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[1970] R.C.É. FISHMAN v. LA REINE 785' [TRADUCTION] Fishman (Pétitionnaire) v. La Reine (Intimée) Le Juge NoelMontréal, 24 mars; Ottawa, 20 octobre 1970. PostesSuspension du service postal pour fraude présuméeOrdre prohibitif du ministre des PostesConfirmation par une commission de revisionDeux employés des postes membres de la commissionComposition de la commission contestée Acquittement d'une accusation criminelle pour la même infractionEst-il raison-nable de croire qu'il y a eu infraction?—Signification de l'=infraction.—Doit-on reviser la décision?—Loi sur les postes, S.R.C. 1952, c. 212, art. 7. Dans le cadre du commerce qu'elle faisait à Montréal, la pétitionnaire expédiait des circulaires par la poste à un grand nombre de personnes, offrant à la vente des films décrits comme «Un homme et une femme ensemble, Un homme et deux femmes ensemble, Deux femmes ensemble, Deux hommes ensemble, Une femme.. Les films envoyés étaient banals et plusieurs acheteurs se sont plaints au ministère des Postes d'avoir été trompés par la publicité. Sur ce, le ministre des Postes a rendu, en vertu de l'article 7(1) de la Loi sur les postes S.R.C. 1952, c. 212, un ordre prohibitif provisoire afin de suspendre le service postal à la pétitionnaire. Conformément à l'article 7(2), il a alors constitué une commission de revision composée d'un sous-ministre adjoint à la justice et de deux employés des postes. La pétitionnaire, représentée par son procureur, a témoigné devant la commission; celle-ci a déclaré d'après les circulaires déposées et les lettres des acheteurs, que la publicité de la pétitionnaire était intentionnellement trompeuse et qu'il y avait des motifs raisonnables de croire qu'elle tentait , de commettre et qu'elle avait commis des infractions aux articles 323 et 324 du Code criminel, à savoir, fraude et utilisation de la poste pour frauder. Sur recommandation de la commission, le ministre des Postes a rendu définitif l'ordre prohibitif provisoire. Par la suite, la pétitionnaire a été accusée au Québec pour les circulaires, d'après l'article 323 du Code criminel, mais la Couronne n'a présenté aucune preuve et l'accusation a été rejetée. Jugé: la pétition en annulation des ordres prohibitifs provisoire et final doit être rejetée. (1) Tel que l'exige l'article 7(1) de la Loi sur les postes, le ministre des Postes avait des motifs raisonnables de croire que les circonstances en l'espèce justifiaient son ordre prohibitif provisoire. Voir les arrêts: Associated Provincial Picture Houses v. Wednesbury Corp. [1948] 1. B.R. 223; Carltona v. Com'r. of Works [1943] 2 All E.R. 560. (2) La commission de revision a été validement constituée bien que deux membres aient été des subalternes du ministre des Postes. De plus, en témoignant devant la commission et en faisant des représentations par procureur sans protester, la pétitionnaire a renoncé à l'objection faite à la composition de la commission. Voir l'arrêt: Ghirardosi v. Minister of Highways for B.C. [1966] R.C.S. 367. (3) Le ministre des Postes avait le pouvoir en vertu de l'article 7 de la Lod sur les postes d'arrêter qu'il y avait des motifs raisonnables de croire qu'une per-sonne commettait ou tentait de commettre une «infraction , (ce qui comprend une infraction du Code criminel), et la cour ne révisera pas l'exercice de ce pouvoir s'il y avait effectivement une raison valable de l'exercer (Application de Nakkude Ali v. M.F. de S. Jayaratne, 66 T.L.R. 214). La preuve littérale soumise à la commission fournissait cette raison valable. L'acquittement de la pétitionnaire par un tribunal québécois d'une accusation portée en vertu de l'article 323 du Code criminel n'invalidait pas la décision du ministre des Postes rendue en vertu de l'article 7 de la Loi sur les postes. Application de Literary Recreations v. Sauvé and Murray, 58. C.C.C. 385.
[1970] R.C.É. FISHMAN v. LA REINE 787 PÉTITION de droit. J. P. Ste-Marie pour la pétitionnaire. P. 011ivier, c.r., pour l'intimée. LE JUGE NOEL:—La pétitionnaire, Mme Sandra Stober Fishman, exploite à Montréal, un commerce de films, photographies, cartes postales et livres, sous son propre nom et celui de S. P. Stober, au 1475, rue Notre-Daine, à Chomedey, et sous le nom de G. H. Blanchard et B. Bernard, au 1285, rue Hodge, à Ville St-Laurent; elle assure sa publicité par lettres (1,500,000 à l'en croire) qu'elle envoie par la poste à des personnes demeurant. au Canada et aux Etats-Unis, d'après des listes d'adresses qu'elle achète à cette fin. Ces lettres sont en tous points semblables à la Pièce E-7 dont le texte suit: [TRADUCTION] Cher ami, Je possède les films, les photos et les livres que vous cherchez à obtenir. J'ai tous les nouveaux originaux de Montréal (Québec). Le choix porte sur: 8 mm 200 pieds $35 HOMME ET FEMME EN ACTION UN HOMME ET DEUX FEMMES EN ACTION DEUX FEMMES EN ACTION DEUX HOMMES EN ACTION FEMME EN ACTION Les 16 mm 400 pieds ne sont fournis Même catégorie que les 8 mm, mêmes que sur demande, Films en couleur scénarios que ceux énumérés ci-des- 200 pieds $60. sus, disponibles en couleur. Livre illustré, couverture cartonnée, 200 pages environ, $20 Série de photos 5 $10 Format carte postale, série de 5 $15 Si vous désirez faire un choix sur échantillons seulement et obtenir votre numéro de commande, vous pouvez procéder de la manière suivante. Pour $10, vous avez droit à 3 bandes de mon film de 8 mm en blanc et noir, pour vous permettre de faire votre choix, plus 5 photos de partenaires mixtes. Vous recevrez en outre votre numéro de commande qui ne peut être cédé à une autre personne. Je donne suite d'ici à toutes les commandes que je reçois. Je suis convaincu que ceci répond à la plupart de vos questions. Je ne doute pas qu'après avoir lu la présente lettre vous n'aurez aucune hésitation à me faire parvenir une réponse. P.S. Prière de conserver la présente adresse. Pour les commandes de films, prière de joindre un supplément d'un dollar pour une livraison garantie par le service des messageries. Toutes les commandes doivent être envoyées à l'adresse suivante: S. P. STOBER 754, boulevard Labelle App. 106, Chomedy (Québec) Canada. N° DE TÉLÉPHONE: 688-3450 Je puis également disposer de films de Pin-up 200 pieds, blanc et noir, $20 Livres à reliure de cuirromans bien épicés—$5 REMARQUE SI VOUS VOULEZ VOIR VOTRE NOM SUPPRIME DE MA LISTE, VEUIL- LEZ ME RETOURNER L'ENVELOPPE CODÉE. 93532-15
[1970] R.C.É. FISHMAN v. LA REINE 789 En fait, les pièces et la preuve que le Ministre a examinées pour rendre son ordre prohibitif provisoire, interdisant la livraison de toute correspondance adressée 'à la pétitionnaire ou déposée par elle à un bureau de poste, comp-taient, en plus de la circulaire susmentionnée, trois autres circulaires. Trois d'entre elles débutaient ainsi: [TRADUCTION] Cher ami, Je possède les films, les photos et les livres que vous cherchez à obtenir. J'ai tous les nouveaux originaux de Montréal (Québec). La quatrième circulaire commence ainsi: [TRADUCTION] Cher membre, Maintenant que votre commande vous est bien parvenue, nous pouvons vous traiter comme un client privilégié. Il semblerait que cette circulaire précède l'achat de tout film complet puis-qu'elle suggère [TRADUCTION] «Commandez d'abord une bobine, il vous sera toujours possible de passer une autre commande par la suite». A la suite de l'envoi de ces lettres, le ministère des Postes a reçu plusieurs lettres de protestation émanant de certains des destinataires de ces circulaires, ainsi que de nombreuses lettres exprimant le courroux de certains de ceux qui avaient commandé les 'articles de la pétitionnaire et-qui étaient, à la réception, déçus de ne pas recevoir le produit épicé que, d'après leur réclamation, on leur avait laissé entrevoir, ou qu'ils croyaient s'y trouver. En fait ils ne contenaient que des banalités. En conséquence, le ministre des Postes a, le 17 juillet 1964, rendu un ordre prohibitif provisoire en vertu de l'article 7 de la Loi sur les postes, 1951, c. 57 [présentement S.R.C., 1952, c. 212]; par la suite, en 'application du même article, il a soumis l'affaire à une Commission de révision composée de MM. T. D. McDonald, J. N. Craig et R. A. Cathro. Cette Commission a siégé à Ottawa les 13 et 14 août 1964. Elle a jugé, sans toutefois aborder la question de savoir si ces films étaient obscènes au sens du Code criminel, que ces films (n') étaient [TRADUCTION] ...pas le genre de produit que les circulaires et les échantillons de films joints à ces dernières laissaient à dessein espérer aux destinataires. De l'avis de la Commission, les descriptions chomme et femme en action= etc...tendent évidemment à faire croire au lecteur que les films présentaient une situation extrême oh l'iaction= en question consistait en des rapports sexuels normaux, anormaux ou pervers. Compte tenu de toutes les pièces au dossier, la Commission est d'avis que le plan d'action de Sandra Stober Fishman était délibé-rément conçu pour amener les destinataires des circulaires à une telle interprétation et que ce plan visait essentiellement à obtenir des sommes d'argent par des moyens dolosifs. La Commission concluait alors: [TRADucTIoN] ...qu'il existe des motifs raisonnables de croire que Sandra Stober Fishman commet ou tente de-commettre, au moyen de la poste, des infractions
[1970] R.C.É. FISHMAN v. LA REINE 791 aux articles 323 et 324 du Code criminel' et la Commission recommande que l'ordre prohibitif provisoire rendu en vertu de l'article 7 de la Loi sur les postes soit transformé en ordre prohibitif définitif. Le 31 août 1964, le ministre des Postes, l'honorable John R. Nicholson, a envoyé à la pétitionnaire une lettre l'informant qu'il s'était rallié à la décision de la Commission et avait décidé de transformer l'ordre prohibitif provisoire en ordre prohibitif définitif; il l'avisait également que [raAoucrloN] ... En attendant l'issue des procédures que vous avez engagées le 6 juillet 1964 contre le ministère des Postes, le courrier intercepté en vertu de l'ordre prohibitif provisoire sera conservé. La pétitionnaire attaque les ordres provisoires et définitifs du ministre des Postes en se fondant sur le fait: a) que la preuve qu'il a prise en considération était insuffisante; b) qu'il n'a demandé aucune explication à la pétitionnaire avant de rendre l'ordre; c) que personne n'a vu ni interrogé l'unique plaignant dont le ministre des Postes a accueilli les déclarations et que le ministre des Postes a agi uniquement à partir d'une lettre dactylographiée, signée par un inconnu dont la signature n'a même' pas été vérifiée; d) que le ministre des Postes a rompu unilatéralement et sans avis préalable ni autorisation le contrat de services pour lequel la pétition-naire avait payé les postes canadiennes. Aux dires de la pétitionnaire, la décision de la Commission de révision devrait être annulée car: a) la Commission de révision a été constituée par le ministre des Postes, mis en cause à ce procès,2 qui a volontairement et sciemment nommé deux de ses subordonnés; b) cette méthode dénote un tel parti pris qu'elle en devient ipso facto illégale, nulle et non avenue; c) la Commission de révision aaccueilli une preuve illégale, malgré les protestations élevées par la pétitionnaire par l'intermédiaire de son avocat soussigné; d) nonobstant la requête présentée par la pétitionnaire, par l'intermé-diaire de son avocat, demandant l'application des règles de la Loi sur 1323. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement de dix ans, quiconque, par la supercherie, le mensonge ou d'autres moyens dolosifs, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, frustre le public ou toute personne, déterminée ou non, de quelque bien, argent ou valeur. (2) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement de dix ans, quiconque, par la supercherie, le mensonge ou d'autres moyens dolosifs, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, avec l'intention de frauder, influe sur la cote publique des stocks, actions, marchandises ou toute chose offerte en vente au public. 324. Est coupable d'un acte criminel et passible de deux ans d'emprisonnement, quiconque se sert de la poste pour transmettre ou livrer des lettres ou circulaires concernant des projets conçus ou formés pour leurrer ou frauder le public, ou dans le dessein d'obtenir de l'argent par de faux semblants. 2 Cette partie a été rayée du dossier par la suite, le 15 juin 1965, sur demande de l'intimée. 93532-16
11970] R.C.A. FISHMAN v. LA REINE 793 la preuve au Canada, la Commission de révision a accueilli en preuve des documents anonymes ou signés par des inconnus, de même que des pièces à conviction et des prétentions de fait sans que la péti-tionnaire ait eu la possibilité de procéder au contre-interrogatoire des auteurs de ces prétentions; e) la Commission de révision a conclu, sans droit ni preuve légale, que la pétitionnaire avait commis un crime; ces conclusions sont illégales, nulles et non avenues car, sous le régime des lois du Canada, seuls les tribunaux compétents peuvent ainsi condamner un particulier. La pétitionnaire prétend en outre que: a) la manière dont la Commission de révision a accueilli la preuve, l'illégalité de cette preuve, l'impossibilité pour la pétitionnaire de procéder au contre-interrogatoire des personnes qui ont apporté cette preuve, sont de nature à priver la Commission de révision de toute compétence et à rendre sa décision illégale, nulle et non avenue; b) la pétitionnaire, du fait du refus opposé par les parties intéressées, n'a pu obtenir copie de la décision de la Commission de révision et, par conséquent, elle se réserve le droit de modifier cette pétition et d'y inclure toutes les objections qui pourraient naître des termes et des prétentions contenus dans la décision de la Commission de révision lorsque cette décision sera mise à sa disposition; c) le ministre des Postes du Canada, M. John R. Nicholson, a fondé son ordre du 17 juillet 1964 sur la présomption et la prétention que la pétitionnaire avait commis un crime aux termes des articles 323 et 324 du Code criminel du Canada; d) le ministre des Postes du Canada savait qu'à l'époque il a rendu son ordre prohibitif provisoire, la pétitionnaire n'avait jamais été déclarée coupable d'un tel crime et que, de fait, une telle accusation n'avait jamais été portée contre elle; par conséquent, l'ordre du 17 juillet 1964 était illégal, nul et non avenu; e) comme il semble que la Commission de révision ait également pu juger que la pétitionnaire s'est rendue coupable d'un acte prohibé par les articles 323 et 324 du Code criminel du Canada, la pétitionnaire demande que la décision soit déclarée illégale, nulle et non avenue pour le motif, entre plusieurs autres, en fait et en droit, qu'une telle décision ne relève pas de la compétence de la Commission de révision. Par sa pétition, la pétitionnaire demande à la Cour d'annuler l'ordre provisoire du ministre des Postes, son ordre définitif et la décision de la Commission de révision et d'ordonner la restitution .à la pétitionnaire de tout le courrier intercepté, retenu et détenu sur l'ordre ou sur la demande de l'honorable John L. Nicholson (le ministre des Postes alors en fonction), de ses fonctionnaires, représentants, subordonnés et employés; d'ordonner, au cas ce courrier ne pourrait pas être restitué, que l'intimée soit condamnée à lui payer la somme de $100,000: d'ordonner enfin à l'intimée de payer à la pétitionnaire la somme de $25,000 pour couvrir le préjudice qu'elle a subi du fait des ordres et dés agissements du ministre des Postes. 93532-16}
[1970] R.C.Ê. FISHMAN v. LA REINE 795 Pour sa part, l'intimée prétend que l'ordre prohibitif provisoire rendu par le ministre des Postes, la constitution de la Commission de révision, l'enquête menée par cette dernière et ses recommandations au ministre des Postes, de même que l'ordre prohibitif définitif rendu par le ministre des Postes, étaient tous conformes aux dispositions de la Loi sur les Postes, S.R.C. 1952, c. 212, et qu'ils ne peuvent être déférés à cette Cour. L'intimée fait également valoir ce qui suit: a) sous réserve du paragraphe (2) de l'article 7 de la Loi sur les Postes, la nomination des membres de la Commission de révision relève de la seule discrétion du ministre des Postes et rien dans la Loi n'interdit ni ne fait obstacle à la nomination d'employés des postes comme membre de cette Commission de révision; b) à l'audience tenue par la Commission de révision, on a donné à la pétitionnaire et à son avocat l'occasion de comparaître, de pré-senter leurs observations et de soumettre leur preuve, le tout con-formément au paragraphe (3) de l'article 7 de la Loi sur les Postes; c) cette Commission de révision n'a d'autre fonction que de faire enquête sur les faits et circonstances qui entourent l'ordre prohibitif provisoire et de présenter un rapport, avec ses recommandations, au ministre des Postes; d) la Commission de révision avait le droit d'étudier toute preuve, orale ou écrite, dans la mesure elle l'estimait opportun; e) la Commission de révision n'a pas conclu, comme le prétend la péti-tionnaire, que cette dernière avait commis un acte criminel; ceci ressort des conclusions effectivement arrêtées par ladite Commission , de révision dont voici le texte: [TRADUCTION] En conséquence, la Commission arrive à la conclusion qu'il existe des motifs raisonnables de croire que Sandra Stober Fishman commet ou tente de commettre, au moyen de la poste, des infractions aux articles 323 et 324 du Code criminel et la Commission recommande que l'ordre prohibitif provisoire rendu en vertu de l'article 7 de la Loi sur les postes soit transformé en ordre prohibitif définitif. L'intimée prétend encore que: (1) Sur réception du rapport de la Commission de révision, le ministre des Postes pouvait, à sa seule et entière discrétion, révoquer ou rendre définitif son ordre prohibitif provisoire et que sa décision n'est pas susceptible d'être déférée à cette honorable Cour; de toutes façons, la pétitionnaire n'a invoqué aucun fait qui justifierait l'annulation par cette honorable Cour de l'ordre prohibitif définitif rendu par le ministre des Postes. (2) Ledit ordre prohibitif rendu par le ministre des Postes contre la pétitionnaire autorise pleinement le premier à détenir toute cor-respondance adressée à la seconde ou déposée par elle dans un bureau de poste, la détention de ce courrier étant légale à tous égards. (3) Il n'existait aucun contrat entre la pétitionnaire et Sa Majesté la Reine et les dommages-intérêts réclamés par la pétitionnaire ne sont fondés ni en fait ni en droit.
[1970] R.C.É. FISHMAN v. LA REINE 797 (4) La pétition de droit de la pétitionnaire n'est fondée ni en fait ni en droit et cette dernière n'a droit 'à aucune des réparations qu'elle prie la Cour de lui accorder dans sa pétition de droit. L'intimée conclut à ce qu'il plaise à la Cour de rejeter la pétition de la pétitionnaire. Conformément à l'exposé conjoint des faits, les parties reconnaissent que la pétitionnaire exploite le commerce décrit dans sa pétition, qu'elle a reçu notification de l'ordre provisoire par une lettre en date du 23 juillet 1964, qu'elle a demandé que l'ordre fasse l'objet d'une requête et qu'une Commission de révision a été formée, composée de M. T. D. McDonald, c.r., sous-ministre adjoint au ministère de la Justice, et de MM. G. S. McLachlan et R. A. Cathro, tous deux employés du ministère des Postes. Les parties recon-naissent également que la pétitionnaire a contesté, par l'intermédiaire de son avocat, la nomination à la Commission de M. G. S. McLachlan, M. J. N. Craig, employé au ministère des Postes, lui étant substitué. La Commission de révision a siégé à Ottawa le 11 août 1964, en présence de la pétitionnaire et de son avocat et la preuve a été consignée par écrit. On est parvenu à un accord sur les Pièces 1 à 78 et F-3 à F-14, y compris les documents et films qui ont été produits, à l'exception des Pièces 58 à 78 inclusivement F-3 à F-12 inclusivement qui ont été renvoyées au procureur de la pétitionnaire par lettre en date du 22 septembre 1964. Le 21 août 1964, la Commission de révision a présenté au ministre des Postes, conformément au paragraphe (6) de l'article 7, un rapport contenant ses recommandations; une copie de ce rapport et des documents auxquels il se réfère a été produite sous l 'a référence: Pièce F. Dans une lettre du 31 août 1964, le ministre des Postes a avisé la péti-tionnaire qu'il avait décidé de transformer l'ordre prohibitif provisoire rendu contre elle en un ordre définitif; une copie de cette lettre a été produite sous la référence: Pièce G. Les parties ont également précisé que, bien qu'elles se soient accordées sur l'exposé conjoint des faits, il est expressément entendu et convenu que l'exposé des faits et les pièces auxquelles il se réfère sont produits sous réserve de toute opposition quant à la pertinence ou l'admissibilité de tout ou partie desdits faits ou pièces. Il était également entendu que, bien que l'on ait laissé à la pétitionnaire la liberté de produire les Pièces 50 à 78 inclusive-ment et F-3 à F-12 inclusivement, le fait qu'elles n'aient pas été produites ne serait pas invoqué contre la défenderesse. Par la ,suite, les parties se sont accordées, en avril 1970, sur un exposé complémentaire des faits, que voici: 1. L'avocat de la pétitionnaire savait, dès le début de l'audience tenue par la Commission de révision, que les membres de cettte Commission, à l'exception de M. T. D. McDonald, étaient des employés du ministère des Postes; 2. Le 21 janvier 1969, la pétitionnaire était accusée de complot aux termes des articles 408 b) et 323 du Code criminel du Canada; une copie de cet acte d'accusation a été produite sous la référence: Pièce S-1; 3. La pétitionnaire a été arrêtée sur ce chef d'accusation le 6 novembre 1964, ou vers cette date;
[1970] R.C.A. FISHMAN v. LA REINE 799 4. La période couverte par cet acte d'accusation coïncide approximativement avec celle que mentionnent les Pièces A et G; 5. Les agissements qui motivaient ledit acte d'accusation étaient de ceux que recouvrent lesdites Pièces A et G, ou leur étaient semblables; 6. Les documents, images, livres, films ou autres objets qu'aux fins dudit acte d'accusation ou reproche à la pétitionnaire d'avoir utilisés, étaient les mômes que ceux que recouvrent lesdites Pièces A et G ou leur étaient identiques ou similaires; 7. Le ministère public n'a pas complété sa preuve, suite audit acte d'accusation et, en conséquence, il a été rapporté par une décision de M. le juge Albert Malouf, en date du 30 avril 1969; ceci ressort d'une copie du procès-verbal de ladite décision, produite sous la référence: Pièce S-2; 8. Le 14 avril 1965, le Grand Jury de la United States District Court (district de Vermont) a mis en accusation la pétitionnaire par «true bill of indictment=, dont copie a été versée au dossier sous la référence: Pièce S-3; 9. Le procès de la pétitionnaire, sur les chefs portés à ladite mise en accusation, a été entendu à Burlington, Vermont (É.-U.) ; 10. Par un jugement rendu le 19 mars 1970, le jury a déclaré la pétitionnaire non coupable des chefs d'inculpation retenus dans ladite mise en accusation. Ceci ressort de la décision judiciaire rendue là-bas, dont une copie, qui fait partie de ladite Pièce S-3, a été produite ici. Pour le moment, la question des dommages-intérêts et de la valeur des lettres reçues par la pétitionnaire et saisies n'est pas de notre propos, les parties ayant convenu que le seul, problème à résoudre à ce stade est celui de la validité des ordres prohibitifs interdisant la livraison de toute correspon-dance adressée à la pétitionnaire ou déposée par elle dans un bureau de poste. Je devrais ajouter qu'en vertu d'une ordonnance de la Cour, en date du 22 septembre 1964, sanctionnant le consentement des parties, toute la cor-respondance retenue en vertu des ordres prohibitifs a été confiée à la garde de la Cour. C'est dans le contexte qui vient d'être exposé que se situe la réclamation de la pétitionnaire contre la Couronne. Je vais traiter successivement des diverses attaques dirigées par l'avocat de la pétitionnaire, M. Jean-Paul Ste-Marie, contre (1) l'ordre prohibitif pro-visoire; (2) la nomination par le Ministre de MM. Cathro et Craig comme membres de la Commission de révision; (3) la décision de la Commission du 21 août 1964 et, finalement, (4) l'ordre prohibitif définitif rendu par le ministre des Postes le 2 septembre 1964. Le Ministre a rendu son ordre provisoire en vertu de l'article 7(1) qui se lit comme suit: 7. (1) Chaque fois que le ministre des Postes a des motifs raisonnables de croire qu'une personne, a) au moyen de la poste, (i) commet ou tente de commettre une infraction, ou (ii) aide, incite ou pousse une personne à commettre une infraction, ou, b) dans l'intention de commettre une infraction, emploie la poste pour at-teindre son but, le ministre des Postes peut rendre un ordre provisoire (dans le présent article appelé «ordre prohibitif provisoire)), interdisant la livraison de tout courrier adressé à cette personne (au présent article, appelée `personne en cause') 'ou déposé par cette personne à un bureau de poste.
[1970] R.C.E. FISHMAN v. LA REINE 801 L'article indique, clairement qu'avant de rendre l'ordre provisoire en question, le ministre des Postes doit avoir des motifs raisonnables de croire que cet ordre est bien fondé. Dans une lettre du 22 juillet 1964, adressée à la pétitionnaire, le ministre des Postes déclare: [TRADUCTION] «La preuve que j'ai en mains me fournit des motifs raisonnables de croire ...» L'avocat de la pétitionnaire soutient que la seule preuve dont disposait le ministre des Postes à l'époque est décrite dans une lettre que ce dernier a adressée à la Commission de révision le 7 août 1964 (Pièce 6) et se limite à ceci: une lettre circulaire émanant de S. P. Stober, une lettre circulaire de G. H. Blanchard, une lettre de Brian -Born Havlbk Kennedy (en réponse à une lettre circulaire de S. P. Stober, au sujet de l'achat d'un livre intitulé «Jane Mansfield's Wild, Wild World», livre qui lui était joint). Aucun de ces documents n'était signé; pas même la lettre adressée au Ministre par le, dénommé Brian -Born Havlbk Kennedy. Comme le ministre des Postes lui-même a déclaré s'être fondé sur ces seuls documents pour rendre l'ordre provisoire, l'avocat de la pétitionnaire soulève la question de savoir si ces documents étaient suffisants pour justifier la décision prise. Il prétend également que le Ministre a pris une décision hâtive, qu'il n'a pas agi en homme avisé ou, pour reprendre les termes qu'emploie le Code civil, en «bon père de famille». Il soutient finalement que l'ordre prohibitif provisoire rendu contre sa cliente doit être annulé, la décision du ministre des Postes étant basée sur des preuves insuffi-santes. La Loi ne précise pas quelle est la preuve nécessaire pour permettre au Ministre d'intervenir au moyen d'une ordonnance provisoire; compte tenu de la nature provisoire de la décision et du droit pour la personne touchée par cette dernière de la soumettre, dans un bref délai, à l'examen d'une Commission de révision (voir l'article 7(2) de la Loi sur les postes, 1951, c. 212) et compte tenu de la nécessité pour le ministre des Postes d'agir rapidement pour empêcher que la poste ne soit utilisée afin d'escroquer le public ou de se livrer à toute autre activité criminelle,3 le Ministre est, à mon avis, habilité à intervenir si de bonne foi il croit ou a des raisons de croire, à cause de certains faits portés à son attention, soit par écrit soit oralement, qu'une personne commet ou tente de commettre une infraction. Il me semble qu'à ce stade, il suffit que le Ministre ait des motifs raisonnables de croire que l'on tente de commettre une infraction, et c'est bien parce que tel était son sentiment que le Ministre a pris sa décision au vu des lettres circulaires de S. P. Stober et G. H. Blanchard et, comme il ressort de la Pièce 6, de: [TRADUCTION] «Une lettre de Brian-Born Havlok Kennedy, les circulaires qui s'y rapportent et la correspondance échangée avec S. P. Stober au sujet de l'achat d'un livre intitulé «Jane Mansfield's Wild, Wild World», joint à cette lettre La lettre circulaire émanant de Stober est reproduite au début de ces motifs et la circulaire de Blanchard est pour l'essentiel du même esprit. La 3 Voir La Reine c. Randolph et autres [1966] R.C.S. 260, le juge Cartwright.
[1970] R.C.É. FISHMAN v. LA REINE 803 lettre de Brian -Born Havlok Kennedy, en date du 5 juin 1964, qui porte au bas le nom susmentionné n'est toutefois pas signée. Elle se lit comme suit: [TRADUCTION] Monsieur le ministre des Postes Ottawa (Ontario) J'ai reçu, à titre de publicité, d'une dame ??? du Québec, la feuille ci-jointe sur laquelle est attachée mon récépissé d'envoi recommandé. J'ai commandé ce livre . . . pour lequel j'ai payé la somme de vingt dollars!!! $20 Je ne pouvais être plus indigné et furieux lorsque j'ai reçu le livre en question! Ce qui prouve que sa publicité est, ou était, une imposture! J'ai écrit à la compagnie qui distribue ce livre! et j'ai lu sa publicité: originaux produits à Montréal!! et 200 pages ETC...! Votre ministère fait-il quelque chose pour ce genre de fraude??? Je n'ai pas reçu un mot de cet escroc féminin du Québec en réponse aux nombreuses lettres que je lui ai écrites au sujet de cette imposture! Brian-Boni Havlok Kennedy 11831, 80 0 avenue North Surrey (C.-B.) Le 5 juin 1964 Bien que cette lettre ne soit pas signée, l'adresse complète de l'expéditeur qui y figure, jointe aux deux lettres circulaires, justifient à mon avis l'action du ministre des Postes prenant ces mesures provisoires. Bien que la matière dont il disposait fût maigre, elle était suffisante pour lui permettre de penser qu'il se commettait une infraction. De plus, il ne semble pas que sa décision ait été prise de mauvaise foi ou qu'elle soit si déraisonnable qu'aucune autorité raisonnable ne l'aurait jamais prise et comme c'est dans ce seul cas qu'un tribunal peut intervenir dans une situation semblable à celle de l'espèce (Voir Associated Provincial Picture Houses Wednesbury Corp .4 et Carltona Ltd. c. Commissioners of Works and others) 6, le premier moyen de la pétition-naire ne peut être retenu. Je devrais ajouter que l'ordre est simplement provi-soire et qu'il a par la suite été remplacé par un ordre prohibitif définitif qui, comme nous le verrons, n'est pas nécessairement, et n'a pas été, fondé sur la même preuve que l'ordre provisoire. La pétitionnaire conteste ensuite la nomination par le Ministre, comme membre de la Commission de révision, de MM. R. Cathro et J. N. Craig, deux employés relevant du ministre des Postes. Ces deux personnes ont été nommées en vertu de l'article 7(2) de la Loi sur les postes: 7. (2) Dans les cinq jours après l'établissement d'un ordre prohibitif provisoire, le ministre des Postes doit envoyer à la personne en cause, à sa dernière adresse connue, une lettre recommandée l'informant de l'ordre et des raisons invoquées et l'avisant qu'elle peut, dans les 10 jours de la date à laquelle la lettre recommandée a été envoyée, ou dans le délai prorogé que le ministre des Postes spécifie dans la lettre, demander que l'ordre fasse l'objet d'une enquête, et, sur réception, dans les 10 jours ou dans le délai prorogé, d'une requête écrite de la personne en cause, [ 1948] 1 B.R. 223, par Lord Greene M.R., à la page 230. 6 [1943] 2 All E.R. 560, à la page 546.
[1970] R.C.A. FISHMAN v. LA REINE 805 demandant que l'ordre soit l'objet d'une enquête, le ministre des Postes doit sou-mettre l'affaire, ainsi que la documentation et la preuve qu'il a considérées en rendant l'ordre, à une commission de révision composée de trois personnes par lui nommées, et dont l'une doit appartenir à la profession du droit. A l'origine, le ministre des Postes avait nommé comme membres de la Commission M. T. D. McDonald, c.r., et MM. McLachlan et Cathro. Comme la pétitionnaire s'opposait à la nomination de M. McLachlan, qui, suivant les informations reçues, avait participé à la décision du Ministre, il a été remplacé par M. J. N. Craig. L'avocat de la pétitionnaire fait également valoir que MM. Cathro et Craig sont aussi fonctionnaires du ministère des Postes et qu'on a fait appel à eux pour juger de la validité d'une décision prise par le ministre dont ils dépendent. Il soutient également qu'il ressort de la preuve que le Ministre a agi en se fondant sur les déclarations faites par les membres du ministère et sur les enquêtes qu'ils ont menées et que les deux employés membres de la Commission étaient appelés non seulement à juger les actes de leur propre ministère, mais également à examiner la procédure et les enquêtes de celui-ci. Cela constitue, aux dires de l'avocat de la pétitionnaire, un excès de pouvoir flagrant, suffisant pour conférer à la pétitionnaire le droit de demander que la nomination de ces deux personnes soit annulée et que la constitution de la Commission soit déclarée illégale et nulle. L'enquête menée par la Commission a été effectuée sous la direction de deux employés du ministère qui sont juridiquement sous le contrôle de leur ministre. Il est évidemment toujours tentant en pareil cas de soupçonner qu'ils vont le favoriser, qu'ils ne seront pas sans parti pris et, par conséquent, qu'ils seront partiaux. La situation est cependant quelque peu différente. Dans le cas présent un membre de la Commission, soit M. McDonald, juriste de profession, n'était pas un employé du ministère; différente également du fait que la Commission n'a pas limité ses investigations, ou la preuve, à la matière dont disposait le Ministre pour prendre la décision provisoire, mais est entrée dans d'autres considérations. Je ne voudrais pas que l'on pense que je déclare que la nomination d'employés du ministère concerné comme mem-bres d'un organisme appelé à examiner la décision prise par leur ministre doit être encouragée, ne serait-ce que pour la simple raisoncomme l'ont à plusieurs reprises déclarés nos tribunauxqu'il importe non seulement que justice soit faite, mais également qu'il apparaisse qu'elle a été faite. Je ne vois cependant rien dans la Loi qui oblige à nommer des membres extérieurs au ministère au sein duquel l'enquête est menée. Si une telle obligation n'existe pas, l'établissement de la Commission de révision, telle que constituée, ne peut pas être tenue pour illégale et, par conséquent, on doit accepter la validité de son autorité aux fins de la Loi. Il apparaît en effet que l'article 7(2) de la Loi établit simplement que le ministre des Postes doit nommer une Commission de révision «composée de trois teersonnes par lui nommées, et dont l'une doit appartenir à la profession du droit»; M. T. D. McDonald, c.r., à l'époque sous-ministre de la Justice, a été nommé afin de remplir la dernière condition. Un doute persiste toutefois quant à savoir si la décision de la Commission peut être réformée par cette Cour. Il se peut fort bien, quoique je ne tranche ~
[1970] R.C.É. FISHMAN v. LA REINE 807 pas la question ici, que, si la Commission exerçait des fonctions purement administratives (et chaque statut doit être examiné avec soin pour en décider), l'existence possible d'une opinion préconçue (i moins qu'il soit prouvé qu'elle a conduit à une conclusion manifestement erronée) n'affecte pas la compétence de ses membres. Dans le cas présent, la Commission de révision ne semble pas être une cour ou un tribunal. Elle n'est pas appelée à trancher un différend entre des parties. Elle ne rend pas une décision déter-minant les droits de quiconque, quoique, bien sûr, sa décision puisse en fin de compte affecter ces droits. Son seul but ou objet est d'enquêter sur certains faits, d'en faire rapport au Ministre et de lui présenter des recom-mandations qui, en fait, ne le lient même pas. Si telle est la situation, on ne peut exiger de façon stricte (bien que du point de vue judiciaire il serait plus convaincant de procéder ainsi) l'adhésion à la règle suivant laquelle les cours, tribunaux et arbitres doivent être indépendants des parties. Voir Re Township of York By-law:6 [TannucrtoN] La règle suivant laquelle aucune personne qu'un parti pris, de nature pécuniaire ou de toute autre nature, rend incapable d'agir en justice ne doit prendre part à aucune procédure judiciaire, règle posée par des arrêts tels que Frome United Breweries Co. c. Bath Justices [1926] A.C. 586 et Dimes c. Proprietors of the Grand Junction Canal (1852) 3 HL. Cas. 759 à la p. 793, 10 E.R. 301, ne doit pas être étendue à des fonctionnaires exerçant des fonctions purement adminis-tratives, en tant que distinctes de fonctions judiciaires. Un arbitre nommé en vertu des dispositions de l'article 7, Township of York Act, 1935 (Ont.), c. 100, et chargé d'estimer et de concilier des droits et des réclamations entre différentes parties d'une municipalité constituées en une seule zone de collection, n'a aucune fonction judiciaire; il est simplement chargé d'enquêter sur les circonstances et d'en faire rapport à l'Ontario Municipal Board, qui rend une ordonnance, mais qui n'est en aucune façon lié par le rapport de l'arbitre. Par conséquent, un tel arbitre n'est pas frappé d'incapacité en raison de sa qualité de contribuable dans l'une des parties en question de la municipalité. L'attaque de la pétitionnaire contre les membres de la Commission au motif qu'ils pourraient être de parti-pris doit également être rejetée dans la mesure , bien qu'employés du ministère des Postes, ils n'avaient aucun intérêt dans l'affaire et qu'on doit par conséquent présumer qu'ils se sont acquittés de leurs fonctions de manière indépendante. De fait, il n'y a aucune preuve d'un quelconque parti-pris dans le cours de la procédure qui s'est déroulée devant la Commission, pas plus que dans l'attitude de ses membres durant l'audience. Il y a enfin un autre motif pour rejeter l'attaque de la pétitionnaire visant la nomination des deux employés du ministère. Même si elle avait pu s'op-poser à leur nomination à la Commission avant qu'ils n'y siègent, comme elle l'a fait pour M. McLachlan, on doit estimer qu'elle a accepté leur nomination et leur droit d'agir comme membres de la Commission, puisqu'elle savait avant l'audience que ces deux membres étaient employés du ministère et qu'elle a assisté aux séances de la Commission, témoigné et présenté des observations par l'intermédiaire de son avocat, sans élever de protestations. Voir de Smith Judicial Review of Administrative Action, page 260: [TRADUCTION] Une partie peut renoncer à s'opposer à ce que des personnes sujettes à ces incapacités rendent le jugement. On estime généralement qu'il y a renonciation 6 [1942] O.R. 582.
[1970] R.C.É. FISHMAN v. LA REINE 809 à l'objection si la partie ou son avocat avait connaissance de l'incapacité et l'a acceptée au cours du procès en ne faisant pas objection à la première occasion. Voir Ghirardosi c. Minister of Highways for B.C.7 le juge Cartwright déclare, à la page 372: [TRAnucTioN] Il ne fait aucun doute qu'en général, une sentence arbitrale ne sera pas rejetée si les circonstances avancées pour prouver l'incapacité d'un arbitre étaient connues des deux parties avant le début de l'arbitrage et que la procédure s'est poursuivie sans qu'il y soit fait objection. J'en viens maintenant à la troisième attaque de la pétitionnaire, portée contre l'ordre prohibitif définitif du Ministre rendant définitif son ordre provisoire à la suite du rapport présenté par la Commission de révision et confirmant la conclusion de cette dernière, selon laquelle il avait des motifs raisonnables de croire que la pétitionnaire s'était servie de la poste pour commettre ou tenter de commettre une infraction contrevenant aux dispositions des articles 323 et 324 du Code criminel. La conclusion de la Commission est formulée comme suit: [TRADUCTION] En conséquence, la Commission arrive à la conclusion qu'il existe des motifs raisonnables de croire que Sandra Stober Fishman commet ou tente de commettre, au moyen de la poste, des infractions aux articles 323 et 324 du Code criminel et la Commission recommande que l'ordre prohibitif provisoire rendu en vertu de l'article 7 de la Loi sur les postes soit transformé en ordre prohibitif définitif. La pétitionnaire demande, par l'intermédiaire de son avocat, l'annulation de l'ordre définitif pour les motifs suivants: a) La Loi sur les postes n'autorise ni le Ministre ni la Commission de révision à vérifier ou à enquêter pour savoir si la pétitionnaire a commis ou tenté de commettre des infractions prévues au Code criminel; b) ni le Ministre ni la Commission de révision n'ont le droit ou le pouvoir de conclure que la pétitionnaire a commis une infraction au Code criminel; c) même si le Ministre ou la Commission de révision avait ce droit ou ce pouvoir, la preuve révèle que la pétitionnaire n'avait pas commis d'infraction au Code criminel. L'avocat de la pétitionnaire fait remarquer que, bien qu'en vertu des paragraphes (2) , (3) et (4) de l'article 7 la Loi sur les postes, la Commission de révision doive faire enquête sur les faits et circonstances qui entourent l'ordre prohibitif provisoire et puisse étudier toute autre preuve, orale ou écrite, qu'elle juge appropriée, cette Commission ne peut dépasser les limites de la compétence conférée au Ministre. L'article 7(1) de la Loi établit que le ministre des Postes peut rendre un ordre prohibitif provisoire chaque fois qu'il a des motifs raisonnables de croire qu'une personne, au moyen de la poste, commet ou tente de commettre une infraction. Le point important, selon l'avocat de la pétitionnaire, est la signification du terme «infraction» et la question de savoir s'il comprend toutes les infractions men-tionnées au Code criminel. 7 [1966] R.C.S. 367.
[1970] R.C.E. FISHMAN v. LA REINE 811 La Loi sur les postes ne définit pas le terme «infraction». Toutefois, immédiatement avant l'article 55 de la Loi, on trouve le titre «Infractions et peines» et l'avocat de la pétitionnaire prétend qu'il est clair que les articles 55 à 72 précisent les actes constituant des infractions aux termes de la Loi. Il fait également remarquer que les articles 55 à 66 déterminent quels sont les actes criminels tandis que les articles 66 à 72 traitent des actes ne con-stituant que de simples infractions en vertu de la Loi sur les postes. Les actes imputés à la pétitionnaire ne sont pas inclus dans la description précédente. La différence entre un acte criminel et une infraction à la Loi est précisée à l'article 73 de la Loi, qui fixe les diverses peines. Si l'on en croit Me Ste-Marie, l'article 7 autorise le Ministre à interdire l'usage de la poste à une personne coupable d'une infraction; il n'y est toutefois pas question, déclare-t-il, d'un acte criminel. Pour justifier la position prise par le Ministre et la Commission de révision dans la présente affaire, on devrait accepter que le terme «infraction» ait une signification à l'article 7 et une autre aux articles 66 à 72, ce qui serait inacceptable, de l'avis de l'avocat de la pétitionnaire. Le terme «infraction» n'est défini ni dans la Loi d'interprétation, S.R.C. 1952, c. 158, ni dans le Code criminel et l'avocat de la pétitionnaire prétend qu'il est clair que le Code criminel considère comme une «infraction» tout acte contrevenant à un de ses articles; dans le Code criminel également, un tel acte est considéré comme une infraction ou un acte criminel selon l'importance de la peine, le choix de la procédure incombant, le cas échéant, au procureur. II s'agit de déterminer si le terme «infraction», dans la Loi sur les postes, a l'a même signification que le terme «infraction» au Code criminel. De l'avis de Me Ste-Marie, ceci semble impossible dans la mesure il n'existe aucun texte permettant une telle interprétation. L'article 3, paragraphe (5) du Code criminel précise que: Lorsqu'une infraction visée par la présente loi se rattache à un sujet traité dans une autre loi, les mots et expressions employés aux présentes, à l'égard de cette infraction, ont, sous réserve de la présente loi, la signification que leur attribue cette autre loi. L'avocat de la pétitionnaire prétend que pour que le terme «infraction», tel qu'il figure dans la Loi sur les postes, ait la même signification que dans le Code criminel, la Loi sur les postes devrait comporter une disposition le spéci-fiant expressément et qu'en l'absence d'une telle disposition, la signification que la Loi sur les postes attribue au terme «infraction» ne peut être étendue pour comprendre celle du Code criminel. Il en conclut dès lors que le Minis-tre et la Commission de révision n'étaient pas compétents pour faire enquête et déterminer si la pétitionnaire avait commis ou tenté de commettre un acte criminel. Si, d'autre part, la Cour rejette cet argument et soutient que le terme «infraction» employé à l'article 7 de la Loi sur les postes couvre les infractions citées au Code criminel, l'ordre prohibitif définitif du Ministre devrait, toujours selon Me Ste-Marie, être annulé parce que le Ministre n'avait ni le pouvoir ni la compétence de rendre une telle décision. 93532-17
[1970] R.C.É. FISHMAN v. LA REINE 813 L'avocat de la pétitionnaire a passé en revue la procédure suivie par le Ministre dans la présente affaire, c'est-à-dire la réception par le Ministre d'une plainte et la preuve que la pétitionnaire était coupable d'une infraction visée par l'article 323 du Code criminel; l'acceptation par le Ministre de la preuve et sa déclaration qu'il avait des motifs raisonnables de croire qu'une infraction avait été commise; le refus de la pétitionnaire d'admettre la vali-dité de la décision du Ministre et sa demande de révision de la décision par une Commission; l'établissement d'une Commission de révision afin d'étudier la preuve sur laquelle le Ministre a fondé sa décision et toute autre preuve qu'elle juge appropriée; la décision de la Commission confirmant la décision du Ministre; le droit du Ministre de confirmer la décision de la Commission ou de l'annuler, même si cette mesure peut avoir pour conséquence d'annuler son propre ordre prohibitif provisoire. L'avocat de la pétitionnaire en conclut que nous nous trouvons en présence d'un simulacre de procès, entendu par une Commission de révision et jugé par un fonctionnaire de l'État plutôt que par un tribunal de droit commun. Il déclare qu'on ne peut faire objection à cette procédure si le terme «infraction» a le sens restreint qu'il a mentionné dans sa première proposition. Toutefois, si le terme «infraction» dans la Loi sur les postes comprend les «infractions» visées par le Code criminel, la procédure est illégale car elle excède les pouvoirs d'un Ministre ou d'une Commission de révision. L'avocat de la pétitionnaire se réfère ensuite à l'article 28 de la Loi d'in-terprétation, S.R.C. 1952, c. 1588 que voici: 28. (1) Toutes les lois doivent se lire et s'interpréter comme si une infraction, pour laquelle le délinquant a) peut être poursuivi par voie de mise en accusation, sous quelque désigna-tion que cette infraction y soit décrite ou mentionnée, était décrite ou mentionnée comme étant un acte criminel; b) est punissable après déclaration sommaire de culpabilité, était décrite ou mentionnée comme étant une infraction; et toutes les dispositions du Code criminel relatives aux actes criminels ou aux infractions, suivant le cas, s'appliquent à toutes ces infractions. (2) Toute commission ou proclamation, tout mandat ou autre document relatif à la procédure criminelle, dans lequel des infractions qui sont actes criminels ou infractions, suivant le cas, sont décrites ou mentionnées sous un - nom quelconque, doivent se lire et s'interpréter comme si ces infractions y étaient décrites et men-tionnées comme étant des actes criminels ou des infractions, suivant le cas. D'après la plaidoirie de la pétitionnaire, lorsque l'on juge que l'infraction dont elle est accusée est d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction définie à l'article 323 du Code criminel, on traite d'une infraction décrite et mentionnée comme étant «un acte criminel ou une infraction» et dès lors toutes les dispositions du Code criminel doivent s'y appliquer. L'avocat de la pétitionnaire conclut alors que, dans un tel cas, seul un tribunal de droit com-mun a le droit d'entendre la preuve et de juger si la pétitionnaire a commis ou tenté de commettre une fraude criminelle. Il s'ensuit donc, toujours selon Me Ste-Marie, que ni le Ministre ni la Commission de révision n'avaient le pouvoir ou la compétence nécessaire pour décider que la pétitionnaire était coupable 'Le chapitre 158 est à présent remplacé par le chapitre 7 des Statuts du Canada 1967, et l'article 28 a été modifié et remplacé par l'article 27 de la nouvelle Loi. 93532-171
[1970] R.C.E. FISHMAN v. LA REINE 815 d'une telle infraction. Afin de prouver le bien fondé de sa position, l'avocat fait remarquer que pour décider que la pétitionnaire était coupable d'une infraction visée par le Code criminel, le ministre des Postes avait le droit de se fonder uniquement sur une conviction raisonnable alors qu'aux termes du Code criminel, l'accusé doit être reconnu coupable hors de tout doute raison-nable. Une telle différence, déclare-t-il, devrait suffire à corroborer son in-terprétation de la Loi. Il prétend en outre qu'une personne ne doit pas être punie plus d'une fois pour la même infraction et soutient même que la décision du Ministre d'in-terdire à la pétitionnaire l'usage de la poste autoriserait celle-ci à obtenir le rejet de l'accusation criminelle portée contre elle pour la même infraction. Il conclut alors qu'il est inadmissible et illégal de donner à l'article 7 de la Loi sur les postes une signification qui autoriserait le Ministre à décider de la culpabilité de la pétitionnaire en vertu du Code criminel. 11 est d'avis que, si le terme «infraction» dans la Loi comprend les infractions citées au Code criminel et si le Ministre et la Commission de révi-sion ont le droit de déclarer qu'aux fins de la Loi la pétitionnaire est coupable d'une infraction visée par le Code criminel, il doit exister, à son avis, suffisam-ment de preuves pour justifier une telle décision. Or, selon lui, les preuves fournies dans le cas présent ne suffisent pas. Il prétend que le Ministre a rendu l'ordre prohibitif provisoire en se fondant sur trois documents seule-ment, deux lettres circulaires et une lettre dactylographiée non signée, lettre adressée au Ministre par un des électeurs de son comté. De l'avis de M8 Ste-Marie, cette preuve ne suffit pas à justifier un ordre qui entraîne des consé-quences aussi graves pour la pétitionnaire. Comme nous l'avons vu une autre preuve a été produite devant la Commission de révision; elle comprenait un certain nombre de lettres et documents pris au hasard dans les nombreuses lettres saisies par le service postal après la signification de l'ordre provisoire. L'avocat de la pétitionnaire fait remarquer que sa cliente n'a jamais nié être l'auteur ou être le responsable des documents provenant de son organisation. Elle s'est toutefois, par l'intermédiaire de son avocat, opposée à la production devant la Commission de révision d'un certain, nombre de documents, dont certains contenaient des accusations portées par des tiers qu'elle n'avait pas le droit ou l'occasion de soumettre à un contre-interrogatoire. Le paragraphe (4) de l'article 7 de la Loi sur les postes donne à la Commission de révision tous les pouvoirs d'un commissaire aux termes de la Partie I de la Loi concernant les enquêtes relatives aux affaires publiques et aux départements S.R.C. 1952, c. 154. L'article 4 de cette Loi porte que les commissaires ont le pouvoir d'assigner devant eux tout témoin, et de lui enjoindre de rendre témoignage sous serment, ou par affirmation solennelle et de produire les documents et choses qu'ils jugent nécessaires en vue d'une complète investigation des questions qu'ils sont chargés d'examiner. Bien que la Commission de révision ait eu le pouvoir d'assigner des témoins à comparaître, l'avocat de la pétitionnaire fait remarquer que per-sonne n'a été cité devant la Commission et que personne n'a donc déclaré avoir été escroqué ou avoir versé de l'argent en raison des déclarations frau-duleuses de la pétitionnaire.
[1970] R.C.É. FISHMAN v. LA REINE 817 Selon la pétitionnaire, il découle de la preuve produite devant la Commission que: a) un certain nombre de personnes se sont plaintes que les articles mis en vente par la pétitionnaire ne valaient pas le prix qui en était de-mandé, et b) d'autres , personnes se sont plaintes, croyant qu'on leur offrait des articles pornographiques, d'avoir été déçues et déclarent avoir été escroquées en recevant des articles qui n'étaient pas pornographiques. De l'avis de Me Ste-Marie, la première plainte disparaît immédiatement si l'on considère que la pétitionnaire a accompagné ses offres de vente d'é-chantillons ou a donné une description suffisamment claire pour permettre à l'acheteur éventuel d'apprécier ce qu'il allait acheter. Par exemple, dans le cas de la biographie de Jane Mansfield, l'acheteur éventuel savait ou aurait dfi savoir que le même livre était disponible à bon marché dans une édition de poche; toutefois dans le cas présent, le prix était élevé mais le livre était mis en vente avec une reliure rigide. L'avocat de la pétitionnaire a fait égale-ment remarquer que ceci s'applique aussi aux livres importés d'Europe. II n'existe, déclare-t-il, aucune législation établissant quelle devrait être la marge de profit ou précisant qu'au-delà d'une certaine limite, un bénéfice exorbitant devient une fraude. Il prétend également que ceux qui se plaignent de ne pas avoir reçu les articles pornographiques qu'ils attendaient ou avaient com-mandés, ne peuvent pas prétendre avoir été escroqués. En croyant négocier des articles pornographiques, ils commettaient eux-mêmes un acte criminel. Comme ils se fondent sur leur propre agissement illégal, ils ne peuvent faire appel à la justice sans avoir «les mains propres» en vertu du principe: ex turpi causa non oritur actio. L'avocat de la pétitionnaire prétend enfin que les preuves n'ont pas été produites en nombre suffisant devant le Ministre et devant la Commission, même si on attribue au terme «preuves» la signification de «motifs raison-nables», pour juger que la pétitionnaire était coupable d'avoir commis ou tenté de commettre une fraude criminelle. Il soutient que les deux accusations portées contre elle, l'une au Canada et l'autre aux États-Unis, appuient cet argument. Le 6 novembre 1964, la pétitionnaire a été effectivement ar-rêtée 'avec son mari, sa belle-soeur et son beau-frère, et accusée d'avoir com-mis une fraude d'une valeur de $75,000 portant atteinte au public. L'avocat prétend que cette prétendue fraude, ainsi qu'il appert dans «l'exposé com-plémentaire des faits», aurait été commise au cours de la période è, laquelle s'applique la décision rendue dans la présente affaire; les plaintes ont été formulées à l'égard des mêmes actes ou d'actes semblables à ceux que le Ministre et la Commission de révision avaient examinés et les documents étaient eux aussi identiques. En bref, une accusation de fraude a été portée contre la pétitionnaire en vertu du Code criminel dans le but de la faire juger coupable des mêmes actes criminels que ceux examinés par le Ministre. Cette accusation a été portée devant la Cour des sessions à Montréal et a fait l'objet d'une enquête préliminaire assez longue (30 jours environ). La Couronne a toutefois déclaré lors du procès qu'elle ne pouvait faire sa preuve et que, par conséquent, la pétitionnaire était déchargée de l'accusation.
[1970] R.C.É. FISHMAN v. LA REINE 819 L'avocat de la pétitionnaire déclare donc qu'il faut conclure que bien que la Couronne n'ait pu prouver la culpabilité de la pétitionnaire, le Minis-tre et la Commission de révision concluaient néanmoins à cette culpabilité. Le 14 avril 1965, un grand jury des États-Unis, siégeant dans un district de l'État du Vermont, a accusé la pétitionnaire (voir Pièce S-3), d'utiliser le service des postes canadiennes et américaines dans le but de vendre des documents pornographiques. Elle a été, cette fois aussi, acquittée le 17 mars 1970, comme cela ressort du paragraphe 10 de l'exposé conjoint des faits après modifications. La période à l'étude dans l'affaire ci-dessus porte égale-ment sur la période examinée par le Ministre et la Commission de révision dans la présente affaire et les documents produits ou utilisés sont identiques à ceux qui ont été examinés par le Ministre et la Commission. L'avocat soutient que si le Ministre ou la Commission de révision avaient disposé de tous les éléments de preuve réunis par les différentes forces de police et produits devant la Cour des sessions à Montréal, ils auraient eux aussi rendu une décision favorable à la pétitionnaire et il prétend que ces deux acquittements constituent la preuve irréfutable que le Ministre et la Commission ont fait erreur dans leur appréciation de la culpabilité de la pétitionnaire. En outre, il appert que la seule conclusion juste et raisonnable à laquelle on puisse arriver dans cette affaire est que, compte tenu de la situation semblable et du fait que les mêmes personnes sont impliquées, l'acquittement de la pétitionnaire par la Cour des sessions indique nécessaire-ment la nullité ab initio des ordres provisoires et définitifs. L'avocat suggère alors que si la Cour juge que la requête de la pétition-naire , est bien fondée, il est demandé à la Cour de renvoyer l'affaire à un fonctionnaire compétent de la Cour pour fixer les dommages-intérêts de la pétitionnaire. Je vais tout d'abord traiter de l'obligation de la pétitionnaire selon la-quelle la Loi sur les postes n'autorise pas le Ministre ou la Commission de révision à faire une enquête et à décider qu'elle a commis ou tenté de com-mettre des infractions aux termes du Code criminel. La Loi sur les postes ne contient aucune définition du terme «infraction» que l'on trouve à l'article 7 de la Loi. Nous devons dès lors attribuer à ce terme sa signification habitu-elle dans le langage courant, en tenant compte de l'esprit de la législation et de l'objectif poursuivi par le Parlement, et il ressort de la lecture de l'article pertinent que ce dernier est destiné à empêcher l'usage de la poste à des fins illégales. Cet objectif est évidemment très large et, à mon avis, le terme «infraction» doit comprendre toute violation de la loi, ce qui vise, évidemment, les infractions au Code criminel punissables par déclaration sommaire de culpabilité et par mise en accusation. Précisément les articles 55 à 66 de la Loi sur les postes indiquent clairement que le terme «infraction» a été utilisé dans ce sens, étant donné que tous ceux qui commettent une infraction visée dans ces articles sont réputés coupables d'un acte criminel et ceux qui com-mettent une infraction mentionnée aux articles 67 à 72 ne sont coupables que d'une infraction. The Dictionary of English Law de Jowitt indique à la page 1260 que le terme «infraction» a un sens très large et embrasse tout ce pour quoi un
[1970] R.C.É. FISHMAN v. LA REINE 821 tribunal peut infliger une peine. Il couvre dès lors toutes les infractions au Code criminel. Le terme «infraction» peut, dans certains cas, avoir une signification restreinte particulière en raison de l'article 27(1) b) 9 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1967, c. 7, mais ceci ne s'applique que lorsqu'un texte législatif crée une infraction. Dans tous les autres cas, il faut donner au terme «infraction» sasignification ordinaire. Si un doute devait subsister quant à savoir si le terme «infraction» figurant à l'article 7 de la Loi sur les postes est bien utilisé au sens large, ce doute devrait se dissiper lorsque l'on constate que tel est effectivement le cas puisque l'expression «en vertu de cette Loi» ne figure pas audit article alors qu'elle figure aux articles 68, 69, 70, 71 et 72, qui créent des «infractions» et qui sont dès lors limités aux termes utilisés dans ces articles. L'article 73 (2) de la Loi sur les postes établit, lui aussi, que seules les «infractions visées par la présente loi» sont punissables sur déclaration sommaire de culpabilité. Dans l'article 7, au contraire, nous traitons de toutes les catégories dinfractions». II s'ensuit donc que l'interprétation restrictive du terme «infraction» donnée par l'avocat de la pétitionnaire ne peut être acceptée. De fait, si les infractions visées à l'article 7 n'étaient limitées qu'aux infractions visées par la Loi sur les postes, cet article serait sans effet puisque l'examen de ces infractions révèle qu'il est impossible de se servir de la poste pour commettre l'une des infractions visées aux articles 67 à 72 de la Loi. Cela signifierait également que le Parlement a autorisé le Ministre A poursuivre ceux qui se servent de la poste pour commettre des infractions mineures mais ne l'a pas autorisé à interdire l'usage de la poste à ceux qui s'en servent dans le but de commettre une fraude ou des actes criminels. A mon avis, un tel résultat n'était pas escompté et ne pouvait l'être puisque l'article 7 de la Loi a pour but d'interdire l'usage de la poste dans le but d'escroquer le public ou de livrer à une autre activité criminelle. Voir La Reine c. Randolph'°. Le second point défendu par l'avocat de la pétitionnaire, c'est-à-dire que le ministre des Postes et la Commission de révision n'avaient ni le droit ni le pouvoir de décider que la pétitionnaire avait commis une infraction aux termes du Code criminel, n'est à mon avis pas fondé. La procédure suivie par le Ministre, après que la Commission de révision ait fait une enquête sur la question, et qui l'a conduit à adopter la conclusion de la Commission selon laquelle il existait des motifs raisonnables de croire que la pétitionnaire avait commis ou tenté de commettre une infraction aux articles 323 et 324 du Code criminel, n'a pas pour but de conclure que la pétitionnaire est coupable d'une infraction, mais de s'acquitter d'une responsabilité publique prévue par l'article 7 de la Loi sur les postes, en interdisant l'usage de la poste à des fins illégales. En d'autres termes, le Ministre ne s'est pas arrogé des droits qui font partie du domaine réservé des tribunaux de droit commun en matière B 27. (1) Quand un texte législatif crée une infraction. * * * b) l'infraction est réputée une infraction pour laquelle le contrevenant est punissable sur déclaration sommaire de culpabilité si rien dans le contexte n'indique que l'infraction est un acte criminel, et 1° (1966) R.C.S. 260.
[1970] R.C.É. FISHMAN v. LA REINE 823 criminelle, mais s'est simplement acquitté d'une obligation légale de protéger le public s'il «a des motifs raisonnables de croire» qu'une personne «au moyen de la poste, commet ou tente de commettre une infraction». L'avocat de la pétitionnaire confond ici, comme l'a fait remarquer l'avocat de l'intimée, une accusation criminelle avec une décision administrative qui ne donne pas lieu à l'emprisonnement ou à une amende, mais qui lui interdit l'usage de la poste et peut aller jusqu'à la saisie de tout son courrier et des objets qui lui sont envoyés par la poste. Je vais maintenant considérer l'argument de la pétitionnaire selon lequel, même si le ministre des Postes et la Commission de révision avaient le pouvoir et le droit de décider que la pétitionnaire a commis une infraction au Code criminel, les preuves indiquent qu'elle n'a pas commis une telle infraction. L'avocat de l'intimée soutient ici que la Cour ne devrait pas chercher à déterminer si les preuves suffisent à établir que la pétitionnaire a commis des infractions et qu'elle ne peut entendre un appel de la décision rendue par le Ministre; elle ne devrait pas non plus chercher à établir s'il avait rendu une décision juste, étant donné que la seule question à trancher n'est pas d'établir si la pétitionnaire a commis ou non une infraction, mais plutôt si la décision prise par le ministre des Postes était conforme à la Loi. Ceci découle de la lecture de l'article 7(6) de la Loi sur les postes qui édicte que, sur réception du rapport de la Commission, le ministre des Postes «peut révoquer» son ordre prohibitif provisoire «ou le déclarer ordre pro-hibitif définitif, selon qu'il le juge opportun». Le Ministre a donc le pouvoir discrétionnaire de trancher la question «selon qu'il le juge opportun» et, à moins que la pétitionnaire puisse établir que le Ministre a agi de mauvaise foi en rendant sa décision ou qu'il l'a rendue alors qu'il ne disposait pas de preuves suffisantes lui permettant de croire que la pétitionnaire utilisait la poste pour commettre ou tenter de commettre une infraction, ou bien qu'il avait pris en considération des questions sans rapport avec la décision qu'il devait rendre, ou encore qu'il avait négligé d'examiner certains éléments essentiels de preuve ou, enfin, en raison de certains autres défauts ou omissions importants dans la procédure menant à la décision, cette décision ne devrait pas être annulée. Les tribunaux ne devraient jamais perdre leur droit traditionnel d'inciter l'administration à juger des affaires qu'elle est appelée à trancher de manière équitable et en ayant recours à une juste procédure, mais les cas dans lesquels les tribunaux peuvent intervenir dans l'exercice de pouvoirs discrétionnaires sont bien connus et, à moins que l'une des conditions mentionnées ci-dessus ne soit remplie, ils ne devraient pas intervenir. De fait, nos cours ont toujours rejeté l'idée de vérifier «le caractère raisonnable» de l'exercice par un ministre de sa discrétion s'il avait, effectivement, un motif raisonnable de l'exercer de cette manière. Dans l'affaire Nakkuda Ali c. M. F. de S. Jayaratnel' Lord Radcliffe traite, à la page 218, de la signification des termes «a des motifs raisonnables 1166 T.L.R. 214.
[1970] R.C.A. FISHMAN s. LA REINE 825 de croire», identiques aux termes qui régissaient la mesure prise par le ministre des Postes en vertu de l'article 7(1) de la Loi sur les postes. II déclarait: [zztnnucTTON] Il serait impossible d'examiner la signification des termes «lorsque le contrôleur a des motifs raisonnables de croire ...» sans tenir compte de la décision rendue par la Chambre des Lords dans l'affaire Liversidge c. Anderson (58 The Times 34; [1942] A.C. 206). Cette décision portait sur une demande de dommages-intérêts pour séquestration arbitraire, détention qui avait été décidée par ordonnance du ministre de l'Intérieur en vertu de The Defence (General) Regulations, 1939, règlement 18B, du Royaume Uni. Il ne s'agissait pas d'une affaire qui portait directement sur le pouvoir de la Cour de délivrer un bref de certiorari au ministre de l'Intérieur pour la mesure qu'il avait prise en vertu de ce règlement; toutefois, elle mettait directement en question la signification des termes «si le ministre de l'Intérieur a un motif raisonnable de croire qu'une personne est d'origine ennemie ou fait partie d'associations ennemies ...» qui apparaissent au début du règlement en cause. Et la Chambre des Lords a décidé à la majorité que dans ce contexte ces termes signifiaient tout simplement que le Ministre devait, de bonne foi, supposer qu'il avait un motif raisonnable de croire que la condition requise avait été remplie. Ainsi donc, en présumant la bonne foi, la personne qui rend l'ordonnance semble être le seul juge possible des conditions de sa propre compétence. et à la page 219, Lord Radcliffe ajoutait: [rxnnuczioN] ... Ceci constitue un précédent au principe selon lequel les termes =si A.B. a un motif raisonnable de croire» peuvent signifier «si A.B. pense de bonne foi qu'il a un motif raisonnable de croire» et qu'ils avaient effectivement cette signification dans le contexte et les circonstances du règlement 18B des «Defence Regulations». Toutefois, le fait que la majorité de la Chambre des Lords ait étudié de façon approfondie le contexte et les circonstances avant d'adop-ter cette interprétation, prouve qu'il n'existe pas de règle générale visant cette interprétation particulière; et les motifs dissidents de Lord Atkin servent au moins à rappeler les nombreuses occasions ces termes ont été pris dans le sens «qu'il existe effectivement un motif raisonnable pour A.B. de la croire». Après avoir examiné les preuves de la Commission de révision, les diverses pièces, documents, lettres de réclamation et autre correspondance produite, je ne peux affirmer que le ministre des Postes, même si aucun plaignant n'a été cité devant la Commission, n'avait pas effectivement un motif raisonnable de croire que la pétitionnaire avait commis ou tenté de commettre des infractions aux articles 323 et 324 du Code criminel. Il y avait certainement matière pour permettre à un homme raisonnable de conclure que la pétitionnaire s'était servi de la poste pour commettre ou tenter de commettre des infractions, même si ces infractions ont été commises ou tentées avec habilité. Nonobstant l'absence de documents pornographiques, les circulaires de la pétitionnaire étaient effectivement libellées de manière à donner l'impression que des documents de ce genre seraient disponible; ceci a suffi pour qu'un certain nombre de personnes au Canada et aux États-Unis d'Amérique répondent et commandent la marchandise annoncée en joignant, dans de nombreux cas, des mandats poste ou des chèques. Je crois qu'au cours de l'audition, les avocats des parties ont semblé convenir que les services postaux pouvaient avoir saisi dans la correspondance des chèques et mandats-poste d'un montant de $100,000 à $200,000. Bien que je n'aie aucune sympathie pour les personnes qui répondent à de telles circu-
[1970] R.C.E. FISHMAN v. LA REINE 827 laires et qui s'intéressent aux documents pornographiques (même si la distribution de cette camelote est aujourd'hui répandue et si l'on peut trouver des livres de ce genre à tous les coins de rue ou presque), la pétitionnaire n'est aucunement autorisée à dire que les plaignants n'ont pas le droit d'accuser la présente pétitionnaire de les avoir escroqués parce qu'ils ne se sont pas présentés devant cette Cour «les mains propres». Il suffit de répondre à cet argument qu'il ne s'agissait que d'une enquête relative à l'usage de la poste par la pétitionnaire et aucune action entre la pétitionnaire et les plai-gnants n'a été soumise devant le ministre des Postes ou devant cette Cour. Les plaignants ne réclament pas aux services postaux les montants qu'ils ont déboursés et expédiés par la poste à la pétitionnaire, mais ils se plaignent d'avoir été victimes d'une machination de cette dernière. Ils ne sont donc pas dans la position de plaignants réclamant à la Cour le remboursement de leur argent et la maxime ex turpi causa non oritur actio ne peut s'appliquer. L'avocat de la pétitionnaire se fonde enfin sur un jugement rendu par le juge Malouf à la Cour des Sessions de Montréal, le 21 janvier 1969, et sur un autre jugement rendu par une cour du Vermont (É.-U.) : devant la cour canadienne, la Couronne, après enquête préliminaire, a retiré les accusations de fraude portées contre la pétitionnaire; la cour américaine a acquitté la pétitionnaire, accusée d'avoir tenté d'utiliser les postes canadiennes et améri-caines pour vendre des documents pornographiques. L'arrêt rendu par le tribunal américain ne peut évidemment avoir aucune portée sur l'affaire puisqu'il traite d'une infraction différente de celle sur laquelle le Ministre a fondé sa décision. L'arrêt rendu par le tribunal canadien traite naturellement du même sujet. Bien que cela puisse être le cas, l'acquitte-ment d'une personne n'a pas la même importance qu'une condamnation. De fait, l'acquittement détermine uniquement que le tribunal n'était pas convaincu hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait commis une infraction. Ce. n'est même pas un commencement de preuve (Voir [1943] L.Q.R. 299) indiquant que l'accusé n'a effectivement pas commis certains actes; il n'a simplement pas été prouvé qu'il les avait commis (Voir Schinder c. Royal Insurance Co."). Il faut également se rappeler que, vu que le droit civil requiert des preuves moins rigoureuses que le droit criminel, l'acquittement ne tranche pas les litiges et ne pourrait le faire. Ceci s'applique évidemment au cas présent la preuve requise consiste tout simplement en ce que le Ministre ait des motifs raisonnables de croire qu'une personne commet ou tente de commettre une infraction. Il peut toutefois exister des cas excep-tionnels , si l'on peut démontrer qu'un acquittement est pertinent dans un cas particulier, il n'y aurait 'aucun motif en principe de refuser de l'admettre en preuve. Ceci ne peut toutefois se produire dans le cas présent, si l'on considère que le rejet de l'accusation ou des accusations portées devant la cour canadienne résultait non pas d'un jugement de la cour sur le fond de la cause, mais bien du fait que la Couronne avait déclaré qu'elle ne disposait pas de preuves suffisantes pour poursuivre l'action. 12258 N.Y. 310 (1932). 93532-18
[1970] R.C.E. FISHMAN v. LA REINE 829 Dans l'affaire Literary Recreations Ltd. c. Sauvé and Murray", la Cour d'appel de Colombie-Britannique a rejeté le même argument; le juge Mao-donald déclare, à la page 394: [TRADUCTION] Au cours de l'échange de correspondance entre les parties, l'appelante était poursuivie devant le tribunal de police de Vancouver pour `avoir inséré une annonce illégale offrant au public de prédire le résultat d'un concours». L'accusation a été rejetée au motif que le problème impliquait une certaine habilité et qu'il pouvait être résolu si l'on faisait preuve d'application. Je fais référence à cette affaire uniquement pour montrer, contrairement à ce que l'on a prétendu, qu'elle n'a aucune portée sur le point en litige. La loi peut donner le pouvoir d'interdire l'usage de la poste à un commerce que les tribunaux prétendent légal. Il s'agit uniquement d'une question de compétence légale. La requête de la pétitionnaire est donc rejetée avec dépens. "58 C.C.C. 385. 93532-181
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