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T-1109-91
Nestle Enterprises Limited (demanderesse)
c.
Edan Food Sales Inc. (défenderesse)
RÉPERTORIÉ' NESTLE ENTERPRISES LTD. C. EDANFOOD SALES INC. (Ire INST. )
Section de première instance, juge Strayer—Toronto, 31 juillet; Ottawa, 9 août 1991.
Marques de commerce Passing off La contrefaçon ne saurait faire l'objet d'un débat puisqu'elle n'a pas été men- tionnée dans l'avis de requête Demande d'injonction inter- locutoire présentée par l'usager inscrit au Canada de «Nes- cafe» en liaison avec des mélanges de café instantané pur à l'encontre de l'importateur d'un mélange à base de chicorée portant la même marque et ayant un emballage similaire Le produit importé a été fait et conditionné par l'usager inscrit de la marque aux É.-U. Retard dans l'introduction de l'action
L'existence d'un préjudice irréparable qui ne pourrait être compensé au moyen de dommages-intérêts n'a pas été établie
Le principe selon lequel la contrefaçon d'une marque de commerce établit l'existence d'un préjudice irréparable ne s'applique pas puisque: 1) la défenderesse est en droit de pré- sumer que la contrefaçon n'est pas en question, n'ayant pas été soulevée dans l'avis de requête; 2) la validité ne saurait être présumée puisque la défense a contesté la validité de la marque; 3) la marque a légalement été apposée par l'usager inscrit américain; 4) la demanderesse n'est pas le propriétaire inscrit.
Injonctions Demande d'injonction interlocutoire présen- tée par l'usager inscrit au Canada de «Nescafe» en liaison avec des mélanges de café instantané pur à l'encontre de l'im- portateur d'un mélange à base de chicorée portant la même marque et ayant un emballage similaire Le produit importé a été fait et conditionné par l'usager inscrit de la marque aux É.-U. D'importantes questions ont été soulevées («pratique des transactions parallèles» ou «importation parallèle»), mais rien ne démontre l'existence d'un préjudice irréparable qui ne saurait être compensé au moyen de dommages-intérêts Le produit de la défenderesse est différent, mais n'est pas de qua- lité inférieure Il existe une différence importante dans les étiquettes et les couvercles de bocal, ce qui réduit la possibilité d'une confusion de la part du consommateur.
Commerce extérieur Demande d'injonction interlocutoire qui interdirait à la défenderesse d'importer des É.-U. un mélange de café à base de chicorée Le produit importé a été fait et conditionné par l'usager inscrit aux É.-U. de la marque de commerce «Nescafe» La demanderesse est l'usager ins- crit au Canada de la même marque La défenderesse demande une ordonnance sollicitant les vues du gouvernement canadien concernant l'effet de l'Accord de libre-échange Canada—États-Unis sur le droit d'un acheteur canadien qui
se procure sur le marché américain des marchandises portant une marque authentique de revendre ces marchandises au Canada sans qu'y fassent obstacle le propriétaire de la marque de commerce ou ceux qui en tirent des droits afférents à la marque de commerce La demande d'injonction est rejetée Il est inutile de trancher la demande de la défenderesse Il ne convient pas de remettre la décision sur la demande d'injonc- tion en attendant une entente possible sur l'interprétation de l'Accord en raison du temps requis et de la pertinence incer- taine La défenderesse doit démontrer ce qui suit: la procé- dure prévue à l'art. 1808 de l'Accord fait partie du droit interne canadien, l'interprétation de l'Accord est pertinente, et il faut donner la raison pour laquelle la Cour devrait «sollici- ter» les vues de l'Exécutif
Il s'agit d'une demande d'injonction interlocutoire qui inter- dirait à la défenderesse d'attirer l'attention du public sur ses marchandises de manière à causer de la confusion, contraire- ment à l'article 7 de la Loi sur les marques de commerce. La demanderesse est l'usager inscrit au Canada des marques de commerce «Nescafe» et «Nescafe & Design». Depuis avril 1990, la défenderesse importe au Canada pour la vente un mélange de café instantané portant la marque de commerce de la demanderesse. Le produit importé est fait par l'usager inscrit de la marque de commerce aux États-Unis et est réellement un mélange de café et de chicorée. Son emballage est pratique- ment identique à celui des mélanges de café pur de la deman- deresse. Bien que la demanderesse ait été au courant des acti- vités de la défenderesse en septembre 1990, elle n'a intenté les présentes procédures qu'en avril 1991. La demanderesse se plaint de ce que l'emballage cause de la confusion et elle allègue qu'il y a eu passing off.
En même temps, la défenderesse se fonde sur l'article 1808 de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis pour conclure à une ordonnance qui solliciterait les vues du gouvernement canadien concernant l'effet de l'Accord sur le droit d'un ache- teur canadien qui se procure sur le marché américain des mar- chandises portant une marque authentique de revendre ces marchandises au Canada sans qu'y fassent obstacle le proprié- taire de la marque de commerce et quiconque en tire des droits afférents à la marque de commerce. Une telle ordonnance exi- gerait que les gouvernements canadien et américain tentent de parvenir à une entente, faute de quoi l'un ou l'autre gouverne- ment pourrait présenter des observations quant à l'interpréta- tion appropriée de l'Accord.
Jugement: la demande d'injonction interlocutoire devrait être rejetée à condition que la défenderesse tienne une compta- bilité des ventes au Canada de son café jusqu'à l'instruction. L'audition de la demande de la défenderesse devrait être ajour- née sine die.
La demanderesse n'a pas droit à une injonction interlocu- toire parce qu'elle a tardé à la demander.
La demanderesse échoue également pour ce qui est de l'es- sence de la demande d'injonction. Bien que d'importantes questions de «pratique des transactions parallèles» ou d'«im- portation parallèle» aient été soulevées, la preuve n'a pas établi l'existence d'un préjudice irréparable qui ne pourrait être com-
pensé au moyen de dommages-intérêts. La preuve n'a pas non plus établi une possibilité réelle de confusion entre les deux produits, ni que, s'il y en avait, ce serait, dans une grande mesure, au détriment de la demanderesse. Il existe d'impor- tantes différences entre les étiquettes, et les bocaux ont des couvercles colorés différents. De plus, l'étiquette de la défen- deresse dit clairement que le mélange contient de la chicorée ou a un goût de chicorée, et elle donne la source des mélanges respectifs. Le café de la défenderesse n'est pas un produit infé- rieur; il est simplement un produit différent, et l'étiquette fait suffisamment état de cette différence.
Le principe qu'une contrefaçon évidente d'une marque de commerce enregistrée établit en soi un préjudice irréparable ne s'applique pas. La défenderesse était en droit de présumer que la contrefaçon ne faisait pas l'objet de la présente procédure, la question de contrefaçon n'ayant pas été soulevée dans l'avis de requête. De plus, on a récemment mis en doute le principe selon lequel le propriétaire inscrit d'une marque de commerce a droit à l'usage exclusif de cette marque jusqu'à la preuve de l'invalidité de celle-ci. Dans l'arrêt Syntex Inc. c. Novopharm Ltd., la Cour d'appel fédérale a statué que, si la validité de la marque de commerce est contestée dans le cadre d'une défense, il n'y a pas lieu à présomption de validité. A supposer que le même principe s'applique à l'enregistrement d'un usa- ger de marque de commerce, la défenderesse a contesté la vali- dité des marques de commerce «Nescafe» et «Nescafe & Design», alléguant qu'elles sont incapables de distinguer les marchandises de la demanderesse de celles du propriétaire ins- crit des marques de commerce dont la défenderesse dit qu'elles sont les «marques de la maison» d'un groupe international de sociétés Nestlé. Qui plus est, la marque de commerce sur les marchandises vendues par la défenderesse a légalement été apposée par l'usager inscrit américain à ses propres marchan- dises que la défenderesse a par la suite achetées et revendues au Canada. En dernier lieu, la demanderesse est, non pas le propriétaire inscrit de la marque de commerce, mais un usager inscrit au Canada.
Une injonction ayant été refusée, il n'est pas nécessaire d'examiner si l'Accord de libre-échange donne un autre moyen de défense. En tout état de cause, il ne conviendrait pas de remettre la décision sur la demande d'injonction en attendant une entente possible de la part des gouvernements canadien et américain sur l'interprétation de l'Accord de libre-échange. Une telle procédure prendrait tellement de temps qu'elle ren- drait futile la demande d'injonction. Une telle question est une question de fond et devrait être ajournée jusqu'à l'instruction. Le rapport de cette demande avec ou bien une injonction inter- locutoire ou bien avec le règlement définitif de l'affaire n'est pas clair et exigerait une argumentation approfondie. La défen- deresse devra démontrer 1) que la procédure extraordinaire envisagée par l'article 1808 de l'Accord de libre-échange fait partie du droit interne canadien de manière à exiger de cette Cour qu'elle connaisse de ces requêtes, 2) qu'il y a une ques tion d'interprétation de l'Accord de libre-échange qui se rap- porte à l'espèce, et 3) que la Cour devrait «solliciter» les vues de l'Exécutif sur l'interprétation juridique de l'Accord de libre-échange, décision que même l'article 1808 laisse à la dis- crétion de la Cour.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange Cana- da—États-Unis, L.C. 1988, chap. 65, art. 2.
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), chap. T-13, art. 7.
JURISPRUDENCE DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc., [1989] 2 C.F. 451; (1989), 22 C.I.P.R. 172; 24 C.P.R. (3d) 1; 91 N.R. 341 (C.A.); Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
H.J. Heinz Co. of Canada Ltd. c. Edan Foods Sales Inc. (1991), 35 C.P.R. (3d) 213 (C.F. Iie inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Imperial Chemical Industries PLC c. Apotex, Inc., [1990] 1 C.F. 221; (1989), 26 C.I.P.R. 1; 27 C.P.R. (3d) 345; 28 F.T.R. 240 (note); 101 N.R. 147 (C.A.); Maple Leaf Mills Ltd. c. Quaker Oat Co. of Can. (1984), 2 C.I.P.R. 33; 82 C.P.R. (2d) 118 (C.F.] re inst.); Joseph E. Seagram & Sons Ltd. c. Andres Wines Ltd. (1987), 16 C.I.P.R. 131; 16 C.P.R. (3d) 481; (1987), 11 F.T.R. 139 (C.F. I1e inst.); Jercity Franchises Ltd. c. Foord (1990), 34 C.P.R. (3d) 289; 39 F.T.R. 315 (C.F. 1re inst.).
AVOCATS:
John R. Morrissey et Alistair G. Simpson pour la demanderesse.
Timothy J. Sinnott pour la défenderesse. Jonathan Keene pour le procureur général du Canada.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Toronto, pour la demanderesse. Barrigar & Oyen, Toronto, pour la défenderesse. Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER:
La réparation demandée
Il s'agit d'une demande présentée par la demande- resse en vue d'obtenir une injonction interlocutoire qui interdirait à la défenderesse d'appeler l'attention du public sur ses marchandises de manière à causer
de la confusion entre ses marchandises et celles de la demanderesse, contrairement à l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce [L.R.C. (1985), chap. T-13], de faire passer ses marchandises pour celles qui sont commandées ou demandées, en violation de l'alinéa 7c) de la Loi sur les marques de commerce, et de faire un acte ou adopter une méthode d'affaires contraire aux honnêtes usages industriels ayant cours au Canada, en contravention de l'alinéa 7e) de la Loi sur les marques de commerce. A l'audition de la pré- sente demande, on n'a pas beaucoup insisté sur les deux derniers aspects de l'injonction ni sérieusement discuté de ceux-ci. Au lieu de cela, l'avocat de la demanderesse a cherché à ajouter à la réparation demandée une injonction portant interdiction de con- trefaire les marques de commerce dont la demande- resse est l'usager inscrit au Canada. L'avocat de la défenderesse n'a pas consenti à ce que l'avis de requête soit modifié, et il s'est particulièrement opposé à ce que la demande d'injonction s'étende pour porter également sur la contrefaçon. Je trouve que son opposition est bien fondée.
La défenderesse a également déposé un avis de requête, qui n'a pas fait l'objet d'un débat à ce stade, visant à obtenir une ordonnance de la Cour deman- dant que le gouvernement du Canada donne ses vues concernant l'effet sur l'espèce des articles pré- tendument pertinents de l'Accord de libre-échange Canada—États-Unis [Loi de mise en oeuvre de l'Ac- cord de libre-échange Canada—États-Unis, L.C. 1988, chap. 65, annexe, Partie A].
Les faits
La société demanderesse a été constituée en Onta- rio. Elle est l'usager inscrit au Canada de plusieurs marques de commerce dont la Société des Produits Nestlé S.A. de Suisse est la propriétaire inscrite au Canada. Il s'agit notamment des marques de com merce «Nescafe» et «Nescafe & Design» (le dessin étant la bande horizontale familière commençant au haut de la hampe droite de la lettre «N» et avançant vers la droite au-dessus des lettres légèrement plus petites «escaf» pour s'arrêter net au dernier «E» au- dessus duquel apparaît un accent aigu). Aux fins de l'espèce, les mélanges de café instantané faits ou con- ditionnés ou vendus au Canada par la demanderesse comprennent Columbia, Rich Blend, Viva et Encore.
Les trois premiers mélanges sont vendus dans le bocal familier plutôt carré avec un couvercle strié cylindrique. Il existe un degré de similarité entre leurs étiquettes puisqu'elles décrivent chacune des grains de café quelque part sur l'étiquette. Dans chaque cas, il s'agit d'un café pur. Le mélange Encore est par contre vendu dans un bocal rond avec un bouchon plus arrondi. Des grains de café ne sont pas peints sur l'étiquette Encore, mais seule celle-ci donne une représentation du soleil. Encore n'est pas un mélange de café pur, mais un mélange de café avec de la chicorée, et l'étiquette le dit clairement.
Il est constant que la défenderesse achète depuis avril 1990 aux Etats-Unis et importe au Canada pour la vente un mélange de café instantané portant la marque de commerce «Nescafe» avec dessin, qui est manifestement identique à celle dont la demanderesse est l'usager inscrit au Canada. Le café instantané importé par la défenderesse est fait par la Nestlé Beverage Company de San Francisco (Californie), qui a obtenu de la Société des Produits Nestlé S.A. une licence à titre d'usager de cette marque de com merce aux États-Unis. Le mélange particulier importé est nommé «Mountain Blend» et est conditionné dans un bocal plutôt carré avec un couvercle cylindrique pratiquement identique à ceux utilisés par la deman- deresse pour ses mélanges de café instantané pur. L'emballage de «Mountain Blend» ressemble dans une certaine mesure à celui des mélanges de café pur de la demanderesse en ce que quelques grains de café sont peints sur l'étiquette. Toutefois, l'étiquette «Mountain Blend» dit clairement qu'il s'agit de «Ins- tant Coffee With Natural Flavour extracted from Chi cory» (café instantané avec une saveur naturelle extrait de chicorée).
La demanderesse se plaint de ce que l'emballage de «Mountain Blend» cause de la confusion avec celui des mélanges purs, particulièrement le «Rich Blend», parce que tous les deux mélanges «Mountain Blend» et «Rich Blend» ont du rouge sur leurs éti- quettes. Dans sa déclaration, la demanderesse allègue qu'il y a eu contrefaçon de ses droits exclusifs décou- lant de son statut d'usager inscrit d'une marque de commerce ou de marques de commerce (il me semble que les seules marques de commerce enregistrées qui sont pertinentes aux fins de l'espèce sont «Nescafe» et «Nescafe & Design»). Elle allègue également qu'il
y a eu passing off et autre comportement de la part de la défenderesse, contrairement aux alinéas 7b),c), et e) de la Loi sur les marques de commerce. Mais, comme il a été noté ci-dessus, dans son avis de requête, elle a seulement conclu à une injonction visant le comportement qui serait interdit par l'article 7, essentiellement l'acte de passing off.
Les conclusions
J'ai conclu qu'il n'y avait pas lieu au décernement d'une injonction interlocutoire. Tout d'abord, j'es- time que la demanderesse n'a pas droit à une injonc- tion en raison du retard de la demande. II ressort de la preuve que la défenderesse a commencé à vendre le café «Mountain Blend» au Canada en avril 1990. Je suis également convaincu que la demanderesse en était consciente du moins dès septembre 1990. Il y a eu par la suite des conversations à bâtons rompus entre des employés de la demanderesse et le président de la défenderesse. Bien que, dès septembre 1990, un employé de la demanderesse ait exprimé de la désap- probation quant à la vente par la défenderesse des marques «Nescafe» au Canada, aucune démarche officielle n'a été entreprise pour exiger une cessation de ces ventes. Au lieu de cela, la demanderesse s'est mise d'une façon très délibérée à organiser des réu- nions pour discuter du règlement de la question, les- quelles réunions n'ont pas commencé avant février 1991. La déclaration n'a été déposée que le 25 avril 1991, et l'avis de requête n'a pas été déposé avant le 29 avril. Entre-temps, la défenderesse a commencé à emménager dans un entrepôt plus grand, en partie en raison du volume important de ses activités commer- ciales que les ventes de «Mountain Blend» représen- tent, pour recevoir des commandes et commander du «Mountain Blend». Selon la demanderesse, il était difficile de déterminer quels commerçants introdui- saient au Canada des mélanges particuliers de café et, en fait, elle estimait que la défenderesse importait plusieurs mélanges, ce qui, elle le reconnaît mainte- nant, n'était pas le cas. Comme la demanderesse semble s'être rendu compte dès septembre 1990 que la défenderesse importait un ou plusieurs mélanges «Nescafe», elle aurait pu envoyer une lettre de cessa tion et d'abstention à l'égard de tous les mélanges et faire comprendre à la défenderesse qu'elle intenterait une action en justice si les mélanges de «Nescafe» étaient importés et vendus sous la marque de com-
merce «Nescafe», ce qui n'a pas été fait. Par ce seul motif, la demanderesse n'a pas le droit d'obtenir une injonction interlocutoire.
J'estime également que la demanderesse doit échouer pour ce qui est de l'essence de l'injonction, appliquant les critères adoptés par la Cour d'appel fédérale dans son arrêt Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inca. J'estime que la demanderesse a sou- levé une question sérieuse à trancher, compte tenu notamment du fait qu'elle est l'usager inscrit au Canada de la marque de commerce «Nescafe & Design», qui figure indiscutablement sur le produit que la défenderesse vend actuellement dans ce pays. Il y a à trancher en l'espèce d'importantes questions de «pratique des transactions parallèles» ou d' «im- portation parallèle» donnant lieu à des questions juri- diques qui sont loin d'être réglées.
Je n'estime toutefois pas que la demanderesse a établi qu'elle subirait un préjudice irréparable qui ne pourrait être compensé au moyen de dommages-inté- rêts si la défenderesse continuait de vendre les mélanges «Mountain Blend» jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la présente action. La preuve ne me con- vainc pas qu'il y a une confusion éventuelle impor- tante entre les «Mountain Blend» de la défenderesse et les «Rich Blend» ou autres mélanges de café pur de la demanderesse, ni que si cela existe, ce sera, dans une grande mesure, au détriment de la demande- resse. En premier lieu, il existe des différences essen- tielles entre les étiquettes des mélanges «Mountain Blend» et celles des mélanges «Rich Blend», et leurs bocaux ont des couvercles colorés différents. En second lieu, l'étiquette «Mountain Blend» dit claire- ment que le mélange contient de la chicorée ou un goût de chicorée. De plus, la source de ces mélanges respectifs est donnée sur l'étiquette aussi, «Mountain Blend» étant étiqueté «Nestlé Foods Corporation, Purchase, N.Y. 10577» et «Rich Blend», «Nestlé, Don Mills, Ont. M3C 3C7». Une personne qui fait ses courses et qui s'intéresse un peu sérieusement au type de mélange de café qu'il achète peut facilement percevoir que «Mountain Blend» est un mélange de chicorée avant de l'acheter. S'il ne s'en aperçoit pas et s'il n'est pas satisfait du goût lorsqu'il prend une tasse de café, il peut facilement examiner l'étiquette pour se rendre compte qu'il a acheté un mélange de
[1989] 2 C.F. 451 (C.A.).
café contenant de la chicorée, mélange qui n'est pas fabriqué par la demanderesse. La preuve ne me con- vainc pas que «Mountain Blend» est un produit «inférieur». Il diffère simplement des mélanges de café pur de la demanderesse et l'étiquette fait suffi- samment état de cette différence. Je ne saurais con- clure de la preuve dont je suis saisi que la vente con tinue de «Mountain Blend» au Canada va causer un préjudice irréparable à la clientèle de la partie deman- deresse liée à ses produits. Une simple spéculation n'est pas suffisante 2 .
Je connais bien entendu une série de décisions ren- dues par la Section de première instance, à laquelle j'ai contribué, et dans laquelle il a été jugé qu'une contrefaçon évidente d'une marque de commerce enregistrée établit en soi un préjudice irréparable 3 . J'estime qu'il ne convient pas d'appliquer ce principe en l'espèce. Ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, la demanderesse n'a pas, dans son avis de requête, cherché à obtenir une injonction pour empêcher la contrefaçon des marques de commerce dont elle est l'usager inscrit au Canada. Il s'agit probablement d'une décision délibérée fondée sur l'incertitude de la jurisprudence sur les droits des usagers inscrits. La défenderesse était en droit de présumer que la contre- façon ne faisait pas l'objet de la présente procédure d'injonction. De plus, le récent arrêt de la Cour d'ap- pel fédérale Syntex Inc. c. Novopharm Inc. 4 a émis de sérieux doutes sur le principe adopté dans plusieurs décisions de la Section de première instance, préci- tées, selon lequel le propriétaire inscrit d'une marque de commerce a droit à l'usage exclusif de cette marque de commerce en vertu de l'article 19 de la Loi sur les marques de commerce, à moins qu'on ne rapporte la preuve de l'invalidité de la marque de commerce, et on ne devrait pas obliger le propriétaire inscrit à partager entre-temps cette marque de com merce contre son gré. Dans l'affaire Novopharm, la Cour d'appel a estimé que si la validité de l'enregis-
2 Voir p. ex. Imperial Chemical Industries PLC c. Apotex, Inc., [1990] 1 C.F. 221 (C.A.), à la p. 228; Syntex Inc. c. Novo- pharm Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.), à la p. 135.
3 Voir p. ex. Maple Leaf Mills Ltd. c. Quaker Oat Co. of Can. (1984), 2 C.LP.R. 33 (C.F. Ire inst.); Joseph E. Seagram & Sons Ltd. c. Andres Wines Ltd. (1987), 16 C.I.P.R. 131 (C.F. lre inst.); Jercity Franchises Ltd. c. Foord (1990), 34 C.P.R. (3d) 289 (C.F. Ire inst.); H.J. Heinz Co. of Canada Ltd. c. Edan Foods Sales Inc. (1991), 35 C.P.R. (3d) 213 (C.F. ire inst.).
4 Supra, renvoi 2.
trement de la marque de commerce est mise en doute dans une action, le juge de première instance qui est saisi d'une requête en injonction interlocutoire intro- duite pour empêcher la contrefaçon de cette marque de commerce jusqu'à l'instruction de l'action, à sup- poser que cette marque de commerce soit valide jus- qu'à ce que sa validité ait été contestée avec succès, [TRADUCTION] «se prononcerait sur la véritable ques tion qui doit être tranchée à l'instruction». En d'autres termes, si un défendeur soulève, dans le cadre de sa défense, l'invalidité alléguée de la marque de commerce, on ne saurait présumer que cette marque de commerce est valide. Je suppose que le même principe doive s'appliquer à l'enregistre- ment d'un usager de marque de commerce. En l'es- pèce, la défenderesse a, dans sa défense, contesté notamment la validité des marques de commerce «Nescafe» et «Nescafe & Design», alléguant qu'elles ne sont pas distinctives parce qu'elles ne peuvent dis- tinguer les marchandises de la demanderesse de cel- les de la Société des Produits Nestlé S.A., la proprié- taire inscrite de ces marques de commerce, dont la défenderesse dit qu'elles sont les [TRADUCTION] «marques de la maison» d'un groupe international de sociétés Nestlé.
De plus, je ne pense pas que le principe énoncé dans diverses décisions de la Section de première ins tance, selon lequel il y a préjudice irréparable lors- qu'il existe une preuve essentielle de contrefaçon d'une marque de commerce enregistrée, s'applique en l'espèce. On a normalement recouru à ce principe dans des cas le défendeur a apposé un fac-similé de la marque de commerce du demandeur à ses mar- chandises sans autorisation. L'espèce est tout à fait différente: il est constant que c'est la Nestlé Beverage Company des États-Unis qui a légalement apposé la marque de commerce figurant sur les marchandises vendues par la défenderesse à ses propres marchandi- ses que la défenderesse a par la suite achetées et revendues au Canada. De plus, la demanderesse est, non pas la propriétaire inscrite de la marque de com merce, mais un usager inscrit au Canada. Ces faits font que toute présomption de préjudice irréparable serait inopportune.
En parvenant à ces conclusions, j'ai soigneusement tenu compte de la décision rendue récemment par
mon collègue le juge Cullen dans l'affaire Heinz 5 , il a rendu une injonction interlocutoire contre cette même défenderesse relativement à la vente au Canada du ketchup Heinz fait aux États-Unis. J'es- time que cette affaire et l'espèce se distinguent l'une de l'autre en ce que la demanderesse dans cette affaire-là a demandé une injonction pour empêcher la contrefaçon, et qu'elle était la propriétaire inscrite au Canada de la marque de commerce. De plus, l'embal- lage du produit américain était indifférenciable de celui du produit fait au Canada par la demanderesse; cependant, le goût était essentiellement différent.
Je rejette donc la requête en injonction interlocu- toire, mais le rejet dépend de la condition que, comme le président de la défenderesse y a consenti, celle-ci tienne une comptabilité de toutes les ventes au Canada de café à base de chicorée «Mountain Blend» jusqu'à ce qu'il ait été définitivement statué sur la présente action.
Ainsi qu'il a été noté ci-dessus, la défenderesse a également déposé un avis de requête pour être entendu au moment de la demande d'injonction qui, tel qu'il a été modifié, demandait une ordonnance
[TRADUCTION] Sollicitant les vues du gouvernement du Canada concernant l'effet des articles 102, 105, 501 et 2004 de l'Ac- cord de libre-échange Canada-États-Unis, et de toute autre dis position applicable de celui-ci, sur le droit d'un acheteur cana- dien de marchandises portant une marque authentique et qui sont mises sur le marché américain par le propriétaire de la marque de commerce ou avec son consentement, de revendre ces marchandises au Canada sans qu'y fassent obstacle le pro- priétaire de la marque de commerce ou les filiales canadiennes de celui-ci ou toute autre société qui est liée au propriétaire de la marque de commerce, ou qui en tire par ailleurs des droits afférents à la marque de commerce.
Cette requête repose sur l'article 1808 de l'Accord de libre-échange Canada—États-Unis 6 , qui prévoit:
Article 1808 Renvois d'instances judiciaires ou adminis- tratives
L S'il survient, devant une instance judiciaire ou administra tive d'une Partie, une question d'interprétation du présent accord dont l'une ou l'autre Partie estime qu'elle mérite son intervention, ou si un organe judiciaire ou administratif solli-
5 Supra, renvoi 3.
6 Tel qu'il est défini dans la Loi de mise en œuvre de l'Ac- cord de libre-échange Canada—États-Unis, L.C. 1988, chap. 65, art. 2.
cite les vues de l'une des Parties, les deux Parties s'efforceront de s'entendre sur l'interprétation qu'il convient de donner aux dispositions applicables du présent accord.
2. La Partie sur le territoire de laquelle se trouve l'organe judi- ciaire ou administratif présentera toute interprétation convenue à l'organe concerné, conformément aux règles de cet organe. Si les Parties ne parviennent pas à s'entendre sur l'interpréta- tion de la disposition en cause du présent accord, l'une ou l'autre Partie pourra présenter ses propres vues à l'organe con cerné, conformément aux règles de cet organe.
Je considère donc la requête de la défenderesse comme étant une requête tendant à l'obtention d'une ordonnance par laquelle je solliciterais les vues du gouvernement du Canada sur la question de savoir si certains articles de l'Accord de libre-échange régis- sent ou touchent les droits des parties en l'espèce. Si je devais rendre une telle ordonnance pour solliciter les vues du gouvernement du Canada, ce dernier s'ef- forcerait de s'entendre avec le gouvernement des États-Unis sur cette question et, à défaut d'une telle entente, l'un ou l'autre gouvernement pourrait pré- senter des observations à cette Cour quant à l'inter- prétation appropriée de l'accord.
À la fin de l'audition de la demande d'injonction, les avocats et moi-même nous sommes convenus que j'ajournerais l'audition de la demande tendant à l'ob- tention d'une ordonnance sollicitant les vues du gou- vernement du Canada, et que je donnerais des direc tives appropriées quant à la nouvelle audition de cette demande quand j'aurais déterminé la façon dont je statuerais sur la demande d'injonction.
La défenderesse invoque l'Accord de libre- échange pour étayer l'idée que le droit des marques de commerce ne doit pas créer un obstacle à son importation de marchandises provenant des États- Unis pour les vendre au Canada. Comme j'ai décidé de ne pas décerner l'injonction, il n'est pas nécessaire d'examiner la question de savoir si l'Accord de libre- échange donne un autre moyen de défense à la défen- deresse à l'égard de l'injonction. En tout cas, il me semble que, à l'audition d'une demande d'injonction interlocutoire à cet égard, il ne conviendrait pas de remettre la décision sur la demande d'injonction en attendant une entente possible de la part des gouver- nements canadien et américain sur l'interprétation de l'Accord de libre-échange ou, à défaut d'une telle entente, en attendant que l'un ou l'autre gouverne- ment ou les deux gouvernements présentent des
observations à la Cour. Une telle procédure prendrait tellement de temps qu'elle rendrait futile la demande d'injonction. Conformément au droit et à la pratique concernant les injonctions interlocutoires, une telle question, qui pourrait influencer le règlement défini- tif de l'affaire en influant sur le règlement de cer- taines questions de droit relatives aux droits respec- tifs des parties, est une question de fond et devrait être ajournée jusqu'à l'instruction et jusqu'à ce qu'il ait été définitivement statué sur l'affaire. Il est main- tenant reconnu que, normalement, le juge de pre- mière instance connaissant d'une demande d'injonc- tion interlocutoire ne devrait pas statuer sur le fond. J'ajouterais seulement que le rapport de cette demande avec ou bien l'injonction interlocutoire ou bien le règlement définitif de l'affaire est loin d'être clair et exigerait une argumentation approfondie: la défenderesse devra démontrer par exemple que la procédure extraordinaire prévue par l'article 1808 de l'Accord de libre-échange fait partie du droit interne canadien de manière à exiger de cette Cour qu'elle connaisse de ces requêtes. La défenderesse devra en outre démontrer qu'il est une question d'interpréta- tion de l'Accord de libre échange qui se rapporte à l'espèce, ce qui est loin d'être clair à mes yeux. Si la question est examinée par la Cour à un autre stade, la défenderesse devra également persuader la Cour qu'elle devrait «solliciter» les vues de l'organe admi- nistratif du gouvernement sur l'interprétation juri- dique de l'Accord de libre-échange, décision que même l'article 1808 laisse à la discrétion de la Cour.
J'ajourne donc sine die l'audition de la demande tendant à l'obtention d'une ordonnance qui sollicite- rait ces vues. Il est loisible aux parties de faire enten- dre cette demande avant l'instruction ou à l'instruc- tion elle-même, sous réserve d'autres directives de la Cour.
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