A-240-90
Le Syndicat international des débardeurs et
magasiniers—Canada, sections locales 500, 502,
503, 504, 505, 506, 508, 515 et 519; et toutes les
personnes qui travaillent habituellement dans le
domaine du débardage et qui poursuivent des
activités connexes à un port de la côte ouest du
Canada et qui sont assujetties aux dispositions de
la Loi de 1986 sur les opérations portuaires
(appelants)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
RÉPERTORIÉ.' SYNDICAT INTERNATIONAL DES DÉBARDEURS ET
MAGASINIERS-CANADA, SECTION LOCALE 500 C. CANADA
(CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Décary et Létourneau,
J.C.A.—Vancouver, 16, 17, 18 septembre; Ottawa, 24
septembre 1992.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fonda-
mentales — Liberté d'association — La Loi de 1986 sur les
opérations portuaires, relative au retour au travail, ne viole
pas l'art. 2d) de la Charte — La liberté d'association garantie
par l'art. 2d) protège le droit de créer une association, de la
maintenir et d'en être membre, mais elle ne couvre pas le droit
de faire la grève, de décréter un lock-out ou de négocier col-
lectivement — Effets négatifs de la protection constitutionnelle
du droit de grève sur l'édifice social et juridique.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — La loi sur le retour au travail, soit la Loi de 1986
sur les opérations portuaires, qui interdit de faire la grève, ne
viole pas l'art. 7 de la Charte — Chaque travailleur est libre
d'exercer ses droits individuellement, mais non de faire valoir
collectivement ses droits individuels — L'art. 7 de la Charte
vise les droits individuels et non les droits collectifs — Il pro-
tège les intérêts qui relèvent traditionnellement et à propre-
ment parler du pouvoir judiciaire — Le droit de faire la grève
et le droit du Parlement, dans des circonstances appropriées,
de le restreindre dans l'intérêt public, n'ont jamais tradition-
nellement relevé du pouvoir judiciaire — Le raisonnement
applicable pour établir les limites de la liberté d'association
dans la mesure où elle est reliée au droit des syndiqués de faire
la grève est le même quand il s'agit d'établir les limites du
droit à la liberté en vertu de l'art. 7 à cette même fin — L'art.
13 de la Loi, qui rend possible la peine d'emprisonnement en
cas d'omission de payer l'amende, crée une infraction de res-
ponsabilité stricte — Il ne porte pas atteinte à l'art. 7 de la
Charte — Il existe une présomption réfutable selon laquelle les
infractions contre le bien-être public sont des infractions de
responsabilité stricte à moins qu'il soit clairement indiqué
qu'on entend en faire une infraction de responsabilité absolue
— Une loi créant un régime de réglementation qui protège
l'intérêt public au cours des négociations d'une nouvelle con
vention collective est une loi relative au bien-être public —
Rien dans la Loi ne montre l'intention de créer une infraction
de responsabilité absolue.
Relations du travail — Loi sur le retour au travail — La Loi
de 1986 sur les opérations portuaires, qui a mis fin à un lock
out, a prolongé la durée de la convention collective et a fait en
sorte que le travail dans les ports de la côte ouest reprenne, ne
viole ni l'art. 2d) ni l'art. 7 de la Charte — L'art. 13 de la Loi,
qui rend possible la peine d'emprisonnement en cas d'omission
de payer l'amende, crée une infraction de responsabilité stricte
— Il ne viole pas l'art. 7 de la Charte.
Il s'agit d'un appel interjeté contre un jugement de la Sec
tion de première instance portant que la Loi de 1986 sur les
opérations portuaires, à l'exception de la disposition pénale,
ne viole ni l'alinéa 2d) ni l'article 7 de la Charte, et d'un appel
incident interjeté contre la conclusion selon laquelle l'article
13 de la loi sur le retour au travail viole l'article 7 de la Charte.
La Loi a mis fin à un lock-out, elle a prolongé la durée de la
convention collective la plus récente et elle a fait en sorte que
le travail dans les ports de la côte ouest du Canada reprenne.
Le juge de première instance a conclu que l'article 13, qui rend
possible la peine d'emprisonnement en cas d'omission de
payer l'amende, crée une infraction de responsabilité absolue
et viole par conséquent l'article 7. Les appelants ont invité
cette Cour à revoir les quatre décisions de la Cour suprême du
Canada selon lesquelles, si la liberté d'association prévue à
l'alinéa 2d) de la Charte protège la liberté de créer une associa
tion, de la maintenir et d'en être membre, elle ne couvre pas le
droit de faire la grève, de décréter un lock-out ou de négocier
collectivement. On a soutenu que les travailleurs ont le droit de
décider de ne travailler que selon des conditions qu'ils ont
acceptées et, si nécessaire, de refuser librement de fournir leurs
services à l'expiration de leur contrat de travail. Selon le syndi-
cat, en forçant les débardeurs à exécuter leurs tâches dans un
endroit particulier et selon certaines conditions sous peine de
déclaration de culpabilité criminelle, d'amendes considérables
et de possibilités d'emprisonnement, la Loi de 1986 sur les
opérations portuaires les a contraints à retourner au travail
selon des conditions qui ont été légalement répudiées, et elle a
ainsi violé leur droit à la liberté garanti à l'article 7.
Arrêt: l'appel doit être rejeté; l'appel incident doit être
accueilli.
En ce qui concerne la violation de l'alinéa 2d), il n'y a
aucune raison valable de revoir les quatre décisions de la Cour
suprême du Canada par lesquelles cette Cour est liée. La pro
tection constitutionnelle du droit de grève aurait des effets
négatifs sur l'édifice social et juridique canadien.
La Loi ne visait pas à contraindre quiconque à travailler en
violation de son droit à la liberté prévu à l'article 7. En vertu
de la Loi, chaque travailleur demeurait libre d'exercer ses
droits individuellement. L'employé pouvait, sans encourir de
sanctions pénales, démissionner ou prendre sa retraite, prendre
un congé annuel ou un congé de maladie. Il était simplement
interdit aux employés de recourir à un geste collectif pour faire
valoir leurs droits individuels. L'article 7 de la Charte vise les
droits individuels et non les droits collectifs comme celui des
syndiqués de faire la grève. Cette démarche était conforme à la
jurisprudence qui tend à donner à l'article 7 le rôle de protec-
teur des intérêts «qui relèvent traditionnellement et à propre-
ment parler du pouvoir judiciaire». Le droit de faire la grève et
le droit du Parlement, dans des circonstances appropriées, de le
restreindre dans l'intérêt public, n'ont jamais traditionnelle-
ment relevé du pouvoir judiciaire. Cette interprétation évite
«les pièges d'une ingérence de l'appareil judiciaire dans le
domaine public en général». Le raisonnement applicable pour
établir les limites de la liberté d'association dans la mesure on
elle est reliée au droit des syndiqués de faire la grève est le
même quand il s'agit d'établir les limites du droit à la liberté
en vertu de l'article 7 à cette même fin. Comme groupe, les
syndiqués ne peuvent faire indirectement, en vertu de l'ar-
ticle 7, ce qu'ils ne peuvent faire directement en vertu de l'ali-
néa 2d).
L'article 13 crée une infraction valide de responsabilité
stricte qui ne porte pas atteinte à l'article 7 de la Charte. Il
existe une présomption réfutable selon laquelle les infractions
contre le bien-être public et les infractions de nature réglemen-
taire sont des infractions de responsabilité stricte auxquelles on
peut opposer les défenses de common law de diligence raison-
nable et d'erreur de fait raisonnable à moins que le législateur
indique clairement qu'il entend en faire une infraction de res-
ponsabilité absolue. La loi sur le retour au travail est une loi
relative au bien-être public créant un régime de réglementation
qui protège l'intérêt public au cours des négociations d'une
nouvelle convention collective. Rien dans la Loi ne montre la
moindre intention de faire de l'article 13 une infraction de res-
ponsabilité absolue.
LOI ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2d), 7.
Loi de 1986 sur les opérations portuaires, S.C. 1986,
ch. 46, art. 3, 5, 8, 12, 13.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act
(Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; (1987), 78 A.R. 1; 38 D.L.R.
(4th) 161; [1987] 3 W.W.R. 577; 51 Alta. L.R. (2d) 97; 87
C.L.L.C. 14,021; [1987] D.L.Q. 225; 74 N.R. 99; AFPC
c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 424; (1987), 38 D.L.R. (4th)
249; 87 C.L.L.C. 14,022; 32 C.R.R. 114; [1987] D.L.Q.
230; 75 N.R. 161; SDGMR c. Saskatchewan, [1987] 1
R.C.S. 460; (1987), 38 D.L.R. (4th) 277; [1987] 3
W.W.R. 673; 87 C.L.L.C. 14,023; [1987] D.L.Q. 233; 74
N.R. 321; Institut professionnel de la Fonction publique
du Canada c. Territoires du Nord-Ouest (Commissaire),
[1990] 2 R.C.S. 367; [1990] N.W.T.R. 289; (1990), 72
D.L.R. (4th) 1; [1990] 5 W.W.R. 385; 90 C.L.L.C.
14,031; 49 C.R.R. 193; 112 N.R. 269.
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. c. Martin, [1992] 1 R.C.S. 838; (1992), 7 O.R. (3d)
319; conf. (1991), 2 O.R. (3d) 16; 63 C.C.C. (3d) 71; 43
O.A.C. 378 (C.A.); Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al.
195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S.
1123; [1990] 4 W.W.R. 481; (1990), 68 Man. R. (2d) 1;
56 C.C.C. (3d) 65; 77 C.R. (3d) 1; 109 N.R. 81; R. sur la
dénonciation de Mark Caswell c. Corporation de la ville
de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299; (1978), 85
D.L.R. (3d) 161; 40 C.C.C. (2d) 353; 7 C.E.L.R. 53; 3
C.R. (3d) 30; 21 N.R. 295; Thomson Newspapers Ltd. c.
Canada (Directeur des enquêtes et des recherches, Com
mission sur les pratiques restrictives du commerce),
[1990] 1 R.C.S. 425; (1990) 67 D.L.R. (4th) 161; 54
C.C.C. (3d) 417; 29 C.P.R. (3d) 97; 76 C.R. (3d) 129; 47
C.R.R. 1; 39 O.A.C. 161; 106 N.R. 161.
DÉCISIONS CITÉES:
Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [ 1989] 1
R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th) 577; 25 C.P.R. (3d)
417; 94 N.R. 167; R. v. Desgagnes, no. 27-11828-755,
C.S.P. 1975, Montréal, non publié; Canadian Assn. of
Regulated Importers c. Canada (Procureur général),
[1992] 2 C.F. 130 (C.A.); R. c. Wholesale Travel Group
Inc., [1991] 3 R.C.S. 154; (1991), 67 C.C.C. (3d) 193; 8
C.R. (4th) 145; Strasser c. Roberge, [1979] 2 R.C.S. 953;
(1979), 103 D.L.R. (3d) 193; 40 C.C.C. (2d) 129; 79
C.L.L.C. 14,233; 29 N.R. 541; Allard (Ghislain) and Ville
de Montreal, [1982] 2 Can. L.R.B.R. 8; 82 C.L.L.C.
14,171.
DOCTRINE
Commission de réforme du droit du Canada, Responsabi-
lité pénale et conduite collective (Document de travail
n° 16) Ottawa: Commission de réforme du droit du
Canada, 1976.
APPEL et appel incident contre un jugement de
première instance, Syndicat international des débar-
deurs et magasiniers—Canada, section locale 500 c.
Canada, [1990] 2 C.F. 449; (1990), 69 D.L.R. (4th)
85; 90 CLLC 14,014; 33 F.T.R. 161 (Pe inst.). Appel
rejeté, appel incident accueilli.
AVOCATS:
P. Nicholas M. Glass et Mari A. Worfolk pour
les appelants.
Eric A. Bowie, c.r. et Meg Kinnear pour l'inti-
mée.
PROCUREURS:
Swinton & Company, Vancouver, pour les appe-
lants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in-
timée.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE LÉTOURNEAU, J.C.A.:
Les faits et les questions en litige
Le présent appel est interjeté contre un jugement
de la Section de première instance [[1990] 2 C.F.
449] portant sur la constitutionnalité de la Loi de
1986 sur les opérations portuairesl, qu'on a appelée
la loi sur le retour au travail adoptée par le Parlement
pour mettre fin à un lock-out et pour faire en sorte
que le travail dans les ports de la côte ouest du
Canada reprenne.
Les appelants, le Syndicat international des débar-
deurs et magasiniers et les personnes qui travaillent
habituellement dans le domaine du débardage et qui
poursuivent des activités connexes et qui sont assujet-
ties aux dispositions de la Loi, ont contesté celle-ci
pour le motif qu'elle viole les droits et libertés pro-
tégés par la Constitution et garantis par l'alinéa 2d) et
l'article 7 de la Charte canadienne des droits et
libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appen-
dice II, n° 44]]. L'alinéa 2d) garantit la liberté d'asso-
ciation alors que l'article 7 assure que chacun a droit
à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et
qu'il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en con-
formité avec les principes de justice fondamentale.
Le juge de première instance a conclu que la loi
sur le retour au travail ne viole ni l'alinéa 2d) ni l'ar-
ticle 7, à l'exception de la disposition pénale prévue à
l'article 13 de cette Loi qui, selon lui, est inopérant
en raison de son incompatibilité avec l'article 7 de la
Charte.
En appel devant cette Cour, les appelants soutien-
nent que le juge de première instance a commis une
erreur en concluant que la Loi ne viole ni l'alinéa 2d)
1 S.C. 1986, ch. 46.
ni l'article 7 de la Charte. Le juge de première ins
tance, soutiennent-ils, a également commis une erreur
en dissociant l'article 13 du reste de la Loi pour
maintenir la validité de cette dernière. Dans un appel
incident, l'intimée, Sa Majesté la Reine, soutient que
le juge de première instance a mal interprété la loi en
décidant que l'article 13 de celle-ci porte atteinte à
l'article 7 de la Charte parce qu'il crée une infraction
de responsabilité absolue ouvrant la voie à une peine
d'emprisonnement en cas d'omission de payer
l'amende. Subsidiairement, l'intimée soutient que s'il
viole effectivement l'article 7, l'article 13 peut se jus-
tifier en vertu de l'article premier de la Charte, l'ob-
jectif de la Loi étant suffisamment important pour
l'emporter sur les droits en question. En outre, sou-
tient l'intimée, le juge de première instance a commis
une erreur de droit en adjugeant les dépens aux appe-
lants dont l'action a été rejetée sur toutes les ques
tions principales à l'exception d'un seul point acces-
soire. Par conséquent, l'intimée demande les dépens
dans les deux sections de cette Cour.
L'alinéa 2d) de la Charte: le droit à la liberté d'asso-
ciation et le droit de négocier collectivement et de
faire la grève
Les appelants ont invité cette Cour à revoir les
quatre décisions de la Cour suprême du Canada 2
selon lesquelles, si la liberté d'association prévue à
l'alinéa 2d) de la Charte protège la liberté de créer
une association, de la maintenir et d'en être membre,
elle ne couvre pas le droit de faire la grève, de décré-
ter un lock-out ou de négocier collectivement. Ils
n'ont pu motiver ou justifier valablement cette
demande. Le juge de première instance s'est à juste
titre considéré incontestablement lié par ces décisions
de la Cour suprême du Canada. Cette Cour l'est éga-
lement.
Il suffit de lire la décision de la Cour suprême dans
le Renvoi de l'Alberta, [1987] 1 R.C.S. 313, pour être
convaincu des répercussions extraordinaires qu'une
protection constitutionnelle du droit de grève aurait
sur notre édifice social et juridique. Aux pages 416 et
2 Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act
(Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; AFPC c. Canada, [1987] 1 R.C.S.
424; SDGMR c. Saskatchewan, [1987] 1 R.C.S. 460; Institut
professionnel de la Fonction publique du Canada c. Territoires
du Nord-Ouest (Commissaire), [1990] 2 R.C.S. 367.
417, après avoir fait allusion au risque que cette pro
tection freine l'évolution des relations de travail et
l'essor législatif du droit lui-même, le juge McIntyre
a écrit:
Constitutionnaliser un aspect particulier des relations de tra
vail par l'enchâssement du droit de grève aurait d'autres effets
négatifs. Notre expérience en matière de relations de travail
montre que les tribunaux, en règle générale, ne sont pas les
meilleurs arbitres des différends qui peuvent surgir à l'occa-
sion. La législation du travail a reconnu ce fait, en créant
d'autres procédures et d'autres tribunaux en vue d'obtenir un
règlement plus prompt et efficace des problèmes qui survien-
nent dans le domaine du travail. Souvent, les problèmes en
matière de travail ne se résument pas à des questions juri-
diques. Des questions politiques, sociales et économiques
dominent fréquemment les conflits de travail. La création par
voie législative de conciliateurs, de conseils d'arbitrage, de
commissions des relations du travail et de tribunaux du travail
a permis, dans une large mesure, de répondre à des besoins
auxquels ne pouvait satisfaire le système judiciaire. La nature
des conflits de travail, des griefs et des autres problèmes qui
surgissent dans ce domaine, commande le recours à des procé-
dures spéciales, en dehors du système judiciaire ordinaire, pour
les résoudre. Les juges n'ont pas les connaissances spécialisées
toujours utiles et parfois nécessaires pour résoudre les pro-
blèmes en matière de travail. Les tribunaux en général ne dis-
posent pas dans ces affaires, si l'expérience passée peut nous
guider, d'un fondement probatoire qui puisse permettre de
résoudre complètement le différend. À mon avis, il n'est guère
contesté que les tribunaux spécialisés en matière de relations
de travail sont mieux équipés que les tribunaux judiciaires pour
résoudre les problèmes en matière de travail, sauf s'il s'agit de
questions purement juridiques. Si le droit de grève est constitu-
tionnalisé, alors son application, sa portée et toutes questions
relatives à sa légalité deviennent des questions de droit. Cela
aurait inévitablement pour effet de relancer les tribunaux judi-
ciaires dans le domaine des relations de travail et de faire per-
dre aux tribunaux spécialisés en relations de travail une grande
partie de leur utilité.
Aux pages 419 et 420, il a ajouté:
Un autre problème se posera si le droit de grève est constitu-
tionnalisé. Chaque fois qu'une grève se produit et qu'on
s'adresse aux tribunaux, la question de l'application de l'article
premier de la Charte peut être soulevée pour savoir s'il peut
être permis de tenter jusqu'à un certain point de contrôler
l'exercice de ce droit. C'est ce qui s'est produit en l'espèce.
Une analyse en vertu de l'article premier comporte le réexa-
men par une cour de l'équilibre établi par le législateur lors de
l'élaboration de sa politique ouvrière. On demande à la Cour
de déterminer, selon le droit constitutionnel, quels services
gouvernementaux sont essentiels et si la solution de l'arbitrage
compense adéquatement la perte du droit de grève. Dans l'af-
faire AFPC, la Cour doit décider si le simple report de la négo-
ciation collective constitue une limite raisonnable, compte tenu
de l'intérêt substantiel du gouvernement à juguler l'inflation et
la croissance de ses dépenses. Dans l'affaire des Travailleurs
de l'industrie laitière, on demande à la Cour de déterminer si
le préjudice causé aux producteurs laitiers par la fermeture des
usines laitières est suffisamment important pour justifier l'in-
terdiction des grèves et des lock-out. Aucune de ces questions
ne peut faire l'objet d'une solution fondée sur des principes. Il
n'y a pas de réponse qui soit manifestement exacte à ces ques
tions. Elles sont d'une nature particulièrement appropriées aux
fonctions qu'exerce le législateur. Mais si le droit de grève se
trouvait dans la Charte, il appartiendrait aux tribunaux de les
résoudre à chaque fois, en ne se fondant que sur les preuves et
les arguments offerts par les parties, en dépit des répercussions
sociales de chaque décision. C'est là une fonction du législa-
teur dans laquelle les tribunaux devraient éviter de s'ingérer.
On a dit que les tribunaux, en raison de la Charte, devront
s'engager dans le domaine législatif. Lorsque des droits sont
expressément garantis par la Charte, il peut arriver que cela
soit vrai. Mais lorsqu'aucun droit spécifique ne se trouve dans
la Charte et que le seul fondement de sa garantie constitution-
nelle est implicite, les tribunaux devraient s'abstenir d'interve-
nir dans le domaine législatif. C'est là le rôle des assemblées
législatives et du Parlement librement élus.
Cela demeure vrai aujourd'hui comme il y a cinq
ans. En l'espèce, on a consacré beaucoup de temps,
d'effort et d'argent pour déterminer, en vertu de l'ar-
ticle premier de la Charte, si l'intervention du Parle-
ment était justifiée compte tenu du contexte écono-
mique de l'époque. On a produit une preuve d'expert
incluant une évaluation macro-économique et micro-
économique des répercussions de l'arrêt de travail.
On a également présenté une preuve portant sur les
répercussions de l'arrêt à l'égard, pour n'énumérer
que quelques éléments, des producteurs, des transpor-
teurs et des expéditeurs canadiens, de la compétitivité
du Canada sur le plan international et de la crédibilité
du Canada sur les marchés nationaux et internatio-
naux. On a produit des éléments de preuve matériels
et théoriques divergents quant à l'étendue des dom-
mages causés et à ceux qui auraient vraisemblable-
ment résulté sans une intervention législative immé-
diate. Je frémis à l'idée qu'il faille régler les conflits
de travail importants qui nécessitent, au nom de l'in-
térêt public, une intervention rapide du Parlement, au
moyen de procédures sans fin devant les tribunaux.
L'article 7 de la Charte: le droit à la liberté et le droit
de faire la grève
Dans son analyse de l'article 7 de la Charte, le juge
de première instance a adopté la procédure suivie par
le juge en chef Dickson dans l'arrêt Irwin Toy Ltd. c.
Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927,
pour établir les limites de la liberté d'expression
garantie à l'alinéa 2d) de la Charte. De ce fait, le juge
de première instance a statué que le droit de faire la
grève ne fait pas partie du droit «à la vie, à la liberté
et à la sécurité de sa personne» reconnu à l'article 7.
A l'audience, les appelants ont soutenu que la
question en cause en l'espèce et à l'article 7 ne se
résume pas au droit de faire la grève comme l'a sou-
tenu le juge de première instance, mais elle couvre
également le droit des individus ou travailleurs
d'exercer librement le choix de ne travailler que
selon des conditions qu'ils ont acceptées et, si néces-
saire, de refuser librement de fournir leurs services à
l'expiration de leur contrat de travail. En d'autres
termes, on ne devrait pouvoir contraindre un indi-
vidu, sous la menace de sanctions pénales, à se pré-
senter au travail au moment, à l'endroit et conformé-
ment à des conditions établies par le Parlement alors
qu'il a démocratiquement rejeté ces conditions. Le
droit à la liberté garanti à l'article 7, soutiennent-ils,
est violé lorsqu'une loi force quelqu'un à retourner
au travail selon des conditions qui ont été légalement
répudiées. Selon les appelants, c'est ce que la Loi de
1986 sur les opérations portuaires a fait. Elle a con-
traint tous les débardeurs à exécuter leurs tâches dans
un endroit particulier et selon certaines conditions
sous peine de déclaration de culpabilité criminelle,
d'amendes considérables et de possibilités d'empri-
sonnement. La prétention des appelants requiert que
l'on interprète la Loi et l'objectif visé par le Parle-
ment lorsqu'il a adopté celle-ci.
Les dispositions clés de la Loi sont les articles 3, 5,
8 et 12, ainsi libellés:
3. Dès l'entrée en vigueur de la présente loi:
a) les sociétés sont tenues de reprendre immédiatement le
débardage et les opérations connexes dans les ports de la
côte ouest du Canada;
b) les personnes employées ordinairement au débardage ou à
des opérations connexes dans un port de la côte ouest du
Canada, qui, le 30 décembre 1985, étaient liées par la con
vention collective visée par la présente loi, sont tenues de
reprendre immédiatement leur travail lorsqu'on le leur
demande.
5. La durée de la convention collective visée par la présente
loi est prolongée à compter du ler janvier 1986 jusqu'à ce
qu'une nouvelle convention collective visant à la remplacer ou
à la réviser soit conclue entre les parties, ou au plus tard jus-
qu'au 31 décembre 1988.
8. Pendant la durée de la convention collective visée par la
présente loi et prolongée par l'article 5:
a) il est interdit à une société de déclarer ou de causer un
lock-out;
b) il est interdit aux dirigeants et aux représentants du syndi-
cat de déclarer ou de causer une grève à l'égard d'une
société;
c) il est interdit aux personnes liées par la convention collec
tive de participer à une grève à l'égard d'une société.
12. La présente loi n'a pas pour effet de restreindre le droit
des parties à la convention collective visée par la présente loi
de s'entendre pour en modifier toute disposition déjà modifiée
par cette loi, à l'exception de celle qui porte sur sa durée, et de
donner effet à la modification.
Je remarque en passant que l'article 12 maintient le
droit des appelants, à la suite d'une négociation col
lective, de modifier la convention collective. L'article
5 prolonge la durée de la convention jusqu'à une date
établie ou jusqu'à ce qu'une nouvelle convention soit
conclue. L'article 8 interdit à l'employeur de déclarer
un lock-out et au syndiqué de participer à une grève.
Il ressort de la lecture de ces articles que la Loi
visait à mettre fin à un lock-out, à prolonger la durée
de la convention collective la plus récente, à faire en
sorte que les employés qui ne travaillaient pas en rai-
son du lock-out retournent au travail et à éviter des
lock-out ou des grèves dans l'avenir.
Aussi intéressante que la prétention des appelants
puisse être, on peut y apporter une réponse bien sim
ple. La Loi ne visait pas à contraindre quiconque à
travailler en violation de son droit à la liberté prévu à
l'article 7 de la Charte. En vertu de la Loi, chaque
travailleur demeurait libre d'exercer ses droits indivi-
duellement et, selon la preuve, c'est ce que certains
ont fait. Ainsi, l'employé pouvait, sans encourir de
sanctions pénales, démissionner ou prendre sa
retraite, prendre un congé annuel ou un congé de
maladie ou ne pas se présenter au travail pour un
motif valable 3 . Il avait la liberté d'exercer individuel-
lement ses droits en vertu du contrat, dont celui d'y
mettre fin. L'article 5 de la Loi, je le répète, prolon-
geait la durée de la convention jusqu'à une date éta-
blie ou jusqu'à ce qu'une nouvelle convention soit
conclue. Toutefois, il était interdit aux employés de
recourir à un geste collectif, soit une grève, pour faire
valoir collectivement leurs droits individuels. Si la
Loi permettait le recours à une action individuelle
conforme à la convention, elle ne permettait pas une
grève collective. En d'autres termes, la Loi ne privait
pas les travailleurs de leurs droits individuels; elle
suspendait temporairement leur droit de les exercer
collectivement au moyen d'un arrêt de travail collec-
tif.
Ici encore, il convient de reproduire un passage du
Renvoi de l'Alberta dans lequel le juge McIntyre, aux
pages 410 et 411, souligne la différence fondamentale
entre ce que j'appellerais un arrêt de travail indivi-
duel et un arrêt de travail collectif. Il a écrit ceci:
La seconde raison est simplement qu'il n'y a aucune analogie
entre un arrêt de travail par un seul employé et une grève faite
conformément à la législation moderne en matière de travail.
L'individu a, par son arrêt de travail, rompu son contrat de tra
vail ou y a mis fin. Il est vrai que la loi ne forcera pas l'exécu-
tion en nature du contrat en lui ordonnant de retourner au tra
vail, car cela abaisserait [TRADUCTION] «l'employé à un état
équivalent à l'esclavage» (I. Christie, Employment Law in
Canada (1980), à la p. 268). Mais, il y a là une différence mar-
quée par rapport à une grève licite. L'employé qui cesse de
travailler n'envisage pas un retour au travail, alors que les gré-
vistes envisagent toujours un retour au travail. Reconnaissant
ce fait, la loi ne considère pas la grève comme une rupture de
contrat ni comme une cessation d'emploi. Chaque province et
le Parlement fédéral ont adopté une mesure législative qui pré-
serve le rapport employeur-employé au cours d'une grève (voir
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1 et ses modi
fications, par. 107(2); Labour Relations Act, R.S.A. 1980
(Supp.), chap. L-1.1 et ses modifications, par. 1(2); Labour
3 Voir les art. 11.01 et 21.03(6) de la convention collective et
le vol. 1 des actes de procédure, aux p. 146 et 147; pour un
exemple d'impunité dans de telles circonstances, voir l'arrêt R.
v. Desgagnes, Sessions de la paix, Montréal, no 27-11828-755,
1975, dans lequel un débardeur accusé d'avoir participé à une
grève a été acquitté parce qu'il s'est prévalu d'un congé de
maladie en conformité avec les dispositions de la convention
collective dont la durée avait été prolongée par une loi sur le
retour au travail.
Code, R.S.B.C. 1979, chap. 212 et ses modifications, par. 1(2);
The Labour Relations Act, S.M. 1972, chap. 75 et ses modifi
cations, par. 2(1); Loi sur les relations industrielles, L.R.N.-B.
1973, chap. I-4 et ses modifications, par. 1(2); The Labour
Relations Act, 1977, S.N. 1977, chap. 64 et ses modifications,
par. 2(2); The Traie Union Act, S.N.S. 1972, chap. 19 et ses
modifications, art. 13; Loi sur les relations de travail, L.R.O.
1980, chap. 228 et ses modifications, par. 1(2); Labour Act,
R.S.P.E.I. 1974, chap. L-1 et ses modifications, par. 8(2); Code
du travail, L.R.Q. 1977, chap. C-27 et ses modifications,
art. 110; et The Trade Union Act, R.S.S. 1978, chap. T-17 et
ses modifications, al. 2f); voir aussi Canadian Pacific Railway
Co. v. Zambri, [1962) R.C.S. 609). En outre, de nombreuses
lois accordent aux employés le droit à la réintégration à la suite
d'une grève (Ontario, Loi sur les relation de travail, art. 73;
Québec, Code du travail, art. 110.1; Manitoba, The Labour
Relations Act, art. 11; voir aussi Canadian Air Line Pilots'
Ass'n and Eastern Provincial Airways Ltd. (1983), 5 CLRBR
(NS) 368) et, dans la province de Québec, il est expressément
interdit à l'employeur de remplacer ses employés licitement en
grève (art. 109.1).
La législation moderne en matière de relations de travail a
modifié d'une manière à ce point radicale les relations juri-
diques entre employés et employeurs dans les industries syndi-
quées qu'aucune analogie n'est possible entre les actes licites
d'un employé, pris individuellement, qui cesse de travailler et
les actes licites de syndiqués qui font la grève.
À mon humble avis, l'article 7 de la Charte vise les
droits individuels et non les droits collectifs comme
celui des syndiqués de faire la grève. En outre, je
n'oublie pas les commentaires du juge en chef
Dickson dans le Renvoi de l'Alberta, à la page 367,
selon lequel «Il n'y a pas d'équivalent individuel à
une grève. Le refus de travailler par un individu ne
correspond nullement à un refus collectif de travail-
ler». Dans le contexte de la négociation d'une con
vention de travail, les droits individuels des syn-
diqués sont exercés, négociés et élargis grâce à un
processus collectif nécessairement assujetti à un
ensemble de règles différentes qui assurent son bon
fonctionnement. Les syndiqués délèguent l'exercice
de leurs droits à une unité de négociation collective et
ils ont la possibilité, le cas échéant, de recourir à un
geste collectif comme la grève. À mon avis, le juge
de première instance a conclu à juste titre que la Loi
de 1986 sur les opérations portuaires ne viole pas
l'article 7 de la Charte parce qu'elle interdit aux
appelants de faire la grève, que ce soit en refusant
collectivement de retourner au travail conformément
à l'arrêt du lock-out ou en déclenchant une grève pro-
prement dite ultérieurement.
Permettez-moi d'ajouter que ma démarche à
l'égard de l'article 7 est conforme à la jurisprudence
qui tend à donner à l'article 7 le rôle de protecteur
des intérêts «qui relèvent traditionnellement et à pro-
prement parler du pouvoir judiciaire ... [L]e déno-
minateur commun de l'art. 7 et des art. 8 à 14 est l'in-
tervention de l'appareil judiciaire en tant que gardien
du système judiciaire» (motifs du juge Lamer, main-
tenant juge en chef, dans le Renvoi relatif à l'art. 193
et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990]
1 R.C.S. 1123, aux pages 1173 et 1174).
Je suis convaincu que le droit de faire la grève et le
droit du Parlement, dans des circonstances appro-
priées, de le restreindre dans l'intérêt public, n'ont
jamais traditionnellement relevé du pouvoir judi-
ciaire. Cette interprétation de l'article 7 évite ce que
mon collègue le juge MacGuigan, J.C.A., a appelé
«les pièges d'une ingérence de l'appareil judiciaire
dans le domaine de l'ordre public en général» (voir
Canadian Assn. of Regulated Importers c. Canada
(Procureur général), [1992] 2 C.F. 130 (C.A.), à la
page 158). Cela est d'autant plus évident dans un cas
comme l'espèce où la loi sur le retour au travail sou-
lève d'importantes considérations d'ordre social,
politique et économique qui entraînent des ramifica
tions sur le plan national et international. Je suis con-
vaincu hors de tout doute que l'on n'a jamais eu l'in-
tention de discuter de ces considérations dans le
contexte du droit à la liberté individuelle prévu à l'ar-
ticle 7.
Je crois que les appelants tentent de faire en vertu
de l'article 7, c'est-à-dire sous le couvert du droit à la
liberté, ce qu'ils ne peuvent faire en vertu de l'alinéa
2d), c'est-à-dire sous le couvert de la liberté d'asso-
ciation. Aussi intéressantes qu'elles puissent être, les
prétentions des appelants font intentionnellement abs
traction de la réalité de la démarche collective dont le
droit de faire la grève est un élément important. Je
conviens avec l'avocat de l'intimée que l'effet du rai-
sonnement applicable à l'alinéa 2d) pour établir les
limites de la liberté d'association dans la mesure où
elle est reliée au droit des syndiqués de faire la grève
est le même quand il s'agit d'établir les limites du
droit à la liberté en vertu de l'article 7 à cette même
fin. Comme groupe, les syndiqués ne peuvent faire
indirectement, en vertu de l'article 7, ce qu'ils ne
peuvent faire directement en vertu de l'alinéa 2d).
L'article 7 de la Charte, l'article 13 de la Loi contes-
tée et la nullité de la disposition pénale
Dans son jugement, le juge de première instance a
conclu que la disposition pénale contenue à l'article
13 de la Loi de 1986 sur les opérations portuaires,
qui crée une infraction de responsabilité absolue et
rend possible la peine d'emprisonnement en cas
d'omission de payer l'amende, viole l'article 7 de la
Charte. Selon lui, cet article ne peut se justifier en
vertu de l'article premier, mais il peut être dissocié
du reste de la Loi. Il a jugé inopérant l'article 13 de la
Loi.
Paragraphe 13(1) de la Loi est ainsi libellé:
13. (1) L'individu, le syndicat ou la société qui contrevient à
la présente loi est coupable d'une infraction punissable par
procédure sommaire et encourt, pour chacun des jours au cours
desquels se commet ou se continue l'infraction :
a) sous réserve de l'alinéa b), dans le cas d'un individu, une
amende de 500 $ à 1 000 $;
b) dans le cas d'un dirigeant ou d'un représentant d'une
société ou du syndicat, une amende de 10 000 $ à 50 000 $
si l'infraction a été commise alors que l'individu agissait
dans l'exécution de ses fonctions;
c) dans le cas d'une société ou du syndicat, une amende de
20 000 $ à 100 000 $.
J'ai omis les paragraphes 2 et 3 qui ne sont pas en
litige.
Au moment od il a prononcé ses motifs, le juge de
première instance ne bénéficiait pas des arrêts R. c.
Martin, [1992] 1 R.C.S. 838; confirmant (1991), 2
O.R. (3d) 16 (C.A.) et R. c. Wholesale Travel Group
Inc., [1991] 3 R.C.S. 154, de la Cour suprême du
Canada.
Depuis les arrêts Sault Ste-Marie (R. sur la dénon-
ciation de Mark Caswell c. Corporation de la ville de
Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299) et Martin
(précité), il existe une présomption selon laquelle les
infractions contre le bien-être public et les infractions
de nature réglementaire sont des infractions de res-
ponsabilité stricte auxquelles on peut opposer les
défenses de common law de diligence raisonnable et
d'erreur de fait raisonnable. Cette présomption ne
peut être écartée que si le législateur indique claire-
ment qu'il entend en faire une infraction de responsa-
bilité absolue. La Cour d'appel de l'Ontario est allée
plus loin lorsqu'elle a décidé que bien qu'une infrac
tion paraisse renfermer toutes les caractéristiques
d'une infraction de responsabilité absolue, elle doit
être interprétée comme une infraction de responsabi-
lité stricte afin d'éviter un conflit avec la Charte (R.
c. Martin, précité). Cette interprétation comporte
l'avantage certain de maintenir d'une part la validité
d'une loi et d'autre part l'équité envers l'accusé.
L'étude de l'ensemble de la loi sur le retour au tra
vail et particulièrement l'article 13 me permet de
conclure sans hésiter qu'il s'agit d'une loi relative au
bien-être public créant un régime de réglementation
qui protège l'intérêt public au cours des négociations
d'une nouvelle convention collective et, par consé-
quent, que l'infraction créée à l'article 13 est une
infraction de responsabilité stricte. Elle correspond
au principe fondamental énoncé par la Commission
de réforme du droit du Canada (Responsabilité
pénale et conduite collective, Document de travail
no 16, 1976, à la page 12) et adopté par le juge
La Forest dans l'arrêt Thomson Newspapers Ltd. c.
Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Com
mission sur les pratiques restrictives du commerce),
[1990] 1 R.C.S. 425, à la page 511:
[Dans le cas de l'infraction de nature réglementaire], il ne
s'agit pas cette fois de respecter les valeurs, mais d'obtenir des
résultats. Bien que les «valeurs» soient nécessairement à la
base de toute prescription d'ordre juridique, c'est à l'occasion
des infractions réglementaires que se développe l'optique sui-
vant laquelle il est pratique pour la protection de la société et
l'utilisation et le partage ordonné de ses ressources, que les
gens agissent d'une certaine manière dans des situations déter-
minées ... Le but est d'inciter la population à se conformer
aux règlements pour le bien général de la société.
Absolument rien dans la Loi ne montre la moindre
intention du Parlement d'en faire une infraction de
responsabilité absolue. En fait, certaines infractions
semblables, en nature, à l'article 13 ont été qualifiées
d'infractions de responsabilité stricte (Strasser c.
Roberge, [1979] 2 R.C.S. 953; Allard (Ghislain) and
Ville de Montreal, [1982] 2 Can. L.R.B.R. 8).
Je suis également renforcé dans mon opinion par le
fait que, dans l'arrêt Martin, précité, confirmé ensuite
par la Cour suprême du Canada, la Cour d'appel de
l'Ontario a conclu que la disposition contestée créait
une infraction de responsabilité stricte malgré l'exis-
tence d'une autre disposition prévoyant expressément
la défense de diligence raisonnable. Au nom de la
Cour d'appel, le juge Griffiths a conclu, en appli-
quant les présomptions établies dans l'arrêt Sault Ste-
Marie, que la mention expresse de la défense de dili
gence raisonnable dans un article ne traduisait pas
l'intention du législateur d'écarter cette défense dans
un autre article. La Loi de 1986 sur les opérations
portuaires ne comporte aucune ambiguïté semblable.
À mon avis, l'article 13 crée une infraction valide de
responsabilité stricte qui ne porte pas atteinte à l'ar-
ticle 7 de la Charte. Compte tenu de cette conclusion,
je n'ai pas à me prononcer sur les questions de la jus
tification en vertu de l'article premier et de la disso
ciation.
Conclusion
Je suis d'avis de rejeter l'appel et d'accueillir l'ap-
pel incident. L'intimée devrait avoir droit à ses
dépens de l'appel en l'espèce et dans la Section de
première instance. Elle devrait également avoir droit
à ses dépens de l'appel incident dans cette Cour.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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