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T-1508-89
Sa Majesté la Reine (requérante) c.
Robert Duncan (intime')
T-1509-89
Sa Majesté la Reine (requérante)
c.
Stephen Petroff (intimé)
/RÉPERTORIA' CANADA C. DUNCAN (Ire INST.)
Section de première instance, juge en chef adjoint Jerome—Toronto, 15 janvier, 19 janvier et 2 avril 1990; Ottawa, ler novembre 1991.
Impôt sur le revenu Recouvrement «Ordonnance de recouvrement de protection» Demande faite en application de l'art. 225.2(8) de la Loi de l'impôt sur le revenu en vue d'obtenir la révision d'une ordonnance ex parte autorisant le ministre à prendre immédiatement des mesures de recouvre- ment Les intimés ont été inculpés de trafic de drogues aux États-Unis Ils ont chacun fourni un cautionnement de 750 000 $ et ont donné leur consentement à un jugement pres- crivant le versement au gouvernement américain d'une somme dépassant un million de dollars qui avait été saisie au moment de leur arrestation Le ministre a fait enregistrer des avis sur leurs biens Selon les intimés, l'ordonnance a été rendue en dépit du fait que pratiquement rien n'établissait selon toute vraisemblance que ces mesures étaient nécessaires pour empê- cher l'évasion fiscale Selon l'art. 225.2, le ministre doit convaincre le juge qu'il existe des motifc raisonnables de croire que l'octroi d'un délai pourrait compromettre le recou- vrement de la dette fiscale Le critère est de déterminer si le recouvrement est compromis en raison du délai à la suite duquel il sera vraisemblablement effectué Le ministre a le fardeau ultime de justifier la décision Il n'est pas suffisant de simplement soupçonner que le délai accordé compromettra le recouvrement L'intimé n'a pas prouvé que la norme de divulgation n'avait pas été respectée La nature de la cotisa- tion peut raisonnablement faire craindre que le recouvrement ne soit compromis Existence de revenus considérables reliés à la drogue Selon la prépondérance des probabilités, le délai accordé peut compromettre le recouvrement La divul- gation était suffisante.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Les intimés ont été inculpés de trafic de drogues aux États-Unis Le cautionnement a été fixé à 750 000 $ Les parties ont verser au gouvernement américain la somme de un million de dollars qui était en leur possession au moment de leur arrestation Le M.R.N. a obtenu une ordon- nance ex parte conformément à l'art. 225.2 de la Loi de l'im-
pôt sur le revenu l'autorisant à recouvrer immédiatement la dette fiscale Le M.R.N. a fait enregistrer des avis sur leurs biens Les intimés ont prétendu que l'ordonnance contreve- nait à l'art. 7 de la Charte parce qu'ils pourraient être incar- cérés s'ils n'étaient pas défendus convenablement en raison du blocage de leurs biens, et parce que cette ingérence, autorisée sur présentation d'une requête ex parte, violait les principes de justice fondamentale Comme les dispositions de la Loi n'étaient pas attaquées et ne pouvaient l'être dans une requête introductive d'instance, les arguments fondés sur la Charte ont été rejetés.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures cri- minelles et pénales Le M.R.N. a obtenu une ordonnance ex parte conformément à l'art. 225.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu l'autorisant à prendre immédiatement des mesures de recouvrement à l'égard de dettes fiscales Le M.R.N. a fait enregistrer des avis sur des biens Des mécanismes d'appli- cation administratifs ayant pour effet de bloquer les biens d'un contribuable ne sont pas une «saisie» L'argument selon lequel l'ordonnance contrevenait aux art. 8 et 12 de la Charte ne pouvait réussir parce que les dispositions de la Loi n'étaient pas attaquées et ne pouvaient l'être dans une requête.
Il s'agissait de demandes faites conformément au para- graphe 225.2(8) de la Loi de l'impôt sur le revenu en vue d'ob- tenir la révision d'une «ordonnance de recouvrement de pro tection». Les intimés ont été inculpés d'infractions relatives au trafic de drogues aux États-Unis. Ils ont chacun fourni un cau- tionnement en espèces de 750 000 $ U.S. (après avoir hypo- théqué les biens immobiliers qu'ils possédaient au Canada) et ont été mis en liberté sous caution. Ils ont également signé un jugement de consentement prescrivant le versement au gouver- nement américain d'une somme de plus de un million de dol lars qui était en leur possession au moment de leur arrestation. Des avis de cotisation et de nouvelles cotisations leur ont appris qu'ils avaient chacun une dette fiscale supérieure à un demi million de dollars. Le ministre a obtenu une ordonnance ex parte aux termes du paragraphe 225.2(2) de la Loi de l'im- pôt sur le revenu l'autorisant à recouvrer sans délai la dette fiscale. Cette disposition prévoit que le juge saisi autorise le ministre à prendre immédiatement des mesures visées aux ali- néas 225.1(1)a) à g) s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que l'octroi d'un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de ce montant. Par suite de l'ordonnance, le M.R.N. a fait faire des enregistre- ments sur le titre de certains biens. Dans la requête qu'ils ont présentée en vue d'obtenir l'annulation de l'ordonnance consti- tutive de charge, les intimés ont prétendu que la divulgation qui avait été faite était insuffisante. Ils ont en outre prétendu que l'ordonnance contrevenait à l'article 7 de la Charte (priva- tion du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne) parce que le «blocage» de leurs biens pourrait les empêcher d'assurer convenablement leur défense contre les accusations de nature criminelle dont ils faisaient l'objet, ce qui pourrait entraîner leur incarcération. Ils ont aussi soutenu que cette ingérence, autorisée sur présentation d'une requête ex parte, violait les principes de justice fondamentale. Ils ont prétendu que l'ordonnance contrevenait à l'article 8 de la Charte en ce qu'elle constituait une saisie abusive ne respectant pas les con-
ditions énoncées dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc. vu qu'elle avait été rendue en dépit du fait que pratiquement rien n'établissait selon toute vraisemblance que ces mesures étaient nécessaires pour empêcher l'évasion fiscale. Le para- graphe 225.2(2) même n'était pas attaqué. La requérante a sou- tenu que si, selon la prépondérance des probabilités, la preuve permet de conclure que l'octroi d'un délai compromettrait selon toute vraisemblance le recouvrement, alors l'ordonnance devrait être confirmée. Les questions en litige étaient de savoir si l'ordonnance contrevenait à la Charte; s'il y avait des motifs raisonnables de croire que le recouvrement d'une dette fiscale serait compromis par l'octroi d'un délai pour payer ce montant; et si le ministre a omis d'observer la norme élevée de divulga- tion à la Cour qui régit les requêtes ex parte.
Jugement: les demandes devraient être rejetées.
Les arguments fondés sur la Charte ne pouvaient aboutir. La constitutionnalité des dispositions pertinentes de la Loi de l'im- pôt sur le revenu n'était pas attaquée et ne pouvait l'être dans une requête introductive d'instance. La Cour suprême de l'On- tario a conclu que l'article 225.2 ne prévoit rien au sujet d'une saisie et la présente Cour a établi que d'autres mécanismes d'application administratifs de la Loi de l'impôt sur le revenu ne contreviennent pas à l'article 8 de la Charte. Enfin, la Charte ne régit pas directement les droits réels de façon expresse. Il était douteux qu'il s'agisse d'une «saisie». Les biens des contribuables n'ont pas été transformés et il n'y a pas eu de transfert de titre. Même si le dépôt d'un avis sur le titre peut empêcher l'aliénation des biens, cela ne constitue pas une «saisie». Les gestes posés par le ministre en conformité avec les mécanismes d'application administratifs d'une loi de régle- mentation qui «bloquent» effectivement les biens d'un contri- buable ne constituent pas une «saisie» au sens on l'entend pour que ces gestes tombent sous le coup de l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc.
Le critère à respecter relativement au paragraphe 225.2(1) est de savoir si le recouvrement est compromis en raison du délai à la suite duquel il sera vraisemblablement effectué. En ce qui concerne la révision d'une ordonnance de recouvrement de protection en application du paragraphe 225.2(8), le contri- buable a le fardeau initial de prouver qu'il existe des motifs raisonnables de douter qu'on a respecté le critère prévu au paragraphe 225.2(2), et le ministre a le fardeau ultime de justi- fier la décision. Il n'est pas suffisant de simplement soupçon- ner que le délai accordé compromettra le recouvrement. Le ministre peut invoquer les dispositions exceptionnelles prévues au paragraphe 225.2(1) chaque fois que, suivant une prépondé- rance de preuves, le délai accordé au contribuable par le para- graphe 225.1(1) mettrait en péril sa créance. Le ministre peut agir dans les cas le contribuable risque de dilapider, liquider ou autrement transférer son patrimoine pour échapper au fisc. La disposition actuelle offre une meilleure garantie que la dis position dans sa version antérieure parce qu'elle oblige le ministre à obtenir l'autorisation préalable d'une cour avant de prendre des mesures de «recouvrement de protection».
Les intimés doivent prouver que la norme de divulgation n'a pas été respectée. La requérante qui présente une requête ex parte doit, pour réussir, faire preuve d'une extrême bonne foi
et faire une divulgation franche et complète. La Cour doit veil- ler à ce que tous les contribuables soient régis par la même norme, quelle que soit leur fortune respective et que le contri- buable ait ou non contrevenu à la loi. Toutefois, la nature de la cotisation même peut raisonnablement faire craindre que le recouvrement ne soit compromis. La preuve a confirmé qu'il y avait des revenus considérables et qu'ils étaient reliés à la drogue. Selon la prépondérance des probabilités, le délai accordé peut compromettre le recouvrement de la dette des contribuables. Vu l'existence d'autres faits confirmatifs, les prétendues irrégularités dont était entachée la preuve présentée par le ministre à l'audition de la requête ex parte ne semble- raient pas justifier l'annulation de l'ordonnance. La divulgation faite par le ministre était suffisante, surtout compte tenu du fait que les contribuables n'ont été dépossédés de rien avant d'être avisés des enregistrements faits par le ministre sur le titre de certains biens.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 8, 12.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 158, 222, 223 (mod. par L.C. 1988, chap. 55, art. 168), 225.1 (édicté par S.C. 1985, chap. 45, art. 116; mod. par S.C. 1986, chap. 24, art. 2; 1988, chap. 55, art. 169), 225.2 (édicté par S.C. 1985, chap. 45, art. 116; mod. par L.C. 1988, chap. 55, art. 170).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Rothmans of Pall Mall Canada Limited c. Le ministre du Revenu national (No 2), [1976] 2 C.F. 512; [1976] CTC 347 (C.A.); Turmel c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (1985), 16 C.R.R. 9 (C.F. Ire inst.); Berendt v. The Queen, juge Eberle, C.S.O., non publiée; Danielson c. Canada (sous-procu- reur général), [1987] 1 C.F. 335; [1986] 2 C.T.C. 380; (1986), 86 DTC 6518; 7 F.T.R. 42 (]re inst.); Canada c. Satellite Earth Station Technology Inc., [1989] 2 C.T.C. 291; (1989), 89 DTC 5506; 30 F.T.R. 94 (C.F. Ire inst.); 1853-9049 Québec Inc. c. La Reine, [1987] 1 C.T.C. 137 (Angl.); [1986] 2 C.T.C. 486 (Fr.); (1986), 87 DTC 5093 (Angl.); 87 DTC 5031 (Fr.); 9 F.T.R. 63 (C.F. Ire inst.); D.M.N.R. v. Atchison V. and W. (1988), 89 DTC 5088 (C.S.C: B.); Laframboise c. R., [1986] 3 C.F. 521; [1986] 2 C.T.C. 274; (1986), 86 DTC 6396; 5 F.T.R. 161 Ore inst.); Re McLeod et le ministre du Revenu national et autres (1983), 146 D.L.R. (3d) 561; [1983] CTC 168; 83 DTC 5212 (C.F. 1 r inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14
C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 4] C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 24]; Baron c. Canada, [1991] 1 C.F. 688; (1991), DTC 5055 (C.A.).
AVOCATS:
Peter A. Vita, c. r., Kevin R. Wilson et Diane
Winters pour la requérante.
Milton A. Davis et Alan D. Gold pour l'intimé
Duncan.
L. David Roebuck pour l'intimé Petroff.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la requérante.
Bresver, Grossman, Scheininger & Davis, Toronto, Gold & Fuerst, Toronto, pour l'intimé Duncan.
Roebuck & Garbig, Toronto, pour l'intimé Petroff.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: Les demandes faites par les intimés par le dépôt d'un avis introduc- tif de requête en vue d'obtenir la révision, conformé- ment au paragraphe 225.2(8) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63 (mod. par L.C. 1988, chap. 55, art. 170)], de l'ordonnance que j'ai rendue le 18 juillet 1989 ont été entendues ensemble à Toronto (Ontario) le 15 janvier 1990, le 19 janvier 1990 et le 2 avril 1990. Cette ordonnance, communé- ment appelée [TRADUCTION] «ordonnance de recou- vrement de protection», avait été rendue sur présenta- tion d'une requête ex parte conformément au paragraphe 225.2(2) [mod., idem] et elle autorisait le ministre du Revenu national (le «ministre») à prendre immédiatement des mesures de recouvrement visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) [mod., idem, art. 169] de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de la dette fiscale des intimés. Le 21 août 1990 Toronto (Onta- rio), j'ai rejeté les demandes des intimés pour les motifs prononcés oralement à l'audience et j'ai indiqué que les présents motifs écrits seraient déposés ultérieurement.
HISTORIQUE:
Dans des avis de cotisation et de nouvelles cotisa- tions datés du 15 juin 1989, une cotisation et une
nouvelle cotisation ont été établies à l'égard des années d'imposition 1985, 1986 et 1987 de l'intimé Duncan, et une nouvelle cotisation a été établie à l'égard des années d'imposition 1984, 1985, 1986 et 1987 de l'intimé Petroff. Il en a résulté une dette fis- cale de 511 621,41 $ pour l'intimé Duncan et une dette fiscale de 583 512,27 $ pour l'intimé Petroff.
Le 11 février 1988, les intimés ont été appréhendés aux États-Unis d'Amérique et ont été inculpés d'in- fractions relatives au trafic de drogues. Ils ont par la suite été mis en liberté sous caution après avoir fourni chacun au tribunal américain un cautionne- ment en espèces de 750 000 $ US. Le 3 octobre 1989, les intimés ont reconnu leur culpabilité à l'égard d'une accusation de complot en vue de distribuer un stupéfiant, et des ententes ont été conclues entre le procureur fédéral adjoint et les intimés, sous réserve de l'approbation du tribunal, relativement à la peine qui serait imposée, soit un emprisonnement de 121 mois. Les intimés ont signé des jugements de consen- tement prescrivant le versement au gouvernement des États-Unis de la somme de 1 021 010 $ qui était en leur possession et qui avait été saisie par les autorités américaines au moment de leur arrestation.
Par le dépôt d'un avis introductif de requête daté du 17 juillet 1989, la requérante a présenté une requête ex parte conformément au paragraphe 225.2(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu en juillet 1989 en vue d'obtenir une ordonnance autorisant le ministre à procéder sans délai au recouvrement de la dette fiscale des intimés. Après avoir entendu l'avo- cat de la requérante et après lecture des affidavits de Terry Hale, chef des recouvrements du bureau de dis trict de Mississauga de Revenu Canada, assermentés les 14 et 18 juillet 1989, j'ai autorisé le ministre à prendre immédiatement des mesures visées aux ali- néas 225.1(1)a) à g) de la Loi de l'impôt sur le revenu dans une ordonnance datée du 18 juillet 1989. J'ai également ordonné que l'ordonnance soit signifiée aux intimés par l'envoi par courrier recommandé d'une photocopie au plus tard le 21 juillet 1989.
Le 18 juillet 1989, des certificats attestant que les intimés devaient des impôts ont été enregistrés à la Cour fédérale du Canada conformément à l'article 223 [mod., idem, art. 168] de la Loi de l'impôt sur le revenu. Par suite de l'ordonnance, le ministre a fait
faire des enregistrements sur le titre de certains biens des intimés. Par le dépôt d'un avis de requête daté du 26 juillet 1989, la requérante a demandé que soit ren- due une ordonnance portant qu'à moins qu'il n'y ait des motifs suffisants pour ne pas le faire, les biens- fonds de l'intimé Duncan décrits dans l'instrument CT 847090 enregistré au Bureau d'enregistrement immobilier de Toronto soient grevés du jugement prononcé en faveur de la requérante au montant de 517 456,47 $ augmenté des intérêts comme on le pré- cisait dans le certificat daté du 18 juillet 1989. Une [TRADUCTION] «ordonnance constitutive de charge» a été rendue le 27 juillet 1989.
Par le dépôt d'un avis de requête daté du 18 août 1989, les intimés demandent, conformément au para- graphe 225.2(8) de la Loi, la révision de l'ordon- nance du 18 juillet 1989 et, par le dépôt d'un avis de requête supplémentaire daté du 24 août 1989, l'in- timé Duncan demande notamment l'annulation de l'ordonnance constitutive de charge aux fins d'expo- ser les raisons du 27 juillet 1989 au motif que la divulgation qui a été faite était insuffisante. Ils pré- tendent en outre que l'article 225.2 de la Loi de même que l'ordonnance et les instructions s'y rap- portant constituent une saisie abusive qui contrevient à l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitu- tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. ll (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]] (la «Charte»), qu'ils privent les intimés du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garanti par l'article 7 de la Charte, et qu'ils constituent un traitement ou une peine cruel et inusité qui contrevient à l'article 12 de la Charte.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES:
Les dispositions législatives pertinentes sont les articles 225.1 et 225.2' de la Loi de l'impôt sur le revenu, modifiés par S.C. 1986, chap. 24, art. 2; L.C.
1988, chap. 55, art. 169 et 170:
1 L'article 225.2 a été ajouté par S.C. 1985, chap. 45, para- graphe 116(1), et il était rédigé ainsi:
225.2 (1) Par dérogation à l'article 225.1, lorsqu'il est rai- sonnable de croire que l'octroi à un contribuable d'un délai pour payer le montant d'une cotisation établie à son égard compromettrait le recouvrement de ce montant, et que le
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225.1 (1) Lorsqu'un contribuable est redevable du montant d'une cotisation établie en vertu de la présente loi (appelé «montant impayé» au présent paragraphe), à l'exception d'un montant payable en vertu de la partie VIII ou du paragraphe 227(9), le ministre, pour recouvrer le montant impayé, ne peut, avant le 90e jour suivant la date de mise à la poste de l'avis de cotisation,
a) entamer une poursuite devant un tribunal;
b) attester le montant impayé, conformément à l'article 223;
c) exiger qu'une personne fasse un paiement, conformément au paragraphe 224(1);
d) exiger qu'une institution ou personne visée au paragraphe 224(1.1) fasse un paiement, conformément à ce paragraphe;
e) exiger la retenue du montant impayé par déduction ou compensation, conformément à l'article 224.1;
fi exiger qu'une personne remette des deniers, conformé- ment au paragraphe 224.3(1);
g) donner un avis, délivrer un certificat ou donner un ordre, conformément au paragraphe 225(1).
225.2 (1) Au présent article, un juge s'entend d'un juge ou d'un juge local d'une cour supérieure d'une province ou d'un juge de la Cour fédérale du Canada.
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ministre, par avis signifié à personne ou envoyé en recom- mandé à la dernière adresse connue du contribuable, en a avisé celui-ci et lui a ordonné de verser immédiatement tout ou partie de ce montant, le ministre peut prendre immédiate- ment des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) à l'égard de tout ou partie de ce montant.
(2) Lorsque le ministre a ordonné au contribuable de verser immédiatement un montant conformément au paragraphe (1), le contribuable peut
a) après avis au sous-procureur général du Canada au moins trois jours avant qu'il soit procédé à cette requête, demander à un juge d'une cour supérieure compétente de la province le contribuable réside ou à un juge de la Cour fédérale du Canada de rendre une ordonnance fixant la date (tombant au moins 14 jours et au plus 28 jours après la date de l'ordonnance) et le lieu il statuera sur la question de savoir si l'ordre était justifié en l'espèce.
b) signifier une copie de l'ordonnance au sous-procureur général du Canada dans les 6 jours suivant la date elle a été rendue; et
c) après avoir ainsi signifié une copie de l'ordonnance, demander, à la date et au lieu fixés, une ordonnance il soit statué sur la question.
(5) A l'audition d'une requête visée à l'alinéa(2)c), il incombe au ministre de justifier l'ordre.
(2) Par dérogation à l'article 225.1, sur requête ex parte du ministre, le juge saisi autorise le ministre à prendre immédiate- ment des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) à l'égard du montant d'une cotisation établie relativement à un contri- buable, aux conditions qu'il estime indiquées dans les circons- tances, s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que l'octroi à ce contribuable d'un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant.
(4) Les déclarations contenues dans un affidavit produit dans le cadre de la requête visée au présent article peuvent être fon- dées sur une opinion si des motifs à l'appui de celle-ci y sont indiqués.
(5) Le ministre signifie au contribuable intéressé l'autorisa- tion visée au présent article dans les 72 heures suivant le moment elle est accordée, sauf si le juge ordonne qu'elle soit signifiée dans un autre délai qui y est précisé. L'avis de cotisation est signifié en même temps que l'autorisation s'il n'a pas été envoyé au contribuable au plus tard à la date de la pré- sentation de la requête.
(6) Pour l'application du paragraphe (5), l'autorisation est signifiée au contribuable soit par voie de signification à per- sonne, soit par tout autre mode prescrit par le juge, le cas échéant.
(8) Dans le cas le juge saisi accorde l'autorisation visée au présent article à l'égard d'un contribuable, celui-ci peut, après avis de six jours francs au sous-procureur général du Canada, demander à un juge de la cour de réviser l'autorisa- tion.
(9) La requête visée au paragraphe (8) doit être présentée:
a) dans les 30 jours suivant la date l'autorisation a été signifiée au contribuable en application du présent article;
b) dans le délai supplémentaire que le juge peut accorder s'il est convaincu que le contribuable a présenté la requête dès que matériellement possible.
(11) Dans le cas d'une requête visée au paragraphe (8), le juge statue sur la question de façon sommaire et peut confir- mer, annuler ou modifier l'autorisation et rendre toute autre ordonnance qu'il juge indiquée.
(13) L'ordonnance rendue par un juge en application du paragraphe (11) est sans appel.
QUESTIONS EN LITIGE:
Les questions en litige peuvent être résumées de la façon suivante:
1. L'application et l'incidence de la Charte à l'égard de l'ordonnance du 18 juillet 1989; et
2. Le critère établi par l'article 225.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu a-t-il été respecté? Existait-il des motifs raisonnables de croire que le recouvrement des montants des cotisations établies relativement aux intimés serait compromis par l'octroi d'un délai pour payer ces montants, et y a-t-il eu une divulga- tion franche et complète à l'égard de la requête ex parte?
ARGUMENTATION: La Charte:
Les intimés prétendent que l'ordonnance rendue ex parte le 18 juillet 1989 conformément au paragraphe 225.2(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu contre- vient aux articles 7 et 8 de la Charte, mais ils concè- dent que la disposition législative proprement dite n'est pas attaquée en l'espèce. Ils soutiennent toute- fois que les irrégularités dont l'article 225.2 est entaché peuvent faire l'objet d'une interprétation atténuée pour les fins du présent litige, et que l'or- donnance devrait être évaluée au regard des disposi tions législatives correctement interprétées en confor- mité avec la Charte. Subsidiairement, les intimés soutiennent que l'ordonnance constitue une saisie abusive parce qu'elle ne respecte pas les conditions strictes régissant une fouille, une perquisition et une saisie raisonnables que la Cour suprême du Canada a énoncées dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145. L'ordonnance autorisant la prise de mesures de recouvrement immédiates consti- tue une saisie abusive parce qu'elle a été rendue en dépit du fait que pratiquement rien n'établissait selon toute vraisemblance que ces mesures étaient néces- saires pour empêcher les intimés d'éluder le paiement des impôts fixés, de sorte qu'on a empiété sur le droit qu'ils avaient de «ne pas être importuné(s)».
D'autre part, les intimés soutiennent qu'en l'es- pèce, la dépossession de leurs biens par le ministre porte atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécu- rité de la personne garanti par l'article 7 de la Charte.
Le «blocage» ou la «saisie» des biens des intimés alors qu'ils font l'objet de graves accusations de nature criminelle et d'autres procédures judiciaires pouvant entraîner leur incarcération s'ils sont défen- dus incorrectement ou sans succès constitue une vio lation du droit qui leur est garanti par l'article 7. En outre, cette ingérence, autorisée sur présentation d'une requête ex parte, viole les principes de justice fondamentale.
La requérante soutient toutefois qu'une disposition législative qui prévoit l'autorisation judiciaire préala- ble d'une fouille ou d'une perquisition ne viole pas nécessairement l'article 8 de la Charte. De plus, elle soutient que la seule instance compétente pour statuer sur la constitutionnalité d'une disposition législative ou pour prononcer un jugement déclaratoire est celle qui entend une action, et non une requête ou une pro- cédure sommaire. Quoi qu'il en soit, la requérante prétend que les arguments des intimés manquent la cible compte tenu du fait que l'ordonnance rendue aux termes de l'article 225.2 et les instructions s'y rapportant ne constituent pas une «saisie» pour l'ap- plication de l'article 8 de la Charte. Qui plus est, l'ar- ticle 8 ne se rapporte pas à des droits réels, et la pro tection conférée par l'article 7 ne s'étend pas à des biens et à de purs droits économiques. Enfin, l'appli- cation de l'article 225.2 n'entraîne pas l'imposition d'une peine au sens ce terme est employé à l'ar- ticle 12 de la Charte.
Le critère établi par l'article 225.2 de la Loi de l'im- pôt sur le revenu a-t-il été respecté?
En résumé, les éléments essentiels de l'argumenta- tion des intimés sont les suivants. Ces derniers affir- ment qu'ils ont obtenu ou renouvelé des prêts hypo- thécaires à l'égard des biens immobiliers qu'ils possèdent au Canada et que des biens ont été grevés ou vendus uniquement dans le but d'amasser des fonds pour payer leur cautionnement et leurs frais de subsistance, et non dans un dessein malhonnête. Les intimés ont expliqué qu'en Californie, ils ont garantir au tribunal qu'ils ne paieraient pas leur cau- tionnement avec de l'argent provenant du trafic de drogues, et que c'est la raison pour laquelle ils ont obtenu des fonds hypothécaires.
Les intimés affirment que même si les avis de nou- velle cotisation étaient datés du 15 juin 1989, ils
n'ont pas été expédiés avant le 17 juillet 1989, et ils soutiennent qu'on devait au moins avoir fait un effort véritable pour les aviser des nouvelles cotisations avant d'accorder l'autorisation contenue dans l'or- donnance. Ils soutiennent par ailleurs que des faits importants n'ont pas été divulgués et que des élé- ments de preuve trompeurs ont été présentés lors de l'audition de la requête ex parte. Selon eux, les affi davits de M. Hale donnent à entendre qu'ils ont vendu ou grevé leurs biens en dépit des conditions du cautionnement. Ils affirment qu'il n'y avait aucune preuve établissant qu'ils avaient aliéné ou tenté d'aliéner des biens postérieurement aux dates des avis, et que rien ne prouve qu'ils cherchaient à se dérober à leurs obligations fiscales. Ils affirment plu- tôt que les biens ont été utilisés comme ils le sont en temps normal et ils prétendent que la requérante n'a pas réussi à prouver que le recouvrement des mon- tants des cotisations serait «compromis par l'octroi d'un délai pour payer ces montants».
La requérante soutient que si, selon la prépondé- rance des probabilités, la preuve permet de conclure que l'octroi d'un délai compromettrait selon toute vraisemblance le recouvrement, alors l'ordonnance devrait être confirmée. S'appuyant sur la décision rendue par le juge Joyal dans l'arrêt Laframboise c. R., [1986] 3 C.F. 521 (lre inst.), la requérante soutient que la nature de la cotisation même fait raisonnable- ment craindre que l'ordonnance soit justifiée.
ANALYSE: La Charte:
Après avoir examiné attentivement les nombreux arguments des parties, j'arrive à la conclusion que la Charte ne devrait pas faire partie du jugement dans le présent litige pour les raisons qui suivent. D'abord, les parties reconnaissent que les articles pertinents de la Loi de l'impôt sur le revenu ne sont pas attaqués dans la présente requête et qu'ils ne peuvent l'être dans une procédure de cette nature. Dans l'arrêt Roth- mans of Pall Mall Canada Limited c. Le ministre du Revenu national (N° 2), [ 1976] 2 C.F. 512 (C.A.), à la page 515, le juge Le Dain [alors juge de la Cour d'appel] a statué au nom de la Cour que «(1)es Règles ne permettent pas d'obtenir un jugement déclaratoire par une requête introductive d'instance mais seule-
ment par une action». Plus récemment, dans l'arrêt Turmel c. Conseil de la radiodiffusion et des télécom- munications canadiennes (1985), 16 C.R.R. 9 (C.F. lre inst.), le juge Dubé a expliqué cette condition la p. 11):
Je comprends qu'il était et qu'il est encore absolument nécessaire de faire vite ... mais une procédure aussi sommaire ne peut permettre de décider de questions constitutionnelles. La solution, pour le requérant, consiste à intenter une action déclaratoire, ce qui rendrait possible un interrogatoire préalable et des plaidoiries. La Cour, renseignée sur tous les faits perti- nents et ayant entendu les arguments, serait alors en mesure de décider si le principe de la répartition équitable, tel que l'inter- prète la Cour, contrevient ou non à l'article 15 de la Charte.
Par ailleurs, je remarque que dans la décision non publiée Berendt v. The Queen rendue par la Cour suprême de l'Ontario, le juge Eberle a tenu des pro- pos semblables:
[TRADUCTION] L'avis de requête attaque l'art. 225.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Selon moi, il manque la cible. Cet article ne prévoit rien qui ressemble le moindrement à la saisie d'une somme d'argent, ni même la mise en train de procédures de recouvrement. Il se borne simplement à permettre au ministre de décider de passer outre au délai de 90 jours établi par l'art. 225.1 à l'égard des procédures de recouvrement. Par suite de la décision prise en application de l'art. 225.2, il devient simple- ment loisible au ministre de prendre immédiatement des mesures de recouvrement qui sont autorisées ailleurs dans la Loi, s'il le désire.
Par conséquent, l'attaque dirigée contre l'art. 225.2 manque, à mon avis, la cible et est vouée à l'échec parce qu'elle repose sur une conception erronée du contenu de cet article. En dépit de cette conclusion, il est évident que le requérant veut en réa- lité attaquer les pouvoirs de recouvrement que les art. 222, 223 et 224 de la Loi accordent au ministre.
La constitutionnalité d'autres articles de la Loi de l'impôt sur le revenu relatifs aux mécanismes admi- nistratifs d'application a aussi été examinée par la présente Cour. Dans l'arrêt Re McLeod et le ministre du Revenu national et autres (1983), 146 D.L.R. (3d) 561 (C.F. lre inst.), le juge Dubé a établi que l'article 222 et les paragraphes 223(2) et 158(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63 2 , ne contrevenaient pas à l'article 8 de la Charte. Dans
2 En gros, l'art. 222 prévoyait que tous les impôts impayés sont des dettes recouvrables devant la Cour fédérale ou devant tout autre tribunal compétent; l'art. 223(2) prévoyait qu'un cer- tificat attestant cette dette qui est enregistré à la Cour fédérale a la même force et le même effet qu'un jugement, et que toutes les procédures peuvent être engagées à la faveur de ce certifi-
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cette affaire, on ne prétendait pas que les procédures de recouvrement n'avaient pas été prises en applica tion des dispositions de la Loi. Toutefois, la partie requérante voulait en réalité obtenir un jugement déclarant que ces dispositions contrevenaient à l'ar- ticle 8 de la Charte. Le juge Dubé a fait la remarque suivante la page 564):
Le requérant n'a cité aucun arrêt à l'appui d'une demande aussi catégorique. Son principal argument, tel que je le com- prends, est que les actions ordinaires de sa société ne devraient pas faire l'objet d'une saisie tant que son appel n'aura pas été entendu parce que [TRADUCTION] «i1 m'est actuellement impos sible de payer les cotisations établies». Cela ne constitue cer- tainement pas une preuve que le droit du requérant d'être pro- tégé contre des saisies abusives a été violé.
Comme je l'ai souligne à l'audience, la Loi de l'impôt sur le revenu est un document strict. Le législateur a décidé que les impôts devraient être payés dans les 30 jours de la cotisation, que le contribuable interjette ou non appel. Le but évident d'une telle prescription est d'empêcher que les contribuables se pourvoient massivement en appel dans le seul but de retarder le paiement de leurs impôts.
En dernier lieu, comme les avocats des intimés l'ont admis, la Charte ne régit pas directement les droits réels de façon expresse, et je doute fort que ce qui est survenu en l'espèce constitue une «saisie». La requête ne s'est pas soldée par une saisie au sens véritable du terme. En effet, les biens des contri- buables n'ont aucunement été transformés et il n'y a pas eu de transfert de titre. Même si le dépôt d'un avis sur le titre peut empêcher ou autrement restrein- dre l'aliénation des biens, il est loin d'être certain que cela constitue une saisie. Je ne pense pas que les ges- tes posés par le ministre en conformité avec les mécanismes d'application administratifs d'une loi de réglementation qui «bloquent» effectivement les biens d'un contribuable constituent une «saisie» au sens on l'entend pour que ces gestes tombent sous le coup des critères établis par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc.
La constitutionnalité des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu n'a manifestement pas été atta- quée, et les arguments fondés sur la Charte des intimés ne peuvent aboutir.
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cat; et l'art. 158 prévoyait que le contribuable doit payer l'im- pôt fixé dans les 30 jours qui suivent la cotisation, qu'une opposition ou un appel relatif à la cotisation soit ou non en instance.
Le critère établi par l'article 225.2 de la Loi de l'im- pôt sur le revenu a-t-il été respecté?
Pour réviser l'autorisation accordée aux termes du paragraphe 225.2(2), il est nécessaire d'établir s'il existe des motifs raisonnables de croire que le recou- vrement de tout ou partie du montant d'une cotisation établie relativement à un contribuable serait compro- mis par l'octroi d'un délai pour payer ce montant. Dans l'arrêt Danielson c. Canada (sous-procureur général), [1987] 1 C.F. 335 (ire inst.), à la page 337, le juge McNair a énoncé le critère à respecter relati- vement à l'ancien paragraphe 225.2(1):
... il ne s'agit pas de déterminer si le recouvrement lui-même est compromis mais plutôt s'il est en fait compromis en raison du délai à la suite duquel il sera vraisemblablement effectué.
Ce critère demeure valable en dépit des modifica tions de 1985: Canada c. Satellite Earth Station Technology Inc., [1989] 2 C.T.C. 291 (C.F. ife inst.). Dans cet arrêt, le juge MacKay a examiné les facteurs qu'une cour doit prendre en considération lorsqu'elle révise une ordonnance de recouvrement de protection en application du paragraphe 225.2(8) de la Loi. Après avoir examiné la jurisprudence portant sur la version antérieure de l'article 225.2, il a conclu la page 296) que dans une requête fondée sur le para- graphe 225.2(8), le ministre a le fardeau ultime de justifier la décision malgré le fait que l'article 225.2 modifié ne comprend plus l'ancien paragraphe (5) qui disposait expressément qu'«[à] l'audition d'une requête visée à l'alinéa (2)c), il incombe au ministre de justifier l'ordre». C'est toutefois le contribuable qui a le fardeau initial de prouver qu'il existe des motifs raisonnables de croire que ce critère n'a pas été respecté [aux pages 296 et 297].
Dans une requête en révision d'une «ordonnance de protec tion» initialement accordée en vertu du paragraphe 225.2(2), la question en litige est celle de savoir si l'ordonnance doit main- tenant être annulée ou modifiée. A cet égard, celui qui présente une requête fondée sur le paragraphe 225.2(8) a la charge ini- tiale de rassembler des preuves, soit sous forme d'affidavits ou de contre-interrogatoire de déposants pour le compte de la Couronne, soit sous ces deux formes, pour établir qu'il existe des motifs raisonnables de douter que le critère exigé par le paragraphe 225.2(2) ait été respecté. Ainsi donc, la charge ultime que le paragraphe 225.2(2) fait reposer sur la Couronne est maintenue lorsque l'ordonnance prononcée par le tribunal est révisée en vertu du paragraphe 225.2(8).
Il arrive qu'on se demande si l'ordonnance aurait être prononcée initialement, mais je m'attends à ce que cela ne soit
pas souvent le thème central, à moins qu'il semble que la requête initiale ait été entachée d'un vice de forme grave.
La preuve doit être examinée par rapport au critère établi par le paragraphe 225.2(2) lui-même et à la jurisprudence pertinente, c'est-à-dire en se demandant si, selon la prépondérance des probabilités, la preuve permet de conclure que l'octroi d'un délai compromettrait selon toute vraisemblance le recouvre- ment.
Il n'est pas suffisant de simplement soupçonner que le délai accordé compromettra le recouvrement: 1853-9049 Québec Inc. c. La Reine, [1986] 2 C.T.C. 486 (C.F. ire inst.). Dans cet arrêt, le juge Rouleau la page 492] a fourni des indications supplémentaires au sujet du critère établi dans l'ancien article 225.2, qui sont encore pertinentes à l'heure actuelle:
Je partage l'avis du juge McNair [dans Danielson] lorsque celui-ci dit que le Ministre peut exiger le versement immédiat de la cotisation dans le cas un contribuable pourrait ne pas être en mesure de la payer du seul fait de l'écoulement du délai que lui accorde la loi. L'importance de la somme en jeu n'a rien à voir, il s'agit plutôt pour le Ministre de savoir si les actifs du contribuable peuvent entre temps être liquidés ou faire l'objet d'une saisie de la part de d'autres créanciers et ainsi lui échapper.
Cette latitude permet à mon avis au ministre d'invoquer les dispositions exceptionnelles prévues au paragraphe 225.2(1) chaque fois que, suivant une prépondérance de preuves, le délai accordé au contribuable par le paragraphe 225.1(1) met- trait en péril sa créance. Je dis bien suivant une prépondérance de preuves et non au-delà de tout doute raisonnable.
Il n'est pas question pour le Ministre d'agir uniquement dans les cas de fraude ou de situations qui s'y apparentent, mais plu- tôt dans les cas le contribuable risque de dilapider, liquider ou autrement transférer son patrimoine pour échapper au bras du fisc: bref pour parer à toute situation les actifs d'un con- tribuable pourraient, à cause de l'écoulement du délai, fondre comme neige au soleil. [C'est moi qui souligne.]
La question en litige en l'espèce est donc de savoir si la façon dont le ministre s'est prévalu de ces dispo sitions plutôt exceptionnelles a porté atteinte aux droits des intimés et, subsidiairement, si l'ordonnance devrait être annulée à cause de l'inobservation par le ministre de la norme élevée de divulgation à la cour qui régit les requêtes ex parte.
Il y a eu des causes instruites par la présente Cour dans lesquelles le droit de faire une saisie, le droit de pénétrer dans des locaux et le droit de prendre un cer-
tain nombre de mesures draconiennes aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu ont été déclarés inva- lides. Ainsi, dans l'arrêt Baron c. Canada, [1991] 1 C.F. 688, la Cour d'appel fédérale a déclaré que l'uti- lisation par Revenu Canada de mandats de perquisi- tion obtenus conformément à l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu viole le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abu- sives. La Cour (aux pages 694 et 695) a conclu que l'emploi de l'indicatif présent (le mot «shall» dans le texte anglais) privait l'officier de justice autorisé à décerner un mandat de perquisition de tout pouvoir discrétionnaire et que la disposition contrevenait, pour ce seul motif, aux articles 7 et 8 de la Charte. Il est important de mentionner pour les fins du présent appel que la Cour a conclu la page 694] que l'ar- ticle 231.3, la différence de l'article 225.2, visait la détection du crime et la poursuite des coupables et, par conséquent, que «rien de moins que la pleine pro tection offerte par la Charte serait convenable». En outre, dans l'arrêt Baron et dans d'autres arrêts sem- blables, la constitutionnalité d'une disposition légis- lative particulière était en litige.
Par ailleurs, je ne peux pas faire abstraction du fait que la disposition telle qu'elle a été modifiée offre une meilleure garantie que la disposition dans sa ver sion antérieure. Dans la Loi de l'impôt sur le revenu modifiée, les articles 222 228 prévoient une foule de procédures pour le recouvrement des impôts, inté- rêts, pénalités et autres montants dus à Sa Majesté aux termes de la Loi. En 1985, la Loi a été modifiée et l'article 225.1 a été ajouté pour suspendre le recou- vrement des montants dus pendant le délai accordé à un contribuable pour déposer un avis d'opposition à l'égard du montant de la cotisation ou de la nouvelle cotisation établie. Toutefois, dans des circonstances exceptionnelles [TRADUCTION] «il était raisonnable de croire que l'octroi d'un délai pour payer le mon- tant d'une cotisation compromettrait le recouvrement de ce montant», le ministre pouvait prendre des mesures de recouvrement aux termes de l'ancien arti cle 225.2. En 1988, ces dispositions ont une fois de plus été révisées, et l'article 225.2 a été modifié pour obliger le ministre à obtenir l'autorisation préalable d'une cour avant de prendre des mesures de [TRADUC- TION] «recouvrement de protection». Contrairement aux dispositions antérieures, les dispositions actuelles obligent le ministre à comparaître en cour pour se
prévaloir de ces mesures de recouvrement spéciales s'il désire le faire avant l'expiration du délai accordé pour déposer un avis d'opposition.
Pour avoir gain de cause, les intimés doivent donc prouver que le ministre n'a pas respecté la norme de divulgation. A l'évidence, la partie requérante qui présente une requête ex parte doit, pour réussir, faire preuve d'une extrême bonne foi et faire une divulga- tion franche et complète. Dans l'arrêt D.M.N.R. v. Atchison, V. and W. (1988), 89 DTC 5088 (C.S.C.- B.), le juge Sheppard a accueilli la requête du contri- buable en vue d'obtenir l'annulation d'une ordon- nance de recouvrement de protection parce que le ministre n'avait pas fait une divulgation complète à l'égard des faits allégués dans sa requête ex parte.
La cour doit toujours prendre soin de veiller à ce que tous les contribuables soient régis par la même norme, quelle que soit leur fortune respective et que le contribuable ait ou non des démêlés avec la justice. Toutefois, comme le juge Joyal l'a fait remarquer dans l'arrêt Laframboise c. R„ [1986] 3 C.F. 521 (1 re inst.), la nature de la cotisation même peut raisonna- blement faire craindre que le recouvrement ne soit compromis.
Dans la présente espèce, la crainte du ministre avait trait au fait qu'il y avait des revenus considé- rables et qu'ils étaient reliés à la drogue. Il s'avère que cette crainte a été entièrement confirmée par les contre-interrogatoires, par la contre-preuve et par des événements survenus par la suite. Selon la prépondé- rance des probabilités, le délai accordé peut compro- mettre le recouvrement de la dette fiscale des contri- buables.
En dernier lieu, vu l'existence d'autres faits confir- matifs, les prétendues irrégularités dont était entachée la preuve présentée par le ministre à l'audition de la requête ex parte ne sembleraient pas justifier l'annu- lation de l'ordonnance. Dans l'arrêt Laframboise, le juge Joyal a examiné la prétention du contribuable selon laquelle l'affidavit présenté pour le compte du ministre était entaché d'irrégularités graves et la pré- tention selon laquelle lorsqu'il s'agit d'un affidavit, la preuve doit être interprétée strictement. Il a fait la remarque suivante la page 528]:
L'argument des avocats du contribuable pourrait être défen- dable si les éléments de preuve dont je dispose se limitaient à
ce seul affidavit. Mais, comme les procureurs de la Couronne me l'ont rappelé, j'ai le droit de prendre connaissance de tous les éléments que renferment les autres affidavits. Ceux-ci pour- raient aussi faire l'objet d'une savante analyse quant aux moti vations profondes du déposant, mais je trouve que, dans l'en- semble, les éléments essentiels que renferment ces affidavits ainsi que la preuve qu'ils apportent satisfont aux critères éta- blis et sont suffisamment étayés pour justifier les mesures pri ses par le ministre.
Par conséquent, j'arrive à la conclusion que la divulgation faite par le ministre était suffisante, sur- tout compte tenu du fait que les contribuables n'ont été dépossédés de rien avant d'être avisés des enre- gistrements faits par le ministre sur le titre de certains biens.
CONCLUSION:
Les requêtes des intimés sont rejetées pour les motifs qui précèdent. Il n'y aura pas d'adjudication de dépens.
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