A-638-90
F. Latimer, G. Lynch & P. Watson (requérants)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada
représentée par le Conseil du Trésor (intimée)
RÉPERTORIE: LATIMER C. CANADA (CONSEIL DU TRÉSOR)
(C.A.)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et MacGuigan,
J.C.A.—Ottawa, 3 et 5 décembre 1991.
Fonction publique — Relations du travail — Des employés à
titre occasionnel ayant travaillé moins de six mois réclament
l'admissibilité à des augmentations de traitement rétroactives
obtenues par l'unité de négociation Manœuvres et hommes de
métier — La LRTFP exclut ces personnes de la définition de
l'expression «fonctionnaire» — Les requérants soutiennent
devant l'arbitre que cette exclusion est contraire à la Charte —
L'arbitre n'a pas compétence à l'égard des parties ni de l'ob-
jet du litige.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Recours — Des
employés à titre occasionnel soutiennent que la disposition de
la LRTFP qui exclut de la définition de l'expression «fonction-
naire» les employés ayant travaillé moins de six mois est
incompatible avec les droits à l'égalité et à la liberté d'asso-
ciation garantis par la Charte — Les tribunaux des relations
de travail ont un pouvoir limité de se prononcer sur les ques
tions relatives à la Charte qui portent sur leur compétence —
Cette dernière découle de leur loi constitutive et non de la
Constitution — L'arbitre nommé en vertu de la LRTFP n'a pas
compétence à l'égard des parties ni de l'objet du litige.
Il s'agit d'une demande de révision de la décision dans
laquelle un arbitre a conclu qu'il n'avait pas la compétence
nécessaire pour être saisi du grief des requérants.
Les requérants sont des employés à titre occasionnel
engagés par l'intimée pour moins de six mois. Leurs fonctions
sont portées au groupe professionnel Manoeuvres et hommes
de métier (MHM), représenté à des fins de négociation collec
tive par l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC).
Les requérants ont réclamé l'admissibilité aux augmentations
de traitement rétroactives obtenues pour les fonctionnaires du
groupe MHM dans le cadre de négociations collectives. L'em-
ployeur soutient qu'ils ne sont pas visés par la convention col
lective puisqu'ils ne sont pas fonctionnaires: l'article 2 de la
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique exclut
expressément de la définition de l'expression «fonctionnaire»
les employés à titre occasionnel ayant travaillé moins de six
mois. Les requérants ont déposé un grief; ils ont soutenu
devant l'arbitre que le refus de la Loi de leur reconnaître la
qualité de fonctionnaires est incompatible avec leurs droits à la
liberté d'association et à l'égalité prévus à la Charte. L'arbitre
a conclu que seule la Commission des relations de travail dans
la Fonction publique (CRTFP) et non lui pouvait se prononcer
sur la constitutionnalité de l'une des dispositions de la Loi.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
Les tribunaux ont reconnu le pouvoir restreint mais impor
tant des commissions des relations de travail de se prononcer
sur des questions constitutionnelles ayant trait à leur propre
compétence. Ce pouvoir est considéré comme étant conféré
non pas par la Constitution, mais par le cadre législatif dont
fait partie le tribunal administratif. Dans l'arrêt Cuddy Chicks
Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), la Cour
suprême du Canada s'est montrée d'avis à la majorité que cette
compétence doit être conférée par la loi habilitante ou par ail-
leurs expressément ou implicitement. La même Cour, dans
l'arrêt Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi
et de l'immigration) a conclu qu'en l'absence d'une attribution
de pouvoir par une loi, un conseil arbitral n'est pas compétent
pour se prononcer sur la constitutionnalité de sa loi habilitante.
La question litigieuse en l'espèce vise la compétence du tri
bunal administratif à l'égard des parties qui se sont présentées
devant lui. La compétence de l'arbitre lui est conférée à l'égard
des «fonctionnaires» par une loi qui exclut expressément les
personnes telles que les requérants. Aucune restriction de ce
genre n'est imposée à la CRTFP, qui a pour mandat légal
d'exercer les pouvoirs qu'implique la réalisation des objets de
la Loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice Il, n° 44], art. 2d), 15.
Lei constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, no 44], art. 52.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
28.
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), chap. P-35, art. 2, 21, 34, 92, 96.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations
de travail), [1991] 2 R.C.S. 5; (1991), 81 D.L.R. (4th)
121; 91 CLLC 14,024; 122 N.R. 361; [1991] OLRB Rep.
790; Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'em-
ploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22; (1991), 81
D.L.R. (4th) 358; 91 CLLC 14,023; 126 N.R. 1.
DÉCISION EXAMINÉE:
Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction
publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614; (1991), 80
D.L.R. (4th) 520; 48 Admin. L.R. 161; 91 CLLC 14,017;
123 N.R. 161.
DÉCISION CITÉE:
Dougla.s/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College,
[1990] 3 R.C.S. 570; (1990), 91 CLLC 17,002; 118 N.R.
340.
AVOCATS:
Andrew J. Raven pour les requérants.
Roger R. Lafrenière et Dora Benbaruk pour l'in-
timée.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Ottawa, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in-
timée.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
MACGUIGAN, J.C.A.: Cette demande fondée sur
l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985),
chap. F-7] vise la compétence qu'a un arbitre nommé
par la Commission des relations de travail dans la
Fonction publique («la CRTFP» ou «la Commis
sion») pour déterminer la qualité des requérants
comme fonctionnaires.
I
Les requérants, employés à titre occasionnel par l'in-
timée, recherchent l'admissibilité à des augmenta
tions de traitement rétroactives obtenues pour les
fonctionnaires de l'unité de négociation Manoeuvres
et hommes de métier («MHM») dans le cadre des
négociations menées par l'agent négociateur, l'Al-
liance de la Fonction publique du Canada
(l'«AFPC»). L'intimée nie leur admissibilité au motif
qu'ils ne sont pas des fonctionnaires aux fins de la
convention collective parce qu'ils sont des employés
à titre occasionnel pour une période de moins de six
mois, et qu'ils sont ainsi exclus de la définition du
mot fonctionnaire dans la Loi sur les relations de tra
vail dans la fonction publique («la Loi»), L.R.C.
(1985), chap. P-35, qui contient la définition suivante
à l'article 2:
2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«fonctionnaire» Personne employée dans la fonction
publique, ... mais à l'exclusion des per-
sonnes:
g) employées à titre occasionnel ou temporaire et ayant tra-
vaillé à ce titre pendant moins de six mois; ...
Le même article consacré aux définitions décrit le
grief comme étant la plainte déposée par un «fonc-
tionnaire»:
2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«grief» Plainte écrite déposée conformément à la présente
loi par un fonctionnaire, soit pour son propre
compte, soit pour son compte et celui de un ou plu-
sieurs autres fonctionnaires, ...
L'article 92 de la Loi prévoit l'arbitrage des griefs:
92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la pro-
cédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonction-
naire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur:
a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une dis
position d'une convention collective ou d'une décision arbi-
trale;
b) une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la
suspension ou une sanction pécuniaire.
(2) Pour pouvoir renvoyer à l'arbitrage un grief du type visé
à l'alinéa (1)a), le fonctionnaire doit obtenir, dans les formes
réglementaires, l'approbation de son agent négociateur et son
acceptation de le représenter dans la procédure d'arbitrage.
Les autres dispositions citées au cours de la plai-
doirie relativement aux pouvoirs de la Commission
dans son ensemble sont le paragraphe 21(1) et les
articles 34 et 96, qui sont libellés comme suit:
21. (1) La Commission met en oeuvre la présente loi et
exerce les pouvoirs et fonctions que celle-ci lui confère ou
qu'implique la réalisation de ses objets, notamment en prenant
des ordonnances qui exigent l'observation de la présente loi,
des règlements pris sous le régime de celle-ci ou des décisions
qu'elle rend sur les questions qui lui sont soumises.
34. À la demande de l'employeur ou de l'organisation syn-
dicale concernée, la Commission se prononce sur l'apparte-
nance ou non d'un fonctionnaire ou d'une classe de fonction-
naires à une unité de négociation qu'elle a préalablement
définie, ou sur leur appartenance à une autre unité.
96. (1) Sauf règlement pris par la Commission aux termes de
l'alinéa 100(1)d), le renvoi d'un grief à l'arbitrage de même
que son audition et la décision de l'arbitre à son sujet ne peu-
vent intervenir qu'après l'observation intégrale de la procédure
applicable en la matière jusqu'au dernier palier.
(2) En jugeant un grief, l'arbitre ne peut rendre une décision
qui aurait pour effet d'exiger la modification d'une convention
collective ou d'une décision arbitrale.
(3) Sauf dans le cas d'un grief qui peut être renvoyé à l' arbi-
trage au titre de l'article 92, la décision rendue au dernier
palier de la procédure applicable en la matière est finale et
obligatoire, et aucune autre mesure ne peut être prise sous le
régime de la présente loi à l'égard du grief ainsi tranché.
Que les requérants soient fonctionnaires ou pas, la
nature de leurs fonctions et de leurs responsabilités
est telle qu'ils sont classés au sein du groupe profes-
sionnel MHM, qui est représenté à des fins de négo-
ciation collective par l'AFPC.
Les requérants ont soutenu devant l'arbitre et de
nouveau devant cette Cour que le refus de reconnaître
la qualité de fonctionnaire aux employés à titre occa-
sionnel à l'alinéa 2g) de la Loi est incompatible avec
la liberté d'association prévue à l'alinéa 2d) de la
Charte canadienne des droits et libertés [qui consti-
tue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]] («la
Charte») et avec la protection accordée aux droits à
l'égalité en vertu de l'article 15 de la Charte, et qu'en
conséquence de l'application de l'article 52 de la Loi
constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 44]], l'exclusion des employés à titre
occasionnel en vertu de l'alinéa 2g) de la Loi est
nulle et sans effet.
Le commissaire Young, qui siégeait comme arbi-
tre, a statué dans ses motifs de décision en date du 14
août 1990, qu'une telle question ne peut être abordée
qu'au moyen d'une demande régulièrement adressée
à la CRTFP dans son ensemble plutôt que sous forme
de grief soumis à un arbitre. Les parties pertinentes
de son raisonnement sont les suivantes (Dossier, aux
pages 427a à 429):
[TRADUCTION] Essayer de trancher les prétentions des
employés par la procédure d'arbitrage de griefs présente
d'énormes difficultés. Il y a lieu de signaler que les parties ont
reconnu que les trois employés s'estimant lésés étaient visés
par l'exclusion g) de la définition de «fonctionnaire» figurant à
l'article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction
publique. L'avocat des employés a avancé au nom de ses
clients des arguments très détaillés et sérieux à propos des
droits qui leur sont garantis par la Charte canadienne des droits
et libertés. L'ingéniosité de ces arguments n'enlève rien au fait
que ces derniers, me semble-t-il, vont bien au-delà des consi-
dérations qui entrent ou devraient entrer en ligne de compte
dans le règlement des griefs. Essentiellement, l'avocat main-
tient que la définition de «fonctionnaire» figurant dans la Loi
sur les relations de travail dans la fonction publique va à l'en-
contre de la Charte et que, par conséquent, les employés ont été
privés de la possibilité de s'associer et de devenir membres de
l'unité de négociation.
Autrement dit, afin de résoudre ce qui normalement serait
une simple demande de hausse de traitement rétroactive, l'avo-
cat des employés exige de l'arbitre qu'il se prononce sur la
constitutionnalité d'une partie importante du cadre régissant la
négociation collective dans la fonction publique fédérale. Les
ramifications d'une telle décision pourraient être énormes et
aller bien au-delà des limites des présents griefs, étant donné
que le terme «fonctionnaire», tel qu'il est défini dans la Loi sur
les relations de travail dans la fonction publique, est utilisé par-
tout dans la Loi pour établir la portée de la négociation, de
l'accréditation, de la procédure de règlement des griefs, etc.
En réalité, ce que Me Raven me demande d'accomplir, pour
faire droit aux griefs, c'est de déclarer que les employés en
cause sont des «fonctionnaires» et qu'ils sont membres de
l'unité de négociation. À toutes fins utiles, cela équivaudrait à
étendre la portée de l'ordonnance d'accréditation initiale ren-
due par la Commission il y a quelque 23 ans. Non seulement
cette décision remettrait en question le cadre et la procédure
régissant la négociation collective dans la fonction publique
fédérale, mais elle remettrait vraisemblablement en question
tous les autres certificats délivrés par la Commission où les
droits des employés occasionnels seraient en jeu.
Voilà des questions d'une ampleur telle qu'il est impossible
de penser pouvoir les trancher dans les limites d'un simple
grief portant sur le droit à un traitement rétroactif. Si l'on peut
sympathiser avec les employés qui touchent des salaires dispa-
rates et peu élevés en comparaison de ceux que reçoivent leurs
collègues syndiqués—avec qui ils travaillent dans les mêmes
conditions, exception faite de la durée de leur nomination—, il
demeure qu'il s'agit là de questions que la Commission ne peut
examiner que dans le cadre d'une demande en règle, plutôt que
sous le couvert d'un grief, comme c'est le cas ici. Par exemple,
dans le jugement Cuddy Chicks (précité) sur lequel l'avocat
des employés a appuyé sa plaidoirie, la question en litige
découlait d'une demande d'accréditation. La Cour d'appel de
l'Ontario a confirmé la décision de la Commission des rela
tions de travail de l'Ontario selon laquelle cette dernière avait
le pouvoir voulu pour décider si la disposition de sa loi habili-
tante excluant les travailleurs agricoles de la négociation col-
lective violait la Charte et était par conséquent nulle et sans
effet en vertu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle du
Canada, 1982. La Cour suprême du Canada doit très prochai-
nement se prononcer sur cette affaire.
D'autre part, à la lumière de l'article 92 de la Loi sur les
relations de travail dans la fonction publique, j'estime que
j'outrepasserais mes pouvoirs d'arbitre en décidant si une dis
position de la Loi sur les relations de travail dans la fonction
publique viole la Charte et si elle est par conséquent nulle et
sans effet. Une telle décision pourrait remettre en question non
seulement une bonne partie des fondements actuels de la négo-
ciation collective au sein de la fonction publique fédérale, mais
également la portée d'un grand nombre de certificats délivrés
par la Commission. Ces questions, tel que je l'ai dit plus haut,
relèvent de la compétence de la Commission et non d'un arbi-
tre, et elles devraient être soulevées dans le contexte d'une
demande appropriée présentée à la Commission, et non d'un
grief portant sur un rappel de salaire.
Il est non seulement concevable mais fort probable que toute
demande dont serait saisie la Commission des relations de tra
vail dans la fonction publique en vue de faire annuler les dispo
sitions d'exclusion figurant dans la définition de «fonction-
naire» de la Loi sur les relations de travail dans la fonction
publique intéresserait au plus haut point tous les employeurs et
tous les agents négociateurs qui risqueraient d'être touchés par
la décision. À ce titre, ils auraient droit à être notifiés de la
procédure et à se voir accorder le statut d'intervenants. Cela
n'est pas possible dans le contexte du renvoi à l'arbitrage de
griefs portant sur une demande de rémunération rétroactive et
mettant en cause trois personnes et un seul agent négociateur.
Étant donné que par définition les employés en cause ne
sont pas des fonctionnaires aux termes de la Loi sur les rela
tions de travail dans la fonction publique, et comme je n'estime
pas avoir, en tant qu'arbitre, le pouvoir de déterminer si l'ex-
clusion g) de la définition de fonctionnaire figurant à l'article 2
de la Loi viole la Charte et est donc nulle et sans effet, je
déclare que les employés n'ont droit à aucun des avantages
figurant dans quelque convention collective que ce soit négo-
ciée pour les fonctionnaires membres de l'unité de négociation
Manoeuvres et hommes de métier.
Je partage le point de vue de l'arbitre Young, mais
parce qu'il a rendu sa décision avant les trois récents
arrêts de la Cour suprême du Canada confirmant la
compétence qu'ont les tribunaux administratifs d'in-
terpréter la Constitution, y compris la Charte, je crois
qu'il serait bon de tenir compte de ces arrêts dans
l'interprétation de la décision susmentionnée.
II
Les trois récents arrêts en question de la Cour
suprême sont les suivants: Douglas/Kwantlen Faculty
Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570;
Cuddy Chicks Ltd c. Ontario (Commission des rela-
tions de travail), [1991] 2 R.C.S. 5; Tétreault-
Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de
l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22.
Lorsque le juge La Forest a rendu les motifs de
jugement de la majorité dans l'affaire Douglas Col
lege, il a considéré trop évident pour en discuter le
fait que l'arbitre, nommé en vertu des dispositions de
la Industrial Relations Act, R.S.B.C. 1979, chap. 212,
avait compétence sur les parties, ce qui constitue la
principale question en l'espèce, mais en fin de
compte il en est aussi arrivé à la conclusion que l'ar-
bitre avait également compétence sur l'objet en litige
et la réparation recherchée. Pour ce qui est de la com-
pétence à l'égard des parties, il suffit de noter que les
deux membres de la faculté qui avaient déposé le
grief étaient membres d'un syndicat représentant les
employés du Collège lorsqu'ils ont présenté leur grief
en vertu de la convention collective contre la retraite
obligatoire prévue par la convention.
Dans l'affaire Cuddy Chicks, la question portait sur
la compétence de la Commission des relations de tra
vail de l'Ontario de décider de la constitutionnalité
d'une disposition de sa loi habitante, la Loi sur les
relations de travail, L.R.O. 1980, chap. 228, dans le
cadre d'une demande d'accréditation d'une section
locale d'un syndicat international. Là aussi, il ne pou-
vait y avoir de doute quant à la compétence de la
Commission à l'égard des parties, de l'employeur et
du syndicat, puisqu'ils étaient régulièrement devant
elle. Le problème tenait à la compétence de la Com
mission à l'égard de l'objet du litige et de la répara-
tion recherchée. Selon les propres mots du juge
La Forest (à la page 15):
Il faut d'abord déterminer si la Commission a compétence à
l'égard de l'ensemble de l'affaire qui lui est soumise. Il est
clair qu'elle a compétence à l'égard de l'employeur et du syn-
dicat. La question porte en l'espèce sur sa compétence à
l'égard de l'objet du litige et de la réparation recherchée. L'ob-
jet du litige dont la Commission est saisie ne peut être simple-
ment qualifié de demande d'accréditation, laquelle relèverait
sans aucun doute de sa compétence. Il s'agit en l'espèce d'une
demande qui exige que la commission examine l'al. 26) de la
Loi à la lumière de la Charte afin de déterminer si la demande
d'accréditation lui est régulièrement soumise. De la même
façon, en raison dé la réparation recherchée, soit l'accrédita-
tion, la Commission doit refuser de donner effet à l'al. 26) de
la Loi compte tenu de son manque de conformité avec la
Charte. Puisque l'objet du litige et la réparation en l'espèce
supposent l'application de la Charte, le pouvoir d'appliquer
celle-ci doit se trouver dans la loi habilitante de la Commis
sion.
Après avoir conclu que la Commission des relations
de travail de l'Ontario avait non seulement la compé-
tence mais encore l'obligation de vérifier la validité
constitutionnelle de toute disposition contestée de sa
Loi habilitante, le juge La Forest a dit ce qui suit (à la
page 19):
Ces arrêts traitent non seulement de la nature fondamentale
de la Constitution, mais aussi de la compétence décisionnelle
des commissions des relations du travail et de la valeur de leur
expertise aux étapes initiales de délibérations constitution-
nelles complexes. Ces considérations d'ordre pratique ont
amené les tribunaux à reconnaître le pouvoir, certes soigneuse-
ment restreint, des tribunaux des relations du travail de se pro-
noncer sur des questions constitutionnelles ayant trait à leur
propre compétence. Ces considérations sont tout aussi contrai-
gnantes dans le cas de la contestation, sur le plan de la Charte,
de la loi habilitante d'un tribunal administratif. Par conséquent,
l'extension du «rôle restreint, mais important» des commis
sions des relations du travail au domaine de la Charte n'est que
la progression naturelle d'un principe bien établi.
Dans l'arrêt Tétreault-Gadoury, qui traitait du
refus d'accorder aux personnes de plus de 65 ans les
prestations ordinaires d'assurance-chômage, le juge
La Forest a dit (à la page 31) «[l]a Cour est saisie,
pour la première fois, ... de la question de savoir si
un tribunal administratif, auquel n'a pas été conféré
expressément le pouvoir d'examiner toutes les lois
pertinentes, peut néanmoins appliquer la Charte». Le
paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982
ne confere pas lui-même un tel pouvoir à un tribunal.
Seule, sa loir habilitante peut le faire. La Cour n'a vu
1 Dans tous ces arrêts, le juge La Forest a déclaré que «[1]a
compétence du tribunal, doit plutôt lui avoir été conférée
expressément ou explicitement par sa loi constitutive ou autre-
ment». (Cuddy Chicks à la p. 14, c'est moi qui souligne) et son
point de vue est considéré différent du sien par le juge Wilson
(Cuddy Chicks, à la p. 20):
Dans le présent pourvoi, mon collègue a réitéré la position
qu'il avait adoptée dans Douglas College selon laquelle le
pouvoir d'appliquer la Charte doit se trouver dans la loi
habilitante du tribunal et il a conclu de nouveau que sa com-
pétence se trouve là et que la vaste compétence conférée à la
Commission par la Loi sur les relations de travail, L.R.O.
1980, ch. 228, comprend le pouvoir d'interpréter la Charte.
En partageant l'opinion de mon collègue dans le présent
pourvoi, je désire donc encore une fois ajouter la réserve
dont j'ai assorti mon opinion concordante dans l'arrêt Dou-
glas College. Â mon avis, l'absence d'autorisation d'exami-
(Suite à la page suivante)
aucune attribution explicite de compétence semblable
dans la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage en ce
qui concerne le conseil arbitral, alors que la compé-
tence en question est expressément attribuée au juge-
arbitre. Le juge La Forest a donc conclu (à la page
35):
... j'estime qu'en dépit de la capacité pratique du conseil
arbitral, il découle de l'économie de la Loi de 1971 sur l'assu-
rance-chômage qu'il convient davantage de présenter la ques
tion constitutionnelle au juge-arbitre, en appel, plutôt qu'au
conseil lui-même.
Appliquant le critère énoncé dans les arrêts Douglas College
et Cuddy Chicks, j'estime que, tout en ayant compétence sur
les parties en l'espèce, le conseil arbitral n'avait pas compé-
tence quant au fond du litige et à la réparation demandée.
Il a vu dans cette conclusion le maintien de l'éco-
nomie de la loi et la préservation des avantages qu'il
y a, d'un point de vue pratique, à permettre aux tribu-
naux administratifs de se prononcer sur des questions
constitutionnelles (aux pages 35 37):
Dans les arrêts Douglas College et Cuddy Chicks, précités,
j'ai reconnu qu'il y a de nombreux avantages, d'un point de
vue pratique, à permettre aux tribunaux administratifs de sta-
tuer sur des questions constitutionnelles. Il importe de souli-
gner que plusieurs de ces avantages sont préservés en l'espèce,
même si la compétence de trancher des litiges relatifs à la
Charte ne ressortit pas au conseil. Le plus important est que la
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage prévoit la possibilité
d'un appel devant un juge-arbitre possédant cette compétence.
Cette possibilité revêt une importance considérable en ce
qu'elle donne au requérant un recours autre que le processus
judiciaire normal ...
Toutefois, lorsque, comme en l'espèce, le législateur a
donné au justiciable la possibilité d'interjeter appel devant un
organisme administratif investi du pouvoir de prendre en con-
sidération des arguments d'ordre constitutionnel, le besoin de
faire trancher la question constitutionnelle par le tribunal de
premier ressort n'est manifestement pas aussi grand. En pareil
cas en effet, les justiciables jouissent toujours des avantages
que présente l'examen de la question constitutionnelle à l'inté-
rieur du processus administratif.
Est également préservé un autre avantage majeur qu'offre
l'examen de questions relatives à la Charte au niveau adminis-
tratif, à savoir, celui de pouvoir compter sur l'expertise du tri
bunal. Grâce à sa vaste expérience de l'économie de la Loi, le
juge-arbitre apportera un éclairage qui rendra précieuse sa con-
(Suite de la page précédente)
ner la question relative à la Charte dans la loi habilitante
n'est pas nécessairement concluante quant à la compétence
d'un tribunal puisque le pouvoir et l'obligation d'appliquer
le droit peuvent se trouver ailleurs ...
tribution à la décision sur la question constitutionnelle. En
outre, cette prise en charge par le juge-arbitre de la compétence
sur les questions portant sur la Charte ne compromettra pas la
nature du processus administratif. Dans l'arrêt Douglas Col
lege, j'ai évoqué le fait que, dans certaines situations, l'attribu-
tion du pouvoir de prendre en considération des arguments
constitutionnels constituerait une entrave à la justice spéciali-
sée, relativement peu onéreuse, que le tribunal est censé ren-
dre. En raison simplement du nombre considérable d'affaires
que certains organismes administratifs doivent entendre, il
serait en effet hautement irréaliste, sinon impossible de s'atten-
dre à ce qu'ils puissent se prononcer sur des questions constitu-
tionnelles. La Commission de l'emploi et de l'immigration en
est un exemple. Par contre, il est probable qu'un tribunal situé
à un niveau plus élevé de la hiérarchie administrative, dont les
fonctions seraient davantage de nature juridictionnelle—c'est-
à-dire un tribunal fréquemment appelé à résoudre des questions
de droit ou de fait conformément à des règles législatives ou
des règlements—, serait mieux en mesure de recevoir des argu
ments et de trancher des questions constitutionnelles qu'un tri
bunal appelé avant tout à constater des faits. C'est à ce type de
tribunal que correspond le juge-arbitre.
Dans aucun de ces trois arrêts la question précise
de la compétence à l'égard des parties se trouve-t-elle
en litige, comme c'est le cas en l'espèce. En effet,
dans cette affaire, l'article 92 confère à l'arbitre la
compétence de régler des griefs, dont il est dit à l'ar-
ticle 2 qu'ils sont déposés par des «fonctionnaires»,
lesquels, selon la définition de ce mot, ne compren-
nent pas les personnes «employées à titre occasionnel
ou temporaire». Le paragraphe 96(2) interdit à un
arbitre de rendre une décision qui aurait pour effet
d'exiger la modification d'une convention collective.
De plus, la compétence de l'arbitre à l'égard des par
ties est aussi limitée par le libellé de la convention
collective puisque, ne faisant pas partie de l'unité de
négociation, les requérants ne sont pas admissibles
aux avantages qu'elle a négociés.
Non seulement l'arbitre n'a-t-il pas compétence à
l'égard des parties, mais il en va de même, semble-t-
il, à l'égard de l'objet du litige.
Par contre, la CRTFP exerce pleinement en vertu
du paragraphe 21(1), «les pouvoirs et fonctions» que
lui confère la Loi «ou qu'implique la réalisation de
ses objets». Cette attribution de pouvoirs implicites
est à mon sens très importante. La Commission se
voit attribuer une large gamme de pouvoirs tout au
long de la Partie I de la Loi, dont la faculté de se pro-
noncer sur l'appartenance d'un fonctionnaire à une
unité de négociation en vertu des articles 33 et 31. La
compétence de la Commission n'est clairement pas
restreinte comme l'est celle de l'arbitre.
Contrairement au rapport entre le conseil arbitral et
le juge-arbitre étudié dans l'arrêt Tétreault-Gadoury,
il ne peut y avoir dans une affaire comme celle-ci
aucun appel de la décision de l'arbitre auprès de la
Commission. Il se peut, comme l'a laissé entendre
l'intimée, qu'une procédure fondée sur l'article 34,
qui peut être intentée «at any time» selon le libellé de
la version anglaise, soit la méthode appropriée de
soumettre une telle affaire à la Commission. Reste à
déterminer si cela est faisable, étant donné la décision
de la Cour suprême dans l'affaire Canada (Procureur
général) c. Alliance de la Fonction publique du
Canada, [1991] 1 R.C.S. 614 2 . Si cela n'est pas pos
sible, il me semble que la conclusion de la majorité
(motifs du juge Sopinka, aux pages 630 et 631)
n'aide en rien les requérants:
... j'arrive à la conclusion que le Parlement n'a pas eu l'in-
tention d'attribuer à la Commission la compétence sur les rela
tions de travail des employés qui ne sont pas membres de la
Fonction publique.
... D'après le texte même de l'art. 33 [aujourd'hui l'art. 34],
le rôle de la Commission consiste non pas à déterminer qui est
employé, mais plutôt à déterminer si les employés qui répon-
dent à cette définition appartiennent à une unité particulière de
négociation.
Si même la Commission n'a pas la compétence
nécessaire pour se prononcer sur la question en litige
en l'espèce, un arbitre serait encore moins fondé à
revendiquer cette compétence. En tout état de cause,
que la Commission ait ou non compétence à l'égard
des requérants ou de l'objet du litige, il semble clair
qu'un arbitre n'a pas cette compétence 3 .
2 Dans l'affaire sur laquelle s'est prononcée la Cour
suprême, le litige ne portait pas sur l'inconstitutionnalité, mais
il est incertain que cela constitue un motif suffisant de distinc
tion.
3 Dans l'éventualité où la Commission et l'arbitre se révéle-
raient dépourvus de compétence, on pourrait toujours deman-
der à la Section de première instance de rendre un jugement
déclaratoire.
III
En fin de compte, la demande doit être rejetée.
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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