il échet d'exa- miner si cet arrêté est inconstitutionnel Faute de disposition
contraire de la loi d'habilitation, l'autorité investie du pouvoir réglementaire peut exempter de l'application d'un règlement qu'elle a pris elle-même.
Il y a en l'espèce appel et appel incident contre la décision rendue par la Section de première instance sous forme d'or- donnances de certiorari et de mandamus.
En 1967, Alcan a construit un barrage sur la rivière Nechako dans la région centre-ouest de la Colombie-Britannique en vue d'alimenter en électricité sa fonderie à Kitimat. En 1979, le ministère des Pêches et des Océans a intenté contre Alcan une action devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, action à laquelle a été joint le Procureur général de cette pro vince, en vue d'assurer un certain débit de l'eau déversée par ce barrage. L'affaire a été réglée à l'amiable en 1987. En exé- cution de l'entente de règlement, le gouverneur en conseil a pris un décret portant obligation pour le ministre des Pêches et des Océans d'exercer, conformément à cette entente, ses pou- voirs discrétionnaires pour approuver les travaux d'Alcan sur la Nechako, et un arrêté (DORS/90-729) portant que le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement ne s'appliquait pas à la seconde phase de ces travaux, c'est-à-dire les travaux d'achè- vement du projet Kemano (Kemano Completion Project ou KCP). Le ministre des Pêches et des Océans a émis, en appli cation du paragraphe 20(10) de la Loi sur les pêches, l'opinion que le débit postérieur aux travaux KCP serait suffisant pour assurer la sécurité et le frai des poissons. De son côté, le minis- tre des Transports a pris divers arrêtés d'exemption et d'appro- bation en application de la Loi sur la protection des eaux navi- gables.
Les intimés cherchent à soumettre les travaux KCP à un exa- men en règle des répercussions environnementales. Ils avaient intenté une action devant la Cour fédérale en avril 1988, mais n'ont pris aucune mesure pour y donner suite après que Alcan eut déposé sa défense en mai 1989. Les procédures en cours ont été intentées en octobre 1990 par voie de requêtes en cer- tiorari et en mandamus contre la signature de l'entente de règlement, contre les approbations ministérielles et, par modi fication subséquente des requêtes, contre l'arrêté DORS/90- 729. Les appelants y ont opposé plusieurs exceptions, les- quelles, après audition, ont été rejetées par le juge des requêtes qui a aussi fait droit aux requêtes.
Arrêt: les appels devraient être accueillis, l'appel incident rejeté.
L'appel incident porte sur le défaut, de la part du juge des requêtes, de citer comme motif d'accueil des demandes les droits que garantit aux peuples autochtones l'article 35 de la Loi constitutionnelle de /982; cependant, il ne peut y avoir appel que contre une décision, non pas contre les motifs de cette décision.
Un arrêté du gouverneur en conseil ne peut être attaqué en justice que par action intentée contre le procureur général. Les ministres nommés dans les demandes ne représentent pas le gouverneur en conseil. Une ordonnance faisant droit à l'at- taque contre la constitutionnalité d'un arrêté est déclaratoire de par sa nature, et la procédure sommaire de la requête introduc-
tive d'instance ne peut servir qu'en vue d'un bref de préroga- tive, comme le bref de certiorari, et non pas d'un redressement par voie de jugement déclaratoire. Le bref de certiorari est un recours pour le contrôle des décisions administratives, non pas des textes législatifs. Les intimés soutiennent que ce qu'ils contestent, c'est la recommandation qui a abouti à l'adoption de l'arrêté, mais cette recommandation ne saurait être contestée indépendamment de l'arrêté, qui est le seul instrument légal auquel on puisse donner effet.
L'audition présidée par le juge des requêtes était exclusive- ment consacrée à l'instruction des exceptions. L'avocat des appelants n'a pas répondu aux points soulevés dans les requêtes introductives d'instance, et n'a pu le faire. Il s'ensuit que les appelants ont été privés du droit de soumettre à la Cour tous leurs moyens de défense. Le juge des requêtes n'était pas en droit de rendre les ordonnances en question avant que les appelants pussent faire pleinement valoir leurs arguments.
Aucune des mesures ministérielles attaquées n'était une décision de nature à faire tomber les travaux KCP dans le champ d'application du Décret sur les lignes directrices. Celui- ci s'applique aux «propositions», lesquelles s'entendent de «toute entreprise ou activité à l'égard de laquelle le gouverne- ment du Canada participe à la prise de décision». Les règles applicables ont été définies par le récent arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), par lequel la Cour suprême du Canada a conclu que le Décret sur les lignes directrices ne reçoit pas application chaque fois qu'un projet peut comporter des répercussions environnemen- tales sur un domaine de compétence fédérale. Ce texte s'ap- plique dans tous les cas od la loi prévoit pour un ministre fédé- ral le pouvoir et l'obligation de donner ou de refuser la permission de construire un ouvrage, ou d'imposer des condi tions sous lesquelles cet ouvrage pourrait être construit, le pro- moteur n'ayant pas le droit de commencer sans l'autorisation ministérielle préalable. La signature de l'entente de règlement par le ministre des Pêches et des Océans ne représentait pas l'exercice du pouvoir susmentionné. La décision de règlement représentait l'exercice du pouvoir exécutif du gouverneur en conseil, sous forme de décret. De même, l'opinion émise que le débit d'eau prévu était suffisant pour les pêcheries en aval ne constituait pas une approbation du projet, mais une instruction sur la manière dont celui-ci devait être mis à exécution pour satisfaire aux conditions que la loi imposait au propriétaire, afin que le ministre ne se voie pas dans l'obligation d'interve- nir. Les déclarations d'exemption faites en application de la Loi sur la protection des eaux navigables étaient strictement fondées sur une conclusion sur les faits tirée par le ministre des Transports, savoir que les ouvrages visés ne gêneraient pas sérieusement la navigation, et les conséquences de droit à tirer de cet état de choses sont que le ministre n'a ni pouvoir ni obligation de réglementation dans le cadre de cette loi. Une conclusion sur les faits n'est pas une décision rendue dans l'exercice du pouvoir réglementaire.
L'arrêté DORS/90-729 fait, par son libellé même, obstacle au redressement recherché par les intimés. Qu'on voie dans cet arrêté une modification apportée au Décret sur les lignes direc- trices ou une clarification de sa portée, il était clairement auto-
risé par la loi, en application de l'article 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement. Le pouvoir d'adopter des règle- ments s'entend forcément aussi du pouvoir de les clarifier ou modifier. Si un ministre n'a pas le pouvoir de passer outre à l'application de la loi, une autorité investie du pouvoir régle- mentaire est habilitée, sauf disposition contraire de la loi, à exempter quelqu'un de l'application d'un règlement qu'elle a pris elle-même. Si le Décret sur les lignes directrices avait pu comporter une disposition qui exemptait les travaux KCP, le même résultat pourrait être aussi atteint au moyen d'un texte réglementaire subséquent. S'il n'y a pas contravention à l'ob- jectif de la loi, on ne saurait parler de mauvaise foi en ce qui concerne la promulgation de l'arrêté DORS/90-729. On ne peut pas dire que le gouvernement a manqué à son obligation fiduciaire envers les autochtones, sans connaître le contenu exact de cette obligation. Rien dans le dossier ne permet de conclure que le gouvernement ne pouvait remplir cette obliga tion qu'en appliquant le Décret sur les lignes directrices aux travaux KCP. La doctrine de l'attente légitime ne s'applique pas en l'espèce puisque aucune autorité n'a fait une promesse sur laquelle se seraient fondés les intimés. D'ailleurs, cette doctrine ne s'applique qu'aux questions de procédure adminis trative; elle n'a aucun rapport avec la question de la validité d'un texte législatif.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Arrêté sur les lignes directrices visant les travaux d'achè- vement du projet Kemano, DORS/90-729.
Décret sur les lignes directrices visant le processus d'éva- luation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appen- dice H, 44], art. 35.
Loi de 1979 sur l'organisation du gouvernement, S.C. 1978-79, ch. 13, art. 6.
Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22, art. 5(2), 10(2).
Loi sur le ministère de l'Environnement, L.R.C. (1985), ch. E-10, art. 4, 5, 6.
Loi sur le ministère de l'Environnement, S.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 14, art. 6 (mod. par S.C. 1978-79, ch. 13, art. 14).
Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F-14, art. 20(10), 33.1 (édicté par S.R.C. 1970 (1 07 suppl.), ch. 17, art. 3; S.C. 1976-77, ch. 35, art. 8).
Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, art. 22(3), 37.
Règlement sur les ordonnances relatives au barrage Ken- ney et au déversoir du lac Skins, DORS/87-723.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 321.1 (édictée par DORS/88-221, art. 7; mod. par DORS/90- 846, art. 8; DORS/92-43, art. 4), 419, 1203 (mod. par DORS/79-57, art. 20).
Utilities Commission Act, S.B.C. 1980, ch. 60.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; [1992] 2 W.W.R. 193; (1992), 7 C.E.L.R. (N.S.) 1.
DÉCISION CITÉE:
Attorney General of Canada et al. v. Aluminum Co. of Canada et al.; B.C. Wildlife Federation, Intervenor (1987), 35 D.L.R. (4th) 495; [1987] 3 W.W.R. 193; 10 B.C.L.R. (2d) 371; 26 Admin. L.R. 18; 15 C.P.C. (2d) 289 (C.A.C.-B.); infirmant [1987] 1 C.N.L.R. 10; (1986), 15 C.P.C. (2d) 8 (C.S.C.-B.).
DOCTRINE
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 2nd ed., Toronto: Carswell Co. Ltd., 1985.
APPEL ET APPEL INCIDENT d'une ordonnance de la Section de première instance (1991), 6 C.E.L.R. (N.S.) 265, qui faisait droit à des requêtes en certio- rari et en mandamus. Appel accueilli, appel incident rejeté.
AVOCATS:
Brian J. Wallace, c.r. et Ron A. Skolrood pour l'appelante Alcan Aluminium Limitée.
H.J. Wruck, c.r. et Valerie Osborne pour les appelants ministre de l'Environnement, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, ministre des Pêches et des Océans, et ministre des Transports.
Arthur Pape et John Rogers pour l'intimé Con- seil de la tribu Carrier-Sekani.
Martin L. Palleson pour l'intimée Save the Bulkley Society.
PROCUREURS:
Lawson, Lundell, Lawson, Vancouver, pour l'ap- pelante Alcan Aluminium Limitée.
Le sous-procureur général du Canada pour les appelants ministre de l'Environnement, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, ministre des Pêches et des Océans, et ministre des Transports.
Pape & Salter, Vancouver, pour l'intimé Conseil de la tribu Carrier-Sekani.
Ferguson, Gifford, Vancouver, pour l'intimée Save the Bulkley Society.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: La Cour est saisie de deux appels et d'un appel incident, tous formés con- tre la décision rendue par un juge des requêtes de la Section de première instance sous forme de diverses ordonnances de certiorari et de mandamus. Le litige a son origine dans les travaux d'achèvement du projet dit Kemano, c'est-à-dire la seconde phase de la cons truction d'une centrale hydro-électrique et d'une alu- minerie d'Alcan Aluminium Limitée («Alcali») dans la région centre-ouest de la Colombie-Britannique. Plusieurs parties sont en cause. D'un côté se trouvent, avec Alcan, quatre ministres de la Couronne fédérale: Environnement, Pêches et Océans, Transports, Affaires indiennes et Nord canadien («les ministres appelants»), qui auraient illégalement autorisé la mise à exécution du projet. De l'autre côté, se trouvent le Conseil de la tribu Carrier-Sekani et les chefs de onze bandes indiennes Carrier qui agissent en leur nom propre et au nom des membres de leurs bandes res- pectives («le Conseil tribal»), avec une coalition d'écologistes et de défenseurs de pêcheries menée par la Save the Bulkley Society («la Save the Bulkley Society»), qui attaquent les actions des ministres et cherchent à forcer un examen fédéral des répercus- sions environnementales du projet. Les points liti- gieux sont nombreux et complexes et, pour que la Cour puisse les instruire comme il convient, doivent être envisagés avec soin dans leur contexte. Il faut donc reprendre tous les faits qui sont à l'origine du litige ainsi que l'historique de l'instance elle-même.
Les faits de la cause
Les installations existantes
En 1950, Alcan a conclu avec le gouvernement de la Colombie-Britannique un accord sur la construc tion d'une centrale hydro-électrique et d'une alumi- nerie dans la région centre-ouest de la province. Cet accord lui donnait le droit d'accumuler et de redistri- buer les eaux des rivières Nechako et Nanika. Avant de commencer les travaux de construction de la pre- mière phase du projet, la compagnie a eu avec le ministère fédéral des Pêches des discussions à l'issue
desquelles le ministre a conclu en 1952 que le débit minimal des eaux pouvait être maintenu par déverse- ment de 100 pieds cubes par seconde dans la rivière Nechako par un déversoir à creuser au lac Skins.
Les travaux ont été terminés en 1967. Le principal élément de ces premières installations était un bar rage (le barrage Kenney) qui contrôlait le débit de la rivière Nechako coulant vers l'est et permettait l'ac- cumulation d'une grande quantité d'eau dans un réservoir (le réservoir Nechako) et le détournement d'une partie de cette eau vers l'ouest, vers une cen- trale installée à Kemano et alimentant une fonderie d'aluminium à Kitimat.
Le projet d'expansion des installations
Durant les années 1970, Alcan a mis au point un plan pour la seconde phase d'aménagement qui con- sistait à accroître sa capacité à retenir et à détourner l'eau des deux rivières Nechako et Nanika. Ce plan devait être connu par la suite sous le nom de travaux d'achèvement du projet Kemano ou travaux KCP [Kemano Completion Project].
Le différend avec les autorités fédérales
En 1979, le ministère fédéral des Pêches et des Océans a commencé à s'inquiéter au sujet du débit de l'eau déversée par les installations existantes dans la rivière Nechako, en particulier par le déversoir du lac Skins. Alcan ayant contesté la validité de l'analyse de ce ministère, le procureur général du Canada a intenté une action en Cour suprême de la Colombie- Britannique et obtenu une ordonnance mandatoire pour forcer la compagnie à assurer un certain débit. Alcan a produit une défense et intenté une demande reconventionnelle. Le procureur général de la Colom- bie-Britannique a été alors constitué codéfendeur. Après un certain temps, Alcan, en 1983, déterminée à poursuivre les travaux KCP malgré l'action en ins tance, a demandé la délivrance d'un certificat de pro- jet de production d'énergie en application de la loi provinciale dite Utilities Commission Act, S.B.C. 1980, ch. 60. Elle a par la suite sursis à sa demande
et, pour parvenir à un plein accord avec les autorités fédérales, a soumis à l'examen du ministère des études de débit qu'elle avait effectuées elle-même.
Pendant que les deux côtés essayaient de résoudre leur différend, d'autres parties ont manifesté leur intérêt dans l'affaire. En 1984, le Conseil tribal a informé le ministre des Affaires indiennes que la ges- tion du système de la rivière Nechako serait l'une des questions centrales dans les négociations à venir sur leurs revendications territoriales. En 1985, après que Alcan eut déposé sa demande reconventionnelle révi- sée, le Conseil tribal a même essayé de se constituer partie dans l'action pendante, mais la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rejeté sa demande par ce motif que le litige portait sur une question consti- tutionnelle, dont la solution ne pouvait compromettre la position juridique des Indiens'.
L'action vint à procès en août 1987. Le principal point litigieux portait sur l'étendue du pouvoir qu'avait le ministre des Pêches et des Océans de con- trôler le débit de la rivière Nechako, dans le cadre de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14; il y avait aussi certaines questions subsidiaires, comme la quantité d'eau effectivement déversée et le débit nécessaire pour la protection des poissons.
Le règlement à l'amiable du litige
Le 14 septembre 1987, à l'ouverture de la troi- sième semaine du procès, les trois parties en cause, la Reine du chef du Canada, la Reine du chef de la Colombie-Britannique et Alcan, ont conclu une entente («l'entente de règlement») qui mit effective- ment fin au litige. Alcan renonça aux droits qu'elle s'était vu accorder en 1950 pour retenir l'eau par un barrage et la déverser dans le bassin hydraulique de la rivière Nanika, ainsi qu'à son droit d'accumuler une partie du débit de la rivière Nechako; elle s'engagea aussi à construire des installations qui amélioreraient la qualité de l'eau de la rivière et contribueraient à la préservation des poissons. En contrepartie, Alcan a
I Attorney General of Canada et al. v. Aluminum Co. of Canada et al.; B.C. Wildlife Federation, Intervenor (1987), 35 D.L.R. (4th) 495 (C.A.C.-B.); infirmant [1987] 1 C.N.L.R. 10 (C.S.C.-B.).
obtenu que des normes précises fussent définies au sujet des ressources halieutiques locales, ce dont elle avait besoin pour pouvoir mener à bien son expan sion; à cet effet, le ministre des Pêches et des Océans a immédiatement émis, en application du paragraphe 20(10) de la Loi sur les pêcheries [S.R.C. 1970, ch. F-14], l'opinion que, sous réserve de certaines mesures correctives, le débit actuel et le débit posté- rieur aux travaux KCP dans la rivière Nechako seraient suffisants pour assurer la sécurité et le frai des poissons 2 . Il était aussi entendu qu'un comité formé de représentants de chacune des trois parties serait chargé de contrôler et de gérer le débit de la rivière Nechako.
Le 10 décembre 1987, le gouverneur en conseil a pris les décrets C.P. 1987-2481 et 1987-2482 [Règle- ment sur les ordonnances relatives au barrage Ken- ney et au déversoir du lac Skins, DORS/87-723]. Le premier, pris en application de l'article 6 de la Loi de 1979 sur l'organisation du gouvernement [S.C. 1978- 79, ch. 13], portait approbation de l'entente de règle- ment; le second, pris en application de l'alinéa 33.1(3)b) [édicté par S.R.C. 1970 (1er suppl.), ch. 17, art. 3; S.C. 1976-77, ch. 35, art. 8] de la Loi sur les pêcheries (alinéa 37(3)b) de l'actuelle Loi sur les pêches), portait obligation pour le ministre d'exercer les pouvoirs qu'il tenait du paragraphe 33.1(2) [édicté idem] (paragraphe 37(2) nouveau) de la Loi de manière conforme à l'entente de règlement et à l'opi- nion qu'il avait émise par écrit en application du paragraphe 20(10) de la même Loi.
Les suites de l'entente de règlement
Le 14 avril 1988, la Save the Bulkley Society et d'autres demandeurs ont intenté en Cour fédérale une action contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada, le ministre des Pêches et des Océans et le procureur général du Canada, pour contester la validité de l'en- tente de règlement. Selon une modification apportée A la déclaration et déposée le 8 juin 1988, l'entente de règlement était invalide par ce motif entre autres qu'elle constituait une délégation et/ou diminution illégale des pouvoirs discrétionnaires que le ministre des Pêches et des Océans tenait de la Loi sur les pêches. Alcan, ayant été constituée défenderesse, a
2 Il s'agit de l'une des actions du ministre que la Cour doit examiner; j'y reviendrai plus loin.
déposé sa défense le 5 mai 1989. Depuis, les deman- deurs n'ont pris aucune autre mesure pour donner suite à leur action.
Le 10 août 1988, Alcan, munie de l'autorisation provinciale nécessaire, annonça son intention d'entre- prendre l'expansion de ses installations de production d'électricité. Les travaux de construction KCP ont finalement commencé à l'automne 1988.
Certains travaux KCP consistaient en constructions dans le lit ou en travers d'eaux navigables. À l'égard de ces travaux, le ministre des Transports a pris, en 1988 et 1989, divers «arrêtés d'exemption» en appli cation du paragraphe 5(2) de la Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22. D'autres travaux nécessitaient la modification du déversoir existant et, à cet égard, le ministre des Transports a aussi délivré une «approbation» en application du paragraphe 10(2) de la même Loi 3 .
Le 12 octobre 1990, le gouverneur en conseil, sur recommandation en date du 4 octobre 1990 du minis- tre de l'Environnement, a pris l'Arrêté sur les lignes directrices visant les travaux d'achèvement du projet Kemano («DORS/90-729»). Aux termes de cet arrêté, le règlement sur l'environnement, pris en application de l'article 6 de la Loi sur le ministère de l'Environ- nement [S.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 14; mod. par S.C. 1978-79, ch. 13, art 14; maintenant L.R.C. (1985), ch. E-10], c'est-à-dire le décret DORS/84- 467 intitulé Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'en- vironnement («Décret sur les lignes directrices») ne s'appliquait pas aux travaux KCP. Cet arrêté est com- munément connu sous le nom d'«arrêté d'exemp- tion».
Les travaux KCP se sont poursuivis comme prévu jusqu'en juin 1991, date à laquelle, par suite de la décision rendue par le juge des requêtes dans cette procédure, Alcan a suspendu les travaux jusqu'à ce que l'appel fût définitivement tranché. À ce moment- là, une grande partie du projet avait été terminé.
Historique de la procédure
L'instance dont la Cour est ici saisie fut intentée en octobre 1990. La Save the Bulkley Society a été la
3 Je reviendrai aussi sur ces mesures.
première à présenter sa requête introductive d'ins- tance le 5 octobre, suivie par le Conseil tribal qui a soumis la sienne le 11 octobre. Les uns et les autres, non satisfaits de la suite réservée par les ministres à leur demande d'un plein examen des répercussions environnementales des travaux KCP, réclamaient contre les ministres des ordonnances portant annula- tion de l'entente de règlement ainsi que des mesures ministérielles susmentionnées, prises en application de la Loi sur les pêches et de la Loi sur la protection des eaux navigables, et ordonnant un examen en règle des répercussions environnementales des tra- vaux KCP conformément au Décret sur les lignes directrices. Le 5 novembre 1990, les parties ont con- senti à ce que l'affaire fût entendue le 26 février 1991.
Les demandes introduites ne faisaient nulle men tion de l'arrêté d'exemption DORS/90-729, et ne citaient pas Alcan comme défenderesse. Le 17 jan- vier 1991, le Conseil tribal et la Save the Bulkley Society (les intimés en l'espèce) ont modifié leurs requêtes introductives d'instance respectives pour ajouter à la liste des ordonnances recherchées, une ordonnance portant annulation de l'arrêté DORS/90- 729. Quelques jours après, Alcan a demandé à se constituer intimée, et sa demande a été accueillie.
Alcan et les ministres (les appelants en l'espèce) ont opposé aux requêtes introductives d'instance plu- sieurs exceptions faisant valoir qu'il y avait lieu de les radier ou, du moins, de surseoir à leur audition. Le 18 février 1991, le juge des requêtes saisi de l'affaire a décidé qu'il était préférable d'ajourner l'audition jusqu'à une séance spéciale à tenir le 26 février 1991, à l'ouverture de laquelle ces exceptions seraient exa minées.
En conséquence, le 26 février 1991, le juge des requêtes avait devant lui les deux requêtes introduc- tives d'instance, présentées par la Save the Bulkley Society et le Conseil tribal, qui concluaient aux mesures de redressement de prérogative, et les deux exceptions opposées par les ministres et Alcan, en vue de la radiation des demandes ou de l'ajournement de leur audition.
Les requêtes introductives d'instance portaient les mêmes conclusions, à part quelques différences dans leur formulation:
a) Ordonnance de certiorari invalidant la signature par le ministre des Pêches et Océans de l'entente de règlement;
b) Ordonnance de certiorari portant annulation de la déci- sion prise par le ministre des Pêches et Océans en applica tion du paragraphe 20(10) de la Loi sur les pêcheries;
c) Ordonnance de certiorari portant annulation des déclara- tions d'exemption et de l'approbation suivantes, faites par le ministre des Transports en application de la Loi sur la pro tection des eaux navigables:
(i) Déclaration d'exemption en date du 22 juin 1989, numéro de dossier 8200-T-3489.1;
(ii) Déclaration d'exemption en date du 24 juillet 1989, numéro de dossier 8200-T-7558-1;
(iii) Déclaration d'exemption en date du 26 septembre 1989, numéro de dossier 8200-T-7560-1;
(iv) Déclaration d'exemption en date du 15 décembre 1989, numéro de dossier 8200-T-2768.2;
(v) Approbation en date du 19 février 1990, numéro de dossier 8200-4560.
d) Ordonnance de mandamus portant obligation pour les ministres des Pêches et Océans, des Transports, des Affaires indiennes et du Nord canadien, et de l'Environnement, intimés, de se conformer au Décret sur les lignes directrices et de soumettre les décisions visées aux alinéas a) à c) ci- dessus à l'évaluation préalable et à l'évaluation initiale pré- vues à l'article 10 du Décret sur les lignes directrices.
e) Ordonnance de certiorari portant annulation de l'Arrêté sur les lignes directrices visant les travaux d'achèvement du projet Kemano, DORS/90-729.
Les exceptions faisaient essentiellement valoir que la Save the Bulkley Society et le Conseil tribal ne pouvaient prétendre au redressement auquel elles concluaient dans leurs requêtes, les ministres soute- nant qu'aucune des ordonnances recherchées ne pou- vait être rendue alors que Alcan ne contestait qu'une seule conclusion, savoir celle qui visait à l'annulation de l'arrêté DORS/90-729. On soutenait aussi, à titre subsidiaire, qu'il devait y avoir un procès sur les points litigieux ou qu'à tout le moins, l'audition devait être ajournée, pour que Alcan et les ministres pussent rapporter les preuves en réponse aux alléga- tions contenues dans la documentation volumineuse déposée à l'appui des requêtes introductives d'ins- tance.
On peut trouver dans le dossier la transcription de l'audition qui a duré trois jours et à l'issue de laquelle la décision a été remise à plus tard.
Le 14 mai 1991, le juge des requêtes a rendu sa décision: les exceptions furent rejetées et le redresse- ment recherché dans les requêtes introductives d'ins- tance accordé. La décision a été immédiatement por- tée en appel devant cette Cour.
Comme indiqué au début des présents motifs, il y a eu aussi appel incident par le Conseil tribal qui regrettait que le juge des requêtes n'eût pas ajouté aux motifs par lesquels il avait déclaré que l'arrêté DORS/90-729 constituait un excès de pouvoir, l'ar- gument selon lequel ce texte était incompatible avec certains droits que garantit aux peuples autochtones l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Il est fort douteux que le contre-appelant puisse recourir à pareille procédure, attendu que le contre-appel doit porter sur la décision elle-même, non pas sur ses motifs (voir la Règle 1203 des Règles de la Cour [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, mod. par DORS/79-57, art. 20]). En outre, il aurait fallu que dans le cadre des appels principaux, la validité du jugement attaqué fût confirmée au regard de tous les motifs invoqués dans les requêtes introductives d'ins- tance. Quoi qu'il en soit, l'appel incident n'a été à aucun moment poursuivi indépendamment des appels principaux.
L'audition des appels a duré sept jours et demi, cinq jours en décembre 1991 et deux jours et demi en avril 1992, au cours desquels tous les points de droit qui se faisaient jour ont été analysés et débattus en détail par un groupe d'avocats de classe. L'argumen- tation écrite couvrait des centaines de pages. Certains de ces débats ont être repris après que la Cour suprême du Canada eut rendu le 23 janvier 1992 son arrêt, longtemps attendu, dans l'affaire Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Trans ports) [[1992] 1 R.C.S. 3], arrêt qui se trouvait au coeur de tous les arguments et qui devait constituer l'autorité à suivre pour disposer des requêtes intro- ductives d'instance.
Je ne vois aucune raison, dans les présents motifs de jugement, de reprendre et d'analyser en détail cha- cun des arguments présentés. Après analyse et réflexion, je suis parvenu à la conclusion—si j'ai bien saisi les faits et les principes juridiques en cause, en
particulier les conclusions de la Cour suprême dans Oldman River—que ces appels peuvent être tranchés à la lumière d'arguments moins complexes et moins élaborés que ne le ferait croire l'argumentation exten sive et compétente des avocats en présence. Je me limiterai strictement à donner mes conclusions et à expliquer clairement, mais aussi brièvement que pos sible, la méthodologie et le raisonnement juridique que j'ai suivis pour y parvenir.
Les nombreux motifs invoqués par les appelants contre la décision du juge des requêtes se regroupent sous trois principales allégations. En premier lieu, les appelants soutiennent que le juge des requêtes a com- mis une erreur en refusant de radier le paragraphe 5 des requêtes introductives d'instance. En deuxième lieu, qu'en décidant d'instruire immédiatement ces requêtes, il les a privés d'une audition pleine et équi- table. En troisième lieu, qu'en tout cas le redresse- ment recherché dans les requêtes introductives d'ins- tance ne pouvait être accordé. Bien que chacune de ces allégations puisse aboutir à l'accueil de l'appel, il est manifeste qu'elles n'ont pas la même portée et, par conséquent, ne peuvent aboutir au même juge- ment. Chaque allégation doit être examinée séparé- ment et, étant donné la conclusion que je tire au sujet de la troisième allégation, je vais passer brièvement en revue les deux premières.
I
Le paragraphe 5 de chacune des requêtes introduc- tives d'instance conclut à ordonnance portant annula- tion de l'arrêté DORS/90-729. Voici ce qu'il porte
dans la requête du Conseil tribal:
[TRADUCTION] (5) Dans la mesure elle est nécessaire, ordonnance de certiorari portant annulation de l'Arrêté sur les lignes directrices visant les travaux d'achèvement du projet Kemano, DORS/90-729, par ce motif qu'il excède la compétence prévue à l'article 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement; ou qu'il a été pris de mauvaise foi en ce qu'il portait atteinte aux obligations fiduciaires que les intimés devaient aux requérants, savoir le devoir de se con- former au décret DORS/84-467 avant de prendre des déci- sions ou des mesures qui pourraient porter atteinte aux droits ou intérêts des requérants; ou qu'il va à l'encontre de la reconnaissance et de l'affirmation des droits autochtones existants des requérants, que garantit l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
La requête de la Save the Bulkley Society conclut au même redressement, mais sous une formulation diffé- rente:
[TRADUCTION] (5) Ordonnance de certiorari portant annula- tion de l'Arrêté sur les lignes directrices visant les travaux d'achèvement du projet Kemano, DORS/90-729, pour viola tion de l'obligation d'équité.
Les appelants soutiennent qu'un arrêté du gouver- neur en conseil ne pourrait être attaqué en justice que par procédure engagée contre le procureur général; qu'un arrêté de cet ordre, pris dans l'exercice d'une fonction législative, ne peut faire l'objet d'un recours en certiorari; et qu'en tout cas, le redressement recherché, qui est en fait un jugement déclaratoire, n'est possible qu'en cas d'instance engagée par voie d' action.
Je pense que ces trois objections d'ordre procédu- ral sont toutes fondées. Il est hors de doute que les ministres en cause n'agissent pas et ne peuvent pas agir en qualité de représentants en justice du gouver- neur en conseil. Le sous-procureur général a comparu au nom des ministres intimés, conformément à ses responsabilités légales en la matière, mais non pas en qualité de représentant du procureur général du Canada et encore moins du Cabinet ou du gouverneur en conseil. Il est aussi hors de doute que, aussi étendu qu'il ait pu devenir, le bref de certiorari est un recours de common law qui a été conçu et qui existe toujours pour le contrôle des conclusions ou déci- sions administratives, non pas des prescriptions légis- latives. Et surtout, selon la règle établie de longue date, la procédure sommaire de la requête introduc- tive d'instance ne peut servir qu'en vue d'un bref de prérogative, et non pas d'un redressement par voie de jugement déclaratoire.
La réponse des intimés selon laquelle ce qu'ils contestent en fait, c'est la recommandation du minis- tre de l'Environnement qui a abouti à l'adoption de l'arrêté, et non pas cet arrêté lui-même, ne leur est, à mon avis, d'aucun secours. La recommandation du ministre n'a pas en soi force de loi et ne saurait être isolée et contestée indépendamment de l'arrêté, qui est le seul instrument légal auquel on puisse donner effet. De même, il ne servirait à rien de répliquer que les objections ne portent pas sur le fond, comme s'il
s'agissait en l'espèce d'une requête ordinaire en radiation d'une déclaration par ce motif que les allé- gations y contenues ne révèlent aucune cause raison- nable d'action. Les objections soulevées en l'espèce sont en effet d'ordre procédural, mais ce serait une erreur que de n'y voir qu'un simple argument de pro- cédure, puisque certains impératifs de l'administra- tion de la justice sont directement en jeu. L'impor- tance et les conséquences possibles de la contestation de la validité d'un arrêté sont trop grandes pour que la Cour puisse l'entendre par procédure sommaire, sans les protections procédurales normales. Enfin, il est spécieux de soutenir qu'aucun jugement déclara- toire formel n'a été recherché ni rendu. L'arrêté était contesté par ce motif qu'il constituait un excès de pouvoir, qu'il a été pris de mauvaise foi et en viola tion de l'article 35 de la Constitution; une ordon- nance judiciaire faisant droit à pareille attaque est certainement déclaratoire de par sa nature.
À mon avis donc, les objections soulevées par les appelants quant à l'admissibilité au redressement recherché au paragraphe 5 des requêtes introductives d'instance sont toutes fondées. S'ensuit-il que le juge des requêtes n'avait d'autre choix que de radier le paragraphe attaqué des deux requêtes? Je ne le pense pas. La requête en radiation habituelle, introduite sous le régime de la Règle 419 des Règles de la Cour et qui porte sur une action, aboutira normalement au rejet de cette action. Mais, comme indiqué plus haut, les exceptions formées en l'espèce ne ressemblaient qu'en apparence aux requêtes fondées sur la Règle 419; elles ne faisaient pas valoir que les intimés n'avaient manifestement pas droit au redressement qu'ils recherchaient, mais seulement qu'ils ont engagé la mauvaise procédure. S'il était possible de rectifier la situation en ordonnant que certaines mesures soient prises—et nul doute que c'était le cas en l'espèce—la radiation du paragraphe attaqué non seulement serait inutile, mais pourrait constituer une mauvaise mesure de réparation. Ce qui demeure cependant indéniable, c'est que les appelants sont fondés à faire valoir que le juge des requêtes ne pou- vait pas, dans le cadre de la procédure dont il était saisi, accorder, comme il l'a fait, le redressement recherché au paragraphe 5 des deux requêtes intro- ductives d'instance.
II
Comme noté plus haut, les appelants ne s'en sont pas tenus là. Ils soutiennent que le juge des requêtes ne pouvait accorder, comme il l'a fait, le redresse- ment recherché dans les requêtes introductives d'ins- tance, sans violer le principe le plus fondamental de justice naturelle. Ils citent la transcription des débats pour montrer que l'audition était exclusivement con- sacrée à l'instruction des exceptions, à la suite de la décision que les requêtes introductives d'instance seraient soumises au juge en chef adjoint pour fixa tion de la date d'audition, alors que ce renvoi aurait leur permettre de déposer des documents et de procéder aux contre-interrogatoires au sujet des affi davits sur lesquels s'appuyaient les intimés en l'es- pèce. Ils n'ont pas répondu aux points soulevés dans les requêtes introductives d'instance, disent-ils, et n'ont pas pu le faire. Ce qui s'est manifestement pro- duit, c'est qu'à l'issue de l'audition et durant la mise en délibéré, le juge des requêtes est parvenu à la con clusion qu'il pouvait examiner les questions de fond bien que n'ayant pas entendu l'argumentation des avocats en la matière, puisque tous les documents nécessaires pour établir les faits invoqués à l'appui de ces requêtes se trouvaient déjà dans le dossier, et que ce jugement immédiat permettrait d'éviter une longue procédure coûteuse.
Les avocats des intimés ne nient pas que les points soulevés dans les requêtes introductives d'instance n'étaient pas directement débattus lors de l'audition orale. Ils répliquent cependant: en premier lieu, que Alcan avait présenté ses conclusions en la matière dans son mémoire déposé avant l'audition et que les ministres fédéraux ne pouvaient s'en prendre qu'à eux-mêmes s'ils ne l'avaient pas fait, au mépris de la Règle 321.1 [édictée par DORS/88-221, art. 7; DORS/90-846, art. 8; DORS/92-43, art. 4]; en deuxième lieu, qu'il s'agissait presque entièrement de points de droit qui ne nécessitaient guère la référence aux faits matériels; et en troisième lieu, que le juge des requêtes avait la compétence et les pouvoirs dis- crétionnaires pour rendre des décisions sur-le-champ et, vu les faits de la cause pris dans leur ensemble, il avait des motifs valides pour exercer ses pouvoirs discrétionnaires de cette façon.
Sauf le respect que je leur dois, je ne saurais parta- ger l'avis des avocats des intimés. Il ressort de la transcription des débats que la procédure adoptée en première instance a pu avoir pour effet de priver les appelants d'une audition pleine et équitable. La règle «audi alteram partem» est certainement trop fonda- mentale pour qu'on puisse y déroger afin de gagner du temps et d'économiser de l'argent. Les appelants ont eu raison de soutenir que le juge des requêtes n'était pas en droit de rendre les ordonnances aux- quelles concluaient les requêtes introductives d'ins- tance avant qu'ils pussent faire pleinement valoir leurs arguments.
L'argument de justice naturelle est apparu encore plus concluant au fil de l'audition de l'appel. Dans leurs avis de requête modifiés, les intimés avaient inclus dans les différentes décisions ministérielles contre lesquelles ils concluaient à ordonnance de cer- tiorari, une approbation donnée le 19 février 1990 à Alcan sous le régime de la Loi sur la protection des eaux navigables. Au cours de l'audition en première instance, les avocats des intimés avaient accepté de rayer cette approbation de la liste; les assertions con- tenues dans un affidavit déposé par Alcan les avaient portés à conclure que ce document n'avait aucun rap port avec les travaux KCP. Le dispositif de la déci- sion de la Section de première instance fait toujours mention de cette approbation (probablement parce que les requêtes écrites n'avaient pas été officielle- ment modifiées), mais il était entendu que la question n'était pas soumise au juge des requêtes qui, en fait, n'en parle pas du tout dans ses motifs de décision. Au cours de l'audition d'appel cependant, il est apparu qu'il y avait eu un certain malentendu de la part de tous les intéressés puisque, en fait, cette approbation avait réellement un rapport avec les travaux KCP; les avocats des intimés ont demandé à la Cour la permis sion de retirer l'acceptation qu'ils avaient donnée de ne pas attaquer ce document et ce, afin d'en faire de nouveau un motif de contestation. Les avocats d'Al- can étaient disposés à ne pas s'opposer au retrait, mais faisaient savoir qu'ils se proposaient d'adminis- trer des preuves établissant les circonstances dans les- quelles cette approbation a été accordée, afin de sou- tenir à titre subsidiaire, au besoin, que cette mesure avait été prise à titre de surcroît de précaution et qu'elle n'était pas nécessaire à l'achèvement du pro- jet.
Vu ces vices, il est hors de doute que la Cour ne saurait confirmer les conclusions du juge des requêtes, sans priver les appelants de leur droit de soumettre à la Cour tous leurs moyens de défense.
III
Les appelants poussent encore plus loin leur argu mentation. Ils soutiennent que de toute façon, à la lumière du dossier tel qu'il est en cet état de la cause, aussi incomplet et peu satisfaisant qu'il soit, et même s'il s'y ajoute la question de l'approbation du 19 février 1990, la seule conclusion, que le juge des requêtes eût pu tirer était que le Décret sur les lignes directrices ne s'appliquait à aucune des décisions ministérielles relevées par les requêtes comme ayant été prises à l'égard des travaux d'achèvement du pro- jet Kemano, et que par conséquent, il n'aurait pu accorder les redressements auxquels concluaient les requêtes introductives d'instance. Je conclus que cet argument final et décisif est aussi fondé.
En effet, je conclus: a) qu'aucune des mesures ministérielles attaquées comme ayant déclenché l'ap- plication du Décret sur les lignes directrices aux tra- vaux KCP n'était une décision de nature à faire tom- ber ces derniers dans le champ d'application du Décret; et b) que s'il y avait un doute quelconque à ce sujet, l'arrêté DORS/90-729 aurait réglé la question une fois pour toutes.
a) Les mesures ministérielles en cause n'étaient pas des décisions au sens du Décret sur les lignes directrices.
L'article 6 du Décret sur les lignes directrices pré- voit que celles-ci ne s'appliquent qu'aux «proposi- tions», lesquelles, aux termes de l'article 2, s'enten- dent de «toute entreprise ou activité à l'égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à prise de décisions». Dans son récent arrêt Oldman River, la Cour suprême du Canada a été appelée à délimiter, pour la première fois, le champ d'applica- tion du Décret sur les lignes directrices en interpré- tant la définition que donne l'article 2 du terme «pro- position». Prononçant les motifs de la décision unanime de la Cour (sauf avis dissident du juge Ste- venson sur d'autres questions), le juge La Forest,
après avoir rejeté l'argument que le Décret sur les lignes directrices ne pouvait s'appliquer qu'aux pro- jets à l'égard desquels le gouvernement fédéral était la principale ou l'unique autorité décisionnelle, s'est prononcé en ces termes, aux pages 47 50:
Je ne veux pas dire pour autant que le Décret sur les lignes directrices reçoit application chaque fois qu'un projet peut comporter des répercussions environnementales sur un domaine de compétence fédérale. Il doit tout d'abord s'agir d'une «proposition» qui vise une «entreprise ou activité à l'égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions». (Je souligne.) À mon avis, l'interprétation qu'il faut donner à l'expression «participe à la prise de déci- sions» est que le gouvernement fédéral, se trouvant dans un domaine relevant de sa compétence en vertu de l'art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, doit avoir une obligation posi tive de réglementation en vertu d'une loi fédérale relativement à l'entreprise ou l'activité proposée. On n'a pas pu vouloir que le Décret sur les lignes directrices soit invoqué chaque fois qu'il existe certaines possibilités de répercussions environne- mentales sur un domaine de compétence fédérale. En consé- quence, l'expression «participe à la prise de décisions» dans la définition du terme «proposition» ne devrait pas être interpré- tée comme ayant trait à des questions relevant généralement de la compétence fédérale. Cette expression signifie plutôt une obligation légale. Si cette obligation existe, il s'agit alors de déterminer qui est le «ministère responsable» en la matière, puisque c'est ce ministère qui exerce le pouvoir de décision à l'égard de la proposition et qui doit donc entamer le processus d'évaluation visé par le Décret sur les lignes directrices.
La nécessité d'une obligation positive de réglementation pour que le gouvernement du Canada «participe à la prise de décisions» ressort d'autres dispositions du Décret sur les lignes directrices, qui laissent entendre que le ministère responsable doit détenir un certain pouvoir de réglementation sur le projet. Par exemple, l'art. 12 dispose que:
12. Le ministère responsable examine ou évalue chaque proposition à l'égard de laquelle il exerce le pouvoir de déci- sion, afin de déterminer:
f) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont inacceptables, auquel cas la propo sition est soit annulée, soit modifiée et soumise à un nou- vel examen ou évaluation initiale.
L'article 14:
14. Le ministère responsable voit à la mise en application de mesures d'atténuation et d'indemnisation, s'il est d'avis que celles-ci peuvent empêcher que les effets néfastes d'une proposition sur l'environnement prennent de l'ampleur.
Ces dispositions amplifient le pouvoir de réglementation que doit avoir le gouvernement du Canada en vertu d'une loi fédé- rale avant de pouvoir participer à la prise de décisions.
Si on applique cette interprétation à l'espèce, on se rendra compte que le projet de barrage sur la rivière Oldman peut être qualifié de proposition dont le ministre des Transports seul est le ministère responsable. A mon avis, la Loi sur la protection des eaux navigables impose une obligation positive de régle- mentation au ministre des Transports. Cette loi a mis en place un mécanisme de réglementation qui prévoit qu'il est néces- saire d'obtenir l'approbation du ministre avant qu'un ouvrage qui gêne sérieusement la navigation puisse être placé dans des eaux navigables ou sur, sous, au-dessus ou à travers de telles eaux. L'article 5 accorde au ministre le pouvoir de fixer les modalités qu'il juge à propos lorsqu'il approuve un ouvrage; si le propriétaire ne se conforme pas aux modalités, le ministre peut lui ordonner d'enlever l'ouvrage ou de le modifier. Pour ces motifs, je conclurais qu'il s'agit ici d'une «proposition» dont le ministre des Transports est un «ministère responsable».
La Loi sur les pêches ne renferme cependant pas de disposi tion de réglementation équivalente qui serait applicable au pro- jet. L'article 35 interdit d'exploiter des ouvrages ou entreprises entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson, et l'art. 40 assortit cette interdiction d'une sanction pénale. En vertu du par. 37(1), le ministre des Pêches et des Océans peut demander des renseignements à quiconque exploite ou se propose d'exploiter des ouvrages ou entreprises de nature à entraîner la détérioration, la perturbation ou la des truction de l'habitat du poisson. Toutefois, cette demande n'a pas pour objet la mise en ouvre d'une procédure de réglemen- tation; elle aide simplement le ministre à exercer le pouvoir législatif spécial, qui lui a été délégué en vertu du par. 37(2), d'autoriser une exception à l'interdiction générale. En voici le libellé:
37....
(2) Si, après examen des documents et des renseignements reçus et après avoir accordé aux personnes qui les lui ont fournis la possibilité de lui présenter leurs observations, il est d'avis qu'il y a infraction ou risque d'infraction au para- graphe 35(1) ou à l'article 36, le ministre ou son délégué peut, par arrêté et sous réserve des règlements d'application de l'alinéa (3)b) ou, à défaut, avec l'approbation du gouver- neur en conseil:
a) soit exiger que soient apportées les modifications et adjonctions aux ouvrages ou entreprises, ou aux docu ments s'y rapportant, qu'il estime nécessaires dans les cir- constances;
b) soit restreindre l'exploitation de l'ouvrage ou de l'en- treprise.
Il peut en outre [sic], avec l'approbation du gouverneur en conseil dans tous les cas, ordonner la fermeture de l'ouvrage ou de l'entreprise pour la période qu'il juge nécessaire en l'occurrence. [Je souligne.]
A mon avis, le fait que le ministre possède le pouvoir discré- tionnaire de demander des renseignements visant à l'aider dans
l'exercice d'une fonction législative ne signifie pas qu'il parti- cipe à la prise de décisions au sens du Décret sur les lignes directrices. Alors que le ministre des Transports a une respon- sabilité en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables à titre d'autorité réglementante, le ministre des Pêches et des Océans a, en vertu de l'art. 37 de la Loi sur les pêches, un pouvoir législatif spécial limité qui ne constitue pas une obli gation positive de réglementation. Pour ce motif, je ne crois pas que la demande de bref de mandamus visant à forcer le ministre à agir soit bien fondée.
Les mots clés dans les passages cités ci-dessus sont «obligation positive de réglementation», lesquels sont manifestement employés par opposition à «pouvoir législatif spécial». Leur signification exacte dans le contexte dans lequel ils sont employés n'est pas par- faitement claire et les avocats en présence étaient en désaccord total quant à leur portée et à leur contenu lorsqu'il s'agissait de les appliquer aux faits et aux dispositions législatives en cause. Les avocats des appelants n'y voient qu'une portée très limitée, fai- sant valoir par exemple qu'en cas de «pouvoir légis- latif spécial», tel celui que le ministre des Pêches et des Océans tient du paragraphe 37(2) de la Loi sur les pêches, le Décret sur les lignes directrices n'entrerait jamais en jeu. De leur côté, les avocats des intimés préconisent une large interprétation, en s'appuyant sur les propos catégoriques tenus par le juge La Forest à l'ouverture de ses motifs de jugement pour souligner l'importance qu'a prise la protection de l'environnement dans la société contemporaine.
Je n'interprète pas ce jugement tout à fait de la même façon que les avocats. Je ne pense pas que le juge La Forest ait jamais vu dans le pouvoir discré- tionnaire du ministre des Pêches et des Océans de demander des renseignements conformément à l'ar- ticle 37, l'exercice effectif des pouvoirs qu'il tient du paragraphe 37(2) pour imposer des modifications, adjonctions ou restrictions à l'ouvrage ou à l'entre- prise. Je ne pense pas non plus que l'importance atta- chée de nos jours à la protection de l'environnement ait quelque effet que ce soit sur la question de savoir s'il y a déclenchement ou non de l'examen prévu au Décret sur les lignes directrices. Dans notre pays, la protection de l'environnement incombe à tous les ordres de gouvernement, et il faut présumer que le défi qu'elle est devenue, pour reprendre les termes employés par le juge La Forest, est relevé par tous les ordres de gouvernement dans le cadre de leur pouvoir
législatif respectif; elle n'est donc pas en soi le point litigieux en l'espèce. L'importance de la protection de l'environnement ne saurait nous aider à décider à quel gouvernement appartient et incombe la respon- sabilité en la matière.
Les principes sur lesquels se fonde le jugement cité ci-dessus sont, à mon avis, les suivants. Le Décret sur les lignes directrices doit s'appliquer sans réserve dans tous les cas la loi prévoit pour un ministre fédéral le pouvoir et l'obligation de donner ou de refuser la permission de construire un ouvrage, ou d'imposer des conditions sous lesquelles cet ouvrage pourrait être construit, le promoteur n'ayant pas le droit de commencer sans l'autorisation ministérielle préalable. Le Décret sur les lignes directrices ne s'ap- plique cependant pas dans le cas le ministre, qui a le pouvoir et l'obligation d'intervenir sous certaines conditions, en est encore à surveiller, à contrôler et à vérifier s'il existe vraiment des conditions telles que son intervention est nécessaire. L'évaluation des répercussions sur l'environnement, dont le Décret sur les lignes directrices prévoit l'obligation, ne vise pas à satisfaire une simple curiosité intellectuelle, mais à aider un ministre dans l'exercice d'une attribution, qui consiste à intervenir et à prendre des mesures concrètes à l'égard de la mise en chantier ou de l'achèvement d'un projet.
C'est conformément à ces principes que j'ai conclu qu'aucune des actions attaquées des ministres, savoir: i) la signature de l'entente de règlement; ii) la déci- sion prise en application du paragraphe 20(10) de la Loi sur les pêcheries; iii) les différentes déclarations d'exemption faites sous le régime du paragraphe 5(2) de la Loi sur la protection des eaux navigables; et enfin iv) l'approbation donnée en application du paragraphe 10(2) de la Loi sur la protection des eaux navigables, ne nécessitait l'application préalable du Décret sur les lignes directrices au projet, car aucune de ces mesures n'était le résultat d'une décision prise dans l'exercice de la responsabilité décisionnelle d'un ministre fédéral.
(i) La signature de l'entente de règlement par le ministre des Pêches et des Océans n'était pas une décision de cette catégorie. Il s'agissait en premier lieu, comme noté plus haut, d'un accord entre Alcan, Sa Majesté la Reine du chef du Canada et Sa Majesté
la Reine du chef de la province de la Colombie-Bri- tannique et qui avait pour objet, entre autres, de régler à l'amiable le litige entre Alcan et la Couronne fédérale. La décision de règlement relevait du pou- voir exécutif du gouvernement du Canada. Le minis- tre des Pêches et des Océans n'a fait que signer l'en- tente au nom de la Couronne. Il a certes préparé la décision et son influence au sein du Cabinet a être un facteur important vu ses responsabilités éven- tuelles en la matière, mais il n'a exercé à cet égard aucun pouvoir décisionnel indépendant; il a fallu prendre un décret, C.P. 1987-2481, pour approuver l'entente de règlement.
Qui plus est, l'action en justice réglée par l'entente avait été intentée, comme indiqué plus haut, par suite des préoccupations des autorités fédérales des pêches au sujet de la quantité d'eau déversée par les installa tions existantes dans la rivière Nechako, et le princi pal point litigieux était la portée du pouvoir légal et constitutionnel du ministre de contrôler le débit de la rivière Nechako sous le régime de la Loi sur les pêches. Il était donc inévitable que pour se prononcer sur les conditions du règlement, il fallait tenir compte non seulement des installations existantes, mais aussi de l'expansion envisagée. La décision de conclure l'entente n'en devenait pas pour autant une décision prise dans l'exercice d'une obligation positive de réglementation prévue par une loi fédérale.
Les intimés font valoir qu'en vertu des dispositions de l'entente de règlement, le ministre des Pêches et des Océans a assumé une certaine obligation de réglementation à l'égard des travaux KCP. Il se peut qu'il en soit ainsi, mais cette obligation serait nou- velle et assumée; elle ne serait pas une obligation pré- vue par une loi fédérale, et l'entente n'a manifeste- ment pas été conclue en exécution de pareille obligation. Par ailleurs, si la création d'un mécanisme de gestion coopérative des ressources halieutiques et hydrauliques de la rivière Nechako est indubitable- ment l'un des principaux éléments de l'entente, ce mécanisme ne représente qu'un moyen d'aider le ministre à remplir ses responsabilités générales en matière de pêcheries. Ce mécanisme ne crée pas en soi une obligation positive de réglementation chez le ministre. Au contraire, il vise à permettre d'éviter
l'exercice de son pouvoir d'intervenir et d'imposer les modalités et conditions spéciales que les circons- tances pourraient requérir.
(ii) De même, la signature par le même ministre des Pêches et des Océans d'une opinion en applica tion du paragraphe 20(10) de la Loi sur les pêcheries (devenu le paragraphe 22(3) de la Loi sur les pêches) ne constituait pas une décision qui pourrait déclen- cher l'application du Décret sur les lignes directrices.
Voici ce que prévoit ce paragraphe 22(3): 22....
(3) Le propriétaire ou l'occupant d'un obstacle veille à l'écoulement, dans le lit de la rivière en aval de l'obstacle, de la quantité d'eau qui, de l'avis du ministre, suffit à la sécurité du poisson et à la submersion des frayères à la profondeur nécessaire, selon le ministre, pour assurer la sécurité des oeufs qui y sont déposés.
Cette disposition ne concerne pas l'approbation ou le rejet d'une proposition ou d'un projet. Elle vise au contraire l'obstacle qui est déjà en place. D'ailleurs, en exprimant son avis sur la quantité d'eau nécessaire pour la sécurité du poisson et la submersion des frayères, le ministre ne s'acquittait pas d'une obliga tion positive de réglementation, mais ne faisait que définir les conditions dans lesquelles il ne se verrait pas dans l'obligation d'intervenir. Autrement dit, l'opinion émise n'était pas une approbation, mais juste une instruction sur la manière dont le projet devait être mis à exécution pour satisfaire aux obliga tions que la loi imposait au propriétaire ou à l'occu- pant.
(iii) Il est également clair à mes yeux que les déclarations d'exemption faites par le ministre des Transports à l'égard de certains éléments des travaux KCP qui devaient être construits dans le lit ou en tra- vers d'eaux navigables ne pouvaient déclencher l'ap- plication du Décret sur les lignes directrices.
L'article applicable de la Loi sur la protection des eaux navigables est le suivant:
5. (1) Il est interdit de construire ou de placer un ouvrage dans des eaux navigables ou sur, sous, au-dessus ou à travers de telles eaux à moins que:
a) préalablement au début des travaux, l'ouvrage, ainsi que son emplacement et ses plans, n'aient été approuvés par le ministre selon les modalités qu'il juge à propos;
b) la construction de l'ouvrage ne soit commencée dans les six mois et terminée dans les trois ans qui suivent l'approba- tion visée à l'alinéa a) ou dans le délai supplémentaire que peut fixer le ministre;
c) la construction, l'emplacement ou l'entretien de l'ouvrage ne soit conforme aux plans, aux règlements et aux modalités que renferme l'approbation visée à l'alinéa a).
(2) Sauf dans le cas d'un pont, d'une estacade, d'un barrage ou d'une chaussée, le présent article ne s'applique pas à un ouvrage qui, de l'avis du ministre, ne gêne pas sérieusement la navigation.
En prévoyant au paragraphe 5(2) que le paragraphe 5(1) ne s'applique pas aux ouvrages qui ne gênent pas sérieusement la navigation, le législateur a claire- ment indiqué que le ministre n'a ni obligation ni pou- voir de réglementation à l'égard des ouvrages de cette catégorie. Cette limitation est parfaitement con- forme à la compétence réservée par la Constitution à l'autorité fédérale, laquelle compétence ne se fait jour qu'en cas d'obstacle réel ou éventuel à la navigation.
Les déclarations d'exemption en cause étaient toutes strictement fondées sur la constatation que les ouvrages visés ne gêneraient pas sérieusement la navigation. Par suite, les dispositions du paragraphe 5(1) en matière d'approbation n'étaient pas appli- cables. Il s'agit strictement en l'espèce d'une conclu sion sur les faits. Le mot exemption peut induire en erreur, bien qu'il y ait dans un certain sens exemption de la nécessité de l'approbation. En réalité, l'«exemp- tion» en vertu du paragraphe 5(2) est une constatation fondée sur une conclusion sur les faits. Il se peut que la conclusion sur les faits servant de fondement à la constatation soit erronée et susceptible d'être contes- tée d'une façon ou d'une autre. Il est cependant hors de doute qu'une conclusion sur les faits, dans ce con- texte ou dans tout autre contexte, ne saurait être con- sidérée comme une décision rendue dans l'exercice
du pouvoir réglementaire.
(iv) Le même raisonnement s'applique, à mon avis, à l'approbation donnée le 19 février 1990 par le ministre des Transports toujours en application de la Loi sur la protection des eaux navigables, plus préci- sément de son paragraphe 10(2).
L'article 10 de la Loi sur la protection des eaux navigables porte ce qui suit:
10. (1) Un ouvrage légalement construit peut être reconstruit ou réparé si, de l'avis du ministre, la reconstruction ou répara- tion ne gêne pas la navigation davantage.
(2) Un ouvrage légalement construit peut être modifié si les conditions suivantes sont respectées:
a) les plans de la modification projetée sont déposés au bureau du ministre et approuvés par ce dernier;
b) de l'avis du ministre, la modification ne gêne pas la navi gation davantage.
(3) Pour l'application des articles 5, 6 et 12, les plans de l'ouvrage s'entendent également des plans de la modification.
(4) La reconstruction, réparation ou modification d'un ouvrage existant et légalement construit qui, de l'avis du ministre, est devenu un danger ou un obstacle pour la naviga tion en raison du temps écoulé et de l'évolution des conditions de la navigation dans les eaux navigables en cause est considé- rée comme un nouvel ouvrage.
À mon avis, l'approbation donnée en application du paragraphe (2) ci-dessus est du même type que l'exemption prévue au paragraphe 5(2). Il est vrai que si l'on s'en tient à la lettre du texte, le ministre doit décider l'approbation, mais il ne faut pas se laisser obnubiler par la technique législative. La décision prévue au paragraphe 10(2) revient à constater le fait que la modification ne gênera pas sérieusement la navigation, en conséquence de quoi le ministre n'aura pas à exercer son pouvoir pour intervenir.
Ainsi donc, je conclus qu'aucun des actes attaqués des ministres n'aurait pu déclencher l'application du Décret sur les lignes directrices à l'égard du projet.
b) L'arrêté d'exemption DORS/90-729
À supposer même que mon analyse ci-dessus laisse à désirer, l'«arrêté d'exemption» aurait réglé la ques tion de toute façon. L'arrêté DORS/90-729 prévoit expressément que le Décret sur les lignes directrices ne s'applique pas au projet Kemano. En voici le texte:
C.P. 1990-2252 12 octobre 1990
Sur avis conforme du ministre de l'Environnement et en vertu de l'article 6 de la Loi sur le ministère de l'Environne- ment, il plaît à Son Excellence le Gouverneur général en con- seil d'approuver l'Arrêté établissant les lignes directrices visant les travaux d'achèvement du projet Kemano, ci-après, pris par le ministre de l'Environnement, le 4 octobre 1990.
ARRÊTÉ ÉTABLISSANT LES LIGNES DIRECTRICES VISANT LES TRAVAUX D'ACHÈVEMENT DU PROJET KEMANO
Titre abrégé
1. Arrêté sur les lignes directrices visant les travaux d'achè- vement du projet Kemano.
Lignes directrices
2. Le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement ne s'ap- plique pas au projet connu sous le nom des travaux d'achève- ment du projet Kemano et notamment aux décisions prises conformément à l'Entente de règlement conclue par Sa Majesté du chef du Canada, Sa Majesté du chef de la province de la Colombie-Britannique et Alcan Aluminium Limitée le 14 septembre 1987 et approuvée par le gouverneur en conseil par le décret C.P. 1987-2481 du 10 décembre 1987.
Cet arrêté fait, par son libellé même, obstacle au redressement recherché par les intimés dans leurs requêtes introductives d'instance, et le juge des requêtes s'est immédiatement aperçu que, malgré ses réserves pour ce qui était de savoir s'il était en droit de le faire, il lui fallait invalider ce texte pour donner effet à sa conclusion que le Décret sur les lignes directrices était applicable en l'espèce. Voici la con clusion qu'il a tirée à ce sujet la page 300):
Le paragraphe 5 présente un problème plus difficile en ce qui concerne le décret DORS/90-729, car nous sommes dans une grande incertitude, vu la jurisprudence, au sujet de la pos- sibilité de l'annuler dans les présentes procédures, si tant est que l'on puisse l'annuler. Les requérants maintiennent que c'est la recommandation du ministre qui a amené la prise du décret qu'ils veulent faire annuler et que si elle est annulée, le décret lui-même sera inopérant. Certes, je suis disposé à annu- ler la décision du ministre, mais il me semble que si je ne dis rien au sujet du décret, les intimés pourront sans aucun doute l'invoquer ultérieurement pour contrecarrer l'ordonnance ren- due en l'espèce exigeant que soit mené un examen des évalua- tions environnementales en conformité avec le PÉEE. Ce qui entraînerait d'autres procédures qui prendraient du temps. Par conséquent, pour éviter ce résultat en pratique, il est peut-être nécessaire non seulement d'annuler la recommandation du ministre selon laquelle aucun examen ne devait être fait, mais encore d'annuler le décret en découlant, par lequel a été approuvée cette recommandation; j'accorderai donc aussi le certiorari relatif au paragraphe 5 des requêtes.
Le juge des requêtes ne dit pas sur quelle règle de droit il s'est fondé pour invalider l'arrêté. Autre part il en critique vaguement l'adoption et note, avec une certaine irritation, que l'arrêté fut pris le lendemain du dépôt des requêtes introductives d'instance. Mais
si, dans le passage crucial cité ci-dessus, il explique pourquoi il juge nécessaire d'annuler l'arrêté, il n'in- dique pas le fondement juridique de sa décision. En défendant la conclusion du juge des requêtes, les intimés réitèrent ce qu'ils avaient allégué dans l'ins- tance, savoir que l'arrêté excédait les pouvoirs prévus par la Loi; qu'il a été pris de mauvaise foi et en viola tion de l'article 35 de la Constitution; et enfin qu'il a été pris au mépris de l'attente légitime des intimés. L'un quelconque de ces motifs peut-il être accueilli? Je ne le pense pas.
Qu'on voie dans cet arrêté une modification appor- tée au Décret sur les lignes directrices pour en exempter expressément le projet, ou la simple confir mation que celui-ci ne tombe pas dans son champ d'application, c'est-à-dire un simple éclaircissement, il me semble que du fait qu'il a été pris en application de l'article 6 de la Loi sur le ministère de l'Environ- nement, il était clairement autorisé par la loi. Le pou- voir d'adopter des règlements et autres textes s'en- tend forcément aussi du pouvoir de les clarifier ou modifier, à condition bien entendu que ce pouvoir ne soit pas exercé de façon qui irait à l'encontre de la volonté du législateur. Cependant, il m'est impossible de voir comment on pourrait dire que l'arrêté en question va à l'encontre des fonctions du ministre, telles qu'elles sont définies à l'article 4 de la Loi sur le ministère de l'Environnement, ou qu'il a été pris sans égard aux prescriptions de l'article 5 de la même Loi 4 .
4 Voici les art. 4, 5 et 6 de la Loi sur le ministère de l'Envi- ronnement:
4. (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent d'une façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d'autres ministères ou organismes fédéraux et liés:
a) à la conservation et l'amélioration de la qualité de l'en- vironnement naturel, notamment celle de l'eau, de l'air et du sol;
b) aux ressources naturelles renouvelables, notamment les oiseaux migrateurs et la flore et la faune sauvages en général;
c) aux eaux;
d) à la météorologie;
(Suite à la page suivante)
Les intimés soutiennent que, selon un principe fon- damental de droit constitutionnel, une autorité inves- tie du pouvoir réglementaire ne saurait déroger à la loi à moins qu'elle n'y soit formellement habilitée. Ils citent à l'appui un passage du traité de droit cons- titutionnel du professeur Hogg, Constitutional Law of Canada (2e éd., 1985), la page 631, ainsi que la jurisprudence qui y est invoquée. Voici ce passage:
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e) malgré l'alinéa 4(2)j) de la Loi sur le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, à l'application, dans la mesure ils touchent la conservation et l'amélio- ration de la qualité de l'environnement naturel, des règles ou règlements pris par la Commission mixte internatio- nale et promulgués aux termes du traité signé entre les États-Unis d'Amérique et Sa Majesté le roi Édouard VII au sujet des eaux limitrophes et des questions d'intérêt commun pour les deux pays;
f) à la coordination des plans et programmes du gouverne- ment fédéral en matière de conservation et d'amélioration de la qualité de l'environnement naturel;
g) aux parcs nationaux;
h) aux champs de bataille, lieux et monuments historiques nationaux.
(2) Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent en outre aux autres domaines de compétence du Parlement liés à l'environnement et qui lui sont attribués de droit.
5. Dans le cadre des pouvoirs et fonctions que lui confère l'article 4, le ministre:
a) lance, recommande ou entreprend à son initiative et coordonne à l'échelle fédérale des programmes visant à:
(i) favoriser la fixation ou l'adoption d'objectifs ou de normes relatifs à la qualité de l'environnement ou à la lutte contre la pollution;
(ii) faire en sorte que les nouveaux projets, pro grammes et activités fédéraux soient, dès les pre- mières étapes de planification, évalués en fonction de leurs risques pour la qualité de l'environnement natu- rel, et que ceux d'entre eux dont on aura estimé qu'ils présentent probablement des risques graves fassent l'objet d'un réexamen dont les résultats devront être pris en considération;
(iii) fournir, dans l'intérêt public, de l'information sur l'environnement à la population;
b) favorise et encourage des comportements tendant à protéger et à améliorer la qualité de l'environnement, et coopère avec les gouvernements provinciaux ou leurs organismes, ou avec tous autres organismes, groupes ou particuliers, à des programmes dont les objets sont ana logues;
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[TRADUCTION] Un corollaire de la jurisprudence établie par des décisions telles que Entick v. Carrington et Roncarelli v. Duplessis est que le premier ministre fédéral (ou provincial) ou un ministre de la Couronne ou autre représentant du gouverne- ment n'a le pouvoir ni de suspendre l'application d'une loi pour une certaine période ni d'en exempter une personne ou un groupe donné. Les Stuart ont revendiqué ces pouvoirs de «sus- pension» et d'«exemption», mais le Bill of Rights les a abolis en 1688. Les gouvernements des temps modernes les revendi- quent périodiquement, mais cette revendication est rejetée par les tribunaux judiciaires qui chaque fois ajoutent la sévère admonition que la Couronne n'est pas au-dessus de la loi 21 .
Et on peut lire à la note 21 en bas de la page:
21 [TRADUCTION] Fitzgerald v. Muldoon [1976] 2 N.Z.L.R. 615 (N.Z. S.C.) (Le premier ministre de Nouvelle-Zélande ne peut suspendre l'obligation légale de contribution au régime de pension de l'État); Re la Loi anti-inflation [1976] 2 R.C.S. 373 (le lieutenant-gouverneur en conseil ne peut changer la loi avec l'accord du gouverneur en conseil); Man. Govt. Employees Assn. c. Gouvernement du Manitoba [1978] 1 R.C.S. 1123 (même conclusion); R. v. Catagas (1977) 81 D.L.R. (3d) 396 (C.A. Man.) (Le ministre ne peut exempter les autochtones de l'application de la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs.)
Il faut mettre en garde contre un malentendu à ce propos. Il est évident que la volonté du Parlement est souveraine et qu'aucun pouvoir administratif ou exé- cutif ne peut y contrevenir, directement ou indirecte- ment. Mais cela ne signifie pas qu'une autorité inves- tie du pouvoir réglementaire n'est pas habilitée à exempter quelqu'un de l'application d'un règlement qu'elle a pris elle-même. Cela pourrait être le cas, j'en conviens, s'il est manifeste que selon la volonté du législateur, le règlement à prendre s'appliquerait à tout et chacun. Par exemple, l'auxiliaire «doit» eût-il été employé dans l'article 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement au lieu de l'auxiliaire «peut», on pourrait soutenir que la volonté du législateur était d'interdire toute exemption. Mais tel n'est pas le cas
(Suite de la page précédente)
c) conseille les chefs des divers ministères ou organismes fédéraux en matière de conservation et d'amélioration de la qualité de l'environnement naturel.
6. Au titre de celles de ses fonctions qui portent sur la qualité de l'environnement, le ministre peut par arrêté, avec l'approbation du gouverneur en conseil, établir des direc tives à l'usage des ministères et organismes fédéraux et, s'il y a lieu, à celui des sociétés d'État énumérées à l'annexe III de la Loi sur la gestion des finances publiques et des orga- nismes de réglementation dans l'exercice de leurs pouvoirs et fonctions.
en l'espèce. Et si le Décret sur les lignes directrices avait pu comporter une disposition qui exemptait les travaux KCP, pourquoi le même résultat ne pourrait- il pas être atteint en deux étapes? Un recours fréquent à pareille méthode pourrait saper l'autorité du Décret sur les lignes directrices, mais il s'agit d'une ques tion à résoudre par le Parlement, non pas par les tri- bunaux. Il est manifeste, à mes yeux, qu'on ne peut dire que l'arrêté DORS/90-729 a été pris en violation de la volonté du Parlement.
Par ailleurs, l'allégation que cet arrêté a été pris de mauvaise foi et en violation de l'article 35 de la Constitution—à supposer qu'elle soit pertinente, ce dont je doute—est totalement dénuée de fondement. S'il n'y a pas contravention à l'objectif de la Loi, on ne saurait parler de mauvaise foi et, à la lumière des preuves et témoignages produits, l'article 35 de la Constitution n'a aucun rapport avec l'affaire en ins tance. Pour affirmer qu'en prenant cet arrêté, le gou- vernement a illégalement manqué à son obligation fiduciaire envers les autochtones, il aurait fallu non seulement qu'on sache le contenu exact de cette obli gation, mais plus particulièrement, qu'on soit con- vaincu que le seul moyen de remplir cette obligation, eu égard aux faits de la cause, serait de confirmer que le Décret sur les lignes directrices est applicable à l'égard du projet. Rien cependant dans le dossier ne permet pareille conclusion.
Enfin, je ne vois pas comment l'arrêté en cause pourrait être attaqué du point de vue de l'attente légi- time. En premier lieu, les conditions nécessaires à l'application possible de cette doctrine récemment élaborée de l'attente légitime n'existent pas puisqu'il n'y a aucune preuve établissant qu'une autorité quel- conque ait fait une promesse sur laquelle se seraient fondés les intimés. En second lieu—et cet argument est encore plus important—cette doctrine, telle que je la comprends, ne s'applique qu'aux questions de pro- cédure administrative; elle n'a et ne saurait rien à voir, à mon sens, avec la validité d'un texte législatif ou réglementaire.
À mon avis, il n'y a tout simplement aucun fonde- ment juridique sur lequel on puisse se baser pour déclarer l'arrêté DORS/90-729 nul et non avenu. À supposer que je me sois trompé en pensant qu'aucune des actions attaquées des ministres était subordonnée
à l'application du Décret sur les lignes directrices dans le contexte des travaux KCP, ce soi-disant arrêté d'exemption doit régler toutes les difficultés.
Ma conclusion générale est, en conséquence, qu'il faut accueillir les appels, rejeter l'appel incident, annuler les diverses ordonnances rendues par le juge des requêtes et rejeter les requêtes introductives d'instance des intimés.
Les appelants auront droit à leurs dépens en appel comme en première instance. Alors que les requêtes introductives d'instance faisaient l'objet d'une argu mentation commune en appel et en première instance, l'appelante Alcan et les ministres appelants étaient représentés par des avocats différents devant les deux sections. En conséquence, l'appelante Alcan et les ministres appelants auront droit à des dépens distincts devant la Cour comme en première instance.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci- dessus.
LE JUGE LINDEN, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci- dessus.
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