T-911-90
Sa Majesté la Reine (demanderesse)
c .
B. M. Enterprises (défenderesse)
RÉPERTORIÉ' CANADA c. B. M. ENTERPRISES (Ire INST.)
Section de première instance, juge Reed —Prince
Albert (Saskatchewan), 30 avril; Ottawa, 25 juin
1992.
Impôt sur le revenu — Pratique — L'art. 227(10) de la Loi
de l'impôt sur le revenu permet au M.R.N. de cotiser toute per-
sonne pour un montant payable en vertu de l'art. 224(4) —
Après avoir obtenu du ministère de la Justice l'avis qu'il y a eu
non-respect de l'avis de paiement fondé sur l'art. 224(1) et
l'approbation du bureau principal, le vérificateur a établi une
cotisation fondée sur l'art. 227(10), selon une formule régle-
mentée — Cette formule a été envoyée sous le nom imprimé du
sous-ministre — La Cour de l'impôt a annulé la cotisation fon-
dée sur l'art. 227(10) pour le motif qu'elle aurait dû être éta-
blie par le ministre ou un fonctionnaire légalement autorisé —
L'art. 24(2) de la Loi d'interprétation prévoit que la mention
d'un ministre dans le cadre de ses attributions vaut mention du
sous-ministre du ministère en cause — L'art. 900 du Règle-
ment de l'impôt sur le revenu autorise le S.M.A. à exercer les
pouvoirs du ministre, et contient des délégations de pouvoir
particulières à d'autres fonctionnaires relativement à certains
articles de la Loi — La question de la délégation implicite,
invoquée dans l'affaire Doyle c. M.R.N., n'a pas été soulevée
en l'espèce — Discussion du principe de l'alter ego, en vertu
duquel un fonctionnaire est l'alter ego du ministre, puisqu'il
relève entièrement de son supérieur — Le degré de contrôle est
le facteur crucial et non la question de savoir si on est respon-
sable devant le Parlement — La cotisation a été établie par le
sous-ministre bien qu'il n'ait pas personnellement examiné le
dossier — Il existe également un pouvoir de subdélégation
implicite — L'établissement de la cotisation n'est pas d'une
nature discrétionnaire telle que le législateur a voulu que le
ministre examine personnellement chaque cotisation éventuelle
fondée sur l'art. 227(10) pour décider si oui ou non elle
devrait être établie — Il est révélateur que la cotisation ne soit
pas de nature définitive — Le pouvoir discrétionnaire ne tran-
che pas la question de savoir si la cotisation est valable.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148 (mod.
par S.C. 1970-71-72, ch. 63), art. 221(1), 224(1) (mod.
par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 121), (4) (mod.,
idem, ch. 48, art. 103), 227(10) (mod. par S.C. 1985,
ch. 45, art. 117).
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. 1-21, art. 24(2).
Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, art.
900 (mod. par DORS/78-774, art. 1; DORS/79-803,
art.l; DORS/80-l62, art. 1; DORS/81-449, art. 1;
DORS/83-797, art. 1; DORS/86-445, art. 1; DORS/87-
470, art. 1; DORS/88-219, art. 1).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
R. c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238; (1976), 66 D.L.R.
(3d) 660; [1976] 3 W.W.R. 536; 28 C.C.C. (2d) 279; 8
N.R. 47.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Doyle c. M.R.N., [1990] 1 C.F. 94; [1989] 2 C.T.C. 270;
(1989), 89 DTC 5483; 30 F.T.R. 1 (ITs inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Re Golden Chemical Products Ltd, [1976] 2 All ER 543
(Ch. D.); Riendeau, L. c. La Reine (1991), 91 DTC 5416
(C.A.F.).
DECISION CITÉE:
O'Reilly v Commissioner of State Bank of Victoria (1982),
44 ALR 27 (H. Ct.).
DOCTRINE
de Smith, S. A. Judicial Review of Administrative Action,
4th ed. by J. M. Evans, London: Stevens & Sons Ltd.,
1980.
Dussault, R. et Borgeat, L. Traité de droit administratif,
Tome 1, 2 0 &1. Québec: Presses de l'Université Laval,
1984.
APPEL de la décision (B. M. Enterprises Ltd. c.
M.R.N., [1990] 1 C.T.C. 2094; (1989), 90 DTC 1037
(C.C.I.)) par laquelle la Cour de l'impôt a annulé la
cotisation. Appel accueilli.
AVOCATS:
Helen C. Turner et Douglas Titosky pour la
demanderesse.
James H. W. Sanderson pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Sanderson & Wilkinson, Prince Albert (Saskat-
chewan), pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE REED: La question à trancher en l'espèce
est très précise: l'avis de cotisation envoyé à la défen-
deresse (intimée) B. M. Enterprises par la demande-
resse (appelante) en vertu du paragraphe 227(10) de
la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch.
63 (mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 117)] a-t-il été
établi par la personne compétente. Une décision de la
Cour de l'impôt [[1990] 1 C.T.C. 2094] a annulé
cette cotisation pour le motif qu'elle aurait dû être
établie par le ministre du Revenu national ou un
fonctionnaire légalement autorisé.
Les faits
La défenderesse devait de l'argent à Simonot Equi
ties Ltd. («Simonot»). Celle-ci devait de l'argent à la
demanderesse au titre des impôts payables en vertu
de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch.
148, modifiée. Tant la défenderesse que Simonot sont
sous le contrôle du même actionnaire, M. Marcel
Simonot.
Le 17 décembre 1984, on a signifié à la défende-
resse un avis délivré en application du paragraphe
224(1) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art.
121] de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cet avis exi-
geait de la défenderesse qu'elle verse une partie de la
somme qu'elle devait à Simonot non à celle-ci mais
au receveur général du Canada. Le paragraphe 224(1)
de la Loi de l'impôt sur le revenu est ainsi rédigé:
224. (1) Lorsque le Ministre sait ou soupçonne qu'une per-
sonne est ou sera, dans les 90 jours, tenue de faire un paiement
à une autre personne qui, elle-même, est tenue de faire un paie-
ment en vertu de la présente loi (appelée au présent article le
«débiteur fiscal»), il peut, par lettre recommandée ou par lettre
signifiée à personne, exiger de cette personne que les deniers
autrement payables au débiteur fiscal soient en totalité ou en
partie versés, immédiatement si les deniers sont alors payables
ou, dans les autres cas, au fur et à mesure qu'ils deviennent
payables, au receveur général au titre de l'obligation du débi-
teur fiscal en vertu de la présente loi.
Le 30 avril 1985, malgré cet avis, la défenderesse a
payé Simonot. Elle est donc devenue directement res-
ponsable devant la Couronne du montant d'impôt dû
par Simonot. Le paragraphe 224(4) [mod. par S.C.
1980-81-82-83, ch. 48, art. 103] de la Loi de l'impôt
sur le revenu est ainsi conçu:
224....
(4) Toute personne qui omet de se conformer à une exigence
du paragraphe (1) ou (3) est tenue de payer à Sa Majesté un
montant égal au montant qu'elle était tenue, en vertu du para-
graphe (1) ou (3), selon le cas, de payer au receveur général.
M. McKenzie est un vérificateur au service d'en-
quête en matière de recouvrement du bureau de
Revenu Canada à Prince Albert. Dans l'exercice de
ses fonctions, il a fait enquête sur ce qu'on soupçon-
nait d'être l'inobservation par la défenderesse de
l'avis de paiement prévu au paragraphe 224(1). Il a
examiné les livres tant de la défenderesse que de
Simonot. Il a conclu qu'il y avait eu inobservation. Il
a alors suivi la pratique ministérielle et envoyé au
ministère de la Justice les renseignements qu'il avait
obtenus pour demander des conseils juridiques sur la
question de savoir s'il y avait eu inobservation. A cet
égard, il a reçu une réponse affirmative. Il a alors
écrit, suivant en cela la pratique ministérielle, au chef
de la Division des programmes et opérations—recou-
vrements de Revenu Canada, à Ottawa, pour avoir la
permission d'établir une cotisation fondée sur le para-
graphe 227(10). Le bureau de district local n'est pas
habilité à établir de telles cotisations avant d'avoir
obtenu l'approbation du bureau principal d'Ottawa.
M. McKenzie a adressé la demande d'approbation
à une personne appartenant à la Division des pro
grammes et opérations—recouvrements, à Ottawa, un
certain Mike Robillard. La réponse a été signée par
M. MacDonald, chef de la Division des programmes
et opérations—recouvrements, et a été envoyée au
surveillant de McKenzie, un certain M. Hewson, chef
des recouvrements au bureau de district de Saska-
toon. Encore une fois, cela était conforme à la pra-
tique ministérielle habituelle.
En l'espèce, l'approbation n'a pas immédiatement
été donnée. On a demandé au bureau local d'obtenir
d'autres renseignements du ministère de la Justice.
Ces renseignements ont été obtenus et envoyés à la
division de M. MacDonald. Le 5 novembre 1986, ce
dernier a envoyé à M. Hewson une lettre autorisant
l'établissement d'une cotisation à l'encontre de la
défenderesse en application du paragraphe 227(10).
M. McKenzie a alors obtenu du personnel de
bureau la formule appropriée fondée sur le para-
graphe 227(10). Cette formule est une formule régle-
mentée; elle n'est donnée qu'aux fonctionnaires qui
démontrent qu'ils sont habilités à s'en servir, et le
personnel qui contrôle les formules prend note des
détails de son usage projeté. Le numéro figurant sur
la formule ainsi que les détails sur l'assujettissement
à l'impôt et le nom de la personne à qui la formule
est envoyée sont consignés. M. McKenzie a donné la
formule ainsi obtenue à un dactylographe, ainsi que
les renseignements pertinents nécessaires pour la
remplir. Les renseignements ont été dactylographiés
sur la formule. Celle-ci a été retournée à M. McKen-
zie pour la correction, et elle a été envoyée par la
poste.
Je noterais que sur la formule figure le nom
imprimé du destinateur:
H.G. ROGERS
Sous-ministre dit Revenu national — Impôt
La Cour de l'impôt ne disposait pas de l'original
de cet avis de cotisation. La cotisation déposée à la
Cour de l'impôt était la copie légalisée de la deman-
deresse, laquelle copie ne fait nullement mention de
M. Rogers ni de sa position.
Analyse
Le paragraphe 227(10) de la Loi de l'impôt sur le
revenu est ainsi conçu:
227... .
(10) Le ministre peut cotiser
a) toute personne pour un montant payable par elle en vertu
du paragraphe (8) ou 224(4) ou (4.1) ou de l'article 227.1 ou
235;
b) toute personne qui réside au Canada pour un montant
payable par elle en vertu de la partie XIII;
La défenderesse soutient que seul le ministre a
compétence pour établir les cotisations fondées sur le
paragraphe 227(10).
On ne saurait sérieusement prétendre que le sous-
ministre n'est pas habilité à exercer le pouvoir que le
ministre tient du paragraphe 227(10). Une disposition
législative a expressément conféré ce pouvoir. Le
paragraphe 24(2) de la Loi d'interprétation, L.R.C.
(1985), ch. I-21, porte:
24....
(2) La mention d'un ministre par son titre ou dans le cadre
de ses attributions vaut mention:
c) du sous-ministre du ministère en cause
En plus du paragraphe 24(2) de la Loi d'interpréta-
tion, le paragraphe 221(1) de la Loi de l'impôt sur le
revenu permet de prendre des règlements autorisant
les fonctionnaires désignés à exercer les pouvoirs du
ministre. Des règlements ont été pris pour autoriser
les sous-ministres adjoints à exercer les pouvoirs du
ministre ([Règlement de l'impôt sur le revenu]
C.R.C., ch. 945, article 900 [mod. par DORS/78-774,
art. 1; DORS/79-803, art. 1; DORS/80-162, art. 1;
DORS/81-449, art. 1; DORS/83-797, art. 1;
DORS/86-445, art. 1; DORS/87-470, art. 1;
DORS/88-219, art. 1]). L'article 900 contient égale-
ment des délégations de pouvoir particulières à
d'autres fonctionnaires relativement à certains
articles de la Loi. Le paragraphe 227(10) ne figure
pas parmi ceux énumérés.
Dans l'arrêt Doyle c. M.R.N., [1990] 1 C.F. 94 (lre
inst.), on a discuté de la situation où un fonctionnaire
occupant un poste de rang inférieur au poste de sous-
ministre adjoint a exercé un pouvoir qui a été conféré
par la loi au ministre mais qui n'a pas fait l'objet
d'une délégation expresse en vertu de l'article 900. Il
a été décidé que la doctrine de la délégation implicite
s'appliquait toujours, bien que l'article 900 n'ait pas
expressément permis à quelqu'un occupant un poste
de rang inférieur au poste de sous-ministre adjoint de
prendre la décision en question. On a conclu à la sus
pension de l'appel du contribuable en attendant l'is-
sue d'un autre litige. L'avocat de la défenderesse pré-
tend que le raisonnement suivi dans l'affaire Doyle ne
s'applique pas à l'espèce parce que la mesure prise
dans la présente affaire est non pas une question rou-
tinière ou mineure mais d'une nature extraordinaire.
Il note que jusqu'à récemment, ces cotisations ne
pouvaient être établies sans que la Cour rende juge-
ments.
Je ne suis pas convaincue que l'espèce soulève la
question de délégation implicite comme telle. Dans
l'affaire Doyle, la décision a été prise au nom du
fonctionnaire qui a dit l'avoir prise et par celui-là
même. En l'espèce, la cotisation a été établie au nom
Le pouvoir du ministre d'établir ces cotisations a été ajouté
à la Loi par S.C. 1985, ch. 45, art. 117, qui a modifié le para-
graphe 227(10) pour inclure, pour la première fois, une men
tion expresse de l'obligation découlant du paragraphe 224(4).
Antérieurement à 1985, il semblerait qu'il n'existait aucune
disposition législative autorisant le ministre à établir des coti-
sations telles que la cotisation contestée en l'espèce.
du sous-ministre et il est, à l'évidence, habilité à
prendre une telle mesure. La question se pose de
savoir s'il doit personnellement examiner et approu-
ver l'expédition de la cotisation ou si une cotisation
qui est expédiée selon les pratiques et procédures
dont il est maître et par des fonctionnaires qui relè-
vent de lui est suffisante. Il y a lieu de déterminer si
la situation est celle dont on peut dire qu'elle est
régie par ce qu'on a qualifié de théorie de l'alter ego.
Dans son ouvrage Judicial Review of Administra
tive Action, 4e éd., par J. M. Evans (London: Stevens,
1980), S. A. de Smith décrit en ces termes la théorie
de l'alter ego, à la page 307:
[TRADUCTION] Des facteurs particuliers interviennent lorsqu'un
pouvoir dont est investi un ministre ou un ministère d'État est
exercé par un fonctionnaire ministériel. Ce fonctionnaire est
l'alter ego du ministre ou du ministère, et, puisqu'il relève
entièrement de son supérieur, il n'est habituellement pas consi-
déré comme un délégué. (Bien entendu, il en est autrement
lorsqu'un acte législatif confère ou délègue explicitement des
pouvoirs à un fonctionnaire.) Les tribunaux ont reconnu que
«les obligations imposées aux ministres et les pouvoirs con-
férés à ceux-ci sont normalement exercés sous leur autorité par
des fonctionnaires responsables du ministère. La gestion
publique ne saurait fonctionner si tel n'était pas le cas.» En
général, donc, un ministre n'est pas tenu de s'occuper person-
nellement d'une matière que lui confie une loi, mais il peut
agir par l'entremise d'un fonctionnaire dûment autorisé de son
ministère. Le pouvoir du fonctionnaire n'a pas à lui être con-
féré par le ministre personnellement; il peut être transmis de
façon générale et informelle par les supérieurs hiérarchiques
du fonctionnaire selon la pratique ministérielle. [C'est moi qui
souligne; renvois omis.]
Et à la page 304, il est dit ceci:
[TRADUCTION] Le degré de contrôle (a priori ou a posteriori)
maintenu par l'autorité qui délègue les pouvoirs sur les actes
du délégué ou du sous-délégué peut être un facteur essentiel
dans la détermination de la validité de la délégation. En géné-
ral, le contrôle conservé (p. ex., au moyen du pouvoir de refu-
ser de ratifier un acte ou de rejeter une recommandation) doit
être assez direct pour que la décision puisse être reconnue
comme celle de l'autorité délégante. [Renvoi omis.]
Dans l'arrêt Re Golden Chemical Products Ltd,
[1976] 2 All ER 543 (Ch. D.), à la page 547, il est dit
des pouvoirs ministériels:
[TRADUCTION] (1) En règle générale, un ministre n'est pas
obligé d'exercer personnellement chacun des pouvoirs discré-
tionnaires et autres qu'il tient d'une loi. Il en est autrement s'il
existe dans la loi un contexte qui indique que le pouvoir est
conféré au ministre personnellement. (2) En règle générale, il
incombe au ministre ou à ses fonctionnaires compétents de
décider lequel de ses fonctionnaires exerce un pouvoir particu-
lier. (3) À moins que le niveau auquel le pouvoir doit être
exercé ne se dégage de la loi, il n'appartient pas aux tribunaux
d'examiner ce niveau ni de déterminer si un fonctionnaire
donné qui s'est vu confier un pouvoir est la personne compé-
tente pour l'exercer. (4) En règle générale, les fonctionnaires
d'un ministère gouvernemental exercent des pouvoirs décou-
lant de leurs fonctions et qui se rapportent à celles-ci. En l'ab-
sence d'une exigence législative, il n'est ni nécessaire ni habi-
tuel qu'une autorité particulière soit conférée oralement ou par
écrit relativement à un pouvoir particulier. (5) Sur le plan de la
constitution, il n'existe aucune délégation par un ministre à ses
fonctionnaires. Lorsqu'un fonctionnaire exerce un pouvoir ou
une discrétion qu'on lui confère, cet exercice constitue, sur le
plan constitutionnel et sur le plan légal, l'acte même du minis-
tre. [C'est moi qui souligne.]
Voir également Dussault et Borgeat, Traité de droit
administratif, Tome I, 2e éd. (Québec: Presses de
l'Université Laval, 1984), la page 335.
La question se pose de savoir si la théorie de l'al-
ter ego s'applique seulement aux ministres, parce que
ceux-ci sont responsables de leurs actes devant la
législature, ou si elle s'applique dans d'autres cir-
constances où il y a absence de responsabilité directe
devant la législature. À mon avis, le facteur crucial
n'est pas le rapport constitutionnel du ministre avec
la législature, mais le degré de contrôle exercé par
l'individu responsable de la décision prise. Cette
question est discutée dans l'arrêt O'Reilly y Commis
sioner of State Bank of Victoria (1982), 44 ALR 27
(H. Ct).
En l'espèce, la cotisation en question a été établie
au nom du sous-ministre; elle l'a été, ainsi qu'il a été
noté, selon les procédures dont lui et les fonction-
naires agissant selon ses directives sont maîtres. On
ne saurait dire que la cotisation a été établie par M.
McKenzie même s'il a matériellement supervisé la
préparation de l'avis qui a été expédié. La cotisation
a été établie par suite de la participation d'un nombre
d'intervenants, notamment des fonctionnaires du
ministère de la Justice qui ont donné leurs avis. Dans
les circonstances, j'estime qu'il convient de considé-
rer l'établissement de la cotisation comme l'acte du
sous-ministre même s'il n'a pas personnellement exa-
miné le dossier.
Si j'ai tort de penser que, en l'espèce, les actes des
fonctionnaires qui occupent un poste de rang infé-
rieur au poste de sous-ministre doivent être consi-
dérés comme ceux du sous-ministre, il est alors
nécessaire de se demander s'il existait un pouvoir
implicite permettant au sous-ministre de faire une
subdélégation.
La règle applicable a été résumée dans R. c. Harri-
son, [1977] 1 R.C.S. 238, aux pages 245 et 246:
À mon avis, le procureur général a l'autorité implicite de
déléguer son pouvoir de donner des instructions aux termes du
par. (1) de l'art. 605. Je ne pense pas que ce paragraphe exige
que dans chaque cas le procureur général interjette appel per-
sonnellement ou donne lui-même à l'avocat des instructions à
cette fin. Bien qu'il existe une règle générale d'interprétation
de la loi selon laquelle une personne doit exercer personnelle-
ment le pouvoir discrétionnaire dont elle est investie (delegatus
non potest delegare), elle peut être modifiée par les termes, la
portée ou le but d'un programme administratif donné. Le pou-
voir de délégation est souvent implicite dans un programme
qui donne au ministre le pouvoir d'agir. Comme le remarque le
professeur Willis dans «Delegatus Non Potest Delegare»,
(1943), 21 Can. Bar Rev. 257 à la p. 264:
[TRADUCTION] ... dans leur application du principe delegatus
non potest delegare aux organismes du gouvernement, les
tribunaux ont préféré le plus souvent s'éloigner de l'inter-
prétation étroite du texte de loi qui les obligerait à y voir le
mot «personnellement», et adopter l'interprétation qui con-
vient le mieux aux rouages modernes du gouvernement qui,
étant théoriquement le fait des représentants élus mais, en
pratique, celui des fonctionnaires ou des agents locaux, leur
commandent sans doute d'y voir l'expression «ou toute per-
sonne autorisée par lui».
Voir aussi S. A. DeSmith, Judicial Review of Administrative
Action, 3 e éd., à la p. 271. Lorsque l'exercice d'un pouvoir dis-
crétionnaire est confié à un ministre du gouvernement, on peut
alors supposer que les mesures nécessaires seront prises par les
fonctionnaires responsables du ministère et non par le ministre
lui-même: Carltona, Ltd. v. Commissioners of Works, [1943] 2
All E.R. 560 (C.A.). De nos jours les fonctions d'un ministre
du gouvernement sont si nombreuses et variées qu'il serait
exagéré de s'attendre à ce qu'il les remplisse personnellement.
On doit présumer que le ministre nommera des sous-ministres
et des fonctionnaires expérimentés et compétents et que ceux-
ci, le ministre étant responsable de leurs actes devant la législa-
ture, s'acquitteront en son nom de fonctions ministérielles dans
les limites des pouvoirs qui leur sont délégués. Toute autre
solution n'aboutirait qu'au chaos administratif et à l'incurie.
[C'est moi qui souligne.]
L'avocate de la demanderesse fait valoir que si le
ministre, ou probablement le sous-ministre, devait
examiner personnellement toutes les cotisations, il en
résulterait un chaos administratif. Elle prétend qu'il
existe de nombreux articles de la Loi dont le texte
ressemble à celui du paragraphe 227(10) et qui
entraînent l'établissement de milliers de cotisations.
L'avocat de la demanderesse soutient qu'une coti-
sation fondée sur le paragraphe 227(10) est d'une
nature telle qu'il n'existe pratiquement aucun pouvoir
discrétionnaire à cet égard. Dans l'affaire Riendeau,
L. c. La Reine (1991), 91 DTC 5416 (C.A.F.), à la
page 5417, la Cour discute de ce fait relativement à
d'autres dispositions de la Loi portant sur la cotisa-
tion:
Comme les décisions et les dispositions législatives qui ont
été citées par le juge Cullen le montrent bien, c'est la Loi de
l'impôt sur le revenu qui crée l'assujettissement à l'impôt, pas
un avis de cotisation. L'assujettissement d'un contribuable au
paiement de l'impôt est le même, peu importe que l'avis de
cotisation soit erroné ou ne soit jamais expédié. Dans l'arrêt
Belle-Isle c. M.R.N., 63 DTC 347 (C.A.I.), M. Boisvert, c.r., a
dit, après avoir cité des dispositions qui sont devenues l'article
166 et les paragraphes 152(8) et 152(3) de la Loi, à la page
349:
[TRADUCTION] En ce qui concerne les dispositions susmen-
tionnées, l'article de la Loi aux termes duquel une cotisation
est établie importe peu. Ce qui importe, c'est si oui ou non
de l'impôt est de.
Voir aussi M.R.N. c. Minden, 62 DTC 1044 (C. de l'E.), à la p.
1050.
Dans la présente espèce, les montants des cotisations sont
demeurés les mêmes tout au long du litige. Le point litigieux
réside dans le fait que les cotisations auraient été établies en
vertu du paragraphe 74(5) de la Loi, qui avait été abrogé, ce
qui, selon la partie appelante, rendait les cotisations nulles
même si le Ministre a par la suite corrigé l'erreur en ratifiant
les cotisations aux termes des articles 3 et 9 de la Loi.
Selon nous, le processus mental du Ministre pour établir une
cotisation ne saurait modifier l'assujettissement d'un contri-
buable au paiement de l'impôt prescrit par la Loi même.
Je ne saurais conclure que l'établissement d'une
cotisation en l'espèce soit d'une nature discrétion-
naire telle que le législateur a voulu que le ministre,
ou même le sous-ministre ou le sous-ministre adjoint,
examine personnellement chaque cotisation éven-
tuelle fondée sur le paragraphe 227(10) pour décider
si oui ou non elle devrait être établie. À cet égard, il
est révélateur que la cotisation ne soit pas de nature
définitive. Elle peut toujours être contestée devant
les tribunaux si elle n'est pas établie de façon appro-
priée, c'est-à-dire que, dans la mesure où il y a exer-
cice d'un pouvoir discrétionnaire dans l'établisse-
ment de la cotisation, ce pouvoir discrétionnaire ne
tranche pas, en dernière analyse, la question de savoir
si la cotisation est valable. Je déciderais donc qu'il
convient de conclure à l'existence d'un pouvoir
implicite permettant au sous-ministre de subdéléguer
dans ces circonstances.
Par ces motifs, l'action de la demanderesse est
accueillie. La demanderesse a droit à ses dépens de
l'action.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.