T-940-89
Canastrand Industries Ltd. (demanderesse)
c.
Le navire «Lara S», sa cargaison et ses
propriétaires Armadaores Lara S.A., Lucky Star
Shipping S.A. et Kimberly Navigation Company
Limited faisant affaire sous la raison sociale de
Kimberly Line, Byzantine Maritime Corp. et
toutes les autres personnes ayant un droit sur le
navire «Lara S» et Kim -Sail Ltd. (défendeurs)
RÉPERTORIA' CANASTRAND INDUSTRIES LTD. C. LARA S (LE)
Section de première instance, juge Reed—Vancouver,
11 et 14 mai 1992.
Droit maritime — Pratique — Appel d'une ordonnance por-
tant suspension des procédures en attendant que la demande-
resse décide de poursuivre son action au Canada ou devant
les tribunaux grecs — L'action intentée devant la Cour fédé-
rale porte sur des avaries causées à la cargaison au cours
d'un transport par mer — La demanderesse a fait saisir le
navire en Grèce lorsqu'elle a appris que son propriétaire avait
l'intention de le vendre — Le navire était le seul actif de la
défenderesse — Il n'est pas dans l'Kintérêt de la justice» (art.
50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale) que les procédures
soient suspendues — La nécessité d'une garantie au moyen
d'une poursuite contre le navire découle de l'éventualité d'une
vente — Les défendeurs n'ont pas établi les faits suivants: 1) le
navire ne pourrait maintenant être saisi dans les eaux cana-
diennes; 2) l'action intentée en Grèce est une tentative de con-
tourner les exigences du droit maritime canadien; 3) la deman-
deresse a fait remarquer qu'elle ne poursuivrait pas le navire
— La suspension causerait une injustice à la demanderesse
parce que cela signifierait une perte de garantie — Permettre
à l'action de suivre son cours sans exiger un choix ne consti-
tuerait pas une injustice pour les défendeurs — L'action inten-
tée devant le tribunal grec ne fait pas double emploi puis-
qu'elle ne vise qu'à assurer la garantie du paiement du
montant éventuellement adjugé par un jugement de la Cour
fédérale — L'omission de faire saisir le navire plus tôt ne cau-
serait pas une injustice aux défendeurs.
Appel est interjeté de la décision par laquelle le protonotaire
en chef a suspendu les procédures jusqu'à ce que la demande-
resse ait décidé de poursuivre son action ou bien devant cette
Cour ou bien devant les tribunaux grecs. La demanderesse était
propriétaire d'une cargaison de ficelle d'emballage, qui avait
été avariée au cours de son transport par mer entre le Brésil et
Toronto. Des actes de procédures ont été déposés, des docu
ments ont été échangés, et des interrogatoires préalables et
d'autres procédures préalables à l'instruction ont eu lieu par la
suite. Lorsque la demanderesse a appris que la défenderesse
Armadaores Lara S.A. avait l'intention de vendre le navire
Lara S, son seul actif connu, la demanderesse a fait saisir le
navire en Grèce. La demanderesse soutient que la suspension
devrait être annulée parce que l'action intentée devant les tri-
bunaux grecs ne fait pas double emploi avec les présentes pro-
cédures et ne vise qu'à assurer la garantie du paiement du mon-
tant adjugé par un jugement que cette Cour pourrait rendre,
qu'une suspension lui causerait un préjudice substantiel et que
permettre à l'action dont est saisie cette Cour de suivre son
cours sans exiger un choix n'entraînerait pas d'injustice à
l'égard des défendeurs. Ceux-ci font valoir que la décision de
suspendre les procédures ne reposait pas sur un chevauchement
possible des procédures (alinéa 50(1)a) de la Loi sur la Cour
fédérale), mais sur le motif que, en l'espèce, «l'intérêt de la
justice l'exige» (alinéa 50(1)b)). Ils prétendent qu'il est dans
l'intérêt de la justice que les procédures soient suspendues
parce que la demanderesse n'a pas fait de démarche pour saisir
le navire lorsqu'il se trouvait dans des ports canadiens, et qu'il
est maintenant trop tard pour le faire parce que le délai d'un an
a expiré. Il est allégué que la vente s'effectuait dans le cours
ordinaire des affaires et que la demanderesse a commis un abus
en intentant une action qui faisait obstacle à cette opération
lorsqu'aucune tentative n'a été faite pour faire saisir le navire
plus tôt.
Jugement: l'appel devrait être accueilli.
Les arguments invoqués par les défendeurs n'étayent pas
une décision selon laquelle il est dans l'intérêt de la justice que
les procédures soient suspendues. 1) Tant que le navire appar-
tient à la défenderesse Armadaores Lara S.A. et que celle-ci est
une partie défenderesse active dans la présente action, la
demanderesse pourrait ne pas avoir à obtenir une garantie pour
son action en poursuivant directement le navire. Mais une fois
que la demanderesse a appris qu'Armadaores Lara S.A. voulait
vendre son seul actif, la situation a changé. 2) Il n'existe
aucune jurisprudence qui étaye l'idée que si le navire se trou-
vait dans les eaux canadiennes, il ne pourrait maintenant être
saisi. 3) L'action en Grèce n'est pas une tentative de contour-
ner les exigences du droit maritime canadien. 4) L'avocat de la
demanderesse n'a pas fait valoir que son client ne poursuivrait
pas le navire lui-même.
Le critère permettant de déterminer quand il y a lieu d'ac-
corder une suspension d'instance est énoncé dans l'affaire Pli-
brico (Canada) Ltd. c. Combustion Engineering Canada Inc.
(1990), 30 C.P.R. (3d) 312 (C.F. lie inst.). Une suspension ne
devrait pas être accordée à moins que la poursuite de l'action
ne cause un préjudice à la défenderesse ou représente une
injustice à son égard et que la suspension ne représente une
injustice à l'égard de la demanderesse. Une ordonnance portant
suspension des procédures jusqu'à ce qu'un choix ait été fait
causerait un préjudice substantiel à la demanderesse. Si on
choisissait d'agir au Canada, les «mesures conservatoires»
obtenues des tribunaux grecs devraient être abandonnées, et,
sans ces mesures, un jugement rendu par cette Cour pourrait
n'être qu'un jugement sur papier.
Les défendeurs ne subiraient pas de préjudice par suite des
deux actions puisqu'il ressort de la preuve que la demande-
resse n'a pas l'intention de contraindre les défendeurs à répon-
dre deux fois à l'égard des questions de fond. L'omission par
la demanderesse de faire saisir le navire auparavant ne cause
pas d'injustice aux défendeurs.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art.
50(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Plibrico (Canada) Ltd. c. Combustion Engineering
Canada Inc. (1990), 30 C.P.R. (3d) 312; 32 F.T.R. 30
(C.F. 1*e inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Le Jala Godavari c. Canada, A-112-91, juge Hugessen,
J.C.A., jugement en date du 18-10-91, C.A.F., encore iné-
dit; Atlantic Lines & Navigation Company Inc. c. Navire
«Didymi», [1985] 1 C.F. 240 (ITe inst.); The Hartlepool
(1950), 84 LI.L.Rep. 145 (Adm. Div.); The Soya Marga-
reta, [1960] 2 All E.R. 756 (P.D.A.); Aetna Financial Ser
vices Ltd. c. Feigelman et autres, [1985] 1 R.C.S. 2;
(1985), 15 D.L.R. (4th) 161; [1985] 2 W.W.R. 97; 32
Man.R. (2d) 241; 29 B.L.R. 5; 55 C.B.R. (N.S.) 1; 4
C.P.R. (3d) 145; 56 N.R. 241; Nisshin Kisen Kaisha Ltd.
c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du
Canada, [1981] 1 C.F. 293; (1980), 111 D.L.R. (3d) 360
Ore inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
The Vasso (formerly Andria), [1984] 1 Lloyd's Rep. 235
(C.A.).
APPEL d'une décision de suspension d'instance.
Appel accueilli.
AVOCATS:
Christopher J. Giaschi pour la demanderesse.
Richard L. Desgagnés pour les défendeurs.
PROCUREURS:
McEwen, Schmitt & Co., Vancouver, pour la
demanderesse.
Ogilvy Renault, Montréal, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version francaise des motifs de
l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: La demanderesse interjette appel de
la décision en date du 24 mars 1992 du protonotaire
en chef portant suspension des procédures en l'espèce
en attendant que la demanderesse décide de poursui-
vre son action ou bien devant cette Cour ou bien
devant les tribunaux grecs.
Il importe tout d'abord de déterminer le statut d'un
affidavit en date du 11 mai 1992 signé par Pierre G.
Côté et qui a été déposé le 11 mai 1992 pour étayer la
position des défendeurs. L'avocat de la demanderesse
soutient que cet affidavit ne devrait pas être accepté
dans les présentes procédures parce que: (1) la preuve
y contenue n'est pas nouvelle—elle était disponible
au moment des procédures devant le protonotaire en
chef—et (2) elle a été déposée si tardivement que
l'avocat de la demanderesse n'a pas eu le temps d'y
répondre d'une manière mûrement réfléchie. L'avo-
cat des défendeurs prétend que le nouvel affidavit
vise à appuyer d'une façon plus complète les rensei-
gnements présentés devant le protonotaire en chef. Il
prétend que cela place la Cour dans une meilleure
position pour examiner la décision du protonotaire
selon le principe énoncé par la Cour d'appel fédérale
dans l'affaire Jala Godavari (Le) c. Canada (A-112-
91, décision rendue le 18 octobre 1991) [aux pages 2
et 3]:
... contrairement à ce que la Section de première instance
([1984] 1 C.F. 856) a exprimé à quelques reprises, le juge saisi
d'un appel d'une décision du protonotaire sur une question
mettant en cause l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire doit
exercer son propre pouvoir discrétionnaire et n'est pas lié par
l'opinion du protonotaire. Il peut, évidemment, choisir d'ac-
corder une importance considérable à l'opinion exprimée par
ce dernier, mais les parties ont droit, en dernière analyse, à
l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge et non d'un
fonctionnaire judiciaire subalterne. La situation est de toute
évidence différente lorsque l'arbitre (qui peut être un protono-
taire) a entendu les témoins et tiré des conclusions de fait fon-
dées sur son évaluation de leur crédibilité (voir Algonquin
Mercantile Corp. v. Dart Industries Canada Ltd., [1988] 2 C.F.
305 (C.A.)).
Je ne trouve pas nécessaire de trancher la question
de savoir si et dans quelles circonstances il convient
de déposer de nouveaux éléments de preuve à l'occa-
sion d'un appel formé contre la décision d'un proto-
notaire. Aux fins de l'espèce, il suffit de dire que, à
mon avis, la demanderesse ne devrait pas se trouver
devant un nouvel affidavit le jour même de l'appel.
Au cas où j'aurais tort en ce qui concerne la pro
duction de nouveaux éléments de preuve, j'ajoute que
je n'interprète pas la lettre du 13 août 1990, y jointe,
de la même façon que l'avocat des défendeurs. J'es-
time que la qualification que l'avocat des défendeurs
cherche à faire de la lettre du 13 août 1990 de l'avo-
cat des demanderesses' est d'une portée trop géné-
rale. L'avocat des défendeurs cherche à qualifier
cette lettre d'observation par les demanderesses selon
laquelle elles ne voulaient pas poursuivre le navire
Lara S. Certes, il existe une certaine ambiguïté dans
la formulation de la lettre; mais je ne l'interprète pas
de cette façon. Il me semble clair que les proprié-
taires du navire Lara S ayant reçu une signification et
que les demanderesses les ayant poursuivis, les autres
défendeurs mentionnés dans la lettre contre qui des
actions n'allaient pas être intentées étaient Lucky Star
Shipping S.A. et Byzantine Maritime Corp. Je n'in-
terpréterais pas la lettre comme exprimant l'intention
de ne pas poursuivre le navire Lara S.
La demanderesse soutient que la décision portant
suspension des présentes procédures devrait être
annulée parce que: (1) l'action devant les tribunaux
grecs ne fait pas double emploi avec la présente
action et ne vise qu'à assurer la garantie du paiement
du montant adjugé par un jugement que cette Cour
peut rendre; (2) la suspension des présentes procé-
dures en attendant que les demanderesses fassent un
choix entre les deux tribunaux causera un préjudice
substantiel à la demanderesse; (3) permettre à l'action
dont est saisie cette Cour de se dérouler sans exiger
un tel choix n'entraînera pas une injustice à l'égard
des défendeurs.
Le critère bien connu permettant de déterminer
quand il faudrait accorder une suspension d'instance
est énoncé par le juge Strayer dans l'affaire Plibrico
(Canada) Ltd. c. Combustion Engineering Canada
Inc. (1990), 30 C.P.R. (3d) 312 (C.F. 1re inst.), à la
page 315:
La jurisprudence précise clairement qu'une suspension ne
devrait pas être accordée aux termes de l'art. 50 de la Loi sur
la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, à moins que l'on
puisse démontrer (1) que la poursuite de l'action va causer un
préjudice à la défenderesse ou représenter une injustice à son
égard (et non seulement causer des désagréments et des frais
supplémentaires) et (2) que la suspension ne représentera pas
une injustice à l'égard de la demanderesse ... Il incombe à la
défenderesse qui demande une suspension d'établir que ces
conditions sont respectées et au juge d'accorder ou de refuser
la suspension.
Antérieurement au 30 avril 1992, il existait deux demande-
resses dans la présente action. À cette date, la seconde deman-
deresse a déposé un désistement.
En l'espèce, l'action quant au fond concerne des
avaries causées à une cargaison de ficelle d'embal-
lage transportée par mer entre le Brésil et Toronto
(Canada). La demanderesse Canastrand Industries
Ltd. était l'acheteuse et la consignataire de la cargai-
son. Les marchandises avariées auraient, prétend-on,
été livrées à la demanderesse en mai 1988. La décla-
ration de la demanderesse a été déposée le 28 avril
1989. Cette déclaration a été signifiée aux proprié-
taires du navire Lara S, Armadaores Lara S.A., et à la
défenderesse la Kimberly Line Navigation Company
Limited. Ils ont déposé une défense le 9 septembre
1990. L'échange des documents, les interrogatoires
préalables et d'autres procédures préalables à l'ins-
truction ont eu lieu par la suite. Le 14 février 1992, le
juge en chef adjoint a tenu une conférence préalable à
l'instruction pour discuter de la date, du délai et du
lieu éventuels de l'audience du procès.
Le 15 janvier 1992, l'avocat de la demanderesse
s'est rendu compte que la défenderesse Armadaores
Lara S.A. voulait vendre le navire Lara S. Compte
tenu des documents versés au dossier, il semble que
le navire Lara S soit le seul actif connu de la défende-
resse Armadaores Lara S.A. L' avocat de la demande-
resse a donc consulté des avocats en Grèce et leur a
donné l'instruction de faire saisir le navire Lara S. Ce
navire était à l'époque en Grèce. L'avocat de la
demanderesse atteste que cette action visait et vise
uniquement à assurer l'existence d'une garantie en
vue de l'exécution d'un jugement qui pourrait être
rendu relativement à l'action concernant la cargaison
dont est saisie cette Cour. L'affidavit de l'avocat de
la demanderesse qui a été déposé en réponse à la
demande présentée par la défenderesse devant le pro-
tonotaire en vue de la suspension des présentes pro-
cédures se lit notamment:
[TRADUCTION] L'instruction de faire saisir le navire «LARA S»
a été donnée en réponse au conseil reçu de Me Voutsinos selon
lequel le navire «LARA S» se trouvait au Pirée et allait être
vendu à une compagnie appelée Ilios Shipping du Pirée
(Grèce). Puisque le navire «LARA S» est le seul actif connu de
la défenderesse Armadaores Lara S.A., sa vente pourrait causer
un sérieux préjudice à la demanderesse au cas où elle aurait
gain de cause dans la présente action.
Une copie d'une lettre jointe à l'affidavit en date
du 26 février 1992 de Johanne Gauthier, qui a été
déposé par les défendeurs pour étayer leur demande
présentée devant le protonotaire en vue d'une suspen
sion d'instance, dit ceci:
['TRADUCTION] ... nous avons parlé à notre avocat en Grèce qui
a donné l'explication suivante:
a) les requérants n'ont pas l'intention de commencer ici une
nouvelle instruction de l'affaire.
b) les requérants, par l'entremise de leurs avocats, deman-
daient seulement des «mesures conservatoires» pour garantir
l'effet du jugement d'un tribunal canadien.
moyens:
1.- interdiction faite au propriétaire de vendre le navire avant
la décision du tribunal canadien, ou
2.- la banque du propriétaire garantisse le montant réclamé.
À l'évidence, le fait pour un demandeur dans une
affaire maritime d'intenter une action devant une ins
tance afin d'assurer la garantie d'une action dont une
autre est saisie n' a rien de foncièrement vexatoire ni
de fâcheux. L'avocat de la demanderesse prétend que
la situation de fait de l'espèce est l'image inversée de
celle de l'affaire Atlantic Lines & Navigation Com
pany Inc. c. Navire «Didymi», [1985] 1 C.F. 240
tire inst.). Cette idée se trouve également étayée par
les décisions The Hartlepool (1950), 84 L1.L.Rep.
145 (Adm. Div.) et The Soya Margareta, [ 1960] 2 All
E.R. 756 (P.D.A.).
L'avocat des défendeurs cherche à distinguer ces
affaires en disant que l'affaire Atlantic Lines & Navi
gation portait sur la question de savoir s'il s'agissait
d'une action dans laquelle la saisie d'un navire avait
à juste titre été pratiquée et que les deux affaires
Hartlepool et Soya Margareta portaient sur des situa
tions où il n'existait dans l'action correspondante
aucune demande in rem. Il s'appuie également sur
l'arrêt Aetna Financial Services Ltd. c. Feigelman et
autres, [1985] 1 R.C.S. 2 pour préconiser l'idée que
saisir l'actif d'un défendeur avant qu'un jugement
n'ait été rendu est une procédure rare et inhabituelle.
Je ne pense pas que les distinctions qu'on cherche à
tirer des affaires maritimes résistent à un examen
rigoureux. L'affaire Atlantic Lines & Navigation
avait trait à une demande de suspension d'instance et,
comme en l'espèce, les défenderesses sollicitaient
une suspension d'instance afin d'éviter de fournir un
cautionnement pour tous dommages-intérêts qui
pourraient en fin de compte être adjugés à l'occasion
du règlement de la question de fond qui sous-tendait
l'action de la demanderesse. Bien que les affaires
Hartlepool et Soya Margareta (et l'affaire Atlantic
Lines & Navigation) puissent porter sur des situations
dans lesquelles des procédures in rem dans l'action
initiale n'étaient pas ou bien possibles ou bien inclu-
ses, je ne pense pas qu'il s'agisse de la seule circons-
tance dans laquelle une action correspondante en cau-
tionnement puisse être intentée. Ces affaires reposent
sur un principe d'une portée plus générale. Pour ce
qui est du recours à la décision Aetna, le droit mari
time connaît depuis longtemps un principe selon
lequel les navires qui, de par leur nature, passent con-
tinuellement de compétence en compétence peuvent
être saisis avant jugement pour garantir l'exécution
des obligations éventuellement dues en ce qui les
concerne.
L'avocat des défendeurs prétend que, en tout état
de cause, la décision du protonotaire en chef ne repo-
sait pas sur un chevauchement possible des procé-
dures devant cette Cour et devant le tribunal grec,
mais plutôt sur le motif que, en l'espèce, [TRADUC-
TION] «l'intérêt de la justice l'exige», c'est-à-dire
qu'il soutient que la décision du protonotaire se fon-
dait sur l'alinéa 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédé-
rale [L.R.C. (1985), ch. F-7], et non sur l'alinéa
50(1)a). Le paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour
fédérale est ainsi rédigé:
50. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les
procédures dans toute affaire:
a) au motif que la demande est en instance devant un autre
tribunal;
b) lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice
l'exige. [Soulignement ajouté.]
Il est allégué que, en l'espèce, il est dans l'intérêt
de la justice que les procédures soient suspendues
parce que la demanderesse n'a pas agi pour faire
valoir plus tôt ses droits in rem contre le navire Lara
S. Il est allégué que le navire s'est trouvé dans des
ports canadiens à plusieurs reprises depuis le com
mencement de l'action et qu'on n'a pas fait de
démarche pour le faire saisir. Il est allégué qu'il ne
pourrait maintenant être saisi s'il se trouvait dans les
eaux canadiennes parce que le délai d'un an a expiré
et que, en tout état de cause, la lettre susmentionnée
envoyée par l'avocat de la demanderesse dit expres-
sément que celle-ci n'avait pas l'intention de poursui-
vre le navire. Il est allégué que la vente du navire
s'effectue au profit d'un tiers acquéreur sans lien de
dépendance, les défendeurs n'ayant nullement l'in-
tention de frustrer les créanciers ni de se soustraire à
un jugement, et qu'il s'agit d'une vente effectuée
dans le cours ordinaire des affaires. Il est allégué que
la demanderesse commet un abus en intentant une
action qui fait obstacle à cette opération lors-
qu'aucune tentative n'a été faite pour faire saisir le
navire plus tôt.
Je ne suis pas persuadée que ces arguments étayent
une décision selon laquelle il est dans l'intérêt de la
justice que les procédures devant cette Cour soient
suspendues. En premier lieu, tant que le navire appar-
tenait à la défenderesse Armadaores Lara S.A. et que
celle-ci était une partie défenderesse active dans la
présente action, la demanderesse pourrait ne pas
envisager la nécessité d'un cautionnement pour son
action en poursuivant directement le navire. On peut
comprendre que cette situation changerait une fois
que la demanderesse aurait appris que Armadaores
Lara S.A. avait l'intention de vendre son seul actif, le
navire. En second lieu, je ne suis pas persuadée que si
le navire se trouvait dans les eaux canadiennes, il ne
pourrait maintenant être saisi. On ne m'a renvoyé à
aucune jurisprudence pour étayer cette idée. En con-
séquence, on ne m'a pas persuadée que l'action en
Grèce est une tentative de contourner les exigences
du droit maritime canadien. De même, comme je l'ai
indiqué, je ne suis pas persuadée que l'avocat de la
demanderesse ait fait remarquer que sa cliente n'avait
nullement l'intention de poursuivre le navire lui-
même.
Pour ce qui est du préjudice respectif que les par
ties peuvent subir, j'accepte l'argument de l'avocat
de la demanderesse selon lequel une ordonnance por-
tant suspension des présentes procédures jusqu'à ce
qu'un choix ait été fait causera un préjudice substan-
tiel à la demanderesse. Si l'on choisissait d'agir au
Canada, cela nécessiterait l'abandon des [TRADUC-
TION] «mesures conservatoires» qui ont été obtenues
d'un tribunal grec. Sans ces mesures, il y a lieu de
craindre qu'un jugement de cette Cour ne soit qu'un
jugement sur papier. Je fais remarquer que si les
défendeurs voulaient assurer la demanderesse que tel
ne serait pas le cas, il leur est toujours loisible de
déposer une garantie au moyen d'un cautionnement
ou d'un autre acte devant cette Cour, à condition que
l'action en Grèce soit abandonnée. Si la demande-
resse devait choisir de poursuivre l'action en Grèce,
le temps et l'argent consacrés aux procédures et à la
préparation préalables à l'instruction devant cette
Cour constitueraient un gaspillage. Qu'une action sur
le fond puisse en fait, à ce stade, se dérouler en Grèce
est une question sur laquelle je ne me prononce pas
puisqu'il s'agit d'une question mettant en cause le
droit grec sur lequel je ne dispose pas de témoignage
d'expert.
En ce qui concerne le préjudice éventuellement
causé aux défendeurs, compte tenu de la preuve
solide et sans équivoque selon laquelle la demande-
resse n'a nullement l'intention d'intenter des actions
qui font double emploi ni de contraindre les défen-
deurs à répondre deux fois à l'égard des questions de
fond en cause, il est difficile de voir comment un pré-
judice découlerait de deux procédures. Pour ce qui est
de l'action intentée en Grèce et qui a pour consé-
quence d'empêcher la vente du navire, l'avocat de la
demanderesse fait valoir que la demande de sa cliente
constituerait en tout état de cause un privilège mari
time sur le navire et deviendrait donc, à un stade, une
pomme de discorde entre le vendeur et l'acheteur
indépendamment de la question de savoir si le navire
faisait ou non l'objet de mesures conservatoires en
Grèce. Il soutient que c'est là un principe général de
droit maritime. Que ce soit le cas ou non, je ne suis
simplement pas convaincue que l'omission par la
demanderesse de faire saisir le navire auparavant soit
une circonstance dont on peut dire qu'elle fait subir
une injustice aux défendeurs. Il ne s'agit pas d'une
décision telle que celle rendue dans l'affaire The
Vasso (formerly Andria), [1984] 1 Lloyd's Rep. 235
(C.A.) que l'avocat des défendeurs a citée. Il s'agis-
sait d'une affaire où les demandeurs avaient obtenu
un mandat de saisie sans qu'il y eût divulgation com-
plète, où la délivrance du mandat n'avait pas été
divulguée aux propriétaires du navire qui entamaient
des négociations de bonne foi concernant la demande
et où les brefs n'avaient pas été signifiés avant que le
navire ne se trouvât aux mains d'un tiers.
Le protonotaire en chef a cité la décision rendue
dans l'affaire Nisshin Kisen Kaisha Ltd. c. La Com-
pagnie des chemins de fer nationaux du Canada,
[1981] 1 C.F. 293 (ire inst.), à la page 301. Le prin-
cipe dont il a fait mention dans cette citation se rap-
porte au pouvoir de la Cour d'imposer à une personne
plaidant devant elle de ne pas plaider la même cause
d'action ou question devant un autre tribunal. Il s'agit
indubitablement d'un énoncé exact du droit. Je ne
suis toutefois pas persuadée que, en appliquant ce
principe, le protonotaire ait examiné les critères
appropriés pour déterminer si une telle ordonnance
devrait être rendue en l'espèce.
Je ne saurais conclure que les faits de l'espèce jus-
tifient l'octroi d'une suspension d'instance. Les deux
actions ne mettront pas les défendeurs dans l'obliga-
tion de répondre deux fois devant deux tribunaux dif-
férents à l'égard de la même preuve et des mêmes
procédures. La demanderesse subira un préjudice
important en devant choisir de renoncer à l'une ou à
l'autre des actions. On ne saurait qualifier d'injustice
la conséquence du fait pour les défendeurs de permet-
tre à la demanderesse de maintenir les deux actions.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.