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[1970] R.C.É. BOKOR v. LA REINE 843 [TRADUCTION] Bokor (Appelant) v. La Reine (Intimée) Le Juge WalshMontréal, 23 septembre 1970 et Ottawa, 5 novembre 1970. CouronneFonction publiqueDéclaration des droitsPréférence accordée aux ci-toyens canadiens dans la fonction publiqueY a-t-il violation de la Déclaration des droits? Absence d'exigence légale pour l'examenIncompétence du tribunal pour réviser le choix et la classification des candidatsAbsence d'obligation de notifier au candidat refusé les motifs du refusLicenciement motivé d'un employé temporaireLe candidat doit-il être avisé des motifs?—Loi sur le service civil, S.C. 1960-61, c. 57, art. 38(1), 40, 42Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.C. 1966-68, art. 28(3)—Déclaration des droits, S.C. 1960, c. 44, art. 1, 5(1). Le requérant, un Roumain qui est devenu citoyen canadien en juin 1965, a intenté une action en dommages-intérêts contre la Couronne aux motifs: 1) que la Commission de la Fonction publique ne lui a jamais accordé d'entrevue à la suite de l'une quelconque de ses 24 demandes d'emploi et ne lui a jamais permis de présenter lui-même son cas ni de prendre part à un seul concours; 2) qu'au cours de sa période probatoire d'emploi, il a été victime d'une discrimination en raison du fait qu'il n'était pas citoyen canadien et qu'il a été renvoyé sommaire-ment trois mois avant qu'il ne soit titularisé, sans aucun recours, et sans qu'on lui donne la possibilité de faire appel de cette décision ou de faire valoir ses griefs. lugé, son action contre la Couronne n'a pas révélé le droit exact qu'il enten-dait faire valoir. 1. L'article 40 de la Loi sur le service civil qui donne entre autres choses la priorité aux citoyens canadiens qui sont candidats à un emploi ne va pas à l'encontre de l'art. 1 de la Déclaration des droits de 1960, c. 44, qui interdit de faire une discrimination :en raison de la race, de la nationalité d'origine, de la couleur, de la religion ou du sexe*. La Reine c. Drybones [1970] R.C.S. 282, ne s'applique pas à l'espèce. 2. En vertu de l'art. 38 (1) de la Loi sur le service civil, la Commission de la Fonction publique a une discrétion considérable pour décider si elle doit ou non faire passer des examens à des candidats à un emploi. 3. Le choix et la classification des candidats effectués par la Commission de la Fonction publique en vue de dresser la liste des candidats admissibles en vertu de l'art. 42 de la Loi sur le service civil sont des questions administratives qui ne peuvent être soumises à l'appréciation du tribunal. 4. La Commission de la Fonction publique n'a aucune obligation d'informer le candidat refusé de la raison pour laquelle sa demande n'a pas été acceptée. La Loi a été adoptée pour servir les intérêts du public et non ceux des candidats à un emploi. 5. L'article 28 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique n'oblige pas le sous-ministre à notifier à un employé temporaire ni la Commission à notifier à un candidat non retenu les raisons pour lesquelles ils n'ont pas été retenus. Zamulinski c. la Reine [1956-60], R.C.É. 608, ne s'applique pas à l'espèce. Le défaut d'avoir été entendu ne constitue pas une violation de l'un quelconque des droits de l'homme ni des libertés fondamentales que protègent les art. 1 et 5(1) de la Déclaration des droits. La Reine c. Randolph [1966], R.C.S. 260, ne s'applique pas à l'espèce. PÉTITION de droit. R. W. A. Agard pour le requérant. R. Cousineau et G. Smith pour l'intimée.
[19701 R.C.É. BOKOR v. LA REINE 845 LE JUGE WALSHCette action m'a été présentée pour audition sur une question de droit en vue d'en disposer avant l'instruction; la question est la suivante: En admettant que les allégations de la pétition de droit soient exactes, le pétitionnaire a-t-il une action résultant d'une faute, d'un délit ou de toute autre cause en vertu de la Loi sur la responsabilité de la Couronne? Le 18 avril 1969, le président Jackett avait déjà rendu un jugement en cette cause rejetant une demande du sous-procureur général du Canada présentée en vertu de la règle 114 de cette cour visant à faire rejeter la pré-sente pétition de droit; en rendant jugement il a indiqué que la question de savoir si la Loi sur le service civil créait une cause d'action contre la Couronne en faveur d'un candidat dont on n'a pas traité les demandes con-formément aux exigences de la loi, de même que l'autre possibilité qu'il y ait une action résultant d'une faute ou d'un délit, selon que la réclamation ait pris naissance en Ontario ou au Québec, au motif que cette faute ou ce délit a été commis contre le pétitionnaire par des préposés de la Couronne agissant au cours de leurs fonctions de façon à donner lieu à une cause d'action contre la Couronne en vertu de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, n'avaient pas été su fïisamment élaborées devant lui pour en disposer et qu'on devait donc produire une défense après quoi on pourrait songer à présenter une question de droit qui serait tranchée avant de procéder plus avant. La réclamation en dommages du pétitionnaire est fondée sur deux motifs principaux. Selon le premier, malgré qu'il ait présenté vingt-quatre demandes d'emploi à la Commission de la Fonction publique entre juin 1964 et juillet 1966, on ne lui a jamais accordé d'entrevue ni d'occasion de présenter sa cause ni de participer à un concours avec d'autres candidats éventuels, ce qui, dit-il, est requis par la loi et la pratique en des cas semblables. Selon le deuxième motif, lorsqu'on l'a admis au poste de pro-fesseur de français à l'École des langues de Hull, il a travaillé du ler no-vembre 1965 au 31 juillet 1967, il a été victime de discrimination et on l'a congédié sans formalités le 31 juillet 1967, trois mois avant qu'il ne de-vienne permanent, le tout sans recours et sans qu'on ne lui accorde l'oppor-tunité d'en appeler ou de présenter ses griefs. Étudions son premier motif. Aux al. 14, 15, 19 et 21 de sa pétition de droit, il se reporte aux demandes d'emploi la priorité était accordée aux candidats compétents qui sont citoyens canadiens. Il était arrivé au Canada, venant de Roumanie, le 8 juin 1960, et est devenu citoyen canadien en juin 1965 et ainsi, aux époques pertinentes, il n'était pas citoyen canadien. Il prétend que cela constituait une distinction injuste à son égard, contrairement à la Déclaration des droits, à la Loi sur le service civil et à la Loi canadienne sur les justes méthodes d'emploi. On peut disposer rapidement de cette allégation. Il invoque à l'appui l'art. 33 de la Loi sur le service civile, que voici: 33. Relativement à un emploi ou une catégorie ou classe quelconque, la Commission peut prescrire, quant à l'âge, à la résidence ou à tous autres égards, les qualités requises qu'elle juge nécessaires ou désirables, compte tenu de la 1960-1961 (Can.), c. 57.
[1970] R.C.E. BOKOR v. LA REINE 847 nature des fonctions à remplir; toutefois, en agissant ainsi, la Commission ne doit établir à l'encontre de qui que ce soit aucune distinction injuste fondée sur la race, l'origine nationale, la couleur ou la religion. Il s'agit en substance des mêmes mots que ceux utilisés dans la Déclaration des droits2 dont voici un extrait de l'art. 1: 1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa cou-leur, sa religion ou son sexe:... sauf que le mot «sexe» n'apparaît pas à la Loi sur le service civil, ce qui est sans importance en l'espèce. L'article 4 de la Loi canadienne sur les justes méthodes d'emplois3 em-ploie aussi les mots «race, origine nationale, couleur ou religion», mais il s'applique à un «emploi portant sur des ouvrages, entreprises ou affaires qui relèvent de l'autorité législative du Parlement du Canada, et relativement à un tel emploi» et je doute que cela couvre l'emploi dans la Fonction publique du Canada de façon à affecter les droits de la Couronne, puisqu'il prévoit des infractions et des peines qui ne peuvent évidemment pas s'appliquer à la Couronne. L'article 40 de la Loi sur le service civil contient des dispositions accor-dant priorité aux candidats recevant une pension de service de guerre, aux anciens combattants, aux veuves d'anciens combattants, et ensuite aux cito-yens canadiens de préférence aux personnes ne faisant pas partie de ces catégories, et le pétitionnaire attaque cette préférence qui, selon lui, contre-vient à la Déclaration des droits. Ce faisant, il semble confondre les mots «origine nationale» et «citoyenneté». La «citoyenneté» est quelque chose de tout à fait différent et n'apparaît pas à l'art. 33 de la Loi sur le service civil ni dans la Déclaration des droits. Si le pétitionnaire, après être devenu citoyen canadien, avait été l'objet de quelque distinction injuste parce qu'il était en Roumanie et non au Canada, il pourrait avoir une cause d'action sous ce chef, mais, à mon avis, il appartient bien à la Commission, conformément aux dispositions de l'art. 40(1) c) de la Loi sur le service civil, de donner priorité aux citoyens canadiens pour un poste dans la Fonction publique. A l'appui de sa prétention, l'avocat du pétitionnaire invoque la déclaration du juge Ritchie dans l'arrêt récent La Reine c. Drybones4, en le citant ainsi: Je pense que le mot «loi» dans l'art. 1 b) de la Déclaration des droits doit s'interpréter comme signifiant une «loi du Canada* au sens de la définition à l'art. 5(2) (c'est-à-dire, une loi du Parlement du Canada, ou une ordonnance, une règle ou un règlement établis sous son régime). Sans rechercher une définition complète de l'expression «égalité devant la loi», je pense que l'art. 1 b) signifie au moins qu'un individu ou un groupe d'individus ne doit pas être traité plus durement qu'un autre en vertu de la loi. * * * Il omet toutefois de citer la suite de cet alinéa que voici: ... J'en conclus donc qu'une personne est privée de l'égalité devant la loi, si pour elle, à cause de sa race, un acte qui, pour ses concitoyens canadiens, n'est pas une infraction et n'appelle aucune sanction devient une infraction punissable en justice. * 1960 (Can.), c. 44. a S.C. 1952-1953, c. 19. '[ 1970] R.C.S. 282, à la p. 297.
[1970] R.C.Ê. BOKOR v. LA REINE 849 Il est évident que ce jugement se rattache à la discrimination devant les tribunaux contre des Canadiens d'une certaine race par opposition à des Canadiens d'une autre race, et ne peut l'interpréter comme ayant déclaré qu'une loi fédérale ne peut faire de distinction entre des Canadiens et des non-Canadiens. Il va de soi que la citoyenneté canadienne confère certains droits et privilèges non accordés aux non-Canadiens comme, par exemple, le droit de voter aux élections 5 et qu'on ne peut déclarer que ces privilèges sont en opposition à la Déclaration des droits. Il va aussi de soi que, pour certains postes importants dans la Fonction publique, il est souhaitable de donner préférence aux citoyens canadiens ou même d'aller plus loin et de faire de la citoyenneté canadienne une exigence nécessaire, et que le pétitionnaire n'a donc pas été victime de distinction injuste en voyant sa demande pour des emplois comportant ces exigences rejetée au cours de la période antérieure à l'obtention de sa citoyenneté. Bien que sa pétition de droit ne le mentionne pas précisément, ses notes écrites déclarent: Il sera aussi démontré à l'instruction que la Commission de la Fonction pu-blique a permis à d'autres candidats qui n'étaient pas citoyens canadiens de passer des examens écrits de la Fonction publique, examens dont a été exclu le péti-tionnaire. Ces étrangers étaient cependant d'origine britannique ou française. Nous sommes donc en présence de l'exclusion arbitraire de certains groupes ethniques du droit de subir des examens écrits, le tout contrairement à l'art. 33 de la Loi sur le service civil... Si cette déclaration a trait aux quatre postes pour lesquels sa demande a été rejetée au motif que la priorité était accordée aux citoyens canadiens, la Commission peut alors avoir fait une erreur en autorisant des étrangers d'origine britannique ou française à subir les examens écrits tout en refusant le même droit au pétitionnaire, mais il faut signaler que l'art. 40 ne fait que dresser une liste de priorité dans laquelle les citoyens canadiens doivent prendre rang avant les étrangers et n'indique rien quant à la tenue d'un examen. Je ne peux voir comment le fait pour la Commission de ne pas avoir appliqué les dispositions de l'art. 40 dans le cas d'autres candidats étrangers alors qu'elle aurait le faire puisse fournir au pétitionnaire une cause d'action, puisque, dans son cas, j'estime qu'on a bien appliqué l'article. Il est bien possible cependant que la citation ci-dessus du factum du pétitionnaire se rapporte à d'autres alinéas de sa pétition il ne se plaint pas que le refus de l'autoriser à subir les examens se fonde sur le fait qu'il n'était pas citoyen canadien. Dans ce cas, ce que nous avons cité plus haut s'applique à ses arguments quant à ces autres alinéas. En examinant les vingt autres postes pour lesquels on ne lui a pas donné l'occasion de se présenter à des examens, on voit qu'à une exception près il a toujours reçu réponse à sa demande et qu'à seize occasions la réponse indiquait qu'il y avait un candidat plus convenable, quelqu'un avec plus d'expérience dans le domaine des connaissances requises, quelqu'un ayant des qualités plus appropriées, ou qu'il n'y avait aucun poste disponible im- 6 Loi électorale du Canada, 1960 (Can.), c. 39, art. 14.
[1970] R.C.E. BOKOR v. LA REINE 851 médiatement dans la catégorie générale qu'il demandait, ou qu'il n'y avait aucun poste disponible pour des personnes de son expérience. A trois occasions il a reçu une réponse quelque peu inhabituelle. Dans le cas mentionné à l'al. 17 de sa pétition de droit sa demande a été refusée parce que «vous recevez actuellement un traitement supérieur au maximum indiqué et nous présumons que vous n'êtes pas intéressé à ce qu'on donne suite à votre de-mande». Quant au poste mentionné à l'al. 23, on lui a annoncé par téléphone que la nomination avait déjà été faite. A l'al. 29 il soutient que dans ce cas il a reçu une réponse, mais a été refusé «sans aucune raison apparente». A une seule occasion, comme je l'ai déjà mentionné, savoir celle dont il fait mention à son al. 32, il n'a reçu aucune réponse à sa demande. En procédant à l'étude des demandes d'emploi dans la Fonction publique, la Commission doit appliquer l'art. 38 de la Loi que voici: 38. (1) La Commission doit examiner et étudier toutes les demandes reçues dans le délai qu'elle a fusé pour leur réception et, après avoir considéré les autres documents et tenu les examens, épreuves, entrevues et enquêtes qu'elle estime nécessaires ou désirables, doit choisir les candidats ayant les qualités requises pour remplir l'emploi ou les emplois relativement auxquels le concours est tenu. La Commission doit placer ces candidats par ordre de mérite. (2) L'examen, l'épreuve ou l'entrevue que prévoit le présent article doivent se faire en français ou en anglais, ou dans les deux langues, au choix du candidat. (3) Si la Commission estime qu'il y a suffisamment de candidats ayant les qualités requises a) tombant sous le coup des alinéas a) et b) du paragraphe (1) de l'article 40, ou b) tombant sous le coup des alinéas a), b) et c) du paragraphe (1) de l'article 40 pour lui permettre de préparer une liste d'admissibilité en conformité de l'article 42, elle peut choisir, parmi ces seuls postulants, des candidats possédant les aptitudes voulues ainsi que le prescrit le paragraphe (1) du présent article. Il faut noter que l'art. 38 (1) a trait à la tenue des «examens, épreuves, entrevues et enquêtes qu'elle estime nécessaires ou désirables». Il me semble que c'est le paragraphe principal et que le par. (2) exige tout simplement que l'examen, l'épreuve ou l'entrevue (s'ils sont accordés) doivent être tenus en anglais ou en français ou dans les deux langues au choix du candidat, mais n'indique aucunement, contrairement à ce que soutient le pétitionnaire, qu'un examen, une épreuve ou une entrevue doit être tenu à moins que la Commission ne l'estime «nécessaire ou désirable». L'article 38 se reporte à l'art. 40 dont j'ai déjà parlé et à l'art. 42; il conviendrait d'en citer les extraits pertinents: 40. (1) Dans le cas d'un concours public, la Commission doit, après s'être conformée à l'article 38 et avoir fait les autres enquêtes qu'elle juge nécessaires, dresser une liste des candidats conformément aux principes suivants: a) les pensionnés (i) en raison de leur service durant la première guerre mondiale, ou (ii) en raison de leur service uniquement durant la seconde guerre mondiale, domiciliés au Canada ou à Terre-Neuve au commencement de cette pé-riode de service, qui, pour des causes attribuables à ce service, ont perdu leur capacité de fournir un effort physique au point d'être inaptes à poursuivre efficacement
[1970] R.C.É. BOKOR v. LA REINE 853 les occupations qu'ils poursuivaient avant la guerre et qui n'ont pas été réin-tégrés avec succès dans quelque autre occupation, doivent être placés, par ordre de mérite, en avant des autres candidats heureux; b) les anciens combattants qui ne sont pas visés par les dispositions de l'alinéa a), ou les veuves d'anciens combattants, doivent être placés, par ordre de mérite, sur la liste immédiatement à la suite des candidats, s'il y en est, dont fait mention l'alinéa a); c) les citoyens canadiens non visés par l'alinéa a) ou b) doivent être placés, par ordre de mérite, après les candidats à qui s'applique l'un ou l'autre alinéa; et d) les personnes non visées par l'alinéa a), b) ou c) doivent être placées, par ordre de mérite, après les candidats à qui s'applique l'un ou l'autre de ces alinéas. * * * 42. En choisissant parmi les candidats possédant les qualités requises, la Commission doit dresser une liste connue sous la désignation de liste d'admissi-bilité; cette liste doit comprendre les candidats qui se sont classés les premiers et, si possible, doit compter un nombre suffisant de noms, de l'avis de la Commission, a) dans le cas d'une liste spéciale d'admissibilité, pour permettre de remplir l'emploi; et, b) dans le cas d'une liste générale d'admissibilité, pour permettre de remplir pendant un an les vacances qui pourraient se produire dans la classe ou caté-gorie au sujet de laquelle la liste a été dressée. L'article 38(3) édicte très clairement que s'il y a suffisamment de candidats dans les catégories de l'art. 40(1)a), b) ou c), le choix des candidats possédant les qualités requises peut être limité à ces postulants. Même si les exigences de citoyenneté canadienne n'apparaissaient pas à l'annonce du concours, l'art. 40 s'appliquerait toujours puisque l'emploi du mot «doit» le rend obligatoire et cela aurait affecté toutes les demandes du pétitionnaire antérieures à juin 1965, date à laquelle il a obtenu sa citoyen-neté. Dans toute demande présentée après cette date, et il semble que ce soit le cas des demandes mentionnées aux al. 22, et 24 à 35, il n'aurait pas été désavantageusement affecté par l'art. 40(1)c) mais aurait encore pris rang après les candidats énumérés aux al. a) et b) de ce paragraphe. L'article 42, qui a trait à la liste des candidats possédant les qualités requises que «doit» dresser la Commission, parle des «candidats qui se sont classés les premiers». Au premier abord cela semblerait impliquer une classification faisant suite à un examen; cependant, l'art. 38(1), qui accorde à la Commission la discrétion de tenir ou non des examens, prescrit qu'elle doit choisir les candidats ayant les qualités requises et les placer par ordre de mérite; on pourrait donc en déduire que, pour autant qu'il est possible de dresser, sans la tenue d'examens, une liste plaçant les candidats par ordre de mérite, la Commission a droit d'agir ainsi. La Loi ne contient aucune disposition d'appel d'une décision de la Commission relative au choix ou à la classification de candidats pour dresser la liste d'éligibilité. Ce sont des questions de caractère administratif et j'estime qu'il serait incorrect que la cour, en l'absence d'une disposition expresse, tente de réviser d'une façon quelconque une décision rendue par
[1970] R.C.E. BOKOR v. LA REINE 855 la Commission dans l'exercice de sa discrétion ou par des préposés à qui la Commission a dûment délégué ses pouvoirs conformément aux dispositions de la Loi. Bien que l'art. 38 (1) de la Loi stipule simplement que «la Commission doit examiner et étudier toutes les demandes reçues dans le délai qu'elle a fixé pour leur réception» et qu'il n'oblige pas la Commission à communiquer à chaque candidat le résultat de son examen, celle-ci, relativement à chacune de ses demandes, a régulièrement écrit au pétitionnaire (à une seule exception près, qui est sans importance si l'on tient compte du grand nombre de ré-ponses à ses demandes et du fait que la Loi n'exige aucune réponse), lui indiquant qu'on avait étudié sa demande et, encore à une exception près, le motif du refus. Ici encore, puisque la Loi n'exige pas de communiquer aux candidats refusés le motif du rejet de leur demande, l'omission de ce faire, en une occasion, est sans importance. Le but premier de la Loi sur le service civil est évidemment d'assurer que la Fonction publique du Canada emploie les candidats les plus compétents et les mieux qualifiés. Il s'agit d'une Loi adoptée dans l'intérêt du public dans son ensemble et non pour l'avantage et la protection des personnes posant leur candidature à la Fonction publique. Dans l'arrêt Cutler c. Wandsworth Stadium Ltd 6 Lord Simonds déclare, à la p. 407: ... Je crois qu'il est souvent difficile d'établir si A a un recours contre B s'il se croit lésé par suite de l'inexécution d'une obligation légale que B devait remplir. Mais en l'espèce, je ne peux entretenir de doute. Je ne me propose pas de formuler de règles permettant de résoudre infailliblement cette question. La réponse doit se trouver dans l'étude des circonstances et de la loi dans son ensemble, y compris la loi antérieure ayant donné naissance à la loi actuelle; c'est la seule règle qui soit toujours exacte. Mais on retrouve dans certaines autorités qui, même si elles n'ont pas force obligatoire, auront beaucoup d'influence auprès de la Chambre, des indications claires désignant avec plus ou moins de certitude une réponse ou une autre. Si par exemple nous sommes en présence d'une obligation dont l'inexé-cution n'est soumise à aucun recours par voie de sanction ou autrement, nous pouvons présumer que la personne lésée par l'inexécution jouit d'un recours civil car, si tel n'était pas le cas, la loi se résumerait à un souhait pieux. Ce jugement cite, en y souscrivant, les mots de Lord Kinnear dans l'arrêt Black c. Fife Coal Co. [1912] A.C. 149, à la p. 165, il déclare: ...Nous devons étudier la portée et le but de la loi et tout particulièrement découvrir qui elle entend protéger. Dans l'arrêt de la Cour suprême Grossman et al c. Le RoF, le juge Kerwin déclare, à la p. 594: ... Actuellement il faut considérer comme bien établi par le jugement de cette Cour rendu dans l'affaire Anthony c. Le Roi ([1946] R.C.S. 569), que l'of-ficier ou préposé de la Couronne a envers les tiers un devoir dont l'inexécution le rend responsable envers ce tiers, avant qu'on en puisse imputer la responsabilité à la Couronne en vertu de cet article. Il s'agit de l'application de la règle respon-deat superior. 9 [1949] A.C. 398. 7 [1952] R.C.S. 571.
[1970] R.C.É. BOKOR v. LA REINE 857 Bien que ce jugement ait été rendu avant l'adoption en 1953 de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, la situation demeure inchangée. Le juge Noël y a souscrit dans l'arrêt Gagné c. La Reines il déclarait, aux pp. 272 et 273: ... La faute positive du préposé de l'intimé dans l'exécution de ses fonctions suffirait au besoin pour entraîner, par conséquent, la responsabilité de l'intimée pour les dommages subis par le requérant. D'ailleurs, une simple abstention de la part d'un préposé ne pourrait disculper le commettant que si ce préposé n'a des devoirs qu'à l'égard de son employeur et aucun devoir envers les tiers. Priver quelqu'un par incurie d'une aide ou assistance doit être considéré comme lui in-fligeant un tort plutôt que lui refusant un bienfait ou avantage et c'est d'ailleurs ce que paraît avoir décidé la Cour suprême dans Grossman v. The King tel qu'ex-primé par le juge Taschereau: Le jugement de cette Cour dans ces deux arrêts indique clairement que les préposés de la Couronne n'ont pas rempli leur devoir envers les tiers et que leur négligence, même si elle ne provient que d'une omission, entraîne leur responsabilité personnelle, et, du même coup, par substitution, la respon-sabilité de la Couronne. La Cour n'était pas simplement en présence d'abstentions de poser des actes que le préposé était tenu de poser par suite d'un contrat entre commettant et préposé, abstentions qui n'entraîneraient pas la responsabilité personnelle de celui-ci envers les tiers, mais du défaut de rem-plir un devoir envers les victimes (Halsbury, vol. 22, page 255). Dans l'état actuel du droit, la cour ne peut intervenir dans l'exercice de la discrétion et dans les décisions rendues par la Commission de la Fonction publique et ses préposés dans l'application de la Loi sur le service civil; il est cependant possible que le pétitionnaire ait un recours légal s'il était démontré qu'on ne s'est pas conformé aux dispositions de la Loi en traitant les de-mandes et qu'on ne les a aucunement étudiées, ou qu'elles ont été rejetées à cause de sa race, son origine nationale, sa couleur ou sa religion,9 mais rien dans la pétition de droit ne justifie une telle conclusion même en supposant, comme nous le faisons actuellement, que les allégations contenues dans la pétition de droit sont exactes. Le pétitionnaire voudrait amener la Cour à conclure qu'étant donné qu'il possède incontestablement une très grande compétence académique, linguistique, administrative et pédagogique, et puis-que ses demandes à de si nombreux postes ont été rejetées après une étude et un examen expéditifs sans le convoquer à une entrevue ou lui accorder l'occasion de se présenter à un examen, il a nécessairement été victime de distinction injuste au point de vue de la race, de l'origine nationale, de la couleur ou de la religion. A l'al. 11 de sa pétition de droit il allègue en effet que: ... on a refusé de l'employer pour des motifs discriminatoires, abusifs, injus-tifiables et immoraux, le tout tel que ci-après exposé,... Cependant, les alinéas suivants ne font qu'énumérer les diverses demandes d'emploi dans la Fonction publique qu'il a présentées et les réponses reçues, dont aucune ne permet de conclure qu'on a refusé de l'employer pour des «motifs discriminatoires, abusifs, injustifiables et immoraux». 8 [1967] 1 R.C.É. 263. e Le recours ne serait probablement pas par voie de procédures judiciaires contre la Couronne, mais plutôt par voie de procédures judiciaires appropriées (par exemple un bref de prérogative) contre la Commission de la Fonction publique (qui a apparemment été constituée comme autorité légale pour agir indépendamment de la Couronne) pour la forcer à se conformer au devoir que lui impose la Loi ou pour vérifier la validité de ce qu'elle a fait en contravention à la Loi.
[1970] R.C.É. BOKOR v. LA REINE 859 En ce qui a trait à la première partie de la revendication du pétition-naire, je conclus donc qu'il n'a aucune cause d'action résultant d'une faute, d'un délit ou de toute autre cause, du fait qu'on ne lui ait jamais accordé d'entrevue ni l'occasion de se présenter à des concours écrits relatifs à ses diverses demandes d'emploi dans la Fonction publique. Passons maintenant à la seconde question exposée aux al. 39 à 44 de la pétition de droit. A l'al. 44, le pétitionnaire allègue que: ... il a été congédié à peine trois mois avant de devenir permanent, le tout sans recours et sans qu'on ne lui accorde l'opportunité d'en appeler ou de pré-senter ses griefs; Les allégations des al. 40 à 43 concernant le salaire peu élevé qui lui a été attribué, le manque d'encouragement à conserver son emploi et le traite-ment injuste qu'il a subi, son congédiement sans aucune raison valable quelle qu'elle soit, les majorations de salaire et promotions déterminées, pendant la durée de son emploi, de façon injuste et discriminatoire à son égard, ne sont pas des questions sujettes à revision par la cour, mais doivent se régler par la procédure de grief prévue dans la Loi et les règlements applicables. Si toutefois on n'a pas suivi la bonne procédure relativement à son congédiement et si on ne lui a pas accordé l'occasion de se faire entendre à ce sujet, il pourrait avoir une cause d'action pour ce motif. L'arrêt Zamulinski c. La Reine 10 fait jurisprudence sur le sujet. Dans cette affaire, l'art. 19 de la Loi en vigueur à l'époque' 1 prévoyait que: 19. Sauf dispositions expressément contraires, toutes les nominations au service civil se font à titre amovible * * * Cette Loi comportait des dispositions pour établir des règlements d'application; le règlement 118 stipulait que: 118. Aucun employé n'est congédié, suspendu ou rétrogradé sans avoir l'occasion de présenter sa cause à un fonctionnaire supérieur du ministère, lequel fonctionnaire est désigné par le sous-chef. L'employé des postes en question avait reçu un avis de congédiement qui était entré en vigueur sans qu'il ait eu l'occasion de se faire entendre, comme prévu au règlement 118. Il a réclamé: 1. ses salaires et une déclaration portant qu'il conservait son emploi; 2. des dommages-intérêts et une déclaration portant qu'il avait été congédié injustement; et 3. des dommages-intérêts pour ne pas avoir eu, avant le congédiement, l'occasion de défendre sa cause. On a jugé que: L'article 19 de la Loi confirme la règle bien établie selon laquelle les em-ployés de la Couronne détiennent un emploi amovible, et le pétitionnaire, en consé-quence, n'a pas droit à une déclaration portant qu'il conserve son emploi ni à une déclaration portant qu'il a été congédié injustement. Cependant, le règle-ment 118 qui a été validement établi lui donnait le droit de se faire entendre (ce qui n'était pas incompatible avec le droit de la Couronne de congédier à volonté), et une atteinte à ce droit lui donnait une cause d'action relevant de la w (1957) 10 D.L.R. 685; [1956-60] R.C.É. 175. S.R.C. 1952, c. 48.
[1970] R.C.É. BOKOR v. LA REINE 861 Cour de l'Échiquier en vertu de l'article 18(1) d) de la Loi sur la Cour de l'Échi-quier, S.R.C. 1952, c. 98. Il avait donc droit aux dommages qui, en l'espèce, étaient plus que symboliques, car son congédiement définitif aurait été retardé s'il avait pu se faire entendre. La troisième réclamation du pétitionnaire serait rejetée si elle invoquait simplement le congédiement injuste en raison d'un man-quement à une exigence de procédure ou le droit à ne pas être congédié sans pouvoir se faire entendre. Toutefois, de par sa rédaction, cette réclamation ne conteste pas le congédiement, mais se plaint comme il se doit d'une infraction à un droit reconnu par la loi. (Distinction avec l'arrêt R. Venkata Rao c. Secretary of State for India [1937] A.C. 248; adoption de l'arrêt Ashby c. White, 2 Ld. Raym. 938, 92 E.R. 126) En prononçant le jugement le président Thorson déclarait, aux pp. 697-698: ... En ce sens, l'article 118 des Règlements ne fait que donner au fonction-naire que l'on envisage de congédier l'occasion, avant son congédiement, de pré-senter sa cause à un fonctionnaire supérieur du ministère nommé par le sous-chef. Lorsqu'on a donné cette occasion, le droit de congédier à volonté accordé par l'article 19 de la Loi a pleine force et effet. L'esprit de l'article 118 des Rè-glements est simple: avant qu'on puisse exercer le droit de congédier à volonté en vertu de l'article 19 de la Loi, l'employé qu'on envisage de congédier devrait se voir accorder l'occasion prescrite par l'article. Dans la mesure oh cela est important au point de vue interprétation, on peut dire à juste titre qu'il n'est pas contraire à l'ordre public de pouvoir congédier à volonté un fonctionnaire et, avant l'entrée en vigueur de son congédiement, de devoir lui accorder l'occasion prévue à l'article 118 des Règlements. Je conclus donc qu'en vertu de l'article 118 des Règlements, un employé de la Fonction publique du Canada a le droit d'avoir l'occasion, avant son congé-diement, de présenter sa cause à un fonctionnaire supérieur du ministère nommé par le sous-chef. Cela lui confère une réclamation en vertu de l'article 118 des Règlements et l'amène sous la juridiction de cette Cour en vertu de l'article 18(1)d) de la Loi sur la Cour de l'Échiquier, S.R.C. 1952, c. 98, que voici: c 18 (1) La Cour de l'Échiquier a aussi juridiction exclusive en première instance pour entendre et juger les matières suivantes: =d) toute réclamation contre la Couronne fondée sur quelque loi du Canada ou sur quelque règlement édicté par le gouverneur en conseil A mon avis, le pétitionnaire a une réclamation en vertu d'un règlement établi par le gouverneur en conseil, savoir, une réclamation en vertu de l'article 118 des Règlements de la Fonction publique. En vertu de cet article il a le droit, avant son congédiement, de présenter sa cause à un fonctionnaire supérieur du ministère nommé par le sous-chef. Je constate, comme question de fait, que ce droit ne lui a pas été accordé. Il est un principe fondamental selon lequel la violation d'un droit donne une cause d'action: voir Ashby c. White et al. (1703), 2 Ld. Raym. 938, 92 E.R. 126. En l'espèce on est allé à l'encontre d'un droit qu'avait le péti-tionnaire en vertu de la loi et cela lui donne droit à des dommages. Ce jugement a fait une distinction avec l'arrêt britannique qui fait jurisprudence R. Venkata Rao c. Secretary of State for India 12 tel qu'il appert de la déclaration suivante du savant président, aux pages 695-696: Je dois dire que si le pétitionnaire avait réclamé des dommages uniquement pour congédiement injuste en raison du défaut de se conformer à une exigence de procédure, la décision rendue dans l'arrêt Venkata (précité) l'aurait défavorisé. J'ai déjà rejeté sa réclamation pour congédiement injuste. Mais l'al. c) de sa pétition ne comporte pas de réclamation de ce genre. Il n'y revendique pas de dommages pour congédiement injuste. Sa réclamation porte sur des dommages pour ne pas avoir eu l'occasion, avant son congédiement, de présenter sa cause à un fonctionnaire supérieur du ministère nommé par le sous-chef. C'est une récla- i2 [1937] A.C. 248.
[1970] R.C.É. BOKOR v. LA REINE 863 mation différente d'une réclamation pour congédiement injuste. On n'avait pas présenté de réclamation de ce genre dans l'arrêt Venkata, et la décision rendue dans cette affaire ne comporte rien qui s'y oppose. Le juge Thurlow a suivi cet arrêt dans l'affaire Hopson c. La Reine 13 en statuant que le pétitionnaire avait droit à des dommages de $400 pour ne pas avoir eu l'occasion de présenter sa cause avant sa suspension et son congédiement. Voici un extrait du sommaire: Il est essentiel à l'application du pouvoir de suspendre et de congédier en vertu de l'article 118 des Règlements établis conformément à l'article 5 de la Loi sur le service civil, que l'employé soit avisé de ce qu'on invoque pour le suspendre ou le congédier. Le pétitionnaire fonde cette partie de sa demande sur une loi différente, savoir la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique14 sanctionnée le 23 février 1967. Le pétitionnaire avait obtenu son poste de professeur de fran-çais à l'École de langues de Hull le ler novembre 1965, mais son congédie-ment sommaire a eu lieu le 31 juillet 1967. Les règlements d'application de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique ont été établis par le décret n° 129 du 13 mars 1967. L'al. 14 de la défense versée au présent dossier allègue que le pétitionnaire était en période de stage de deux ans à compter de la date de sa nomination et qu'il a été renvoyé pour cause au cours de cette période par le sous-chef. Apparemment il est admis qu'il était encore un employé sous probation puisque l'al. 44 de sa pétition de droit mentionne qu'il a été congédié à peine trois mois avant qu'il ne devienne permanent. L'article 24 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique est ainsi rédigé: 24. Un employé occupe sa charge durant le bon plaisir de Sa Majesté sous réserve des dispositions de la présente loi et de toute autre loi ainsi que des règle- ments établis sous leur régime et, à moins qu'une autre période ne soit spécifiée, pendant une période indéterminée. Cet article est identique à l'art. 50 (1) de la Loi sur le service civil, mais le deuxième paragraphe de cette dernière se lit comme suit: 50. (2) Rien dans la présente loi ne peut s'interpréter comme limitant ou atteignant le droit ou le pouvoir que possède le gouverneur en conseil de révo-quer ou de congédier tout employé. Ce paragraphe ne fait pas partie de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, mais, en tout état de cause, ce ne fut pas la procédure utilisée en l'espèce. Voici l'art. 31 de la Loi: 31. (1) Lorsque, de l'avis du sous-chef, un employé est incompétent dans l'exercice des fonctions du poste qu'il occupe, ou qu'il est incapable de remplir ces fonctions, et qu'il devrait a) être nommé à un poste avec un traitement maximum inférieur, ou b) être renvoyé, le sous-chef peut recommander 'à la Commission que l'employé soit ainsi nommé ou renvoyé, selon le cas. (2) Le sous-chef doit donner à un employé un avis écrit de toute recom-mandation visant la nomination de l'employé à un poste avec un traitement maximum inférieur ou son renvoi. (3) Dans tel délai subséquent à la réception de l'avis mentionné au para-graphe (2) que prescrit la Commission, l'employé peut en appeler de la recom-mandation du sous-chef à un comité établi par la Commission pour faire une 18 [1966] R.C.É. 608. 34 S.C. 1966-1967, c. 71.
[1970] R.C.A. BOKOR v. LA REINE 865 enquête au cours de laquelle il est donné à l'employé et au sous-chef en cause, ou à leurs représentants, l'occasion de se faire entendre, et la Commission doit, après avoir été informée de la décision du comité par suite de l'enquête, a) avertir le sous-chef en cause qu'il ne sera pas donné suite à sa recommanda-tion, ou b) nommer l'employé à un poste avec un traitement maximum inférieur ou le renvoyer, selon ce qu'a décidé le comité. (4) S'il n'est interjeté aucun appel d'une recommandation du sous-chef, la Commission peut prendre, relativement à cette recommandation, la mesure qu'elle estime opportune. (5) La Commission peut renvoyer un employé en conformité d'une recom-mandation formulée aux termes du présent article; l'employé cesse dès lors d'être un employé. Dans le cas d'employés stagiaires toutefois, le mode de congédiement est dicté par l'art. 28 de la Loi dont voici un extrait: 28. (1) Un employé est considéré comme stagiaire depuis la date de sa nomination jusqu'au terme de la période que la Commission peut fixer pour tout employé ou classe d'employés. * * * (3) A tout moment au cours du stage, le sous-chef peut prévenir l'employé qu'il se propose de le renvoyer, et donner à la Commission un avis de ce renvoi projeté, pour un motif déterminé au terme du délai de préavis que la Commission peut fixer pour tout employé ou classe d'employés et, à moins que la Commission ne nomme l'employé à un autre poste dans la Fonction publique avant le terme du délai de préavis qui s'applique dans le cas de cet employé, celui-ci cesse d'être un employé au terme de cette période. (4) Lorsqu'un sous-chef prévient qu'il se propose de renvoyer pour un motif déterminé, conformément au paragraphe (3), il doit fournir à la Commission les raisons de son intention. Il importe de signaler que le par. (3) de l'art. 28 exige qu'on avise l'em-ployé et la Commission de l'intention de renvoyer l'employé pour cause aux termes du délai de préavis, mais que le par. (4) stipule quil doit fournir d la Commission les raisons de son intention». Il semble que la Loi n'exige pas qu'on fasse connaître les raisons à l'employé et qu'elle ne comporte pas de dispositions permettant à l'employé de se faire entendre avant le terme du délai de préavis. Je conclus donc que les jugements rendus dans les affaires Zamulinski et Hopson (précitées) ne s'appliquent pas en l'espèce puisque la Loi et les règlements n'accordent pas le droit au pétitionnaire de se faire entendre relativement à son congédiement d'emploi comme stagiaire. Il conviendrait ici de refaire un examen de la Déclaration des droits. L'article 2e) de cette Loi est ainsi rédigé: 2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restrein-dre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations; * * *
[1970] R.C.E. BOKOR v. LA REINE 867 Bien que le contexte de cet al. e) de l'art. 2 semble indiquer qu'il se rap-porte d'abord à des procédures judiciaires et, en particulier, à des procédures pénales, l'avocat du pétitionnaire a essayé de lui donner une interprétation plus large et d'y inclure une audition relative à son congédiement de l'em-ploi comme stagiaire même si aucune audition de ce genre n'est prévue dans la Loi. A l'appui de cette prétention, il invoque l'arrêt de la Cour suprême La Reine c. Randolph et a1.15 Cet arrêt traite d'un ordre prohibitif provisoire du ministre des Postes suspendant la livraison du courrier adressé à l'intimé ou qu'il déposait , à un bureau de poste en vertu des dispositions de l'art. 7(1) de la Loi sur les postes18, qui se lit comme suit: 7. (1) Chaque fois que le ministre des Postes a des motifs raisonnables de croire qu'une personne, a) au moyen de la poste, (i) commet ou tente de commettre une infraction, ou (ii) aide, incite ou pousse une personne à commettre une infraction, ou, b) dans l'intention de commettre une infraction, emploie la poste pour atteindre son but, le ministre des Postes peut rendre un ordre provisoire (dans le présent article, appelé cordre prohibitif provisoire»), interdisant la livraison de tout courrier adressé à cette personne (au présent article, appelée =personne en cause») ou déposé par cette personne à un bureau de poste. Le par. (2) de l'art. 7 prévoit que dans les cinq jours après l'établissement de l'ordre provisoire, avis doit être donné à la personne en cause, l'informant de l'ordre et lui accordant dix jours pour demander que l'ordre fasse l'objet d'une enquête. Le droit d'appel était donc relatif à l'ordonnance définitive et non relatif à l'ordonnance provisoire. Dans son jugement, le juge Cartwright déclarait, aux pp. 265-266: ... Il ne fait aucun doute que le Parlement a le pouvoir d'abroger ou de modifier l'application de la maxime audi alteram partem. Il ne l'a pas abrogée par l'article 7. Il a plutôt prévu qu'avant d'émettre un ordre prohibitif définitif, la partie en cause doit être avisée et avoir droit à une audition dans les plus brefs délais et il a défini la procédure à suivre. II serait, à mon avis, incompatible avec l'esprit de cet article de déclarer qu'avant de rendre un ordre provisoire le mi-nistère des Postes doit tenir une audition. S'il existait une telle obligation, il fau-drait aviser la partie en cause de ce qu'on invoque à son encontre et lui donner une occasion raisonnable d'y répondre. Si tel était le cas l'audition prévue au pa-ragraphe (2) serait une répétition inutile. Généralement parlant, la maxime audi alteram partem a trait aux décisions de nature définitive affectant les droits des parties, et il en est de même de l'article 2 e) de la Déclaration canadienne des droits, invoquée par les intimés. L'extrait suivant de Broom's Legal Maxims, 10° édition, p. 117 est pertinent: Bien qu'on puisse trouver dans les recueils de jurisprudence des décisions ren-dues en vertu de lois particulières, qui, à première vue, semblent en conflit avec la maxime, on trouvera, en les examinant de plus près, qu'elles n'y sont pas incompatibles, car cette règle de justice élémentaire exige uniquement qu'une per-sonne ne soit pas assujettie à un jugement définitif ou une condamnation sans avoir eu l'occasion de se faire entendre. Je doute que cet arrêt puisse s'appliquer en l'espèce. Dans l'affaire Ran-dolph il y avait une procédure d'audition avant l'ordonnance finale et, dans lE [1966] R.C.S. 260. 16 S.R.C. 1952, c. 212.
[1970] R.C.E. BOKOR v. LA REINE 869 son essence, le jugement a déclaré qu'une audition avant que l'ordonnance provisoire ne soit mise en vigueur n'était pas nécessaire. Comme je l'ai déjà cité, le juge Cartwright, en prononçant son jugement, déclarait: ... Généralement parlant, la maxime audi alteram partem a trait aux déci-sions de nature définitive affectant les droits des parties, et il en est de même de l'article 2 e) de la Déclaration canadienne des droits, invoquée par les intimés. Il est exact que le renvoi du pétitionnaire de son emploi comme stagiaire était définitif en soi et que la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique ne prévoyait pas d'audition du pétitionnaire avant que son renvoi n'entre en vigueur, ni même la nécessité de lui donner les raisons de son renvoi. L'article 2 de la Déclaration des droits vise toutefois à ne pas «supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnues et dé-clarées aux présentes ... » Les droits reconnus et déclarés sont énumérés à l'art. 1 que voici: 1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits 'de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe: a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s'en voir priver que par l'application régulière de la loi; b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi; c) la liberté de religion; d) la liberté de parole; e) la liberté de réunion et d'association; et f) la liberté de la presse. Bien que le pétitionnaire ait été congédié de façon sommaire de son emploi comme stagiaire sans avoir été entendu et sans avoir reçu de raison, je doute qu'on puisse dire qu'il a été privé de «sa liberté, la sécurité de sa personne et de la jouissance de ses biens» au sens de l'al. a) de l'art. 1 ou de «l'égalité devant la loi et la protection de la loi» au sens de l'al. b) de l'art. 1. Il me semble que la sécurité d'emploi, particulièrement lorsque l'on sait, au moment on l'accepte, qu'il s'agit d'un stage et qu'on peut y mettre fin de façon sommaire, n'est pas un droit fondamental de l'homme entrant dans le cadre de la Déclaration des droits, mais devrait plutôt être prévue par une autre loi telle que la Loi canadienne sur les justes méthodes d'emploi (pré-citée), qui ne semble pas accorder de protection en ce sens et qui, en tout état de cause, comme je l'ai déjà indiqué, n'est pas, selon moi, applicable aux employés de la Fonction publique. En outre je ne crois pas que la sécurité d'emploi, dans ces circonstances, soit un droit de l'homme ou une liberté fondamentale au sens de l'art. 5(1) de la Déclaration des droits, que voici: 5. (1) Aucune disposition de la Partie I ne doit s'interpréter de manière à supprimer ou restreindre l'exercice d'un droit de l'homme ou d'une liberté fonda-mentale non énumérés dans ladite Partie et qui peuvent avoir existé au Canada lors de la mise en vigueur de la présente loi. De plus, dans l'arrêt Randolph, le juge Cartwright a aussi déclaré de façon catégorique: «il ne fait aucun doute que le Parlement a le pouvoir d'abroger ou de modifier l'application de la maxime audi alteram partem».
[1970] R.C.É. BOKOR v. LA REINE 871 En ne prévoyant pas d'audition pour les stagiaires qui ont été renvoyés, il l'a peut-être fait, mais uniquement pour cette classe précise d'employés puis-que l'art. 31 de la Loi prévoit une audition avant le renvoi ou le congédie-ment d'un employé permanent. Je conclus donc que le pétitionnaire n'a pas de cause d'action sur cette deuxième question. En raison de cette conclusion, il devient inutile d'étudier la question, débattue de façon assez détaillée par les parties, de savoir si la cause d'action, s'il y en avait eu une, aurait résulté d'une faute ou d'un délit. Je réponds donc dans la négative à la question de droit et, puisque j'ai déclaré que le pétitionnaire n'avait pas de cause d'action, la présente est rejetée avec dépens.
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