T-2277-86
Corena Doris Clow (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIA' CLOW c. M.R.N. (Ire /NST.)
Section de première instance, juge en chef adjoint
Jerome—Vancouver, 12 juillet 1991; Ottawa, 23 jan-
vier 1992.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Demande d'ordonnance déclarant inopérant
l'art. 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu parce qu'il
violerait les droits de la demanderesse garantis par l'art. 7 de
la Charte — Le délai initial de 90 jours prévu à l'art. /65 peut
être prorogé au cours d'une autre période d'un an prévue à
l'art. /67(5)a) — L'appel à l'encontre de la cotisation n'a pas
été interjeté dans le délai imparti et la demande de prorogation
a été rejetée pour défaut de poursuivre — La demanderesse
soutient que la perte de son droit d'appel a des conséquences
pécuniaires qui portent atteinte directement à son bien-être
physique et psychologique — Mention de décisions de la
C.A.C.-B. statuant que la prescription des actions en dom-
mages-intérêts n'est pas incompatible avec l'art. 7 de la
Charte comme les demandeurs recherchent une réparation
d'ordre pécuniaire — La demanderesse réclame une répara-
tion de nature pécuniaire non visée par l'art. 7 de la Charte —
La prorogation respecte l'exigence du caractère excessif du
retard avant le retrait du recours — La demanderesse a eu la
possibilité de démontrer la violation de ses droits garantis par
la Charte si la disposition législative était appliquée.
Impôt sur le revenu — Nouvelle cotisation — L'art. /67(5)a)
de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit la prorogation d'un
an du délai initial de 90 jours accordé à l'art. 165 pour le
dépôt d'un avis d'opposition à une nouvelle cotisation — La
demanderesse, qui n'a pas déposé son avis dans le délai
imparti, affirme que les répercussions pécuniaires de la perte
de son droit d'appel portent atteinte à son bien-être physique
et psychologique — L'art. /67(5)a) ne viole pas l'art. 7 de la
Charte.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première ins
tance — L'opposition aux avis de nouvelle cotisation n'a pas
été déposée dans les délais impartis aux art. /65 et /67(5)a) de
la Loi de l'impôt sur le revenu — L'argument voulant que
l'art. 167(5)a) viole le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité
de la personne garanti par l'art. 7 de la Charte est rejeté
comme la demanderesse recherche une réparation de nature
pécuniaire non visée à l'art. 7 — Si les délais prévus aux
art. 165 et 167 ne sont pas respectés, la Cour n'a pas compé-
tence pour juger l'action.
Il s'agit d'une demande d'ordonnance portant que l'ali-
néa 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu viole l'article 7
de la Charte et qu'il est inopérant. Le comptable de la deman-
deresse a omis de déposer un avis d'opposition aux nouvelles
cotisations dans le délai imparti. La demanderesse a demandé à
la Cour de l'impôt la prorogation du délai applicable au dépôt
de l'avis d'opposition. La demande a été rejetée pour défaut de
poursuivre, personne n'ayant comparu pour la demanderesse
qui, selon son affidavit, était hospitalisée à l'époque. La
demanderesse a alors interjeté, auprès de la Cour de l'impôt,
un appel qui a été rejeté pour manque de compétence. La
demanderesse a intenté cette action pour obtenir la prorogation
du délai applicable au dépôt des avis d'opposition, soutenant
que la Cour avait la compétence nécessaire pour lui accorder
une prorogation puisqu'elle avait été privée de son droit d'ex-
poser son cas pour une simple question de procédure. Elle a
aussi allégué que la défenderesse avait retenu des documents
dont elle avait besoin pour rédiger des avis d'opposition régu-
liers. Suite à la requête de la défenderesse visant la radiation de
la déclaration pour défaut de poursuivre, la demanderesse a
déposé la présente demande, soutenant qu'elle devrait être
exemptée de l'application de l'alinéa 167(5)a) et que la Cour
devrait pouvoir étudier le bien-fondé de sa demande de proro-
gation car, dans les circonstances de l'espèce, l'alinéa 167(5)a)
violerait l'article 7 de la Charte. La requête en rejet a été ajour-
née en vue de l'étude du moyen fondé sur la Charte.
En vertu du paragraphe 165(1) de la Loi de l'impôt sur le
revenu, le contribuable a 90 jours à compter de la date d'expé-
dition à la poste de l'avis de cotisation pour signifier un avis
d'opposition. L'alinéa 167(5)a) permet d'accorder une proro-
gation au cours d'une période supplémentaire d'un an si cer-
taines conditions sont respectées. La question litigieuse consis-
tait à savoir si l'alinéa 167(5)a) violait le droit de la
demanderesse à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa per-
sonne prévu à l'article 7 de la Charte. La demanderesse a sou-
tenu que l'alinéa 167(5)a) imposait une restriction inflexible et
injustifiable à son droit légal d'appel, la privant de la sorte de
la possibilité d'expliquer son retard. Elle a affirmé que cela
contrevenait au principe voulant que ceux dont les droits de
propriété ont été touchés ont le droit de se faire entendre. La
demanderesse a invoqué l'arrêt Bains e. Canada (Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 3 C.F. 487 (C.A.)
comme énonçant la proposition selon laquelle un délai limite
rigide et inflexible sans possibilité d'obtenir une prorogation
quelles que soient les circonstances est incompatible avec les
principes de justice fondamentale et peut entraîner une atteinte
au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. La
demanderesse s'est aussi appuyée sur l'arrêt Kaur e. Canada
(Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 209
(C.A.) aux termes duquel une disposition législative n'avait
pas été appliquée à une personne parce qu'elle aurait violé ses
droits garantis par la Charte. La demanderesse a soutenu que la
perte de son droit d'appel portait atteinte à sa situation finan-
cière et que cela pouvait directement affecter son bien-être
physique et psychologique et la sécurité de sa personne. La
demanderesse a affirmé essentiellement qu'elle se situait dans
une sphère intermédiaire nébuleuse où un droit pécuniaire est
lié et touche à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne.
La défenderesse a fait valoir que la demanderesse recherche
une réparation de nature pécuniaire, laquelle n'est pas visée à
l'article 7 de la Charte.
Jugement: la demande devrait être rejetée; la demande de
radiation devrait être accueillie.
L'application de l'alinéa 167(5)a) ne viole pas les droits de
la demanderesse garantis à l'article 7 de la Charte. La Cour
d'appel de la Colombie-Britannique a récemment statué que la
prescription applicable aux actions en dommages-intérêts ne
violait pas l'article 7 parce que les demandeurs recherchaient
une réparation d'ordre pécuniaire. Dans un récent arrêt de la
Cour suprême du Canada, le juge Lamer a dit que les types de
liberté et de sécurité de la personne qu'entend protéger l'ar-
ticle 7 sont ceux que l'État permet ordinairement aux juges et
aux tribunaux de restreindre (comme la détention d'individus
contre leur volonté). Bien que la demanderesse n'ait pas
demandé des dommages-intérêts comme tels, elle recherchait
une réparation de nature pécuniaire. Même si l'on accepte qu'il
doit y avoir un retard excessif pour exclure le recours, le Parle-
ment a respecté cette condition en permettant la prorogation du
délai initial de 90 jours pendant une autre période d'un an.
L'allégation de la demanderesse selon laquelle ses dossiers
d'impôt sur le revenu auraient été retenus contrairement à la
Charte est sans bien-fondé. Aucun élément de preuve démontre
que l'on ait demandé ces dossiers ou que l'on s'en soit préoc-
cupé à un moment quelconque avant l'expiration du délai.
La jurisprudence dit clairement que si les délais impartis aux
articles 165 et 167 ne sont pas respectés, la Cour n'a pas com-
pétence pour être saisie de l'action de la demanderesse.
Les arrêts Bains et Kaur disent simplement qu'un particulier
doit avoir la possibilité de démontrer que les droits que lui
garantit la Charte ont été violés par l'application d'une disposi
tion législative. La demanderesse a eu cette possibilité.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de /982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 7, 24.
Limitation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 236, art. 8(1).
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, ch. I 1 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appen-
dice II, n° 44], art. 52.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-7l-72, ch. 63,
art. 163(2) (mod. par S.C. 1978-79, ch. 5, art. 7),
165(1), 167 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 158,
art. 58, item 2), 169 (mod., idem; 1984, ch. 45, art. 70).
Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970,
ch. S-9, art. 647(2), 649.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52,
art. 27(l)d)(i i), 32(2), 35(1), 70(1).
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172,
art. 40(1) (mod. par DORS/80-601, art. 4).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Graham (H. 1.) c. La Reine, [1987] 2 C.T.C. 255; (1987),
87 DTC 5455 (C.F. 1e inst.); Whitbread v. Walley (1988),
51 D.L.R. (4th) 509; [1988] 5 W.W.R. 313; 26 B.C.L.R.
(2d) 203 (C.A.); Wittman (Guardian Ad Litem) v. Emmott
(1991), 77 D.L.R. (4th) 77: [1991] 4 W.W.R. 175; 53
B.C.L.R. (2d) 228; 45 C.P.C. (2d) 245 (C.A.); Streng et
al. v. Township of Winchester (1986), 56 O.R. (2d) 649;
31 D.L.R. (4th) 734; 37 C.C.L.T. 296; 11 C.P.C. (2d) 183;
25 C.R.R. 357; 34 M.P.L.R. 116; 43 M.V.R. 1 (H.C.);
Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code
criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123; [1990] 4 W.W.R.
481; (1990), 68 Man. R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 65; 77
C.R. (3d) 1; 109 N.R. 81.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion), [1989] 3 C.F. 487; (1989), 61 D.L.R. (4th) 573; 47
C.R.R. 361; (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 165 (C.A.); Kaur c.
Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration),
[1990] 2 C.F. 209; (1989), 64 D.L.R. (4th) 317; 104 N.R.
50; 10 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.); Smith, Kline & French
Laboratories Limited c. Procureur général du Canada,
[1986] 1 C.F. 274; (1985), 24 D.L.R. (4th) 321; 7 C.P.R.
(3d) 145; 19 C.R.R. 233; 12 F.T.R. 81 (lee inst.); conf. par
[1987] 2 C.F. 359; (1986), 34 D.L.R. (4th) 584; 11
C.I.P.R. 181; 12 C.P.R. (3d) 385; 27 C.R.R. 286; 78 N.R.
30 (C.A.); Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration), [1990] 2 C.F. 299; (1990), 67 D.L.R.
(4th) 697; 42 Admin. L.R. 189; 10 Imm. L.R. (2d) 137;
107 N.R. 107 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. Neale (1985), 62 A.R. 350; 39 Alta. L.R. (2d) 24; 20
C.C.C. (3d) 415; 46 C.R. (3d) 366: 17 C.R.R. 282; 34
M.V.R. 245 (Q.B.); inf. par (1986), 71 A.R. 337; [1986] 5
W.W.R. 577; 46 Alta. L.R. (2d) 225; 28 C.C.C. (3d) 345;
52 C.R. (3d) 376; 26 C.R.R. 1; 43 M.V.R. 194 (C.A.); Re
S.E.M. (1988), 88 A.R. 346; [1988] 6 W.W.R. 661; 61
Alta. L.R. (2d) 206 (C.A.); Starlite Bottlers Ltd. c. La
Reine, [1988] 2 C.T.C. 60; (1988), 88 DTC 6272 (C.F.
Ife inst.); Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R.
(4th) 422; 12 Admin L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1.
DEMANDE d'ordonnance déclarant inopérant
l'alinéa 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu
parce qu'il violerait l'article 7 de la Charte. Demande
rejetée.
AVOCATS:
R. Glen Sherman pour la demanderesse.
Mary Jane Dodge, c. r. et E. Junkin pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Macintosh Riecken & Sherman, Vancouver, pour
la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de
l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: Cette demande
par laquelle la demanderesse sollicite une ordonnance
portant que l'alinéa 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur
le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63], dans sa version
modifiée, viole l'article 7 de la Charte canadienne
des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de /982, annexe B, Loi de /982
sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, no 44]] et que l'alinéa 167(5)a) est ino-
pérant en vertu de l'article 24 de la Charte ou de l'ar-
ticle 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44] a été entendue à
Vancouver (Colombie-Britannique) le 12 juillet 1991.
Le 24 juin 1986, la Cour canadienne de l'impôt avait
rejeté pour défaut de compétence l'appel interjeté par
la demanderesse contre la décision antérieure de la
Cour de l'impôt qui se déclarait non compétente à
juger la demande de la demanderesse visant la pro
longation du délai applicable au dépôt des avis d'op-
position. Dans la présente action, la demanderesse
sollicite la prolongation du délai applicable au dépôt
des avis d'opposition relatifs aux cotisations établies
à l'égard de ses années d'imposition 1975 à 1978,
mais elle ne peut le faire en raison de l'expiration du
délai imposé par l'alinéa 167(5)a). La demanderesse
soutient qu'elle devrait être exemptée de l'application
de l'alinéa 167(5)a) et que cette Cour devrait être
autorisée à étudier le bien-fondé de sa demande de
prolongation parce que, dans les circonstances parti-
culières en cause, l'alinéa 167(5)a) est incompatible
avec l'article 7 de la Charte.
HISTORIQUE
Les déclarations d'impôt sur le revenu de la
demanderesse pour les années d'imposition 1975,
1976, 1977 et 1978 ont fait l'objet de cotisations de la
part du ministre du Revenu national (le «ministre»)
les 25 juin 1976, 26 juillet 1977, 14 juillet 1978 et 26
juin 1979 respectivement. Par avis de nouvelles coti-
sations en date du 18 novembre 1981, le ministre a
établi de nouvelles cotisations à l'égard des années
d'imposition 1975, 1976, 1977 et 1978 de la deman-
deresse. Le ministre a rejeté des dépenses dont la
demanderesse prétendait qu'elles avaient été faites
dans le but de tirer un revenu d'une entreprise', et il a
imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2)
de la Loi de l'impôt sur le revenu [mod. par S.C.
1978-79, ch. 5, art. 7]Z. Selon les affidavits de la
demanderesse et de Millard Magasin, tous deux en
date du 21 juin 1991, la demanderesse a porté les
nouvelles cotisations à la connaissance de son comp-
table, M. Millard Magasin en novembre 1981. Il a
rédigé un avis d'opposition, qui n'a cependant pas été
déposé parce que, selon M. Magasin, celui-ci faisait
l'objet d'une vérification en cours de la part du
ministère du Revenu national et parce qu'il avait des
problèmes financiers en 1982.
Dans une demande en date du 10 août 1983, la
demanderesse a sollicité de la Cour canadienne de
l'impôt la prolongation du délai applicable au dépôt
d'un avis d'opposition. La demande devait être ins-
truite le 30 janvier 1984. Comme personne n'a com-
paru pour la demanderesse ou pour son compte, la
demande a été rejetée pour défaut de poursuivre par
ordonnance du juge St-Onge, C.C.I., en date du 13
février 1984. Dans son affidavit en date du 21 juin
1991, la demanderesse a déclaré n'avoir pas comparu
à l'audience parce qu'elle se trouvait à l'époque au
Royal Columbian Hospital, à New Westminster
(Colombie-Britannique). La demanderesse a alors
interjeté appel auprès de la Cour canadienne de l'im-
pôt à l'égard de ses années d'imposition 1975, 1976,
1977 et 1978. Par ordonnance du juge Kempo, C.C.I.,
en date du 24 juin 1986, la requête du ministre visant
l'annulation de l'appel a été accueillie parce que la
demanderesse ne s'était pas conformée aux disposi
tions de l'article 169 de la Loi de l'impôt sur le
1 Les montants suivants ont été rejetés: 1975-11 631,83 $;
1976-11 151,34 $; 1977-9 488,78 $; 1978-6 312,00 S.
2 Le ministre a allégué que la demanderesse a sciemment, ou
dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait de faux
énoncés dans ses déclarations d'impôt sur le revenu pour les
années d'imposition 1975, 1976, 1977, 1978, ou y a participé,
consenti ou acquiescé, contrairement à l'art. 163(2) de la Loi
de l'impôt sur le revenu.
revenu [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 158, art.
58, item 2; 1984, ch. 45, art. 70] 3 .
Le 14 octobre 1986, la demanderesse a déposé une
déclaration auprès de cette Cour à l'égard de ses
années d'imposition 1975, 1976, 1977, 1978 et 1979,
faisant valoir qu'en raison de son âge et de sa mala-
die, cette Cour a compétence pour lui accorder une
prolongation puisque, pour une simple question de
procédure, elle a été privée du droit d'exposer son
cas. Elle allègue aussi qu'elle a été incapable de
déposer des avis d'opposition réguliers au moment
requis parce que tous les reçus, documents et livres
sur lesquels se fondaient les avis d'opposition étaient
détenus par la défenderesse contrairement à la
Charte. La défense a été déposée le 30 janvier 1987.
Aucune autre mesure n'a été prise jusqu'à ce que
la défenderesse, dans des lettres en date du 4 janvier
et du 6 mai 1991, avise la demanderesse qu'en raison
de son silence jusqu'alors, il serait nécessaire de
radier la déclaration. Le 9 mai 1991, la demanderesse
a déposé un avis d'intention de procéder. Elle a
expliqué qu'au cours des dernières années, elle avait
été gravement atteinte d'asthme et de bronchite, qui
l'avaient empêchée de répondre plus tôt. Le 17 mai
1991, la défenderesse a présenté une requête en rejet
de l'action de la demanderesse et le 24 juin 1991,
cette dernière a demandé à cette Cour une ordon-
nance portant que le paragraphe 167(5) de la Loi de
l'impôt sur le revenu violait l'article 7 de la Charte et
était inopérant. Par ordonnance du juge Joyal en date
du 11 juillet 1991, la requête par laquelle la défende-
resse sollicitait le rejet de l'action de la demanderesse
a été ajournée au 12 juillet 1991 uniquement en vue
de l'examen des moyens de la demanderesse fondés
3 169. Lorsqu'un contribuable a signifié un avis d'opposi-
tion à une cotisation, prévu à l'article 165, il peut interjeter
appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt, pour faire
annuler ou modifier la cotisation
a) après que le Ministre a ratifié la cotisation ou procédé à
une nouvelle cotisation, ou
b) après l'expiration des 90 jours qui suivent la signification
de l'avis d'opposition sans que le Ministre ait notifié au con-
tribuable le fait qu'il a annulé ou ratifié la cotisation ou pro-
cédé à une nouvelle cotisation;
mais nul appel prévu au présent article ne peut être interjeté
après l'expiration des 90 jours qui suivent la date où avis a été
expédié par la poste au contribuable, en vertu de l'article 165,
portant que le Ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une
nouvelle cotisation.
sur la Charte. Il a été en outre ordonné que [TRADUC-
TION] «dans l'éventualité ou les moyens de la deman-
deresse fondés sur la Charte seraient rejetés, juge-
ment sera rendu en faveur de la défenderesse».
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES
Les dispositions législatives pertinentes à cette
demande sont les paragraphes 165(1), 167(1) [mod.
par S.C. 1980-81-82-83, ch. 158, art. 58], 167(2)
[mod., idem] et 167(5) [mod., idem] de la Loi de
l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63 et ses
modifications et l'article 7 de la Charte canadienne
des droits et libertés, Partie I de la Loi constitution-
nelle de 1982 qui est l'annexe B de la Loi de 1982
sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) et le paragraphe
52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982:
Impôt sur le revenu
165. (1) Un contribuable qui s'oppose à une cotisation pré-
vue par la présente Partie peut, dans les 90 jours de la date
d'expédition par la poste de l'avis de cotisation, signifier au
Ministre un avis d'opposition, en double exemplaire, dans la
forme prescrite, exposant les motifs de son opposition et tous
les faits pertinents.
167. (1) Lorsque aucune opposition à une cotisation n'a été
faite en vertu de l'article 165 ni aucun appel à la Cour cana-
dienne de l'impôt n'a été interjeté en vertu de l'article 169
dans le délai imparti à cette fin par l'article 165 ou 169, selon
le cas, une demande peut être faite à la Cour canadienne de
l'impôt en vue d'obtenir une ordonnance prolongeant le délai
dans lequel un avis d'opposition peut être signifié ou un appel
interjeté, et la Cour canadienne de l'impôt peut, si, à son avis,
les circonstances du cas sont telles qu'il serait juste et équitable
de le faire, rendre une ordonnance prolongeant le délai d'oppo-
sition ou d'appel et imposer les conditions qu'elle estime jus-
tes.
(2) La demande mentionnée au paragraphe (1) doit indiquer
les raisons pour lesquelles il n'a pas été possible de signifier
l'avis d'opposition à la Cour canadienne de l'impôt ou d'inter-
jeter appel à la Cour canadienne de l'impôt dans le délai par
ailleurs imparti à cette fin par la présente loi.
(5) Aucune ordonnance ne peut être rendue en vertu du para-
graphe (I) ou (4)
a) à moins que la demande de prolongation du délai d'oppo-
sition ou d'appel ne soit faite dans l'année qui suit l'expira-
tion du délai par ailleurs imparti par la présente loi pour faire
opposition ou interjeter appel en ce qui concerne la cotisa-
tion qui fait l'objet de la demande;
b) si la Cour canadienne de l'impôt ou la Cour fédérale a
antérieurement rendu une ordonnance prolongeant le délai
d'opposition ou d'appel en ce qui concerne la cotisation; et
c) à moins que la Cour canadienne de l'impôt ou la Cour
fédérale ne soit convaincue que,
(i) sans les circonstances mentionnées au paragraphe (1)
ou (4), selon le cas, une opposition aurait été faite ou un
appel aurait été interjeté dans le délai par ailleurs imparti
à cette fin par la présente loi,
(ii) la demande a été présentée aussitôt que les circons-
tances l'ont permis, et
(iii) des motifs raisonnables de faire opposition ou d'inter-
jeter appel existent en ce qui concerne la cotisation. [Sou-
lignements ajoutés.]
Charte
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Loi constitutionnelle de 1982
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du
Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de
toute autre règle de droit.
LA QUESTION EN LITIGE
La question en litige consiste simplement à savoir
si l'alinéa 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu
viole le droit de la demanderesse à la vie, à la liberté
et à la sécurité de sa personne contrairement à l'ar-
ticle 7 de la Charte.
MOYENS DE LA DEMANDERESSE
La demanderesse fait valoir que l'alinéa 167(5)a)
de la Loi de l'impôt sur le revenu viole les droits que
lui confère l'article 7 de la Charte, particulièrement
son droit à la sécurité de sa personne. Elle prétend
que l'alinéa 167(5)a) impose une limite inflexible et
injustifiable à son droit légal d'appel. Elle est par
conséquent privée de la possibilité de répliquer à la
question du retard, de sorte que l'alinéa 167(5)a) est
incompatible avec la règle selon laquelle ceux dont
les droits de propriété ont été atteints ont le droit de
se faire entendre. De plus, la menace d'un préjudice
pour la demanderesse dans les présentes circons-
tances suffit à lui assurer la protection offerte par l'ar-
ticle 7 de la Charte. La perte de son droit d'appel
pourrait la placer [TRADUCTION] «dans une situation
financière très précaire».
On convient qu'on ne peut invoquer l'article 7 de
la Charte en se fondant sur un simple désavantage
pécuniaire. La demanderesse allègue toutefois que la
perte de son droit d'appel ne représente pas un simple
désavantage pécuniaire mais aussi une telle menace
pour ses moyens d'existence qu'elle aura des réper-
cussions directes sur son bien-être physique et psy-
chologique et compromettra la sécurité de sa per-
sonne. S'appuyant sur l'arrêt R. v. Neale (1985), 62
A.R. 350 (Q.B.) (infirmé pour d'autres motifs dans
(1986), 71 A.R. 337 (C.A.)), la demanderesse fait
valoir que l'article 7 de la Charte vise à accroître le
dynamisme, la volonté, l'autonomie et le bien-être
physique des citoyens. L'expression «porté atteinte»
à l'article 7 ne se limite pas à la perte complète ou au
déni absolu du droit à la vie, à la liberté et à la sécu-
rité de la personne, elle comprend aussi une simple
atteinte à ce droit, et la phrase «sécurité de la per-
sonne» ne se restreint pas à l'intégrité physique, mais
elle peut englober davantage que la sécurité physique
et psychologique.
La demanderesse avance que le ministre ne subi-
rait aucun préjudice si un retard devait la mener au-
delà du délai d'un an prévu à l'alinéa 167(5)a). Elle
laisse entendre que s'il y a violation de l'article 7 de
la Charte ou si un délai empêche une personne de se
faire entendre alors qu'elle a de bonnes raisons de ne
s'être pas conformée au délai imparti, le tribunal peut
alors intervenir et accorder à l'intéressée la possibi-
lité d'expliquer son retard. Elle demande donc que le
paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982
s'applique en l'espèce pour l'exempter de l'applica-
tion de l'alinéa 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le
revenu, et elle prie cette Cour d'étudier le bien-fondé
de sa demande de prolongation du délai applicable au
dépôt d'un avis d'opposition.
LES MOYENS DE LA DÉFENDERESSE
La défenderesse souligne qu'en l'espèce le délai de
90 jours imparti à l'article 165 de la Loi de l'impôt
sur le revenu a pris fin le 16 février 1982, et que
l'autre délai d'un an pour demander une prolongation
en vertu de l'article 167 a pris fin le 16 février 1983.
Comme la demanderesse n'a déposé sa demande de
prolongation qu'en août 1983, elle n'a pas respecté
les délais imposés par la Loi de l'impôt sur le revenu
et, selon la stricte interprétation donnée jusqu'à pré-
sent à l'alinéa 167(5)a), cette Cour n'a pas compé-
tence pour entendre son appel.
La défenderesse avance que le droit de la deman-
deresse à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa per-
sonne n'est pas en jeu. Les griefs de la demanderesse
visent une cotisation d'impôt à l'égard de laquelle
elle devra verser une somme d'argent; elle n'est pas
passible d'emprisonnement ni d'une autre forme de
perte de sa liberté ou de sa sécurité. Le recours
qu'elle recherche est de nature financière et, comme
tel, il n'est pas visé par l'article 7 de la Charte. Les
lois fiscales touchent aux intérêts pécuniaires et les
tribunaux ont clairement rejeté la proposition voulant
que le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la
personne comprenne des recours d'ordre financier.
De plus, on n'a pas usé de menaces pour encaisser les
impôts exigibles et perceptibles depuis 1982 et, en
tout état de cause, la perception d'une dette fiscale
valide est une autre question. Finalement, la justice
fondamentale ne comprend pas le droit de retrancher
les délais. En s'appuyant sur l'arrêt Re S.E.M. (1988),
88 A.R. 346 (C.A.), la défenderesse soutient que le
ministre doit connaître avec un certain degré de certi
tude le moment où les dossiers peuvent être effective-
ment classés, et qu'un délai n'aurait pratiquement
plus de sens avec la prolongation automatique propo
sée par la demanderesse.
ANALYSE
L'article 165 de la Loi de l'impôt sur le revenu pré-
voit que le contribuable qui s'oppose à une cotisation
peut d'office signifier un avis d'opposition dans les
90 jours de la date de la cotisation. Dans l'éventualité
où le contribuable ne signifie pas un avis de cotisa-
tion dans les 90 jours, l'article 167 de la Loi de l'im-
pôt sur le revenu prévoit un mécanisme grâce auquel
la prolongation du délai peut être accordée pour per-
mettre un dépôt tardif si certaines conditions sont res-
pectées et si la demande est faite dans l'année qui suit
l'expiration du délai imparti à l'article 165. La juris
prudence dit clairement que si ces délais ne sont pas
respectés, cette Cour n'a pas alors compétence pour
être saisie de l'action de la demanderesse. Dans l'ar-
rêt Graham (H. I.) c. La Reine, [1987] 2 C.T.C. 255
(C.F. Ire inst.), le juge Cullen a statué qu'il n'avait
pas la compétence nécessaire pour entendre l'appel
du contribuable contre une cotisation d'impôt lorsque
l'action n'avait pas été engagée dans les délais impar-
tis à l'alinéa 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le
revenu. Conséquemment, il a accueilli la demande de
la Couronne en vue d'obtenir la radiation de la décla-
ration du contribuable. Il a remarqué, aux pages 256
et 257:
Quant aux années d'imposition 1979 et 1981, comme il est
mentionné plus haut, le demandeur a adressé à la Cour cana-
dienne de l'impôt une requête en prorogation de délai en vue
de signifier au ministre du Revenu national des avis d'opposi-
tion pour ses années d'imposition 1948 à 1979 inclusivement,
de même que pour ses années d'imposition 1981 et 1982. La
requête a été rejetée par ordonnance de la Cour en date du 18
décembre 1986 [n° du greffe: 2709 (IT)]. La plupart des
requêtes n'étaient pas datées, mais elles ont été reçues par la
Cour le 10 décembre 1985. Comme il s'était écoulé plus d'un
an et 90 jours, la Cour de l'impôt n'avait pas compétence pour
proroger le délai de dépôt des avis d'opposition (voir l'alinéa
167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu).
Les faits pertinents ne permettaient pas au demandeur d'ob-
tenir un procès de novo. Si l'alinéa 167(5)a) de la Loi empê-
chait totalement une action devant la Cour canadienne de l'im-
pôt, il n'est plus possible alors de revenir sur les années
d'imposition en question. La Cour fédérale du Canada n'a plus
compétence parce que l'action n'a pas été introduite dans les
délais prévus par la Loi de l'impôt sur le revenu. [C'est moi qui
souligne.]
Le juge Pinard a tiré la même conclusion dans des
circonstances similaires dans l'arrêt Starlite Bottlers
Ltd. c. La Reine, [1988] 2 C.T.C. 60 (C.F. ire inst.).
Il est donc clair, comme l'indique l'ordonnance du
juge Joyal en date du 11 juillet 1991, que le délai
oppose à la demanderesse une fin de non recevoir, à
moins que son moyen fondé sur la Charte ne soit
accueilli. À l'appui de son moyen et du recours parti-
culier recherché en l'espèce, la demanderesse
invoque deux décisions récentes de la Cour d'appel
fédérale: Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration), [1989] 3 C.F. 487, et la décision con-
courante de la majorité dans l'affaire Kaur c. Canada
(Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2
C.F. 209.
Dans l'affaire Bains, les requérants recherchaient
l'annulation de deux décisions par lesquelles l'an-
cienne Commission d'appel de l'immigration refusait
de proroger le délai dans lequel chacun des requé-
rants devait déposer sa demande de réexamen de sa
revendication du statut de réfugié en vertu du para-
graphe 70(1) de la Loi sur l'immigration de 1976,
S.C. 1976-77, chap. 52 étant donné le délai prescrit
par le paragraphe 40(1) du Règlement sur l'immigra-
tion de 1978, DORS/78-172 [mod. par DORS/80-
601, art. 4] 4 . Le juge Hugessen, de la Cour d'appel, a
conclu au nom de la Cour que la Commission a déter-
miné à bon droit qu'elle n'avait pas la compétence
nécessaire pour proroger un délai imparti par le gou-
verneur en conseil dans l'exercice du pouvoir de
réglementation que lui confère la Loi. Il a néanmoins
accueilli l'argument des requérants selon lequel un
délai limite rigide et inflexible imparti pour demander
un réexamen sans qu'il soit possible d'obtenir une
prorogation, quelles que soient les circonstances, est
incompatible avec les principes de justice fondamen-
tale et peut entraîner une atteinte au droit à la vie, à la
liberté et à la sécurité de la personne, contrairement à
l'article 7 de la Charte. Il a souligné, à la page 490,
qu'à la suite de la décision de la Cour suprême du
Canada dans l'affaire Singh et autres c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177,
«[i]1 est maintenant bien établi qu'une revendication
du statut de réfugié peut faire entrer en jeu des droits
protégés par la Charte». Il a accueilli les demandes et
il a renvoyé les affaires à la Commission pour qu'elle
procède à un nouvel examen «en partant du principe
que la Commission a compétence pour examiner si la
justice fondamentale exige que, dans les circons-
tances, les requérants soient autorisés à demander un
réexamen de leurs revendications du statut de réfugié
en dehors du délai fixé par la loi». Il a dit, à la page
491:
Ce qu'on peut reprocher à l'argument invoqué par l'avocate
du ministre est que la Commission, estimant qu'elle n'avait
pas compétence pour le faire, n'a jamais examiné les faits de
a 70. (1) La personne qui a revendiqué le statut de réfugié au
sens de la Convention et à qui le Ministre a fait savoir par
écrit, conformément au paragraphe 45(5), qu'elle n'avait pas
ce statut, peut, dans le délai prescrit, présenter à la Commission
une demande de réexamen de sa revendication.
40. (1) La personne qui a revendiqué le statut de réfugié au
sens de la Convention et que le Ministre a notifiée par écrit,
conformément au paragraphe 45(5) de la Loi, du fait qu'elle
n'avait pas ce statut, peut, dans les quinze jours suivant la date
où elle en a été notifiée, présenter par écrit à la Commission,
selon l'article 70 de la Loi, une demande de réexamen de sa
revendication en la remettant à un agent d'immigration ou à la
Commission.
l'une ou de l'autre affaire. Il se peut que, finalement, la Com
mission souscrive à l'argument de l'avocate du ministre et con-
clue que les faits ne révèlent aucune violation des règles de
justice fondamentale, mais il appartient, en premier lieu à tout
le moins, à la Commission et non à cette Cour d'examiner
cette question et d'y répondre. La Commission est une cour
d'archives (Loi sur l'immigration de /976, paragraphe 65(1))
ayant «compétence exclusive» (Loi sur l'immigration de 1976,
paragraphe 59(1)) pour connaître d'une question telle que celle
qui se pose en l'espèce, à savoir une demande de réexamen
d'une revendication du statut de réfugié. Ses pouvoirs et sa
compétence doivent être interprétés à la lumière de la Charte.
En conséquence, elle ne saurait simplement refuser de con-
naître d'une demande du type en question en l'espèce; elle doit
plutôt examiner les faits particuliers de chaque affaire pour
déterminer si le requérant risque d'être privé d'un droit protégé
par la Charte au cas où il ne serait pas autorisé à demander un
réexamen et, dans l'affirmative, si la justice fondamentale
exige qu'il lui soit accordé une telle autorisation. [C'est moi
qui souligne.]
Dans l'arrêt Kaur, un arbitre avait rejeté la
demande de la demanderesse de statut de rouvrir son
enquête. Lors de l'audition de sa revendication du
statut de réfugiée, la demanderesse avait déclaré
qu'elle voulait rentrer en Inde et ne désirait plus
revendiquer le statut de réfugiée. Une mesure d'ex-
clusion a été prise, cependant, la requérante a plus
tard demandé la réouverture de l'enquête parce qu'au
moment de cette dernière, son mari avait exercé sur
elle de très fortes pressions. Le juge Heald, de la
Cour d'appel, qui a rendu la décision concourante de
la majorité, a conclu (à la page 216) que l'arbitre «n'a
pas commis d'erreur en refusant de rouvrir l'enquête
en vertu de l'article 35 de la Lois, en l'absence d'une
application possible de la Charte». Il a ensuite étudié
l'argument selon lequel les droits du requérant fondés
sur la Charte avaient été violés et en se fondant sur le
raisonnement suivant, il a conclu (à la page 218) que
«l'espèce donne clairement lieu à une intervention,
en application de l'article 7 de la Charte»:
Il ressort du dossier qu'en raison de la contrainte que son ex-
mari exerçait sur elle au cours de l'enquête, la requérante a été
effectivement privée de son droit à un conseil indépendant.
5 Le paragraphe 35(1) de la Loi sur l'immigration de 1976,
S.C. 1976-77, chap. 52, était libellé comme suit:
35. (1) Sous réserve des règlements, une enquête menée
par un arbitre peut être réouverte à tout moment par le même
arbitre ou par un autre, à l'effet d'entendre de nouveaux
témoignages et de recevoir d'autres preuves, et l'arbitre peut
alors confirmer, modifier ou révoquer la décision antérieure.
Elle a aussi été effectivement privée de la possibilité de pren-
dre une décision libre et éclairée relativement à la revendica-
tion du statut de réfugiée. En conséquence, je conclus que l'or-
donnance d'exclusion rendue en l'espèce est manifestement
injuste dans les présentes circonstances et contraire aux dispo
sitions de l'article 7 de la Charte.
Pour ce qui est de la question de la réparation, le
juge Heald, J.C.A., a conclu [à la page 223] que
«l'espèce donne clairement lieu à une [TRADUCTION]
«exemption» ou «omission»» en vertu de laquelle la
loi reste en vigueur mais n'est pas appliquée à une
personne telle que la requérante dont les droits fondés
sur la Charte avaient été violés par l'application des
dispositions législatives à sa situation.
En conformité avec le raisonnement suivi dans les
arrêts Kaur et Bains de la Cour d'appel fédérale et
l'esprit de ces décisions, la demanderesse a eu la pos-
sibilité de démontrer que les droits que lui confère
l'article 7 de la Charte avaient été violés par l'appli-
cation de l'alinéa 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le
revenu. Je n'estime pas que ces arrêts soient l'expres-
sion d'une proposition plus générale.
En l'espèce, la demanderesse convient de la néces-
sité des délais, mais elle laisse entendre qu'ils ne sont
pas valides dans tous les cas, particulièrement lors-
qu'il y a violation des droits fondés sur l'article 7 de
la Charte. Elle ne demande pas un jugement déclarant
que l'article contesté est invalide, mais simplement
qu'il a pour effet, dans les circonstances particulières
de son cas, d'imposer une restriction injustifiable à
son droit d'appel.
La demanderesse ne m'a toutefois pas convaincu
que dans les présentes circonstances l'alinéa 167(5)a)
devrait être tenu pour inopérant parce qu'il aurait
pour effet de la priver de la sécurité de sa personne.
En effet, les circonstances exposées par la demande-
resse et son avocat pour expliquer son retard à dépo-
ser des avis d'opposition et pour souligner les réper-
cussions qu'aurait sur sa situation personnelle le déni
d'un droit d'appel sont déplorables et regrettables,
mais sûrement pas exceptionnelles. Je reconnais
comme l'a fait le juge Strayer dans l'arrêt Smith,
Kline & French Laboratories Limited c. Procureur
général du Canada, [ 1986] 1 C.F. 274, à la page 315,
(confirmé [1987] 2 C.F. 359 (C.A.)) «qu'il puisse y
avoir certaines situations dans lesquelles l'article 7
pourrait protéger de façon accessoire le droit de pro-
priété d'un particulier», mais la demanderesse n'a pas
démontré que tel était le cas en l'espèce.
Dans l'arrêt Whitbreadv. Walley (1988), 51 D.L.R.
(4th) 509 (C.A.), le juge d'appel McLachlin (tel était
alors son titre) a conclu au nom de la Cour que le
paragraphe 647(2) et l'article 649 de la Loi sur la
marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, ch. S-9,
qui limitent à une somme fondée sur le tonneau de
jauge du navire la responsabilité des propriétaires et
des capitaines de navires à l'égard des dommages-
intérêts pour blessures, ne portent pas atteinte au
droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la per-
sonne contrairement à l'article 7 de la Charte cana-
dienne des droits et libertés. Dans l'affaire Whit-
bread, le demandeur avait été sérieusement blessé
dans un accident de bateau. Ses blessures à l'épine
dorsale l'avaient rendu quadriplégique et il a pour-
suivi les propriétaires et les conducteurs défendeurs
du bateau. Le juge de première instance a statué que
les dispositions limitant la responsabilité avaient des
conséquences financières, et que par conséquent elles
ne violaient pas l'article 7 de la Charte.
En appel, la Cour a reconnu que les lois et les actes
de l'État qui portent directement atteinte à la vie, à la
liberté ou à la sécurité de la personne sont visés par
l'article 7 et que les lois entièrement d'ordre financier
ne relèvent pas de l'article 7. Cependant, le juge
d'appel McLachlin a remarqué (à la page 520) que
[TRADUCTION] «la question délicate, qui reste en partie
sans réponse, vise la situation qui se trouve entre ces
deux extrêmes—c'est-à-dire celle où la mesure con-
testée, tout en ayant un aspect d'ordre financier, peut
aussi être considérée de façon défendable comme
reliée ou touchant à la vie, à la liberté ou à la sécurité
de la personne». Elle a résumé comme suit les argu
ments du demandeur fondés sur la Charte (aux pages
520 et 521): 1. une revendication d'intérêts financiers
fondée sur une atteinte au droit à la vie, à la liberté et
à la sécurité de la personne est visée par l'article 7 de
la Charte; et 2. une revendication d'intérêts financiers
susceptibles d'accroître la capacité d'une personne à
obtenir des outils et des agréments servant à amélio-
rer sa vie, sa liberté et la sécurité de sa personne,
relève de l'article 7 de la Charte. Ces arguments ont
toutefois été rejetés (aux pages 521 et 522):
[TRADUCTION] Le premier argument ... exige que les mots «à
la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne» à l'art. 7
s'interprètent comme s'ils étaient complétés par les mots «ou
aux avantages pécuniaires que la loi peut accorder à leur
place». En l'absence de circonstances convaincantes, il me
répugnerait de m'engager à voir dans la Charte des mots que
ses rédacteurs n'ont pas jugé bon d'inclure et que les objectifs
de la disposition de la Charte en cause, interprétés dans l'arrêt
Renvoi relatif au paragraphe 94(2) de la Motor Vehicles Act,
supra, [(1985), 24 D.L.R. (4th) 536, 23 C.C.C. (3d) 289,
[1985] 2 R.C.S. 486] n'imposent pas.
Le second argument ... soulève la même difficulté. Il exige,
peut-on dire, que l'on voit à l'art. 7, à la suite de la déclaration
selon laquelle chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité
de sa personne, l'assurance supplémentaire que chacun a droit
«à tout avantage qui puisse améliorer la vie, la liberté ou la
sécurité de sa personne». Cet argument se heurte toutefois à un
problème encore plus grave. Il est en effet difficile d'imaginer
un droit de propriété ou un droit pécuniaire dont on ne peut
arguer qu'il a une incidence sur la vie, la liberté ou la sécurité
de la personne. La liberté et la sécurité de la personne sont des
concepts larges et souples, et la mesure dans laquelle ils peu-
vent s'étendre est intimement liée à la somme d'argent dont on
dispose. Par exemple, la personne à qui une loi interdit de
poursuivre pour rupture de contrat ou dont la société se voit
refuser un permis pourrait soutenir que les pertes financières
qui en résultent ont porté atteinte à sa liberté et à la sécurité de
sa personne parce que privée d'argent, elle ne peut aller où elle
veut, se livrer aux activités de son choix ou assurer convena-
blement son avenir. Accepter le second argument du deman-
deur, ce serait rendre l'art. 7 applicable à pratiquement tous les
droits de propriété. Étant donné l'économie de la Charte et
l'absence de toute mention du droit de propriété, je ne saurais
convenir que c'était là l'intention des auteurs de la Charte.
[C'est moi qui souligne.]
Récemment dans l'arrêt Wittman (Guardian Ad
Litem) v. Emmott (1991), 77 D.L.R. (4th) 77 (C.A.),
on a statué que le paragraphe 8(1) de la Limitation
Act, R.S.B.C. 1979, ch. 236, qui prévoyait que les
actions contre les médecins se prescrivaient par six
ans, ne violait pas l'article 7 de la Charte parce que
les conséquences directes de l'article 8 étaient pure-
ment de nature pécuniaire en ce sens que ce dernier
faisait obstacle à la recherche de dommages-intérêts,
qui est un recours d'ordre pécuniaire. Le demandeur
Wittman, né en août 1978, était victime d'infirmité-
motrice cérébrale, de quadriplégie spastique et
d'autres infirmités physiques graves. En mars 1982,
ses parents s'étaient rendu compte pour la première
fois que son état pouvait être la conséquence des
soins négligents prodigués à la mère pendant sa gros-
sesse par les médecins défendeurs. Le bref d'assigna-
tion du demandeur, décerné en 1985, avait été rejeté
parce qu'il avait été décerné après le délai de six ans
imposé par l'article 8 de la Limitation Act. En appel,
le demandeur a fait valoir notamment que l'article 8
violait les droits que lui conférait l'article 7 de la
Charte.
Le juge d'appel Wallace, qui s'exprimait pour la
Cour, a rejeté cet argument en déclarant (à la page
87) que [TRADUCTION] «selon moi, ce qui est en jeu en
l'espèce, ce n'est ni la liberté ni la sécurité de la per-
sonne, mais un recours de nature pécuniaire». Il a
étudié l'arrêt Whitbread v. Walley, et il a conclu que
le paragraphe 8(1), en restreignant le temps pendant
lequel une action peut être intentée, ne violait pas
l'article 7 de la Charte. Il a déclaré, à la page 89:
[TRADUCTION] En l'espèce, le demandeur mineur poursuit les
défendeurs pour obtenir des dommages-intérêts suffisants pour
compenser les blessures subies. Comme dans l'affaire Whit-
bread, l' action vise une réparation de nature pécuniaire. Elle ne
recherche pas une réparation liée à la dignité, à l'amour-propre
ou à la liberté, dans le sens classique, de l'individu.
Même en matière d'expulsion de résidents perma
nents pour perpétration d'actes criminels, la Cour
d'appel fédérale a récemment statué dans l'arrêt
Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration), [ 1990] 2 C.F. 299, que le sous-alinéa
27(1)d)(ii) et le paragraphe 32(2) de la Loi sur l'im-
migration de 1976 ne violaient pas l'article 7 de la
Charte. Le juge Pratte, de la Cour d'appel, qui s'ex-
primait pour cette dernière (bien qu'il ait été dissident
à l'égard d'une autre question), n'a pas accueilli l'ar-
gument de l'appelant selon lequel la prise d'une
mesure d'expulsion contre un résident permanent
pour le seul motif qu'il a commis un acte criminel et
sans qu'il y ait examen des circonstances dans les-
quelles l'acte a été commis est contraire aux droits
que lui confère l'article 7 de la Charte. En outre, le
juge Lamer (aujourd'hui juge en chef) dans des
motifs concourants minoritaires dans le Renvoi relatif
à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel
(Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123, a étudié des exemples
de cas où l'article 7 de la Charte entrerait en jeu. Sans
limiter l'application de l'article 7 aux exemples étu-
diés, il a noté, aux pages 1175 et 1176, que:
Ce qui est en jeu dans ces exemples c'est le type de liberté et
de sécurité de la personne que l'État autorise ordinairement
aux juges et aux tribunaux de restreindre. En d'autres termes,
la détention d'individus contre leur volonté ou la restriction de
leur contrôle sur leur esprit et leur corps fait précisément partie
du genre d'activités qui relèvent du domaine de l'appareil judi-
ciaire en tant que gardien du système judiciaire.
En l'espèce, comme ce fut le cas dans les affaires
Whitbread et Wittman, je ne puis conclure que les
droits conférés à la demanderesse par l'article 7 de la
Charte ont été ou seront violés par l'application de
l'alinéa 167(5)a). Bien que la demanderesse ne
demande pas des dommages-intérêts per se, elle
recherche tout de même une réparation de nature
pécuniaire. Comme dans l'affaire Whitbread, la
demanderesse en l'espèce soutient essentiellement
qu'elle se situe dans une sphère intermédiaire nébu-
leuse où un droit pécuniaire est lié et touche à sa vie,
à sa liberté et à la sécurité de sa personne. La Loi de
l'impôt sur le revenu établit et expose les grandes
lignes d'un droit d'appel. Même si l'on accepte,
comme l'a fait la Haute Cour de justice de l'Ontario
dans l'arrêt Streng et al. v. Township of Winchester
(1986), 56 O.R. (2d) 649, à la page 654 que [TRADUC-
TION] «il doit toujours y avoir un retard excessif pour
exclure le recours», je conclus que le Parlement a res
pecté cette condition. Le délai initial établi par l'ar-
ticle 165 est de 90 jours; cependant, au cours de l'an-
née qui suit, il peut être prolongé dans certaines
conditions.
Finalement, les allégations de la demanderesse
selon lesquelles ses dossiers d'impôt sur le revenu
auraient été retenus contrairement à la Charte, la met-
tant ainsi dans l'impossibilité de formuler un avis
d'opposition en règle, sont sans bien-fondé. Aucun
élément de preuve ne démontre que l'on ait demandé
des dossiers que l'on s'en soit préoccupé à un
moment quelconque avant l'expiration du délai. De
plus, ces allégations sont incompatibles avec les
explications données par M. Magasin dans son affi
davit du 21 juin 1991.
CONCLUSION
Conséquemment, les prétentions d'ordre constitu-
tionnel de la demanderesse sont rejetées et la
demande en radiation de l'action faite par la défende-
resse sera accueillie. Il n'y aura pas adjudication de
dépens.
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