T-3076-91
Commission canadienne des droits de la personne
(requérante)
c.
Tina (Hubbert) Radford (créancière saisissante)
et
Worldways Canada Ltd. (débitrice saisie)
et
Joiner Sales Corporation et Ernst and Young et
Alan, Lawson, Fisher Inc. (tierces saisies)
RÉPERTORIÉ? CANADA (COMMISSION CANADIENNE DES DROITS
DE LA PERSONNE) C. R4DFORD (Ire INST.)
Section de première instance, protonotaire adjoint
Giles—Toronto, 13 et 15 janvier 1992.
Créanciers et débiteurs — La Commission canadienne des
droits de la personne s'est prononcée contre la débitrice saisie,
qui a déclaré sa faillite avant que la décision de la Commis
sion ne fût déposée devant la Cour fédérale — La Commission
s'est fondée sur la Règle 2300 pour présenter une demande
tendant à l'obtention d'une ordonnance enjoignant de saisir-
arrêter les créances dues à la débitrice saisie — (1) La Com
mission n'a pas qualité pour agir — (2) Elle doit rapporter la
preuve d'une créance avant que celle-ci ne soit saisie-arrêtée
— La preuve d'une créance due par la tierce saisie fait défaut
— (3) La Commission prétend que la Loi canadienne sur les
droits de la personne est semi -constitutionnelle et devrait l'em-
porter sur d'autres lois ou contrats qui confèrent des droits de
priorité à des créanciers garantis — Des dispositions expres
ses s'imposent pour pouvoir priver une personne de ses droits
de propriété sans qu'il y ait audition — La Lai ne contient
aucune disposition qui vise expressément à toucher les droite
des créanciers garantis — (4) La Loi sur la faillite transfère au
syndic l'excédent du produit de la vente aux enchères des biens
après que les créanciers garantis auront été désintéressés et
ce, au profit des créanciers chirographaires — (5) La Commis
sion n'a pas le droit de présenter la demande fondée sur la
Règle 2300 sans qu'elle y soit autorisée.
Droits de la personne — La CCDP s'est prononcée à l'en-
contre d'une compagnie aérienne (la débitrice saisie) qui avait
refusé d'engager la créancière saisissante parce que celle-ci
ne remplissait pas les normes visuelles sans porter de lunettes
ou verres de contact — La compagnie aérienne a déclaré sa
faillite avant que la Commission ne déposât sa décision devant
la Cour fédérale — La Commission n'a pas compétence pour
présenter, en vertu de la Règle 2300, une demande de saisie-
arrêt de créances — La Loi canadienne sur les droits de la
personne ne prévoit nullement qu'un jugement provenant
d'une décision de la CCDP a priorité sur les créanciers du
failli ou limite les droits de ceux-ci.
Pratique — Parties — Qualité pour agir — Une compagnie
aérienne (la débitrice saisie) a refusé d'engager la créancière
saisissante parce que celle-ci ne remplissait pas les normes
visuelles sans porter de lunettes ou de verres de contact — La
Commission canadienne des droits de la personne s'est pro-
noncée à l'encontre de la débitrice saisie, qui a déclaré sa fail-
lite avant que la décision de la Commission ne fût déposée à la
Cour fédérale — La Commission s'est fondée sur la Règle
2300 pour conclure à une ordonnance portant saisie-arrêt des
créances dues à la débitrice saisie — Comme la Règle 2300
exige que la demande soit présentée par la créancière saisis-
sante, la Commission n'a pas qualité pour agir.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C.
(1985), chap. H-6.
Loi sur la faillite, L.R.C. (1985), chap. B-3.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
2300.
JURISPRUDENCE
DECISION CITÉE:
Tudor Holdings Ltd. v. Robertson et al. (1974), 43 D.L.R.
(3d) 752; [1974] 2 W.W.R. 546 (C.S.C.-B.).
AVOCATS:
René Duval pour la requérante.
Personne n'a comparu pour la débitrice saisie.
K. M. van Rensburg, M. Forte et S. Rosnhert
pour la tierce saisie Ernst and Young.
A COMPARU:
Tina (Hubbert) Radford pour son propre compte.
Personne n'a comparu pour les tierces saisies
Joiner Sales Corporation et Alan, Lawson,
Fisher Inc.
PROCUREURS:
Services juridiques de la Commission cana-
dienne des droits de la personne pour la requé-
rante.
Ogilvy Renault, Ottawa, pour la débitrice saisie.
LES TIERCES SAISIES POUR LEUR PROPRE
COMPTE:
Ernst and Young Inc., Toronto.
Joiner Sales Corporation, Etobicoke, Ontario.
Alan, Lawson, Fisher Inc., Oshawa, Ontario.
LA CRÉANCIÈRE SAISISSANTE POUR SON PROPRE
COMPTE:
Tina (Hubbert) Radford, Mississauga (Ontario).
Ce qui suit est la version française des motifs de
l'ordonnance rendus par
LE PROTONOTAIRE ADJOINT GILES: Auparavant, la
requête avait été inscrite au rôle comme une requête
ex parte en ordonnance qui enjoindrait de saisir-arrê-
ter des biens et qui ordonnerait à certains tierces sai-
sies d'exposer les raisons pour lesquelles elles ne doi-
vent pas payer en application de la Règle 2300
[Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663].
Lorsque le juge Denault en a été saisi, il a ordonné
que la requête fût entendue à Toronto sur avis à
toutes les personnes intéressées. À Toronto, j'ai été
saisi de la requête et j'ai convenu de donner de brefs
motifs pour justifier ma décision. Voici mes motifs.
La demande dont je suis saisi a été présentée par la
Commission canadienne des droits de la personne (la
Commission) citée comme «requérante» dans l'inti-
tulé de la cause. Les autres parties y nommées com-
prennent Tina (Hubbert) Radford, citée comme
créancière saisissante, Worldways Canada Ltd., citée
comme débitrice saisie, Joiner Sales Corporation,
Ernst and Young et Alan, Lawson, Fisher Inc., citées
comme tierces saisies.
La créancière saisissante ayant reçu une significa
tion comme l'a exigé le juge Denault, elle a comparu
en personne. Etant donné la décision Tudor Holdings
Ltd. v. Robertson et al. (1974), 43 D.L.R. (3d) 752
(C.S.C.-B.), je devrais souligner que la créancière
saisissante n'a nullement pris part aux auditions
tenues devant moi. La débitrice saisie ne s'est pas fait
représenter bien qu'on présume qu'elle a reçu une
signification. Joiner Sales Corporation ( et
Alan, Lawson, Fisher Inc. ne se sont pas fait repré-
senter. Les parties présentes ont convenu qu'Ernst
and Young s'entendait d'Ernst & Young Inc. (Ernst);
celle-ci a reçu une signification. Pour ce qui est de
ses rapports avec les parties à la requête, Ernst, dit-
on, a agi en tout temps pour trois créanciers garantis
qui se sont fait représenter par avocat devant moi.
Les faits suivants sont nécessaires à la compréhen-
sion de la requête. La créancière saisissante s'est
adressée à la débitrice saisie en vue d'obtenir un
poste dans la compagnie aérienne de celle-ci, et elle a
été refusée parce qu'elle n'a pas rempli les normes
visuelles sans porter de lunettes ou verres de contact.
La créancière saisissante a porté plainte devant la
Commission qui a engagé une instance contre la
débitrice saisie. À l'été, la Commission s'est pronon-
cée contre la débitrice saisie, mais elle n'a pas fixé à
ce moment-là le montant des dommages-intérêts. À
l'automne, la débitrice saisie a fait faillite. Alan,
Lawson, Fisher Inc. est devenue le syndic de la débi-
trice saisie. Quelque temps avant le 16 décembre
1991, Ersnt, devant agir en tant que mandataire des
créanciers garantis, aurait autorisé Joiner Sales Cor
poration à vendre aux enchères les biens de la débi-
trice saisie pour le compte des créanciers garantis. La
vente a été annoncée pour le 17 décembre. Le 16
décembre 1991, la Commission a rendu sa décision
quant au préjudice subi par la créancière saisissante.
La Commission a sur-le-champ déposé sa décision au
greffe de la Cour fédérale du Canada. Par ce dépôt, la
décision de la Commission est devenue celle de cette
Cour. La Commission a immédiatement introduit la
présente requête en vertu de la Règle 2300. Celle-ci
porte notamment:
Règle 2300. (1) Sur demande ex parte d'une personne qui est
créancière aux termes d'un jugement, appuyée par un affidavit
indiquant que le jugement n'a pas été exécuté et que la per-
sonne qui est débitrice aux termes du jugement
a) a une créance échue ou à échoir qui lui est due par une
personne se trouvant au Canada, ou
b) a une créance échue ou à échoir qui lui est due par une
personne ne se trouvant pas au Canada et que cette créance
est une créance pour laquelle le débiteur saisi pourrait pour-
suivre cette personne au Canada,
la Cour pourra ordonner que toutes les créances échues ou à
échoir dues au débiteur saisi par ce tiers (ci-après appelé le
tiers saisi) soient saisies-arrêtées pour le paiement de la dette
constatée par le jugement et que le tiers expose, aux temps et
lieu désignés, les raisons qu'il pourrait avoir de ne pas payer au
créancier saisissant la dette qu'il a envers le débiteur saisi ou
une fraction suffisante pour l'exécution du jugement ...
Il appert que la Règle prévoit que le créancier sai-
sissant devrait être le requérant, ce qui n'est pas le
cas en l'espèce. J'ai souligné ce fait à l'avocat de la
Commission qui a fait savoir que seule celle-ci était
en droit de déposer la décision auprès de cette Cour,
et que la Commission devrait être en droit de présen-
ter une demande de réparation corrélative. Je me suis
réservé de rendre ma décision sur la qualité de la
Commission, et j'ai entendu les observations de
l'avocat de la Commission selon lesquelles la Loi
canadienne sur les droits de la personne [L.R.C.
(1985), chap. H-6] était, d'après la jurisprudence, de
nature semi -constitutionnelle et l'emportait donc sur
toute autre loi. Donc, implicitement, ni la Loi sur la
faillite [L.R.C. (1985), chap. B-3] ni un contrat privé
ne pourrait faire obstacle au droit de la créancière sai-
sissante de recouvrer les sommes que la débitrice sai-
sie lui doit. Le jugement ayant été obtenu très peu de
temps avant l'inscription de la requête au rôle, la
débitrice saisie étant en faillite et l'avocat du créan-
cier garanti ne s'y opposant pas, j'ai agi en tenant
pour acquis que le jugement n'a pas été exécuté mal-
gré l'absence d'éléments de preuve direct à cet égard.
De même, faisait défaut la preuve d'une créance due
par l'une quelconque des tierces saisies à la débitrice
saisie ou d'une créance due par celle-ci aux créan-
ciers garantis.
Il est allégué que la loi ou le contrat qui crée des
droits de priorité pour les créanciers garantis doit être
considéré comme cédant le pas devant les droits du
créancier saisissant en vertu de la Loi canadienne sur
les droits de la personne. Les biens vendus ont été
déclarés dans l'avis de vente comme étant les biens
de la débitrice, et le produit de la vente doit être
réputé lui appartenir. Il n'existe aucune preuve quant
à la nature de la garantie réalisée. On n'a cité aucune
disposition de la Loi canadienne sur les droits de la
personne qui pourrait laisser entendre que le juge-
ment provenant d'une décision de la Commission
pourrait avoir priorité sur une catégorie de créanciers
du failli. On n'a cité aucune disposition de la Loi qui
permettrait expressément de limiter ou de réduire les
droits de ces créanciers garantis ou de n'importe quel
créancier garanti, ou, à cet égard, de n'importe quel
créancier chirographaire.
J'estime que la Règle 2300 exige une demande de
la part de la créancière saisissante. La requérante
n'étant pas celle-ci, elle n'a nullement le droit de
faire la demande et c'est pour cette raison que la
demande devrait être rejetée.
Si j'ai tort en décidant ainsi, je note qu'il n'existe
aucune preuve d'une créance due par l'une quel-
conque des tierces saisies à la débitrice saisie. Il est
allégué que les biens vendus étaient la propriété de la
débitrice saisie selon l'avis et que le produit de la
vente doit lui appartenir. Si l'encanteur a reçu le pro-
duit d'une vente, ce que la preuve ne montre pas, ce
produit devrait être versé aux créanciers garantis ou à
leur mandataire. Il est convenu que rien ne prouve
l'obligation de l'encanteur à l'égard de la débitrice
saisie, et la requête introduite à l'encontre de Joiner a
été rejetée sur consentement. Le produit, s'il en est,
se trouvant aux mains des créanciers garantis ou de
leur mandataire, et on n'a pas rapporté la preuve qu'il
en était ainsi, servirait, à mon avis, à régler tout
d'abord leurs réclamations de créancier garanti. Cela
est dû à ce que la Loi ne contient aucune disposition
qui vise expressément à toucher les droits des créan-
ciers garantis, et que des dispositions expresses s'im-
posent pour pouvoir priver une personne de ses droits
de propriété sans qu'il y ait audition; il y aurait une
telle privation si l'audience devant la Commission
pouvait avoir pour conséquence de priver les créan-
ciers garantis de leurs droits puisqu'ils ne pouvaient
s'y faire représenter.
Si l'on examine la demande de la Commission
comme une demande de saisie-arrêt de l'excédent,
s'il en est, après que le produit de la vente aura été
utilisé pour régler les réclamations des créanciers
garantis, il faut noter que le droit à l'excédent, s'il en
est, auquel la débitrice saisie aurait eu droit, aurait été
transmis par la Loi sur la faillite au syndic au profit
des créanciers chirographaires. Rien dans la Loi
qu'on m'a citée ne vise de quelque façon que ce soit
à toucher cette dévolution au syndic (en tout état de
cause, il n'existe aucune preuve de l'existence d'un
tel excédent et, dans les circonstances, on a convenu
que la requête devrait être rejetée dans la mesure où
elle est à l'encontre du syndic). On ne peut concevoir
que, en prétendant que la Loi canadienne sur les
droits de la personne l'emportait sur la Loi sur la
faillite, la Commission alléguait que la créancière sai-
sissante se voyait refuser le droit de prouver une
réclamation en tant que créancière chirographaire.
Toute demande de saisie-arrêt de l'excédent après
que le syndic s'est acquitté de son obligation est donc
sans intérêt pratique. Quoi qu'il en soit, rien ne
prouve l'existence d'un tel excédent.
Il se peut que le droit de la Commission de pour-
suivre son examen de l'affaire devant son propre tri
bunal ne soit pas suspendu par la Loi sur la faillite. Il
se peut également que le droit de déposer une déci-
sion au greffe de cette Cour ne soit pas suspendu.
Toutefois, ayant déposé la décision devant cette Cour,
la Commission est dessaisie de l'affaire au profit de
cette Cour, et j'estime qu'elle n'a pas le droit d'agir
sans autorisation.
En bref, la requête, dans la mesure où elle se rap-
porte aux tierces saisies, Joiner Sales Corporation et
Alan, Lawson, Fisher Inc., est rejetée sur consente-
ment. La requête, dans la mesure où elle se rapporte à
Ersnt ou à l'un quelconque des créanciers garantis
dont Ernst est la mandataire est rejetée:
1. parce que la Commission n'a pas qualité pour faire
une demande en son propre nom en vertu de la Règle
2300;
2. si j'ai tort au paragraphe (1), parce qu'on n'a pas
rapporté la preuve de l'existence d'une créance due
par la tierce saisie Ernst ou par l'un quelconque de
ceux dont elle est la mandataire, et que la preuve
d'une telle créance doit être établie avant qu'elle ne
puisse être saisie-arrêtée ou avant qu'il ne soit enjoint
à la tierce saisie d'exposer les raisons pour lesquelles
elle ne doit pas payer;
3. si j'ai encore tort, et la preuve implique effective-
ment l'existence possible d'une créance des créan-
ciers garantis étant donné la possibilité d'un excédent
après que les créanciers garantis ont entièrement été
désintéressés, parce qu'un tel excédent est dû au syn-
dic et non à la débitrice saisie; et
4. parce qu'il n'existe aucun droit d'introduire sans
autorisation une requête en vertu de la Règle 2300
pour faire saisir-arrêter les créances dues à un failli.
Si l'une quelconque des tierces saisies avait com-
paru pour être entendue lors de la requête, en raison
de la nature extrêmement ténue de la loi invoquée, du
manque d'éléments de preuve ou de la presque
inexistence d'éléments de preuve, et du raisonnement
«que les conséquences soient ce qu'elles peuvent
être» dans la constitution de parties, j'aurais accordé
des frais sur la base procureur et client. Puisque les
créanciers garantis ont comparu eux-mêmes plutôt
que la mandataire qui a reçu la signification, j'ac-
corde un seul ensemble de frais fixé à 200 $ pour la
journée à l'encontre de la Commission et que celle-ci
doit verser aux créanciers garantis.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.