A-524-92
Native Women's Association of Canada, Gail
Stacey -Moore et Sharon Mclvor (appelantes)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
et
Le Conseil national des autochtones du Canada, le
Ralliement national des Métis et la Inuit Tapirisat
du Canada (intervenants)
RÉPERTORIÉ.' NATIVE WOMEN'S ASSN. OF CANADA C. CANADA
(CA.)
Cour d'appel, juges Mahoney et Stone, J.C.A. et juge
suppléant Gray—Toronto, 11 juin; Ottawa, 20 août
1992.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fonda-
mentales — Appel du rejet d'une demande visant à interdire au
gouvernement du Canada de verser toute autre somme aux
organisations autochtones tant qu'il n'aura pas accordé à la
Native Women's Association of Canada une somme égale et le
droit égal de participer au processus de révision de la Consti
tution — Le gouvernement fédéral a alloué 10 millions de dol
lars à des groupes autochtones, dont certains sont opposés à
l'application de la Charte en matière d'autonomie gouverne-
mentale autochtone et à l'égalité des sexes — La NWAC repré-
sente les femmes autochtones qui, vraisemblablement, perdront
leurs droits si la position de l'Assemblée des premières nations
(APN) prédomine — La NWAC a reçu 5 % du montant versé
aux intervenants et à l'APN — La somme versée est si inégale
qu'elle ne saurait prima facie respecter le droit de la NWAC à
la liberté d'expression — Atteinte à la liberté d'expression des
femmes autochtones contrairement aux art. 2b) et 28 de la
Charte.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l'éga-
lité — La menace de perdre le droit à l'égalité des femmes
autochtones si des gouvernements autochtones autonomes non
assujettis à la Charte sont créés ne constitue pas le déni actuel
d'un droit garanti à l'art. 15 de la Charte — En sollicitant et
en, finançant la participation des organisations autochtones qui
sont partisanes de l'autonomie autochtone à prédominance
masculine au processus de révision de la Constitution, tout en
excluant la participation de la Native Women's Association of
Canada, le gouvernement canadien a accordé aux premières
une priorité dans l'exercice d'une activité relevant de l'expres-
sion, dont la liberté est garantie également aux personnes des
deux sexes en vertu de l'art. 28.
Droit constitutionnel — Conférences constitutionnelles —
Peuples autochtones — Le droit des peuples autochtones de
participer au processus de révision de la Constitution d'une
façon différente de celle des autres Canadiens découle des
art. 37 et 37.1 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui portent
sur les conférences constitutionnelles, et non de «droits exis-
tants-ancestraux ou issus de traités» reconnus et confirmés à
l'art. 35(1) — La question du droit des femmes autochtones de
participer, au même titre que les hommes autochtones, ne naît
pas de l'art. 35(4).
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Prohibition —
Demande visant à interdire au gouvernement du Canada d'ac-
corder toute autre somme permettant à certaines organisations
autochtones de participer au processus de révision de la Cons
titution tant qu'il n'aura pas accordé à la Native Women's
Association of Canada une somme égale et la même possibilité
de participer au processus — Réparation inappropriée — La
preuve ne démontre pas qu'il faut nécessairement verser aux
femmes autochtones la même somme pour qu'elles puissent
jouir du même degré de liberté d'expression — Les appelantes
n'ont démontré aucun fondement à une réparation privant
d'autres organisations autochtones de leur financement —
Mais le jugement déclaratoire porte que la liberté d'expression
et le droit à l'égalité garanti à l'art. 28 ont été violés.
Compétence de la Cour fédérale — Le gouvernement solli-
cite et . finance la participation des partisans d'une position au
processus de révision de la Constitution et exclut la participa
tion de ceux qui s'y opposent — Aucune preuve ne démontre
que la décision d'accorder un . financement a été prise par nul
autre qu'une source autorisée du gouvernement fédéral — Il
est vraisemblable qu'elle a été prise par un office fédéral — Le
versement de deniers doit être autorisé par une loi du Parle-
ment — La décision est assujettie à l'art. 28 — Si l'invitation à
se joindre au processus n'est pas autorisée par une loi ou un
règlement, il doit s'agir de l'exercice de la prérogative royale
— La Loi exige que la demande de jugement déclaratoire rela-
tivement à la décision d'un office fédéral se fasse conformé-
ment à l'art. 18 — La Cour n'interviendrait pas dans un pro-
cessus législatif si elle accordait une réparation — Le
processus de modification de la Constitution n'avait pas pris
naissance lorsque la violation de la Charte s'est produite —
L'argument du raz de marée ne devrait pas être accueilli lors-
qu'un droit garanti par la Constitution a été violé — Il n'existe
une cause d'action que si on établit sur le plan constitutionnel
un grief fondé sur le traitement préférentiel accordé à un autre
par le gouvernement.
Il s'agit d'un appel formé contre le rejet d'une demande en
vue d'obtenir une ordonnance interdisant au gouvernement du
Canada de verser toute autre somme à certaines organisations
autochtones désignées tant qu'il n'aura pas versé une somme
égale à la Native Women's Association of Canada (NWAC) et
tant qu'il ne lui aura pas conféré le droit égal de participer au
processus de révision de la Constitution, dont le droit de parti-
ciper aux conférences des premiers ministres.
Le gouvernement fédéral a décidé qu'un processus parallèle
à celui du comité parlementaire dont le mandat est d'examiner
et de présenter des recommandations sur des propositions con-
cernant un Canada renouvelé, et notamment la modification de
la Consitution de manière consacrer un droit à l'autonomie
gouvernementale autochtone, devrait être mis en oeuvre au sein
des peuples autochtones. En conséquence, il a alloué à cer-
taines organisations autochtones désignées la somme de
10 000 000 $, une partie de laquelle était expressément affectée
à l'étude des questions féminines. Les montants versés à la
NWAC par l'Assemblée des premières nations (APN) et le
Conseil national des autochtones du Canada (CNAC) à l'aide
de leurs subventions et la subvention supplémentaire accordée
par le Secrétariat d'État représentent environ 5 % de la somme
versée à chacune des quatre organisations.
L'APN s'est activement opposée à la lutte des femmes
autochtones pour mettre fin à l'inégalité des sexes consacrée
dans la Loi sur les Indiens. Principalement en raison du rejet
par l'APN de l'application de la Charte en matière d'autono-
mie gouvernementale des autochtones, les appelantes ont com-
mencé à craindre qu'une résolution constitutionnelle soit con-
venue sans qu'elle prévoie l'application de la Charte en
matière d'autonomie gouvernementale des autochtones. Elles
s'inquiètent du financement par le gouvernement du Canada
d'un point de vue qui, s'il prédomine, abrogera les droits des
femmes autochtones garantis par la Charte. Les intervenants ne
parlent pas au nom des femmes des premières nations dont les
intérêts seront probablement lésés si la position de l'APN pré-
domine; or, la NWAC représente ces femmes.
Les appelantes allèguent (1) la violation de leur droit à la
liberté d'expression garanti à l'alinéa 2b) de la Charte, qui doit
être interprété conjointement avec l'article 28 qui prévoit que
les droits et libertés mentionnés dans la Charte sont garantis
également aux personnes des deux sexes; (2) la violation des
droits à l'égalité des deux femmes appelantes et des femmes
représentées par la NWAC, garantis à l'article 15; et (3) la vio
lation de leurs droits, contrairement à l'article 35 de la Loi
constitutionnelle de 1982, selon lequel les droits ancestraux ou
issus de traités sont reconnus et confirmés, et garantis égale-
ment aux personnes des deux sexes. L'intimée a soutenu que le
processus de révision de la Constitution fait partie d'un proces-
sus législatif dans lequel la Cour ne doit pas intervenir, et que
la décision de solliciter et de financer la participation des orga
nisations autochtones désignées n'émanait pas d'un «office
fédéral», ce qui la soumettrait au contrôle de la Cour en vertu
de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. La définition
d'«office fédéral» a été modifiée le Ici février 1992 afin d'y
inclure toute personne ou groupe de personnes exerçant des
pouvoirs prévus par une ordonnance prise en vertu d'une pré-
rogative royale. L'intimée a également invoqué l'argument du
«raz de marée» si on devait conclure à une violation de l'alinéa
2b). Les questions en litige sont les suivantes: 1) le gouverne-
ment du Canada a-t-il violé les droits constitutionnels des
appelantes en versant des deniers aux organisations autoch-
tones désignées et en permettant leur participation aux discus
sions constitutionnelles, sans accorder à la NWAC une somme
égale et sans lui offrir la même possibilité de participer?
2) Une action fondée sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédé-
rale peut-elle réparer cette violation? 3) La violation est-elle
survenue au cours d'un processus législatif dans lequel la Cour
ne devrait pas intervenir?
Appel: l'appel devrait être accueilli.
Si l'on se reporte aux normes de la société canadienne en
général, il est dans l'intérêt des femmes autochtones, si jamais
elles sont assujetties à l'autonomie gouvernementale des
autochtones, de continuer à jouir de la protection accordée par
la Charte et, en particulier, des droits et libertés qui leur sont
garantis par les articles 15 et 28, ou par des dispositions équi-
valentes également consacrées dans des chartes autochtones.
Ces intérêts ne sont pas représentés à cet égard par l'APN, qui
soutient un résultat contraire, ni par l'ambivalence du CNAC et
de la ITC. En sollicitant et en finançant la participation de ces
organismes au processus actuel de révision de la Constitution
et en excluant la participation égale de la NWAC, le gouverne-
ment canadien a accordé aux partisans de l'autonomie autoch-
tone à prédominance masculine une voix privilégiée dans
l'exercice d'une activité relevant de l'expression, dont la
liberté est garantie à tous à l'alinéa 2b), et aussi bien aux
femmes qu'aux hommes en vertu de l'article 28. Son geste a
ainsi porté atteinte à la liberté d'expression des femmes
autochtones, contrairement à l'alinéa 2b) et à l'article 28 de la
Charte. Bien qu'il ne soit pas nécessaire de financer également
la NWAC pour respecter le droit à l'égalité prévu à l'article 28,
la somme actuellement versée est si inégale qu'elle ne saurait
prima facie respecter le droit de la NWAC à liberté d'expres-
sion égale garantie par la Charte.
Le droit des peuples autochtones de participer au processus
de révision de la Constitution d'une façon différente de celle
des autres Canadiens découle des articles 37 et 37.1 de la Loi
constitutionnelle de 1982, et non de «droits existants-ances-
traux ou issus de traités», reconnus et confirmés par le para-
graphe 35(1). En conséquence, le droit des femmes autoch-
tones de participer, au même titre que les hommes autochtones,
ne naît pas du paragraphe 35(4).
La menace de la perte de cette égalité, si des gouvernements
autochtones autonomes, non visés par la Charte, sont créés, ne
constitue pas elle-même le déni actuel d'un droit garanti à l'ar-
ticle 15. Il s'agit d'une «conséquence purement hypothétique»
qui ne permet pas à la Cour d'intervenir dans le processus
actuel de révision de la Constitution. La loi ne confère à per-
sonne le droit d'être présent à la table des conférences constitu-
tionnelles ni le droit à un financement public en vue d'élaborer
et de communiquer une position constitutionnelle.
Il est possible d'intenter une action fondée sur l'article 18 de
la Loi sur la Cour fédérale pour réparer la violation des droits
des appelantes. Aucune preuve n'a démontré que la décision
d'inviter les organisations autochtones désignées à entrepren-
dre un processus parallèle à celui du comité parlementaire a été
prise par nul autre qu'une source autorisée du gouvernement
fédéral, et il n'est guère vraisemblable, sinon légalement
impossible, que la décision de verser des deniers publics ait été
prise par une autre entité qu'un office fédéral. Le versement
des deniers doit avoir été autorisé par une loi du Parlement. Si
l'invitation à se joindre au processus n'a pas été autorisée par
une loi ou un règlement, il doit s'agir de l'exercice de la préro-
gative royale. Finalement, la Loi exige que la demande de
jugement déclaratoire relativement à la décision d'un office
fédéral se fasse conformément à l'article 18.
La Cour n'interviendrait pas dans un processus législatif si
elle accordait aux appelantes la réparation appropriée. La juris
prudence a établi que le processus législatif visant à modifier la
Constitution débute dès que les premiers ministres sont con-
voqués à une conférence en vue d'adopter une résolution cons-
titutionnelle qu'ils soumettront à leur législature. Par consé-
quent, le processus de modification n'avait pas pris naissance
lorsque la violation de la Charte s'est produite. Il a également
été établi que la rédaction d'une résolution constitutionnelle
fait partie du processus législatif de modification dans lequel
les tribunaux n'interviendront que si des droits garantis par la
Charte ont été violés. La publication des propositions, leur exa-
men par le public par l'entremise d'un comité parlementaire et
la mise sur pied d'un processus parallèle au sein des peuples
autochtones font partie intégrante de l'élaboration d'une poli-
tique plutôt que de sa mise en oeuvre.
La décision de financer sera prise en fonction du manque
d'argent, pour permettre à un groupe d'intérêt par ailleurs
désavantagé et particulièrement intéressé de s'exprimer de
manière efficace et informée. La décision équitable de financer
un groupe de préférence à un autre devrait se justifier en vertu
de l'article premier de la Charte. L'argument du raz de marée
est un argument de commodité administrative qui ne doit pas
être accueilli lorsqu'on a établi la violation d'un droit ou d'une
liberté garantis par la Constitution. Seul celui qui pourra établir
sur le plan constitutionnel son grief fondé sur le traitement pré-
férentiel accordé à un autre par le gouvernement, pourra obte-
nir le concours des tribunaux.
La prohibition n'est pas la réparation appropriée. La preuve
ne permet pas au tribunal de conclure qu'il faut nécessairement
verser aux femmes autochtones une somme égale pour qu'elles
puissent jouir du même degré de liberté d'expression garanti à
l'article 28 de la Charte. La question du montant approprié du
financement devrait être tranchée par l'exécutif, conscient du
besoin de respecter cette égalité. En outre, les appelantes n'ont
démontré aucun fondement à une réparation privant les organi
sations autochtones désignées de leur financement. Enfin, le
processus de révision de la Constitution se situe maintenant au-
delà de la consultation. Le tribunal peut déclarer, et déclarerait,
que le gouvernement fédéral a porté atteinte à la liberté d'ex-
pression des femmes autochtones de façon incompatible avec
l'alinéa 2b) et l'article 28 de la Charte en incluant une organi
sation telle que I'APN, dont les intérêts sont indiscutablement
opposés à ceux des femmes autochtones selon les normes de la
société canadienne en général, tout en excluant la NWAC, une
organisation qui défend leurs intérêts, dans un processus de
révision de la Constitution visant à l'aider à choisir le contenu
d'une résolution constitutionnelle devant être présentée au Par-
lement, et qui affecte les droits des autochtones.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de /982, annexe B,
Lui de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 1l (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. I, 2b), 15, 28.
Loi constitutionnelle de /982, annexe B, Loi de /982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, no 44], art. 35(1), (4) (édicté par la Pro
clamation de 1983 modifiant la Constitution, TR/84-
102, annexe, art. 2) [L.R.C. (1985), appendice II, no
46], 37, 37.1 (mod., idem, art. 4).
Loi de crédits n° 3, 1991-1992, L.C. 1991, ch. 53.
Loi de crédits n° 4, 1991-1992, L.C. 1992, ch. 7.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2
(mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18 (mod. idem,
art. 4).
Loi sur le processus de détermination de l'avenir poli-
tique et constitutionnel du Québec, L.Q. 1991, ch. 34.
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), eh. I-5, art. 12(1)b).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1
R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th) 577; 25 C.P.R. (3d)
417; 94 N.R. 167; Renvoi relatif au Régime d'assistance
publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; (1991),
83 D.L.R. (4th) 297; [1991] 6 W.W.R. 1; 58 B.C.L.R.
(2d) 1; 1 Admin. L.R. (2d) 1; 127 N.R. 161; Penikett v.
Canada (1987), 45 D.L.R. (4th) 108; [1988] 2 W.W.R.
481; 21 B.C.L.R. (2d) 1; [1988] N.W.T.R. 18; 2 Y.R. 314
(C.A.T.Y.); autorisation d'appeler refusée [1988] 1 R.C.S.
xii; (1988), 46 D.L.R. (4th) vi; 27 B.C.L.R. (2d) xxxv; 3
Y.R. 159.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989]
2 R.C.S. 1326; (1989), 103 A.R. 321; 64 D.L.R. (4th)
577; [1990] 1 W.W.R. 577; 71 Alta. L.R. (2d) 273; 45
C.R.R. 1; 102 N.R. 321; Re: A Complaint by Gene Keyes
against Pandora Publishing Association, décision en date
du 17 mars 1992, Tribunal des droits de la personne de la
Nouvelle-Écosse, encore inédite.
DÉCISIONS CITÉES:
Sethi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion), [1988] 2 C.F 552; (1988), 52 D.L.R. (4th) 681; 31
Admin. L.R. 123; 22 F.T.R. 80; 87 N.R. 389 (C.A.); Ope
ration Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres,
[1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12
Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1; Borowski c.
Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342;
(1989), 57 D.L.R. (4th) 231; [1989] 3 W.W.R. 97; 75
Sask. R. 82; 47 C.C.C. (3d) 1; 33 C.P.C. (2d) 105; 38
C.R.R. 232; 92 N.R. 110; Schachter c. Canada, Doc.
21889, jugement en date du 9-7-92, C.S.C., encore inédit;
Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de
l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118; (1977), 74
D.L.R. (3d) 1; 33 C.C.C. (2d) 366; 14 N.R. 285; Singh et
autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985]
1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin.
L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1.
DOCTRINE
Canada. Bâtir ensemble l'avenir du Canada—Proposi-
tions, Ministre des Approvisionnements et Services
Canada, 1991.
APPEL du rejet ([1992] 2 C.F. 462 (ire inst.))
d'une demande en vue d'obtenir une ordonnance
interdisant au gouvernement du Canada de verser
toute autre somme à certaines organisations autoch-
tones tant qu'il n'aura pas versé une somme égale à
la NWAC et tant qu'il ne lui aura pas conféré le droit
égal de participer au processus de révision de la
Constitution. Appel accueilli.
AVOCATS:
Mary Eberts pour les appelantes.
Graham Garton, c.r., pour l'intimée.
John D. Richard, c.r., pour l'intervenant le Ral-
liement national des Métis.
Dougald E. Brown pour l'intervenante la Inuit
Tapirisat du Canada.
Martin W. Mason pour l'intervenant le Conseil
national des autochtones du Canada.
PROCUREURS:
Tory Tory DesLauriers & Binnington, Toronto,
pour les appelantes.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in-
timée.
Lang, Michener, Honeywell, Wotherspoon,
Ottawa, pour l'intervenant le Ralliement natio
nal des Métis.
Nelligan/Power, Ottawa, pour l'intervenante la
Inuit Tapirisat du Canada.
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour
l'intervenant le Conseil national des autochtones
du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Il s'agit d'un appel
formé contre le rejet [[1992] 2 C.F. 462 (l r e inst.)],
avec dépens s'ils sont demandés, de la requête des
appelantes en vue d'obtenir une ordonnance interdi-
sant au gouvernement du Canada de verser toute
autre somme à l'Assemblée des premières nations, au
Conseil national des autochtones du Canada, au Ral-
liement national des Métis et à la Inuit Tapirisat du
Canada, ci-après appelées collectivement «organisa-
tions autochtones désignées», (1) tant qu'il n'aura pas
versé une somme égale à l'appelante, la Native
Women's Association of Canada, ci-après appelée
«NWAC», et (2) tant qu'il n'aura pas conféré à la
NWAC le droit égal à celui des mêmes organisations
de participer au processus de révision de la Constitu
tion, dont le droit de participer aux conférences des
premiers ministres afin de discuter du renouvelle-
ment de la Constitution. Je retiens de leur argument
que les appelantes sont avant tout intéressées à parti-
ciper à ce processus; leur intérêt dans le financement
vise à rendre cette participation aussi bien informée
et efficace que celle des organisations autochtones
désignées.
Les appelantes
Les appelantes Gail Stacey -Moore et Sharon McI-
vor sont respectivement une Mohawk de Kahnawake
(Québec) et un membre de la Bande indienne de
Lower Nicola de la Colombie-Britannique. Elles sont
toutes deux membres de la direction de la NWAC. Il
ressort de la preuve abondante, qu'il n'est pas néces-
saire de revoir, qu'elles, individuellement, et les
femmes autochtones, comme groupe, sont double-
ment désavantagées au sein de la société canadienne
en raison de leur origine ethnique et de leur sexe, et
dans certaines sociétés autochtones en raison de leur
sexe. Selon la preuve non contredite, elles sont égale-
ment sérieusement lésées en raison de leur sexe
parmi les membres de la société autochtone qui rési-
dent ou réclament le droit de résider sur des réserves
indiennes.
Organisation à but non lucratif, la NWAC a été
constituée en 1974. Son conseil d'administration est
formé de membres provenant de toutes les provinces
et des territoires. La preuve démontre qu'il s'agit
d'une organisation populaire, fondée et dirigée par
les femmes autochtones, soit métis soit indiennes ins-
crites ou non inscrites. Si rien n'indique que les
femmes Inuit ne sont pas les bienvenues, la preuve ne
fait pas état de leur participation. La NWAC a notam-
ment pour objectif de représenter les femmes autoch-
tones sur le plan national afin de faire progresser les
questions et les préoccupations qui les touchent et de
soutenir et promouvoir des objectifs communs visant
à l'autodétermination des autochtones. Le dossier
regorge d'éléments de preuve démontrant les efforts
déployés par la NWAC pour atteindre ces objectifs,
dont la publication de rapports et d'exposés de prin-
cipes et des comparutions lors d'enquêtes judiciaires
et devant les comités parlementaires. La NWAC est
un porte-parole national sérieux, établi et reconnu,
agissant au nom des femmes autochtones et pour
elles.
Le processus actuel de révision de la Constitution
En juin 1991, la Législature du Québec a adopté
une loi prévoyant la tenue, par le gouvernement pro
vincial, d'un referendum sur la souveraineté du Qué-
bec entre le 8 et le 22 juin ou entre le 12 et le 26
octobre 1992 1 . Peu avant l'entrée en vigueur de la
Loi, le gouvernement canadien a mis sur pied un
comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des
communes [TRADUCTION] «dont le mandat est d'exa-
miner et de présenter des recommandations au Parle-
ment sur ... des propositions concernant un Canada
renouvelé, contenues dans les documents que le gou-
vernement consultera». Au nombre de ses 28 propo
sitions, figurait celle-ci:
Le gouvernement du Canada propose de modifier la Consti
tution de manière n consacrer un droit à l'autonomie gouver-
nementale autochtone invocable devant les tribunaux afin de
reconnaître l'autorité des autochtones sur leurs propres
affaires au sein de la fédération canadienne ... [C]e droit ...
serait exercé dans le cadre constitutionnel canadien et assujetti
à la Charte canadienne des droits et libertés 2 .
Pendant que le comité parlementaire vaquait à sa
tâche, le gouvernement fédéral paraît avoir décidé ou
convenu qu'un processus parallèle devrait être mis en
oeuvre au sein des peuples autochtones. En consé-
quence, il a accordé un financement aux organisa
tions autochtones désignées. Celles-ci avaient parti-
cipé aux conférences constitutionnelles convoquées
en 1983, 1984, 1985 et 1987 conformément aux
articles 37 et 37.1 de la Loi constitutionnelle de 1982
[annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11
(R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 44] (mod.
par Proclamation de 1983 modifiant la Constitution,
I [Loi sur le processus de détermination de l'avenir politique
et constitutionnel du Québec] L.Q. 1991, ch. 34.
2 Bâtir ensemble l'avenir du Canada—Propositions, à la p. 8
D.A. 11I, à la p. 414.
TR/84-102, annexe, art. 4) [L.R.C. (1985) appendice
II, n° 46]] 3 , lesquels exigeaient expressément qu'à
l'ordre du jour figurent des «questions constitution-
nelles qui intéressent directement les peuples autoch-
tones du Canada» et que «le premier ministre du
Canada invite leurs représentants à participer aux tra-
vaux relatifs à ces questions».
Tous savent que le processus se situe désormais
au-delà de l'étape du comité parlementaire. Lorsque
le présent appel a été entendu, les ministres fédéraux,
provinciaux et territoriaux, à l'exception de ceux du
Québec, mais avec la participation des organisations
autochtones désignées, à certaines, à tout le moins,
des réunions, prenaient part à la conception d'une
proposition constitutionnelle devant être présentée au
Québec. Le processus est depuis parvenu à, l'étape
des réunions fermées des premiers ministres, dont
celui du Québec, qui excluent toutefois les représen-
tants des territoires et des peuples autochtones.
Les accords de contribution
Quelque 10 000 000 $ auraient été alloués aux
organisations autochtones désignées. Une partie des
deniers versés a expressément été affectée à l'étude
des questions féminines. L'Assemblée des premières
nations et le Conseil national des autochtones du
Canada ont chacun alloué 130 000 $ de leur subven-
tion à la NWAC, et une subvention supplémentaire
accordée par le Secrétariat d'État a porté la somme
totale versée à la NWAC à environ 5 % de celle ver
sée à chacune des quatre organisations en vertu des
accords de contribution.
Les accords de contribution n'ont pas été produits
en preuve. Ils ont été conclus en application du Pro
gramme de révision des affaires constitutionnelles
des autochtones du Secrétariat d'État. L'autorisation
parlementaire en matière de dépenses se trouve appa-
remment aux postes destinés à ce ministère dans les
Lois de crédits n 0 3 et n° 4 pour 1991-1992 4 . L'affec-
tation des sommes ne semble avoir été précisée dans
aucune Loi du Parlement ni aucun règlement.
3 Dans ce cas, ces articles exigeaient que des conférences
constitutionnelles, réunissant les premiers ministres, soient
tenues dans un délai d'un, trois et cinq ans à compter du 17
avril 1982.
4 Loi de crédits n" 3 pour 1991-1992, L.C. 1991, ch. 53 et
Loi de crédits n" 4 pour /99/-/992, L.C. 1992, ch. 7.
Les préoccuptations des appelantes
Au cours du processus, établi parallèlement aux
travaux du comité parlementaire et incluant des dis
cussions que les organisations autochtones désignées
avaient entre elles aussi bien qu'avec le gouverne-
ment fédéral, les appelantes ont commencé à craindre
qu'une résolution constitutionnelle soit convenue
sans qu'elle ne prévoie l'application de la Charte
[Charte canadienne des droits et libertés, qui consti-
tue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11
(R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]] en
matière d'autonomie gouvernementale des autoch-
tones. La NWAC a réclamé une participation et un
financement égaux. Le gouvernement fédéral a alors
exprimé le souhait que les préoccupations des
femmes autochtones soient examinées au sein de la
collectivité autochtone elle-même et que, à cette fin,
les accords de contribution avaient exigé des organi
sations autochtones désignées qu'elles consacrent une
partie de leurs subventions aux questions féminines.
Dans son affidavit, Mme Stacey -Moore expose
avec éloquence le fondement des préoccupations de
la NWAC et des femmes autochtones.
[TRADUCTION] 86. L'exclusion de la NWAC de tout finance-
ment direct en matière constitutionnelle et de toute participa
tion directe dans les discussions sur la Constitution constitue
une menace sérieuse à l'égalité des femmes autochtones.
L'[Assemblé des premières nations], en particulier, est forte-
ment d'avis que la Charte canadienne des droits et libertés ne
devrait pas s'appliquer en matière d'autonomie gouvernemen-
tale des autochtones. Sans la Charte, les femmes autochtones
seront sans défense contre les actes discriminatoires des Con-
seils de bande, ou de toute autre forme de gouvernement auto-
nome à être établi. Il en serait ainsi puisque la Loi canadienne
sur les droits de la personne ne s'applique pas à la Loi sur les
indiens, ni d'ailleurs les codes provinciaux relatifs aux droits
de la personne, pour des motifs de compétence. Bien que
l'APN ait exprimé le désir d'établir une Charte autochtone des
droits, Ovide Mercredi, le grand chef, a récemment avisé la
NWAC que I'APN n'avait rien fait dans ce sens, et la NWAC
devrait élaborer une Charte si nous désirons obtenir un résultat
bientôt.
87. Même si une Charte autochtone des droits modèle était
conçue, la position des femmes au sein des collectivités
autochtones ne serait pas nécessairement protégée. L'accepta-
tion de cette Charte par chaque entité autonome, et le maintien
de méthodes d'exécution efficaces et bien financées représen-
tent de sérieux défis pour les femmes qui souhaitent pouvoir
compter sur un tel texte.
88. Comme je l'ai mentionné dans mon allocution aux chefs en
assemblée, pièce «W»,
L'Assemblée des premières nations propose un Code
autochtone des droits de la personne qui, selon elle, sera plus
avantageux que la Charte des droits et libertés. Ce code
modèle de l'APN sera-t-il consacré dans la Constitution
canadienne? Il est probable qu'il ne le soit pas. Pourquoi?
Parce que les chefs de l'Assemblée des premières nations
ont déjà exprimé leur désir qu'aucun code ne soit imposé à
leurs gouvernements. Les Premières nations ne veulent d'au-
cun code des droits de la personne, fédéral ou autochtone,
imposé par des tiers. Il s'ensuit que chaque femme au sein
de chaque collectivité doit y lutter quotidiennement, isolée
des organisations féminines autochtones, pour qu'un code
des droits de la personne modèle soit conçu au sein de sa
collectivité. Jusqu'à ce que ce code appartenant à la collecti-
vité soit en place, les droits des femmes et des enfants ne
sont pas garantis.
89. Si ceux qui préconisent la non-application de la Charte
canadienne en matière d'autonomie gouvernementale des
autochtones l'emportent, les femmes autochtones n'auront
aucune protection en vertu d'aucun texte garantissant leurs
droits fondamentaux de la personne et ceux à l'égalité. En
pareilles circonstances, nous ne serons pas les partenaires
égales des hommes autochtones dans la conception d'une posi
tion autochtone à l'égard de l'autonomie gouvernementale:
leur domination historique sera tout simplement répétée dans
ce nouveau cadre.
90. Les femmes autochtones sont à un tournant. Le gouverne-
ment du Canada finance un point de vue qui, s'il prédomine,
abrogera les droits des femmes autochtones garantis par la
Charte canadienne des droits et libertés. Il en a fait le point de
vue officiel «représentatif», en négligeant le fait qu'il s'agit du
point de vue d'organisations dominées par les hommes qui,
dans leur propre collectivité, n'ont pas, autant que les femmes,
besoin des garanties à l'égalité accordées par la Charte. A titre
de femme autochtone, je prévois que le prix de l'autonomie
gouvernementale des autochtones sera la perte des mes droits
existants à l'égalité.
91. La raison pour laquelle les femmes craignent l'absence de
protection de leurs droits au sein de la collectivité autochtone
est évidente. Comme je l'ai dit dans mon allocution aux chefs,
pièce «W»,
Pourquoi sommes-nous si inquiètes en tant que femmes?
Nous n'avons jamais parlé d'autonomie gouvernementale
dans nos collectivités. Il y a tant à apprendre. Nous vivons
dans un chaos. Nos enfants sont victimes d'un taux propor-
tionnellement élevé d'agressions sexuelles et d'inceste. La
violence faite aux femmes, les viols en bande, l'abus de
drogues et d'alcool et toutes sortes de perversions imagi-
nables ont été introduits dans nos vies quotidiennes. La mise
sur pied de programmes, de services et de politiques visant à
faire face à la violence familiale a été confiée aux hommes.
En est-il résulté une diminution de cette forme de violence?
La femme et l'enfant sont-ils en sécurité dans leur propre
maison, au sein d'une collectivité autochtone? Les statis-
tiques démontrent qu'il n'en est rien ...
92. La NWAC désire obtenir une chance égale d'influer sur le
débat public et de protéger la destinée de ses membres et des
autres femmes autochtones du Canada. Elle croit qu'une col-
lectivité ne peut être forte si plus de la moitié de celle-ci
demeure sans droits et sans voix. Elle croit que le gouverne-
ment du Canada ne devrait pas financer la défense d'une posi
tion qui cherche à priver les femmes autochtones du Canada de
la protection constitutionnelle fondamentale.
Mme Mclvor atteste avoir lu cet affidavit et être en
parfait accord avec le témoignage de Mme Stacey-
Moore.
Les intervenants
Constitué en 1972, le Conseil national des autoch-
tones du Canada, ci-après «CNAC», est une organi
sation nationale qui cherche à promouvoir les droits
et les intérêts des Métis, des Indiens non inscrits, et
des Indiens inscrits qui vivent hors des réserves au
Canada. Il nie être une organisation masculine ou
dominée par les hommes. Il est formé d'organisations
provinciales et territoriales qui envoient toutes des
délégués à une réunion annuelle au cours de laquelle
sont élus un président et un vice-président qui, avec
le président de chaque organisation composante, for-
ment la direction. Si les président et vice-président
sont présentement des hommes, celui qui a négocié
l'accord de contribution était, en fait, une femme. Les
présidents de ses composantes de l'Alberta, du Yukon
et du Labrador sont présentement des femmes, de
même que la majorité des membres du conseil d'ad-
ministration de sa composante affiliée de la Colom-
bie-Britannique. Outre l'attribution de 130 000 $, le
Conseil a assigné à la NWAC quatre de ses sièges
lors de la Conférence autochtone sur la Constitution
tenue du 13 au 15 mars 1992 afin de lui permettre d'y
être représentées. Il s'est activement opposé à la dis
crimination fondée sur le sexe née de la Loi sur les
Indiens [L.R.C. (1985), ch. I-5]. Quant à la Charte,
selon le CNAC, elle devrait s'appliquer aux «gouver-
nements visés par la Loi sur les Indiens», mais lors-
que l'autonomie gouvernementale sera acquise, son
application devrait être laissée au gré de chaque
«nation». Le dossier suggère que certaines «nations»
ayant, nonobstant la Charte, persisté à bannir les
5 Le gouvernement du Canada a également assigné quatre de
ses sièges à la NWAC de sorte que des 184 délégués à la table,
8 représentaient la NWAC.
Indiennes non mariées à des Indiens, et non l'inverse,
choisiront encore la domination masculine.
Selon le CNAC, le juge de première instance a eu
raison de conclure que les appelantes n'avaient établi
aucune violation prima facie de leurs droits garantis
par la Charte.
Le Ralliement national des Métis, ci-après le
«RNM», est une fédération d'organisations de l'On-
tario, des provinces de l'Ouest et des Territoires du
Nord-Ouest. Selon lui, la NWAC ne représente pas
les femmes métis; 130 000 $ de sa subvention
visaient à permettre à ces dernières de voir à leurs
propres préoccupations. Bien que les femmes métis
ne forment aucunement la moitié des membres de la
direction de ses organisations composantes, la preuve
démontre qu'au cours des années, elles en ont formé
une partie importante. Le RNM appuie la proclama
tion du paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle
de 1982 [édicté par la Proclamation de 1983 modi-
fiant la Constitution, TR/84-102, annexe, art. 2
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 46]] et l'application
de la Charte, notamment et particulièrement l'article
15, en matière d'autonomie gouvernementale des
autochtones. En outre, il propose une Charte métis.
De même, selon le RNM, le juge de première ins
tance n'a commis aucune erreur en concluant que la
preuve ne démontrait la violation d'aucun droit
garanti par la Charte et que, quoiqu'il en soit, on
n'avait établi aucun fondement à une réparation le
privant de son financement.
La Inuit Tapirisat du Canada, ci-après «ITC», est
une organisation nationale représentant les Inuits des
Territoires du Nord-Ouest, du Québec et du Labra-
dor. Elle aussi nie que la NWAC représente les
femmes Inuits. Les intérêts particuliers de ces der-
nières sont représentés par une organisation natio-
nale, la Pauktuutit, qui vise à promouvoir l'égalité
des femmes Inuits au sein des institutions gouverne-
mentales et de la société canadienne. La présidente de
la Pauktuutit est membre du conseil d'administration
de la ITC, dont les postes de président et de secré-
taire-trésorier sont actuellement occupés par des
femmes. Les préoccupations des Inuits en matière
constitutionnelle sont confiées à un comité de la ITC,
dont trois des sept membres, dont la présidente de la
Pauktuutit, sont présentement des femmes. Le per-
sonnel et les experts-conseils de la Pauktuutit pren-
nent part aux groupes de travail techniques qui entou-
rent le comité. La Pauktuutit ne réclame pas un
financement distinct du gouvernement du Canada;
elle partage le financement alloué à la ITC. Celle-ci
s'est déclarée disposée à considérer l'application de
la Charte à toute entente relative à un gouvernement
Inuit autonome que pourraient négocier les Inuits et
le gouvernement du Canada.
La ITC nie être une organisation dominée par les
hommes et elle soutient que sa participation au pro-
cessus de révision de la Constitution et son finance-
ment à cette fin ne violent aucun droit garanti par la
Charte aux appelantes.
L'Assemblée des premières nations
L'Assemblée des premières nations, ci-après
«APN», n'est pas intervenue en l'espèce. A l'excep-
tion de ce que les appelantes ont déposé, rien dans la
preuve ne s'y rapporte. L'APN est une association
nationale de chefs indiens. Son électorat principal,
sinon le seul, paraît être formé des Indiens inscrits
résidant dans les réserves. Soixante des 633 chefs
membres de l'APN sont des femmes. L'APN, comme
son prédécesseur, la Fraternité des Indiens du
Canada, s'est vigoureusement et sans cesse opposé à
la lutte des femmes autochtones pour mettre fin à
l'inégalité des sexes historiquement consacrée dans la
Loi sur les Indiens, et elle est intervenue lors de pro-
cédures parlementaires et légales afin de contrer ces
efforts. Elle s'est opposée à l'abrogation de l'alinéa
12(1)b) de la Loi sur les Indiens 6 lors de l'entrée en
vigueur du paragraphe 15(1) de la Charte et à la pro
clamation de la modification de la Loi constitution-
nelle de 1982 qui a ajouté le paragraphe 35(4).
Comme le juge de première instance l'a conclu et
comme la lecture des affidavits de Mme Stacey -
Moore et de Mme Mclvor le révèlent clairement, les
appelantes craignent surtout la position de l'APN.
Les intervenants ne parlent pas au nom des femmes
des premières nations dont les intérêts, à tout le
6 12. (1) Les personnes suivantes n'ont pas le droit d'être
inscrites [comme Indien]:
b) une femme qui a épousé un non-Indien, sauf si cette
femme devient subséquemment l'épouse ou la veuve
d'une personne décrite à l'article I I.
moins comparativement aux normes de la société
canadienne en général, sont non seulement vraisem-
blablement mal représentés par I'APN, mais seront
probablement lésés si la position de l'APN prédo-
mine; or, la NWAC représente ces femmes. La
preuve montre clairement que l'APN néglige leurs
préoccupations. Elle rejette catégoriquement l'impo-
sition de la Charte en matière d'autonomie gouverne-
mentale des autochtones et promet plutôt une Charte
autochtone qui ne peut à ce jour être qualifiée d'im-
parfaite.
La question en litige
La première question est la suivante: le gouverne-
ment du Canada a-t-il violé un droit constitutionnel
de la NWAC ou des femmes qu'elle représente en
versant des deniers à l'ensemble ou à l'une quel-
conque des organisations autochtones désignées et en
permettant leur participation aux discussions consti-
tutionnelles, sans accorder à la NWAC une somme
égale et sans lui offrir la même possibilité de partici-
per? Les appelantes allèguent premièrement la viola
tion de leur droit à la liberté d'expression garanti à
l'alinéa 2b) de la Charte qui, soulignent-elles, doit
être interprété conjointement avec l'article 28;
deuxièmement, elles allèguent la violation des droits
à l'égalité des deux femmes appelantes et des
femmes représentées par la NWAC garantis à l'article
15 de la Charte et enfin, la violation de leurs droits,
contrairement à l'article 35 de la Loi constitutionnelle
de 1982.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expres-
sion, ...
28. Indépendamment des autres dispositions de la présente
charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis
également aux personnes des deux sexes.
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori-
gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe,
l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
35. (1) Les droits existants — ancestraux ou issus de traités
— des peuples autochtones du Canada sont reconnus et con
firmés.
(4) Indépendamment de toute autre disposition de la pré-
sente loi, les droits — ancestraux ou issus de traités — visés au
paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux
sexes.
Si l'on conclut à la violation d'un droit constitution-
nel des appelantes, la deuxième question est de savoir
si une action fondée sur l'article 18 de la Loi sur la
Cour fédérale 7 peut réparer cette violation et, dans
l'affirmative, si la violation est survenue au cours
d'un processus législatif dans lequel la Cour ne
devrait toutefois pas intervenir.
Article 35 — Droits existants — ancestraux ou
issus de traités
Le présent appel porte sur la participation de la
NWAC au processus actuel de révision de la Consti
tution. Le droit particulier des peuples autochtones
d'y participer d'une façon différente de celle des
autres Canadiens découle des articles 37 et 37.1 de la
Loi constitutionnelle de 1982, et non de «droits exis-
tants — ancestraux ou issus de traités», reconnus et
confirmés par le paragraphe 35(1). En conséquence,
le droit des femmes autochtones de participer, au
même titre que les hommes autochtones, ne naît pas
du paragraphe 35(4). La demande reposant sur cette
disposition est sans fondement.
Article 15 — Droits à l'égalité
Le droit garanti à l'article 15 de la Charte, selon
lequel la loi ne fait acception de personne et s'ap-
plique également à tous, et selon lequel tous ont droit
au même bénéfice de la loi, est garanti aux individus
et non aux groupes. Les deux femmes appelantes
craignent de perdre cette égalité si des gouverne-
ments autochtones autonomes, non visés par la
Charte, sont créés. Je conviens que la plupart, sinon
tous les membres de la NWAC, partagent très proba-
blement cette crainte. La plupart devraient le faire, si
encore une fois on applique les normes de la société
canadienne en général. La menace, toutefois, ne
constitue pas elle-même le déni actuel d'un droit
garanti à l'article 15. Si jamais le résultat redouté se
concrétisait, ce serait au moyen d'une modification
7 L.R.C. (1985), ch. F-7, mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4.
constitutionnelle à laquelle le gouvernement fédéral,
le Parlement et le nombre requis de gouvernements
provinciaux et de Législatures auraient pris part. On
ne peut prédire le résultat d'un tel processus législatif
futur 8 . Une «conséquence purement hypothétique» ne
permet pas à la Cour d'intervenir dans le processus
actuel de révision de la Constitution 9 .
La présumée violation à l'article 15 en l'espèce est
ainsi décrite dans l'exposé modifié des appelantes.
[TRADUCTION] 134. Selon l'article 52 de la Loi constitutionnelle
de 1982, la Constitution est la loi fondamentale du Canada. Si
les femmes ne prennent aucune part dans la conception de la
Constitution même de leur société, on ne peut dire que la loi ne
fait acception de personne et s'applique également 'a tous et
que tous ont droit au même bénéfice de la loi. Les femmes ont
été exclues du processus constitutionnel de 1864 et de 1867
parce qu'elles n'avaient ni le droit de vote ni le droit d'occuper
des postes au gouvernement. Même après avoir accordé nomi-
nalement ces droits aux femmes, on ne leur a laissé que peu de
place dans le processus de l'établissement de la Constitution.
Les collectivités autochtones sont au tournant de leur histoire,
au moment où seront prises des décisions dont les répercus-
sions sur la nature et la forme du gouvernement autochtone se
feront sentir pendant les décennies à venir. Exclure les femmes
autochtones en 1992 de l'établissement des institutions gouver-
nementales comme on a exclu les femmes en 1864, ce serait
fondamentalement leur refuser l'égalité.
Aussi valable que cet argument puisse être, il ne
reflète simplement pas une violation d'un droit
garanti à l'article 15.
La loi ne confère à personne le droit d'être présent
à la table des conférences constitutionnelles ni le
droit à un financement public en vue d'élaborer et de
communiquer une position constitutionnelle. Si les
articles 37 et 37.1 ne sont pas épuisés, la loi peut
encore accorder aux représentants des peuples
autochtones du Canada le droit limité d'être présents.
On ne peut dire qu'en raison des sommes versées aux
organisations autochtones désignées en vue de per-
mettre leur participation au processus actuel de révi-
sion de la Constitution, la loi fait acception de cer-
taines femmes, autochtones ou autres, qu'elle ne
s'applique pas également à tous et que tous n'ont pas
droit au même bénéfice de la loi.
R Sethi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion), [1988] 2 C.F. 552 (C.A.).
9 Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres,
[1985] 1 R.C.S. 441.
Alinéa 2b) et article 28 — Liberté d'expression
Il est inutile d'examiner toute la jurisprudence
exposant le rôle primordial de la liberté d'expression
dans une société libre et démocratique. Elle est
regroupée dans l'exposé suivant du juge Cory dans
l'arrêt Edmonton Journal c. Alberta (Procureur gené-
ral) 10 :
Il est difficile d'imaginer une liberté garantie qui soit plus
importante que la liberté d'expression dans une société démo-
cratique. En effet, il ne peut y avoir de démocratie sans la
liberté d'exprimer de nouvelles idées et des opinions sur le
fonctionnement des institutions publiques. La notion d'expres-
sion libre et sans entraves est omniprésente dans les sociétés et
les institutions vraiment démocratiques. On ne peut trop insis-
ter sur l'importance primordiale de cette notion.
En l'espèce, le juge de première instance a conclu
ceci [aux pages 479 et 480]:
Compte tenu des faits, il est évident que la Native Women's
Association of Canada a eu et continuera à avoir de nombreu-
ses occasions de faire connaître son point de vue, tant aux
autorités politiques compétentes qu'au public, et même aux
groupes qui participeront à la conférence, dont certains du
moins partagent la préoccupation de cette association en ce qui
concerne le maintien de l'application de la Charte aux peuples
autochtones. Sans aucun doute, plus on mettra d'argent à la
disposition de ce groupe, plus il élèvera la voix, mais on ne
peut certainement pas dire qu'il est privé de la liberté de parole
en violation de la Charte.
Quant à la discrimination fondée sur le sexe, la [NWAC] a
reçu des sommes minimes non parce qu'elle est composée de
femmes, mais parce que le gouvernement ne veut pas recon-
naître qu'elle devrait être considérée comme un groupe distinct
des quatre groupes désignés au sein de la collectivité autoch-
tone et qu'elle devrait être traitée en conséquence. La question
de savoir si cela va à l'encontre de la justice naturelle sera exa
minée en même temps qu'un autre argument lié à l'ordonnance
de prohibition, mais la chose ne constitue pas en soi de la dis
crimination fondée sur le sexe en violation de la Charte.
Selon les appelantes, il a mal compris leur argument
relatif à la liberté d'expression, et il a commis une
erreur en tenant compte du seul objectif ou objet de
l'action gouvernementale, négligeant son effet. Elles
soulignent les limites imposées aux dépenses lors
d'élections fédérales pour démontrer que le gouver-
nement reconnaît que le financement inégal des opi
nions politiques permet aux idées de certains de s'im-
poser à l'attention du public aux dépens des autres.
Io [1989] 2 R.C.S. 1326, à la p. 1336.
Dans l'arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur
général)", le juge Dickson, juge en chef du Canada,
a dit, au nom de la majorité:
Même si le but poursuivi par le gouvernement n'était pas de
contrôler ou restreindre la transmission d'une signification, la
Cour doit encore décider si l'action du gouvernement a eu pour
effet de restreindre la liberté d'expression de la demanderesse.
À cette étape-ci, il appartient à la demanderesse d'établir que
cet effet s'est produit. Pour ce faire, elle doit formuler sa thèse
en tenant compte des principes et des valeurs qui sous-tendent
la liberté garantie.
... [Ces principes et valeurs] peuvent se résumer ainsi: (1)
la recherche de la vérité est une activité qui est bonne en soi;
(2) la participation à la prise de décisions d'intérêt social et
politique doit être encouragée et favorisée; et (3) la diversité
des formes d'enrichissement et d'épanouissement personnels
doit être encouragée dans une société qui est essentiellement
tolérante, même accueillante, non seulement à l'égard de ceux
qui transmettent un message, mais aussi à l'égard de ceux à qui
il est destiné. Pour démontrer que l'action du gouvernement a
eu pour effet de restreindre sa liberté d'expression, la deman-
deresse doit établir que son activité favorise au moins un de
ces principes ... [L]a demanderesse doit au moins décrire le
message transmis et son rapport avec la recherche de la vérité,
la participation au sein de la société ou l'enrichissement et
l'épanouissement personnels.
Faire connaître ses opinions en matière constitution-
nelle au public et aux gouvernements est incontesta-
blement une activité relevant de l'expression, proté-
gée à l'alinéa 2b).
Les appelantes soutiennent qu'en finançant et, par
le fait même, en appuyant cette activité des organisa
tions autochtones dominées par les hommes, le gou-
vernement canadien a accru leur capacité de commu-
niquer leurs positions défavorables à la Charte au
point d'exclure à toutes fins pratiques la position con-
traire défendue par la NWAC. Le geste du gouverne-
ment a donné aux organisations dominées par les
hommes une capacité de communiquer avec effica-
cité qui a été niée aux femmes autochtones, et il a
ainsi porté atteinte à la garantie de l'article 28 en
vertu de laquelle la liberté d'expression comprend
également la liberté des hommes et des femmes. Elles
adoptent un passage d'une décision récente d'un tri
bunal des droits de la personne de la Nouvelle-
Écosse 1 2 :
[ 1989] I R.C.S. 927, aux pp. 976 et 977.
12 Re: A Complaint by Gene Keyes against Pandora Publis
hing Association. Décision rendue le 17 mars 1992, encore iné-
dite à la p. 40.
[TRADUCTION] ... [L]es femmes ne peuvent acquérir ni pouvoir
ni voix si on leur parle, si on parle en leur nom et particulière-
ment si on parle d'elles. C'est en étant écoutées que les
femmes acquièrent un pouvoir.
À mon avis, il ne s'agit pas de savoir si les organi
sations autochtones désignées sont dominées par les
hommes, mais si elles soutiennent l'autonomie gou-
vernementale des autochtones dominée par les
hommes. Je ne crois pas qu'une organisation compo
sée surtout d'hommes soit, en fait, nécessairement
incapable de défendre l'égalité des sexes au nom de
ses membres féminins, et je ne crois pas que l'effet
de l'article 28 sur l'alinéa 2b) prescrive une telle con
clusion constitutionnelle.
Si l'on se reporte aux normes de la société cana-
dienne en général, il est dans l'intérêt des femmes
autochtones, si jamais elles sont assujetties à l'auto-
nomie gouvernementale des autochtones, de conti-
nuer à jouir de la protection accordée par la Charte
canadienne des droits et libertés et, en particulier, des
droits et libertés qui leur sont garantis par les articles
15 et 28, ou par des dispositions équivalentes égale-
ment consacrées dans des chartes autochtones, si cela
est légalement possible. Il n'est aucunement certain
que cette dernière possibilité puisse être ou soit réali-
sée. Les intérêts des femmes autochtones, mesurés à
la seule aune que cette Cour puisse reconnaître en
l'absence de preuve contraire, soit celle de la société
canadienne en général, ne sont pas représentés à cet
égard par l'APN, qui soutient un résultat contraire, ni
par l'ambivalence du CNAC et de la ITC.
À mon avis, en sollicitant et en finançant la partici
pation de ces organismes au processus actuel de révi-
sion de la Constitution et en excluant la participation
égale de la NWAC, le gouvernement canadien a
accordé aux partisans de l'autonomie autochtone à
prédominance masculine une voix privilégiée alors
que la liberté d'expression est garantie à tous à l'ali-
néa 2b), et aussi bien aux femmes qu'aux hommes en
vertu de l'article 28. Son geste a ainsi porté atteinte à
la liberté d'expression des femmes autochtones, con-
trairement à l'alinéa 2b) et à l'article 28 de la Charte.
À mon avis, le juge de première instance a commis
une erreur en concluant différemment.
Cela ne signifie pas qu'il serait nécessaire de
financer également la NWAC pour respecter le droit à
l'égalité prévu à l'article 28. La preuve ne permet pas
de conclure ainsi. Toutefois, la somme actuellement
versée est si inégale qu'elle ne saurait prima facie
respecter le droit de la NWAC à liberté d'expression
égale garantie par la Charte.
La position de l'intimée
L'intimée soutient (1) que la demande est de
nature hypothétique et ne convient pas à une répara-
tion à caractère préventif; (2) que la demande vise un
processus législatif dans lequel la Cour ne doit pas
intervenir; (3) que, comme l'a conclu le juge de pre-
mière instance, on n'a établi aucune violation d'un
droit garanti par la Charte; et (4) que la décision de
solliciter et de financer la participation des organisa
tions autochtones désignées n'émane pas, en tout état
de cause, d'un «office fédéral», ce qui la soumettrait
au contrôle de la Cour en vertu de l'article 18 de la
Loi sur la Cour fédérale. L'intimée invoque égale-
ment l'argument du «raz de marée» si on devait con-
clure à une violation de l'alinéa 2b). On n'a pas
allégué la justification en vertu de l'article premier.
Compte tenu des conclusions que j'ai tirées précé-
demment, je ne devrai étudier en détail que l'argu-
ment du raz de marée et les deuxième et quatrième
arguments relatifs à la violation de l'alinéa 2b) et de
l'article 28 de la Charte. Je suis d'accord avec les
premier et troisième arguments relatifs à la violation
alléguée de l'article 15 et j'ai conclu que le droit
constitutionnel garanti soit à l'article 15 ou à l'article
35 de la Loi constitutionnelle de 1982 n'avait pas été
violé.
Si je conclus à bon droit que l'alinéa 2b) et l'article
28 ont été violés, il s'agit alors d'une violation réelle,
et non hypothétique. Il est évident que, même si le
financement contesté ou l'étape du processus de révi-
sion de la Constitution pour laquelle il a été versé
sont choses du passé, le processus pourrait se repro-
duire. Une réparation, même un jugement déclara-
toire, pourrait avoir un effet important sur la partici
pation subséquente de la NWAC dans ce processus.
Je reconnais et, selon moi, cela n'a été contesté par
aucune partie, que même si la controverse visée
expressément par la requête est devenue théorique,
une décision devrait être rendue à cet égard 13 .
L'existence du recours fondé sur l'article 18
En l'espèce, l'avis de requête original a été déposé
le 18 mars 1992. Le ler février 1992, les modifica
tions de la Loi sur la Cour fédérale adoptées en 1990
sont entrées en vigueur 14 . Les passages soulignés ci-
dessous ont été ajoutés à la définition pertinente.
2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente
loi.
«office fédéral» Conseil, bureau, commission ou autre orga-
nisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant,
exerçant ou censé exercer une compétence ou des pou-
voirs prévus par une loi fédérale ou par une ordon-
nance prise en vertu d'une prérogative royale, à l'ex-
clusion d'un organisme constitué sous le régime d'une
loi provinciale ou d'une personne ou d'un groupe de
personnes nommées aux termes d'une loi provinciale
ou de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.
La preuve démontre que la décision d'inviter [TRA-
DUCTION] «les représentants des peuples autochtones à
participer pleinement au processus constitutionnel» a
été prise le 12 mars 1992, par les représentants fédé-
raux, provinciaux et territoriaux. De toute évidence, il
ne s'agit pas là de la décision d'un office fédéral, ce
dont l'intimée fait état pour contester la disponibilité
de la réparation fondée sur l'article 18. Toutefois,
aucune preuve ne démontre que la décision d'inviter
les organisations autochtones désignées à entrepren-
dre un processus parallèle à celui du comité parle-
mentaire a été prise par nul autre qu'une source auto-
risée du gouvernement fédéral, et il n'est guère
vraisemblable, sinon légalement impossible, que la
décision de verser des deniers publics ait été prise par
nul autre qu'un office fédéral. Selon mon interpréta-
tion de la Constitution, le versement des deniers doit
avoir été autorisé par une loi du Parlement. Si,
comme il paraît, l'invitation à se joindre au processus
n'a pas été autorisée par une loi ou un règlement, il
doit s'agir de l'exercice de la prérogative royale.
13 Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] I R.C.S.
342.
14 L.C. 1990, ch.8, art. I.
Enfin, je soulignerais que la Loi telle que modifiée
exige que la demande de jugement déclaratoire relati-
vement à la décision d'un office fédéral se fasse con-
formément à l'article 18. Je crois possible d'obtenir
réparation de la violation des droits des appelantes
par voie d'une demande fondée sur l'article 18 de la
Loi sur la Cour fédérale.
La Cour devrait-elle intervenir?
L'intimée soutient que le processus de révision de
la Constitution est une partie essentielle d'un proces-
sus législatif dans lequel un tribunal ne doit pas s'im-
miscer; les appelantes prétendent qu'il s'agit d'une
partie intégrante d'un processus politique, dont la
légalité est assujettie au contrôle judiciaire.
Dans Renvoi relatif au Régime d'assistance
publique du Canada (C.B.) 15 , on cherchait à faire
échec à l'intention annoncée de réduire les contribu
tions fédérales aux programmes de partage des frais
avec les provinces. On a soutenu que la théorie de
l'expectative légitime empêchait le gouvernement de
déposer un projet de loi devant le Parlement. La Cour
suprême a précisé que la théorie faisait partie des
règles d'équité procédurale qui pourraient créer un
droit d'être entendu, mais qu'elle ne limitait pas le
droit, ultimement, de rendre une décision. Elle a éga-
lement affirmé de nouveau la non-application des
règles d'équité procédurale à un organisme exerçant
des fonctions purement législatives, avant de con-
clure que le dépôt par le pouvoir exécutif d'un projet
de loi devant le Parlement faisait partie intégrante du
processus législatif. De façon plus générale, elle a
conclu:
La rédaction et le dépôt d'un projet de loi font partie du pro-
cessus législatif dans lequel les tribunaux ne s'immiscent
pas .... [Ill n'appartient pas aux tribunaux judiciaires d'inter-
caler dans le processus législatif d'autres exigences procédu-
raies. Je ne traiterai pas de la question de l'examen en vertu de
la Charte canadienne des droits et libertés dans le cas d'at-
teinte possible à un droit garanti.
Cette dernière réserve serait capitale s'il était décidé
que la violation de la Charte en question s'était pro-
duite dans le cadre d'un processus législatif.
15 [1991] 2 R.C.S. 525, aux p. 558 et s.
En concluant ainsi, la Cour suprême a invoqué
l'arrêt Penikett v. Canada 16 . Cette affaire est née
d'une requête en radiation d'une requête présentée
par le gouvernement du territoire du Yukon en vue
d'obtenir certains jugements déclaratoires concernant
l'accord du lac Meech. Conformément à l'accord, les
gouvernements fédéral et provinciaux s'étaient enten-
dus pour modifier la Constitution canadienne de
façon à ce que la création d'une nouvelle province
exige, notamment, le consentement de toutes les pro
vinces existantes. Le gouvernement du Yukon n'avait
pas été invité à prendre part à la réunion d'où est né
l'accord, et il n'avait pas été consulté par le gouver-
nement du Canada avant que celui-ci s'engage à
recommander la modification au Parlement.
Le juge de première instance avait conclu que la
Charte s'appliquait à la Partie V de la Loi constitu-
tionnelle de /982 qui prévoyait la procédure de modi
fication de la Constitution. La Cour d'appel du terri-
toire du Yukon, en désaccord, avait conclu
[TRADUCTION] «La Charte ne peut servir d'obstacle à
une modification constitutionnelle.»
Le juge de première instance avait également con-
clu que si on établissait l'existence et la violation
d'une obligation d'équité issue de la common law, un
jugement déclaratoire à cet effet consisterait simple-
ment en une déclaration de droits et d'obligations
entre d'une part, les résidents du territoire et, d'autre
part, le premier ministre et le gouvernement du
Canada, et il ne constituerait pas une intervention
dans le processus législatif ou le processus de modifi
cation. À cet égard, la Cour d'appel a conclu ceci [à
la page 120]:
[TRADUCTION] En convoquant la conférence des premiers minis-
tres au lac Meech, le premier ministre a lancé le processus
législatif qui pourrait entraîner la modification de la Constitu
tion.
Elle a conclu [également à la page 120] en outre que
les questions d'équité et de justice fondamentale sou-
levées par l'exclusion du Yukon
[TRADUCTION] ... ne peuvent être tranchées par la voie judi-
ciaire parce qu'elles tendent à contester le processus législatif.
... [I]'accord du lac Meech faisait partie d'un processus légis-
latif visant à modifier la Constitution si la proclamation néces-
16 (1987), 45 D.L.R. (4th) 108 (C.A.T.Y.), aux p. 118 120.
Autorisation d'en appeler refusée, [1988] 1 R.C.S. xii.
saire était autorisée par résolutions du Sénat et de la Chambre
des communes et de l'assemblée législative de chaque pro
vince.
La Cour d'appel a fixé le début de ce processus légis-
latif au moment où la conférence des premiers minis-
tres a été convoquée. Encore une fois, il est bien
connu que le processus en cause au lac Meech était
très différent du processus mis en branle en l'espèce,
du moins à l'échelle nationale, par la publication des
propositions du gouvernement fédéral qui ont ensuite
fait l'objet de discussions publiques.
Je déduis du Renvoi relatif au RAPC que le terme
«rédaction» dans l'expression «rédaction et dépôt
d'un projet de loi» désigne la préparation d'un projet
de loi en vue de son dépôt une fois qu'il a été décidé
que la question doit être examinée. Je ne crois pas
que l'expression «rédaction ... d'un projet de loi»
convienne pour décrire le processus de consultation,
public ou privé, par comité parlementaire ou autre-
ment, que le gouvernement peut choisir d'entrepren-
dre après avoir décidé qu'il serait peut-être préférable
qu'une question fasse l'objet d'une loi, mais avant
d'avoir choisi la façon dont il souhaite que la législa-
ture s'y prenne ou d'avoir décidé si une proposition
législative est politiquement acceptable. En d'autres
termes, l'expression ne désigne pas l'élaboration
d'une politique, un processus politique, mais le geste,
postérieur au choix de la politique, nécessaire à la
mise en oeuvre d'une loi.
Les arrêts Renvoi relatif au RAPC et Penikett me
semblent avoir établi les principes suivants, appli-
cables au processus de modification de la Constitu
tion.
a. La Charte, qui forme la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, ne peut être invoquée pour intervenir dans le processus
de modification de la Constitution prévue à la Partie V;
b. Le processus de modification de la Constitution, qui est
législatif, débute dès la convocation des premiers ministres en
vue de convenir d'une résolution constitutionnelle qu'ils pré-
senteront à leur Législature;
c. La rédaction d'une résolution constitutionnelle fait partie
d'un processus législatif de modification dans lequel les tribu-
naux ne s'immisceront pas sauf, peut-être, si un droit garanti
par la Charte risque d'être violé.
En l'espèce, le processus de modification prévu à la
Partie V n'avait pas pris naissance lorsque la viola
tion de la Charte s'est produite.
À mon avis, on ne peut dire que la rédaction d'une
résolution constitutionnelle débute lorsque le gouver-
nement fédéral publie des propositions, les soumet à
l'examen du public par l'entremise d'un comité par-
lementaire et lorsqu'il met sur pied un processus
parallèle au sein des peuples autochtones. Cela me
semble faire partie intégrante de l'élaboration d'une
politique plutôt que de sa mise en oeuvre. Je conclus
par conséquent que la Cour n'interviendrait pas dans
un processus législatif si elle accordait aux appelantes
la réparation appropriée.
L'argument du «raz de marée»
Selon l'intimée, si la Cour conclut que, l'alinéa 26)
ayant été violé, la NWAC doit avoir droit à une parti
cipation égale au processus de révision de la Consti
tution et à un financement égal, il s'ensuit que tous
les particuliers et les groupes d'intérêts devraient
jouir des mêmes avantages. Cet argument n'est pas
convaincant.
Le Parlement a le droit d'accorder des subsides à
son gré, mais s'il choisit de verser une somme, il doit
respecter les exigences de la Charter. Le gouverne-
ment a la même obligation lorsqu'il exerce le pouvoir
discrétionnaire de financement que le Parlement lui a
conféré. En général, je croirais que la décision de
financer sera prise en fonction du manque d'argent,
pour permettre à un groupe d'intérêt par ailleurs
désavantagé et particulièrement intéressé de s'expri-
mer de manière efficace et informée. Il serait proba-
blement facile de justifier, en vertu de l'article pre
mier de la Charte, la décision équitable de financer
un groupe de préférence à un autre. L'argument du
raz de marée serait sans fondement aucun si les con
ditions donnant droit à un financement étaient pres-
crites par la loi, soit par une loi du Parlement ou un
règlement' 8 , de façon à ce que l'article premier
puisse être invoqué. L'argument du raz de marée est,
en l'occurence, essentiellement un argument de com-
modité administrative qui ne doit pas être accueilli
lorsqu'on a établi la violation d'un droit ou d'une
liberté garantis par la Constitution 19 .
17 Schachter C. Canada, (C.S.C.). Jugement encore inédit
rendu le 9 juillet 1992.
18 Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de
l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118.
19 Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1985] 1 R.C.S. 177, aux p. 218 et s.
Seul celui qui pourra établir sur le plan constitu-
tionnel son grief fondé sur le traitement préférentiel
accordé à un autre par le gouvernement, pourra obte-
nir le concours des tribunaux. Les groupes d'intérêts
ne peuvent tous se plaindre qu'en raison de l'avan-
tage conféré aux organisations autochtones dési-
gnées, leur liberté d'expression garantie par la Charte
a été violée. Or, à mon avis, la NWAC peut à bon
droit formuler cette plainte. On ne devrait donc pas
lui refuser une réparation en raison d'éventuelles
demandes d'autres groupes ou particuliers qui ne sont
pas dans la même situation à l'égard de ceux que le
gouvernement a choisi d'avantager, soit les organisa
tions autochtones désignées.
Réparation
À mon avis, dans les circonstances de l'espèce, il
est impossible d'accorder aux appelantes la répara-
tion qu'elles réclament, soit interdire au gouverne-
ment de verser toute autre somme aux organisations
autochtones désignées tant qu'il: (1) n'aura pas versé
une somme égale à la NWAC; et tant qu'il (2) n'aura
pas conféré à la NWAC la chance égale de participer
au processus de révision, dont le droit de participer
aux conférences des premiers ministres pertinentes.
En premier lieu, la preuve ne permet pas au tribu
nal de conclure qu'il faut nécessairement verser à la
NWAC une somme égale à celle accordée à chaque
organisation autochtone désignée pour que les
femmes autochtones puissent jouir du même degré de
liberté d'expression garanti à l'article 28 de la Charte.
Une telle somme serait peut-être insuffisante ou
excessive. Il me semble que la question du montant
approprié du financement devrait être tranchée par
l'exécutif, conscient du besoin de respecter cette éga-
lité. En outre, l'égalité ne doit pas être obtenue par
l'immixtion du tribunal dans le financement, déjà
convenu, des organisations autochtones désignées,
même s'il n'a pas été entièrement épuisé. Je suis
d'accord avec les arguments du RNM et de la ITC
selon lesquels les appelantes n'ont démontré aucun
fondement à une réparation privant les organisations
autochtones désignées de leur financement.
En deuxième lieu, il est bien connu que le proces-
sus de révision de la Constitution se situe maintenant
au-delà de la consultation. Tout processus de cette
nature passera, à un moment, à moins qu'il n'avorte
plus tôt, d'une étape consultative à une étape législa-
tive dans laquelle les tribunaux ne s'immisceront pas.
Bien que le Renvoi relatif au RAPC paraisse avoir
laissé la question sans réponse, je ne peux franche-
ment concevoir des circonstances, mêmes fondées sur
la Charte, où le tribunal pourrait à bon droit interve-
nir, si indirectement cela soit-il, dans la convocation
d'une conférence des premiers ministres ou de toute
autre réunion purement intergouvernementale et leur
dicter leur liste d'invités.
Ceci étant dit, le tribunal peut déclarer que le gou-
vernement fédéral a porté atteinte à la liberté d'ex-
pression des femmes autochtones de façon incompa
tible avec l'alinéa 2b) et l'article 28 de la Charte en
incluant une organisation telle que l'APN, dont les
intérêts sont indiscutablement opposés à ceux des
femmes autochtones selon les normes de la société
canadienne en général, tout en excluant la NWAC,
une organisation qui défend leurs intérêts, dans un
processus de révision de la Constitution visant à l'ai-
der à choisir, et à gagner l'appui du public et des gou-
vernements provinciaux à cet égard, le contenu d'une
résolution constitutionnelle devant être présentée au
Parlement, et qui affecte les droits des autochtones. A
mon avis, cela n'est rien de plus que de déterminer
dans un jugement déclaratoire les droits et obligations
nés de la Charte entre les femmes autochtones et le
gouvernement du Canada.
Conclusion
J'accueillerais l'appel, et je le déclarerais, et j'ac-
corderais aux appelantes leurs dépens contre l'inti-
mée, en appel et devant la Section de première ins
tance. La ITC et le RNM ont réclamé les dépens.
J'ordonnerais que les intervenants ne soient pas res-
ponsables des dépens et qu'ils n'y aient pas droit.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris à ce jugement.
LE JUGE SUPPLÉANT GRAY: Je souscris à ce
jugement.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.