A-421-91
A-422-91
A-423-91
A-424-91
Munsingwear Inc. (appelante)
c.
Prouvost S.A. (intimée)
RÉPERTORIÉ.' PROUVOST SA. C. MUNSINCWEAR INC. (CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, MacGuigan et Décary,
J.C.A.—Montréal, 4 mars; Ottawa, 31 mars 1992.
Marques de commerce — Pratique — Rôle du protonotaire
en chef et du juge de première instance dans l'octroi à l'avance
de la permission, dans le cadre d'un appel formé contre une
décision du registraire, de produire tardivement des affidavits
qui ne sont pas joints à l'avis de requête — Le juge de pre-
mière instance doit exercer sa propre discrétion — Critère de
l'autorisation d'une production tardive en vertu de la Règle
704(8) — Procédure de la production tardive — Contenu des
avis de requête.
Au cours d'un appel formé contre le rejet par le registraire
des demandes présentées par l'intimée en vue de l'enregistre-
ment de «Pingouin», le juge de première instance a confirmé
les ordonnances par lesquelles le protonotaire en chef avait
accordé, à l'avance, la permission de produire tardivement cer-
tains affidavits qui n'étaient pas joints aux avis de requête. Il a
décidé que l'intimée n'avait pas réussi à prouver que le proto-
notaire en chef avait exercé sa discrétion en s'appuyant sur un
principe erroné ou sur une fausse interprétation des faits.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Les ordonnances du juge de première instance sont manifes-
tement mal fondées, bien qu'elles s'appuient sur la pratique
jusque-là suivie. La Cour d'appel a depuis décidé qu'un juge
qui siège en appel d'une décision discrétionnaire rendue par un
protonotaire doit exercer sa propre discrétion. Or, ce n'est pas
exercer soi-même sa discrétion que de se contenter de s'en
remettre à celle exercée par le protonotaire en chef.
Avant de permettre une production tardive en vertu de la
Règle 704(8) de la Cour fédérale, la Cour doit examiner les
raisons invoquées pour justifier le retard et la valeur intrin-
sèque des affidavits, c'est-à-dire leur pertinence, leur recevabi-
lité et leur utilité éventuelle pour la Cour. La détermination de
la «valeur intrinsèque» d'un affidavit suppose, règle générale,
que cet affidavit soit joint à l'avis de requête, ce qui donne à la
Cour la possibilité de l'examiner et à la partie adverse, la pos-
sibilité d'en contester la production. Le paragraphe 56(5) de la
Loi sur les marques de commerce permet d'«apporter» une
preuve additionnelle, et la Règle 704(8) exige la permission de
«déposer» un affidavit tardif. Ces dispositions font état du
dépôt d'un document qui se trouve physiquement devant la
Cour et qui est en état d'être déposé formellement dès que la
requête est accueillie. De même, une partie ne saurait se trou-
ver en meilleure posture quand les allégations de valeur intrin-
sèque ne peuvent être vérifiées que quand elles le peuvent. Une
telle approche inviterait à la multiplicité des procédures. La
procédure appropriée consisterait à prévenir la partie adverse
lorsqu'une demande de prorogation du délai imparti pour
déposer les affidavits sera nécessaire.
Dans des circonstances spéciales, une partie peut demander
à la Cour, en vertu de la Règle 3(1)c), la permission de proro-
ger les délais de présentation d'un avis de requête pour la pro
duction tardive d'affidavits. Dans ces cas, l'avis de requête doit
exposer les raisons du retard, l'objet des affidavits qui seraient
déposés et l'usage probable qu'en ferait la Cour, ou les raisons
pour lesquelles la partie requérante ne peut exposer cet objet et
cet usage.
En l'espèce, l'intimée n'a démontré aucune circonstance
exceptionnelle qui justifierait une dérogation à la règle géné-
rale, et les avis de requête étaient prématurés. De plus, les avis
de requête étaient insuffisants puisqu'ils n'ont pas précisé la
nature de la preuve. La Cour ne saurait émettre un chèque en
«blanc» en vue de la production d'une «preuve complémen-
taire».
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T
13, art. 56.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 3,
704.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Maxim's Ltd. c. Maxim 's Bakery Ltd. (1990), 32 C.P.R.
(3d) 240; 37 F.T.R. 199 (C.F. Ire inst.); DRG Incorpora
ted c. Datafele Ltd. (1987), 17 C.I.P.R. 126; 16 C.P.R.
(3d) 155; 14 F.T.R. 219 (C.F. lre inst.); Andres Wines Ltd.
c. Canadian Marketing International Ltd. (1986), 9
C.P.R. (3d) 540; 2 F.T.R. 292 (C.F. 1« inst.).
DÉCISION NON SUIVIE:
Fashion Accessories c. Segal's (Michael) Inc., [1972]
C.F. 53; (1972), 5 C.P.R. (2d) 204 (1« inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Jala Godavari (Le) c. Canada, A-112-91, juge Hugessen,
J.C.A., jugement en date du 18-10-91, C.A.F., encore iné-
dit; McDonald's Corp. c. Silcorp Ltd./Silcorp Liée (1987),
16 C.I.P.R. 107; 17 C.P.R. (3d) 478 (C.F. 1« inst.); India-
napolis Colts Inc. c. Forzani's Locker Room Ltd. (1987),
14 C.I.P.R. 77; 15 C.P.R. (3d) 283 (C.F. Ire inst.);
Laflamme Fourrures (Trois-Rivières) Inc. et autres c.
Laflamme Fourrures Inc. (1986), 8 C.P.R. (3d) 315; 3
F.T.R. 48 (C.F. 1 re inst.).
APPEL de l'ordonnance du juge de première ins
tance confirmant les ordonnances du protonotaire en
chef permettant à l'avance la production tardive d'af-
fidavits qui ne sont pas joints aux avis de requête.
Appel accueilli.
AVOCATS:
Timothy J. Sinnott pour l'appelante.
Jacques Léger et Brigitte Dufour pour l'intimée.
PROCUREURS:
Rogers, Bereskin & Parr, Toronto, pour l'appe-
lante.
Léger, Robic, Richard, Montréal, pour l'intimée.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: Ces appels soulèvent la
question du pouvoir du protonotaire en chef puis,
éventuellement, du juge de première instance, de per-
mettre à l'avance, dans le cadre d'un appel d'une
décision du registraire des marques de commerce, la
production tardive d'affidavits qui ne sont pas joints
à l'avis de requête en prolongation de délai.
L'intimée, une société anonyme française (ci-après
«Prouvost»), avait demandé l'enregistrement de
diverses marques «Pingouin» sous forme nominale
ou graphique. Se rendant en partie à l'opposition de
l'appelante, une société américaine (ci-après «Mun-
singwear»), le registraire, le 31 décembre 1990, reje-
tait relativement à certaines marchandises les quatre
demandes d'enregistrement.
Le 22 février 1991, soit à l'intérieur du délai de
deux mois imparti par le paragraphe 56(1) de la Loi
sur les marques de commerce, L.R.C. (1985),
ch. T-13 (ci-après «la Loi»), Prouvost déposait quatre
avis d'appel à l'encontre de ces décisions.
Le 6 mars 1991, soit à l'intérieur du délai de
quinze jours que la Règle 704(3) des Règles de la
Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] donne à une appe-
lante pour déposer les affidavits qu'elle entend sou-
mettre à la Cour pour les fins de l'appel, Prouvost
déposait au greffe, dans chacun des quatre appels, un
avis de requête aux fins «d'obtenir ... une ordon-
nance prorogeant au 13 mai le délai imparti ... pour
produire preuve complémentaire». Prouvost, comme
c'était son droit, n'avait déposé aucune preuve devant
le registraire et voulait se prévaloir du paragraphe
56(5) de la Loi qui permet à une partie d'apporter,
lors de l'appel, «une preuve en plus de celle qui a été
fournie devant le registraire».
L'avis de requête ne précisait pas quelle était cette
«preuve complémentaire» dont Prouvost entendait se
servir et il faut lire le paragraphe 4 de l'affidavit Car-
rière, joint à l'avis, pour avoir une meilleure idée des
intentions de Prouvost. Ce paragraphe se lit ainsi:
4. La nature des allégués de la déclaration d'opposition de
même que les motifs de la décision a quo du registraire forcent
l'appelante Prouvost S.A. à produire preuve complémentaire
au soutien de son appel, laquelle devrait consister, entre autres,
dans les affidavits d'un représentant français de l'appelante
Prouvost S.A., d'un représentant du distributeur canadien de
celle-ci, d'un expert en communication graphique de même
que d'un expert en vente au détail pour les aspects de merca-
tique et de marchandisage de cette affaire.
Les motifs de retard allégués dans l'affidavit Car-
rière étaient, notamment, «les instructions tardives de
former appel et le trop court délai imparti par les
Règles pour produire preuve complémentaire», la
«structure très hiérarchisée de (Prouvost)», le fait que
l'appel soit lié à d'autres procédures entre les mêmes
parties, le fait que les instructions des procureurs de
Prouvost «proviennent d'un Cabinet parisien ... par
lequel doivent transiter toutes les communications»,
le fait que les procureurs de Prouvost doivent com-
muniquer avec le représentant du distributeur local
pour obtenir de l'information, lequel représentant
revient d'un séjour de quinze mois en France et devra
«remettre à jour ses dossiers pour fins de souscrire
son affidavit».
Le 25 mars 1991, le protonotaire en chef accueil-
lait les quatre requêtes. Le 29 avril 1991, le juge de
première instance confirmait les ordonnances du pro-
tonotaire en chef [T-456-91, juge Denault]. Je revien-
drai plus loin sur ces décisions, mais il est important,
pour bien comprendre ce qui va suivre, de décrire le
périple de cette «preuve complémentaire» que Prou-
vost, au fil des mois, parvint tant bien que mal à col-
liger.
Le 6 mars 1991, Prouvost signifie à Munsingwear
les avis de requête pour extension des délais, accom-
pagnes de l'affidavit Carrière. La date de présentation
est le 11 mars 1991.
Le 7 mars 1991, M. Gilles Robert, graphiste pro-
fessionnel, souscrit un affidavit. Il s'agit là de l'affi-
davit annoncé dans l'affidavit Carrière comme étant
celui «d'un expert en communication graphique». Cet
affidavit est envoyé le jour même à Munsingwear.
Le 11 mars 1991, l'audition des requêtes est repor-
tée au 25 mars 1991, à la demande de Munsingwear.
Le 18 mars 1991, Munsingwear informe Prouvost,
par courrier électronique, qu'elle considère les avis
de requête prématurés puisque les affidavits dont elle
recherche la production ne sont pas devant la Cour et
qu'il est par conséquent impossible d'en vérifier [TRA-
DUCTION] «la nature, la recevabilité et la pertinence».
Le 21 mars 1991, M. Alain François, directeur
général d'une entreprise canadienne associée à Prou-
vost, souscrit un affidavit. Il s'agit là de l'affidavit
annoncé dans l'affidavit Carrière comme étant celui
«d'un représentant du distributeur canadien» de Prou-
vost. Le 25 mars 1991, juste avant l'audition des
requêtes, Prouvost signifie cet affidavit à Mun-
singwear.
Le 25 mars 1991, le protonotaire en chef accueille
les requêtes, dans les termes suivants:
Après avoir écouté l'argumentation des deux procureurs,
être intervenu dans le débat pour un meilleur éclairage, lu les
pièces au dossier et plus spécialement l'affidavit de Laurent
Carrière; après avoir considéré la Règle 704(8) et référé à la
jurisprudence; dans ce cas particulier, je considère suffisante la
preuve mise devant moi; il est dans l'intérêt de la justice que le
délai raisonnable qui est demandé soit accordé, en raison des
circonstances; plus spécialement le pays d'origine de l'Appe-
lante, la façon d'y traiter les affaires, l'importance et l'ampleur
de l'entreprise, la structure et les communications consé-
quentes; bref un mode différent du mode nord-américain.
Requête accordée. Frais à suivre.
Le 29 avril 1991, le juge de première instance
rejette l'appel et confirme en ces mots les ordon-
nances du protonotaire en chef:
Pour les motifs prononcés à l'issue de l'audience, la Cour
n'est pas convaincue que l'intimée a réussi à prouver que le
protonotaire en chef a exercé sa discrétion en s'appuyant sur
un principe erroné ou sur une fause interprétation des faits.
La demande est rejetée, les dépens suivront l'issue de l'ins-
tance principale.
Le 10 mai 1991, M. Allan Booth, recherchiste en
marques de commerce, souscrit un affidavit, qui est
déposé au greffe de la Cour le 13 mai 1991, date
limite du délai accordé à Prouvost. Cet affidavit ne
faisait pas partie du dossier devant le juge de pre-
mière instance et n'a donc pas sa place dans le dos
sier qui est devant nous.
Le quatrième et dernier affidavit annoncé dans
l'affidavit Carrière, soit celui «d'un représentant fran-
çais» de Prouvost, n'a pas vu le jour.
Les ordonnances du juge de première instance sont
manifestement mal fondées, encore qu'elles s'ap-
puyaient à l'époque sur la pratique jusque-là suivie,
car cette Cour a, depuis, décidé qu'un juge qui siège
en appel d'une décision discrétionnaire rendue par un
protonotaire n'est en aucune manière lié par l'opinion
de ce dernier et doit au contraire exercer lui-même sa
propre discrétions. Or, ce n'est pas exercer soi-même
sa discrétion que de se contenter de déférer, comme
l'a fait le juge en l'espèce, à celle exercée par le pro-
tonotaire en chef.
Les ordonnances dont appel étant viciées à leur
face même, cette Cour doit, en l'espèce, exercer la
discrétion que le juge de première instance n'a pas
exercée, sans obligation aucune de déférence à l'opi-
nion du protonotaire en chef.
Une partie qui demande à la Cour la permission de
produire un document hors délai en vertu de la Règle
704(8) doit satisfaire ce test que le juge Strayer, dans
Maxim's Ltd. c. Maxim's Bakery Ltd. (1990), 32
C.P.R. (3d) 240 (C.F. lre inst.), à la page 242, a
défini comme suit:
Il ressort nettement de la jurisprudence que, lorsque la Cour
étudie une demande de prorogation de délai, en conformité
avec la Règle 704(8), elle doit tenir compte à la fois des rai-
sons invoquées pour justifier le retard et de la valeur intrin-
sèque des affidavits (c'-à-d. de leur pertinence, de leur receva-
bilité, de leur utilité éventuelle pour la Cour). Le tribunal a
déclaré dans certains précédents qu'il fallait apprécier ensem
ble les deux facteurs: voir p. ex. McDonald's Corp. c. Silcorp
Ltd./Silcorp Ltée (1987), 17 C.P.R. (3d) 478, aux p. 479 et 480,
16 C.I.P.R. 107 (C.F. Ire inst.); Joseph E. Seagram & Sons c.
Canada (Registraire des marques de commerce) (1988), 23
C.P.R. (3d) 283, à la p. 284, 13 A.C.W.S. (3d) 36 (C.F. lre
inst.). Estimant qu'il s'agit de la méthode qui convient en l'es-
pèce, je conclus qu'elle signifie qu'il faut peser l'importance
Jasa Godavari (Le) c. Canada, juge Hugessen, J.C.A.,
jugement en date du 18-10-9I, encore inédit.
du retard par rapport à la valeur possible des affidavits et que
l'un de ces deux facteurs peut l'emporter sur l'autre.
et que le juge McNair, dans DRG Incorporated c.
Datafile Ltd. (1987), 17 C.I.P.R. 126 (C.F. lre inst.),
à la page 132, décrivait ainsi:
La Règle 704 décrit d'une manière générale une procédure
sommaire applicable en matière de marques de commerce, pro-
cédure selon laquelle chaque partie est tenue de déposer ses
affidavits à un moment déterminé et prévoyant que ce n'est
que dans des cas exceptionnels que des affidavits additionnels
peuvent être déposés après le délai imparti; dans de tels cas,
une explication valable doit être fournie pour justifier le retard
et il faut prouver que les faits contenus dans les affidavits sont
nécessaires pour permettre à la Cour de se prononcer sur le
litige: Voir Hiram Walker—Consumers Home Ltd. c. Consu
mers Distributing Co. (1981), 58 C.P.R. (2d) 40 (C.F. Ire
inst.); Bell & Arkin c. Coronation Knitting Mills Can. Ltd.
(1986), 9 C.1.P.R. 81, 10 C.P.R. (3d) 279 (C.F. lie inst.).
La détermination par la Cour de la «valeur intrin-
sèque» d'un affidavit suppose, règle générale, et c'est
là la pratique suivie devant la Section de première
instance et devant le protonotaire, que cet affidavit
soit joint à l'avis de requête, ce qui donne à la Cour
l'opportunité de l'examiner et à la partie adverse,
l'opportunité d'en contester la production. Ainsi que
le notait le juge Joyal dans Andres Wines Ltd. c.
Canadian Marketing International Ltd. (1986), 9
C.P.R. (3d) 540 (C.F. 1re inst.), à la page 544:
La Cour ne doit pas exercer son pouvoir discrétionnaire en
quelque sorte dans l'abstrait.
S'écartant de cette règle générale, Prouvost
demande à la Cour, à l'avance, une extension de délai
pour produire des affidavits qu'elle n'est pas en
mesure de produire à ce stade. J'entretiens des doutes
sérieux sur la validité de cette façon de procéder.
Le paragraphe 56(5) de la Loi permet d'«apporter»
(«adduce») une preuve additionnelle, et la Règle
704(8) exige qu'une partie qui ne se trouve pas à l'in-
térieur du délai demande à la Cour la permission de
«déposer» («file») un affidavit. Ces dispositions me
paraissent référer au dépôt d'un document qui se
trouve physiquement devant la Cour et qui est en état
d'être déposé formellement dès que la requête est
accueillie.
Par ailleurs, sur un plan pratique, comment un juge
peut-il décider de l'opportunité d'étendre les délais
aux fins de produire un affidavit, et comment la par-
tie adverse peut-elle débattre de cette opportunité,
quand le document en question n'est pas devant la
Cour? L'extension de délai aux fins de produire un
affidavit ne saurait être affaire de spéculation. Il serait
à tout le moins paradoxal qu'une partie ne puisse pro-
duire un affidavit qui se trouve devant la Cour sans
que le juge en détermine la valeur intrinsèque, mais
qu'elle puisse obtenir à l'avance la permission de
produire un affidavit qui ne peut être examiné par la
Cour. Une partie ne saurait se trouver en meilleure
posture quand ses allégations de valeur intrinsèque ne
peuvent être vérifiées, que quand elles le peuvent.
L'approche proposée par Prouvost ouvre la porte à
des abus de toutes sortes et invite la multiplication
des procédures, dans un domaine, par surcroît, qui se
veut sommaire et expéditif 2 . La procédure appropriée
serait que la partie qui se trouve dans l'impossibilité
de déposer ses affidavits en temps utile en informe la
partie adverse et prévienne celle-ci qu'elle présentera
ultérieurement une demande d'extension de délai,
quand les affidavits seront disponibles 3 .
Je n'écarte pas la possibilité, dans des circons-
tances spéciales, qu'une partie demande à la Cour, en
vertu de la Règle 3(l)c), la permission d'étendre les
délais de présentation d'un avis de requête pour pro
duction tardive d'affidavits 4 . La Cour, dans ces cas,
devra se montrer particulièrement rigoureuse et exi-
ger que l'avis de requête pour permission d'étendre
les délais expose, outre les raisons du retard, l'objet
des affidavits qui seraient éventuellement déposés et
l'usage probable qu'en ferait la Cour et, dans l'hypo-
thèse où il serait impossible à la partie requérante
d'exposer cet objet et cet usage, les raisons de cette
incapacités.
2 Voir McDonald'.s Corp. c. Silcorp Ltd./Silcorp Liée (1987),
16 C.I.P.R. 107 (C.F. Ire inst.), aux p. 108 et 109; Andres
Wines Ltd. c. Canadian Marketing International Ltd., supra, à
la p. 545.
3 Voir Indianapolis Colts Inc. c. Forzani's Locker Room Ltd.
(1987), 14 C.I.P.R. 77 (C.F. Ire inst.), à la p. 79.
4 Laflamme Fourrures (Trois-Rivières) Inc. et autres c.
Laflamme Fourrures Inc. (1986), 8 C.P.R. (3d) 315 (C.F. ire
inst.).
5 Dans Fashion Accessories c. Segal's (Michael) Inc.,
[1972] C.F. 53, un juge de la Section de première instance de
cette Cour a permis la production de deux affidavits qui étaient
en possession de la partie requérante et avaient été remis à la
partie adverse, mais qui n'étaient pas devant la Cour. Le juge
s'était dit incapable de se prononcer «sur leur pertinence ou
leur admissibilité» (à la p. 59). Dans ces circonstances, je ne
crois pas que cette décision doive être suivie.
En l'espèce, Prouvost n'a démontré aucune cir-
constance exceptionnelle qui justifierait une déroga-
tion à la règle générale, et j'estime que ses avis de
requête étaient prématurés.
Par surcroît, ces avis de requête, tels qu'ils ont été
formulés, ne sont pas susceptibles d'être accueillis
par la Cour, puisqu'ils ne recherchent qu'une exten
sion de délai «pour produire preuve complémen-
taire», sans autres précisions quant à la nature de
celle-ci. Quand bien même j'accepterais de compléter
la conclusion recherchée dans l'avis de requête par
les précisions qu'on retrouve dans l'affidavit Car-
rière, la Cour serait en présence d'avis de requête qui
demandent la permission de produire, «entre autres»,
quatre affidavits. Il n'est pas question que la Cour
émette un tel chèque en blanc.
Cela dit, ce dossier a déjà suffisamment traîné en
longueur et il serait malheureux que les parties se
retrouvent de nouveau devant le protonotaire en chef
à débattre des nouvelles requêtes, non prématurées
celles-là et formulées correctement. Aussi, suis-je
disposé, au nom d'une saine administration de la jus
tice, à considérer les requêtes entendues par le juge
de première instance le 25 avril 1991 comme des
requêtes demandant d'une part la permission de pro-
duire hors délai les affidavits Robert et François qui
se trouvaient alors devant la Cour, et demandant
d'autre part une extension de délai aux fins de pro-
duire deux affidavits qui ne se trouvaient pas devant
la Cour.
Disposons d'abord de ces deux derniers affidavits.
Pour les raisons énoncées plus haut, la Cour n'était
pas en position, faute d'explications dans les avis de
requête, d'en mesurer la valeur intrinsèque. La proro-
gation de délai doit en conséquence être refusée.
L'affidavit Robert a été souscrit le 7 mars 1991,
soit à l'intérieur du délai de quinze jours, et il n'a été
versé au dossier que le 26 mars 1991, soit en dehors
des délais. Rien n'empêchait Prouvost de le produire
en temps utile et aucune raison n'a été donnée qui
justifierait la prorogation du délai. Au surplus, je ne
vois pas comment cet affidavit peut contribuer au sort
du litige. Les demandes relatives à cet affidavit doi-
vent être rejetées.
Il reste l'affidavit François, souscrit le 21 mars
1991. Certaines explications étaient données dans
l'affidavit Carrière quant à sa «valeur intrinsèque» et
Munsingwear reconnaît dans son mémoire que cer-
tains de ses paragraphes sont pertinents. Je suis satis-
fait de la valeur intrinsèque d'à tout le moins une par-
tie de cet affidavit et il ne me reste qu'à vérifier si le
retard encouru est de telle nature que la Cour devrait,
néanmoins, en refuser la production.
Le retard n'est que de deux semaines, ce qui, en
termes de préjudice pour Munsingwear, dans un dos
sier qui dure depuis quelque huit ans, est peu signifi-
catif. Par ailleurs, un des motifs allégués dans l'affi-
davit Carrière, soit le fait que l'affiant revienne d'un
séjour de quinze mois en France et ait eu besoin de
temps pour mettre son dossier à jour, me paraît cons-
tituer une excuse légitime. Je m'empresse d'ajouter
que, contrairement au protonotaire en chef, je ne me
serais pas satisfait, à titre d'excuse, du fait que Prou-
vost, parce qu'elle était une entreprise française,
d'envergure et particulièrement hiérarchisée, aurait
été assujettie à «un mode différent du mode nord-
américain». Les Règles de la Cour s'appliquent de
manière égale aux parties, quelles qu'elles soient et
d'où qu'elles viennent 6 .
J'en arrive donc à la conclusion que la production
hors délai de l'affidavit François devrait être autori-
sée. Cet affidavit, il est vrai, ne me paraît pertinent
qu'en partie, mais cette partie-là mérite d'être retenue
et je ne suis pas disposé à la déterminer moi-même,
préférant laisser au juge du fond cette tâche qu'il
aurait eue de toute façon, car j'estime que l'opinion
du juge, relativement à la valeur intrinsèque de l'affi-
davit dont il autorise la production hors délai, ne lie
pas le juge du fond.
Je serais donc d'avis d'accueillir l'appel en partie,
d'infirmer l'ordonnance prononcée par le juge de
première instance le 29 avril 1991 et, rendant l'or-
donnance qu'aurait dû rendre ce dernier, d'infirmer
la décision rendue par le protonotaire en chef le 25
mars 1991, d'autoriser la production tardive de l'affi-
davit souscrit le 21 mars 1991 par M. Alain François,
et de rejeter à tous autres égards la requête deman-
dant de proroger le délai imparti «pour produire
preuve complémentaire».
6 Maxim's Ltd. c. Maxim's Bakery Ltd., supra, à la p. 243.
Dans les circonstances, même si l'intimée Prouvost
a gain de cause en partie, j'estime qu'elle doit être
condamnée aux entiers dépens devant le protonotaire
en chef, le juge de première instance et cette Cour.
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je suis d'accord.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je suis d'accord.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.