A-1340-92
Graham Haig et les autres personnes dans une
situation semblable (appelants) (intimés)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée) (requérante)
A-1363-92
Graham Haig et les autres personnes dans une
situation semblable (appelants) (intimés)
c.
Jean - Pierre Kingsley (Directeur général des
élections) (intimé) (intimé)
REPERb RIE,' HA1G C. CANADA (CA.)
Cour d'appel fédérale, juges Hugessen, Stone et
Décary J.C.A.—Ottawa, 19 et 20 octobre 1992.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits démo-
cratiques — Droit de vote — Référendum de 1992 sur la
réforme constitutionnelle — Référendum fédéral tenu selon les
règles d'application de la Loi référendaire fédérale —Au Qué-
bec, le référendum est régi par la loi provinciale, qui exige
notamment la résidence depuis six mois — Un ancien résident
de l'Ontario est inhabile à voter parce qu'il a déménagé au
Québec deux mois avant le référendum — L'appelant soutient
que les règles fédérales et du Québec en matière de référendum
ont pour effet combiné de le priver de son droit de vote en vio
lation des droits que lui confère la Charte — Le fait que l'ap-
pelant ne peut voter est attribuable à la législation provinciale
— La Cour ne peut accorder une réparation — Le directeur
général des élections ne peut revendiquer aucun privilège his-
torique ni aucune immunité contre des réclamations fondées
sur la Charte.
Élections — Référendum de 1992 sur la réforme constitu-
tionnelle — Référendum fédéral tenu selon les règles d'appli-
cation de la Loi référendaire fédérale — Au Québec, le réfé-
rendum est régi par la loi provinciale, qui exige notamment la
résidence depuis six mois — Un ancien résident de l'Ontario
est inhabile à voter parce qu'il a déménagé au Québec deux
mois avant le référendum — Essentiellement, l'appelant sou-
tient que la législation du Québec porte atteinte aux droits que
lui confère la Charte — La Cour ne peut accorder de répara-
tion à cet égard — La directeur général des élections ne peut
revendiquer aucun privilège historique ni aucune immunité
contre les réclamations fondées sur la Charte.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements
déclaratoires — Référendum de 1992 sur la réforme constitu-
tionnelle — L'appelant soutient que les règles fédérales et du
Québec en matière de référendum ont pour effet combiné de le
priver de son droit de vote en violation des droits que lui con-
fère la Charte — Le directeur général des élections est un
«office fédéral» au sens de l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédé-
rale — Le directeur général des élections ne peut revendiquer
aucun privilège historique ni aucune immunité contre les
réclamations fondées sur la Charte.
Pratique — Parties — Jonction — Un particulier recherche
une réparation contre le déni de son droit de voter au référen-
dum sur la réforme constitutionnelle — Il allègue la violation
des droits que lui confere la Charte — Le procureur général du
Canada est constitué à bon droit intimé lorsque l'affaire sou-
lève la question de la régularité d'une loi fédérale ou d'un
décret pris sous son régime par rapport à la Charte.
L'appelant, Haig, voulait voter au référendum de 1992 sur la
réforme constitutionnelle fondée sur l'Accord de Charlotte-
town. Il avait quitté l'Ontario pour le Québec en août 1992. Le
référendum devait être tenu selon les règles fédérales dans tout
le pays sauf au Québec, où un référendum parallèle devait
avoir lieu selon la loi provinciale, qui exigeait notamment la
résidence depuis six mois. Combinées, les règles fédérales et
du Québec avaient pour effet d'empêcher l'appelant et d'autres
personnes dans une situation semblable de voter au référen-
dum. En raison des exigences de résidence, il ne pouvait voter
ni en Ontario ni au Québec. L'appelant a soutenu que cette
double interdiction violait les droits que lui confère la Charte.
Le premier appel attaque une ordonnance supprimant la
Reine à titre d'intimée dans les procédures de l'appelant fon-
dées sur l'article 18. Le second attaque deux ordonnances reje-
tant ces procédures sur le fond et la demande de modification
de l'appelant visant à joindre le procureur général du Canada à
titre d'intimé. Le directeur général des élections a interjeté un
appel incident contestant la compétence du juge de première
instance.
Arrêt (le juge Décary, J.C.A., étant dissident): l'appel
devrait être accueilli en partie pour permettre la jonction du
procureur général du Canada comme intimé ici et en première
instance; l'appel contre l'ordonnance rejetant les procédures
sur le fond et l'appel incident portant sur la compétence
devraient être rejetés. L'appel contre l'ordonnance radiant la
Reine comme intimée devrait être annulé comme étant sans
intérêt pratique.
Le juge Hugessen, J.C.A., (le juge Stone, J.C.A., souscrit
aux motifs): La négation du droit de vote de l'appelant découle
exclusivement de l'application de la loi provinciale. Il n'y a
rien d'irrégulier sur le plan constitutionnel à ce qu'un décret
fédéral exige la tenue d'un référendum dans certains territoires
et provinces, mais non dans tous. De même, il n'y a rien de
répréhensible du point de vue constitutionnel à ce que le gou-
vernement fédéral permette qu'une province tienne son propre
référendum suivant ses propres règles. Cette Cour ne peut
apporter de réparation à la plainte voulant que les droits garan-
tis de l'appelant aient été violés par la loi québécoise.
La décision refusant l'autorisation d'ajouter le procureur
général du Canada est erronée. Le directeur général des élec-
tions est un «office fédéral» contre lequel la réparation recher-
chée en l'espèce est précisément autorisée par l'article 18. Le
procureur général du Canada est de la même façon expressé-
ment autorisé à être constitué partie à des procédures de ce
genre, et en tout état de cause, il convient qu'il soit un intimé
et il doit être constitué partie lorsque, comme en l'espèce, il est
question de la régularité d'une loi fédérale ou d'un décret pris
sous le régime de cette loi par rapport à la Charte. Puisque
cette affaire peut être portée devant une instance supérieure,
cette Cour devrait éliminer tout obstacle purement procédural
qui l'en empêcherait, comme elle est autorisée à le faire par les
récentes modifications apportées à la Loi sur la Cour fédérale.
L'appel interjeté contre l'ordonnance radiant la Reine
comme intimée est devenu théorique et devrait être annulé.
La décision de cette Cour dans l'affaire Canada (Commis-
sion des droits de la personne) c. Lane montre clairement que
le directeur général des élections ne peut revendiquer aucun
privilège historique ni aucune immunité conférée par la loi
contre des réclamations fondées sur la Loi canadienne sur les
droits de la personne, et il doit aussi en être ainsi pour les
réclamations fondées sur la Charte, la loi fondamentale du
Canada.
Lé juge Décary, J.C.A. (dissident): Si l'on devait refuser aux
personnes dans une situation semblable à celle de l'appelant le
droit de voter au référendum du 26 octobre, on se trouverait à
priver des citoyens canadiens de leur droit de vote au seul
motif que des fins politiques et des raisons de commodité ont
conduit le gouvernement du Canada à tenir ce qui est véritable-
ment un référendum national dans neuf provinces seulement,
dans l'hypothèse que la dixième province, le Québec, tiendrait
un référendum le même jour sur précisément la même ques
tion. Il s'agissait véritablement d'un référendum national et
non d'un référendum où une question n'est soumise qu'aux
électeurs d'une ou plusieurs provinces. Tous les Canadiens
ayant qualité d'électeurs en vertu de la Loi électorale du
Canada devraient être admissibles à voter dans le cadre d'un
référendum national tenu conformément aux dispositions
adoptées de la Loi électorale du Canada. Le gouvernement du
Canada était tenu de s'assurer que tous les Canadiens qui
auraient été admissibles à voter dans le cadre du référendum
national s'il avait été tenu au Québec comme partout ailleurs
conformément à la législation fédérale, seraient capables d'une
façon ou d'autre autre et en un lieu quelconque d'exprimer sa
préférence comme l'a promis le Premier ministre lorsqu'il
s'est adressé à la Chambre des communes le 28 août 1992. En
adoptant la Loi référendaire et en faisant la proclamation qui a
suivi, le Parlement n'entendait pas priver quelque citoyen
canadien que ce soit de son droit de voter dans le cadre du
futur référendum national.
Si l'appelant était privé de son droit de voter au référendum,
sa liberté d'expression garantie à l'alinéa 2b) de la. Charte
serait atteinte, de même que son droit au même bénéfice de la
loi garanti à l'article 15 de la Charte.
La source de la violation des droits de l'appelant ne serait
pas la loi du Québec, mais plutôt la loi fédérale qui n'aurait pas
tenu compte, aux fins d'un référendum national, des distinc
tions qui existent dans les lois provinciales à l'égard des qua-
lités exigées des électeurs.
L'expression «corps électoral» au paragraphe 3(1) de la Loi
référendaire devrait s'interpréter comme si elle comprenait
dans une province donnée les électeurs qui en sont des rési-
dents ordinaires à la date du recensement, et qui n'ont pas qua-
lité d'électeur en vertu des exigences de cette province en
matière de résidence, mais qui étaient résidents ordinaires de
cette province à quelque moment que ce soit au cours des six
mois précédant le référendum. Il devrait être ordonné au direc-
teur général des élections d'exercer ses fonctions en consé-
quence et conformément aux pouvoirs que lui confère le para-
graphe 9(1) de la Loi électorale du Canada, «d'adapter une des
dispositions de la Loi ... dans la mesure ob il le juge néces-
saire pour faire face aux exigences de la situation».
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice Il, n° 44], art. 2, 3, 15.
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C.
(1985), ch. H-6.
Loi électorale du Canada, L.R.C. (1985), ch. E-2,
art. 9(1), 50, 54, 55(2).
Loi référendaire, L.C. 1992, ch. 30, art. 3(1).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 17
(mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3), 18 (mod. idem,
art. 4), 18.4(2) (édicté idem, art. 5), 48.
Proclamation soumettant un référendum relatif à la Cons
titution du Canada, TR/92-I80.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Canada (Commission des droits de la personne) c. Lane,
[1990] 2 C.F. 327; (1990), 67 D.L.R. (4th) 745; 13
C.H.R.R. D/568; 107 N.R. 124 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code
criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123; [1990] 4 W.W.R.
481; (1990), 68 Man. R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 65; 77
C.R. (3d) 1; 109 N.R. 81; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Pro-
cureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R.
(4th) 577; 25 C.P.R. (3d) 417; 94 N.R. 167; Native
Women's Assn. of Canada c. Canada, [1992] 3 C.F. 192
(C.A.); R. c. S.(S.), [1990] 2 R.C.S. 254; (1990), 57
C.C.C. (3d) 115; 77 C.R. (3d) 273; 49 C.R.R. 79; 110
N.R. 321; 41 O.A.C. 81; R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S.
1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 8; 69 C.R. (3d) 97; 96 N.R.
115.
DOCTRINE
Canada. Débats de la Chambre des communes, vol. 132,
3° sess., 34o Lég., 8 septembre 1992, la page 12732.
APPELS interjetés à l'encontre d'ordonnances
([1992) 3 C.F. 602 et [1992] 3 C.F. F-40) refusant à
l'appelant une réparation à l'égard de la négation de
son droit de voter au référendum du 26 octobre sur la
réforme constitutionnelle fondé sur l'Accord de
Charlottetown. Appel accueilli en partie, pour per-
mettre l'adjonction du procureur général du Canada
en qualité d'intimé ici et en première instance; l'ap-
pel interjeté contre l'ordonnance rejetant les procé-
dures au fond et l'appel incident portant sur la com-
pétence sont rejetés. L'appel interjeté contre
l'ordonnance radiant la Reine comme intimée est
annulé parce qu'il est théorique.
AVOCATS:
Philippa E. Lawson pour les appelants.
J. M. Aubry, c.r., et R. Morneau pour l'intimée
Sa Majesté la Reine.
Nicol J. Schultz et Holly McManus pour l'intimé
Jean-Pierre Kingsley, directeur général des élec-
tions.
PROCUREURS:
Centre pour la promotion de l'intérêt public,
Ottawa, pour les appelants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in-
timée Sa Majesté la Reine.
Fraser & Beatty, Ottawa, pour l'intimé Jean-
Pierre Kingsley, directeur général des élections.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement prononcés d l'audience par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Nous sommes saisis de
deux appels. Le premier attaque une ordonnance du
juge Denault qui supprime la Reine à titre d'intimée
dans les procédures de l'appelant fondées sur l'article
18 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7
(mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4)]. Le second attaque
deux ordonnances du juge Joyal qui a rejeté ces pro-
cédures sur le fond et, apparemment comme consé-
quence de ce rejet, a rejeté la demande de modifica
tion qu'a présentée l'appelant pour joindre le
procureur général du Canada à titre d'intimé. L'in-
timé, le directeur général des élections, interjette un
appel incident qui conteste la compétence du juge
Joyal sur l'affaire.
L'appelant est un citoyen canadien de plus de l8
ans jouissant de la capacité de voter. En août dernier,
il a déménagé d'Ottawa (Ontario) à Hull (Québec),
sur l'autre rive de la rivière. Parce qu'il ne réside plus
en Ontario, il ne peut pas voter dans cette province au
référendum fédéral qui aura lieu le 26 octobre dans
neuf provinces et deux territoires. Parce qu'il ne
réside pas au Québec depuis six mois, il ne peut voter
au référendum provincial le même jour sur la même
question. Par voie de procédures fondées sur l'article
18, il demande un jugement déclaratoire contre le
directeur général des élections (et, par la modification
indiquée, contre le procureur général du Canada).
Je suis d'avis que le juge Joyal est nettement arrivé
à la bonne conclusion sur le fond. Dans la mesure où,
en privant l'appelant, en tant que citoyen canadien et
résident du Québec, du droit de voter au prochain
référendum, on nie les droits que lui reconnaissent les
articles 2, 3 et 15 de la Charte [Charte canadienne
des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 44]], j'estime que cette négation et
cette privation découlent exclusivement de l'applica-
tion de la loi provinciale. Bien qu'il soit tout à fait
exact que c'est le décret fédéral [Proclamation sou-
mettant un référendum relatif à la Constitution du
Canada, TR/92-180] limitant le référendum fédéral à
toutes les provinces et tous les territoires autres que le
Québec qui a tissé la toile de fond de la situation dans
laquelle se trouve l'appelant, il demeure que c'est la
loi québécoise à elle seule qui est à la source de sa
plainte. Il ne réside présentement dans aucune pro
vince où le référendum fédéral sera tenu et la loi
fédérale ne le touche d'aucune façon. Résident du
Québec, il est assujetti à la loi référendaire de cette
province et seule cette loi lui nie le droit de vote. Plus
précisément, il ne peut contester que, en tant que rési-
dent du Québec, la loi fédérale ne lui permet pas de
voter dans une autre province; il se plaint plutôt de ne
pas pouvoir voter dans sa province de résidence, le
Québec. En fait, c'est la loi provinciale à elle seule
qui produit ce résultat.
En vertu de la Loi référendaire, le gouverneur en
conseil peut ordonner la tenue d'un référendum pour
obtenir l'opinion du «corps électoral canadien...
dans une ou plusieurs provinces» sur une «question
L.C. 1992, ch. 30.
relative à la Constitution du Canada» (paragraphe
3(1)). La Loi établit un mode de scrutin sur la ques
tion inspiré, après adaptation, de la Loi électorale du
Canada 2 . Ce mode, comme celui prévu pour la tenue
d'élections fédérales, s'appuie beaucoup sur des con-
sidérations d'ordre géographique: les provinces sont
divisées en circonscriptions elles-mêmes divisées en
sections de vote. Pour avoir droit de voter, une per-
sonne doit, en plus d'avoir qualité d'électeur, figurer
sur la liste électorale de la section de vote dans
laquelle elle réside. La situation est la même pour un
référendum: l'électeur vote dans la province, la cir-
conscription et la section de vote de sa résidence.
En outre, parce qu'un référendum est limité à des
questions constitutionnelles et que la formule
d'amendement (et la Constitution elle-même quant à
cela) envisage des procédures et des règles de fond
qui peuvent varier suivant la province ou le nombre
de provinces en cause, il est tout à fait normal que
des questions différentes puissent être soumises aux
électeurs dans une ou plusieurs provinces ou qu'une
question puisse être soumise aux électeurs dans cer-
taines provinces et non dans d'autres 3 . De plus, rien
dans la loi fédérale ne donne un caractère obligatoire
à la réponse de la majorité à une question; cela n'em-
pêche toutefois pas une province ou un territoire
d'accepter, par des mesures provinciales appropriées,
d'être liés par cette réponse (ce qui est le cas en
Colombie-Britannique et en Alberta, nous dit-on).
Dans ces circonstances et dans ce contexte, il n'y a
rien d'irrégulier sur la plan constitutionnel à ce qu'un
décret fédéral exige la tenue d'un référendum dans
certaines provinces, mais non dans toutes. De même,
il n'y a rien de répréhensible du point de vue consti-
tutionnel à ce que le gouvernement fédéral permette
qu'une ou plusieurs provinces tiennent leur propre
référendum suivant leurs propres règles. C'est ce qui
s'est produit en l'espèce.
2 L.R.C. (1985), ch. E-2.
3 La Constitution du Canada peut contenir, et contient effec-
tivement, des dispositions différentes concernant différentes
provinces; les provinces elle-mêmes peuvent avoir, et ont
effectivement, des constitutions différentes qu'elles sont les
seules à pouvoir modifier; la Constitution du Canada elle-
même peut être modifiée par le Parlement agissant avec une
seule, avec plusieurs ou avec la totalité des assemblées législa-
tives selon les circonstances.
Essentiellement, l'appelant se plaint que la loi qué-
bécoise porte atteinte aux droits que lui reconnaît la
Charte; notre Cour ne peut lui accorder de réparation
sur ce point. C'est donc à bon droit que la demande
de contrôle judiciaire a été rejetée.
Quant à la partie de la décision du juge Joyal qui
refuse l'autorisation d'ajouter le procureur général du
Canada, je crois, avec égards, qu'elle est erronée. Le
directeur général des élections relève de la définition
d'«office fédéral», et le jugement déclaratoire et les
autres redressements du genre demandés ici contre lui
sont précisément autorisés par l'article 18. On se
plaint qu'il a omis ou négligé d'exercer le pouvoir et
la compétence qu'il possède d'appliquer et adapter la
loi de manière à permettre aux gens dans la situation
de l'appelant de voter dans un référendum qui n'est
pas tenu dans leur province de résidence. Cette allé-
gation est un bon motif de réparation en vertu de l'ar-
ticle 18. De même, le procureur général du Canada
est expressément autorisé à être constitué partie à des
procédures de ce genre et, de toute façon, il convient
qu'il soit un intimé et il doit être constitué partie lors-
que, comme en l'espèce, il est question de la régula-
rité d'une loi fédérale, ou d'un décret pris sous le
régime de cette loi, par rapport à la Charte. Le bien-
fondé de la demande contre l'un ou l'autre intimé n'a
évidemment rien à voir avec la question de compé-
tence.
Le paragraphe 18(3) modifie le droit existant anté-
rieurement au ler février 1992 et énonce clairement
qu'un jugement déclaratoire de ce genre ne peut
dorénavent être obtenugue par présentation d'une
demande de contrôle judiciaire. Le paragraphe
18.4(2) [édicté idem, art. 5] permet à la Cour, si elle
l'estime indiqué, d'ordonner que la demande soit ins-
truite comme s'il s'agissait d'une action. Cette dispo
sition, qui n'a pas été invoquée en l'espèce, est une
réponse du législateur aux préoccupations exprimées
dans certaines affaires antérieures au ler février 1992
suivant lesquelles une demande de contrôle judiciaire
ne fournissait pas de garanties procédurales suffi-
santes lorsqu'on recherchait un jugement déclara-
toire. Puisque la présente affaire peut être portée
devant une instance supérieure, nous devrions élimi-
ner tout obstacle purement procédural qui l'en empê-
cherait.
Si toutefois l'appel interjeté contre l'ordonnance
du juge Joyal sur la question de procédure est
accueilli, l'appel de l'ordonnance du juge Denault sur
la question connexe antérieure devient théorique et
devrait être annulé.
Quant à l'appel incident du directeur général des
élections, la décision Lane 4 de notre Cour montre
clairement que le directeur ne peut revendiquer aucun
privilège historique ni aucune immunité conférée par
la loi contre des réclamations fondées sur la Loi
canadienne sur les droits de la personnes. À plus
forte raison doit-il en être ainsi quand il s'agit de
réclamations fondées sur la Charte, la loi fondamen-
tale du Canada. Pour des raisons de commodité, d'or-
dre pratique et de nécessité, les tribunaux ont tradi-
tionnellement agi avec retenue dans les affaires
relatives à la tenue d'élections et nous continuerons
de le faire. C'est toutefois une question d'exercice
judicieux de discrétion dans la manière de façonner
(et même d'accorder) certaines réparations. Cela ne
restreint ni ne peut restreindre la compétence, le pou-
voir et le devoir de la Cour de prendre connaissance
d'allégations de négation de droits reconnus par la
Constitution en temps d'élection. L'appel incident
devrait par conséquent échouer.
J'accueillerais l'appel en partie et autoriserais la
jonction du procureur général du Canada comme
intimé ici et en première instance; je rejetterais par
ailleurs l'appel et l'appel incident interjetés contre
l'ordonnance du juge Joyal et annulerais, parce que
théorique, l'appel interjeté contre l'ordonnance du
juge Denault. Je n'adjugerais aucuns dépens.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je suis d'accord.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement de la Cour prononcés à l'audience par
LE JUGE DÉCARY, J.C.A. (dissident): Je suis d'ac-
cord avec mon collègue le juge Hugessen pour dire
que la Cour fédérale a compétence et que le procu-
reur général du Canada et le directeur général des
4 Canada (Commission des droits de la personne) c. lane,
[1990] 2 C.F. 327.
5 L.R.C. (1985), ch. H-6.
élections sont à juste titre parties à ces procédures. Je
ne saurais toutefois partager ses vues sur le fond de
l'affaire.
En effet, si l'on devait refuser à l'appelant le droit
de voter au référendum du 26 octobre on se trouve-
rait, tout simplement, à priver des citoyens canadiens
de leur droit de vote au seul motif que des fins poli-
tiques et des raisons de commodité ont conduit le
gouvernement du Canada à tenir ce qui est véritable-
ment un référendum national dans neuf provinces
seulement, dans l'hypothèse et la certitude que la
dixième province, c'est-à-dire le Québec, tiendrait un
référendum le même jour sur précisément la même
question. Je crois pouvoir admettre d'office les réa-
lités politiques qui ont dicté cette ligne de conduite,
et je ne les remets en question que dans la mesure où
elles se traduisent par des mesures législatives ou des
décrets qui violent le droit des citoyens de voter dans
le cadre d'un tel référendum.
Le fait qu'il s'agit véritablement d'un référendum
national et qu'il porte sur une question majeure et
vitale touchant tous les Canadiens, quelle que soit la
province où ils résident, est illustré par les propos
suivants du Premier ministre du Canada à la Chambre
des communes, le 8 septembre 1992 (page 12732),
lorsqu'il a déposé à la Chambre un document intitulé
Rapport du consensus sur la Constitution, Charlotte-
town, 28 août 1992:
Les propositions constitutionnelles offrent un cadre qui nous
permettra de poursuivre notre chemin dans l'unité comme pays
diversifié mais par-dessus tout, solidaire. Et maintenant, le
référendum fournit à tout citoyen en âge de voter l'occasion
d'exprimer sa préférence.
La question est plus profonde et plus importante que ça.
Essentiellement, le référendum porte sur l'évaluation de ce que
signifie être Canadien,...
Le moment est venu pour chacun de nous d'avoir le coeur de
dire, sans hésitation ni doute, ...
Il ne s'agit pas de faire de la sémantique; ne pas
considérer ce référendum comme étant un référen-
dum national c'est, à mon humble avis, refuser d'ap-
peler les choses par leur nom. Il ne peut s'agir du
genre de référendum auquel songeait le Parlement, en
adoptant la Loi référendaire (la Loi), L.C. 1992, ch.
30 en juin 1992, lorsqu'il a prévu au paragraphe 3(1)
que la question pouvait être posée seulement «dans
une ou plusieurs provinces». Il ne s'agit pas d'un
référendum du genre dont parle mon collègue le juge
Hugessen dans ses motifs.
On pourrait penser que tous les Canadiens ayant
qualité d'électeurs en vertu de la Loi électorale du
Canada, L.R.C. (1985), ch. E-2 seraient admissibles
à voter dans le cadre d'un référendum national tenu
conformément aux dispositions adoptées de la Loi
électorale du Canada. C'est particulièrement le cas si
l'on tient compte que la Loi référendaire a adopté
sans modifications les qualités exigées des électeurs
énumérées aux articles 50 et suivants de la Loi électo-
rale du Canada.
En présumant que le gouvernement du Canada
puisse considérer qu'un référendum, tenu dans une
province donnée et organisé par cette province selon
les lois de cette dernière, fait partie de son référen-
dum national, je ne crois pas qu'il puisse le faire sans
s'assurer que tous les Canadiens qui auraient été
admissibles à voter dans le cadre du référendum
national s'il avait été tenu dans cette province comme
partout ailleurs conformément à la législation fédé-
rale, seraient capables d'une façon ou d'une autre et
en un lieu quelconque de voter.
Il me semble évident que le Parlement, en adoptant
la Loi référendaire, et le gouverneur en conseil, en
faisant la proclamation en vertu du paragraphe 3(1)
de la Loi le 17 septembre 1992, n'entendaient pas
priver quelque citoyen canadien que ce soit de son
droit de voter dans le cadre du futur référendum
national. Cependant, si l'on doit retenir l'interpréta-
tion du directeur général des élections, c'est précisé-
ment ce qui arrivera à l'appelant.
Si l'appelant est privé de son droit de voter dans le
cadre du référendum, la liberté d'expression que lui
garantit l'alinéa 2b) de la Charte s'en trouvera
atteinte (voir le Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al.
195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S.
1123 aux pages 1185 et 1186; Irwin Toy Ltd. c. Qué-
bec (Procureur général), [ 1989] 1 R.C.S. 927 la
page 976; dans ce pourvoi, le juge en chef Dickson a
dit que la liberté d'expression encourage «la partici
pation à la prise de décisions d'intérêt social et poli-
tique»; Native Women's Ass. of Canada c. Canada,
[1992] 3 C.F. 192 (C.A.) dans laquelle le juge Maho-
ney, J.C.A., a conclu, au nom de la Cour (page 211)
que «faire connaître ses opinions en matière constitu-
tionnelle au public et aux gouvernements est incon-
testablement une activité relevant de l'expression,
protégée à l'alinéa 2b)». Le droit de l'appelant au
même bénéfice de la loi garanti à l'article 15 de la
Charte serait aussi violé. Dans R. c. S.(S.), [1990] 2
R.C.S. 254 à la page 289, le juge en chef Dickson
s'est montré expressément d'accord avec le juge Wil-
son lorsqu'elle a dit, dans l'arrêt R. c. Turpin, [1989]
1 R.C.S. 1296 la page 1333 que dans des circons-
tances particulières, la province de résidence d'une
personne pourrait être une caractéristique personnelle
d'un individu ou d'un groupe d'individus susceptible
de constituer un motif de discrimination. Or, les cir-
constances de l'espèce justifient une telle conclusion.
Je ne saurais partager l'opinion que la loi du Qué-
bec a enfreint les droits de l'appelant. Les qualités
exigées des électeurs dans le cadre d'un référendum
au Québec sont définies depuis longtemps et elles
devaient être connues du Parlement lorsque, en juin
1992, il a adopté sa propre mesure législative. La loi
actuelle du Québec est, à première vue, parfaitement
valide et je doute fort que l'appelant aurait eu gain de
cause s'il avait tenté de la contester devant les tribu-
naux du Québec.
Si l'appelant devait être privé de ses droits, la vio
lation n'aurait pas sa source dans la loi du Québec,
mais plutôt dans la loi fédérale qui n'aurait pas tenu
compte, aux fins d'un référendum national, des dis
tinctions qui existent dans les lois provinciales à
l'égard des qualités exigées des électeurs.
Comme le Parlement et le gouverneur en conseil
sont présumés agir en conformité avec la Charte, et
puisque la règle veut que les tribunaux ne concluent à
l'inconstitutionnalité qu'en l'absence de toute autre
possibilité, j'estime que l'interprétation de la loi pro
posée par l'appelant est une façon contournée mais
néanmoins appropriée de résoudre cette difficile
question sans compromettre la tenue du référendum.
L'expression «corps électoral» n'est pas définie au
paragraphe 3(1) de la Loi référendaire ni dans le
décret. Puisqu'en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi
électorale du Canada les règles visant la résidence
des électeurs s'appliquent «en se référant à toutes les
circonstances du cas», et puisque la Loi électorale du
Canada, à l'article 50, donne le droit de vote à tous
les citoyens canadiens ayant atteint l'âge de dix-huit
ans, il est à mon sens loisible à la Cour, lorsqu'un
référendum national est tenu dans les dix provinces et
que le gouvernement fédéral a accepté que la loi
d'une province donnée remplace la sienne, d'inter-
préter l'expression «corps électoral» utilisée à l'ar-
ticle 3 de la Loi référendaire comme si elle compre-
nait dans une certaine province les électeurs qui sont
des résidents ordinaires de la province donnée à la
date du recensement et qui n'ont pas qualité d'élec-
teur en vertu des exigences de cette province en
matière de résidence, mais qui étaient néanmoins des
résidents ordinaires de cette province à quelque
moment que ce soit au cours des six mois précédant
le référendum, pourvu, évidemment, comme il ressort
clairement de l'article 54 de la Loi électorale du
Canada, qu'aucun électeur puisse avoir qualité
d'électeur dans plus d'une province. Je me rends
compte que cette interprétation est quelque peu élas-
tique, mais elle est la seule, à mon avis, qui soit pos
sible dans les circonstances si le référendum doit être
validement tenu et si l'appelant doit être autorisé à
voter. Cette Cour constitue l'avant dernière instance
pour les citoyens canadiens qui cherchent désespéré-
ment le moyen de participer à un référendum national
revêtant une grande importance pour eux et pour la
population canadienne. Aussi, je n'hésite nullement à
donner de l'extension à la loi dans une mesure per-
mise afin de leur permettre de voter.
Je rendrais donc un jugement déclaratoire de la
façon susmentionnée contre le procureur général du
Canada.
J'ordonnerais aussi au directeur général des élec-
tions d'exercer ses fonctions en conformité avec le
jugement déclaratoire exposé plus haut et de prendre
les mesures appropriées, si le temps le permet, con-
formément aux pouvoirs que lui confère le para-
graphe 9(1) de la Loi électorale du Canada, pour
«adapter une des dispositions de la présente loi à la
réalisation de son objet, dans la mesure où il le juge
nécessaire pour faire face aux exigences de la situa
tion». Je me rends compte des difficultés d'ordre pra-
tique liées à cet ordre; c'est pourquoi il est donné
expressément sous réserve du temps disponible. De
son propre aveu, l'appelant ne cherche pas à retarder
ni à prévenir la tenue du référendum, aussi ce que
j'ordonne au directeur général des élections, c'est de
faire ce qu'il peut raisonnablement faire dans le peu
de temps qui reste pour permettre à l'appelant et à
tous ceux qui se trouvent dans une situation sembla-
ble d'exercer leur droit de vote dans le cadre du réfé-
rendum du 26 octobre 1992.
J'accueillerais l'appel interjeté contre la décision
du juge Joyal et j'accorderais à l'appelant les dépens
dans toutes les cours contre le procureur général du
Canada.
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