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A-421-91 A-422-91 A-423-91 A-424-91
Munsingwear Inc. (appelante)
c.
Prouvost S.A. (intimée)
RÉPERTORIÉ.' PROUVOST SA. C. MUNSINCWEAR INC. (CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, MacGuigan et Décary, J.C.A.—Montréal, 4 mars; Ottawa, 31 mars 1992.
Marques de commerce Pratique Rôle du protonotaire en chef et du juge de première instance dans l'octroi à l'avance de la permission, dans le cadre d'un appel formé contre une décision du registraire, de produire tardivement des affidavits qui ne sont pas joints à l'avis de requête Le juge de pre- mière instance doit exercer sa propre discrétion Critère de l'autorisation d'une production tardive en vertu de la Règle 704(8) Procédure de la production tardive Contenu des avis de requête.
Au cours d'un appel formé contre le rejet par le registraire des demandes présentées par l'intimée en vue de l'enregistre- ment de «Pingouin», le juge de première instance a confirmé les ordonnances par lesquelles le protonotaire en chef avait accordé, à l'avance, la permission de produire tardivement cer- tains affidavits qui n'étaient pas joints aux avis de requête. Il a décidé que l'intimée n'avait pas réussi à prouver que le proto- notaire en chef avait exercé sa discrétion en s'appuyant sur un principe erroné ou sur une fausse interprétation des faits.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Les ordonnances du juge de première instance sont manifes- tement mal fondées, bien qu'elles s'appuient sur la pratique jusque-là suivie. La Cour d'appel a depuis décidé qu'un juge qui siège en appel d'une décision discrétionnaire rendue par un protonotaire doit exercer sa propre discrétion. Or, ce n'est pas exercer soi-même sa discrétion que de se contenter de s'en remettre à celle exercée par le protonotaire en chef.
Avant de permettre une production tardive en vertu de la Règle 704(8) de la Cour fédérale, la Cour doit examiner les raisons invoquées pour justifier le retard et la valeur intrin- sèque des affidavits, c'est-à-dire leur pertinence, leur recevabi- lité et leur utilité éventuelle pour la Cour. La détermination de la «valeur intrinsèque» d'un affidavit suppose, règle générale, que cet affidavit soit joint à l'avis de requête, ce qui donne à la Cour la possibilité de l'examiner et à la partie adverse, la pos- sibilité d'en contester la production. Le paragraphe 56(5) de la Loi sur les marques de commerce permet d'«apporter» une preuve additionnelle, et la Règle 704(8) exige la permission de «déposer» un affidavit tardif. Ces dispositions font état du dépôt d'un document qui se trouve physiquement devant la Cour et qui est en état d'être déposé formellement dès que la requête est accueillie. De même, une partie ne saurait se trou-
ver en meilleure posture quand les allégations de valeur intrin- sèque ne peuvent être vérifiées que quand elles le peuvent. Une telle approche inviterait à la multiplicité des procédures. La procédure appropriée consisterait à prévenir la partie adverse lorsqu'une demande de prorogation du délai imparti pour déposer les affidavits sera nécessaire.
Dans des circonstances spéciales, une partie peut demander à la Cour, en vertu de la Règle 3(1)c), la permission de proro- ger les délais de présentation d'un avis de requête pour la pro duction tardive d'affidavits. Dans ces cas, l'avis de requête doit exposer les raisons du retard, l'objet des affidavits qui seraient déposés et l'usage probable qu'en ferait la Cour, ou les raisons pour lesquelles la partie requérante ne peut exposer cet objet et cet usage.
En l'espèce, l'intimée n'a démontré aucune circonstance exceptionnelle qui justifierait une dérogation à la règle géné- rale, et les avis de requête étaient prématurés. De plus, les avis de requête étaient insuffisants puisqu'ils n'ont pas précisé la nature de la preuve. La Cour ne saurait émettre un chèque en «blanc» en vue de la production d'une «preuve complémen- taire».
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T 13, art. 56.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 3, 704.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Maxim's Ltd. c. Maxim 's Bakery Ltd. (1990), 32 C.P.R. (3d) 240; 37 F.T.R. 199 (C.F. Ire inst.); DRG Incorpora ted c. Datafele Ltd. (1987), 17 C.I.P.R. 126; 16 C.P.R. (3d) 155; 14 F.T.R. 219 (C.F. lre inst.); Andres Wines Ltd. c. Canadian Marketing International Ltd. (1986), 9 C.P.R. (3d) 540; 2 F.T.R. 292 (C.F. inst.).
DÉCISION NON SUIVIE:
Fashion Accessories c. Segal's (Michael) Inc., [1972] C.F. 53; (1972), 5 C.P.R. (2d) 204 (1« inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Jala Godavari (Le) c. Canada, A-112-91, juge Hugessen, J.C.A., jugement en date du 18-10-91, C.A.F., encore iné- dit; McDonald's Corp. c. Silcorp Ltd./Silcorp Liée (1987), 16 C.I.P.R. 107; 17 C.P.R. (3d) 478 (C.F. inst.); India- napolis Colts Inc. c. Forzani's Locker Room Ltd. (1987), 14 C.I.P.R. 77; 15 C.P.R. (3d) 283 (C.F. Ire inst.); Laflamme Fourrures (Trois-Rivières) Inc. et autres c. Laflamme Fourrures Inc. (1986), 8 C.P.R. (3d) 315; 3 F.T.R. 48 (C.F. 1 re inst.).
APPEL de l'ordonnance du juge de première ins tance confirmant les ordonnances du protonotaire en
chef permettant à l'avance la production tardive d'af- fidavits qui ne sont pas joints aux avis de requête. Appel accueilli.
AVOCATS:
Timothy J. Sinnott pour l'appelante.
Jacques Léger et Brigitte Dufour pour l'intimée.
PROCUREURS:
Rogers, Bereskin & Parr, Toronto, pour l'appe-
lante.
Léger, Robic, Richard, Montréal, pour l'intimée.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: Ces appels soulèvent la question du pouvoir du protonotaire en chef puis, éventuellement, du juge de première instance, de per- mettre à l'avance, dans le cadre d'un appel d'une décision du registraire des marques de commerce, la production tardive d'affidavits qui ne sont pas joints à l'avis de requête en prolongation de délai.
L'intimée, une société anonyme française (ci-après «Prouvost»), avait demandé l'enregistrement de diverses marques «Pingouin» sous forme nominale ou graphique. Se rendant en partie à l'opposition de l'appelante, une société américaine (ci-après «Mun- singwear»), le registraire, le 31 décembre 1990, reje- tait relativement à certaines marchandises les quatre demandes d'enregistrement.
Le 22 février 1991, soit à l'intérieur du délai de deux mois imparti par le paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (ci-après «la Loi»), Prouvost déposait quatre avis d'appel à l'encontre de ces décisions.
Le 6 mars 1991, soit à l'intérieur du délai de quinze jours que la Règle 704(3) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] donne à une appe- lante pour déposer les affidavits qu'elle entend sou- mettre à la Cour pour les fins de l'appel, Prouvost déposait au greffe, dans chacun des quatre appels, un avis de requête aux fins «d'obtenir ... une ordon- nance prorogeant au 13 mai le délai imparti ... pour produire preuve complémentaire». Prouvost, comme c'était son droit, n'avait déposé aucune preuve devant
le registraire et voulait se prévaloir du paragraphe 56(5) de la Loi qui permet à une partie d'apporter, lors de l'appel, «une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire».
L'avis de requête ne précisait pas quelle était cette «preuve complémentaire» dont Prouvost entendait se servir et il faut lire le paragraphe 4 de l'affidavit Car- rière, joint à l'avis, pour avoir une meilleure idée des intentions de Prouvost. Ce paragraphe se lit ainsi:
4. La nature des allégués de la déclaration d'opposition de même que les motifs de la décision a quo du registraire forcent l'appelante Prouvost S.A. à produire preuve complémentaire au soutien de son appel, laquelle devrait consister, entre autres, dans les affidavits d'un représentant français de l'appelante Prouvost S.A., d'un représentant du distributeur canadien de celle-ci, d'un expert en communication graphique de même que d'un expert en vente au détail pour les aspects de merca- tique et de marchandisage de cette affaire.
Les motifs de retard allégués dans l'affidavit Car-
rière étaient, notamment, «les instructions tardives de former appel et le trop court délai imparti par les Règles pour produire preuve complémentaire», la «structure très hiérarchisée de (Prouvost)», le fait que l'appel soit lié à d'autres procédures entre les mêmes parties, le fait que les instructions des procureurs de Prouvost «proviennent d'un Cabinet parisien ... par lequel doivent transiter toutes les communications», le fait que les procureurs de Prouvost doivent com- muniquer avec le représentant du distributeur local pour obtenir de l'information, lequel représentant revient d'un séjour de quinze mois en France et devra «remettre à jour ses dossiers pour fins de souscrire son affidavit».
Le 25 mars 1991, le protonotaire en chef accueil- lait les quatre requêtes. Le 29 avril 1991, le juge de première instance confirmait les ordonnances du pro- tonotaire en chef [T-456-91, juge Denault]. Je revien- drai plus loin sur ces décisions, mais il est important, pour bien comprendre ce qui va suivre, de décrire le périple de cette «preuve complémentaire» que Prou- vost, au fil des mois, parvint tant bien que mal à col- liger.
Le 6 mars 1991, Prouvost signifie à Munsingwear les avis de requête pour extension des délais, accom-
pagnes de l'affidavit Carrière. La date de présentation est le 11 mars 1991.
Le 7 mars 1991, M. Gilles Robert, graphiste pro- fessionnel, souscrit un affidavit. Il s'agit de l'affi- davit annoncé dans l'affidavit Carrière comme étant celui «d'un expert en communication graphique». Cet affidavit est envoyé le jour même à Munsingwear.
Le 11 mars 1991, l'audition des requêtes est repor- tée au 25 mars 1991, à la demande de Munsingwear.
Le 18 mars 1991, Munsingwear informe Prouvost, par courrier électronique, qu'elle considère les avis de requête prématurés puisque les affidavits dont elle recherche la production ne sont pas devant la Cour et qu'il est par conséquent impossible d'en vérifier [TRA- DUCTION] «la nature, la recevabilité et la pertinence».
Le 21 mars 1991, M. Alain François, directeur général d'une entreprise canadienne associée à Prou- vost, souscrit un affidavit. Il s'agit de l'affidavit annoncé dans l'affidavit Carrière comme étant celui «d'un représentant du distributeur canadien» de Prou- vost. Le 25 mars 1991, juste avant l'audition des requêtes, Prouvost signifie cet affidavit à Mun- singwear.
Le 25 mars 1991, le protonotaire en chef accueille les requêtes, dans les termes suivants:
Après avoir écouté l'argumentation des deux procureurs, être intervenu dans le débat pour un meilleur éclairage, lu les pièces au dossier et plus spécialement l'affidavit de Laurent Carrière; après avoir considéré la Règle 704(8) et référé à la jurisprudence; dans ce cas particulier, je considère suffisante la preuve mise devant moi; il est dans l'intérêt de la justice que le délai raisonnable qui est demandé soit accordé, en raison des circonstances; plus spécialement le pays d'origine de l'Appe- lante, la façon d'y traiter les affaires, l'importance et l'ampleur de l'entreprise, la structure et les communications consé- quentes; bref un mode différent du mode nord-américain. Requête accordée. Frais à suivre.
Le 29 avril 1991, le juge de première instance rejette l'appel et confirme en ces mots les ordon- nances du protonotaire en chef:
Pour les motifs prononcés à l'issue de l'audience, la Cour n'est pas convaincue que l'intimée a réussi à prouver que le protonotaire en chef a exercé sa discrétion en s'appuyant sur un principe erroné ou sur une fause interprétation des faits.
La demande est rejetée, les dépens suivront l'issue de l'ins- tance principale.
Le 10 mai 1991, M. Allan Booth, recherchiste en marques de commerce, souscrit un affidavit, qui est déposé au greffe de la Cour le 13 mai 1991, date limite du délai accordé à Prouvost. Cet affidavit ne faisait pas partie du dossier devant le juge de pre- mière instance et n'a donc pas sa place dans le dos sier qui est devant nous.
Le quatrième et dernier affidavit annoncé dans l'affidavit Carrière, soit celui «d'un représentant fran- çais» de Prouvost, n'a pas vu le jour.
Les ordonnances du juge de première instance sont manifestement mal fondées, encore qu'elles s'ap- puyaient à l'époque sur la pratique jusque-là suivie, car cette Cour a, depuis, décidé qu'un juge qui siège en appel d'une décision discrétionnaire rendue par un protonotaire n'est en aucune manière lié par l'opinion de ce dernier et doit au contraire exercer lui-même sa propre discrétions. Or, ce n'est pas exercer soi-même sa discrétion que de se contenter de déférer, comme l'a fait le juge en l'espèce, à celle exercée par le pro- tonotaire en chef.
Les ordonnances dont appel étant viciées à leur face même, cette Cour doit, en l'espèce, exercer la discrétion que le juge de première instance n'a pas exercée, sans obligation aucune de déférence à l'opi- nion du protonotaire en chef.
Une partie qui demande à la Cour la permission de produire un document hors délai en vertu de la Règle 704(8) doit satisfaire ce test que le juge Strayer, dans Maxim's Ltd. c. Maxim's Bakery Ltd. (1990), 32 C.P.R. (3d) 240 (C.F. lre inst.), à la page 242, a défini comme suit:
Il ressort nettement de la jurisprudence que, lorsque la Cour étudie une demande de prorogation de délai, en conformité avec la Règle 704(8), elle doit tenir compte à la fois des rai- sons invoquées pour justifier le retard et de la valeur intrin- sèque des affidavits (c'-à-d. de leur pertinence, de leur receva- bilité, de leur utilité éventuelle pour la Cour). Le tribunal a déclaré dans certains précédents qu'il fallait apprécier ensem ble les deux facteurs: voir p. ex. McDonald's Corp. c. Silcorp Ltd./Silcorp Ltée (1987), 17 C.P.R. (3d) 478, aux p. 479 et 480, 16 C.I.P.R. 107 (C.F. Ire inst.); Joseph E. Seagram & Sons c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1988), 23 C.P.R. (3d) 283, à la p. 284, 13 A.C.W.S. (3d) 36 (C.F. lre inst.). Estimant qu'il s'agit de la méthode qui convient en l'es- pèce, je conclus qu'elle signifie qu'il faut peser l'importance
Jasa Godavari (Le) c. Canada, juge Hugessen, J.C.A., jugement en date du 18-10-9I, encore inédit.
du retard par rapport à la valeur possible des affidavits et que l'un de ces deux facteurs peut l'emporter sur l'autre.
et que le juge McNair, dans DRG Incorporated c. Datafile Ltd. (1987), 17 C.I.P.R. 126 (C.F. lre inst.), à la page 132, décrivait ainsi:
La Règle 704 décrit d'une manière générale une procédure sommaire applicable en matière de marques de commerce, pro- cédure selon laquelle chaque partie est tenue de déposer ses affidavits à un moment déterminé et prévoyant que ce n'est que dans des cas exceptionnels que des affidavits additionnels peuvent être déposés après le délai imparti; dans de tels cas, une explication valable doit être fournie pour justifier le retard et il faut prouver que les faits contenus dans les affidavits sont nécessaires pour permettre à la Cour de se prononcer sur le litige: Voir Hiram Walker—Consumers Home Ltd. c. Consu mers Distributing Co. (1981), 58 C.P.R. (2d) 40 (C.F. Ire inst.); Bell & Arkin c. Coronation Knitting Mills Can. Ltd. (1986), 9 C.1.P.R. 81, 10 C.P.R. (3d) 279 (C.F. lie inst.).
La détermination par la Cour de la «valeur intrin- sèque» d'un affidavit suppose, règle générale, et c'est la pratique suivie devant la Section de première instance et devant le protonotaire, que cet affidavit soit joint à l'avis de requête, ce qui donne à la Cour l'opportunité de l'examiner et à la partie adverse, l'opportunité d'en contester la production. Ainsi que le notait le juge Joyal dans Andres Wines Ltd. c. Canadian Marketing International Ltd. (1986), 9 C.P.R. (3d) 540 (C.F. 1re inst.), à la page 544:
La Cour ne doit pas exercer son pouvoir discrétionnaire en quelque sorte dans l'abstrait.
S'écartant de cette règle générale, Prouvost demande à la Cour, à l'avance, une extension de délai pour produire des affidavits qu'elle n'est pas en mesure de produire à ce stade. J'entretiens des doutes sérieux sur la validité de cette façon de procéder.
Le paragraphe 56(5) de la Loi permet d'«apporter» («adduce») une preuve additionnelle, et la Règle 704(8) exige qu'une partie qui ne se trouve pas à l'in- térieur du délai demande à la Cour la permission de «déposer» («file») un affidavit. Ces dispositions me paraissent référer au dépôt d'un document qui se trouve physiquement devant la Cour et qui est en état d'être déposé formellement dès que la requête est accueillie.
Par ailleurs, sur un plan pratique, comment un juge peut-il décider de l'opportunité d'étendre les délais aux fins de produire un affidavit, et comment la par- tie adverse peut-elle débattre de cette opportunité,
quand le document en question n'est pas devant la Cour? L'extension de délai aux fins de produire un affidavit ne saurait être affaire de spéculation. Il serait à tout le moins paradoxal qu'une partie ne puisse pro- duire un affidavit qui se trouve devant la Cour sans que le juge en détermine la valeur intrinsèque, mais qu'elle puisse obtenir à l'avance la permission de produire un affidavit qui ne peut être examiné par la Cour. Une partie ne saurait se trouver en meilleure posture quand ses allégations de valeur intrinsèque ne peuvent être vérifiées, que quand elles le peuvent. L'approche proposée par Prouvost ouvre la porte à des abus de toutes sortes et invite la multiplication des procédures, dans un domaine, par surcroît, qui se veut sommaire et expéditif 2 . La procédure appropriée serait que la partie qui se trouve dans l'impossibilité de déposer ses affidavits en temps utile en informe la partie adverse et prévienne celle-ci qu'elle présentera ultérieurement une demande d'extension de délai, quand les affidavits seront disponibles 3 .
Je n'écarte pas la possibilité, dans des circons- tances spéciales, qu'une partie demande à la Cour, en vertu de la Règle 3(l)c), la permission d'étendre les délais de présentation d'un avis de requête pour pro duction tardive d'affidavits 4 . La Cour, dans ces cas, devra se montrer particulièrement rigoureuse et exi- ger que l'avis de requête pour permission d'étendre les délais expose, outre les raisons du retard, l'objet des affidavits qui seraient éventuellement déposés et l'usage probable qu'en ferait la Cour et, dans l'hypo- thèse il serait impossible à la partie requérante d'exposer cet objet et cet usage, les raisons de cette incapacités.
2 Voir McDonald'.s Corp. c. Silcorp Ltd./Silcorp Liée (1987), 16 C.I.P.R. 107 (C.F. Ire inst.), aux p. 108 et 109; Andres Wines Ltd. c. Canadian Marketing International Ltd., supra, à la p. 545.
3 Voir Indianapolis Colts Inc. c. Forzani's Locker Room Ltd. (1987), 14 C.I.P.R. 77 (C.F. Ire inst.), à la p. 79.
4 Laflamme Fourrures (Trois-Rivières) Inc. et autres c. Laflamme Fourrures Inc. (1986), 8 C.P.R. (3d) 315 (C.F. ire inst.).
5 Dans Fashion Accessories c. Segal's (Michael) Inc., [1972] C.F. 53, un juge de la Section de première instance de cette Cour a permis la production de deux affidavits qui étaient en possession de la partie requérante et avaient été remis à la partie adverse, mais qui n'étaient pas devant la Cour. Le juge s'était dit incapable de se prononcer «sur leur pertinence ou leur admissibilité» la p. 59). Dans ces circonstances, je ne crois pas que cette décision doive être suivie.
En l'espèce, Prouvost n'a démontré aucune cir- constance exceptionnelle qui justifierait une déroga- tion à la règle générale, et j'estime que ses avis de requête étaient prématurés.
Par surcroît, ces avis de requête, tels qu'ils ont été formulés, ne sont pas susceptibles d'être accueillis par la Cour, puisqu'ils ne recherchent qu'une exten sion de délai «pour produire preuve complémen- taire», sans autres précisions quant à la nature de celle-ci. Quand bien même j'accepterais de compléter la conclusion recherchée dans l'avis de requête par les précisions qu'on retrouve dans l'affidavit Car- rière, la Cour serait en présence d'avis de requête qui demandent la permission de produire, «entre autres», quatre affidavits. Il n'est pas question que la Cour émette un tel chèque en blanc.
Cela dit, ce dossier a déjà suffisamment traîné en longueur et il serait malheureux que les parties se retrouvent de nouveau devant le protonotaire en chef à débattre des nouvelles requêtes, non prématurées celles-là et formulées correctement. Aussi, suis-je disposé, au nom d'une saine administration de la jus tice, à considérer les requêtes entendues par le juge de première instance le 25 avril 1991 comme des requêtes demandant d'une part la permission de pro- duire hors délai les affidavits Robert et François qui se trouvaient alors devant la Cour, et demandant d'autre part une extension de délai aux fins de pro- duire deux affidavits qui ne se trouvaient pas devant la Cour.
Disposons d'abord de ces deux derniers affidavits. Pour les raisons énoncées plus haut, la Cour n'était pas en position, faute d'explications dans les avis de requête, d'en mesurer la valeur intrinsèque. La proro- gation de délai doit en conséquence être refusée.
L'affidavit Robert a été souscrit le 7 mars 1991, soit à l'intérieur du délai de quinze jours, et il n'a été versé au dossier que le 26 mars 1991, soit en dehors des délais. Rien n'empêchait Prouvost de le produire en temps utile et aucune raison n'a été donnée qui justifierait la prorogation du délai. Au surplus, je ne vois pas comment cet affidavit peut contribuer au sort du litige. Les demandes relatives à cet affidavit doi- vent être rejetées.
Il reste l'affidavit François, souscrit le 21 mars 1991. Certaines explications étaient données dans l'affidavit Carrière quant à sa «valeur intrinsèque» et Munsingwear reconnaît dans son mémoire que cer- tains de ses paragraphes sont pertinents. Je suis satis- fait de la valeur intrinsèque d'à tout le moins une par- tie de cet affidavit et il ne me reste qu'à vérifier si le retard encouru est de telle nature que la Cour devrait, néanmoins, en refuser la production.
Le retard n'est que de deux semaines, ce qui, en termes de préjudice pour Munsingwear, dans un dos sier qui dure depuis quelque huit ans, est peu signifi- catif. Par ailleurs, un des motifs allégués dans l'affi- davit Carrière, soit le fait que l'affiant revienne d'un séjour de quinze mois en France et ait eu besoin de temps pour mettre son dossier à jour, me paraît cons- tituer une excuse légitime. Je m'empresse d'ajouter que, contrairement au protonotaire en chef, je ne me serais pas satisfait, à titre d'excuse, du fait que Prou- vost, parce qu'elle était une entreprise française, d'envergure et particulièrement hiérarchisée, aurait été assujettie à «un mode différent du mode nord- américain». Les Règles de la Cour s'appliquent de manière égale aux parties, quelles qu'elles soient et d'où qu'elles viennent 6 .
J'en arrive donc à la conclusion que la production hors délai de l'affidavit François devrait être autori- sée. Cet affidavit, il est vrai, ne me paraît pertinent qu'en partie, mais cette partie-là mérite d'être retenue et je ne suis pas disposé à la déterminer moi-même, préférant laisser au juge du fond cette tâche qu'il aurait eue de toute façon, car j'estime que l'opinion du juge, relativement à la valeur intrinsèque de l'affi- davit dont il autorise la production hors délai, ne lie pas le juge du fond.
Je serais donc d'avis d'accueillir l'appel en partie, d'infirmer l'ordonnance prononcée par le juge de première instance le 29 avril 1991 et, rendant l'or- donnance qu'aurait rendre ce dernier, d'infirmer la décision rendue par le protonotaire en chef le 25 mars 1991, d'autoriser la production tardive de l'affi- davit souscrit le 21 mars 1991 par M. Alain François, et de rejeter à tous autres égards la requête deman- dant de proroger le délai imparti «pour produire preuve complémentaire».
6 Maxim's Ltd. c. Maxim's Bakery Ltd., supra, à la p. 243.
Dans les circonstances, même si l'intimée Prouvost a gain de cause en partie, j'estime qu'elle doit être condamnée aux entiers dépens devant le protonotaire en chef, le juge de première instance et cette Cour.
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je suis d'accord.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je suis d'accord.
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