T-163-9I
Mahadri Jaipaul Singh (requérante)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(intimé)
RÉPERTORIÉ.' S/NCH C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE
L'IMM/CRAT/ON) (Ire /NST.)
Section de première instance, juge en chef adjoint
Jerome—Toronto, 28 janvier; Ottawa, 3 juillet 1991.
Immigration — Pratique — La requérante cherche à soule-
ver une question préliminaire de compétence au commence
ment d'une audience fondée sur l'art. 46 de la Loi sur l'immi-
gration — Décision de procéder à l'enquête avant de trancher
la question constitutionnelle fondée sur l'art. 34 du Règlement
qui autorise la production de preuves de la manière que l'ar-
bitre juge convenable eu égard à toutes les circonstances —
Décision procédurale ressortissant au tribunal et non soumise
au contrôle judiciaire prévu à l'art. /8 — Le tribunal n'a pas
la compétence voulue pour déclarer inconstitutionnels les art.
46 et suiv. de la Loi sur l'immigration — Le tribunal doit pro-
céder à toute l'analyse factuelle qui lui permettra de s'acquit-
ter de son mandat en vertu de la Loi sur l'immigration.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Question préliminaire de compétence soulevée au
commencement d'une audience fondée sur l'art. 46 de la Loi
sur l'immigration — Allégation que le délai abusif à traiter de
la demande de statut de réfugié viole le droit à un procès équi-
table reconnu à l'art. 7 — Décision de continuer l'enquête —
Dans Askov, la C.S.C. a énoncé les facteurs dont il faut tenir
compte pour décider s'il y a eu violation de l'art. 11b) de la
Charte (droit d'être jugé dans un délai raisonnable) et indiqué
qu'un délai de six à huit mois est généralement acceptable —
La violation de la Charte n'est pas simplement une question de
délai ou de procès équitable — Chaque cas doit être considéré
en fonction de tous les facteurs (y compris l'explication du
délai et du préjudice subi par le requérant) énumérés dans
Askov — Les questions constitutionnelles ne doivent pas être
tranchées sans égard aux faits.
Il s'agit d'une demande d'autorisation d'introduire une ins
tance aux termes de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale
en vue de l'annulation de la décision d'un tribunal composé
d'un arbitre de l'immigration et d'un membre de la section du
statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du sta-
tut de réfugié, indiquant qu'il allait procéder à une enquête en
vertu des articles 46 et suivants de la Loi sur l'immigration
avant de recevoir des éléments de preuve sur des arguments
constitutionnels contestant sa compétence de procéder à l'audi-
tion. Au début de l'enquête, l'avocate de la requérante a
indiqué son intention d'établir qu'il y avait eu violation du
droit de la requérante à une audition impartiale reconnu à l'ar-
ticle 7 de la Charte compte tenu du délai déraisonnable qu'il y
a eu dans l'examen de sa revendication du statut de réfugié au
sens de la Convention, et que l'article 46 de la Loi sur l'immi-
gration ne devrait pas recevoir application. La décision de pro-
céder à l'enquête et d'examiner ensuite les questions constitu-
tionnelles était fondée sur le pouvoir que l'article 34 du
Règlement de 1978 sur l'immigration reconnaît à un arbitre
d'exiger ou de permettre que des preuves soient produites à
l'enquête de la manière qu'il juge convenable eu égard aux cir-
constances. La requérante a soutenu que le tribunal avait com-
mis une erreur de droit en refusant d'examiner les questions
préliminaires de compétence et en omettant de se conformer
aux principes de justice fondamentale quand il a appliqué l'ar-
ticle 32. On a soutenu que l'article 34 autorise l'arbitre à
ordonner la tenue de l'enquête et non à ordonner la manière
dont une question préliminaire de compétence peut être soule-
vée. Puisque les questions constitutionnelles touchent la ques
tion de savoir si la requérante peut bénéficier d'une audition
impartiale, elles doivent être tranchées avant que le tribunal ne
procède à l'enquête. L'intimé a affirmé que la requérante
n'avait contesté la validité constitutionnelle d'aucun article de
la Loi sur l'immigration et que la décision quant à l'ordre dans
lequel le tribunal entendrait la preuve était de nature purement
procédurale.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
La demande de suspension de l'enquête est fondée essentiel-
lement sur l'arrêt R. c. Askov dans lequel la Cour suprême du
Canada a énoncé les facteurs dont il faut tenir compte pour
déterminer s'il y a eu violation du droit d'être jugé dans un
délai raisonnable reconnu à l'alinéa 11h) de la Charte. Ces fac-
teurs comprennent la longueur du délai et l'explication du
délai, la renonciation et le préjudice subi par l'accusé. De
façon générale, un délai de six à huit mois a été considéré
comme acceptable. Des décisions subséquentes ont indiqué
que la violation n'est pas simplement une question de délai ou
simplement une question du droit d'un accusé à un procès
équitable. Chaque cas doit être analysé en fonction de tous les
facteurs énumérés dans l'arrêt Askov.
La décision ne peut pas faire l'objet d'une révision en vertu
de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale parce qu'elle est
essentiellement une décision procédurale qui relève entière-
ment de la compétence du tribunal.
Le tribunal n'est pas un tribunal compétent et ne peut décla-
rer les articles 46 et suivants de la Loi sur l'immigration
inconstitutionnels parce que contraires à la Charte. Quoi qu'il
en soit, le tribunal doit procéder à toute l'analyse factuelle qui
lui permettra de s'acquitter de son mandat en vertu de la Loi
sur l'immigration. Les questions constitutionnelles ne peuvent
pas être tranchées sans égard aux faits. Le tribunal doit exami
ner si le délai est imputable à la requérante ou seulement à
l'administration des procédures en litige, et si et dans quelle
mesure ce délai a porté atteinte aux droits de la requérante.
Enfin, il est parfois avantageux de se prononcer sur le fond
d'une affaire en même temps que sur la validité constitution-
nelle d'une disposition parce qu'une décision favorable quant
au fond peut parer à la nécessité d'une très longue poursuite
d'ordre constitutionnel.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 7.
Loi constitutionnelle de /982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 44], art. 52.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7,
art. 18.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. 1-2, art. 46,
82.1 (édicté par L.R.C. (1985) (4° suppl.), chap. 28,
art. 19).
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172,
art. 34.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Union Gas Ltd. c. TransCanada PipeLines Ltd., [ 1974] 2
C.F. 313 (C.A.); Novopharm Ltd. c. Wyeth Ltd. (1986), 26
D.L.R. (4th) 80; 8 C.P.R. (3d) 448; 64 N.R. 144 (C.A.F.);
Zwarich c. Canada (Procureur général), [ 1987] 3 C.F.
253; (1987), 26 Admin. L.R. 295; 87 CLLC 14,053; 31
C.R.R. 244; 82 N.R. 341 (C.A.); Canada (Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration) c. Borowski, [1990] 2 C.F.
728; (1990), 32 F.T.R. 205; 10 Imm. L.R. (2d) 115 (1 , °
inst.); R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199; (1990), 75 O.R.
(2d) 673; 74 D.L.R. (4th) 355; 59 C.C.C. (3d)449; 79
C.R. (3d) 273; 49 C.R.R. I; 42 O.A.C. 81; R. v. Fortin
(1990), 75 O.R. (2d) 733 (Div. gén.); R. v. Bennett (1991),
3 O.R. (3d) 193; 64 C.C.C. (3d) 449 (C.A.); Tétreault-
Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'im-
migration du Canada), [1989] 2 C.F. 245; (1988), 53
D.L.R. (4th) 384; 33 Admin. L.R. 244; 23 C.C.E.L. 103;
88 CLLC 14,050; 88 N.R. 6 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
R. c. Mills, [1986] 1 R.C.S. 863; (1986), 29 D.L.R. (4th)
161; 26 C.C.C. (3d) 481; 52 C.R. (3d) l; 21 C.R.R. 76; 67
N.R. 241; 16 O.A.C. 81; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario
(Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5;
(1991), 91 CLLC 14,024; Tétreault-Gadoury c. Canada
(Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2
R.C.S. 22; (1991), 91 CLLC 14,023.
AVOCATS:
Barbara L. Jackman pour la requérante.
Kevin Lunney pour l'intimé.
PROCUREURS:
Jackman, Zambelli & Silcoff, Toronto, pour la
requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in-
timé.
Ce qui suit est la version française des motifs de
l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: Cette affaire a été
entendue à Toronto (Ontario) le 28 janvier 1991. Par
avis de requête, en date du 9 janvier 1991, la requé-
rante cherche à obtenir une ordonnance en vertu de
l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C.
(1985), chap. I-2 [édicté par L.R.C. (1985) (4e
suppl.), chap. 28, art. 19] aux fins de l'introduction
d'une instance aux termes de l'article 18 de la Loi sur
la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap F-7, visant
l' obtention:
[TRADUCTION] a) d'un bref de certiorari portant annulation de la
décision d'un tribunal d'enquête en matière d'immigration,
composé de M. W. Renehan, arbitre de l'Immigration, et de M.
I. Jeffers, membre de la section du statut de réfugié de la Com
mission de l'immigration et du statut de réfugié, rendue le 20
décembre 1990, indiquant qu'il allait procéder à l'enquête con-
cernant la requérante, avant de recevoir les éléments de preuve
relatifs aux arguments constitutionnels soulevés quant à la
compétence du tribunal de procéder à l'audition; et
b) d'un bref de mandamus ordonnant au tribunal de recevoir
les éléments de preuve présentés par la requérante et d'enten-
dre l'argument de celle-ci quant à la compétence du tribunal de
procéder à une enquête avant la tenue même de l'enquête sur la
requérante.
Le 16 janvier 1991, la requérante a demandé que soit
rendue une ordonnance qui lui permettrait de présen-
ter des observations orales à l'appui de sa requête. Le
12 février 1991 à Toronto (Ontario), j'ai rejeté les
demandes pour les motifs prononcés à l'audience et
j'ai indiqué que ces motifs écrits seraient rendus plus
tard.
LES FAITS
Les faits exposés dans l'affidavit de
Toni Schweitzer, portant la date du 15 janvier 1991,
ne sont pas contestés. La requérante fait l'objet d'une
enquête en matière d'immigration, commencée le 29
novembre 1990 devant un arbitre de l'Immigration,
M. W. Renehan, et un membre de la Section du statut
de réfugié (élimination de l'arriéré) de la Commis
sion de l'immigration et du statut de réfugié,
M. I. Jeffers (le «tribunal»). Au début de l'audition,
l'avocate de la requérante a indiqué au tribunal
qu'elle avait l'intention de soulever, en vertu de l'ar-
ticle 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe
B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]], un argument
préliminaire quant à la compétence. Elle a indiqué la
nature de son argument et des éléments de preuve
devant être présentés afin d'établir d'une part, qu'il y
a eu violation des droits de la requérante reconnus à
l'article 7 de la Charte canadienne des droits et
libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 44]] compte tenu du délai déraison-
nable qu'il y a eu dans l'examen de sa revendication
du statut de réfugié au sens de la Convention et,
d'autre part, que l'article 46 et les dispositions con-
nexes de la Loi sur l'immigration ne devaient pas
recevoir application parce que son droit à une audi
tion impartiale a présumément et réellement été violé
du fait de ce délai.
À la reprise de l'audition le 20 décembre 1990,
l'arbitre a indiqué que le tribunal procéderait à l'en-
quête en matière d'immigration et examinerait
ensuite les questions constitutionnelles soulevées par
la requérante. Au meilleur de la connaissance du
déposant, l'arbitre aurait notamment indiqué qu'en
vertu du paragraphe 34(1) du Règlement sur l'immi-
gration de /978, DORS/78-172, «l'arbitre peut exi-
ger que des preuves soient produites à l'enquête ou
permettent qu'elles le soient de la manière qu'il juge
convenable eu égard à toutes les circonstances entou-
rant le cas», que, compte tenu de l'importance des
éléments de preuve de la requérante, celle-ci doit tout
d'abord témoigner relativement aux questions soule-
vées en vertu du paragraphe 46(1) de la Loi sur l'im-
migration et que les éléments de preuve et les argu
ments concernant les questions constitutionnelles ne
seraient examinés qu'après l'audition prévue à l'ar-
ticle 46. L'enquête fut ajournée et devait être reprise
le 26 février 1991.
La requérante soutient maintenant que le tribunal a
commis une erreur de droit: a) en refusant d'exami-
ner les questions préliminaires de compétence soule-
vées par la requérante en vertu de l'article 52 de la
Loi constitutionnelle de /982 avant de procéder à
l'enquête concernant la requérante en vertu de la Loi
sur l'immigration; et b) en omettant de se conformer
aux principes de justice fondamentale et de justice
naturelle quand il a appliqué le paragraphe 34(1) du
Règlement pour conclure qu'il procéderait à l'en-
quête concernant la requérante avant de recevoir les
éléments de preuve et d'examiner les arguments sou-
levés en vertu de l'article 52 de la Loi constitution-
nelle de 1982 quant à sa compétence de procéder à
l'enquête.
AUTORISATION
Les deux avocats ont fait porter une bonne partie
de leur plaidoirie sur la question de l'autorisation.
L'intimé prétend qu'une instance de cette nature ne
peut être introduite sans autorisation en vertu du
paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration et
qu'elle doit être introduite de la manière ordinaire par
requête écrite. Selon la requérante, puisqu'il ne s'agit
pas d'une révision d'une décision en matière d'immi-
gration, mais bien d'une contestation constitution-
nelle, elle n'a pas à obtenir une autorisation. J'estime
que cette question est quelque peu théorique. À mon
avis, il est inconcevable qu'une autorisation serait
refusée dans le cas d'une demande qui soulève,
comme en l'espèce, d'importantes questions constitu-
tionnelles et, par conséquent, je diffère mon jugement
sur la question d'autorisation jusqu'à ce que j'aie
entendu tous les arguments et, pour les motifs expo-
sés ci-après, j'estime inutile de trancher cette ques
tion.
LES ARGUMENTS DE LA REQUÉRANTE
La requérante soutient que l'article 34 du Règle-
ment autorise simplement l'arbitre à ordonner la
tenue de l'enquête et qu'il ne l'autorise pas à ordon-
ner la manière dont une question préliminaire de
compétence ou une demande fondée sur l'article 52
de la Loi constitutionnelle de /982 peut être soulevée.
À son avis, puisque ces questions constitutionnelles
touchent directement la question de savoir si elle peut
bénéficier d'une audience impartiale, elles doivent
être tranchées par le tribunal avant qu'il ne procède à
l'enquête que le texte législatif l'autorise par ailleurs
à tenir. On doit donc trancher la constitutionnalité de
l'article 46 et des dispositions connexes de la Loi sur
l'immigration avant de les appliquer; selon la requé-
rante, cette omission par l'arbitre de procéder à l'exa-
men de ces questions préliminaires équivaut à un
refus d'exercice de sa compétence et à un excès de
compétence. Subsidiairement, la requérante affirme
que ses allégations touchent des questions de justice
naturelle et de compétence en common law, qui
découlent de la Loi sur l'immigration elle-même.
LES ARGUMENTS DE L'INTIMÉ
L'intimé affirme que la requérante n'a contesté la
validité constitutionnelle d'aucun article particulier
de la Loi sur l'immigration et que la décision dont la
requérante cherche à obtenir révision est de nature
purement procédurale puisque l'arbitre a simplement
décidé dans quel ordre le tribunal entendrait la
preuve. Il s'agit là d'une décision relevant du pouvoir
discrétionnaire de l'arbitre en vertu du para-
graphe 34(1) du Règlement. Puisque les documents
présentés par la requérante ne permettent pas de
démontrer que le tribunal a violé une règle de justice
naturelle en choisissant de procéder comme il l'a fait,
la requérante n'a pas établi l'existence d'une question
importante ou d'une demande qui a des chances de
réussir.
L'intimé prétend aussi que le bref de mandamus ne
devrait pas être délivré. La requérante n'a pas réussi à
établir qu'elle a spécifiquement demandé que le tri
bunal aborde les questions constitutionnelles avant de
procéder à l'examen des questions en vertu de l'ar-
ticle 46 de la Loi sur l'immigration, et que le tribunal
a refusé de se pencher sur les questions constitution-
nelles qu'elle a soulevées. Les documents indiquent
plutôt que le tribunal se penchera en fait sur ces ques
tions lorsqu'il aura entendu la preuve de la requérante
quant aux allégations contenues dans le rapport de
l'agent d'immigration, à la recevabilité de la revendi-
cation du statut de réfugié au sens de la Convention,
présentée par la requérante et à la question de savoir
si la revendication possède un minimum de fonde-
ment. La requérante n'a pas non plus réussi à démon-
trer que le tribunal a violé une règle de justice natu-
relle ou a commis une erreur suffisamment grave
pour justifier la délivrance d'un bref de certiorari.
LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
PERTINENTES
Les dispositions législatives pertinentes sont l'ar-
ticle 82.1 de la Loi sur l'immigration et l'article 34
du Règlement:
82.1 (1) L'introduction d'une instance aux termes des
articles 18 ou 28 de la Loi sur la Cour fédérale ne peut, pour ce
qui est des décisions ou ordonnances rendues ou mesures pri
ses dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d'applica-
tion—règlements ou règles—ou de toute question soulevée
dans ce cadre, se faire qu'avec l'autorisation d'un juge de la
Section de première instance de la Cour fédérale ou de la Cour
d'appel fédérale, selon le cas.
(4) Sauf ordre contraire d'un juge du tribunal compétent, il
est statué sur la demande d'autorisation sans comparution en
personne.
•
34. (I) Par dérogation aux articles 31 à 33, l'arbitre peut exi-
ger que des preuves soient produites à l'enquête ou permettre
qu'elles le soient de la manière qu'il juge convenable eu égard
à toutes les circonstances entourant le cas, notamment le far-
deau de la preuve et la présomption visés aux paragraphes 8(1)
et (2) de la Loi.
ANALYSE
Il s'agit en l'espèce de statuer sur une demande de
suspension de l'enquête d'immigration, présentée par
l'avocat de la requérante pour que celui-ci puisse pré-
senter un argument fondé essentiellement sur l'arrêt
unanime récent de la Cour suprême du Canada R. c.
Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199. Cet arrêt a donné lieu à
un grand nombre de désistements ou de demandes
d'arrêt des procédures en matière criminelle dans tout
le Canada, notamment en Ontario, plus particulière-
ment dans le district de Peel. Dans l'arrêt Askov, la
Cour suprême a examiné la question de ce qui consti-
tue un délai déraisonnable pour la tenue du procès
d'un accusé, qui contrevient à l'alinéa 11b) de la
Charte. Le juge Cory, exprimant l'opinion concor-
dante d'une majorité de juges, énonce les facteurs
suivants (aux pages 1231 et 1232) dont il faut tenir
compte pour déterminer s'il y a eu violation du droit
d'être jugé dans un délai raisonnable, prévu à l'ali-
néa llb):
(i) la longueur du délai;
(ii) l'explication du délai;
a) les délais imputables au ministère public;
b) les délais systémiques ou institutionnels;
c) les délais imputables à l'accusé;
(iii) la renonciation;
(iv) le préjudice subi par l'accusé.
Il a reconnu [à la page 1219] que «[B]ien que le but
premier de l'al. 116) soit la protection des droits indi-
viduels et la prestation de la justice fondamentale aux
accusés», il a cependant conclu qu'«il comporte aussi
implicitement [ ... ] un droit collectif ou social» et
que ce droit collectif a un double aspect [aux pages
1219 et 12201:
Premièrement, la société a un intérêt à s'assurer que ceux qui
transgressent la loi soient traduits en justice et traités selon la
loi. Deuxièmement, les personnes appelées à subir leur procès
doivent être traitées avec justice et équité.
En ce qui concerne le raisonnement du juge Lamer
[alors juge puîné] dans l'arrêt R. c. Mills, [1986]
1 R.C.S. 863, le juge Cory conclut (à la page 1222)
«qu'il faut tenir compte de l'intérêt implicite de la
société en plus de l'intérêt primordial qui consiste à
protéger le droit de l'individu à la justice fondamen-
tale».
Par la suite, dans R. v. Fortin (1990), 75 O.R. (2d)
733, le juge Trainor de la Cour de justice de l'Ontario
(Division générale) a analysé les conséquences de
l'arrêt Askov et a conclu que le délai général de six à
huit mois mentionné dans Askov ne s'appliquait pas
aux procès en Cour provinciale ou aux enquêtes pré-
liminaires. Son raisonnement repose d'une part, sur le
fait que la Cour suprême du Canada n'a pas dit que la
Cour provinciale était assujettie à ce délai même si
elle était manifestement consciente des longs retards
et de l'incidence dramatique que ce délai aurait sur
l'arriéré de la Cour provinciale et, d'autre part, sur le
fait que la Cour suprême a précisé que les demandes
de type Askov seront «accordée[s] peu souvent».
Le 31 mai 1991, la Cour d'appel de l'Ontario a
rendu un certain nombre de décisions relativement à
des demandes de type Askov et au droit d'être jugé
dans un délai raisonnable en vertu de l'alinéa 1 lb) de
la Charte. Dans R. v. Bennett (1991), 3 O.R. (3d) 193
(C.A.), la Cour a accueilli un appel relativement à un
arrêt des procédures en se fondant sur les conclusions
que le juge du procès avait commis une erreur en
concluant, sans suffisamment tenir compte des autres
facteurs mentionnés par la Cour suprême du Canada
dans l'arrêt Askov, qu'un délai de huit mois était
déraisonnable pour fixer la date du procès en cour
provinciale. Le juge Arbour, J.C.A., indique que,
lorsqu'il décide d'ordonner l'arrêt des procédures en
raison d'une violation de l'alinéa 11b) de la Charte,
le tribunal doit exercer judicieusement son jugement
pour établir un équilibre entre les facteurs mentionnés
dans Askov, et qu'il ne peut être réduit à une tâche
administrative ou à un simple calcul des délais. Elle
fait observer ce qui suit [à la page 208]:
[TRADUCTION] On a fréquemment donné une interprétation
étroite à l'arrêt Askov. Lorsque l'établissement d'un équilibre
entre les quatre facteurs n'est fait que pour la forme, la ques
tion de la tenue du procès à l'intérieur d'un délai raisonnable
est souvent tranchée au moyen du simple calcul des délais sys-
témiques requis pour traduire une personne en justice, ce qui
équivaut à donner à la période de six à huit mois mentionnée
dans As/m, la force d'un délai de droit prétorien. Ce qui per-
met d'isoler la question des délais systémiques et d'y accorder
trop d'importance et de ramener le concept du délai raisonna-
ble mentionné à l'al. 1 lb) à un simple calcul de délai. Ce n'est
pas ce que signifie l'arrêt de la Cour suprême du Canada.
Le juge en chef Dubin, dans des motifs concordants,
souscrit à l'opinion de Madame le juge Arbour que la
Cour suprême du Canada n'a pas établi un délai sta-
tutaire qui, dans le cas où on l'excède, doit automati-
quement donner lieu à un arrêt des procédures. Il fait
toutefois ressortir davantage le fait que le droit pro-
tégé par l'alinéa 1l b) n'est pas simplement un droit
de l'inculpé, mais qu'il comporte également un droit
social. Il affirme [à la page 202]:
[TRADUCTION] Le droit de la société peut aussi être protégé par
l'obligation du ministère public de procéder avec diligence aux
poursuites criminelles et l'obligation des tribunaux de prévenir
un délai déraisonnable lorsque des ajournements sont
demandés. Toutefois, à mon avis, à titre de corollaire au droit
de la société à la tenue de poursuites diligentes, la société a
aussi un droit de constater que tout inculpé est traduit en jus
tice pour être déclaré coupable ou non et que, s'il est déclaré
coupable après la tenue d'un procès équitable au cours duquel
tous ses droits ont été pleinement respectés, l'accusé est puni.
Il a aussi affirmé [à la page 196] que [TRADUCTION]
«l'effet d'un arrêt des procédures équivaut à un
acquittement, sans procès» et que «l'arrêt de nom-
breuses procédures a entraîné de graves répercussions
sur l'administration de la justice dans la province et a
miné, je le crains, la confiance du public en l'admi-
nistration de la justice».
Il appert donc que, bien que les longs délais et le
préjudice pour l'accusé constituent des considérations
importantes, une violation de l'alinéa 1 lb) de la
Charte n'est pas simplement une question de délai ou
simplement une question du droit de l'accusé à un
procès équitable. Chaque cas doit être analysé en
fonction de tous les facteurs énumérés par le juge
Cory dans l'arrêt Askov.
CONCLUSION
J'ai refusé la demande pour les motifs suivants.
Premièrement, en l'espèce, la décision de l'arbitre ne
peut pas faire l'objet d'une révision en vertu de l'ar-
ticle 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Elle constitue
essentiellement une décision procédurale qui relève
entièrement de la compétence de l'arbitre. Dans l'ar-
rêt Union Gas Ltd. c. TransCanada PipeLines Ltd,
[1974] 2 C.F. 313 (C.A.), l'Office national de l'éner-
gie avait, au début d'une audience, pris une décision
quant à l'ordre dans lequel il allait entendre les élé-
ments de preuve et permettre le contre-interrogatoire
des témoins. On a jugé que cette décision relevait
clairement des pouvoirs de l'Office, même si elle per-
mettait le contre-interrogatoire des témoins après que
ceux-ci avaient été contre-interrogés par ceux de la
partie adverse. Le juge Mahoney, J.C.A., au nom de
la Cour, dit (à la page 317):
Le droit de l'Office de déterminer l'ordre dans lequel il enten-
dra les témoignages et permettra le contre-interrogatoire des
témoins, si exceptionnel que puisse en être le résultat lorsque
les procédures sont considérées comme des procédures conten-
tieuses, me semble tellement manifeste que j'ai rejeté cet
aspect de la demande immédiatement à la fin de l'audience. Je
le mentionne brièvement ici uniquement pour consigner mes
opinions.
Deuxièmement, les questions constitutionnelles ne
peuvent être tranchées sans égard aux faits. Dans
Novopharm Ltd. c. Wyeth Ltd. (1986), 26 D.L.R.
(4th) 80 (C.A.F.), le juge Heald, J.C.A., au nom de la
Cour, a statué [à la page 81] qu'il n'était pas oppor-
tun qu'un juge, dans l'exercice de son pouvoir discré-
tionnaire, ordonne la tenue d'une audition sur la vali-
dité constitutionnelle d'un article d'une loi «sans
égard aux faits de l'espèce». Après une analyse de la
jurisprudence, il conclut [à la page 83] qu'il existe un
principe fondamental suivant lequel «sauf quelques
exceptions, il ne faut pas étudier les questions consti-
tutionnelles sans égard aux faits pertinents». Il
affirme (aux pages 84 et 85):
[J]'estime que le Comité judiciaire et la Cour suprême du
Canada ont tous deux clairement affirmé qu'il n'était pas
opportun de trancher des questions constitutionnelles en l'ab-
sence de faits concrets. Voici ce qu'a affirmé le Comité judi-
ciaire dans A.—G. Ont. v. Hamilton Street R. Co. et al., [1903]
A.C. 524, la p. 529:
[TRADUCTION] ... il serait très inopportun qu'un tribunal
tente d'examiner à l'avance tous les cas possibles qui pour-
raient restreindre, éliminer et outrepasser l'application de
certains termes sans être saisi de l'affaire en cause.
Le Comité judiciaire a traité de nouveau du problème des
questions constitutionnelles posées en l'absence de faits, dans
l'affaire A.-G. B.C. v. A.-G. Can.; Re B.C. Fisheries (1913), 15
D.L.R. 308, aux p. 309 et 310, [1914] A.C. 153, à la p. 162, 5
W.W.R. 878, où il affirme ce qui suit:
[TRADUCTION] Le fait que la Cour énonce des principes de
façon abstraite sans tenir compte de faits concrets peut por
ter atteinte aux droits des parties éventuelles; de plus, il peut
être pratiquement impossible de définir un principe conve-
nablement et sans erreur si l'on n'examine pas d'abord les
faits exacts auxquels il doit s'appliquer.
Elle a repris les mêmes principes dans P.G. du Man. c. Man.
Egg & Poultry Ass'n et al. (1971), 19 D.L.R. (3d) 169, [1971]
R.C.S. 689, [1971] 4 W.W.R. 705. Dans cette affaire, le juge
Laskin, alors juge puîné, a affirmé ce qui suit à la page 181:
L'utilité du renvoi comme moyen de déterminer la vali-
dité d'une loi en vigueur ou projetée, compte tenu de la
répartition des pouvoirs établie par l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique, est sérieusement diminuée en l'instance
parce que les questions soulevées dans le texte du renvoi ne
s'appuient pas sur des faits.
Le tribunal n'est pas non plus un tribunal compé-
tent et il ne peut accorder la réparation qui s'ensui-
vrait s'il devait accepter les arguments constitution-
nels de la requérante avant d'examiner sa
revendication de statut de réfugié au sens de la Con
vention. Compte tenu de la jurisprudence à ce jour,
plus particulièrement celle de cette Cour, je conclus
qu'il n'est pas de la compétence des tribunaux admi-
nistratifs de statuer de manière générale qu'une loi
particulière n'est pas valide du point de vue constitu-
tionnel parce qu'elle est contraire à la Charte. À mon
avis, en demandant au tribunal de déterminer que
l'article 46 et les articles corrélatifs de la Loi sur
l'immigration contreviennent à l'article 7 de la
Charte, la requérante demande en fait au tribunal de
rendre un jugement déclaratoire général portant que
ces dispositions violent la Charte.
Cette responsabilité restreinte d'un tribunal admi-
nistratif a déjà été clairement établie. Dans l'affaire
Zwarich c. Canada (Procureur général), [ 1987] 3
C.F. 253 (C.A.), le juge Pratte, J.C.A., a analysé la
compétence des tribunaux administratifs, en l'espèce
celle d'un conseil arbitral, en vertu du paragraphe
24(1) de la Charte. Il conclut (à la page 255):
Il est évident qu'il n'appartient ni au conseil arbitral ni au
juge-arbitre de statuer sur la validité constitutionnelle des lois
et des règlements. Il s'agit d'un privilège réservé aux instances
supérieures. Mais le juge-arbitre et le conseil arbitral doivent
appliquer le droit, comme tous les tribunaux d'ailleurs. Ils doi-
vent donc déterminer le droit applicable, et pour ce faire, ils
doivent non seulement interpréter les lois et les règlements
applicables mais également statuer sur la validité de leur adop
tion. S'ils concluent qu'une disposition légale applicable
enfreint la Charte, ils doivent trancher la question comme si
cette disposition n'avait jamais été adoptée. Le droit sur ce
point, si j'ai bien compris, a été clairement formulé par le juge
Macfarlane de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique
dans l'arrêt Re Schewchuk and Ricard; Attorney -General of
British Columbia et al; /ntervenors:
[TRADUCTION] Il est avéré que le pouvoir de rendre un
jugement déclaratoire sur la validité constitutionnelle des
lois adoptées par le Parlement ou l'une des Législatures res-
sortit à la compétence exclusive des instances supérieures.
Mais il est également avéré que si une personne comparaît
devant un tribunal suite à une inculpation, à une plainte ou à
un autre acte de procédure qui relève régulièrement de la
compétence de ce dernier, il s'ensuit que le tribunal a com-
pétence d'une part, pour juger que la loi sur laquelle repose
l'inculpation, la plainte ou l'autre acte de procédure est ino-
pérante du fait des dispositions de la Charte canadienne des
droits et libertés, et d'autre part, pour rejeter l'inculpation, la
plainte ou l'autre acte de procédure. Le prononcé d'un juge-
ment déclaratoire portant que la loi contestée est inopérante
n'est, dans ce contexte, rien de plus qu'une décision sur une
question juridique dont le tribunal est régulièrement saisi.
Cela n'empiète aucunement sur le droit exclusif des ins
tances supérieures d'accorder un redressement par voie de
bref de prérogative, y compris un jugement déclaratoire.
Dans Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration) c. Borowski, [1990] 2 C.F. 728 (ife inst.), le
juge Joyal a notamment examiné si un tribunal est
compétent pour rendre un jugement déclaratoire por-
tant qu'une loi particulière viole une disposition de la
Charte et pour accorder une réparation. Il indique
que, dans l'arrêt Tétreault-Gadoury c. Canada (Com-
mission de l'emploi et de l'immigration du Canada),
[1989] 2 C.F. 245 (C.A.), il a été établi que le pou-
voir de se prononcer sur la validité constitutionnelle
de toute loi ou de tout règlement et d'accorder une
réparation sous le régime de l'article 24 de la Charte
appartient exclusivement aux cours supérieures. M. le
juge Joyal a ensuite fait remarquer (à la page 748)
que «le paragraphe 52(1) ... prévoit uniquement que
la constitution rend inopérantes les dispositions
incompatibles, le cas échéant, de toute autre règle de
droit». Voilà tout ce que dit cet article, rien de plus.
«Il ne peut établir une réparation.»
Je fais également remarquer que la Cour suprême
du Canada a depuis rendu les arrêts Cuddy Chicks
Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail)
[1991] 2 R.C.S. 5, et Tétreault-Gadoury c. Canada
(Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991]
2 R.C.S. 22. Il pourrait bien s'ensuivre que ce tribu
nal ne possède pas la compétence pour trancher les
questions constitutionnelles soulevées par la requé-
rante. Toutefois, dans l'affirmative, le tribunal est
manifestement limité dans sa tâche de la manière
exposée dans ces motifs. Quoi qu'il en soit, le tribu
nal doit procéder à toute l'analyse factuelle qui lui
permettra de s'acquitter de son mandat en vertu de la
Loi sur l'immigration. Le tribunal devrait examiner si
le délai est imputable à la requérante ou seulement à
l'administration des procédures en litige, et si ce
délai a porté atteinte aux droits de la requérante. Je ne
sais pas comment on peut demander à l'arbitre de
trancher ces questions s'il ne connaît pas leur con-
texte factuel précis.
Enfin, dans les affaires douteuses, en pratique, il
est avantageux pour un arbitre d'être en mesure de se
prononcer sur le fond d'une affaire en même temps
que sur la validité constitutionnelle d'une disposition
pour la simple raison qu'une décision favorable quant
au fond peut parer à la nécessité d'une très longue
poursuite d'ordre constitutionnel.
À mon avis, donc, la décision de l'arbitre de procé-
der à l'enquête en matière d'immigration est appro-
priée et tout à fait conforme à la procédure et relève
entièrement de la compétence du tribunal. En consé-
quence, les demandes doivent être rejetées.
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