A-143-91
Jean-Charles St-Onge (appelant)
c.
Le commissariat aux langues officielles (intimé)
RÉPERTORIE: ST-ONCE C. CANADA (COMMISSARIAT AUX
LANGUES OFFICIELLES) (CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, Desjardins et Décary,
J.C.A.—Ottawa, 19 mai et 30 juin 1992.
Langues officielles — Appel à l'encontre d'un jugement
rendu par un juge de première instance qui a rejeté une
demande de redressement à l'égard d'une décision du commis-
saire aux langues officielles — L'appelant s'est plaint de la
pauvreté du service offert en français par les bureaux de la
Commission de la fonction publique du Canada à Toronto —
Le commissaire a rejeté la plainte au motif qu'il n'y avait pas
infraction à la Loi sur les langues officielles — Le pouvoir dis-
crétionnaire du commissaire, en vertu de l'art. 58(4)c) de la
Loi, de refuser ou de cesser d'instruire une plainte est circons-
crite aux cas où l'objet de la plainte ne constitue pas une con
travention de la loi ou une violation de son esprit et de l'inten-
tion du législateur — Le commissaire a commis une erreur en
ignorant la difficulté que l'appelant a eue à avoir une prise de
contact orale en français avec les bureaux de la Commission et
en ne tenant pas compte de l'esprit de la Loi et de l'intention
du législateur.
Il s'agit d'un appel de la décision rendue parla Section de
première instance rejetant la demande de redressement de l'ap-
pelant à l'égard d'une décision du Commissaire aux langues
officielles. Ayant postulé un emploi en génie civil auprès du
bureau de la Fonction publique du Canada à Toronto, l'appe-
lant s'est rendu compte que le responsable de l'embauche des
ingénieurs n'était pas bilingue. Il s'est plaint auprès du com-
missaire de la difficulté qu'il avait eue à obtenir une communi
cation active en français; ce n'est qu'après avoir dû parler
anglais à plusieurs préposés qu'il fut finalement dirigé vers le
directeur général avec qui il put s'entretenir en français. L'ap-
pelant s'est senti désavantagé, n'ayant pu communiquer direc-
tement avec la personne responsable du recrutement des gens
spécialisés dans son domaine. Le commissaire a rejeté la
plainte au motif qu'il n'y avait pas infraction à la Loi sur les
langues officielles. L'appelant s'est ensuite adressé à la Section
de première instance afin d'obtenir un jugement déclaratoire
ordonnant non seulement que le Commissaire aux langues offi-
cielles en vienne à formuler une recommandation auprès du
bureau de la Commission de la fonction publique à Toronto de
façon à ce que les accusés de réception envoyés en français
soient signés par un agent de ressourcement qui puisse parler le
français, mais également que le service actif en français soit
disponible en tout temps. Le juge de première instance a
observé que ce n'est que par exception que la Cour fédérale
avait compétence pour intervenir dans des décisions d'ordre
administratif prises en vertu de la loi; le juge a conclu que la
décision prise par le commissaire relevait des pouvoirs législa-
tifs et discrétionnaires que le Parlement canadien lui avait
accordés, et que dans l'exercice de ces pouvoirs, le commis-
saire n'avait commis aucune erreur de droit ou de fait de nature
à justifier son intervention.
Arrêt (le juge Marceau, J.C.A., dissident): l'appel devrait
être accueilli.
Les juges Desjardins et Décary, J.C.A.: Il est malencontreux
que le juge de première instance ait parlé des régions de Chi-
coutimi et de Saskatoon en ce qu'il ne saurait être question de
comparer des régions, où il n'existe pas de demande impor-
tante, à des régions, telles Toronto, où il existe une demande
importante et où le Parlement a expressément, par Particle 22
de la Loi sur les langues officielles, imposé davantage d'obli-
gations aux bureaux des institutions fédérales et, du même
coup, reconnu davantage de droits au public lorsqu'il commu
nique avec eux ou reçoit des services. Dans Canada (Procu-
reur général) c. Viola, la Cour d'appel fédérale a clairement
expliqué la nature et l'objet de la Loi sur les langues officielles,
indiquant qu'elle est l'expression de la reconnaissance des
droits et garanties reconnus dans la Charte canadienne des
droits et libertés. En fait, l'article 22 de la Loi est essentielle-
ment la reproduction de l'alinéa 20(1)a) de la Charte, ce qui
invite les tribunaux à l'interpréter de la même manière que
serait interprétée cette disposition de la Charte. Les droits de
l'appelant de recevoir des services en français, à Toronto, ne
sont pas réduits du simple fait qu'il devrait travailler en anglais
s'il obtenait l'emploi sollicité. L'expression «l'esprit de la loi
et l'intention du législateur», figurant au paragraphe 58(4), se
retrouve également au paragraphe 56(1) qui donne au commis-
saire la mission de prendre, dans le cadre de sa compétence,
toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance du statut
de chacune des langues officielles et de faire respecter l'esprit
de la loi et l'intention du législateur en ce qui touche l'admi-
nistration des affaires des institutions fédérales. Le commis-
saire se voit reconnaître un pouvoir d'intervention tout à fait
inhabituel et le Parlement lui dicte expressément, lorsqu'il
reçoit une plainte, d'aller au fond des choses et de ne pas se
contenter d'examiner la légalité technique des mesures prises
par l'administration qui fait l'objet de la plainte.
Le commissaire a commis deux erreurs. Premièrement, il ne
s'est pas enquis du volet de la plainte de l'appelant qui avait
trait à sa difficulté à entrer en contact oralement en français
avec la Commission de la fonction publique du Canada. Le
commissaire n'a fait que le constat de la lettre du 17 mai 1990
et de la conversation téléphonique en français avec le directeur,
le 14 juin 1990, mais il ne s'est pas enquis de la légalité de ce
qui s'est passé entre ces deux incidents. Deuxièmement, le
commissaire n'a pas tenu compte de l'esprit de la loi et de l'in-
tention du législateur. Il incombait au commissaire, en vertu de
son obligation énoncée au paragraphe 56(1) de la Loi et en
vertu du pouvoir d'enquête que lui confère le paragraphe 58(4)
de la Loi, de déterminer si le bureau de la Commission de la
fonction publique du Canada à Toronto, comme institution
fédérale dans un lieu où l'emploi de la langue française fait
l'objet d'une demande importante, avait respecté l'esprit de la
loi et l'intention du législateur lors de ses communications
avec l'appelant et de la prestation de services à ce dernier.
Le juge Marceau, J.C.A. (dissident): Pour que cette Cour
puisse maintenir l'appel, deux conditions sont requises. D'une
part, il faut pouvoir lire la demande comme en étant une visant
l'obtention d'une ordonnance de la nature d'un mandamus
pour forcer le commissaire à reprendre son enquête sur la
plainte que le requérant a soumise. D'autre part, il faut être en
mesure d'affirmer que le commissaire, en tant qu'officier
public, a agi au mépris d'un devoir que la loi lui impose. Quant
à la première condition, il est fort douteux qu'une cour d'appel
puisse reprocher à un juge de première instance de ne pas avoir
procédé à une transformation aussi substantielle de la demande
qui était devant lui. C'est la seconde condition, toutefois, qui
semble le plus clairement absente. La Cour ne peut présumer
que le commissaire s'en est rapporté uniquement aux exi-
gences formelles et expresses de la Loi pour la seule raison
qu'il ne parle dans sa lettre que «d'infraction à la Loi». Pour
considérer qu'un officier public a faussé son mandat et manqué
à son devoir, il faut une base factuelle plus solide. Cette Cour
et la Cour de première instance étant des cours de justice, elles
doivent considérer l'affirmation du commissaire selon laquelle
il s'était assuré qu'aucune «infraction à la Loi» n'avait été
commise comme étant décisive.
Le juge de première instance a eu raison de conclure qu'il ne
lui revenait pas de s'immiscer dans l'exercice de bonne foi par
le commissaire des pouvoirs discrétionnaires que la Loi lui
accorde. C'est pour cela que la Loi prévoit formellement
qu'une plainte au commissaire et le traitement qu'elle peut
recevoir de sa part suspendent temporairement mais n'abrogent
nullement le recours judiciaire que le plaignant peut avoir con-
tre l'institution fédérale qui n'aurait pas respecté ses droits. Le
commissaire, dans la mesure oit il agit de bonne foi, relève du
Parlement et non des cours de justice.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 20(1)a).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4° suppl.),
ch. 31, art. 3(1), 22, 27, 35, 36, 50, 56(1), 58(4), 77.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373;
(1990), 123 N.R. 83 (C.A.).
APPEL d'une décision de la Section de première
instance ((1991), 44 F.T.R. 81) rejetant la demande
de redressement de l'appelant à l'égard d'une déci-
sion rendue par le Commissaire aux langues offi-
cielles. Appel accueilli.
AVOCAT:
J. Aidan O'Neill pour l'intimé.
A COMPARU:
Jean - Charles St - Onge en son nom personnel.
PROCUREURS:
Johnston & Buchan, Ottawa, pour l'intimé.
L'APPELANT EN SON NOM PERSONNEL:
Jean-Charles St-Onge, Timmins (Ontario).
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A. (dissident): Je regrette,
mais je suis incapable d'accepter le point de vue de
mes collègues et je veux, avec égards, m'en dissocier.
À mon avis, ce cas n'en est pas un où la Cour peut
intervenir et voici brièvement pourquoi je pense
ainsi.
Le détail des faits importe peu. Ce qu'il faut bien
avoir à l'esprit, c'est que cette décision de la Section
de première instance dont est appel [(1991), 44
F.T.R. 81] en était une de rejet d'une requête faite en
vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale
[L.R.C. (1985), ch. F-7] dont l'objet était exprimé
comme suit dans l'avis introductif:
Le requérant voudrait obtenir un redressement contre une déci-
sion prise par l'office du Commissariat aux langues officielles
afin que la nouvelle Loi sur les langues officielles soit respec-
tée. Le requérant voudrait que la décision originale prise par le
Commissariat soit rejetée et remplacée par une nouvelle déci-
sion plus équitable et respectueuse de la présente Loi. (sic)
Pour que cette Cour puisse maintenir l'appel, cas-
ser la décision de rejet et ordonner au commissaire
aux langues officielles de reconsidérer la plainte de
l'appelant, deux conditions sont évidemment requi-
ses. D'une part, il faut pouvoir lire la demande
comme en étant une visant l'obtention d'une ordon-
nance de la nature d'un mandamus pour forcer le
commissaire à reprendre son enquête sur la plainte
que le requérant a soumise. D'autre part, il faut être
en mesure d'affirmer que le commissaire, en tant
qu'officier public, a agi au mépris d'un devoir que la
loi lui impose. Quant à la première condition, je me
contenterai de dire qu'à mon avis, il est fort douteux
qu'une cour d'appel puisse reprocher à un juge de
première instance de ne pas avoir procédé à une
transformation aussi substantielle de la demande qui
était devant lui. C'est la seconde condition, toutefois,
qui m'apparaît le plus clairement absente.
On part, comme on l'a vu, du contenu de la lettre
que le commissaire faisait parvenir à l'appelant, le 31
août 1990, en réponse à la plainte que ce dernier avait
soumise en vertu de la Loi sur les langues officielles,
L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31. Je le rappelle:
Après avoir étudié attentivement toutes les données que
vous nous avez transmises, nous concluons qu'il n'y a pas dans
ce dossier d'infraction à la Loi sur les langues officielles. La
Loi exige des organismes fédéraux qu'ils utilisent la langue
officielle préférée de leurs clients et c'est ce que la CFP a fait
dans la lettre en français qu'elle vous adressait le 17 mai et lors
de votre conversation téléphonique du 14 juin avec le direc-
teur.
Nous ne donnerons donc pas suite à votre plainte.
De ce que le commissaire ne parle, dans sa lettre
de réponse, que d'infraction à la Loi, on en conclut
qu'il a omis d'aller au-delà du libellé strict des pres
criptions que celle-ci contient. Et en cela, dit-on, il a
eu tort, car il devait se demander non seulement si les
services en français avaient bien été rendus comme
l'exigent formellement les dispositions législatives,
ce qui était certes le cas, mais aussi si les difficultés
que l'appelant disait avoir eues à obtenir une conver
sation téléphonique valable en français ne consti-
tuaient pas une violation de l'esprit de la Loi et de
l'intention du législateur, au sens des paragraphes
56(1) et 58(4) de la Loi qui se lisent:
56. (1) II incombe au commissaire de prendre, dans le cadre
de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la recon
naissance du statut de chacune des langues officielles et à faire
respecter l'esprit de la présente loi et l'intention du législateur
en ce qui touche l'administration des affaires des institutions
fédérales, et notamment la promotion du français et de l'an-
glais dans la société canadienne.
58....
(4) Le commissaire peut, à son appréciation, refuser ou ces-
ser d'instruire une plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants:
a) elle est sans importance;
b) elle est futile ou vexatoire ou n'est pas faite de bonne foi;
c) son objet ne constitue pas une contravention à la présente
loi ou une violation de son esprit et de l'intention du législa-
teur ou, pour toute autre raison, ne relève pas de la compé-
tence du commissaire.
D'une part, cette Cour étant une cour d'appel, il ne
me paraît pas possible qu'elle puisse présumer, sans
égard aux conclusions de fait du juge de première
instance, que le commissaire s'en est rapporté uni-
quement aux exigences formelles et expresses de la
Loi pour la seule raison qu'il ne parle dans sa lettre
que «d'infraction à la Loi». Pour considérer qu'un
officier public a faussé son mandat et manqué à son
devoir et qu'un ordre de cour doit être émis pour le
forcer à s'amender, il faut, je pense, une base fac-
tuelle plus solide.
D'autre part, cette Cour et la Cour de première ins
tance étant des cours de justice, il me semble que
l'affirmation du commissaire à l'effet qu'il s'était
assuré qu'aucune «infraction à la Loi» n'avait été
commise, doit être tenue, pour elles, comme étant
décisive. Sans doute est-il normal pour une cour de
justice de se référer à ce qu'on peut appeler «l'esprit
de la loi» et «l'intention du législateur» pour résoudre
des difficultés d'interprétation de dispositions législa-
tives, mais ces notions ne se présentent pas pour elle
comme des réalités séparées de la loi auxquelles effet
peut être donné par delà ce que le Parlement aurait
formellement prescrit. Il peut en être autrement du
commissaire lui-même, à cause du rôle de surveil
lance, d'encouragement, de critique, de promotion et
d'évolution qu'on lui demande de remplir et de la
latitude qu'on veut qu'il ait dans l'exercice de ses
pouvoirs de recommandation. Et c'est ce qui
explique, je crois, qu'on ait pensé s'y référer formel-
lement aux articles cités ci-haut. Mais on l'a fait à
l'adresse du commissaire seul, pour appuyer son
action, non à l'adresse des cours de justice suscep-
tibles d'être appelées à vérifier la légalité de ses ges-
tes et de ses prises de position.
Mes collègues citent un long passage de la déci-
sion de notre Cour dans Canada (Procureur général)
c. Viola, [1991] 1 C.F. 373, aux pages 386 et 387
dans le but de souligner le caractère spécial de cette
Loi sur les langues officielles. Il me semble qu'ils ont
passé un peu rapidement sur la dernière partie de
cette citation:
Dans la mesure, enfin, oh elle constitue une loi relative à des
droits linguistiques qui, au Canada, ont pris valeur de droits
fondamentaux mais n'en demeurent pas moins le fruit d'un
compromis social et politique fragile, elle invite les tribunaux à
faire preuve de prudence, et à «hésiter à servir d'instruments
de changement» ainsi que le rappelait le juge Beetz dans
Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. et autre c.
Association of Parents for Fairness in Education et autre:
... les garanties juridiques ainsi que les droits linguistiques
relèvent de la catégorie des droits fondamentaux.
A la différence des droits linguistiques qui sont fondés sur
un compromis politique, les garanties juridiques tendent à
être de nature plus féconde parce qu'elles se fondent sur des
principes.
Cette différence essentielle entre les deux types de droits
impose aux tribunaux une façon distincte d'aborder chacun.
Plus particulièrement, les tribunaux devraient hésiter à servir
d'instruments de changement dans le domaine des droits lin-
guistiques. [J'ai souligné.]
Je crois que le juge de première instance a très cor-
rectement traité de la demande qui était devant lui. Je
crois qu'il a eu raison de penser qu'il ne lui revenait
pas de s'immiscer dans l'exercice de bonne foi par le
commissaire des pouvoirs discrétionnaires que la Loi
lui accorde, tant au niveau de la réception d'une
plainte pour en apprécier la valeur et décider de l'op-
portunité d'entreprendre ou de poursuivre quel-
qu'enquête, qu'au niveau de sa disposition pour juger
de son bien ou mal-fondé et de la nécessité ou non
d'agir à son sujet. C'est pour cela d'ailleurs, il me
semble, que la Loi prend la peine de prévoir formel-
lement qu'une plainte au commissaire et le traitement
qu'elle peut recevoir de sa part suspendent temporai-
rement mais n'abrogent nullement le recours judi-
ciaire que le plaignant peut avoir contre l'institution
fédérale qui n'aurait pas respecté ses droits (article 77
de la Loi). Le système veut, je pense, que le commis-
saire, dans la mesure où il agit de bonne foi, soit res-
ponsable de son action ou inaction uniquement au
Parlement et non aux cours de justice. Je crois, enfin,
que les motifs que le juge de première instance a for-
mulés au soutien de son refus sont substantiellement
corrects et je les fais miens.
Je rejetterais l'appel.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LES JUGES DESJARDINS ET DÉCARY, J.C.A.: L'appe-
lant se pourvoit à l'encontre d'un jugement rendu par
un juge de première instance qui a rejeté sa demande
de redressement à l'égard d'une décision rendue le 31
août 1990 par le commissaire aux langues officielles.
Le 15 juin 1990, l'appelant s'est plaint auprès du
commissaire aux langues officielles de la pauvreté du
service offert en français par les bureaux de la Com
mission de la fonction publique du Canada à Toronto
lesquels desservent la région de l'Ontario qui recou-
vre la ville de Timmins où habite l'appelant.
S'étant enquis de la possibilité de postuler un
emploi en génie civil auprès des bureaux de la fonc-
tion publique du Canada à Toronto, l'appelant a reçu,
le 17 mai 1990, une lettre en français signée
Peter Corner, agent de ressourcement, l'avisant qu'il
possédait les titres et les qualifications requises et que
sa demande d'emploi avait été inscrite dans le réper-
toire national de la Commission de la fonction
publique pour être étudiée dès qu'un poste devien-
drait vacant. L'appelant tenta de rejoindre par télé-
phone le signataire de la lettre, le seul responsable
des ouvertures en génie civil aux bureaux de la fonc-
tion publique de Toronto. Ce qui arriva alors est
décrit par lui-même dans la plainte qu'il formula
auprès du commissaires:
Après plusieurs appels, faits par moi-même, on m'a finalement
expliqué que monsieur Peter Corner, le seul responsable à
engager les ingénieurs pour la fonction publique, n'est pas
bilingue. Quelques-uns des employés à la fonction publique
avaient essayé de me faire croire qu'il était bilingue.
Le directeur du personnel, Stephen Bickerstaffe,
rappela l'appelant le 14 juin 1990 pour lui dire qu'il
n'y avait pas d'ouverture pour des ingénieurs civils
dans la fonction publique. Cette conversation fut
tenue en français puisque Stephen Bickerstaffe est
bilingue, mais comme il n'était pas responsable pour
les ouvertures en génie civil, la seule personne en
mesure de discuter des postes disponibles et des pos-
tes pouvant le devenir était Peter Corner. Dans sa
plainte au commissaire, l'appelant explique qu'il
s'est senti désavantagé, n'ayant pas pu communiquer
directement avec la personne responsable du recrute-
1 D.A., à la p. 12.
ment des gens spécialisés dans son domaine, et ayant
dû passer par des tierces personnes qui n'avaient
aucun rattachement avec les ministères embaucheurs.
Le 31 août 1990, le commissaire aux langues offi-
cielles faisait parvenir à l'appelant sa réponse à la
plainte 2 :
Après avoir étudié attentivement toutes les données que
vous nous avez transmises, nous concluons qu'il n'y a pas dans
ce dossier d'infraction à la Loi sur les langues officielles. La
Loi exige des organismes fédéraux qu'ils utilisent la langue
officielle préférée de leurs clients et c'est ce que la CFP a fait
dans la lettre en français qu'elle vous adressait le 17 mai et lors
de votre conversation téléphonique du 14 juin avec le direc-
teur.
Nous ne donnerons donc pas suite à votre plainte. [Nous
soulignons.]
C'est alors que l'appelant, qui se représente lui-
même, s'adressa à la Section de première instance
afin d'obtenir un jugement déclaratoire ordonnant
non seulement que le commissaire aux langues offi-
cielles en vienne à formuler une recommandation
auprès du bureau de la Commissiôn de la fonction
publique à Toronto de façon à ce que les accusés de
réception envoyés en français soient signés par un
agent de ressourcement qui puisse parler le français,
mais également que le service actif en français soit
disponible en tout temps et qu'un remplaçant soit dis-
ponible en cas d'absence 3 .
Le premier juge observa que ce n'était que par
exception que cette Cour avait compétence pour
intervenir dans des décisions d'ordre administratif
prises selon des dispositions statutaires. Le para-
graphe 58(4) de la Loi sur les langues officielles 4 (la
«Loi») prévoit en effet:
58....
(4) Le commissaire peut, à son appréciation, refuser ou ces-
ser d'instruire une plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants:
a) elle est sans importance;
b) elle est futile ou vexatoire ou n'est pas faite de bonne foi;
c) son objet ne constitue pas une contravention à la présente
loi ou une violation de son esprit et de l'intention du législa-
2 D.A., à la p. 15.
3 D.A., à la p. 102.
4 L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31.
Leur ou, pour toute autre raison, ne relève pas de la compé-
tence du commissaire. [Nous soulignons.]
Le premier juge s'appuya sur l'article 22 5 pour
conclure que si la Loi impose des services dans une
langue de choix quelconque, elle ne prétend pas spé-
cifier les façons ou méthodes suivant lesquelles l'au-
torité publique doit mettre ses services en vigueur.
Ainsi, la Loi n'indique pas le pourcentage de fonc-
tionnaires bilingues ou leur catégorie, ou leur fonc-
tion particulière dans chacun des multiples ministères
publics dans tous les coins du pays. Toujours selon le
premier juge, la Loi permet au commissaire d'étudier,
d'analyser et de faire enquête pour s'assurer que le
service est adéquat ou qu'aucune infraction ne soit
commise, mais le commissaire n'est pas lié par les
représentations d'un citoyen quelconque se plaignant
des services inadéquats ou que l'employeur fédéral
était en faute. Le premier juge ajouta que la Cour
pouvait prendre connaissance judiciaire d'une cer-
taine réalité dans un service aussi vaste que la fonc-
tion publique fédérale et que si la Loi exige des ser
vices dans la langue du choix du citoyen, on pouvait
facilement reconnaître que Chicoutimi (Québec)
n'était pas Saskatoon (Saskatchewan), et que la situa
tion dans une langue ou dans l'autre avait deux tran-
chants. Il reconnut, cependant, que le principe fonda-
mental demeurait le même, à savoir celui d'assurer au
citoyen des services publics dans la langue de son
choix. Il conclut que la décision prise par le commis-
saire en était une qui relevait de ses pouvoirs statu-
taires et discrétionnaires que le Parlement canadien
lui avait accordés, et que dans l'exercice des pouvoirs
5 L'art. 22 de la Loi sur les langues officielles:
22. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce
que le public puisse communiquer avec leur siège ou leur
administration centrale, et en recevoir les services, dans
l'une ou l'autre des langues officielles. Cette obligation vaut
également pour leurs bureaux—auxquels sont assimilés,
pour l'application de la présente partie, tous autres lieux où
ces institutions offrent des services—situés soit dans la
région de la capitale nationale, soit là où, au Canada comme
à l'étranger, l'emploi de cette langue fait l'objet d'une
demande importante. [Nous soulignons.]
L'expression «institutions fédérales», définie au paragraphe
3(1) de la Loi, comprend «tout organisme— ... commis
sion ... —chargé de fonctions administratives sous le
régime d'une loi fédérale ... »
ainsi conférés, le commissaire n'avait commis aucune
erreur de droit ou de fait de nature à justifier son
intervention.
Devant nous, l'appelant a surtout insisté sur cette
partie de sa plainte qui a trait à la difficulté qu'il a
eue à obtenir une communication active en français,
lors de ses premiers contacts avec les bureaux de la
Commission à Toronto. Ce n'est, nous a-t-il dit,
qu'après avoir dû parler anglais à plusieurs préposés
qu'il fut finalement dirigé vers le directeur général du
bureau de la Commission avec qui il put s'entretenir
en français.
L'appelant invoque l'article 27 de la Loi, lequel
fait partie du chapitre intitulé «Communications avec
le public et prestation des services» et qui se lit
comme suit:
27. L'obligation que la présente partie impose en matière de
communications et services dans les deux langues officielles à
cet égard vaut également, tant sur le plan de l'écrit que de
l'oral, pour tout ce qui s'y rattache. [Nous soulignons.]
L'intimé a reconnu que l'alinéa 58(4)c) de la Loi
est ainsi rédigé que la discrétion du commissaire de
refuser ou de cesser d'instruire une plainte est cir-
conscrite au cas où l'objet de la plainte ne constitue
pas une contravention de la loi, ou une violation de
son esprit et de l'intention du législateur. L'intimé a
également reconnu que Toronto était un lieu où l'em-
ploi de la langue française fait l'objet d'une demande
importante selon que le prévoit l'article 22 de la Loi,
ce qui, au départ, distingue la région de Toronto des
deux régions, Chicoutimi et Saskatoon, auxquelles
réfère malencontreusement le juge de première ins
tance. Il ne saurait être question, en effet, de compa-
rer la situation juridique de régions, où il n'existe pas
de demande importante, à celle de régions, telle
Toronto, où il existe une demande importante et où le
Parlement a expressément, par l'article 22 de la Loi,
imposé davantage d'obligations aux bureaux des ins
titutions fédérales et, du même coup, reconnu davan-
tage de droits au public lorsqu'il communique avec
eux et en reçoit des services.
Dans Canada (Procureur général) c. Viola, 6 notre
Cour s'est exprimée ainsi:
6 [1991] I C.F. 373, aux p. 386 et 387.
La Loi sur les langues officielles de 1988 n'est pas une loi
ordinaire. Elle reflète à la fois la Constitution du pays et le
compromis social et politique dont il est issu. Dans la mesure
où elle est l'expression exacte de la reconnaissance des langues
officielles inscrite aux paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte
canadienne des droits et libertés, elle obéira aux règles d'inter-
prétation de cette Charte telles qu'elles ont été définies par la
Cour suprême du Canada. Dans la mesure, par ailleurs, où elle
constitue un prolongement des droits et garanties reconnus
dans la Charte, et de par son préambule, de par son objet défini
en son article 2, de par sa primauté sur les autres lois établies
en son paragraphe 82(1), elle fait partie de cette catégorie pri-
vilégiée de lois dites quasi-constitutionnelles qui expriment
«certains objectifs fondamentaux de notre société» et qui doi-
vent être interprétées «de manière à promouvoir les considéra-
tions de politique générale qui (les) sous-tendent.» Dans la
mesure, enfin, où elle constitue une loi relative à des droits lin-
guistiques qui, au Canada, ont pris valeur de droits fondamen-
taux mais n'en demeurent pas moins le fruit d'un compromis
social et politique fragile, elle invite les tribunaux à faire
preuve de prudence, et à «hésiter à servir d'instruments de
changement» ainsi que le rappelait le juge Beetz dans Société
des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. et autre c. Associa
tion of Parents for Fairness in Education et autres:
... les garanties juridiques ainsi que les droits linguistiques
relèvent de la catégorie des droits fondamentaux.
A la différence des droits linguistiques qui sont fondés sur
un compromis politique, les garanties juridiques tendent à
être de nature plus féconde parce qu'elles se fondent sur des
principes.
Cette différence essentielle entre les deux types de droits
impose aux tribunaux une façon distincte d'aborder chacun.
Plus particulièrement, les tribunaux devraient hésiter à servir
d'instruments de changement dans le domaine des droits lin-
guistiques.
Il nous apparaît important de noter que l'article 22
de la Loi est essentiellement la reproduction de l'ali-
néa 20(1)a) de la Charte canadienne des droits et
libertés 7 , ce qui invite la Cour à l'interpréter de la
7 L'art. 20(1)a) de la Charte canadienne des droits et
libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11
(R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]] se lit ainsi:
20. (1) Le public a, au Canada, droit à l'emploi du fran-
çais ou de l'anglais pour communiquer avec le siège ou l'ad-
ministration centrale des institutions du Parlement ou du
gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il
a le même droit à l'égard de tout autre bureau de ces institu
tions là où, selon le cas:
a) l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une
demande importante;
même manière que serait interprétée cette disposition
de la Charte.
De plus, il appert de l'article 31 de la Loi que les
dispositions de la partie IV, qui porte sur la langue
des communications avec le public et de la prestation
des services (dont les articles 22 et 27), l'emportent
sur les dispositions incompatibles de la partie V, qui
porte sur la langue de travail. Il s'ensuit à notre avis
que les droits du public, en vertu de la partie IV, dans
une région comme Toronto où la demande est jugée
importante, ne sont pas diminués du fait que, par ail-
leurs, en ce qui a trait à la langue de travail, cette
même région n'ait pas été «désignée» bilingue en
vertu des articles 35 et 36 de la Loi. En d'autres
termes, les droits de l'appelant de recevoir les ser
vices en français, à Toronto, ne sont pas moindres du
simple fait que l'appelant, s'il obtenait l'emploi solli-
cité, devrait travailler en anglais.
L'expression «l'esprit de la loi et l'intention du
législateur», notée au paragraphe 58(4) de la Loi, se
retrouve également au paragraphe 56(1) de la Loi qui
donne au commissaire la mission de prendre, dans le
cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à
assurer la reconnaissance du statut de chacune des
langues officielles et à faire respecter l'esprit de la
Loi et l'intention du législateur en ce qui touche l'ad-
ministration des affaires des institutions fédérales 8 .
L'esprit de la Loi et l'intention du législateur nous
ramènent au préambule de la Loi sur les langues offi-
cielles notamment le paragraphe suivant 9 :
Attendu:
qu'elle prévoit en outre des garanties quant au droit du public à
l'emploi de l'une ou l'autre de ces langues pour communiquer
avec les institutions du Parlement et du gouvernement du
Canada ou pour en recevoir les services;
8 L'art. 56(1) de la Loi sur les langues officielles se lit ainsi:
56. (1) II incombe au commissaire de prendre, dans le
cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer
la reconnaissance du statut de chacune des langues offi-
cielles et à faire respecter l'esprit de la présente loi et l'in-
tention du législateur en ce qui touche l'administration des
affaires des institutions fédérales, et notamment la promo
tion du français et de l'anglais dans la société canadienne.
9 D.A., à la p. 34.
Cette responsabilité qui est attribuée à un adminis-
trateur général , ° de vérifier si l'esprit de la Loi et
l'intention du législateur ont été respectés dans un cas
donné, est exceptionnelle. Le commissaire se voit
reconnaître un pouvoir d'intervention tout à fait inha-
bituel et le Parlement lui dicte expressément, lors-
qu'il reçoit une plainte, d'aller au fond des choses et
de ne pas se contenter d'examiner la légalité tech
nique du comportement de l'administration qui fait
l'objet de la plainte.
Force nous est de constater que, dans sa décision
du 31 août 1990, le commissaire a commis deux
erreurs.
D'une part, en ce qui a trait à l'aspect contraven
tion à la Loi, il ne s'est pas enquis de ce volet de la
plainte de l'appelant qui avait trait à sa difficulté à
entrer en contact oralement en français avec la Com
mission de la fonction publique du Canada, ce qui
l'obligea à faire plusieurs appels téléphoniques avant
de finalement rejoindre quelqu'un qui pouvait donner
réponse à ses questions dans la langue de son choix.
Le commissaire n'a fait que le constat de la lettre du
17 mai 1990 et de la conversation téléphonique en
français avec le directeur, le 14 juin 1990—ce sur
quoi il n'y a pas lieu d'intervenir, le commissaire
ayant jugé à sa satisfaction que ces deux incidents ne
constituaient pas contravention à la Loi et aucun
motif d'intervention n'ayant été mis de l'avant. Il ne
s'est cependant pas enquis de la légalité de ce qui
s'est passé entre ces deux incidents. Nous devrons en
conséquence lui retourner le dossier pour qu'il entre-
prenne cet examen.
D'autre part, le commissaire n'a pas tenu compte
dans son appréciation du dossier, de l'esprit de la Loi
et de l'intention du législateur. Il importait au com-
missaire, en vertu de sa mission exprimée au para-
graphe 56(1) de la Loi et en vertu du pouvoir d'en-
quête que lui confère le paragraphe 58(4) de la Loi,
de déterminer si le bureau de la Commission de la
fonction publique du Canada à Toronto, comme insti
tution fédérale dans un lieu où l'emploi de la langue
française fait l'objet d'une demande importante, avait
respecté l'esprit de la Loi et l'intention du législateur
lors de ses communications avec l'appelant et de la
prestation de ses services à ce dernier.
10 Art. 50 de la Loi sur les langues officielles.
Le premier juge a ignoré cet aspect de la plainte de
l'appelant, qui a trait à sa prise de contact orale avec
les bureaux de la Commission à Toronto, ainsi que
l'omission faite par le commissaire aux langues offi-
cielles de tenir compte de l'esprit de la Loi et de l'in-
tention du législateur lorsqu'il a évalué le dossier.
Pour toutes ces raisons, nous accueillerions l'ap-
pel, nous infirmerions le jugement rendu par la Sec
tion de première instance, le 11 février 1991, et, ren-
dant le jugement que celle-ci aurait dû rendre, nous
retournerions l'affaire au commissaire aux langues
officielles pour qu'il la décide conformément aux
présents motifs.
Nous accorderions à l'appelant les frais judiciaires
autant dans cette Cour que devant la Section de pre-
mière instance.
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