T-1508-89
Sa Majesté la Reine (requérante)
c.
Robert Duncan (intime')
T-1509-89
Sa Majesté la Reine (requérante)
c.
Stephen Petroff (intimé)
/RÉPERTORIA' CANADA C. DUNCAN (Ire INST.)
Section de première instance, juge en chef adjoint
Jerome—Toronto, 15 janvier, 19 janvier et 2 avril
1990; Ottawa, ler novembre 1991.
Impôt sur le revenu — Recouvrement — «Ordonnance de
recouvrement de protection» — Demande faite en application
de l'art. 225.2(8) de la Loi de l'impôt sur le revenu en vue
d'obtenir la révision d'une ordonnance ex parte autorisant le
ministre à prendre immédiatement des mesures de recouvre-
ment — Les intimés ont été inculpés de trafic de drogues aux
États-Unis — Ils ont chacun fourni un cautionnement de
750 000 $ et ont donné leur consentement à un jugement pres-
crivant le versement au gouvernement américain d'une somme
dépassant un million de dollars qui avait été saisie au moment
de leur arrestation — Le ministre a fait enregistrer des avis sur
leurs biens — Selon les intimés, l'ordonnance a été rendue en
dépit du fait que pratiquement rien n'établissait selon toute
vraisemblance que ces mesures étaient nécessaires pour empê-
cher l'évasion fiscale — Selon l'art. 225.2, le ministre doit
convaincre le juge qu'il existe des motifc raisonnables de
croire que l'octroi d'un délai pourrait compromettre le recou-
vrement de la dette fiscale — Le critère est de déterminer si le
recouvrement est compromis en raison du délai à la suite
duquel il sera vraisemblablement effectué — Le ministre a le
fardeau ultime de justifier la décision — Il n'est pas suffisant
de simplement soupçonner que le délai accordé compromettra
le recouvrement — L'intimé n'a pas prouvé que la norme de
divulgation n'avait pas été respectée — La nature de la cotisa-
tion peut raisonnablement faire craindre que le recouvrement
ne soit compromis — Existence de revenus considérables reliés
à la drogue — Selon la prépondérance des probabilités, le
délai accordé peut compromettre le recouvrement — La divul-
gation était suffisante.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Les intimés ont été inculpés de trafic de drogues
aux États-Unis — Le cautionnement a été fixé à 750 000 $ —
Les parties ont dû verser au gouvernement américain la
somme de un million de dollars qui était en leur possession au
moment de leur arrestation — Le M.R.N. a obtenu une ordon-
nance ex parte conformément à l'art. 225.2 de la Loi de l'im-
pôt sur le revenu l'autorisant à recouvrer immédiatement la
dette fiscale — Le M.R.N. a fait enregistrer des avis sur leurs
biens — Les intimés ont prétendu que l'ordonnance contreve-
nait à l'art. 7 de la Charte parce qu'ils pourraient être incar-
cérés s'ils n'étaient pas défendus convenablement en raison du
blocage de leurs biens, et parce que cette ingérence, autorisée
sur présentation d'une requête ex parte, violait les principes de
justice fondamentale — Comme les dispositions de la Loi
n'étaient pas attaquées et ne pouvaient l'être dans une requête
introductive d'instance, les arguments fondés sur la Charte ont
été rejetés.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures cri-
minelles et pénales — Le M.R.N. a obtenu une ordonnance ex
parte conformément à l'art. 225.2 de la Loi de l'impôt sur le
revenu l'autorisant à prendre immédiatement des mesures de
recouvrement à l'égard de dettes fiscales — Le M.R.N. a fait
enregistrer des avis sur des biens — Des mécanismes d'appli-
cation administratifs ayant pour effet de bloquer les biens d'un
contribuable ne sont pas une «saisie» — L'argument selon
lequel l'ordonnance contrevenait aux art. 8 et 12 de la Charte
ne pouvait réussir parce que les dispositions de la Loi n'étaient
pas attaquées et ne pouvaient l'être dans une requête.
Il s'agissait de demandes faites conformément au para-
graphe 225.2(8) de la Loi de l'impôt sur le revenu en vue d'ob-
tenir la révision d'une «ordonnance de recouvrement de pro
tection». Les intimés ont été inculpés d'infractions relatives au
trafic de drogues aux États-Unis. Ils ont chacun fourni un cau-
tionnement en espèces de 750 000 $ U.S. (après avoir hypo-
théqué les biens immobiliers qu'ils possédaient au Canada) et
ont été mis en liberté sous caution. Ils ont également signé un
jugement de consentement prescrivant le versement au gouver-
nement américain d'une somme de plus de un million de dol
lars qui était en leur possession au moment de leur arrestation.
Des avis de cotisation et de nouvelles cotisations leur ont
appris qu'ils avaient chacun une dette fiscale supérieure à un
demi million de dollars. Le ministre a obtenu une ordonnance
ex parte aux termes du paragraphe 225.2(2) de la Loi de l'im-
pôt sur le revenu l'autorisant à recouvrer sans délai la dette
fiscale. Cette disposition prévoit que le juge saisi autorise le
ministre à prendre immédiatement des mesures visées aux ali-
néas 225.1(1)a) à g) s'il est convaincu qu'il existe des motifs
raisonnables de croire que l'octroi d'un délai pour payer le
montant compromettrait le recouvrement de ce montant. Par
suite de l'ordonnance, le M.R.N. a fait faire des enregistre-
ments sur le titre de certains biens. Dans la requête qu'ils ont
présentée en vue d'obtenir l'annulation de l'ordonnance consti-
tutive de charge, les intimés ont prétendu que la divulgation
qui avait été faite était insuffisante. Ils ont en outre prétendu
que l'ordonnance contrevenait à l'article 7 de la Charte (priva-
tion du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne)
parce que le «blocage» de leurs biens pourrait les empêcher
d'assurer convenablement leur défense contre les accusations
de nature criminelle dont ils faisaient l'objet, ce qui pourrait
entraîner leur incarcération. Ils ont aussi soutenu que cette
ingérence, autorisée sur présentation d'une requête ex parte,
violait les principes de justice fondamentale. Ils ont prétendu
que l'ordonnance contrevenait à l'article 8 de la Charte en ce
qu'elle constituait une saisie abusive ne respectant pas les con-
ditions énoncées dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc.
vu qu'elle avait été rendue en dépit du fait que pratiquement
rien n'établissait selon toute vraisemblance que ces mesures
étaient nécessaires pour empêcher l'évasion fiscale. Le para-
graphe 225.2(2) même n'était pas attaqué. La requérante a sou-
tenu que si, selon la prépondérance des probabilités, la preuve
permet de conclure que l'octroi d'un délai compromettrait
selon toute vraisemblance le recouvrement, alors l'ordonnance
devrait être confirmée. Les questions en litige étaient de savoir
si l'ordonnance contrevenait à la Charte; s'il y avait des motifs
raisonnables de croire que le recouvrement d'une dette fiscale
serait compromis par l'octroi d'un délai pour payer ce montant;
et si le ministre a omis d'observer la norme élevée de divulga-
tion à la Cour qui régit les requêtes ex parte.
Jugement: les demandes devraient être rejetées.
Les arguments fondés sur la Charte ne pouvaient aboutir. La
constitutionnalité des dispositions pertinentes de la Loi de l'im-
pôt sur le revenu n'était pas attaquée et ne pouvait l'être dans
une requête introductive d'instance. La Cour suprême de l'On-
tario a conclu que l'article 225.2 ne prévoit rien au sujet d'une
saisie et la présente Cour a établi que d'autres mécanismes
d'application administratifs de la Loi de l'impôt sur le revenu
ne contreviennent pas à l'article 8 de la Charte. Enfin, la
Charte ne régit pas directement les droits réels de façon
expresse. Il était douteux qu'il s'agisse d'une «saisie». Les
biens des contribuables n'ont pas été transformés et il n'y a pas
eu de transfert de titre. Même si le dépôt d'un avis sur le titre
peut empêcher l'aliénation des biens, cela ne constitue pas une
«saisie». Les gestes posés par le ministre en conformité avec
les mécanismes d'application administratifs d'une loi de régle-
mentation qui «bloquent» effectivement les biens d'un contri-
buable ne constituent pas une «saisie» au sens où on l'entend
pour que ces gestes tombent sous le coup de l'arrêt Hunter et
autres c. Southam Inc.
Le critère à respecter relativement au paragraphe 225.2(1)
est de savoir si le recouvrement est compromis en raison du
délai à la suite duquel il sera vraisemblablement effectué. En
ce qui concerne la révision d'une ordonnance de recouvrement
de protection en application du paragraphe 225.2(8), le contri-
buable a le fardeau initial de prouver qu'il existe des motifs
raisonnables de douter qu'on a respecté le critère prévu au
paragraphe 225.2(2), et le ministre a le fardeau ultime de justi-
fier la décision. Il n'est pas suffisant de simplement soupçon-
ner que le délai accordé compromettra le recouvrement. Le
ministre peut invoquer les dispositions exceptionnelles prévues
au paragraphe 225.2(1) chaque fois que, suivant une prépondé-
rance de preuves, le délai accordé au contribuable par le para-
graphe 225.1(1) mettrait en péril sa créance. Le ministre peut
agir dans les cas où le contribuable risque de dilapider, liquider
ou autrement transférer son patrimoine pour échapper au fisc.
La disposition actuelle offre une meilleure garantie que la dis
position dans sa version antérieure parce qu'elle oblige le
ministre à obtenir l'autorisation préalable d'une cour avant de
prendre des mesures de «recouvrement de protection».
Les intimés doivent prouver que la norme de divulgation n'a
pas été respectée. La requérante qui présente une requête ex
parte doit, pour réussir, faire preuve d'une extrême bonne foi
et faire une divulgation franche et complète. La Cour doit veil-
ler à ce que tous les contribuables soient régis par la même
norme, quelle que soit leur fortune respective et que le contri-
buable ait ou non contrevenu à la loi. Toutefois, la nature de la
cotisation même peut raisonnablement faire craindre que le
recouvrement ne soit compromis. La preuve a confirmé qu'il y
avait des revenus considérables et qu'ils étaient reliés à la
drogue. Selon la prépondérance des probabilités, le délai
accordé peut compromettre le recouvrement de la dette des
contribuables. Vu l'existence d'autres faits confirmatifs, les
prétendues irrégularités dont était entachée la preuve présentée
par le ministre à l'audition de la requête ex parte ne semble-
raient pas justifier l'annulation de l'ordonnance. La divulgation
faite par le ministre était suffisante, surtout compte tenu du fait
que les contribuables n'ont été dépossédés de rien avant d'être
avisés des enregistrements faits par le ministre sur le titre de
certains biens.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 8, 12.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 158, 222, 223 (mod. par L.C. 1988, chap. 55, art.
168), 225.1 (édicté par S.C. 1985, chap. 45, art. 116;
mod. par S.C. 1986, chap. 24, art. 2; 1988, chap. 55,
art. 169), 225.2 (édicté par S.C. 1985, chap. 45, art.
116; mod. par L.C. 1988, chap. 55, art. 170).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Rothmans of Pall Mall Canada Limited c. Le ministre du
Revenu national (No 2), [1976] 2 C.F. 512; [1976] CTC
347 (C.A.); Turmel c. Conseil de la radiodiffusion et des
télécommunications canadiennes (1985), 16 C.R.R. 9
(C.F. Ire inst.); Berendt v. The Queen, juge Eberle,
C.S.O., non publiée; Danielson c. Canada (sous-procu-
reur général), [1987] 1 C.F. 335; [1986] 2 C.T.C. 380;
(1986), 86 DTC 6518; 7 F.T.R. 42 (]re inst.); Canada c.
Satellite Earth Station Technology Inc., [1989] 2 C.T.C.
291; (1989), 89 DTC 5506; 30 F.T.R. 94 (C.F. Ire inst.);
1853-9049 Québec Inc. c. La Reine, [1987] 1 C.T.C. 137
(Angl.); [1986] 2 C.T.C. 486 (Fr.); (1986), 87 DTC 5093
(Angl.); 87 DTC 5031 (Fr.); 9 F.T.R. 63 (C.F. Ire inst.);
D.M.N.R. v. Atchison V. and W. (1988), 89 DTC 5088
(C.S.C: B.); Laframboise c. R., [1986] 3 C.F. 521; [1986]
2 C.T.C. 274; (1986), 86 DTC 6396; 5 F.T.R. 161 Ore
inst.); Re McLeod et le ministre du Revenu national et
autres (1983), 146 D.L.R. (3d) 561; [1983] CTC 168; 83
DTC 5212 (C.F. 1 r inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145;
(1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6
W.W.R. 577; 33 Alta L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14
C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 4] C.R. (3d) 97; 9 C.R.R.
355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 24]; Baron c. Canada,
[1991] 1 C.F. 688; (1991), DTC 5055 (C.A.).
AVOCATS:
Peter A. Vita, c. r., Kevin R. Wilson et Diane
Winters pour la requérante.
Milton A. Davis et Alan D. Gold pour l'intimé
Duncan.
L. David Roebuck pour l'intimé Petroff.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
requérante.
Bresver, Grossman, Scheininger & Davis,
Toronto, Gold & Fuerst, Toronto, pour l'intimé
Duncan.
Roebuck & Garbig, Toronto, pour l'intimé
Petroff.
Ce qui suit est la version française des motifs de
l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: Les demandes
faites par les intimés par le dépôt d'un avis introduc-
tif de requête en vue d'obtenir la révision, conformé-
ment au paragraphe 225.2(8) de la Loi de l'impôt sur
le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63 (mod. par L.C.
1988, chap. 55, art. 170)], de l'ordonnance que j'ai
rendue le 18 juillet 1989 ont été entendues ensemble
à Toronto (Ontario) le 15 janvier 1990, le 19 janvier
1990 et le 2 avril 1990. Cette ordonnance, communé-
ment appelée [TRADUCTION] «ordonnance de recou-
vrement de protection», avait été rendue sur présenta-
tion d'une requête ex parte conformément au
paragraphe 225.2(2) [mod., idem] et elle autorisait le
ministre du Revenu national (le «ministre») à prendre
immédiatement des mesures de recouvrement visées
aux alinéas 225.1(1)a) à g) [mod., idem, art. 169] de
la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de la dette
fiscale des intimés. Le 21 août 1990 Toronto (Onta-
rio), j'ai rejeté les demandes des intimés pour les
motifs prononcés oralement à l'audience et j'ai
indiqué que les présents motifs écrits seraient déposés
ultérieurement.
HISTORIQUE:
Dans des avis de cotisation et de nouvelles cotisa-
tions datés du 15 juin 1989, une cotisation et une
nouvelle cotisation ont été établies à l'égard des
années d'imposition 1985, 1986 et 1987 de l'intimé
Duncan, et une nouvelle cotisation a été établie à
l'égard des années d'imposition 1984, 1985, 1986 et
1987 de l'intimé Petroff. Il en a résulté une dette fis-
cale de 511 621,41 $ pour l'intimé Duncan et une
dette fiscale de 583 512,27 $ pour l'intimé Petroff.
Le 11 février 1988, les intimés ont été appréhendés
aux États-Unis d'Amérique et ont été inculpés d'in-
fractions relatives au trafic de drogues. Ils ont par la
suite été mis en liberté sous caution après avoir
fourni chacun au tribunal américain un cautionne-
ment en espèces de 750 000 $ US. Le 3 octobre 1989,
les intimés ont reconnu leur culpabilité à l'égard
d'une accusation de complot en vue de distribuer un
stupéfiant, et des ententes ont été conclues entre le
procureur fédéral adjoint et les intimés, sous réserve
de l'approbation du tribunal, relativement à la peine
qui serait imposée, soit un emprisonnement de 121
mois. Les intimés ont signé des jugements de consen-
tement prescrivant le versement au gouvernement des
États-Unis de la somme de 1 021 010 $ qui était en
leur possession et qui avait été saisie par les autorités
américaines au moment de leur arrestation.
Par le dépôt d'un avis introductif de requête daté
du 17 juillet 1989, la requérante a présenté une
requête ex parte conformément au paragraphe
225.2(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu en juillet
1989 en vue d'obtenir une ordonnance autorisant le
ministre à procéder sans délai au recouvrement de la
dette fiscale des intimés. Après avoir entendu l'avo-
cat de la requérante et après lecture des affidavits de
Terry Hale, chef des recouvrements du bureau de dis
trict de Mississauga de Revenu Canada, assermentés
les 14 et 18 juillet 1989, j'ai autorisé le ministre à
prendre immédiatement des mesures visées aux ali-
néas 225.1(1)a) à g) de la Loi de l'impôt sur le revenu
dans une ordonnance datée du 18 juillet 1989. J'ai
également ordonné que l'ordonnance soit signifiée
aux intimés par l'envoi par courrier recommandé
d'une photocopie au plus tard le 21 juillet 1989.
Le 18 juillet 1989, des certificats attestant que les
intimés devaient des impôts ont été enregistrés à la
Cour fédérale du Canada conformément à l'article
223 [mod., idem, art. 168] de la Loi de l'impôt sur le
revenu. Par suite de l'ordonnance, le ministre a fait
faire des enregistrements sur le titre de certains biens
des intimés. Par le dépôt d'un avis de requête daté du
26 juillet 1989, la requérante a demandé que soit ren-
due une ordonnance portant qu'à moins qu'il n'y ait
des motifs suffisants pour ne pas le faire, les biens-
fonds de l'intimé Duncan décrits dans l'instrument n°
CT 847090 enregistré au Bureau d'enregistrement
immobilier de Toronto soient grevés du jugement
prononcé en faveur de la requérante au montant de
517 456,47 $ augmenté des intérêts comme on le pré-
cisait dans le certificat daté du 18 juillet 1989. Une
[TRADUCTION] «ordonnance constitutive de charge» a
été rendue le 27 juillet 1989.
Par le dépôt d'un avis de requête daté du 18 août
1989, les intimés demandent, conformément au para-
graphe 225.2(8) de la Loi, la révision de l'ordon-
nance du 18 juillet 1989 et, par le dépôt d'un avis de
requête supplémentaire daté du 24 août 1989, l'in-
timé Duncan demande notamment l'annulation de
l'ordonnance constitutive de charge aux fins d'expo-
ser les raisons du 27 juillet 1989 au motif que la
divulgation qui a été faite était insuffisante. Ils pré-
tendent en outre que l'article 225.2 de la Loi de
même que l'ordonnance et les instructions s'y rap-
portant constituent une saisie abusive qui contrevient
à l'article 8 de la Charte canadienne des droits et
libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. ll (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 44]] (la «Charte»), qu'ils privent les
intimés du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de
la personne garanti par l'article 7 de la Charte, et
qu'ils constituent un traitement ou une peine cruel et
inusité qui contrevient à l'article 12 de la Charte.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES:
Les dispositions législatives pertinentes sont les
articles 225.1 et 225.2' de la Loi de l'impôt sur le
revenu, modifiés par S.C. 1986, chap. 24, art. 2; L.C.
1988, chap. 55, art. 169 et 170:
1 L'article 225.2 a été ajouté par S.C. 1985, chap. 45, para-
graphe 116(1), et il était rédigé ainsi:
225.2 (1) Par dérogation à l'article 225.1, lorsqu'il est rai-
sonnable de croire que l'octroi à un contribuable d'un délai
pour payer le montant d'une cotisation établie à son égard
compromettrait le recouvrement de ce montant, et que le
(Suite à la page suivante)
225.1 (1) Lorsqu'un contribuable est redevable du montant
d'une cotisation établie en vertu de la présente loi (appelé
«montant impayé» au présent paragraphe), à l'exception d'un
montant payable en vertu de la partie VIII ou du paragraphe
227(9), le ministre, pour recouvrer le montant impayé, ne peut,
avant le 90e jour suivant la date de mise à la poste de l'avis de
cotisation,
a) entamer une poursuite devant un tribunal;
b) attester le montant impayé, conformément à l'article 223;
c) exiger qu'une personne fasse un paiement, conformément
au paragraphe 224(1);
d) exiger qu'une institution ou personne visée au paragraphe
224(1.1) fasse un paiement, conformément à ce paragraphe;
e) exiger la retenue du montant impayé par déduction ou
compensation, conformément à l'article 224.1;
fi exiger qu'une personne remette des deniers, conformé-
ment au paragraphe 224.3(1);
g) donner un avis, délivrer un certificat ou donner un ordre,
conformément au paragraphe 225(1).
225.2 (1) Au présent article, un juge s'entend d'un juge ou
d'un juge local d'une cour supérieure d'une province ou d'un
juge de la Cour fédérale du Canada.
(Suite de la page précédente)
ministre, par avis signifié à personne ou envoyé en recom-
mandé à la dernière adresse connue du contribuable, en a
avisé celui-ci et lui a ordonné de verser immédiatement tout
ou partie de ce montant, le ministre peut prendre immédiate-
ment des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) à
l'égard de tout ou partie de ce montant.
(2) Lorsque le ministre a ordonné au contribuable de verser
immédiatement un montant conformément au paragraphe
(1), le contribuable peut
a) après avis au sous-procureur général du Canada au
moins trois jours avant qu'il soit procédé à cette requête,
demander à un juge d'une cour supérieure compétente de
la province où le contribuable réside ou à un juge de la
Cour fédérale du Canada de rendre une ordonnance fixant
la date (tombant au moins 14 jours et au plus 28 jours
après la date de l'ordonnance) et le lieu où il statuera sur
la question de savoir si l'ordre était justifié en l'espèce.
b) signifier une copie de l'ordonnance au sous-procureur
général du Canada dans les 6 jours suivant la date où elle
a été rendue; et
c) après avoir ainsi signifié une copie de l'ordonnance,
demander, à la date et au lieu fixés, une ordonnance où il
soit statué sur la question.
(5) A l'audition d'une requête visée à l'alinéa(2)c), il
incombe au ministre de justifier l'ordre.
(2) Par dérogation à l'article 225.1, sur requête ex parte du
ministre, le juge saisi autorise le ministre à prendre immédiate-
ment des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) à l'égard
du montant d'une cotisation établie relativement à un contri-
buable, aux conditions qu'il estime indiquées dans les circons-
tances, s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables
de croire que l'octroi à ce contribuable d'un délai pour payer le
montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de
ce montant.
(4) Les déclarations contenues dans un affidavit produit dans
le cadre de la requête visée au présent article peuvent être fon-
dées sur une opinion si des motifs à l'appui de celle-ci y sont
indiqués.
(5) Le ministre signifie au contribuable intéressé l'autorisa-
tion visée au présent article dans les 72 heures suivant le
moment où elle est accordée, sauf si le juge ordonne qu'elle
soit signifiée dans un autre délai qui y est précisé. L'avis de
cotisation est signifié en même temps que l'autorisation s'il n'a
pas été envoyé au contribuable au plus tard à la date de la pré-
sentation de la requête.
(6) Pour l'application du paragraphe (5), l'autorisation est
signifiée au contribuable soit par voie de signification à per-
sonne, soit par tout autre mode prescrit par le juge, le cas
échéant.
(8) Dans le cas où le juge saisi accorde l'autorisation visée
au présent article à l'égard d'un contribuable, celui-ci peut,
après avis de six jours francs au sous-procureur général du
Canada, demander à un juge de la cour de réviser l'autorisa-
tion.
(9) La requête visée au paragraphe (8) doit être présentée:
a) dans les 30 jours suivant la date où l'autorisation a été
signifiée au contribuable en application du présent article;
b) dans le délai supplémentaire que le juge peut accorder s'il
est convaincu que le contribuable a présenté la requête dès
que matériellement possible.
(11) Dans le cas d'une requête visée au paragraphe (8), le
juge statue sur la question de façon sommaire et peut confir-
mer, annuler ou modifier l'autorisation et rendre toute autre
ordonnance qu'il juge indiquée.
(13) L'ordonnance rendue par un juge en application du
paragraphe (11) est sans appel.
QUESTIONS EN LITIGE:
Les questions en litige peuvent être résumées de la
façon suivante:
1. L'application et l'incidence de la Charte à l'égard
de l'ordonnance du 18 juillet 1989; et
2. Le critère établi par l'article 225.2 de la Loi de
l'impôt sur le revenu a-t-il été respecté? Existait-il
des motifs raisonnables de croire que le recouvrement
des montants des cotisations établies relativement
aux intimés serait compromis par l'octroi d'un délai
pour payer ces montants, et y a-t-il eu une divulga-
tion franche et complète à l'égard de la requête ex
parte?
ARGUMENTATION:
La Charte:
Les intimés prétendent que l'ordonnance rendue ex
parte le 18 juillet 1989 conformément au paragraphe
225.2(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu contre-
vient aux articles 7 et 8 de la Charte, mais ils concè-
dent que la disposition législative proprement dite
n'est pas attaquée en l'espèce. Ils soutiennent toute-
fois que les irrégularités dont l'article 225.2 est
entaché peuvent faire l'objet d'une interprétation
atténuée pour les fins du présent litige, et que l'or-
donnance devrait être évaluée au regard des disposi
tions législatives correctement interprétées en confor-
mité avec la Charte. Subsidiairement, les intimés
soutiennent que l'ordonnance constitue une saisie
abusive parce qu'elle ne respecte pas les conditions
strictes régissant une fouille, une perquisition et une
saisie raisonnables que la Cour suprême du Canada a
énoncées dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam
Inc., [1984] 2 R.C.S. 145. L'ordonnance autorisant la
prise de mesures de recouvrement immédiates consti-
tue une saisie abusive parce qu'elle a été rendue en
dépit du fait que pratiquement rien n'établissait selon
toute vraisemblance que ces mesures étaient néces-
saires pour empêcher les intimés d'éluder le paiement
des impôts fixés, de sorte qu'on a empiété sur le droit
qu'ils avaient de «ne pas être importuné(s)».
D'autre part, les intimés soutiennent qu'en l'es-
pèce, la dépossession de leurs biens par le ministre
porte atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécu-
rité de la personne garanti par l'article 7 de la Charte.
Le «blocage» ou la «saisie» des biens des intimés
alors qu'ils font l'objet de graves accusations de
nature criminelle et d'autres procédures judiciaires
pouvant entraîner leur incarcération s'ils sont défen-
dus incorrectement ou sans succès constitue une vio
lation du droit qui leur est garanti par l'article 7. En
outre, cette ingérence, autorisée sur présentation
d'une requête ex parte, viole les principes de justice
fondamentale.
La requérante soutient toutefois qu'une disposition
législative qui prévoit l'autorisation judiciaire préala-
ble d'une fouille ou d'une perquisition ne viole pas
nécessairement l'article 8 de la Charte. De plus, elle
soutient que la seule instance compétente pour statuer
sur la constitutionnalité d'une disposition législative
ou pour prononcer un jugement déclaratoire est celle
qui entend une action, et non une requête ou une pro-
cédure sommaire. Quoi qu'il en soit, la requérante
prétend que les arguments des intimés manquent la
cible compte tenu du fait que l'ordonnance rendue
aux termes de l'article 225.2 et les instructions s'y
rapportant ne constituent pas une «saisie» pour l'ap-
plication de l'article 8 de la Charte. Qui plus est, l'ar-
ticle 8 ne se rapporte pas à des droits réels, et la pro
tection conférée par l'article 7 ne s'étend pas à des
biens et à de purs droits économiques. Enfin, l'appli-
cation de l'article 225.2 n'entraîne pas l'imposition
d'une peine au sens où ce terme est employé à l'ar-
ticle 12 de la Charte.
Le critère établi par l'article 225.2 de la Loi de l'im-
pôt sur le revenu a-t-il été respecté?
En résumé, les éléments essentiels de l'argumenta-
tion des intimés sont les suivants. Ces derniers affir-
ment qu'ils ont obtenu ou renouvelé des prêts hypo-
thécaires à l'égard des biens immobiliers qu'ils
possèdent au Canada et que des biens ont été grevés
ou vendus uniquement dans le but d'amasser des
fonds pour payer leur cautionnement et leurs frais de
subsistance, et non dans un dessein malhonnête. Les
intimés ont expliqué qu'en Californie, ils ont dû
garantir au tribunal qu'ils ne paieraient pas leur cau-
tionnement avec de l'argent provenant du trafic de
drogues, et que c'est la raison pour laquelle ils ont
obtenu des fonds hypothécaires.
Les intimés affirment que même si les avis de nou-
velle cotisation étaient datés du 15 juin 1989, ils
n'ont pas été expédiés avant le 17 juillet 1989, et ils
soutiennent qu'on devait au moins avoir fait un effort
véritable pour les aviser des nouvelles cotisations
avant d'accorder l'autorisation contenue dans l'or-
donnance. Ils soutiennent par ailleurs que des faits
importants n'ont pas été divulgués et que des élé-
ments de preuve trompeurs ont été présentés lors de
l'audition de la requête ex parte. Selon eux, les affi
davits de M. Hale donnent à entendre qu'ils ont
vendu ou grevé leurs biens en dépit des conditions du
cautionnement. Ils affirment qu'il n'y avait aucune
preuve établissant qu'ils avaient aliéné ou tenté
d'aliéner des biens postérieurement aux dates des
avis, et que rien ne prouve qu'ils cherchaient à se
dérober à leurs obligations fiscales. Ils affirment plu-
tôt que les biens ont été utilisés comme ils le sont en
temps normal et ils prétendent que la requérante n'a
pas réussi à prouver que le recouvrement des mon-
tants des cotisations serait «compromis par l'octroi
d'un délai pour payer ces montants».
La requérante soutient que si, selon la prépondé-
rance des probabilités, la preuve permet de conclure
que l'octroi d'un délai compromettrait selon toute
vraisemblance le recouvrement, alors l'ordonnance
devrait être confirmée. S'appuyant sur la décision
rendue par le juge Joyal dans l'arrêt Laframboise c.
R., [1986] 3 C.F. 521 (lre inst.), la requérante soutient
que la nature de la cotisation même fait raisonnable-
ment craindre que l'ordonnance soit justifiée.
ANALYSE:
La Charte:
Après avoir examiné attentivement les nombreux
arguments des parties, j'arrive à la conclusion que la
Charte ne devrait pas faire partie du jugement dans le
présent litige pour les raisons qui suivent. D'abord,
les parties reconnaissent que les articles pertinents de
la Loi de l'impôt sur le revenu ne sont pas attaqués
dans la présente requête et qu'ils ne peuvent l'être
dans une procédure de cette nature. Dans l'arrêt Roth-
mans of Pall Mall Canada Limited c. Le ministre du
Revenu national (N° 2), [ 1976] 2 C.F. 512 (C.A.), à la
page 515, le juge Le Dain [alors juge de la Cour
d'appel] a statué au nom de la Cour que «(1)es Règles
ne permettent pas d'obtenir un jugement déclaratoire
par une requête introductive d'instance mais seule-
ment par une action». Plus récemment, dans l'arrêt
Turmel c. Conseil de la radiodiffusion et des télécom-
munications canadiennes (1985), 16 C.R.R. 9 (C.F.
lre inst.), le juge Dubé a expliqué cette condition (à la
p. 11):
Je comprends qu'il était et qu'il est encore absolument
nécessaire de faire vite ... mais une procédure aussi sommaire
ne peut permettre de décider de questions constitutionnelles.
La solution, pour le requérant, consiste à intenter une action
déclaratoire, ce qui rendrait possible un interrogatoire préalable
et des plaidoiries. La Cour, renseignée sur tous les faits perti-
nents et ayant entendu les arguments, serait alors en mesure de
décider si le principe de la répartition équitable, tel que l'inter-
prète la Cour, contrevient ou non à l'article 15 de la Charte.
Par ailleurs, je remarque que dans la décision non
publiée Berendt v. The Queen rendue par la Cour
suprême de l'Ontario, le juge Eberle a tenu des pro-
pos semblables:
[TRADUCTION] L'avis de requête attaque l'art. 225.2 de la Loi de
l'impôt sur le revenu. Selon moi, il manque la cible. Cet article
ne prévoit rien qui ressemble le moindrement à la saisie d'une
somme d'argent, ni même la mise en train de procédures de
recouvrement. Il se borne simplement à permettre au ministre
de décider de passer outre au délai de 90 jours établi par l'art.
225.1 à l'égard des procédures de recouvrement. Par suite de la
décision prise en application de l'art. 225.2, il devient simple-
ment loisible au ministre de prendre immédiatement des
mesures de recouvrement qui sont autorisées ailleurs dans la
Loi, s'il le désire.
Par conséquent, l'attaque dirigée contre l'art. 225.2 manque, à
mon avis, la cible et est vouée à l'échec parce qu'elle repose
sur une conception erronée du contenu de cet article. En dépit
de cette conclusion, il est évident que le requérant veut en réa-
lité attaquer les pouvoirs de recouvrement que les art. 222, 223
et 224 de la Loi accordent au ministre.
La constitutionnalité d'autres articles de la Loi de
l'impôt sur le revenu relatifs aux mécanismes admi-
nistratifs d'application a aussi été examinée par la
présente Cour. Dans l'arrêt Re McLeod et le ministre
du Revenu national et autres (1983), 146 D.L.R. (3d)
561 (C.F. lre inst.), le juge Dubé a établi que l'article
222 et les paragraphes 223(2) et 158(1) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63 2 , ne
contrevenaient pas à l'article 8 de la Charte. Dans
2 En gros, l'art. 222 prévoyait que tous les impôts impayés
sont des dettes recouvrables devant la Cour fédérale ou devant
tout autre tribunal compétent; l'art. 223(2) prévoyait qu'un cer-
tificat attestant cette dette qui est enregistré à la Cour fédérale a
la même force et le même effet qu'un jugement, et que toutes
les procédures peuvent être engagées à la faveur de ce certifi-
(Suite à la page suivante)
cette affaire, on ne prétendait pas que les procédures
de recouvrement n'avaient pas été prises en applica
tion des dispositions de la Loi. Toutefois, la partie
requérante voulait en réalité obtenir un jugement
déclarant que ces dispositions contrevenaient à l'ar-
ticle 8 de la Charte. Le juge Dubé a fait la remarque
suivante (à la page 564):
Le requérant n'a cité aucun arrêt à l'appui d'une demande
aussi catégorique. Son principal argument, tel que je le com-
prends, est que les actions ordinaires de sa société ne devraient
pas faire l'objet d'une saisie tant que son appel n'aura pas été
entendu parce que [TRADUCTION] «i1 m'est actuellement impos
sible de payer les cotisations établies». Cela ne constitue cer-
tainement pas une preuve que le droit du requérant d'être pro-
tégé contre des saisies abusives a été violé.
Comme je l'ai souligne à l'audience, la Loi de l'impôt sur le
revenu est un document strict. Le législateur a décidé que les
impôts devraient être payés dans les 30 jours de la cotisation,
que le contribuable interjette ou non appel. Le but évident
d'une telle prescription est d'empêcher que les contribuables se
pourvoient massivement en appel dans le seul but de retarder le
paiement de leurs impôts.
En dernier lieu, comme les avocats des intimés
l'ont admis, la Charte ne régit pas directement les
droits réels de façon expresse, et je doute fort que ce
qui est survenu en l'espèce constitue une «saisie». La
requête ne s'est pas soldée par une saisie au sens
véritable du terme. En effet, les biens des contri-
buables n'ont aucunement été transformés et il n'y a
pas eu de transfert de titre. Même si le dépôt d'un
avis sur le titre peut empêcher ou autrement restrein-
dre l'aliénation des biens, il est loin d'être certain que
cela constitue une saisie. Je ne pense pas que les ges-
tes posés par le ministre en conformité avec les
mécanismes d'application administratifs d'une loi de
réglementation qui «bloquent» effectivement les
biens d'un contribuable constituent une «saisie» au
sens où on l'entend pour que ces gestes tombent sous
le coup des critères établis par la Cour suprême du
Canada dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc.
La constitutionnalité des dispositions de la Loi de
l'impôt sur le revenu n'a manifestement pas été atta-
quée, et les arguments fondés sur la Charte des
intimés ne peuvent aboutir.
(Suite de la page précédente)
cat; et l'art. 158 prévoyait que le contribuable doit payer l'im-
pôt fixé dans les 30 jours qui suivent la cotisation, qu'une
opposition ou un appel relatif à la cotisation soit ou non en
instance.
Le critère établi par l'article 225.2 de la Loi de l'im-
pôt sur le revenu a-t-il été respecté?
Pour réviser l'autorisation accordée aux termes du
paragraphe 225.2(2), il est nécessaire d'établir s'il
existe des motifs raisonnables de croire que le recou-
vrement de tout ou partie du montant d'une cotisation
établie relativement à un contribuable serait compro-
mis par l'octroi d'un délai pour payer ce montant.
Dans l'arrêt Danielson c. Canada (sous-procureur
général), [1987] 1 C.F. 335 (ire inst.), à la page 337,
le juge McNair a énoncé le critère à respecter relati-
vement à l'ancien paragraphe 225.2(1):
... il ne s'agit pas de déterminer si le recouvrement lui-même
est compromis mais plutôt s'il est en fait compromis en raison
du délai à la suite duquel il sera vraisemblablement effectué.
Ce critère demeure valable en dépit des modifica
tions de 1985: Canada c. Satellite Earth Station
Technology Inc., [1989] 2 C.T.C. 291 (C.F. ife inst.).
Dans cet arrêt, le juge MacKay a examiné les facteurs
qu'une cour doit prendre en considération lorsqu'elle
révise une ordonnance de recouvrement de protection
en application du paragraphe 225.2(8) de la Loi.
Après avoir examiné la jurisprudence portant sur la
version antérieure de l'article 225.2, il a conclu (à la
page 296) que dans une requête fondée sur le para-
graphe 225.2(8), le ministre a le fardeau ultime de
justifier la décision malgré le fait que l'article 225.2
modifié ne comprend plus l'ancien paragraphe (5) qui
disposait expressément qu'«[à] l'audition d'une
requête visée à l'alinéa (2)c), il incombe au ministre
de justifier l'ordre». C'est toutefois le contribuable
qui a le fardeau initial de prouver qu'il existe des
motifs raisonnables de croire que ce critère n'a pas
été respecté [aux pages 296 et 297].
Dans une requête en révision d'une «ordonnance de protec
tion» initialement accordée en vertu du paragraphe 225.2(2), la
question en litige est celle de savoir si l'ordonnance doit main-
tenant être annulée ou modifiée. A cet égard, celui qui présente
une requête fondée sur le paragraphe 225.2(8) a la charge ini-
tiale de rassembler des preuves, soit sous forme d'affidavits ou
de contre-interrogatoire de déposants pour le compte de la
Couronne, soit sous ces deux formes, pour établir qu'il existe
des motifs raisonnables de douter que le critère exigé par le
paragraphe 225.2(2) ait été respecté. Ainsi donc, la charge
ultime que le paragraphe 225.2(2) fait reposer sur la Couronne
est maintenue lorsque l'ordonnance prononcée par le tribunal
est révisée en vertu du paragraphe 225.2(8).
Il arrive qu'on se demande si l'ordonnance aurait dû être
prononcée initialement, mais je m'attends à ce que cela ne soit
pas souvent le thème central, à moins qu'il semble que la
requête initiale ait été entachée d'un vice de forme grave.
La preuve doit être examinée par rapport au critère établi par le
paragraphe 225.2(2) lui-même et à la jurisprudence pertinente,
c'est-à-dire en se demandant si, selon la prépondérance des
probabilités, la preuve permet de conclure que l'octroi d'un
délai compromettrait selon toute vraisemblance le recouvre-
ment.
Il n'est pas suffisant de simplement soupçonner
que le délai accordé compromettra le recouvrement:
1853-9049 Québec Inc. c. La Reine, [1986] 2 C.T.C.
486 (C.F. ire inst.). Dans cet arrêt, le juge Rouleau [à
la page 492] a fourni des indications supplémentaires
au sujet du critère établi dans l'ancien article 225.2,
qui sont encore pertinentes à l'heure actuelle:
Je partage l'avis du juge McNair [dans Danielson] lorsque
celui-ci dit que le Ministre peut exiger le versement immédiat
de la cotisation dans le cas où un contribuable pourrait ne pas
être en mesure de la payer du seul fait de l'écoulement du délai
que lui accorde la loi. L'importance de la somme en jeu n'a
rien à voir, il s'agit plutôt pour le Ministre de savoir si les
actifs du contribuable peuvent entre temps être liquidés ou
faire l'objet d'une saisie de la part de d'autres créanciers et
ainsi lui échapper.
Cette latitude permet à mon avis au ministre d'invoquer les
dispositions exceptionnelles prévues au paragraphe 225.2(1)
chaque fois que, suivant une prépondérance de preuves, le
délai accordé au contribuable par le paragraphe 225.1(1) met-
trait en péril sa créance. Je dis bien suivant une prépondérance
de preuves et non au-delà de tout doute raisonnable.
Il n'est pas question pour le Ministre d'agir uniquement dans
les cas de fraude ou de situations qui s'y apparentent, mais plu-
tôt dans les cas où le contribuable risque de dilapider, liquider
ou autrement transférer son patrimoine pour échapper au bras
du fisc: bref pour parer à toute situation où les actifs d'un con-
tribuable pourraient, à cause de l'écoulement du délai, fondre
comme neige au soleil. [C'est moi qui souligne.]
La question en litige en l'espèce est donc de savoir
si la façon dont le ministre s'est prévalu de ces dispo
sitions plutôt exceptionnelles a porté atteinte aux
droits des intimés et, subsidiairement, si l'ordonnance
devrait être annulée à cause de l'inobservation par le
ministre de la norme élevée de divulgation à la cour
qui régit les requêtes ex parte.
Il y a eu des causes instruites par la présente Cour
dans lesquelles le droit de faire une saisie, le droit de
pénétrer dans des locaux et le droit de prendre un cer-
tain nombre de mesures draconiennes aux termes de
la Loi de l'impôt sur le revenu ont été déclarés inva-
lides. Ainsi, dans l'arrêt Baron c. Canada, [1991] 1
C.F. 688, la Cour d'appel fédérale a déclaré que l'uti-
lisation par Revenu Canada de mandats de perquisi-
tion obtenus conformément à l'article 231.3 de la Loi
de l'impôt sur le revenu viole le droit à la protection
contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abu-
sives. La Cour (aux pages 694 et 695) a conclu que
l'emploi de l'indicatif présent (le mot «shall» dans le
texte anglais) privait l'officier de justice autorisé à
décerner un mandat de perquisition de tout pouvoir
discrétionnaire et que la disposition contrevenait,
pour ce seul motif, aux articles 7 et 8 de la Charte. Il
est important de mentionner pour les fins du présent
appel que la Cour a conclu [à la page 694] que l'ar-
ticle 231.3, la différence de l'article 225.2, visait la
détection du crime et la poursuite des coupables et,
par conséquent, que «rien de moins que la pleine pro
tection offerte par la Charte serait convenable». En
outre, dans l'arrêt Baron et dans d'autres arrêts sem-
blables, la constitutionnalité d'une disposition légis-
lative particulière était en litige.
Par ailleurs, je ne peux pas faire abstraction du fait
que la disposition telle qu'elle a été modifiée offre
une meilleure garantie que la disposition dans sa ver
sion antérieure. Dans la Loi de l'impôt sur le revenu
modifiée, les articles 222 228 prévoient une foule
de procédures pour le recouvrement des impôts, inté-
rêts, pénalités et autres montants dus à Sa Majesté
aux termes de la Loi. En 1985, la Loi a été modifiée
et l'article 225.1 a été ajouté pour suspendre le recou-
vrement des montants dus pendant le délai accordé à
un contribuable pour déposer un avis d'opposition à
l'égard du montant de la cotisation ou de la nouvelle
cotisation établie. Toutefois, dans des circonstances
exceptionnelles où [TRADUCTION] «il était raisonnable
de croire que l'octroi d'un délai pour payer le mon-
tant d'une cotisation compromettrait le recouvrement
de ce montant», le ministre pouvait prendre des
mesures de recouvrement aux termes de l'ancien arti
cle 225.2. En 1988, ces dispositions ont une fois de
plus été révisées, et l'article 225.2 a été modifié pour
obliger le ministre à obtenir l'autorisation préalable
d'une cour avant de prendre des mesures de [TRADUC-
TION] «recouvrement de protection». Contrairement
aux dispositions antérieures, les dispositions actuelles
obligent le ministre à comparaître en cour pour se
prévaloir de ces mesures de recouvrement spéciales
s'il désire le faire avant l'expiration du délai accordé
pour déposer un avis d'opposition.
Pour avoir gain de cause, les intimés doivent donc
prouver que le ministre n'a pas respecté la norme de
divulgation. A l'évidence, la partie requérante qui
présente une requête ex parte doit, pour réussir, faire
preuve d'une extrême bonne foi et faire une divulga-
tion franche et complète. Dans l'arrêt D.M.N.R. v.
Atchison, V. and W. (1988), 89 DTC 5088 (C.S.C.-
B.), le juge Sheppard a accueilli la requête du contri-
buable en vue d'obtenir l'annulation d'une ordon-
nance de recouvrement de protection parce que le
ministre n'avait pas fait une divulgation complète à
l'égard des faits allégués dans sa requête ex parte.
La cour doit toujours prendre soin de veiller à ce
que tous les contribuables soient régis par la même
norme, quelle que soit leur fortune respective et que
le contribuable ait ou non des démêlés avec la justice.
Toutefois, comme le juge Joyal l'a fait remarquer
dans l'arrêt Laframboise c. R„ [1986] 3 C.F. 521 (1 re
inst.), la nature de la cotisation même peut raisonna-
blement faire craindre que le recouvrement ne soit
compromis.
Dans la présente espèce, la crainte du ministre
avait trait au fait qu'il y avait des revenus considé-
rables et qu'ils étaient reliés à la drogue. Il s'avère
que cette crainte a été entièrement confirmée par les
contre-interrogatoires, par la contre-preuve et par des
événements survenus par la suite. Selon la prépondé-
rance des probabilités, le délai accordé peut compro-
mettre le recouvrement de la dette fiscale des contri-
buables.
En dernier lieu, vu l'existence d'autres faits confir-
matifs, les prétendues irrégularités dont était entachée
la preuve présentée par le ministre à l'audition de la
requête ex parte ne sembleraient pas justifier l'annu-
lation de l'ordonnance. Dans l'arrêt Laframboise, le
juge Joyal a examiné la prétention du contribuable
selon laquelle l'affidavit présenté pour le compte du
ministre était entaché d'irrégularités graves et la pré-
tention selon laquelle lorsqu'il s'agit d'un affidavit,
la preuve doit être interprétée strictement. Il a fait la
remarque suivante [à la page 528]:
L'argument des avocats du contribuable pourrait être défen-
dable si les éléments de preuve dont je dispose se limitaient à
ce seul affidavit. Mais, comme les procureurs de la Couronne
me l'ont rappelé, j'ai le droit de prendre connaissance de tous
les éléments que renferment les autres affidavits. Ceux-ci pour-
raient aussi faire l'objet d'une savante analyse quant aux moti
vations profondes du déposant, mais je trouve que, dans l'en-
semble, les éléments essentiels que renferment ces affidavits
ainsi que la preuve qu'ils apportent satisfont aux critères éta-
blis et sont suffisamment étayés pour justifier les mesures pri
ses par le ministre.
Par conséquent, j'arrive à la conclusion que la
divulgation faite par le ministre était suffisante, sur-
tout compte tenu du fait que les contribuables n'ont
été dépossédés de rien avant d'être avisés des enre-
gistrements faits par le ministre sur le titre de certains
biens.
CONCLUSION:
Les requêtes des intimés sont rejetées pour les
motifs qui précèdent. Il n'y aura pas d'adjudication
de dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.