T-3188-90
Les Travailleurs des pâtes, des papiers et du bois
du Canada, Section locale 8, Kenneth Jupe, en son
nom propre et au nom de tous les membres des
TPPBC, Section locale 8 (requérants)
c.
Ministre de l'Agriculture, Direction des pesticides
d'Agriculture Canada (intimé)
et
Buckman Laboratories of Canada Ltd.
(intervenante)
RÉPERTORIA' TRAVAILLEURS DES PATES, DES PAPIERS ET DU
BOIS DU CANADA, SECTION LOCALE 8 C. CANADA (MINISTRE
DE L'AGRICULTURE) (Ire INST.)
Section de première instance, juge Martin—Vancou-
ver, 30 mai; Ottawa, 4 novembre 1991.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari —
Recours en annulation de l'enregistrement d'un pesticide sous
le régime des art. 13 et 18 du Règlement sur les produits anti-
parasitaires — Le pesticide en cause n'est plus utilisé mais son
enregistrement a été prorogé — Il échet d'examiner si le syndi-
cat a qualité pour agir et si la demande n'a plus de valeur
pratique — Litige toujours actuel — L'art. 18 du Règlement
habilite le ministre à agir par l'intermédiaire des fonction-
naires du Ministère — Le fonctionnaire responsable n'a pas
examiné si les renseignements fournis au ministre étaient suffi-
sants pour permettre d'évaluer convenablement le pesticide et
si l'utilisation de ce dernier représentait un risque inaccepta-
ble pour la santé du public — Caractère déraisonnable des
conclusions de ce fonctionnaire basées sur de.r enregistrements
antérieurs et .sur le fait que l'ingrédient actif est resté le même
— Dans ces conditions, le ministre n'avait pas le pouvoir d'ac-
corder l'enregistrement du pesticide — Applicabilité de la doc
trine de l'attente légitime ou raisonnable.
Produits dangereux — Produit anti -tache utilisé dans l'in-
dustrie du bois — Recours en certiorari faisant suite aux
plaintes des membres du syndicat qui souffraient des effets
néfastes de l'utilisation du produit — La cause n'est pas deve-
nue théorique puisque si le produit n'est plus utilisé, son enre-
gistrement a été prorogé — Il existe toujours un litige actuel
entre les parties — La Loi sur les produits antiparasitaires a
pour objet de protéger la population de produits antiparasi-
taires qui pourraient être dangereux — Le ministre de l'Agri-
culture n'a pas le pouvoir d'enregistrer un produit qui n'a pas
été convenablement évalué par les fonctionnaires du Ministère.
Il y a en l'espèce recours en certiorari pour annuler l'enre-
gistrement du pesticide Busan 30WB sous le régime des
articles 13 et 18 du Règlement .sur les produits antiparasitaires.
Cette demande fait suite à un grand nombre de plaintes formu-
lées par le syndicat requérant dont les membres se plaignaient
des effets néfastes de l'utilisation de ce produit en 1988.
Fabriqué par l'intervenante Buckman Laboratories of Canada
Ltd., le Busan 30WB est un produit utilisé dans l'industrie du
bois pour prévenir les taches de sève qui provoquent, sous l'in-
fluence de champignons, des changements de coloration du
bois non séché en étuve. Bien que le produit ne fût plus utilisé
dès le 6 mai 1991, son enregistrement est toujours en vigueur
et a été en fait prorogé au 31 décembre 1995. À titre de ques
tions préliminaires, l'intimé a fait valoir deux fins de non-rece-
voir visant la qualité pour agir du syndicat et la valeur pratique
de la demande. De leur côté, les requérants soutiennent que le
ministre a excédé sa compétence en accordant l'enregistrement
du produit Busan 30WB.
Il échet d'examiner: I) si le syndicat a qualité pour agir; 2)
si la demande n'a aucune valeur pratique; 3) s'il y a eu déléga-
tion illégale du pouvoir de décision quasi judiciaire ou discré-
tionnaire d'accorder l'enregistrement du pesticide en cause; et
4) si le ministre a excédé sa compétence, par ces motifs qu'il
n'a pas examiné si les renseignements fournis étaient suffisants
pour permettre d'évaluer le produit ou si l'utilisation en com-
portait un risque inacceptable pour le public, qu'il a pris sa
décision en la matière avant de recevoir les renseignements
nécessaires pour tirer une conclusion raisonnable, et qu'il a
pris cette décision sans avoir consulté les autres autorités com-
pétentes fédérales et provinciales.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
I) Rejet de l'argument voulant que le syndicat requérant
n'ait la personnalité juridique que dans le cadre de la loi dite
Industrial Relations Act de la Colombie-Britannique et que
cette instance n'ayant pas été intentée sous le régime de cette
loi, le syndicat ne puisse être considéré comme une entité juri-
dique ayant qualité pour y participer. La question de la qualité
pour ester en justice des syndicats a été tranchée depuis
longtemps par la Cour suprême du Canada, qui a conclu en
leur faveur.
2) La doctrine du caractère théorique du litige et de ses con-
séquences a été récemment analysée par la Cour suprême du
Canada qui a jugé que la cause est considérée comme théo-
rique s'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les
droits des parties. Et qu'il ne reste plus de litige actuel si ce qui
sous-tend le litige a disparu. En l'espèce, le pesticide étant tou-
jours enregistré à la date de l'audience et l'enregistrement
ayant été prorogé au 31 décembre 1995, il y avait un litige
actuel qui pourrait modifier les droits des parties puisque le
produit peut être légitimement utilisé par l'employeur à tout
moment avant cette dernière date s'il le veut. Rejeter la
demande par ce motif que le litige est devenu théorique signi-
fierait que l'employeur pourrait un jour utiliser de nouveau ce
pesticide et ressusciter la controverse qui, aux dires de l'in-
timé, a cessé d'exister. Cette controverse ne porte pas sur l'uti-
lisation du pesticide, mais sur la question de savoir si son enre-
gistrement était justifié en premier lieu. Puisqu'il y a toujours
un litige actuel entre les parties, on ne peut pas dire que la
question est devenue théorique.
3) La distinction entre les fonctions du ministre et celles du
directeur dans le processus d'enregistrement prévu aux articles
13 et 18 du Règlement ne signifie pas nécessairement que le
premier doit examiner personnellement les questions sur les-
quelles il doit former une opinion. Il peut former cette opinion
comme le requiert l'article 18 par l'intermédiaire des fonction-
naires de son Ministère. Cela ne veut pas dire qu'il n'est pas
nécessaire de former une opinion sur le caractère suffisant des
renseignements fournis ou sur le risque pour la santé de la
population, mais seulement qu'il n'est pas nécessaire que le
ministre le fasse en personne. Étant donné que ni la loi ni le
règlement n'interdit expressément ou implicitement l'exercice
par le Ministère des pouvoirs dont est investi le ministre et que
ces pouvoirs sont de nature administrative, ils peuvent parfaite-
ment être exercés par ceux qui les ont exercés en l'espèce.
4) En accordant l'enregistrement du produit Busan 30WB, le
ministre a excédé sa compétence à trois égards. En premier
lieu, il a négligé la première étape du processus d'enregistre-
ment qui consiste à vérifier si les renseignements fournis sont
suffisants pour permettre d'évaluer le produit. Il n'appartenait
pas à l'intimé de conclure, par son collaborateur Clifford
Ralph, que, le composé chimique TCMTB étant l'ingrédient
actif de deux autres produits anti -tache, le Busan 1030 et le
Busan 30, qui avaient été déjà enregistrés, donc déjà évalués, il
ne servirait à rien de réévaluer le Busan 30WB, dans lequel le
seul changement notable était la substitution de l'eau au distil-
lat du pétrole utilisé dans les deux autres pesticides, et que ce
changement n'ajoutait pas au risque pour la santé. Ralph
n'avait pas le droit de se fonder sur les enregistrements anté-
rieurs pour conclure qu'il avait suffisamment de renseigne-
ments pour évaluer le Busan 30WB. Puisqu'il n'a pas instruit la
question de savoir si les renseignements fournis étaient suffi-
sants, condition nécessaire de l'exercice par le ministre de son
pouvoir discrétionnaire d'accorder ou de refuser l'enregistre-
ment du produit antiparasitaire, le ministre a excédé sa compé-
tence lorsqu'il a exercé ce pouvoir pour permettre l'enregistre-
ment du produit en cause.
Le ministre eût-il examiné la question qu'il convenait d'exa-
miner, il a quand même excédé sa compétence lorsqu'il a
exercé son pouvoir discrétionnaire pour permettre l'enregistre-
ment du Busan 30WB puisque la conclusion relative au carac-
tère suffisant des renseignements fournis était manifestement
erronée. Ralph savait ou devait savoir qu'une évaluation con-
venable du Busan 30WB en 1985 ou en 1988, année où eut lieu
l'enregistrement, exigeait un dossier complet de données. De
même, il savait ou devait savoir qu'au moment où le TCMTB
fut évalué en vue de l'enregistrement du Busan 30 ou du Busan
/030, cette évaluation se faisait sur la base de renseignements
fournis qui n'étaient pas suffisants pour permettre d'évaluer
convenablement ce même composé TCMTB en 1988. Il s'en-
suit que Ralph ne pouvait raisonnablement conclure que les
renseignements fournis en vue de l'évaluation du Busan 30WB
étaient suffisants, en 1988, pour permettre de l'évaluer conve-
nablement. La L.» sur les produits antiparasitaires a pour objet
de protéger la population de produits antiparasitaires qui pour-
raient être dangereux. Cet objet s'exprime encore par le Guide
d'homologation et par une brochure publiée en 1985 par Agri
culture Canada sous le titre Les pesticides en perspective.
Enfin, les requérants ont invoqué à juste titre la doctrine de
l'attente légitime ou raisonnable, évoquée par la Cour d'appel
fédérale dans Bendahmane c. Canada (Ministre de l'Emploi et
de l'immigration). L'engagement pris par Agriculture Canada
de faire participer Santé et Bien-être Canada aux décisions
pour garantir l'innocuité et l'efficacité d'un pesticide avant sa
mise en marché a créé chez les requérants l'attente légitime ou
raisonnable que cette procédure serait suivie. Une simple invi
tation faite à Santé et Bien-être Canada de donner son avis
n'équivaut pas à l'observation de cet engagement en matière de
procédure. En enregistrant le pesticide sans avoir pris cet avis
en considération, Agriculture Canada a frustré l'attente raison-
nable des requérants que Santé et Bien-être Canada participe-
rait à la prise de décision. Le ministre a donc excédé ses pou-
voirs ou sa compétence en enregistrant le Bu.san 30WB sans la
participation de ce dernier Ministère.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code criminel, L.R.C. (1985), chap. C-46.
Industrial Relations Act, R.S.B.C., 1979, chap. 212 (mod.
par S.B.C. 1987, chap. 24, art. I), art. 147.
Loi sur les produits antiparasitaires, L.R.C. (1985), chap.
P-9, art. 4, 5.
Règlement sur les produits antiparasitaires, C.R.C., chap.
1253, art. 9(2)a), 13(1) (mod. par DORS/88-109, art.
6(1)), (2),(3) (mod. idem, art. 6(2)), 18a) (mod. idem,
art. 8), b),c),d), 19.
JURISPRUDENCE
DECISIONS SUIVIES:
Borowski c. Canada (Procureur général), [ 1989] 1 R.C.S.
342; (1989), 57 D.L.R. (4th) 231; [1989] 3 W.W.R. 97; 75
Sask. R. 82; 47 C.C.C. (3d) I; 33 C.P.C. (2d) 105; 38
C.R.R. 232; 92 N.R. 110; The King ex rel. Tolfree v. Clark
et al., [1944] R.C.S. 69; [ 1944] I D.L.R. 495.
DECISIONS APPLIQUÉES:
International Brotherhood of Teamsters v. Therien, [1960]
R.C.S. 265; (1960), 22 D.L.R. (2d) I; 60 CLLC 15,273;
Ahmad c. La Commission de la Fonction publique, [ 1974]
2 C.F. 644; (1974), 51 D.L.R. (3d) 470; 6 N.R. 287
(C.A.); Monsanto Canada Inc. c. Ministre de l'Agricul-
ture (1986), 8 C.P.R. (3d) 517; 1 F.T.R. 63 (C.F. Ife inst.);
Bendahmane c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration), [1989] 3 C.F. 16; (1989), 61 D.L.R. (4th) 313;
26 F.T.R. 122 (note); 8 Imm. L.R. (2d) 20; 95 N.R. 385
(C.A.).
DOCTRINE
Guide d'homologation, 5 janvier 1984.
Les pesticides en perspective, 5206/E, Agriculture
Canada, 1985.
AVOCATS:
Judith C. Lee et Clark M. Roberts pour les
requérants.
Gunnar O. Eggertson pour l'intimé.
Dale B. Pope et Donald L. Richards pour l'inter-
venante.
PROCUREURS:
Nadler, Roberts & Lee, Vancouver, pour les
requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in-
timé.
Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver,
pour l'intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs de
l'ordonnance rendus par
LE JUGE MARTIN: Les requérants concluent en l'es-
pèce à une ordonnance de certiorari pour annuler la
décision et le certificat en date du 19 octobre 1988,
portant enregistrement du pesticide Busan 30WB en
application des articles 13 [mod. par DORS/88-109,
art. 6(1),(2)] et 18 [mod. par DORS/88-109, art. 8] du
Règlement sur les produits antiparasitaires [C.R.C.,
chap. 1253] (le «Règlement»), et pour annuler la
décision préliminaire en date du 6 janvier 1987 por-
tant enregistrement dudit pesticide sous réserve de la
production d'une étiquette approuvée.
Les requérants font également valoir dans leur
requête qu'en accordant l'enregistrement du pesticide
en cause, le ministre de l'Agriculture a excédé sa
compétence par l'un ou l'autre des motifs suivants:
a) il n'a pas examiné:
(i) si les renseignements fournis étaient suffi-
sants pour permettre d'évaluer le produit
antiparasitaire dont s'agit, ou
(ii) si l'emploi de ce dernier comportait un risque
inacceptable pour la santé de la population;
b) il est parvenu à la conclusion manifestement
déraisonnable:
(i) que les renseignements fournis étaient suffi-
sants pour permettre d'évaluer le produit
antiparasitaire dont s'agit, et
(ii) que l'emploi de ce dernier ne comportait pas
un risque inacceptable pour la santé de la
population,
avant d'avoir reçu les renseignements qui lui eus-
sent permis de tirer cette conclusion;
c) il n'a pas observé les procédures d'enregistrement
établies par:
(i) le paragraphe 13(1) et l'article 18 du Règle-
ment,
(ii) le guide d'homologation, et
(iii) ses déclarations publiques
par lesquelles il faisait savoir qu'il consulterait
Santé et Bien-être Canada ainsi que son homo-
logue provincial et s'assurerait leur participation
à la décision d'enregistrement.
Les requérants font encore valoir, subsidiairement,
qu'en permettant à l'agent d'enregistrement de déci-
der, sans autorisation expresse ou tacite à cet effet,
d'accorder l'enregistrement du pesticide, le ministre
a excédé sa compétence en déléguant illégalement un
pouvoir de décision quasi judiciaire ou discrétion-
naire.
La demande en l'espèce a fait suite au dépôt d'une
centaine de plaintes des membres de la section locale
8 des Travailleurs des pâtes, des papiers et du bois du
Canada, qui se plaignaient des effets néfastes de leur
manipulation du pesticide Busan 30WB durant la
période allant de janvier à mai 1988. Voici les symp-
tômes dont ils se plaignaient: maux de tête, saigne-
ments de nez, aigreurs d'estomac, brûlures chi-
miques, étourdissements, nausée, douleurs au cou,
irritation de la gorge et irritation de l'oeil, autant de
maux qu'ils ne connaissaient pas avant l'utilisation
du Busan 30WB.
Avant d'intenter cette demande, l'avocate des
requérants avait, à trois reprises, attiré l'attention du
ministre sur la nature des plaintes pour lui demander
de prendre les mesures nécessaires pour annuler ou
suspendre l'enregistrement du pesticide et poursuivre
l'intervenante en justice pour avoir permis l'utilisa-
tion du pesticide avant son enregistrement.
Le ministre n'a pas pris les mesures demandées
mais, selon le dossier dont je suis saisi, il a nommé
un comité de parties intéressées en la matière, ce
qu'on appelle un groupe de travail de partenaires
multiples, chargé de lui recommander les améliora-
tions à apporter au système de réglementation fédé-
rale des pesticides. Les requérants furent invités à y
participer. Comme ils ne voyaient pas dans cette
réaction la solution à leur problème qui, à leurs yeux,
tenait à l'enregistrement et à sa prorogation au 31
décembre 1995, irréguliers l'un et l'autre, d'un pesti
cide qu'ils considéraient comme dangereux pour leur
santé, les requérants ont donc intenté cette instance.
À l'ouverture de l'instance, l'avocat de l'intimé a
fait valoir deux fins de non-recevoir, savoir la qualité
pour agir du syndicat requérant et la valeur pratique
de la demande. Au lieu d'examiner ces deux points à
titre de fins de non-recevoir, de prendre ma décision
en délibéré et de remettre à plus tard l'argumentation
sur le fond de la demande, j'ai ordonné aux avocats
d'incorporer à leur argumentation sur le fond, leurs
arguments relatifs à ces deux points afin que l'affaire
puisse être tranchée au cours d'une seule audience et
par une seule décision.
En ce qui concerne la question de la qualité pour
agir, l'avocat de l'intimé cherche à exclure la requé-
rante Section locale 8 des Travailleurs des pâtes, des
papiers et du bois du Canada, par ce motif que c'est
la section locale, et non pas le syndicat lui-même, qui
revendique la qualité pour agir en l'espèce, et qu'un
syndicat, qu'il s'agisse d'une de ses sections locales
ou du syndicat proprement dit, tient sa personnalité
juridique de l'article 147 de la Loi dite industrial
Relations Act [R.S.B.C., 1979, chap. 212 (mod. par
S.B.C. 1987, chap. 24, art.1)], lequel article porte ce
qui suit:
[TRADUCTION] 147. Tout syndicat d'employés a la personna-
lité juridique pour l'application de la présente Loi; il en est de
même de toute organisation patronale.
L'avocat de l'intimé soutient que le syndicat
requérant n'a la personnalité juridique que dans le
cadre de cette Loi, et non pas à d'autres égards. Et
que cette instance n'ayant pas été intentée sous le
régime de la Loi dite industrial Relations Act, le syn-
dicat requérant ne saurait être considéré comme une
entité juridique ayant qualité pour y participer.
Je ne saurais accueillir cet argument. À mon avis,
la question de la qualité pour ester en justice des syn-
dicats, qu'il s'agisse ou non de sections locales, a été
tranchée depuis longtemps par la Cour suprême du
Canada dans son arrêt International Brotherhood of
Teamsters v. Therien, [1960] R.C.S. 265, qui con-
cluait qu'ils avaient la personnalité juridique. Il s'en-
suit que le syndicat requérant a qualité pour agir en
l'espèce.
L'avocat de l'intimé fait encore valoir que la
demande n'a plus aucune valeur pratique et ne
devrait pas être instruite, par ce motif que les intérêts
réels du requérant Kenneth Jupe et des membres du
syndicat requérant, savoir la Section locale 8 des Tra-
vailleurs des pâtes, des papiers et du bois du Canada,
tenaient à ce qu'ils avaient été et étaient encore expo-
sés aux soi-disant effets toxiques du Busan 30WB au
travail. Comme ce pesticide n'était plus utilisé à
compter du 6 mai 1991, l'avocat de l'intimé soutient
que ni Jupe ni les autres membres de la section locale
n'ont plus aucun intérêt pour ce qui est de son enre-
gistrement.
L'avocat de l'intimé reconnaît que Jupe comme les
autres membres de la Section locale pourraient avoir
qualité pour poursuivre l'instance bien que celle-ci
n'ait plus aucune valeur pratique, mais soutient qu'il
s'agit là d'une question laissée au pouvoir d'appré-
ciation souverain de la Cour, qui devrait mettre fin à
l'instance. L'avocate des requérants conteste que
l'instance n'ait aucune valeur pratique et soutient
que, cela eût-il été le cas, je devrais exercer mon pou-
voir d'appréciation en faveur de l'instruction au fond
de la demande.
La doctrine du caractère théorique du litige et de
ses conséquences a fait l'objet d'une analyse défini-
tive du juge Sopinka de la Cour suprême du Canada
dans Borowski c. Canada (Procureur général),
[1989] 1 R.C.S. 342. En page 353, il a évoqué la
règle générale en ces termes:
La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects
du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal
peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une ques
tion hypothétique ou abstraite. Le principe général s'applique
quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre
un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits
des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet
pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire. Cet
élément essentiel doit être présent non seulement quand l'ac-
tion ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où
le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après
l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des
événements qui modifient les rapports des parties entre elles de
sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les
droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le
principe ou la pratique général s'applique aux litiges devenus
théoriques à moins que le tribunal n'exerce son pouvoir discré-
tionnaire de ne pas l'appliquer. J'examinerai plus loin les fac-
teurs dont le tribunal tient compte pour décider d'exercer ou
non ce pouvoir discrétionnaire. [Phrase non soulignée dans
l'original.]
Il n'y a pas de «litige actuel» si le différend tan
gible et concret a disparu ou, pour reprendre l'obser-
vation faite par le juge en chef Duff dans The King
ex. rel. Tolfree v. Clark et al., [1944] R.C.S. 69, à la
page 72:
[TRADUCTION] ... ce qui sous-tend le litige a disparu.
Dans l'affaire Borowski, il a été jugé que l'action
n'avait plus qu'un caractère théorique par ce motif
qu'au moment où le pourvoi est parvenu devant elle,
la Cour suprême du Canada avait déjà déclaré incons-
titutionnel l'article du Code criminel [L.R.C. (1985),
chap. C-46] contesté par Borowski. Dans l'affaire
Clark, les requérants cherchaient à faire interdire aux
intimés de siéger à l'assemblée législative de l'Onta-
rio. Comme cette assemblée avait été dissoute avant
que l'affaire ne fût parvenue devant la Cour, le juge
en chef Duff a conclu qu'elle n'avait plus de valeur
pratique et a refusé d'entendre le pourvoi.
Les faits qui nous intéressent en l'espèce n'ont rien
de commun avec les faits des causes citées ci-dessus
ou d'autres causes citées par le juge Sopinka et dans
lesquelles la juridiction saisie a conclu à l'absence de
valeur pratique.
En l'espèce, les requérants cherchent à faire annu-
ler l'enregistrement d'un pesticide par les motifs
évoqués plus haut. Lorsque l'affaire fut appelée
devant moi, non seulement ce pesticide était toujours
enregistré, mais l'enregistrement avait été prorogé au
31 décembre 1995. Il n'y a aucun doute à ce sujet, et
l'avocat de l'intimé n'a pas soutenu qu'il n'y avait
pas un litige actuel affectant les droits des parties à la
date du 6 mai 1991.
Le seul motif par lequel l'avocat de l'intimé con-
cluait que le litige était devenu théorique au 6 mai
1991 est que, à cette date, l'employeur qui utilisait le
pesticide en cause dans son entreprise avait cessé de
le faire. Aucun engagement ou assurance n'a été pro-
duit, de la part de l'employeur, de s'abstenir d'utiliser
à l'avenir ce pesticide dont l'enregistrement a été
prorogé jusqu'en 1995 et qui, de ce fait, peut être
légitimement utilisé par cet employeur à tout moment
avant cette date s'il le veut.
L'avocat de l'intimé ne dit pas non plus que l'enre-
gistrement du pesticide en cause serait retiré, sus-
pendu ou annulé, ce qui en interdirait l'utilisation.
Sur ce point encore, je ne saurais accueillir l'argu-
ment de l'avocat de l'intimé selon lequel, l'em-
ployeur ayant cessé, volontairement et indéfiniment,
d'utiliser le pesticide dont s'agit, la question de
savoir si l'enregistrement était justifié en premier lieu
ou s'il devait être maintenu est devenue toute théo-
rique. Accueillir pareil argument pour rejeter la
demande par ce motif que le litige est devenu théo-
rique signifie que l'employeur pourrait un jour utili-
ser de nouveau ce pesticide et ressusciter la contro-
verse qui, aux dires de l'avocat, a cessé d'exister. La
controverse qui oppose les parties ne porte pas sur
l'utilisation du pesticide, mais sur la question de
savoir si son enregistrement était justifié en premier
lieu.
Étant donné, à mon avis, que ce qui sous-tend le
litige subsiste encore et qu'il y a toujours un litige
actif entre les parties, on ne peut pas dire que là ques
tion est devenue théorique. Il n'est donc pas néces-
saire que j'examine si je devrais exercer mon pouvoir
d'appréciation souverain pour entendre cette cause
quand bien même elle serait devenue théorique.
Avant d'instruire l'affaire au fond ou, plus précisé-
ment, les faits de la cause, je pense qu'il y a lieu
d'examiner, à titre de question préliminaire, les
motifs se rapportant à l'exercice des pouvoirs discré-
tionnaires du ministre, non pas par celui-ci lui-même,
mais par des fonctionnaires de son Ministère.
L'argument avancé par les requérants à ce propos
est essentiellement que le pouvoir discrétionnaire
dont l'article 18 du Règlement investit le ministre ne
saurait être délégué, mais doit être exercé par le
ministre lui-même. L'avocate des requérants soutient
que dans le processus d'enregistrement, la décision
du directeur et celle du ministre ne sont pas confon-
dues, et cette distinction, dit-elle, tend à corroborer
son argument.
Elle a relevé à juste titre cette distinction à l'article
13 du Règlement:
13. (1) À la réception d'une demande de certificat d'enregis-
trement ou de modification d'un certificat d'enregistrement, le
Ministre, sous réserve de l'article 18, enregistre le produit anti -
parasitaire ou en modifie l'enregistrement, selon le cas, et con-
signe au registre des produits antiparasitaires les renseigne-
ments fournis en conformité avec les articles 7 et 9.
(3) À l'enregistrement d'un produit antiparasitaire ou de la
modification de l'enregistrement d'un produit antiparasitaire,
le Directeur délivre un certificat d'enregistrement portant le
numéro d'enregistrement du produit antiparasitaire.
Elle a également raison de soutenir que l'article 18
du Règlement fait au ministre obligation de former
son opinion sur plusieurs questions:
18. Le Ministre peut refuser d'enregistrer un produit antipa-
rasitaire ou d'en modifier l'enregistrement si, à son avis,
a) la demande d'enregistrement ou de modification de l'en-
registrement ou le label du produit antiparasitaire n'est pas
conforme aux dispositions de la Loi et du présent règlement;
b) les renseignements fournis au Ministre dans la demande
ne sont pas suffisants pour permettre d'évaluer le produit
antiparasitaire;
e) le demandeur ne démontre pas que le produit antiparasi-
taire présente des avantages ou une valeur pour les fins pro
posées, lorsqu'il est utilisé conformément aux instructions
qui figurent sur le label;
d) l'emploi du produit antiparasitaire comporte un risque
inacceptable pour
(i) les choses sur lesquelles ou en rapport avec lesquelles
il est destiné à être utilisé, ou
(ii) la santé de la population, les plantes, les animaux ou
l'environnement; ou
e) le produit antiparasitaire n'a pas besoin d'être enregistré.
À mon avis, ces prescriptions ne signifient pas
nécessairement que le ministre doit examiner person-
nellement les questions sur lesquelles il doit former
une opinion. L'avocat de l'intimé m'a convaincu que
le ministre peut former cette opinion comme le
requiert l'article 18 du Règlement par l'intermédiaire
des fonctionnaires de son Ministère. Cela ne veut pas
dire qu'il n'est pas nécessaire de former une opinion
sur le caractère suffisant des renseignements fournis
ou sur le risque pour la santé de la population, mais
seulement qu'il n'est pas nécessaire que le ministre le
fasse en personne.
Le paragraphe 13(1) du Règlement subordonne
l'enregistrement du produit antiparasitaire à une opi
nion favorable du ministre à l'égard des nombreuses
questions prévues à l'article 18 du même texte. Le
paragraphe 13(3) du Règlement présuppose que le
ministre s'est fait, en faveur du demandeur, une opi
nion favorable au sujet des matières prévues à l'ar-
ticle 18 et qu'il a enregistré le produit. Ce paragraphe
ne fait que prévoir pour le fonctionnaire visé du
Ministère l'obligation de délivrer le certificat d'enre-
gistrement, sans qu'il exerce à ce propos aucun pou-
voir d'appréciation. Le directeur ne fait que certifier
qu'il y a eu enregistrement; il n'exerce aucun pouvoir
discrétionnaire dans le cadre du paragraphe 13(3).
L'article 13 du Règlement ne distinguant pas les
fonctions du ministre et celles du directeur en fonc-
tion de leurs pouvoirs discrétionnaires respectifs, je
ne saurais accueillir l'argument de l'avocate des
requérants, selon lequel le législateur entendait pré-
voir que seul le ministre peut exercer les pouvoirs
discrétionnaires dont il est investi.
Cette question a été examinée par le juge en chef
Jackett de la Cour d'appel fédérale dans Ahmad c. La
Commission de la Fonction publique, [ 1974] 2 C.F.
644, aux pages 650 et 651, où il s'est prononcé en ces
termes:
L'article 6(5) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique prévoit qu'un sous-chef peut autoriser une ou plu-
sieurs personnes placées sous son autorité «à exercer l'un des
pouvoirs, fonctions ou devoirs» que lui confère cette loi. Par
acte en date du 22 mars 1971, le sous-chef en cause a notam-
ment autorisé le «directeur, service de l'administration du per
sonnel» à «exercer les pouvoirs et à déléguer les fonctions ou
devoirs» que lui confère notamment l'article 31 de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique. À mon avis, quoique cet
acte eût pu être mieux rédigé, il confère au directeur le pouvoir
approprié pour formuler un avis sur l'incompétence du requé-
rant, préalable à une recommandation prévue à l'article 31
[Comparer avec l'arrêt Mungoni c. Attorney General of Nor
thern Rhodesia, [1960] A.C. 336]. En tout cas, toute question.
d'autorisation légale spéciale mise à part, je pense que cet avis
n'avait pas à faire l'objet de l'attention personnelle du sous-
chef et pouvait émaner des fonctionnaires habilités du Minis-
tère sur la base des principes appliqués dans les affaires telles
que Carltona, Ltd. c. Comrs. of Works [[1943] 2 All E.R. 560].
Voir, dans cette affaire, les motifs de Lord Greene, maître des
rôles, à la page 563:
[TRADUCTION] Dans le régime d'administration publique
de ce pays, les fonctions qui sont conférées aux ministres (à
bon droit du point de vue constitutionnel puisque les minis-
tres sont constitutionnellement responsables) sont si variées
qu'aucun ministre ne pourrait jamais personnellement les
remplir. Pour prendre l'exemple du cas présent, chaque
ministère a sans aucun doute soumis des milliers de réquisi-
tions dans ce pays. On ne peut pas supposer que ce règle-
ment impliquait que, dans chaque cas, le Ministre en per-
sonne devait s'occuper de l'affaire. Les tâches imposées aux
ministres et les pouvoirs qui leur sont conférés sont norma-
lement exercés sous leur autorité par les fonctionnaires res-
ponsables du Ministère. S'il en était autrement, tout l'appa-
reil de l'État serait paralysé. Constitutionnellement, la
décision d'un tel fonctionnaire représente naturellement la
décision du Ministre. Le Ministre est responsable. C'est lui
qui doit répondre devant le Parlement de tout ce que les
fonctionnaires ont fait sous son autorité et si, pour une
affaire importante, il a choisi un fonctionnaire subalterne
dont on ne peut s'attendre qu'il exécute le travail avec com-
pétence, le Ministre devra en répondre devant le Parlement.
Tout le système d'organisation et d'administration ministé-
rielles s'appuie sur l'idée qu'étant responsables devant le
Parlement, les ministres feront en sorte que les tâches
importantes soient confiées à des fonctionnaires expéri-
mentés. S'ils ne le font pas, c'est au Parlement qu'on devra
se plaindre de leurs agissements. [Voir aussi Judicial Review
of Administrative Action de S.A. de Smith aux pp. 290 et
291 de la deuxième édition.]
Il serait tout à fait impossible au sous-chef d'un ministère
important dans un gouvernement moderne de s'occuper per-
sonnellement de toutes les questions de ce genre, [quelque]
importantes qu'elles puissent être pour les personnes concer-
nées. C'est la raison d'être de l'organisation ministérielle et, à
mon avis, il en découle nécessairement, en l'absence d'indica-
tion contraire expresse ou implicite, que les pouvoirs des
ministres et des sous-ministres, dans la mesure où ils revêtent
un caractère administratif, sont exercés en leur nom par les ins
tances de leur ministère. Dans quelle mesure les fonctionnaires
peuvent ou doivent agir ainsi dans des cas particuliers est une
question qui relève de l'organisation interne et les tiers n'ont
pas qualité pour contester les pouvoirs d'un fonctionnaire dans
un cas particulier.
Faute d'indication contraire, expresse ou implicite,
le juge en chef Jackett a appliqué la doctrine de la
présomption de compétence à l'exercice, par un
directeur, des pouvoirs discrétionnaires dont est
investi le sous-chef du ministère en cause. Étant
donné que ni la loi ni le Règlement applicable en la
matière n'interdit expressément ou implicitement que
les pouvoirs discrétionnaires que le ministre tient de
l'article 18 du Règlement soient exercés par son
ministère, et que ces pouvoirs sont de nature admi
nistrative, je conclus qu'ils peuvent parfaitement être
exercés par ceux qui les ont effectivement exercés en
l'espèce.
Je conclus en conséquence que Donald Edouard
Mondor était implicitement habilité à signer le certifi-
cat d'enregistrement prévu au paragraphe 13(3), et
que Clifford David Ralph était implicitement habilité
à exercer le pouvoir discrétionnaire que le ministre
tient de l'article 18 du Règlement. Ayant tiré cette
conclusion, je ne distinguerai pas, dans le restant des
présents motifs de décision, entre le pouvoir discré-
tionnaire exercé par Ralph en application de l'article
18 du Règlement et celui que le ministre tient de la
même disposition.
Cette question préliminaire tranchée, il me reste à
examiner les trois motifs restants de ce recours en
abus de compétence contre le ministre, savoir qu'il
n'a pas examiné si les renseignements fournis étaient
suffisants pour permettre d'évaluer le produit antipa-
rasitaire et si l'utilisation de ce produit comportait un
risque inacceptable pour le public; qu'il a pris sa
décision en la matière avant de recevoir les rensei-
gnements nécessaires pour tirer une conclusion rai-
sonnable; et qu'il a pris sa décision en la matière sans
avoir consulté les autres autorités compétentes fédé-
rales et provinciales, comme les requérants étaient en
droit de s'y attendre.
Le pesticide Busan 30WB est un produit utilisé
dans l'industrie du bois pour prévenir les taches de
sève qui provoquent des changements de coloration
du bois non séché en étuve, sous l'influence des
champignons qui prolifèrent dans une atmosphère
confinée, humide et chaude. L'expédition par mer du
bois fraîchement coupé, sur de longues distances et
sous un climat chaud, présente les conditions idéales
pour le développement de cette moisissure qui dimi-
nue la qualité et, partant, la valeur du bois.
Le séchage en étuve est l'une des méthodes de pré-
vention des taches de sève mais, d'après ce que j'ai
pu voir, il coûte bien plus cher que l'utilisation des
fongicides anti -taches de sève. Il est naturel que l'in-
dustrie du bois préfère l'utilisation du pesticide au
séchage en étuve. Environ 90 p. 100 du bois produit
sur la côte de la Colombie-Britannique est traité au
pesticide, et environ 90 p. 100 de ce bois traité est
exporté.
Avant l'introduction du Busan 30WB, les pesti
cides qui contenaient des polychlorophénols (PCP)
étaient les plus couramment utilisés dans l'industrie
du bois d'oeuvre. Vers 1989 cependant, les pesticides
contenant des PCP n'étaient pratiquement plus utili-
sés, ayant été remplacés par plusieurs autres types,
dont le plus prédominant contenait du thiocyanomé-
thylthio-2 benzothiazole («TCMTB») et avait, à
l'époque, accaparé 50 p. 100 du marché des fongi-
cides anti -taches utilisés dans l'industrie du bois en
Colombie-Britannique.
Je mentionne les autres types de pesticides conte-
nant du TCMTB parce que Busan 30WB n'était pas le
seul pesticide à contenir cet ingrédient. Au para-
graphe 47 de son affidavit, Ralph fait état d'une étude
en date de juillet 1987 (pièce «I» jointe à l'affidavit),
préparée pour le programme de recherches sur la
santé au travail dans l'industrie forestière, laquelle
étude énumère, en page 40, 14 produits de traitement
du bois qui contiennent du TCMTB et qui avaient été
enregistrés par Agriculture Canada jusqu'en juin
1987. De ces 14 produits, sept ont la même teneur en
TCMTB que le Busan 30WB.
J'ouvre ici une parenthèse: bien que l'étude citée
au paragraphe précédent indique que tous les 14 pro-
duits avaient été enregistrés par Agriculture Canada
jusqu'en juin 1987, le Busan 30WB, qui était du nom-
bre, n'a été enregistré qu'en octobre 1988.
Pour en revenir à la demande en l'espèce, ce qu'a
fait Ralph, c'était de comparer le Busan 30WB avec
le Busan 30 et le Busan 1030, ces produits étant tous
les trois fabriqués par l'intervenante Buckman Labo
ratories of Canada Ltd. et contenant tous les trois,
dans leur forme non diluée, 30 p. 100 de TCMTB.
L'intimé fait savoir que la seule différence entre le
Busan 30, le Busan 1030 et le Busan 30WB réside en
ce qu'au lieu d'être contenu dans une base de pétrole
comme les deux premiers, le Busan 30WB est un pes
ticide à base aqueuse (d'où le sigle WB, «water-
based»). Tous les trois pesticides Busan doivent être
dilués avec une grande quantité d'eau avant de servir
au traitement du bois. L'intimé fait savoir que la pré-
paration à base aqueuse a été créée pour répondre aux
utilisateurs qui se plaignaient de l'odeur de pétrole
qui se dégageait à l'utilisation du Busan 30 ou du
Busan 1030.
En fait, la différence entre les deux produits Busan
à base de pétrole et le produit en cause, à base
aqueuse, ne réside pas seulement dans la substitution
de l'eau au pétrole, mais encore dans l'adjonction
d'autres substances destinées à rendre utilisable le
composé chimique (TCMTB), c'est-à-dire à garantir
que la solution diluée se disperse proprement, que le
TCMTB soit soluble et qu'il colle au bois (Transcrip-
tion des débats, aux pages 169 à 172).
Ces adjuvants ou substances semblent tomber dans
le champ d'application de la définition de «produits
antiparasitaires», qui comprend:
a) les composés ou substances de nature ou destinés à renfor-
cer ou modifier leurs caractéristiques physiques ou chi-
miques ...
L'explication donnée par Ralph au sujet de la sub
stitution de l'eau au pétrole pour servir de base et de
l'adjonction d'autres substances figure aux para-
graphes suivants de son affidavit:
[TRADUCTION] 15. La composition de la préparation antiparasi-
taire Busan 30WB est semblable à celle des préparations anti-
parasitaires Busan 30 et Busan 1030, sauf que la fraction de
distillat du pétrole contenue dans le Busan 30 et le Busan 1030
a été remplacée par de l'eau, et que le dispersant a été rajusté
en conséquence.
16. L'évaluation du Busan 30WB a occasionné dans une
grande mesure le remplacement du distillat du pétrole dans le
Busan 30 et le Busan 1030 avec une quantité équivalente
d'eau.
17. Ce type de substitution, savoir le remplacement d'un distil-
lat du pétrole avec de l'eau, ne devrait pas accroître le risque
pour la santé de la population, la végétation, les animaux ou
l'environnement.
Au sujet de l'enregistrement du Busan 30WB,
Ralph témoigne qu'après avoir reçu la demande d'en-
registrement, il a vérifié les renseignements dispo-
nibles au sujet des autres produits antiparasitaires
contenant du TCMTB, l'ingrédient actif du Busan
30WB, et est parvenu à la conclusion que celui-ci ne
contenait aucun ingrédient actif qui n'eût pas été déjà
évalué conformément à l'alinéa 9(2)a) du Règlement.
Il fait aussi remarquer que le TCMTB était l'ingré-
dient actif du Busan 1030 et du Busan 30, lesquels,
dit-il, avaient été déjà enregistrés comme produits
anti -taches (paragraphe 9 de l'affidavit de Ralph).
Au paragraphe 18, Ralph a ajouté:
[TRADUCTION] 18. L'évaluation faite par Santé et Bien-être
Canada (lettre en date du 25 octobre 1988 de Santé et Bien-être
Canada ci-jointe à titre de pièce «B» du présent affidavit) des
renseignements fournis par Buckman au sujet du produit and-
parasitaire Busan 30WB (lettre en date du 22 décembre 1986
ci-jointe à titre de pièce «C» du présent affidavit) a confirmé
que la substitution de l'eau au distillat du pétrole n'accroissait
pas le risque présenté par le Busan 30WB par rapport aux pro-
duits antiparasitaires déjà enregistrés Busan 30 et Busan 1030.
La simple conclusion que l'intimé semble m'enga-
ger à tirer du témoignage par affidavit de Ralph serait
que, le TCMTB étant l'ingrédient actif de deux autres
produits anti -taches qui avaient été déjà enregistrés,
donc déjà évalués, il ne servirait à rien de réévaluer le
Busan 30WB, dans lequel le seul changement notable
par rapport aux préparations précédemment enregis-
trées était la substitution de l'eau au distillat du
pétrole, laquelle substitution n'ajoutait pas au risque
ainsi que l'a confirmé l'évaluation en date du 25
octobre 1988 de Santé et Bien-être Canada. En consé-
quence, comme le TCMTB avait été déjà évalué et
que le seul changement dans le produit n'ajoutait pas
au risque pour la santé, Ralph, agissant au nom du
ministre sous le régime de l'article 13 du Règlement,
a pris la seule mesure logique possible en enregistrant
le pesticide en cause.
Je ne pense pas que je puisse tirer pareille conclu
sion de ce témoignage.
Au paragraphe 6 de son affidavit, Ralph fait état
des évaluations précédentes du TCMTB. Il ne dit rien
au sujet de la portée ou de la date de ces évaluations.
Si, comme il le sous-entend, il s'est fondé sur les éva-
luations apparemment favorables du TCMTB pour ne
pas procéder à une autre évaluation, il aurait dû à tout
le moins produire des détails spécifiques de ces éva-
luations antérieures.
L'affirmation faite par Ralph qu'il s'est fondé sur
ces évaluations antérieures pour enregistrer le Busan
30WB est d'autant plus curieuse que le ministre lui-
même a reconnu (pièce «S», Dossier des requérants,
à la page 76) que les préparations contenant du
TCMTB n'étaient pas soutenues par un dossier com-
plet des données sur l'ingrédient actif.
Il ressort de la correspondance entre l'avocate des
requérants et le ministre que l'enregistrement anté-
rieur des produits contenant du TCMTB avait été fait
en l'absence de renseignements qui, au moment où le
Busan 30WB fut enregistré en 1988, seraient requis
en vue de l'évaluation prévue à l'article 18 du Règle-
ment. Je ne comprends donc pas que Ralph ait pu, en
1988, se fonder pour l'enregistrement d'un produit
contenant du TCMTB sur des évaluations antérieures
dont il a reconnu qu'elles n'étaient pas conformes
aux conditions d'enregistrement de 1988.
Je note que d'après l'affidavit de Ralph, les évalua-
tions antérieures du TCMTB ont été faites en applica
tion de l'alinéa 9(2)a) du Règlement. Cet alinéa fait
partie de la disposition portant obligation pour le
demandeur de produire les renseignements néces-
saires pour permettre au ministre de juger de l'inno-
cuité, des avantages et de la valeur d'un produit anti -
parasitaire qui n'a pas été évalué auparavant. L'alinéa
9(2)a) prévoit expressément qu'il n'a pas pour objet
de restreindre la portée générale du paragraphe 9(1),
lequel habilite le ministre à exiger que le demandeur
produise tout renseignement nécessaire pour lui per-
mettre de juger de l'innocuité, des avantages et de la
valeur du produit antiparasitaire en question.
En conséquence, je ne vois pas pourquoi une éva-
luation faite sous le régime de l'alinéa 9(2)a) empê-
cherait le ministre de demander par la suite un dos
sier complet des données nécessaires en vue de
l'évaluation prescrite par le Règlement tel qu'il est en
vigueur au moment de l'enregistrement.
Quoi qu'il en soit, l'article 9 ne porte que sur les
renseignements que doit produire la personne deman-
dant l'enregistrement d'un produit antiparasitaire. Je
ne vois rien dans la Loi sur les produits antiparasi-
taires [L.R.C. (1985), chap. P-9] ou dans le Règle-
ment qui limite la décision prise par le ministre au
regard des prescriptions des alinéas 18b) ou d) du
Règlement, à l'examen des renseignements produits
par le demandeur. En fait, le ministre a indiqué, par
sa brochure (Dossier des requérants, à la page 80),
que pour se prononcer sur l'innocuité d'un pesticide,
il ferait participer au processus décisionnel plusieurs
autres ministères fédéraux et leurs homologues pro-
vinciaux. Je conviens avec l'avocat de l'intimé qu'il
ne faut pas y voir l'engagement par le ministre de
faire participer toutes ces autorités à chaque décision
à prendre en application de l'article 18 du Règlement,
mais j'y vois bien l'engagement de consulter les
autorités compétentes dans tous les cas. Je dois ajou-
ter à ce propos qu'à mon sens, «consulter» équivaut à
«faire participer au processus décisionnel».
À tout le moins, j'y vois l'engagement de prendre
en considération l'avis des autres autorités dans le cas
où elles sont invitées à donner cet avis.
En l'espèce, l'intervenante a demandé l'enregistre-
ment du Busan 30WB le 29 mars 1985. Il était
indiqué sur la demande elle-même qu'il s'agissait
d'une nouvelle demande, et non pas de l'enregistre-
ment d'une formule modifiée.
Ralph, qui était chargé de l'évaluation du pesticide
et qui a décidé que celui-ci était acceptable pour l'en-
registrement, a déposé comme suit:
[TRADUCTION] 4. L'évaluation du Busan 30WB et la décision
qu'il était acceptable pour l'enregistrement ont été faites con-
formément au Règlement et aux méthodes courantes de la
Direction, telles qu'elles sont résumées à l'affidavit en date du
9 mai 1991 de Janet K. Taylor.
Au paragraphe 15 de son affidavit, Taylor a déposé
comme suit:
[TRADUCTION] 15. L'examen complet des propriétés fondamen-
tales de l'ingrédient actif, c'est-à-dire du thiocyanométhylthio-
2 benzothiazole (TCMTB), se fait normalement, comme en
l'occurrence, sous forme d'examen spécial ou de réévaluation
sous le régime de l'article 19 du Règlement, comme noté aux
paragraphes 18 à 24 de mon affidavit, et non pas au cours de
l'examen des modifications mineures de formule, savoir la
substitution d'une base aqueuse à une autre base dans une pré-
paration de pesticide, comme dans le cas de la demande Busan
30WB.
À cet égard, il ne me semble pas qu'il ait été ques
tion aux paragraphes 18 à 24 d'un examen spécial ou
d'une réévaluation du TCMTB, effectué en applica
tion de l'article 19 du Règlement. Cet article vise
l'annulation ou la suspension d'enregistrement. Pour
autant que je puisse en juger, les processus exposé
aux paragraphes 18 à 24 de l'affidavit de Taylor vise
à obtenir d'un groupe d'organismes représentatifs, le
groupe de travail de partenaires multiples, des recom-
mandations pour la réforme du système fédéral de
réglementation de la lutte antiparasitaire. Le rapport
en question, en date de décembre 1990, a été soumis
par le groupe de travail au ministre de l'Agriculture
(pièce 1F du Dossier de l'intimé).
Malgré cette dénégation de Taylor:
[TRADUCTION] 14. Ni le Règlement ni les instructions, manuels,
notes de service, etc. de la Direction n'obligent le gestionnaire
des produits à saisir Santé et Bien-être Canada du changement
mineur dans la formule/dilution avec de l'eau, opéré dans le
Busan 30WB, avant de se prononcer sur l'acceptabilité du pro-
duit pour l'enregistrement; pareil renvoi à Santé et Bien-être
Canada n'est pas attendu non plus de sa part.
Ralph, le 20 août 1985, a écrit ce qui suit à l'interve-
nante:
[TRADUCTION] Objet: BUSAN 30WB
Nous avons terminé l'examen préliminaire de votre demande
d'enregistrement du produit susmentionné.
Avant de procéder à l'évaluation du produit, nous avons besoin
des renseignements suivants:
I. Données en matière de toxicité aiguë du produit.
2. Données sur les ingrédients non actifs contenus dans la
préparation.
Clifford Ralph
Division des pesticides.
(Dossier des requérants, à la page 19.)
Après avoir reçu ces données, Ralph a, le 6 janvier
1987, écrit ce qui suit à l'intervenante:
[TRADUCTION] Objet: Microbicide liquide Busan WB
Nous avons terminé l'évaluation de ce produit au regard de la
Loi sur les produits antiparasitaires, et lui avons assigné le
numéro d'enregistrement 19965. Les corrections nécessaires
ont été portées sur votre projet d'étiquette.
L'enregistrement sera accordé et le certificat délivré après que
nous aurons reçu cinq (5) exemplaires de l'étiquette imprimée.
Clifford Ralph
Division de la gestion des produits
(Dossier des requérants, à la page 20.)
Le même jour, cependant, Ralph a écrit la lettre
suivante au ministère fédéral de la Santé nationale et
du Bien-être social:
[TRADUCTION] Objet: Busan 30WB: N° d'enr. 19965
Ci-joint, pour avis après examen, les études de toxicité aiguë
du produit susmentionné.
1. Index des données
2. Formule du produit
3. Projet d'étiquette avec révisions
4. Toxicité orale aiguë
5. Toxicité cutanée aiguë
6. Test préliminaire d'irritation de l'oeil
7. Test préliminaire d'irritation de la peau
Selon la compagnie, le produit est probablement un sensibilisa-
teur, vu les données techniques du TCMTB.
Il nous faudra faire ressortir ce risque par un libellé de l'éti-
quette en conséquence.
Les résultats du test de toxicité aiguë à l'inhalation du TCMTB
sont consignés au dossier. Le Busan 30WB n'est pas pulvérisé
sans avoir été dilué avec de l'eau. Des indications précises à
cet égard figurent sur l'étiquette. En outre, les «Lignes direc-
trices sur l'utilisation sécuritaire du TCMTB pour la protection
du bois» seront mentionnées sur l'étiquette du produit.
Nous avons procédé à l'enregistrement du Busan 30WB à titre
de produit de substitution aux préparations de chlorophénol, et
lui avons assigné le numéro d'enregistrement 19965.
Si à l'issue de votre examen de ces études, vous concluez à la
nécessité d'ajouter des précautions à l'étiquette, le demandeur
sera obligé de modifier celle-ci.
En vous remerciant à l'avance de votre examen de ce produit,
etc.
C.S. Ralph
Division de la gestion des produits
(Dossier des requérants, à la page 21)
Ralph a expliqué sa lettre du 6 janvier 1987 à
Santé et Bien-être Canada au paragraphe 27 de son
affidavit comme suit:
[TRADUCTION] 27. Si j'ai écrit à Buckman et subséquemment
soumis les renseignements qu'elle m'avait fournis à Santé et
Bien-être Canada par ma lettre en date du 6 janvier 1987 (ci-
jointe à titre de pièce «G» du présent affidavit), c'est parce que
la Direction tenait à donner à ce Ministère la possibilité de
nous faire part de ses observations sur le TCMTB, indépen-
damment du processus d'enregistrement du Busan 30WB.
Je ne saurais accepter l'explication de Ralph. À
mon avis, il ressort du libellé de la lettre du 6 janvier
1987 que l'examen et les observations attendus de la
part de Santé et Bien-être Canada faisaient partie
intégrante du processus d'enregistrement. À part la
demande générale, faite par Ralph à ce Ministère,
d'examiner et de commenter les données jointes à sa
lettre du 6 janvier 1987, il a expressément demandé
son avis sur l'étiquette et s'est engagé à obliger l'in-
tervenante à la modifier si telle est la conclusion de
l'examen des tests par Santé et Bien-être Canada. Il
est indéniable que l'étiquette du produit antiparasi-
taire fait partie intégrante du processus d'enregistre-
ment parce que, selon l'article 5 de la Loi, un produit
antiparasitaire ne peut être vendu au Canada s'il ne
porte pas l'étiquette réglementaire et que, selon le
paragraphe 13(2) du Règlement, l'étiquette est un
élément du processus d'enregistrement. D'ailleurs, il
suffit de parcourir rapidement la Loi et le Règlement
pour se rendre compte de l'importance attachée à
l'étiquetage des produits antiparasitaires.
Je note que dans sa lettre du 6 janvier 1987 à l'in-
tervenante, Ralph a informé celle-ci que l'évaluation
était terminée et que le numéro d'enregistrement
19965 avait été assigné au produit en cause. Les
requérants, par surcroît de précaution, je présume, ont
conclu à l'annulation de cette décision d'enregistre-
ment préliminaire. En fait, il n'y a qu'une décision
d'enregistrement, il s'agit de celle en date du 19 octo-
bre 1988 en vertu de laquelle le certificat d'enregis-
trement a été signé le même jour, et c'est cette déci-
sion qui fait l'objet de mon jugement en l'espèce.
Dans sa réponse en date du 6 février 1987 à la let-
tre du 6 janvier 1987 de Ralph, Santé et Bien-être
Canada présumait à tort que le Busan 30WB avait été
enregistré, ce qui faisait que les données toxicolo-
giques étaient transmises à la section de réévaluation
de sa Division des pesticides, puisque la section à
laquelle Ralph avait envoyé les données s'occupait
uniquement de l'examen des renseignements avant
l'enregistrement. Bien que cette distinction ne signi-
fie rien de particulier en l'espèce, il est intéressant de
noter que Ralph avait envoyé les données à la section
chargée de les examiner avant l'enregistrement. En
fait, Ralph avait envoyé les données à la section com-
pétente puisque le pesticide en cause n'avait pas
encore été enregistré.
En juin 1988, la section de réévaluation de la Divi
sion des pesticides de Santé et Bien-être Canada écri-
vit à Ralph pour l'informer qu'elle procédait à l'exa-
men des données toxicologiques relatives au TCMTB
mais qu'elle avait besoin des renseignements complé-
mentaires pour être à même de produire un rapport en
la matière.
Le 19 octobre 1988, sans avoir reçu aucun rapport
de Santé et Bien-être Canada, Donald Mondor a écrit
la lettre suivante à l'intervenante:
[TRADUCTION] Objet: Busan 30WB; Enr. n° 19965
L'instruction de votre demande d'enregistrement de ce produit
est terminée. L'enregistrement a été accordé, en application de
l'article 13 du Règlement sur les produits antiparasitaires.
Ci-joint votre certificat d'enregistrement et un exemplaire de
l'étiquette. Un droit d'enregistrement de 25 $ sera prélevé sur
votre compte.
Le processus est maintenant terminé.
Donald Mondor
Agent d'enregistrement
Section des pesticides antimicrobiens
(Dossier des requérants, à la page 27)
C'est à cette date, le 19 octobre 1988, que Mondor
certifiait que l'enregistrement était accordé en appli
cation du paragraphe 13(3) du Règlement.
Juste une semaine plus tard, le 25 octobre 1988,
Santé et Bien-être Canada a écrit à Ralph ce qui suit:
[TRADUCTION] Objet: Données toxicologiques sur le Busan 30
WB
Nous avons terminé l'examen des études toxicologiques sui-
vantes, soumises par Buckman à l'appui de sa demande d'enre-
gistrement du Busan 30 WB:
— Toxicité orale aiguë chez les rats. Hazleton Lab. America.
Echantillon #60906505, 8 déc. 1986.
— Toxicité cutanée aiguë chez les lapins. Springboard Insti
tute for Bioresearch, Rapp. #3138.6.1, 19 mars 1986.
— Étude préliminaire de l'irritation de l'oeil. (Lapins) Rapp.
Intox. Lab. Inc. #362, Prot. #BUC-AT-0l7, 24 jan. 1983.
— Étude préliminaire de l'irritation cutanée chez le lapin.
Springboard Institute for Bioresearch Inc. Rapp.
#3138.6.2, 14 mars 1986.
Dans l'ensemble, ces études sont satisfaisantes et les conclu
sions semblent convenables. Cependant, l'identification et la
caractérisation chimiques de la matière testée (numéro du lot,
pureté, contaminants, impuretés, stabilité) ne sont pas suffi-
samment présentées dans les rapports d'étude.
Les études susmentionnées montrent que le Busan 30 WB
est modérément toxique par voie orale, légèrement toxique par
voie cutanée, et très irritant pour la peau et l'eeil. Cependant,
des conclusions finales sur la toxicité de ce produit seraient
pour le moment prématurées puisque les effets potentiels à
long terme en matière d'oncologie et de fonctions reproduc-
trices n'ont pas été étudiés dans le cadre de cette demande. Un
rapport sur le TCMTB sera établi sous peu.
Salutations,
Daniel Galarneau
Section de réévaluation
(Dossier de l'intimé, pièce 3B)
Comme noté plus haut, le ministre, dans sa lettre
du 13 février 1990, a reconnu que les préparations de
TCMTB, dont le Busan 30WB, n'étaient pas soute-
nues par un dossier complet des données sur l'ingré-
dient actif.
C'est la lettre du 25 octobre 1988 de Santé et Bien-
être Canada que Ralph cite au paragraphe 18 de son
affidavit, comme confirmant que la substitution de
l'eau au distillat du pétrole n'accroissait pas le risque
présenté par le Busan 30WB par rapport aux produits
antiparasitaires précédemment enregistrés, le Busan
30 et le Busan 1030. En ce qui concerne l'interpréta-
tion que donne Ralph de cette lettre, je ne vois dans
celle-ci rien qui justifie pareille conclusion de sa part.
La lettre elle-même indique qu'il ne s'agit que d'un
rapport provisoire et elle ne dit rien de l'effet des
adjuvants, autres que l'eau, de la nouvelle prépara-
tion, lesquels adjuvants constituent eux-mêmes un
produit antiparasitaire au sens de la Loi.
L'objet de la Loi a été parfaitement exposé par le
juge Cullen de cette Cour dans Monsanto Canada
Inc. c. Ministre de l'Agriculture (1986), 8 C.P.R. (3d)
517 (C.F. Ire inst.), à la page 518, en ces termes:
La Loi vise à protéger la population de produits qui pour-
raient être dangereux et exige qu'un produit soit rigoureuse-
ment contrôlé avant d'en permettre l'enregistrement.
Cet objet s'incarne dans les articles 4 et 5 de la Loi
et dans le Règlement, en particulier, pour notre pro-
pos, aux articles 13 et 18 évoqués plus haut.
Tel que je le comprends, l'alinéa 18b) du Règle-
ment ne prévoit pas l'évaluation du produit antipara-
sitaire, mais une décision sur la question de savoir si
les renseignements fournis au ministre dans le cadre
de la demande d'enregistrement sont suffisants pour
permettre l'évaluation de ce produit. À supposer que
les renseignements fournis soient suffisants, la Divi
sion des produits végétaux de la Direction générale
de la production et de l'inspection des aliments,
ministère de l'Agriculture du Canada, peut alors éva-
luer (en anglais «assess or evaluate») le produit anti -
parasitaire. Bien que je n'en sois pas certain, il me
semble que l'évaluation qui correspond au concept
anglais d'«evaluation» est prévue à l'alinéa 18c) du
Règlement, et l'évaluation correspondant au concept
d'«assessment» est prévue à l'alinéa l8d). Pour l'une
et pour l'autre, cependant, la première phase consiste
à vérifier si les renseignements fournis sont suffisants
pour permettre d'évaluer le produit.
À cet égard, il appert que le ministre a négligé la
première phase. Ralph a fait savoir qu'il s'est fondé
sur l'enregistrement antérieur des produits antiparasi-
taires contenant du TCMTB et sur le fait qu'ils
avaient été sûrement évalués pour se passer d'une
évaluation ou réévaluation. Je trouve ce raisonnement
défectueux et inacceptable. En premier lieu, la seule
information que j'aie au sujet de l'évaluation faite du
TCMTB lors de l'enregistrement avant 1980 du
Busan 30 et du Busan /030 est que cette évaluation
était basée sur ce qui n'aurait pas été considéré, au
moment de la demande d'enregistrement du Busan
30WB, comme un dossier complet des données, c'est-
à-dire que les renseignements fournis au ministre et
qui avaient abouti à l'enregistrement du Busan 30 et
du Busan 1030 étaient reconnus comme insuffisants
pour permettre d'évaluer convenablement ces pro-
duits conformément aux normes en vigueur au
moment de la demande d'enregistrement du Busan
30WB.
Si les renseignements antérieurement fournis
n'étaient pas suffisants pour permettre d'évaluer con-
venablement le Busan 30 et le Busan /030 conformé-
ment aux normes applicables au Busan 30WB au
moment de son enregistrement, j'estime que Ralph
n'avait pas le droit de se fonder sur les enregistre-
ments antérieurs pour conclure qu'il avait suffisam-
ment de renseignements pour évaluer le Busan
30WB.
La question que Ralph (le ministre) devait exami
ner était de savoir si les renseignements fournis au
ministre étaient suffisants pour permettre d'évaluer
convenablement le BUSC? 30WB conformément aux
normes en vigueur en 1985. Ralph n'a pas examiné
cette question, mais seulement celle de savoir s'il y
avait eu un changement dans l'ingrédient actif du
Busan 30WB par rapport au Busan 30 et au Busan
1030; et il a conclu que puisqu'il n'y avait pas eu
changement dans l'ingrédient actif, une nouvelle éva-
luation du produit antiparasitaire Busan 30WB n'était
pas nécessaire.
Puisque Ralph n'a pas instruit la question de savoir
si les renseignements fournis étaient suffisants, con
dition nécessaire, à mon avis, de l'exercice du pou-
voir discrétionnaire du ministre d'accorder ou de
refuser l'enregistrement du produit antiparasitaire, le
ministre a excédé sa compétence lorsqu'il a exercé
son pouvoir discrétionnaire pour permettre l'enregis-
trement du produit antiparasitaire Busan 30WB; cet
enregistrement doit donc être annulé.
Même si le ministre avait examiné la question
qu'il convenait d'examiner et conclu par la suite que
les renseignements fournis dans le cadre de la
demande d'enregistrement du Busan 30WB étaient
suffisants pour en permettre l'évaluation, il a quand
même excédé sa compétence lorsqu'il a exercé son
pouvoir discrétionnaire pour permettre l'enregistre-
ment de ce produit antiparasitaire puisque cette con
clusion était manifestement erronée.
Ralph savait ou devait savoir qu'une évaluation
convenable du Busan 30WB en 1985 ou en 1988,
année où eut lieu l'enregistrement, exigeait un dos
sier complet de données. De même, il savait ou devait
savoir qu'au moment où le TCMTB fut évalué en vue
de l'enregistrement du Busan 30 et du Busan 1030,
cette évaluation se faisait sur la base de renseigne-
ments fournis qui n'étaient pas suffisants pour per-
mettre d'évaluer convenablement ce même composé
TCMTB en 1988. Il s'ensuit que Ralph ne pouvait
raisonnablement conclure que les renseignements
fournis en vue de l'enregistrement du produit antipa-
rasitaire Busan 30WB étaient suffisants, en 1988,
pour permettre d'évaluer convenablement ce produit.
Attendu que Ralph n'avait pu raisonnablement tirer
pareille conclusion, le ministre a excédé sa compé-
tence lorsqu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire
pour permettre l'enregistrement du Busan 30WB et,
par ce motif également, cet enregistrement doit être
annulé.
Comme noté plus haut, la Loi a pour objet de pro-
téger la population de produits antiparasitaires qui
pourraient être dangereux.
Cet objet s'exprime non seulement par la Loi et par
le Règlement, mais encore par le Guide d'homologa-
tion du 5 janvier 1984, applicable à l'enregistrement
des pesticides et autres produits antiparasitaires visés
par la Loi, ainsi que par la brochure publiée en 1985
par Agriculture Canada sous le numéro 5206/E et
sous le titre Les pesticides en perspective (Dossier
des requérants, à la page 79).
Sous la rubrique «Réglementation des produits
antimicrobiens», le Guide prévoit que la demande
d'enregistrement de tout produit antiparasitaire doit
comprendre, entre autres, en cas d'ingrédients actifs
nouveaux, et aussi en cas d'ingrédients actifs anté-
rieurement évalués mais faisant l'objet de revendica-
tions nouvelles ou modifiées, une documentation
complète sous forme de données scientifiques et
techniques propres à permettre une évaluation com-
plète de l'efficacité et de l'innocuité du produit.
L'avocat de l'intimé soutient que le TCMTB étant
le seul ingrédient actif du Busan 30WB et la seule
modification notable apportée à ce produit par rap
port aux préparations Busan 30 et Busan 1030, anté-
rieurement enregistrées, étant la substitution de la
base aqueuse à la base de pétrole, un dossier complet
des données n'était pas nécessaire pour l'enregistre-
ment du Busan 30WB.
J'ai quelques réserves au sujet de cet argument. Il
est constant que faute de données scientifiques et
techniques complètes, il n'y avait jamais eu une éva-
luation complète du TCMTB, telle que la prévoit le
guide, au moment où l'intervenante demanda l'enre-
gistrement du Busan 30WB. Donc, à supposer que le
TCMTB soit le seul ingrédient actif du Busan 30WB,
on pourrait faire valoir que puisqu'il n'y avait aucun
nouvel ingrédient actif, une évaluation complète
n'était pas nécessaire. Si cet argument devait être
accepté, ce serait uniquement à titre d'argutie qui
serait certainement contraire à l'objet de la Loi, puis-
qu'il permettrait l'enregistrement d'un produit antipa-
rasitaire dont l'ingrédient actif n'avait pas été conve-
nablement évalué sur le plan de l'efficacité et de
l'innocuité.
Cependant, je n'estime pas nécessaire de poursui-
vre dans cette voie, vu la conclusion à laquelle je suis
parvenu au sujet de l'engagement pris par Agriculture
Canada dans sa brochure Les pesticides en perspec
tive:
La Loi sur les produits antiparasitaires régit la vente et l'uti-
lisation de tous les pesticides et permet à Agriculture Canada
d'en assurer l'efficacité et l'innocuité avant leur mise en mar
ché. Santé et Bien-être Canada, Environnement Canada,
Pêches et Océans Canada ainsi que les ministères provinciaux
équivalents participent aux prises de décision.
(Dossier des requérants, à la page 80)
Pour l'avocate des requérants, ce document met en
jeu la doctrine de l'attente légitime ou raisonnable.
Cette doctrine est évoquée par le juge Hugessen, de
la Cour d'appel fédérale dans Bendahmane c.
Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration),
[1989] 3 C.F. 16, (C.A.), aux pages 31 et 32, en ces
termes:
Le principe applicable est parfois énoncé sous la rubrique
«expectative raisonnable» ou «expectative légitime». Il a une
importante histoire dans le droit administratif, et le Conseil
privé l'a énoncé avec fermeté dans l'affaire Attorney -General
of Hong Kong v. Ng Yuen Shiu [[1983] 2 A.C. 629 (P.C.)].
Dans cette affaire, Ng était un immigrant illégal ayant gagné
Hong Kong à partir de Macao comme plusieurs milliers
d'autres. Le gouvernement a publiquement promis que chaque
immigrant illégal aurait droit à une entrevue, et que chaque cas
serait traité selon ses propres faits. Malgré cela, Ng, dont le
statut illégal n'était pas contesté, a fait l'objet d'une ordon-
nance d'expulsion sans avoir la possibilité d'expliquer pour-
quoi le pouvoir discrétionnaire devrait être exercé en sa faveur
pour des raisons humanitaires et autres. Le Conseil privé a sta-
tué que, en agissant ainsi, les autorités ont rejeté les expecta-
tives raisonnables de Ng fondées sur les propres déclarations
du gouvernement. Lord Fraser of Tullybelton s'est exprimé en
ces termes (à la page 638):
[TRADUCTION] ... lorsqu'une autorité publique a promis de
suivre une certaine procédure, l'intérêt d'une bonne admi
nistration exige qu'elle agisse équitablement et accomplisse
sa promesse, pourvu que cet accomplissement n'empêche
pas l'exercice de ses fonctions prévues par la loi. Le prin-
cipe se trouve également justifié par l'autre idée que, lors-
que la promesse a été faite, l'autorité doit avoir considéré
que toutes observations de la part des parties intéressées
l'aideraient à s'acquitter de ses fonctions équitablement et,
règle générale, cela est exact.
Leurs Seigneuries estiment que le principe selon lequel
une autorité publique est liée par ses engagements quant à la
procédure qu'elle va suivre, pourvu qu'ils ne soient pas
incompatibles avec ses fonctions, s'applique à l'engagement
que le gouvernement de Hong Kong a donné au requérant,
et à d'autres immigrants illégaux venant de Macao, lors de
l'annonce faite à l'extérieur de la résidence du gouverneur
le 28 octobre, savoir que chaque cas serait examiné selon
ses propres faits.
À mon avis, l'avocate des requérants a invoqué à
juste titre cette doctrine en l'espèce. L'engagement
pris par Agriculture Canada de faire participer Santé
et Bien-être Canada aux décisions pour garantir l'in-
nocuité et l'efficacité d'un pesticide donné avant
qu'Agriculture Canada n'en autorise la mise en mar
ché a créé chez les requérants l'attente légitime ou
raisonnable que cette procédure serait suivie. Une
simple invitation faite à Santé et Bien-être Canada de
donner son avis n'équivaut pas à l'observation de cet
engagement en matière de procédure. À mon avis,
Agriculture Canada a décidé à juste titre que l'avis de
Santé et Bien-être Canada était nécessaire mais, en
enregistrant le pesticide sans avoir pris cet avis en
considération, l'intimé ministère de l'Agriculture du
Canada a frustré l'attente raisonnable des requérants
que Santé et Bien-être Canada participerait à la prise
de décision.
Les requérants ayant été frustrés dans leur attente
raisonnable ou légitime que Santé et Bien-être
Canada participerait à la prise de décision, le ministre
a excédé ses pouvoirs ou sa compétence en registrant
le Busan 3OWB sans la participation de ce dernier
Ministère.
Il s'ensuit qu'il y a lieu à ordonnance de certiorari
pour annuler cet enregistrement.
Le certificat d'enregistrement du Busan 30WB a
été signé par Mondor le 19 octobre 1988, et on note,
sur la demande d'enregistrement du 29 mars 1985 qui
constitue manifestement le certificat, l'inscription
suivante:
[TRADUCTION] Le présent certificat est valide pour la période
d'enregistrement qui prend fin le 31 décembre 1990/95.
Je ne sais pas si cette mention signifie une proro-
gation de l'enregistrement initial qui devait expirer le
31 décembre 1990, ou si on avait envisagé l'expira-
tion pour le 31 décembre 1985 au-delà des données à
l'appui de l'enregistrement du 19 octobre 1988.
Je présumerai qu'il s'agit là d'une prorogation du
certificat d'enregistrement du 19 octobre 1988 et,
ayant conclu que ce certificat devrait être annulé par
les motifs ci-dessus, je conclus que toute prorogation
de ce certificat doit être aussi annulé.
Les requérants auront droit à leurs dépens.
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