A-1145-88
Procureur général du Canada (requérant)
c.
Richard Gaboriault, Alain Brousseau, Antonio
Simetich, Marcel St-Laurent, Dough Dixon,
Robert Lauzon, Maurice Boivin, Jacques
Langlois, Pierre Daniels, François Ciré, Pierre
Simard, Jacques Thivierge, Jacques Desjardins,
Louis St-Pierre, Gaston Paquette, Raymond
Brière, Alain Demers, Michel Delisle et Tecksol
Inc. et Gilles Minville (intimés)
et
Transports Canada (mis en cause)
RÉPERTORIA' CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) C. GABOR/AULT
(CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, Desjardins et Décary,
J.C.A.—Montréal, 11 mai; Ottawa, 11 juin, 1992.
Relations du travail — Demande fondée sur l'art. 28 visant
à faire annuler une décision rendue par le CCRT relativement
à une plainte de pratique déloyale portée en vertu du Code
canadien du travail — Les véhicules transbordeurs de passa-
gers à l'aéroport Mirabel appartiennent à Transports Canada,
mais sont entretenus et exploités par une compagnie privée en
exécution d'un contrat à durée déterminée conclu à la suite de
soumissions publiques — Un plus bas soumissionnaire, Cafas
Inc., s'est vu supplanter en 1985 par l'intimée Tecksol Inc. —
Celle-ci a embauché tous les anciens employés de Cafas, à
l'exception des dix-huit intimés — Les intimés ont saisi le
CCRT d'une plainte fondée sur l'art. 184(3)a)(1) du Code —
Le Conseil a conclu que le véritable employeur des préposés à
l'entretien et des chauffeurs n'était pas Tecksol Inc. mais
Transports Canada — La décision de la Cour fédérale dans
l'affaire Canada (Procureur général) c. A.F.P.C. (l'affaire
Econosult) s'applique directement en l'espèce — Distinction
faite entre la qualité d'employé dans les secteurs privé et
public — L'emploi dans la fonction publique est soumis à un
ensemble de règles strictes et rigides; il ne résulte pas d'une
situation de fait — Le Conseil a agi sur la base d'une impossi-
bilité juridique en reconnaissant une nouvelle catégorie d'em-
ployés de l'État (celle des employés de fait), créant par là un
vide juridique — Erreur de droit manifestement déraisonnable
— Demande accueillie.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art.
16p)(i), 22(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 56).
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, ch. L-1, art.
184(3)a)(1) (mod. par S.0 1977-78, ch. 27, art. 65;
1980-81-82-83, ch. 47, art. 53, item 14), 187(1)a)
(mod. par S.C. 1977-78, ch. 27, art. 66; 1984, ch. 39,
art. 35).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Canada (Procureur général) c. A.F.P.C., [1989] 2 C.F.
633; (1989), 97 N.R. 116 (C.A.); Canada (Procureur
général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada,
[1991] 1 R.C.S. 614; (1991), 80 D.L.R. (4th) 520; 48
Admin. L.R. 161; 91 CLLC 14,017; 123 N.R. 161.
DÉCISIONS CITÉES:
National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des
importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; (1990), 74 D.L.R.
(4th) 449; 45 Admin. L.R. 161; 114 N.R. 81; Caimaw c.
Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983; (1989), 62
D.L.R. (4th) 437; [1989] 6 W.W.R. 673; 102 N.R. 1;
U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048;
(1988), 35 Admin. L.R. 153; 95 N.R. 161.
DEMANDE, fondée sur l'article 28 de la Loi sur
la Cour fédérale, visant à faire réviser et annuler une
décision du Conseil canadien des relations du travail
((1988), 75 di 130) rendue à la suite d'une plainte de
pratique déloyale portée en vertu des articles 184 et
suivants du Code canadien du travail. Demande
accueillie.
AVOCATS:
Raymond Piché pour le requérant.
Robert P. Gagnon pour l'intimée Tecksol Inc.
Gilles Grenier pour le Conseil canadien des rela
tions du travail.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Grondin, Poudrier, Bernier, Québec, pour l'inti-
mée Tecksol Inc.
Trudel, Nadeau, Lesage, Cleary, Larivière &
Associés, Québec, pour le Conseil canadien des
relations du travail.
Toupin & Barrette, Montréal, pour les intimés
Richard Gaboriault et autres.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Cette demande d'exa-
men et d'annulation en vertu de l'article 28 de la Loi
sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] s'en
prend à une décision rendue par le Conseil canadien
des relations du travail [(1988), 75 di 130] relative-
ment à une plainte de pratique déloyale qui lui avait
été présentée sous l'égide des articles 184 et suivants
[édictés par S.C. 1972, ch. 18] du Code canadien du
travail, S.R.C. 1970, ch. L-1. Elle présente un intérêt
tout particulier en ce qu'elle force à vérifier et affir-
mer une fois encore la dualité et l'autonomie rFspec-
tive des deux régimes d'emploi qui, dans notre sys-
tème de droit, régissent l'un le secteur public, l'autre
le secteur privé. Sa difficulté vient, en effet, de ce que
ce contexte factuel qui la sous-tend se situe à un point
de rencontre entre les deux régimes. Voici donc les
faits qui l'ont provoquée.
Ces faits ne sont pas controversés, mais les procu-
reurs évidemment ne sont pas toujours d'accord
quant à ceux qu'il faut retenir. À la vérité, je pourrais
oublier ces différences de vues et poser le problème
de façon fort simple à partir du strict essentiel, car sa
solution, à mon avis, met strictement en cause des
principes de droit. Mais, pour mieux respecter les
positions respectives des parties, je procéderai à une
revue complète des faits retenus par les procureurs
eux-mêmes dans les mémoires qu'ils ont soumis à la
Cour.
Le ministère fédéral des Transports (ci-après
Transports Canada) maintient, à l'aéroport internatio
nal de Montréal (Mirabel), un service de transborde-
ment des passagers entre l'aérogare et les avions. Ce
service est assuré au moyen de véhicules spéciale-
ment construits, appelés simplement «véhicules
transbordeurs de passagers» (V.T.P.).
Depuis leur mise en service lors de l'ouverture de
l'aéroport, ces V.T.P., qui appartiennent à Transports
Canada, sont entretenus et opérés par des employés
d'une compagnie privée, sur la base d'un contrat à
durée déterminée octroyé à partir de soumissions
publiques. La première compagnie privée à obtenir et
à exécuter le contrat fut remplacée après quelques
années par un plus bas soumissionnaire, une compa-
gnie du nom de Cafas Inc., qui elle-même, en 1985,
suite à un nouvel appel d'offres, se voyait supplantée
par une troisième compagnie, l'intimée Tecksol Inc.
Une fois son contrat obtenu, Tecksol Inc. procéda à
l'embauche du personnel dont elle avait besoin pour
exécuter ses obligations conformément au devis atta
ché au contrat. Parmi les candidatures qu'elle avait en
main se trouvaient celles de plusieurs des anciens
employés de Cafas Inc.; elle les accepta toutes sauf
celles des dix-huit intimés. C'est la plainte que ces
dix-huit intimés soumirent ensemble au Conseil cana-
dien des relations du travail, peu après le rejet de leur
candidature, qui donna lieu à la décision ici mise en
cause.
Cette plainte de Gaboriault et de ses compagnons,
formulée en vertu de l'alinéa 187(1)a) du Code cana-
dien du travails [mod. par S.C. 1977-78, ch. 27, art.
66; 1984, ch. 39, art. 35], accusait Tecksol Inc.
d'avoir, avec la connivence de Gilles Minville, un
préposé de Transports Canada plus directement rat-
taché aux opérations de Mirabel, contrevenu aux dis
positions du sous-alinéa 184(3)a)(i) [mod. par S.C.
1977-78, ch. 27, art. 65; 1980-81-82-83, ch. 47, art.
53, item 14] du Code, dont le texte se lisait alors
comme suit:
184....
(3) Nul employeur et nulle personne agissant pour le compte
d'un employeur ne doit
a) refuser d'embaucher ou de continuer à employer ou sus-
pendre, transférer, mettre à pied, ni autrement prendre contre
une personne des mesures discriminatoires en ce qui con-
cerne un emploi, le salaire ou autres conditions d'emploi, ni
intimider, menacer ou prendre d'autres mesures discipli-
naires à l'encontre d'une personne, parce que cette personne
(i) est ou se propose de devenir, ou cherche à inciter une
autre personne à devenir un membre, dirigeant ou délégué
Ce paragraphe, au moment de la plainte, se lisait ainsi:
187. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), toute per-
sonne ou organisation peut adresser au Conseil, par écrit,
une plainte
a) portant qu'un employeur, une personne agissant pour le
compte d'un employeur, un syndicat, une personne agis-
sant pour le compte d'un syndicat ou un employé ne s'est
pas conformé ou a contrevenu au paragraphe 124(4) ou
aux articles 136.1, 148, 161.1, 184 ou 185; ou
d'un syndicat ou collabore au développement, à la forma
tion ou à l'administration d'un syndicat, .. .
Il faut savoir que, le 13 décembre 1984, le Conseil
avait accrédité l'Association internationale des
machinistes et des travailleurs de l'aéroastronautique
comme agent négociateur pour représenter les
employés de Cafas Inc. travaillant à Mirabel et
affectés à l'opération et au service des véhicules
transbordeurs de passagers. On voulait prétendre que
les refus d'emploi étaient rattachés au rôle qu'avaient
pu avoir les intimés dans l'organisation du syndicat.
Tecksol Inc. et Minville contestèrent naturellement
le bien-fondé des accusations, et une audition fut
ordonnée. Au cours de l'audition, en plus de protester
de sa bonne foi, Tecksol ajouta, comme moyen subsi-
diaire, que, de toute façon, la plainte n'aurait pas dû
être dirigée contre elle parce qu'elle n'était pas le
véritable employeur des préposés à l'entretien et des
chauffeurs des V.T.P. Au terme de l'audition, le Con-
seil rejeta immédiatement la plainte contre Minville
au motif qu'aucune preuve n'avait été faite pour l'ap-
puyer. Mais quant à la plainte contre Tecksol Inc., il
ordonna à son sujet le tenue d'une seconde audition à
laquelle il entendait convier et mettre en cause offi-
ciellement Transports Canada et qu'il consacrerait à
l'examen de ce moyen relatif à l'identification du
véritable employeur que la compagnie avait avancé
subsidiairement.
Avant la date fixée pour la nouvelle audition,
Tecksol Inc. fit savoir qu'elle n'entendait pas soutenir
plus avant son moyen subsidiaire, mais le Conseil
refusa de considérer le désistement et procéda comme
prévu. Après avoir entendu les représentations des
parties, il prit l'affaire en délibéré, et peu après fit
connaître sa décision. D'après lui, le véritable
employeur des préposés à l'entretien et des chauf
feurs des V.T.P. n'était pas la compagnie Tecksol
Inc. mais bien Transports Canada; mais comme il
n'avait pas compétence sur Transports Canada, il ne
pouvait recevoir et donner suite à la plainte. Aussi
bien le procureur général du Canada que Gaboriault
et ses compagnons en appelèrent aussitôt de la déci-
sion en commençant des procédures en vertu de l'ar-
ticle 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Quelque temps plus tard, cette Cour rendait juge-
ment dans l'affaire Canada (Procureur général) c.
A.F.P.C., [1989] 2 C.F. 633 [ci-après Econosult], et
adoptait à cette occasion des positions qui semblaient
ne pas s'accorder avec les conclusions du Conseil
dans la décision qu'il venait de prendre. Les parties
convinrent alors, pour éviter des procédures inutiles,
de suspendre les demandes sous l'article 28 jusqu'à
ce que la Cour suprême se fût prononcée sur la vali-
dité de ces positions.
Lorsque fut rendu l'arrêt de la Cour suprême con-
firmant la décision de la Cour fédérale 2 , Gaboriault et
ses compagnons choisirent, avant de poursuivre leurs
procédures sous l'article 28, de demander au Conseil
de réviser sa décision. Le Conseil refusa. Ce refus ne
constitue en somme qu'un incident, puisque c'est la
décision initiale que la demande devant nous attaque,
mais la lecture du résumé des motifs (non officiel
mais préparé par lui) que le Conseil donna pour justi-
fier sa réaction permettra de mieux voir, peut-être, la
véritable dimension du problème:
Dans cette affaire, le Conseil rejette une demande de révision
d'une décision rendue dans Tecksol Inc. (1988), 75 di 130
(CCRT n° 713), où il avait été décidé que l'employeur vérita-
ble des plaignants qui avaient déposé une plainte de pratique
déloyale n'était pas la compagnie Tecksol Inc. mais plutôt le
ministère des Transports (Transports Canada), dont les acti-
vités ne sont pas assujetties à la compétence du Conseil.
Les motifs pour lesquels le Conseil rejette la demande de révi-
sion sont les suivants:
L'arrêt Econosult, rendu par la Cour suprême le 21 mars der-
nier, sur lequel les requérants fondent leur demande, n'a
aucune incidence sur la décision n° 713 en ce qu'il ne fait que
décider que les employés de Econosult ne sont pas des fonc-
tionnaires assujettis à la compétence de la Commission des
relations de travail dans la Fonction publique. Il n'a toutefois
pas déterminé que les employés ne peuvent pas être des
employés d'un Ministère de l'Êtat Canadien.
Contrairement à la situation qui prévalait dans Econosult, le
Conseil possède toute la compétence nécessaire pour détermi-
ner qui est un employé et qui est un employeur et c'est ce qu'il
a fait en appliquant correctement ses politiques.
Le problème engendré par le fait que des employés ne soient
assujettis ni à la Lei sur les relations de travail dans la Fonc-
tion publique ni au Code canadien du travail nécessite une
solution législative plutôt qu'administrative.
Sitôt connue la décision du Conseil de confirmer
sa décision, le procureur général réactiva ses procé-
dures sous l'article 28 pour en obtenir la révisions.
2 [1991] 1 R.C.S. 614.
3 Gaboriault et ses compagnons firent d'abord de même
mais, peu avant l'audition, ils se désistèrent de leur demande.
Voilà donc les faits qui sont à la base de cette
demande qui nous est soumise. J'ai pris plus de
temps que je l'aurais voulu à les exposer, mais main-
tenant que la position du Conseil, dont les répercus-
sions pourraient être si singulièrement importantes, a
été mise en contexte, il me sera certes plus facile
d'expliquer pourquoi je crois que le procureur géné-
ral a eu raison de la contester.
Ce que je pense essentiellement, c'est que l'arrêt
Econosult avait effectivement une application directe
sur la solution du problème tel que le Conseil avait
cru devoir le poser et que l'enseignement qui s'y
trouve s'oppose à la position qu'il a adopté. C'est, à
mon avis, je le dis avec égard, mal lire le jugement de
la majorité que d'en retenir uniquement une affirma
tion à l'effet que les employés dont il était question là
n'étaient pas assujettis à la compétence de la Com
mission des relations de travail dans la Fonction
publique. C'est, en fait, amputer l'arrêt de sa ratio
decidendi, de sa substance même. Ce que la Cour
suprême a confirmé dans cet arrêt, c'est que, dans le
cadre juridique qui est le nôtre, une personne ne peut
pas être un employé de l'État canadien sans nomina
tion expresse ou engagement formel dûment autorisé
par la loi. Dans les motifs que j'écrivais au soutien du
jugement de cette Cour dans l'affaire Econosult, je
donnais de cette situation une explication que je me
permets de répéter (aux pages 642 et 643):
Il est constant que, dans le secteur privé, la qualité d'em-
ployé d'une personne qui agit au bénéfice d'une autre, bien
qu'impliquant un contrat dépendant d'actes de volonté, s'infère
souvent en pratique des circonstances entourant, dans la réalité,
la prestation de travail. C'est que la relation employeur-
employé est avant tout une relation juridique que le droit rat-
tache à une situation de fait, le contrat de travail ne comportant
aucune forme particulière et pouvant résulter d'un simple com-
portement des parties en présence. D'où l'établissement de cri-
tères permettant de la déceler derrière des apparences qui pour-
raient la camoufler.
Dans le secteur public, au contraire, la qualité d'employé de
la Reine ne saurait, selon ce que je comprends de la législation,
s'inférer ainsi d'une simple situation de fait. On a tout simple-
ment voulu, pourrait-on dire, mettre la Reine-employeur à
l'abri des faits et gestes de tous ses représentants munis de
pouvoirs exécutifs: autrement, a sans doute pensé le Parlement,
la situation deviendrait vite aussi incontrôlable que chaotique.
L'emploi dans la fonction publique a été soumis à un ensemble
de règles strictes et rigides.
Ce principe de base s'impose à tous et dans tous
les domaines, comme s'impose aussi le principe que
l'État canadien s'entend de tous les ministères, aucun
d'entre eux ne constituant une entité autonome pou-
vant devenir employeur à son compte. Sans doute le
Conseil s'est-il vu attribuer de larges pouvoirs pour
décider des questions qui lui sont soumises et il a,
notamment,—ce que n'avait pas la Commission des
relations de travail dans la Fonction publique dans
l'affaire Econosult—compétence pour déterminer si
une personne est un employeur ou un employé (cf.
sous-alinéa 16p)(1) du Code [L.R.C. (1985), ch.
L-2]). Sans doute aussi, l'exercice par le Conseil de
sa compétence est-il protégé par une clause privative
(paragraphe 22(1) du Code [L.R.C. (1985), ch. L-2
(mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 56)]). Mais le Conseil
n'agit évidemment pas en vase clos et s'il est normal
qu'il cherche à mettre en œuvre des politiques qui lui
sont propres, ses conclusions doivent pouvoir prendre
corps dans l'ensemble du système et ne sauraient en
contredire les données essentielles. Le Conseil ne
peut agir à partir d'une impossibilité juridique.
C'est pourquoi, justement, je disais au départ
qu'on pouvait discuter du problème sans même avoir
égard au contexte dans lequel la décision a été ren-
due. Je n'oublie pas que le Conseil était saisi d'une
plainte de pratique déloyale à l'encontre de Tecksol
Inc. et que c'est à l'occasion de l'analyse de la situa
tion particulière de la compagnie et des données du
contrat qui lui avait été octroyé qu'il en est venu à la
conclusion que Tecksol Inc. n'était pas l'employeur
des plaignants. Je n'oublie pas non plus que le Con-
seil n'a jamais affirmé avoir compétence sur Sa
Majesté en tant qu'employeur et que, pour arriver à
sa conclusion, il s'en est uniquement rapporté aux
critères qu'il a déjà retenus pour identifier un
employeur au sens de la loi qu'il est chargé d'appli-
quer. Mais je persiste à penser qu'en raisonnant
comme il l'a fait, le Conseil a agi à partir, je le répète,
d'une impossibilité juridique, ce que sa juridiction,
aussi étendue qu'elle soit, ne lui permet évidemment
pas de faire.
Il est, bien sûr, tout à fait normal que le Conseil se
rapporte à son analyse des circonstances entourant
une prestation de travail pour déterminer lequel de
deux employeurs possibles est l'employeur véritable
du travailleur et il est légitime que, pour faciliter cette
analyse, il ait tenté de dégager certains critères,
encore qu'on puisse s'étonner je me permets la
remarque en passant—qu'il s'en soit remis principa-
lement à ceux dégagés par les tribunaux de droit
commun pour distinguer un employé d'un travailleur
indépendant. Mais encore faut-il qu'il ait devant lui
justement deux employeurs possibles, soit deux per-
sonnes susceptibles d'avoir établi, avec le travailleur,
par leur seul comportement, une relation d'employeur
à employé. Et l'on retrouve l'empêchement de
départ: une telle relation employeur-employé entre
l'État fédéral et un travailleur ne peut tout simple-
ment pas dépendre uniquement d'une situation de
fait. Raisonner comme s'il pouvait en être autrement
constitue, à mon avis, une erreur de droit «manifeste-
ment déraisonnable» (patently unreasonable) qui ne
saurait échapper à la révision judiciaire. (Voir notam-
ment National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribu-
nal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; Caimaw
c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983;
U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048.)
Mais alors, dit-on, faudrait-il que le Conseil, dans
la mise en oeuvre du Code canadien du travail, intro-
duise une catégorie d'employeurs privés des attributs
nécessaires à cette qualité et ainsi mettre en place un
régime artificiel de rapport de travail. Il y aurait lieu,
je pense, de réexaminer ce que l'on entend par attri-
buts nécessaires et aussi en quel sens le régime serait
artificiel. Mais, de toute façon, il ne revient pas à
cette Cour, à ce stade-ci en tout cas, d'en juger, alors
qu'il lui revient sans aucun doute de sanctionner une
erreur de droit manifestement déraisonnable.
On a fait valoir que le procureur général n'avait
pas intérêt à obtenir la nullité d'une décision qui
n'avait aucune conséquence juridique contraignante
pour Transports Canada et de laquelle Gaboriault et
ses compagnons s'étaient, par ailleurs, désintéressés,
de sorte que la Cour, dans sa discrétion, devrait éviter
d'intervenir.
D'abord, je ne crois pas que le pouvoir de la Cour
sous l'article 28 de sa loi constitutive soit discrétion-
naire. Mais même s'il l'était, je crois que le procureur
général a pleinement intérêt à éviter que reste formel-
lement en vigueur et garde autorité une décision par
laquelle le Conseil aurait, hors juridiction, prétendu
déceler et donner effet à l'existence d'une nouvelle
catégorie d'employés de l'État, soit les employés de
fait, créant alors, tout à fait subitement, un vide juri-
dique qui ne pourrait être toléré.
Je suis d'avis que la demande doit être accordée et
la décision attaquée annulée. Si le Conseil ne consi-
dère pas que Gaboriault et ses compagnons se sont
désistés de leur plainte, il lui sera naturellement loisi-
ble de l'instruire de nouveau, mais il lui faudra alors
tenir pour acquis que les personnes engagées par
Tecksol Inc. et affectées à l'entretien et à l'exploita-
tion des V.T.P. à Mirabel ne sont pas des employés
de Transports Canada ni des employés ou des fonc-
tionnaires de Sa Majesté la Reine du Chef du Canada.
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: J'y souscris.
LE JUGE DECARY, J.C.A.: J'y souscris.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.