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A-1024-90
J. F. Wiebe (requérant)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
RÉPERTORIA' WIEBE C. CANADA (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Hugessen, J.C.A.—Ottawa, ler et 3 avril 1992.
Contrôle judiciaire Les tribunaux administratifs doivent- ils suivre la pratique d'ordonner l'exclusion des témoins avant qu'ils ne témoignent? Refus par le comité d'appel établi en vertu de l'art. 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique d'exclure chacun des deux membres du jury de sélec- tion et de présélection pendant que l'autre témoignait puisqu'il n'était pas convaincu de la nécessité d'exclure les témoins Appel fondé sur le processus de sélection et de présélection Le comité a exercé sa discrétion en se fondant sur un principe erroné Devant un tribunal judiciaire, il existe une présomp- tion en faveur de l'exclusion, et il incombe à la partie s'y opposant de démontrer que l'ordonnance ne devrait pas être accordée Le refus, et non l'exclusion, doit être justifié Les exigences des tribunaux administratifs dépendent de la nature de l'enquête et de la mesure du caractère contradictoire de la procédure La procédure visée à l'art. 21 est contradictoire Les circonstances étant très semblables à celles d'un pro- cès, le comité devrait tenir compte des mêmes facteurs qu'une cour lorsqu'une demande d'exclusion des témoins est présen- tée Il est naturel que les membres du jury de présélection et de sélection présentent leurs décisions sous leur meilleur jour lorsqu'elles sont contestées, ce qui crée une présomption en faveur de l'exclusion dans l'intérêt de l'équité et de la préci- sion dans la recherche des faits La question est de savoir s'il existait des motifs de ne pas exclure les témoins Puis- qu'il est difficile de préciser les motifs de l'exclusion avant les témoignages, l'exclusion est fondée sur la seule possibilité d'avoir été partial, d'avoir fabriqué ou façonné la preuve.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28. Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, art. 21.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
Millward c. La Commission de la Fonction publique, [1974] 2 C.F. 530; (1974), 49 D.L.R. (3d) 295 (lLe inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Schwartz c. R., [1982] 1 C.F. 386 (C.A.); Sorobey c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la Fonc-
tion publique), [1987] 1 C.F.- 219; (1986), 72 N.R. 318 (C.A.).
DOCTRINE
Sopinka, John et al., The Law of Evidence in Canada, Toronto: Butterworths, 1992.
DEMANDE d'annulation de la décision d'un comité d'appel, dans le cadre d'un appel d'une nomi nation, de refuser d'exclure certains témoins de la salle d'audience pendant que d'autres étaient inter- rogés sur le processus de présélection et de sélection. Appel accueilli.
AVOCATS :
Catherine H. MacLean pour le requérant. Geoffrey S. Lester pour l'intimée.
PROCUREURS:
Nelligan/Power, Ottawa, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in-
timée
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Dans les procès tenus devant les tribunaux judiciaires, on demande fré- quemment et on accorde systématiquement des ordonnances prévoyant l'exclusion des témoins de la salle d'audience jusqu'à ce qu'ils aient témoigné'. La présente demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7] soulève la question de savoir jusqu'à quel point un tribunal administratif doit suivre la même règle de conduite.
La demande est à l'encontre de la décision d'un comité d'appel établi en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique 2 . Le comité a été saisi d'un appel interjeté par le requérant à l'en- contre d'une nomination projetée au poste de vérifi- cateur principal de l'Accise, AU-02, Revenu Canada, Douanes et Accise, à Winnipeg. Le requérant, candi- dat non reçu, a été éliminé dès l'étape préliminaire du
L'une des premières requêtes de ce genre consignée et ayant remporté un succès spectaculaire est racontée dans l'his- toire apocryphe de Suzanne et les vieillards, Daniel 13,51. 2 L.R.C. (1985), ch. P-33.
concours parce qu'il ne possédait pas les compé- tences nécessaires. Cette décision a été prise par un jury de présélection dont les deux membres étaient présents à titre de témoins lors de l'audience du comité d'appel. Le candidat reçu a été sélectionné par un jury de sélection composé des deux membres sus- mentionnés et d'une troisième personne qui a agi à titre de représentant de l'employeur dans le cadre des procédures tenues devant le comité d'appel.
À l'ouverture de l'audience, la représentante du requérant a demandé l'exclusion de la salle de chacun des deux membres du jury de présélection et de sélec- tion pendant qu'on demandait à l'autre membre des précisions sur le processus de présélection et de sélection. Il semble qu'aucune objection n'ait été soulevée quant à la présence du troisième membre du jury de sélection qui, je le répète, exerçait les fonc- tions de représentant de l'employeur.
Le comité d'appel a refusé d'ordonner cette exclu sion. Dans sa décision écrite rendue à la suite de l'au- dience, la présidente a expliqué ainsi son refus:
[TRADUCTION] On ne m'a pas convaincue que dans un tel cas, la présence d'un membre du jury lors du témoignage d'un autre membre sur les motifs d'une décision pourrait affecter les con clusions que je devais tirer à l'égard du caractère raisonnable des conclusions tirées. J'ai mentionné que je pourrais certaine- ment modifier ma décision s'il était question de partialité ou d'un autre sujet qui rendrait opportune l'exclusion des témoins. (Dossier, pages 161 et 162)
À mon avis, le comité d'appel a conclu erroné- ment.
Bien qu'il soit sans aucun doute maître de sa pro- cédure et qu'en tout état de cause, la décision d'ex- clure ou non les témoins relève de sa discrétion, je suis d'avis qu'en l'espèce, le comité a exercé sa dis- crétion en se fondant sur un principe erroné.
Devant un tribunal judiciaire, l'ordonnance pré- voyant l'exclusion des témoins est accordée [TRADUC- TION] «naturellement» 3 . C'est-à-dire qu'il existe une présomption en faveur de l'exclusion lorsque celle-ci est recherchée, et il incombe à la partie s'y opposant de démontrer que l'ordonnance ne devrait pas être accordée à l'égard de certains ou de tous les témoins. Les parties elles-mêmes, ou leurs représentants, sont
3 Sopinka, John et al., The Law of Evidence in Canada, (Toronto: Butterworths, 1992) à la p. 826.
généralement exemptés de l'ordonnance d'exclusion afin que le caractère équitable de l'audience soit maintenu. Les experts sont également fréquemment exemptés parce qu'il est moins vraisemblable que leur témoignage, qui exprime une opinion, soit irré- gulièrement influencé par celui des autres témoins. Puisqu'il s'agit d'une question de discrétion, il existe de nombreuses autres circonstances l'exclusion des témoins peut à juste titre être refusée, mais dans tous les cas, c'est le refus, et non l'exclusion, qui doit être justifié.
Manifestement, les tribunaux administratifs ne sont pas toujours tenus de suivre les mêmes règles que les cours. Pour chaque tribunal, les exigences varieront selon la nature de l'enquête tenue, et elles dépendront de la question de savoir si et dans quelle mesure on peut considérer à bon droit la procédure comme contradictoire. Dans le cas des comités d'ap- pel établis en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'em- ploi dans la fonction publique en général, et plus par- ticulièrement dans les circonstances de l'espèce, je suis d'avis que le comité aurait concevoir son pou- voir discrétionnaire de la même façon qu'une cour.
Bien qu'elle soit appelée «enquête», la procédure visée à l'article 21 est des plus contradictoire en nature puisque le requérant et l'employeur soutien- nent des points de vue opposés et ils sont générale- ment représentés par des experts dans ce genre de litige spécialisé. Le juge Cattanach de la Section de première instance 4 a décrit la situation avec justesse:
Bien qu'il n'y ait pas de litige entre des parties au sens véri- table de ce terme, il y a néanmoins une contestation entre deux parties. Le sous-chef comparaît devant le comité pour expli- quer que la sélection du candidat reçu s'est faite selon le sys- tème du mérite et le candidat non reçu est pour démontrer que tel ne fut pas le cas. La jurisprudence a décrit et reconnu une telle situation comme un quasi-litige entre des quasi-par ties.
Il arrive fréquemment qu'une ou plusieurs autres parties soient également intéressées, particulièrement les candidats reçus ou les personnes dont le nom a été
4 Millward c. La Commission de la Fonction publique, [1974] 2 C.F. 530, la p. 539.
porté à la liste d'admissibilité 5 . Ils peuvent participer de plein droit 6 , et s'ils désirent témoigner, ils doivent se soumettre à un contre-interrogatoire 7 . Les circons- tances étant très semblables à celles d'un procès, le comité d'appel devrait tenir compte des mêmes fac- teurs lorsqu'il envisage l'exclusion des témoins.
Quant aux faits particuliers de l'espèce, il convient de rappeler que la demande d'exclusion visait préci- sément et seulement deux membres du jury de présé- lection et que le troisième membre du jury de sélec- tion, qui exerçait les fonctions de représentant de l'employeur, devait nécessairement être présent tout au long de l'audience à ce titre. L'enquête elle-même portait particulièrement sur le processus qui a conduit à l'élimination du requérant par le jury de présélec- tion et à la sélection du candidat reçu par le jury de sélection. Les membres d'un tel jury sont des êtres humains, de sorte qu'on peut facilement s'attendre à ce qu'ils tentent de présenter leurs décisions sous leur meilleur jour lorsqu'elles sont contestées. Ces faits, d'eux-mêmes, ont créé une forte présomption en faveur de l'exclusion des témoins par le comité d'ap- pel dans l'intérêt de l'équité et de la précision dans la recherche des faits. Fait important, la décision finale du comité, lorsqu'elle a été rendue, tirait de nombreu- ses conclusions favorables sur la crédibilité des membres du jury de présélection, conclusions sur les- quelles l'avocat de l'intimée s'est empressé de s'ap- puyer au moment de débattre un autre aspect de la présente demande.
À mon avis, le comité d'appel a commis une erreur de droit en exerçant sa discrétion d'exclure des témoins en se fondant sur un principe erroné. Loin de se demander s'il existait des motifs de ne pas exclure les deux membres du jury de présélection et de sélec- tion, question qui, dans les circonstances, ne pouvait recevoir qu'une seule réponse, le comité s'est demandé s'il était convaincu qu'ils devaient être exclus. Puisque les ordonnances d'exclusion, par leur nature même, sont demandées et obtenues avant les témoignages, il est très difficile pour une partie de préciser et de formuler préalablement les motifs de
5 Le candidat reçu en l'espèce a comparu, mais il n'a fait aucune observation au comité d'appel.
6 Schwartz c. R., [1982] 1 C.F. 386 (C.A.).
7 Sorobey c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique), [1987] 1 C.F. 219 (C.A.).
cette exclusion. À cette étape, ceux-ci seront néces- sairement fondés sur la seule possibilité ou soupçon d'avoir été partial, d'avoir fabriqué ou façonné la preuve. Une fois les témoignages rendus, s'il existe un motif pouvant appuyer une telle allégation, il est trop tard, et le mal est déjà fait.
Puisque, à mon avis, une nouvelle audience doit être tenue, il ne nous appartient pas d'étudier le second motif de la contestation du requérant portant sur le bien-fondé de la décision du comité d'appel.
J'accueillerais la demande fondée sur l'article 28, j'annulerais la décision du comité d'appel et je ren- verrais l'affaire afin qu'une nouvelle audience soit tenue devant un nouveau comité d'appel établi par la Commission de la fonction publique.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris à ces motifs. LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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