T-1155-92
J.G. Morgan Development Corporation
(requérante)
c.
Ministre des Travaux publics, 926260 Ontario
Ltd., Thomas N. Hammond & Associates Ltd.,
Cohole Development Corporation, Clifford
0.0/A Ventures 2000 & Grant Development
Corporation et Garth Aselford Developments
Limited & J. Walton Developments Limited
(intimés)
RÉPERTORIE.' ,JG MORGAN DEVELOPMENT CORP. C. CANADA
(MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS) (Ire INST.)
Section de première instance, juge Denault—Ottawa,
29 juin et 30 septembre 1992.
Couronne — Contrats = Locaux loués — Appel d'offres
Le plus bas soumissionnaire lors du second appel d'offres était
incapable de fournir le cautionnement exigé — Le ministère
des Travaux publics a contracté avec le soumissionnaire qui
s'était classé deuxième sans lancer un troisième appel d'offres
étant donné que plus d'une année s'était écoulée depuis le
début du processus — La requête en certiorari du soumission-
naire dont l'offre n'a pas été retenue est rejetée en raison du
retard excessif (3 mois) dans la présentation de sa requête et
parce que le fait d'accueillir la requête causerait un préjudice
au Ministère et à l'entrepreneur — La Cour n'a pas compé-
tence pour contrôler la décision par laquelle le Ministère a
attribué le marché, étant donné que le marché n'a pas été
négocié en vertu de pouvoirs prévus par une loi fédérale mais
en vertu de pouvoirs accessoires au droit inhérent de contrac-
ter de la Couronne et suivant les principes du mandat — Le
droit inhérent de contracter est reconnu par la doctrine et la
jurisprudence au Canada et dans d'autres territoires de com
mon law.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première ins
tance — Le ministère des Travaux publics a lancé un appel
d'offres en vue de la conclusion d'un marché portant sur la
location de bureaux — Le plus bas soumissionnaire lors du
second appel d'offres était incapable de fournir le cautionne-
ment exigé — Le Ministère a contracté avec le soumissionnaire
qui s'était classé deuxième sans lancer un troisième appel
d'offres étant donné que plus d'une année s'était écoulée
depuis le début du processus — La requête en certiorari est
rejetée à cause d'un retard excessif dans la présentation de la
requête et parce que le fait d'accueillir la requête causerait un
préjudice au Ministère et à l'entrepreneur — La question de la
compétence de la Cour pour contrôler la décision d'attribuer
le marché à la suite de l'appel d'offres n'est pas résolue, étant
donné que le marché n'a pas été attribué dans le cadre d'un
appel d'offres mais à la suite de négociations directes — La
Cour n'a pas compétence pour contrôler la décision par
laquelle le Ministère a attribué le marché, étant donné que le
marché a été négocié en vertu de pouvoirs accessoires au droit
inhérent de contracter de la Couronne et non en vertu de pou-
voirs prévus par une loi fédérale, ainsi que l'exige la Loi sur la
Cour fédérale pour que la Cour fédérale ait compétence —
L'exception à l'obligation de lancer un appel d'offres est con-
forme au Règlement sur les marchés de l'État dans les cas où
la nature du marché est telle qu'un appel d'offres ne servirait
pas l'intérêt public — Compte tenu de l'ensemble des circons-
tances en cause en l'espèce, lancer un autre appel d'offres ne
servirait pas l'intérêt public — La présence de l'une des cir-
constances exceptionnelles énoncées à l'art. 6 du Règlement
sur les marchés de l'État soustrait les négociations du champ
d'application du Règlement et les fait relever du droit inhérent
de contracter de la Couronne, sur lequel la Cour n'est pas
compétente pour exercer un contrôle judiciaire — La requête
est rejetée sans frais, étant donné qu'elle a permis à la Cour de
clarifier la question de sa compétence.
Interprétation des lois — Art. 6 du Règlement sur les
marchés de l'État — La Cour constate une différence entre la
version française et la version anglaise — Le texte anglais
parle de «nature of the work», tandis que le texte français
parle de «nature du marché» — Le terme «marché» y est défini
comme étant un «marché de travaux publics», un «marché de
fournitures», un «marché de services» ou un «bail» — Dans ce
contexte, le terme «work» est beaucoup plus large que le terme
«contract» — La question d'interprétation n'est pas résolue
étant donné qu'elle a été soulevée par la Cour et non par les
avocats.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2
(mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18 (mod., idem, art.
4).
Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985),
ch. F-11, art. 41 (mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 50
(ann. II, item 11)).
Loi sur les travaux publics, L.R.C. (1985), ch. P-38.
Règlement sur les marchés de l'État, DORS/87-402, art.
5, 6.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1618
(édictée par DORS/92-43, art. 19).
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Verreault (J.E.) & Fils Ltée c. Procureur général (Qué-
bec), [1977] 1 R.C.S. 41; (1975), 57 D.L.R. (3d) 403; 5
N.R. 271; Procureur général du Québec c. Labrecque et
autres, [1980] 2 R.C.S. 1057; (1980), 81 CLLC 14, 119.
DÉCISION MENTIONNÉE:
Hawker Pacific Pty Ltd v Freeland (1983), 52 ALR 185
(F. Ct. Aust.).
DOCTRINE
Dussault, René et Borgeat, Louis, Traité de droit adminis-
tratif; 2e éd., tome 1, Presses de l'Université Laval,
1984.
Griffith, J. A. G and H. Street, Principles of Administra
tive Law, 3rd ed., London: Pitnam Publishing, 1963.
Hogg, Peter W., Liability of the Crown, 2nd ed., Toronto:
Carswell Co. Ltd., 1989.
DEMANDE en bref de certiorari annulant la déci-
sion par laquelle le ministre des Travaux publics a
attribué un marché portant sur des locaux loués.
Requête rejetée.
AVOCATS:
Martin W. Mason pour la requérante.
Peter M. Southey pour l'intimé, le ministre des
Travaux publics.
James H. Smellie pour les intimés.
PROCUREURS:
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour la
requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in-
timé, le ministre des Travaux publics.
Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour les
intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de
l'ordonnance rendus par
LE JUGE DENAULT: La requérante sollicite un bref
de certiorari annulant la décision par laquelle le
ministre des Travaux publics a attribué à la compa-
gnie à matricule 926260 Ontario Ltd. un marché rela-
tif à la location de bureaux. Le marché portait sur la
location de bureaux situés à Kirkland Lake, en Onta-
rio, qui devaient être occupés par le ministère des
Anciens combattants.
La présente requête a été entendue d'urgence le 29
juin 1992. L'urgence s'expliquait par le fait que
926260 Ontario Ltd. (ci-après appelée 926260) avait
déjà pris des mesures en vue d'exécuter son marché.
J'ai rejeté la requête en bref de certiorari de la
requérante au motif que celle-ci avait tardé de façon
excessive à présenter la requête et que le prononcé
d'une telle ordonnance causerait dans les circons-
tances un préjudice tant à Travaux publics Canada
qu'à 926260.
Au cours de l'instance, l'avocat de Travaux publics
Canada (ci-après appelé TPC) a contesté la compé-
tence de la Cour pour prononcer une ordonnance de
bref de certiorari dans la présente affaire. Compte
tenu de ma décision de rejeter la requête pour des
motifs ayant trait au retard excessif, il ne m'a pas été
nécessaire d'examiner le bien-fondé de son objection
à ce moment-là et j'ai précisé à l'avocat que je four-
nirais plus tard des motifs écrits plus détaillés sur la
question de la compétence de la Cour.
GENÈSE DE L'INSTANCE
En décembre 1990, les compagnies intimées ont
été invitées par TPC à présenter des soumissions rela-
tivement à un marché de location de bureaux pour le
ministère des Anciens combattants (ci-après appelé
MAC). Une des conditions exigées des entreprises
concurrentes était de fournir une «preuve de confor-
mité de zonage», et la date limite de présentation des
soumissions a été fixée au 3 janvier 1991.
La preuve révèle toutefois qu'aucune des compa-
gnies intimées n'était en mesure de satisfaire à cette
condition et, en conséquence, TPC a rejeté la soumis-
sion de chacune d'entre elles.
Le ler février 1991, TPC a invité les mêmes com-
pagnies intimées à soumettre de nouvelles proposi
tions ainsi qu'une preuve de conformité de zonage. Il
était précisé dans ce second appel d'offres que les
intimées devaient fournir une preuve de conformité
de zonage au plus tard le 31 mars 1991. À la
demande des compagnies intimées, TPC a par la suite
accepté de repousser cette date au 31 mai. Cette
échéance a été repoussée à nouveau à quelques repri
ses et, finalement, le 21 juin 1991, le marché a été
attribué à Cohole Development Corporation (ci-après
appelée Cohole). La valeur nette actuelle des quatre
offres était la suivante:
Cohole Development Corporation 9,3 millions $
926260 Ontario Limited 10,2 millions $
Thomas N. Hammond
& Associates Ltd. 10,8 millions $
J.G. Morgan Development
Corporation 12,6 millions $
Le 28 juin, les entreprises dont l'offre n' avait pas
été retenue, y compris la requérante, ont été infor-
mées de la décision et la garantie qu'elles avaient
déposée leur a été remise.
Le 27 novembre 1991, il est devenu évident pour
TPC que Cohole serait incapable de fournir le cau-
tionnement de 2 000 000 $ exigé aux termes du mar
ché et TPC a par conséquent :té forcé de résilier le
marché.
À la suite de cette décision, TPC a engagé des
négociations directes avec 926260, le soumission-
naire qui s'était classé deuxième lors du second appel
d'offres du ler février 1991. Le 12 décembre 1991,1a
requérante a été expressément avisée que les négocia-
tions directes en question avaient été entamées.
TPC s'est renseigné pour savoir si 926260 était en
mesure d'exécuter le marché selon les mêmes moda-
lités que celles qu'elle avait énoncées dans son offre
antérieure. Après avoir obtenu les assurances vou-
lues, TPC a attribué le marché à 926260 le 25 février
1992.
La requérante a été informée peu de temps après
de cette décision. Malgré le fait qu'elle était au cou-
rant de ces négociations contractuelles en décembre
1991 et qu'elle a été par la suite promptement infor-
mée de la décision finale, elle a attendu au 21 mai,
quelque trois mois plus tard, pour présenter sa
requête en bref de certiorari. Pour les motifs déjà
exposés, cette requête a été rejetée au motif que la
requérante avait tardé de façon excessive à présenter
sa requête et que le prononcé d'une telle ordonnance
causerait dans les circonstances un préjudice tant à.
TPC qu'à 926260. Il importe de souligner que la
seule opération qui était en litige en l'espèce était le
marché attribué à 926260. L'appel d'offres de décem-
bre 1990 et celui de février 1991 n'étaient pas en
litige en l'espèce.
QUESTIONS EN LITIGE
J'examinerai l'exception soulevée par l'avocat de
TPC pour contester la compétence de notre Cour.
L' avocat prétend que notre Cour doit trancher deux
questions:
1. La Cour a-t-elle compétence pour procéder au con-
trôle judiciaire de la décision du ministre des Travaux
publics d'attribuer un marché à la suite d'un appel
d'offres?
2. La Cour a-t-elle compétence pour procéder au con-
trôle judiciaire de la décision du ministre des Travaux
publics de contracter directement avec un tiers?
De toute évidence, la première question est basée
sur la supposition que le marché attribué à 926260 a
été offert dans le cadre de l'appel d'offres. J'estime
que cette supposition est erronée. Il ressort à l'évi-
dence de la preuve que le second appel d'offres était
terminé au moment où le marché a été attribué à
Cohole et qu' aucun autre appel d'offres n'a été lancé.
Le marché attribué à 926260 a été attribué par suite
des négociations directes entamées entre les deux
parties.
Je conviens que le fait qu'on a communiqué avec
le soumissionnaire qui s'est classé deuxième lors du
second appel d'offres permettrait de dire qu'il semble
que le processus d'appel d'offres était en cours, mais
en examinant les éléments de preuve plus objectifs, il
est évident qu'on avait mis fin à ce processus beau-
coup plus tôt et que les négociations débouchant sur
l'attribution du marché à 926260 constituaient un
processus très distinct. La première question devient
donc purement hypothétique et il n'est pas nécessaire
pour la Cour de l'examiner à ce moment-ci.
Par conséquent, la seule question qu'il nous reste à
examiner est celle de savoir s'il était loisible à TPC
d'entamer des négociations directes avec 926260 et,
dans l'affirmative, si la décision d'attribuer le marché
à 926260 est susceptible de faire l'objet d'un contrôle
de la part de notre Cour.
THÈSE DE L'INTIMÉ
L'intimé [TPC] fait valoir qu'en évaluant les sou-
missions et en recommandant une soumission au
Conseil du trésor, le ministre agit au nom du Conseil
privé de la Reine et au profit de la Couronne en géné-
ral et non en vertu d'un pouvoir législatif précis
accordé par le législateur fédéral. En fait, l'intimé
prétend que ni la Loi sur les travaux publics, L.R.C.
(1985), ch. P-38, ni la Loi sur la gestion des finances
publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, ni le Règlement
sur les marchés de l'État (DORS 87/402) ne confère
à la Couronne le pouvoir ou la capacité de contracter
et que, en conséquence, le pouvoir de le faire appar-
tient au gouverneur en conseil. Dans ces conditions,
l'intimé prétend que notre Cour ne peut contrôler en
vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale
[L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8,
art. 4)] la décision de contracter parce que le ministre
ne répond pas à la définition d' «office fédéral» conte-
nue au paragraphe 2(1) [mod., idem, art. 1] de la Loi
parce qu'il ne constitue pas un «Conseil, bureau,
commission ou autre organisme, ou personne ou
groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exer-
cer une compétence ou des pouvoirs prévus par une
loi fédérale». [Soulignements ajoutés.]
ANALYSE
J'ai examiné les dispositions législatives citées par
l'avocat et je suis incapable d'y trouver une attribu
tion expresse du pouvoir de contracter. Dans l'arrêt
Verreault (J.E.) & Fils Ltée c. Procureur général
(Québec), [1977] 1 R.C.S. 41, la question de savoir
si, en l'absence d'une restriction législative, un
ministre est capable de contracter au nom du gouver-
nement a été soulevée. Le juge Pigeon a considéré
que le passage suivant de l'ouvrage de Griffith et
Street, Principles of Administrative Law [aux pages
269 et 270], constituait un énoncé exact du droit [à la
page 47]:
[TRADUCTION] Nous estimons que la vraie règle est la suivante:
Un contrat signé par un représentant du gouvernement agissant
dans les limites de son mandat apparent est un contrat valide
obligeant le gouvernement...
Il a ensuite fait les observations suivantes [à la page
47]:
[TRADUCTION] Sa Majesté est évidemment une personne phy
siques, et je cherche en vain le principe d'après lequel les
1 Au chapitre 8 de son ouvrage Liability of the Crown, 2e éd.
(1989, Carswell), le professeur Hogg s'en prend quelque peu
au concept du [TRADUCTION] «monarque considéré comme une
personne physique» et laisse entendre qu'il serait plus [TRADUC-
TION] «réaliste de penser que chaque État représente la Cou-
ronne en tant que personne morale qui est reconnue en com
mon law et qui est dotée de tous les pouvoirs de contracter que
possède une personne physique» [aux p. 163 et 164]. Voir aussi
Dussault & Borgeat, Traité de droit administratif, (1984), tome
I, partie 1, aux p. 67 69. Ce différend n'a cependant pas d'ef-
fet déterminant sur l'issue de la présente cause.
règles générales du mandat, y compris celles du mandat appa
rent, ne lui seraient pas applicables.
Dans l'arrêt Procureur général du Québec c.
Labrecque et autres, [1980] 2 R.C.S. 1057, le juge
Beetz a suivi essentiellement le même raisonnement
et a conclu qu'un des aspects du principe de la pri-
mauté du droit veut que la Couronne soit un Souve-
rain, une personne physique qui, en plus de bénéficier
de la prérogative royale, jouit d'une capacité générale
de contracter conformément aux principes généraux
du droit.
Il vaut la peine de noter que d'autres territoires de
common law ont souscrit à ce principe, qui reconnaît
l'existence d'un droit inhérent de contracter 2 .
Par conséquent, en concluant le marché avec
926260, TPC était, suivant les principes du mandat,
mandataire de la Couronne, et le marché qui a été
conclu lie la Couronne.
Ce droit de contracter est cependant soumis à des
restrictions. Le gouverneur en conseil a pris des
règlements qui règlent la conduite de ses mandataires
dans certaines situations.
Le Règlement sur les marchés de l'État qui a été
pris en application de l'article 41 [mod. par L.C.
1991, ch. 24, art. 50 (ann. II, item 11)] de la Loi sur
la gestion des finances publiques prévoit les direc
tives qui doivent être suivies pour la négociation des
marchés de l'État. Voici le texte des articles 5 et 6 du
Règlement:
Appel d'offres
5. Avant la conclusion d'un marché, l'autorité contractante
doit lancer un appel d'offres de la façon prévue à l'article 7.
6. Malgré l'article 5, l'autorité contractante peut conclure un
marché sans lancer d'appel d'offres dans les cas suivants:
a) les cas d'extrême urgence où un retard serait préjudiciable
à l'intérêt public;
b) les cas où le montant estimatif de la dépense ne dépasse
pas selon le cas:
(i) 30 000 $,
(ii) 100 000 $, s'il s'agit d'un marché portant sur la pres-
tation de services d'ingénieurs ou d'architectes ou
2 Hawker Pacifie Pty Ltd y Freeland (1983), 52 ALR 185 (F.
Ct. Aust.), à la p. 189 dans lequel le juge Fox a déclaré:
[TRADUCTION] Le pouvoir de contracter est une prérogative
ou un pouvoir gouvernemental inhérent...
d'autres services nécessaires à la planification, à la con
ception, à la préparation ou à la surveillance de la cons
truction, de la réparation, de la rénovation ou de la restau-
ration d'un ouvrage,
(iii) 100 000 $, s'il s'agit d'un marché que doit conclure
le membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada
responsable de l'Agence canadienne de développement
international et qui porte sur la prestation de services
d'ingénieurs ou d'architectes ou d'autres services néces-
saires à la planification, à la conception, à la préparation
ou à la surveillance d'un programme ou projet d'aide au
développement international;
c) les cas où la nature du marché est telle qu'un appel d'of-
fres ne servirait pas l'intérêt public;
d) les cas où le marché ne peut être exécuté que par une
seule personne.
Je tiens à souligner qu'il existe une différence entre
le texte français et le texte anglais de l'alinéa 6c). Le
texte anglais parle de nature of the work, tandis que le
texte français parle de «nature du marché». Ce der-
nier terme est, comme le terme anglais contract,
défini dans le Règlement. Le terme work que l'on
trouve dans l'expression nature of the work n'est
cependant pas défini.
Cela soulève évidemment des questions d'interpré-
tation législative. Le terme anglais contract, qui est
l'équivalent de «marché», est défini comme étant
l'un des marchés suivants: a) un marché de travaux
publics (construction contract); b) un marché de
fournitures (goods contract); c) un marché de ser
vices (service contract); d) un bail (lease). Le législa-
teur a cependant choisi le terme anglais work en rédi-
geant l'alinéa 6c). S'il avait employé l'expression
nature of the contract au lieu de l'expression nature
of the work, l'interprétation aurait pu être différente.
Mais, en choisissant le terme work, le législateur est
réputé avoir voulu que ce terme soit employé. Aucun
des avocats n'a soulevé ce point et aucune observa
tion n'a été formulée à cet égard; en conséquence, je
ne traiterai pas davantage de cette question, si ce
n'est que pour ajouter que le terme work dans ce con-
texte est beaucoup plus large que le terme contract.
Avant d'aborder la question de savoir si la décision
prise par TPC peut ou non faire l'objet d'un contrôle,
j'estime qu'il y a lieu de vérifier si les dispositions du
Règlement ont été respectées.
Il est indubitable que l'autorité contractante est
tenue de lancer un appel d'offres à moins qu'elle
puisse démontrer que l'une des exceptions énumérées
à l'article 6 existe. En l'espèce, TPC fait valoir que,
compte tenu de la nature du marché, il n'était pas réa-
lisable de lancer un troisième appel d'offres et que
cela ne servait pas l'intérêt public. Ce moyen est tiré
de l'alinéa 6c).
Il est important à cette étape-ci d'examiner toutes
les circonstances relatives à la nature du marché pour
déterminer si l'intérêt public exigeait une approche
différente de celle qui est prévue par le Règlement.
Comme je l'ai déjà précisé, le premier appel d'of-
fres a été lancé en décembre 1990 et a dû être annulé
au motif qu'aucune des compagnies intimées ne
satisfaisait à la condition expressément énoncée au
sujet du zonage. En février 1991, TPC a de nouveau
essayé de lancer un appel d'offres, la date d'échéance
pour la présentation des offres a été reportée à plu-
sieurs reprises et finalement, quelque cinq mois après
la date du premier appel d'offres, le marché a été
attribué. TPC a de nouveau été confronté à certains
problèmes et a par conséquent été forcé de résilier le
marché à la fin de novembre 1991. Cela représentait
un retard de près d'un an dans la conclusion du mar
ché.
Je conviens que la décision subséquente de TPC
d'entrer en communication avec la compagnie qui
avait soumis la deuxième offre la plus basse lors de
l'appel d'offres précédent et de conclure un marché
directement avec elle était motivée par le besoin de
mettre le projet en branle et de rattraper ainsi les
pertes considérables de temps et d'argent. Compte
tenu de toutes ces circonstances, je suis d'avis qu'il
n'était pas dans l'intérêt public de lancer un autre
appel d'offres.
Les négociations directes qui ont par la suite eu
lieu avec 926260 ont été entamées en vertu du pou-
voir inhérent de contracter que possède la Couronne
et non en vertu du Règlement sur les marchés de
l'État. C'est là un élément critique en ce qui concerne
la compétence de notre Cour.
En prenant le Règlement sur les marchés de l'État,
le gouverneur en conseil a choisi de définir la con-
duite exigée de ses «mandataires» (autrement quali-
fiés d'autorités contractantes) lorsque ceux-ci cher-
chent à contracter. Le Règlement en question n'a
pour effet de régler la conduite de l'autorité contrac-
tante que lorsque celle-ci lance effectivement un
appel d'offres. Toutefois, lorsque, comme c'est le cas
en l'espèce, l'autorité contractante n'engage pas ce
processus à cause de l'existence de l'une ou de plu-
sieurs des circonstances exceptionnelles énumérées à
l'article 6 du Règlement, les négociations contrac-
tuelles subséquentes sont entamées en vertu du droit
inhérent de contracter de la Couronne. En d'autres
termes, la présence de l'une des circonstances excep-
tionnelles soustrait les négociations contractuelles
subséquentes du champ d'application du Règlement
et les négociations sont alors envisagées du point de
vue du droit inhérent de contracter de la Couronne.
Dans la présente situation, la Cour se doit de citer
les articles 18 et 2 de la Loi sur la Cour fédérale, qui
disposent:
18. (1) Sous réserve de l'article 28, la Section de première
instance a compétence exclusive, en première instance, pour:
a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de manda-
mus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un
jugement déclaratoire contre tout office fédéral ...
2. (1)...
«office fédéral» Conseil, bureau, commission ou autre orga-
nisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant,
exerçant ou censé exercer une compétence ou des
pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une
ordonnance prise en vertu d'une prérogative
royale ...
On pourrait prétendre que les deux appels d'offres
ont été lancés par une «personne ... exerçant ... des
pouvoirs prévus par une loi fédérale» et qu'ils peu-
vent par conséquent faire l'objet d'un contrôle judi-
ciaire mais, comme je l'ai déjà dit, c'est là une ques
tion qui doit être laissée en suspens pour être abordée
à un moment plus propice.
Ce que l'on peut dire, c'est que les négociations
subséquentes et la décision finale d'attribuer le mar
ché à 926260 n'étaient pas fondées sur des pouvoirs
prévus par une loi fédérale mais plutôt qu'elles
étaient accessoires au droit inhérent de contracter de
la Couronne.
Par ces motifs, je conclus que notre Cour n'a pas
compétence pour contrôler la décision par laquelle
TPC a attribué le marché à 926260. J'ajouterais que
si ma décision sur ce point avait été différente, je
n'aurais pas eu de difficulté à conclure que TPC a agi
équitablement envers toutes les parties au cours de
toute la période en question.
Au cours de l'audience du 29 juin, l'avocat de l'in-
timé a demandé que la requête soit rejetée avec
dépens. J'ai précisé alors que je formulerais une con
clusion sur cette question en même temps que j'énon-
cerais les motifs relatifs à la question de la compé-
tence. La Règle 1618 [Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., ch. 663 (édictée par DORS/92-43, art. 19)]
prévoit qu'il n'y a pas de frais à l'occasion d'une
demande de contrôle judiciaire, à moins que la Cour
ne soit convaincue qu'il existe des raisons spéciales
d'accorder l'ordonnance. Bien que la présente
requête ait été rejetée en raison d'un retard excessif et
qu'à cet égard, l'intimé pourrait avoir droit aux
dépens, la requête autorisait bel et bien la Cour à cla-
rifier certains aspects relativement à sa compétence
sur ces questions et, en conséquence, je suis d'avis de
rejeter la requête sans frais pour le ministre des Tra-
vaux publics.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.