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T-911-90
Sa Majesté la Reine (demanderesse)
c .
B. M. Enterprises (défenderesse)
RÉPERTORIÉ' CANADA c. B. M. ENTERPRISES (Ire INST.)
Section de première instance, juge Reed —Prince Albert (Saskatchewan), 30 avril; Ottawa, 25 juin 1992.
Impôt sur le revenu Pratique L'art. 227(10) de la Loi de l'impôt sur le revenu permet au M.R.N. de cotiser toute per- sonne pour un montant payable en vertu de l'art. 224(4) Après avoir obtenu du ministère de la Justice l'avis qu'il y a eu non-respect de l'avis de paiement fondé sur l'art. 224(1) et l'approbation du bureau principal, le vérificateur a établi une cotisation fondée sur l'art. 227(10), selon une formule régle- mentée Cette formule a été envoyée sous le nom imprimé du sous-ministre La Cour de l'impôt a annulé la cotisation fon- dée sur l'art. 227(10) pour le motif qu'elle aurait être éta- blie par le ministre ou un fonctionnaire légalement autorisé L'art. 24(2) de la Loi d'interprétation prévoit que la mention d'un ministre dans le cadre de ses attributions vaut mention du sous-ministre du ministère en cause L'art. 900 du Règle- ment de l'impôt sur le revenu autorise le S.M.A. à exercer les pouvoirs du ministre, et contient des délégations de pouvoir particulières à d'autres fonctionnaires relativement à certains articles de la Loi La question de la délégation implicite, invoquée dans l'affaire Doyle c. M.R.N., n'a pas été soulevée en l'espèce Discussion du principe de l'alter ego, en vertu duquel un fonctionnaire est l'alter ego du ministre, puisqu'il relève entièrement de son supérieur Le degré de contrôle est le facteur crucial et non la question de savoir si on est respon- sable devant le Parlement La cotisation a été établie par le sous-ministre bien qu'il n'ait pas personnellement examiné le dossier Il existe également un pouvoir de subdélégation implicite L'établissement de la cotisation n'est pas d'une nature discrétionnaire telle que le législateur a voulu que le ministre examine personnellement chaque cotisation éventuelle fondée sur l'art. 227(10) pour décider si oui ou non elle devrait être établie Il est révélateur que la cotisation ne soit pas de nature définitive Le pouvoir discrétionnaire ne tran- che pas la question de savoir si la cotisation est valable.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, ch. 63), art. 221(1), 224(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 121), (4) (mod., idem, ch. 48, art. 103), 227(10) (mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 117).
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. 1-21, art. 24(2). Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, art. 900 (mod. par DORS/78-774, art. 1; DORS/79-803,
art.l; DORS/80-l62, art. 1; DORS/81-449, art. 1; DORS/83-797, art. 1; DORS/86-445, art. 1; DORS/87- 470, art. 1; DORS/88-219, art. 1).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
R. c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238; (1976), 66 D.L.R. (3d) 660; [1976] 3 W.W.R. 536; 28 C.C.C. (2d) 279; 8 N.R. 47.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Doyle c. M.R.N., [1990] 1 C.F. 94; [1989] 2 C.T.C. 270; (1989), 89 DTC 5483; 30 F.T.R. 1 (ITs inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Re Golden Chemical Products Ltd, [1976] 2 All ER 543 (Ch. D.); Riendeau, L. c. La Reine (1991), 91 DTC 5416 (C.A.F.).
DECISION CITÉE:
O'Reilly v Commissioner of State Bank of Victoria (1982), 44 ALR 27 (H. Ct.).
DOCTRINE
de Smith, S. A. Judicial Review of Administrative Action, 4th ed. by J. M. Evans, London: Stevens & Sons Ltd., 1980.
Dussault, R. et Borgeat, L. Traité de droit administratif, Tome 1, 2 0 &1. Québec: Presses de l'Université Laval, 1984.
APPEL de la décision (B. M. Enterprises Ltd. c. M.R.N., [1990] 1 C.T.C. 2094; (1989), 90 DTC 1037 (C.C.I.)) par laquelle la Cour de l'impôt a annulé la cotisation. Appel accueilli.
AVOCATS:
Helen C. Turner et Douglas Titosky pour la
demanderesse.
James H. W. Sanderson pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Sanderson & Wilkinson, Prince Albert (Saskat- chewan), pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE REED: La question à trancher en l'espèce est très précise: l'avis de cotisation envoyé à la défen- deresse (intimée) B. M. Enterprises par la demande- resse (appelante) en vertu du paragraphe 227(10) de
la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63 (mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 117)] a-t-il été établi par la personne compétente. Une décision de la Cour de l'impôt [[1990] 1 C.T.C. 2094] a annulé cette cotisation pour le motif qu'elle aurait être établie par le ministre du Revenu national ou un fonctionnaire légalement autorisé.
Les faits
La défenderesse devait de l'argent à Simonot Equi ties Ltd. («Simonot»). Celle-ci devait de l'argent à la demanderesse au titre des impôts payables en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, modifiée. Tant la défenderesse que Simonot sont sous le contrôle du même actionnaire, M. Marcel Simonot.
Le 17 décembre 1984, on a signifié à la défende- resse un avis délivré en application du paragraphe 224(1) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 121] de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cet avis exi- geait de la défenderesse qu'elle verse une partie de la somme qu'elle devait à Simonot non à celle-ci mais au receveur général du Canada. Le paragraphe 224(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu est ainsi rédigé:
224. (1) Lorsque le Ministre sait ou soupçonne qu'une per- sonne est ou sera, dans les 90 jours, tenue de faire un paiement à une autre personne qui, elle-même, est tenue de faire un paie- ment en vertu de la présente loi (appelée au présent article le «débiteur fiscal»), il peut, par lettre recommandée ou par lettre signifiée à personne, exiger de cette personne que les deniers autrement payables au débiteur fiscal soient en totalité ou en partie versés, immédiatement si les deniers sont alors payables ou, dans les autres cas, au fur et à mesure qu'ils deviennent payables, au receveur général au titre de l'obligation du débi- teur fiscal en vertu de la présente loi.
Le 30 avril 1985, malgré cet avis, la défenderesse a payé Simonot. Elle est donc devenue directement res- ponsable devant la Couronne du montant d'impôt par Simonot. Le paragraphe 224(4) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 103] de la Loi de l'impôt sur le revenu est ainsi conçu:
224....
(4) Toute personne qui omet de se conformer à une exigence du paragraphe (1) ou (3) est tenue de payer à Sa Majesté un montant égal au montant qu'elle était tenue, en vertu du para- graphe (1) ou (3), selon le cas, de payer au receveur général.
M. McKenzie est un vérificateur au service d'en- quête en matière de recouvrement du bureau de Revenu Canada à Prince Albert. Dans l'exercice de ses fonctions, il a fait enquête sur ce qu'on soupçon- nait d'être l'inobservation par la défenderesse de l'avis de paiement prévu au paragraphe 224(1). Il a examiné les livres tant de la défenderesse que de Simonot. Il a conclu qu'il y avait eu inobservation. Il a alors suivi la pratique ministérielle et envoyé au ministère de la Justice les renseignements qu'il avait obtenus pour demander des conseils juridiques sur la question de savoir s'il y avait eu inobservation. A cet égard, il a reçu une réponse affirmative. Il a alors écrit, suivant en cela la pratique ministérielle, au chef de la Division des programmes et opérations—recou- vrements de Revenu Canada, à Ottawa, pour avoir la permission d'établir une cotisation fondée sur le para- graphe 227(10). Le bureau de district local n'est pas habilité à établir de telles cotisations avant d'avoir obtenu l'approbation du bureau principal d'Ottawa.
M. McKenzie a adressé la demande d'approbation à une personne appartenant à la Division des pro grammes et opérations—recouvrements, à Ottawa, un certain Mike Robillard. La réponse a été signée par M. MacDonald, chef de la Division des programmes et opérations—recouvrements, et a été envoyée au surveillant de McKenzie, un certain M. Hewson, chef des recouvrements au bureau de district de Saska- toon. Encore une fois, cela était conforme à la pra- tique ministérielle habituelle.
En l'espèce, l'approbation n'a pas immédiatement été donnée. On a demandé au bureau local d'obtenir d'autres renseignements du ministère de la Justice. Ces renseignements ont été obtenus et envoyés à la division de M. MacDonald. Le 5 novembre 1986, ce dernier a envoyé à M. Hewson une lettre autorisant l'établissement d'une cotisation à l'encontre de la défenderesse en application du paragraphe 227(10).
M. McKenzie a alors obtenu du personnel de bureau la formule appropriée fondée sur le para- graphe 227(10). Cette formule est une formule régle- mentée; elle n'est donnée qu'aux fonctionnaires qui démontrent qu'ils sont habilités à s'en servir, et le personnel qui contrôle les formules prend note des détails de son usage projeté. Le numéro figurant sur la formule ainsi que les détails sur l'assujettissement
à l'impôt et le nom de la personne à qui la formule est envoyée sont consignés. M. McKenzie a donné la formule ainsi obtenue à un dactylographe, ainsi que les renseignements pertinents nécessaires pour la remplir. Les renseignements ont été dactylographiés sur la formule. Celle-ci a été retournée à M. McKen- zie pour la correction, et elle a été envoyée par la poste.
Je noterais que sur la formule figure le nom imprimé du destinateur:
H.G. ROGERS
Sous-ministre dit Revenu national Impôt
La Cour de l'impôt ne disposait pas de l'original de cet avis de cotisation. La cotisation déposée à la Cour de l'impôt était la copie légalisée de la deman- deresse, laquelle copie ne fait nullement mention de M. Rogers ni de sa position.
Analyse
Le paragraphe 227(10) de la Loi de l'impôt sur le revenu est ainsi conçu:
227... .
(10) Le ministre peut cotiser
a) toute personne pour un montant payable par elle en vertu du paragraphe (8) ou 224(4) ou (4.1) ou de l'article 227.1 ou 235;
b) toute personne qui réside au Canada pour un montant payable par elle en vertu de la partie XIII;
La défenderesse soutient que seul le ministre a compétence pour établir les cotisations fondées sur le paragraphe 227(10).
On ne saurait sérieusement prétendre que le sous- ministre n'est pas habilité à exercer le pouvoir que le ministre tient du paragraphe 227(10). Une disposition législative a expressément conféré ce pouvoir. Le paragraphe 24(2) de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, porte:
24....
(2) La mention d'un ministre par son titre ou dans le cadre de ses attributions vaut mention:
c) du sous-ministre du ministère en cause
En plus du paragraphe 24(2) de la Loi d'interpréta- tion, le paragraphe 221(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu permet de prendre des règlements autorisant les fonctionnaires désignés à exercer les pouvoirs du ministre. Des règlements ont été pris pour autoriser les sous-ministres adjoints à exercer les pouvoirs du ministre ([Règlement de l'impôt sur le revenu] C.R.C., ch. 945, article 900 [mod. par DORS/78-774, art. 1; DORS/79-803, art. 1; DORS/80-162, art. 1; DORS/81-449, art. 1; DORS/83-797, art. 1; DORS/86-445, art. 1; DORS/87-470, art. 1; DORS/88-219, art. 1]). L'article 900 contient égale- ment des délégations de pouvoir particulières à d'autres fonctionnaires relativement à certains articles de la Loi. Le paragraphe 227(10) ne figure pas parmi ceux énumérés.
Dans l'arrêt Doyle c. M.R.N., [1990] 1 C.F. 94 (lre inst.), on a discuté de la situation un fonctionnaire occupant un poste de rang inférieur au poste de sous- ministre adjoint a exercé un pouvoir qui a été conféré par la loi au ministre mais qui n'a pas fait l'objet d'une délégation expresse en vertu de l'article 900. Il a été décidé que la doctrine de la délégation implicite s'appliquait toujours, bien que l'article 900 n'ait pas expressément permis à quelqu'un occupant un poste de rang inférieur au poste de sous-ministre adjoint de prendre la décision en question. On a conclu à la sus pension de l'appel du contribuable en attendant l'is- sue d'un autre litige. L'avocat de la défenderesse pré- tend que le raisonnement suivi dans l'affaire Doyle ne s'applique pas à l'espèce parce que la mesure prise dans la présente affaire est non pas une question rou- tinière ou mineure mais d'une nature extraordinaire. Il note que jusqu'à récemment, ces cotisations ne pouvaient être établies sans que la Cour rende juge- ments.
Je ne suis pas convaincue que l'espèce soulève la question de délégation implicite comme telle. Dans l'affaire Doyle, la décision a été prise au nom du fonctionnaire qui a dit l'avoir prise et par celui-là même. En l'espèce, la cotisation a été établie au nom
Le pouvoir du ministre d'établir ces cotisations a été ajouté à la Loi par S.C. 1985, ch. 45, art. 117, qui a modifié le para- graphe 227(10) pour inclure, pour la première fois, une men tion expresse de l'obligation découlant du paragraphe 224(4). Antérieurement à 1985, il semblerait qu'il n'existait aucune disposition législative autorisant le ministre à établir des coti- sations telles que la cotisation contestée en l'espèce.
du sous-ministre et il est, à l'évidence, habilité à prendre une telle mesure. La question se pose de savoir s'il doit personnellement examiner et approu- ver l'expédition de la cotisation ou si une cotisation qui est expédiée selon les pratiques et procédures dont il est maître et par des fonctionnaires qui relè- vent de lui est suffisante. Il y a lieu de déterminer si la situation est celle dont on peut dire qu'elle est régie par ce qu'on a qualifié de théorie de l'alter ego.
Dans son ouvrage Judicial Review of Administra tive Action, 4e éd., par J. M. Evans (London: Stevens, 1980), S. A. de Smith décrit en ces termes la théorie de l'alter ego, à la page 307:
[TRADUCTION] Des facteurs particuliers interviennent lorsqu'un pouvoir dont est investi un ministre ou un ministère d'État est exercé par un fonctionnaire ministériel. Ce fonctionnaire est l'alter ego du ministre ou du ministère, et, puisqu'il relève entièrement de son supérieur, il n'est habituellement pas consi- déré comme un délégué. (Bien entendu, il en est autrement lorsqu'un acte législatif confère ou délègue explicitement des pouvoirs à un fonctionnaire.) Les tribunaux ont reconnu que «les obligations imposées aux ministres et les pouvoirs con- férés à ceux-ci sont normalement exercés sous leur autorité par des fonctionnaires responsables du ministère. La gestion publique ne saurait fonctionner si tel n'était pas le cas.» En général, donc, un ministre n'est pas tenu de s'occuper person- nellement d'une matière que lui confie une loi, mais il peut agir par l'entremise d'un fonctionnaire dûment autorisé de son ministère. Le pouvoir du fonctionnaire n'a pas à lui être con- féré par le ministre personnellement; il peut être transmis de façon générale et informelle par les supérieurs hiérarchiques du fonctionnaire selon la pratique ministérielle. [C'est moi qui souligne; renvois omis.]
Et à la page 304, il est dit ceci:
[TRADUCTION] Le degré de contrôle (a priori ou a posteriori) maintenu par l'autorité qui délègue les pouvoirs sur les actes du délégué ou du sous-délégué peut être un facteur essentiel dans la détermination de la validité de la délégation. En géné- ral, le contrôle conservé (p. ex., au moyen du pouvoir de refu- ser de ratifier un acte ou de rejeter une recommandation) doit être assez direct pour que la décision puisse être reconnue comme celle de l'autorité délégante. [Renvoi omis.]
Dans l'arrêt Re Golden Chemical Products Ltd, [1976] 2 All ER 543 (Ch. D.), à la page 547, il est dit des pouvoirs ministériels:
[TRADUCTION] (1) En règle générale, un ministre n'est pas obligé d'exercer personnellement chacun des pouvoirs discré- tionnaires et autres qu'il tient d'une loi. Il en est autrement s'il existe dans la loi un contexte qui indique que le pouvoir est conféré au ministre personnellement. (2) En règle générale, il incombe au ministre ou à ses fonctionnaires compétents de décider lequel de ses fonctionnaires exerce un pouvoir particu-
lier. (3) À moins que le niveau auquel le pouvoir doit être exercé ne se dégage de la loi, il n'appartient pas aux tribunaux d'examiner ce niveau ni de déterminer si un fonctionnaire donné qui s'est vu confier un pouvoir est la personne compé- tente pour l'exercer. (4) En règle générale, les fonctionnaires d'un ministère gouvernemental exercent des pouvoirs décou- lant de leurs fonctions et qui se rapportent à celles-ci. En l'ab- sence d'une exigence législative, il n'est ni nécessaire ni habi- tuel qu'une autorité particulière soit conférée oralement ou par écrit relativement à un pouvoir particulier. (5) Sur le plan de la constitution, il n'existe aucune délégation par un ministre à ses fonctionnaires. Lorsqu'un fonctionnaire exerce un pouvoir ou une discrétion qu'on lui confère, cet exercice constitue, sur le plan constitutionnel et sur le plan légal, l'acte même du minis- tre. [C'est moi qui souligne.]
Voir également Dussault et Borgeat, Traité de droit administratif, Tome I, 2e éd. (Québec: Presses de l'Université Laval, 1984), la page 335.
La question se pose de savoir si la théorie de l'al- ter ego s'applique seulement aux ministres, parce que ceux-ci sont responsables de leurs actes devant la législature, ou si elle s'applique dans d'autres cir- constances il y a absence de responsabilité directe devant la législature. À mon avis, le facteur crucial n'est pas le rapport constitutionnel du ministre avec la législature, mais le degré de contrôle exercé par l'individu responsable de la décision prise. Cette question est discutée dans l'arrêt O'Reilly y Commis sioner of State Bank of Victoria (1982), 44 ALR 27 (H. Ct).
En l'espèce, la cotisation en question a été établie au nom du sous-ministre; elle l'a été, ainsi qu'il a été noté, selon les procédures dont lui et les fonction- naires agissant selon ses directives sont maîtres. On ne saurait dire que la cotisation a été établie par M. McKenzie même s'il a matériellement supervisé la préparation de l'avis qui a été expédié. La cotisation a été établie par suite de la participation d'un nombre d'intervenants, notamment des fonctionnaires du ministère de la Justice qui ont donné leurs avis. Dans les circonstances, j'estime qu'il convient de considé- rer l'établissement de la cotisation comme l'acte du sous-ministre même s'il n'a pas personnellement exa- miné le dossier.
Si j'ai tort de penser que, en l'espèce, les actes des fonctionnaires qui occupent un poste de rang infé- rieur au poste de sous-ministre doivent être consi- dérés comme ceux du sous-ministre, il est alors
nécessaire de se demander s'il existait un pouvoir implicite permettant au sous-ministre de faire une subdélégation.
La règle applicable a été résumée dans R. c. Harri- son, [1977] 1 R.C.S. 238, aux pages 245 et 246:
À mon avis, le procureur général a l'autorité implicite de déléguer son pouvoir de donner des instructions aux termes du par. (1) de l'art. 605. Je ne pense pas que ce paragraphe exige que dans chaque cas le procureur général interjette appel per- sonnellement ou donne lui-même à l'avocat des instructions à cette fin. Bien qu'il existe une règle générale d'interprétation de la loi selon laquelle une personne doit exercer personnelle- ment le pouvoir discrétionnaire dont elle est investie (delegatus non potest delegare), elle peut être modifiée par les termes, la portée ou le but d'un programme administratif donné. Le pou- voir de délégation est souvent implicite dans un programme qui donne au ministre le pouvoir d'agir. Comme le remarque le professeur Willis dans «Delegatus Non Potest Delegare», (1943), 21 Can. Bar Rev. 257 à la p. 264:
[TRADUCTION] ... dans leur application du principe delegatus non potest delegare aux organismes du gouvernement, les tribunaux ont préféré le plus souvent s'éloigner de l'inter- prétation étroite du texte de loi qui les obligerait à y voir le mot «personnellement», et adopter l'interprétation qui con- vient le mieux aux rouages modernes du gouvernement qui, étant théoriquement le fait des représentants élus mais, en pratique, celui des fonctionnaires ou des agents locaux, leur commandent sans doute d'y voir l'expression «ou toute per- sonne autorisée par lui».
Voir aussi S. A. DeSmith, Judicial Review of Administrative Action, 3 e éd., à la p. 271. Lorsque l'exercice d'un pouvoir dis- crétionnaire est confié à un ministre du gouvernement, on peut alors supposer que les mesures nécessaires seront prises par les fonctionnaires responsables du ministère et non par le ministre lui-même: Carltona, Ltd. v. Commissioners of Works, [1943] 2 All E.R. 560 (C.A.). De nos jours les fonctions d'un ministre du gouvernement sont si nombreuses et variées qu'il serait exagéré de s'attendre à ce qu'il les remplisse personnellement. On doit présumer que le ministre nommera des sous-ministres et des fonctionnaires expérimentés et compétents et que ceux- ci, le ministre étant responsable de leurs actes devant la législa- ture, s'acquitteront en son nom de fonctions ministérielles dans les limites des pouvoirs qui leur sont délégués. Toute autre solution n'aboutirait qu'au chaos administratif et à l'incurie. [C'est moi qui souligne.]
L'avocate de la demanderesse fait valoir que si le ministre, ou probablement le sous-ministre, devait examiner personnellement toutes les cotisations, il en résulterait un chaos administratif. Elle prétend qu'il existe de nombreux articles de la Loi dont le texte ressemble à celui du paragraphe 227(10) et qui entraînent l'établissement de milliers de cotisations.
L'avocat de la demanderesse soutient qu'une coti- sation fondée sur le paragraphe 227(10) est d'une nature telle qu'il n'existe pratiquement aucun pouvoir discrétionnaire à cet égard. Dans l'affaire Riendeau, L. c. La Reine (1991), 91 DTC 5416 (C.A.F.), à la page 5417, la Cour discute de ce fait relativement à d'autres dispositions de la Loi portant sur la cotisa- tion:
Comme les décisions et les dispositions législatives qui ont été citées par le juge Cullen le montrent bien, c'est la Loi de l'impôt sur le revenu qui crée l'assujettissement à l'impôt, pas un avis de cotisation. L'assujettissement d'un contribuable au paiement de l'impôt est le même, peu importe que l'avis de cotisation soit erroné ou ne soit jamais expédié. Dans l'arrêt Belle-Isle c. M.R.N., 63 DTC 347 (C.A.I.), M. Boisvert, c.r., a dit, après avoir cité des dispositions qui sont devenues l'article 166 et les paragraphes 152(8) et 152(3) de la Loi, à la page 349:
[TRADUCTION] En ce qui concerne les dispositions susmen- tionnées, l'article de la Loi aux termes duquel une cotisation est établie importe peu. Ce qui importe, c'est si oui ou non de l'impôt est de.
Voir aussi M.R.N. c. Minden, 62 DTC 1044 (C. de l'E.), à la p. 1050.
Dans la présente espèce, les montants des cotisations sont demeurés les mêmes tout au long du litige. Le point litigieux réside dans le fait que les cotisations auraient été établies en vertu du paragraphe 74(5) de la Loi, qui avait été abrogé, ce qui, selon la partie appelante, rendait les cotisations nulles même si le Ministre a par la suite corrigé l'erreur en ratifiant les cotisations aux termes des articles 3 et 9 de la Loi.
Selon nous, le processus mental du Ministre pour établir une cotisation ne saurait modifier l'assujettissement d'un contri- buable au paiement de l'impôt prescrit par la Loi même.
Je ne saurais conclure que l'établissement d'une cotisation en l'espèce soit d'une nature discrétion- naire telle que le législateur a voulu que le ministre, ou même le sous-ministre ou le sous-ministre adjoint, examine personnellement chaque cotisation éven- tuelle fondée sur le paragraphe 227(10) pour décider si oui ou non elle devrait être établie. À cet égard, il est révélateur que la cotisation ne soit pas de nature définitive. Elle peut toujours être contestée devant les tribunaux si elle n'est pas établie de façon appro- priée, c'est-à-dire que, dans la mesure il y a exer- cice d'un pouvoir discrétionnaire dans l'établisse- ment de la cotisation, ce pouvoir discrétionnaire ne tranche pas, en dernière analyse, la question de savoir si la cotisation est valable. Je déciderais donc qu'il convient de conclure à l'existence d'un pouvoir
implicite permettant au sous-ministre de subdéléguer dans ces circonstances.
Par ces motifs, l'action de la demanderesse est accueillie. La demanderesse a droit à ses dépens de l'action.
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