192 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1963] 1961 ENTRE: janvier 18 GEORGES ST-AUBIN APPELANT; 1962 ET juillet 25 LE MINISTRE DU REVENU NA- TIONAL INTIMÉ. Revenu—Impôt sur le revenu—Loi de l'Impôt sur le Revenu, 1948, ch. 52, art. 127(1)(e)—Achat de terrain—Projet non réalisé—Intention de vendre à profit—Profit imposable—Entreprise—Initiative—Affaire— Caractère commercial—Appel rejeté. L'appelant, par l'entremise d'une tierce personne, achetait le 4 janvier 1951, pour le prix de $35,000, un lot situé ville Mont-Royal, P.Q., qui originairement, faisait partie d'une ferme, se proposant d'ériger ou d'y faire ériger un bâtiment industriel pour fins locatives. Forcé, d'après sa seule version, d'abandonner son projet, l'appelant revendait, par parcelles du 3 mai au 13 août 1951, le terrain en question, réalisant un profit de $80,070.32 qu'il ne déclara pas pour l'année d'imposition 1951. Le Ministre corrigea cette omission au moyen d'une cotisation revisée. D'où le présent appel à cette Cour. Jugé: L'appel est rejeté. 2. C'est par une déduction raisonnable des faits mis en preuve que la Cour doit déterminer s'il s'agit, en l'instance, de revenus imposables ou non. En plus d'avoir failli dans la preuve de son intention d'ériger sur le terrain un édifice comme placement, il est évident, compte tenu de la preuve, que l'appelant avait également l'intention de vendre à profit à défaut de réaliser son projet. Dès lors, le profit en provenant, est imposable comme résultant d'une entreprise, d'une initiative ou affaire d'un caractère commercial conformément à la Loi de l'Impôt, 1948, ch. 52, art. 127(1)(e) qui s'applique à l'année 11951 mais en tout point semblable à l'art. 139(1) (e) de la Loi d'Impôt, S.R.C. 1952, art. 139(1):(e). Telle interprétation a été appliquée dans la cause de Regal Heights Ltd. v. Minister of National Revenue [1960] S.C.R. 907. APPEL d'une cotisation revisée par le Ministre du Revenu National, division de l'impôt. L'appel a été entendu par l'Honorable Juge Noël à Mont-réal, P.Q. René Duranleau c.r. pour l'appelant. Paul Boivin c.r. pour l'intimé. Les faits et les questions de droit sont exposés dans les motivés de la décision que rend maintenant (25 juillet 1962) monsieur le juge Noël: Pour l'année 1951, M. Georges St-Aubin, de Montréal, qui se déclare industriel mais qui en fait de marchand de fourrures est devenu hôtelier, se vit imposer sur son revenu
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 193 une taxe additionnelle afférent à un profit de $80,070.32 1962 réalisé sur des ventes de terrains situés dans Ville Mont- GEORGES Royal et connus comme partie du lot 579 de la paroisse de Sl'- ÛUBIN St-Laurent. St-Aubin, qui n'avait pas rapporté cette rentrée LE MINISTRE de fonds reçut avis, le 13 décembre 1956, que le Ministre du NATIONA L Revenu national entendait corriger cette omission d'où Noël J. l'actuel pourvoi, St-Aubin excipant de la revision officielle. — Il est admis que la partie dudit lot 579 fut achetée le 4 janvier 1951 au coût de $35,000 plus $39.05 pour frais de notaire et revendue par parties comme suit: 3 mai 1951 à Cockehutt Plow Co. Ltd. $ 5,397.00 7 juin 1951 à Frank W. Harper Ltd. 100,080.12 13 août 1951 à Watt & Scott (Montreal) Ltd. 3,768.00 10 mai 1951 à Ville Mont-Royal 5,86425 $115,10937 laissant par conséquent un profit net de $80,070.32. L'appelant s'était porté acquéreur de cette partie dudit lot en question dans les circonstances suivantes. Son oncle, Prospère St-Aubin, décéda dans le cours du mois de juillet 1950 et par son testament légua à titre de legs particuliers à sept de ses neveux et nièces ladite partie du lot 579 nom-mant comme co-exécuteur testamentaire son neveu, l'ap-pelant, qui était également légataire universel avec d'autres neveux et nièces. Ne pouvant acheter ladite partie du lot numéro 579 ouvertement sans dévoiler à ses cousins ses intentions et aussi parce qu'il était temporairement à court d'argent, il s'aboucha avec un nommé Paul Demers, courtier en immeubles, et ami, de qui il emprunta $15,000 pour com-pléter le prix d'achat et tous deux signèrent une lettre non datée à l'adresse du Montreal Trust Company, produite comme pièce I-2, par laquelle ils s'engagèrent à acheter con-jointement des héritiers 'St-Aubin partie dudit lot 579, demandant et autorisant la compagnie de fiducie de l'acquérir en son nom, de le détenir pour leur compte sujet à leurs instructions et s'engageant de plus conjointement et solidairement à garantir et indemniser la compagnie de fiducie de toutes réclamations ou pertes qu'elle pourrait subir résultant du fait que ladite propriété soit enregistrée en son nom. Notons que, nonobstant la pièce I-2, Demers, dans la transaction qui concerne le lot 579, n'agit que comme
194 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1963] 1962 l'agent de l'appelant et son bailleur de fonds pour un mon-GEOROEs tant de $15,000, recevant en retour une commission de ST -ÂvBIN $1,500 pour l'obtention de l'option et une autre commission LE MINISTRE de $3,500 pour la vente de partie de son terrain à Frank W. DU REVENU NATIONAL Horner Ltd. Noël J. Dans cette pièce I-2 le terrain en question est décrit comme suit: A parcel of land situate in the TOWN OF MOUNT ROYAL, being PART OF ORIGINAL LOT NUMBER FIVE HUNDRED AND SEVENTY-NINE (Pt. 579) of the Official Cadastre of the PARISH OF ST. LAURENT (Jacques Cartier), and bounded as follows. To the SouthEast, by part of said Lot No. 579 belonging to the "Canadian Pacific Railway"; to the South-West, by another portion of said Lot No. 579 belonging to the Estate of Mrs. Daniel St. Aubin; to the North-West partly by the property belonging to the "Canadian Pneumatic Tool Co. Ltd." and partly by the property belonging to "Le Petit Journal" to the North-East, partly by a portion of Lot Number 580 of said Cadastre belonging to the "Cana-dian Pacific Railway" and partly by another portion of said Lot No. 580 being a proposed street in the Town of Mont Royal; THE WHOLE containing an area of approximately SEVEN (7) ARPENTS and shown on the attached sketch Plan, outlined in red. L'appelant déclare que lorsqu'il a acheté ce terrain qui faisait originairement partie d'une ferme appartenant à son grand-père, il voulait y ériger une bâtisse industrielle. En effet, il affirme: «Je voulais bâtir une bâtisse indus-trielle dans ce bout là; ce sont toutes des industries et Ville Mont-Royal a réservé cela pour des industries. Il y en avait d'autres qui louaient et ça avait l'air à rapporter bien, alors j'avais envie de faire une bâtisse et la louer à long terme.» Il ajoute qu'à sa connaissance il y avait dans les alentours de son terrain des immeubles qui avaient été construits et loués et il donne comme exemple les bâtiments d'Alexis Nihon et de Laurion Equipment. D'autre part il admet qu'il n'avait aucune expérience dans la construction, qu'il n'a pas personnellement fait enquête pour voir s'il pouvait placer son argent sur des bâtiments industriels, ni n'est allé voir personne pour faire faire des plans, s'en remettant entièrement quant au projet à son ami Demers. Il déclare d'une façon peu convaincante à la question de savoir si 'à sa connaissance personnelle Demers serait allé voir des architectes pour faire faire des plans pour la construction d'un bâtiment sur son lot: «Il m'en a parlé, oui. Mais au juste qui il est allé voir; je ne le sais pas; il m'a parlé de ça qu'il était allé voir des types.»
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 195 La preuve révèle que peu de temps après l'achat du lot, 1962 une rue fut ouverte, soit la continuation de la rue Ferrier, GEORGES grâce à la vente le 10 mai 1951 par l'entremise du Montreal ST -:BIN Trust de l'assiette de ladite rue à la ville de Mont-Royal LE MINISTRE EVENII pour la somme de $5,864.25. Cette rue projetée apparaissait NATIONAL d'ailleurs comme nous l'avons vu à la pièce I-2. Noël J. L'appelant admet aussi qu'il y avait au moment où il — acheta le terrain un développement progressif qui se faisait dans cette région de Ville Mont-Royal mais précise que près de son terrain c'était encore tout un champ. A tout événement, malgré la déclaration de l'appelant de son intention d'ériger sur son terrain un bâtiment indus- triel qu'il louerait pour fins de revenu, il prétend qu'il a dû abandonner son projet à cause de la continuation de la rue Ferrier qui divisait son terrain, et parce qu'il n'a pu trouver une industrie assez grande pour utiliser tout le terrain et aussi parce que Demers l'aurait conseillé de vendre à Frank W. Homer Ltd. en lui disant: «J'ai Homer, si tu ne veux pas être pris avec ce terrain trop longtemps tu es mieux de vendre» et ajoutant «si ça ne se vend pas tout de suite ça peut prendre dix ans avant que ça soit vendu; il peut arriver bien des affaires d'ici ce temps-là.» Comme nous l'avons vu plus haut, le terrain ayant été acheté par l'appelant le 4 janvier 1951 fut vendu par par- celles du 3 mai 1951 au 13 août de la même année de sorte qu'à cette date, soit moins de huit mois après l'achat, il avait tout vendu. Voyons dans quelles circonstances ces ventes eurent lieu. La première eut lieu le 3 mai 1951 à Cockshutt Plow Co. Ltd. pour la somme de $5,397, la seconde, sept jours plus tard, le 10 mai 1951, à Ville Mont-Royal pour la continua- tion de la rue Ferrier, pour la somme de $5,864.25, la troisième, le 7 juin 1951 à Frank W. Horner Ltd. pour la somme de $100,080.12, et enfin la quatrième, le 13 août 1951 à Watt & Scott (Montreal) Ltd. pour la somme de $3,768. L'appelant déclare que Watt & Scott et Cockshutt Plow Co. Ltd. étaient tous deux des clients du C.P.R. qui possédait des terrains au sud du sien sur lesquels il voulait les établir; pour leur donner accès à la rue Ferrier qu'on venait de continuer, il leur fallait acheter deux petites lisières de terrain de l'appelant. Le C.P.R. a demandé à l'appelant que les transactions pour ses deux clients se fas- sent directement avec le vendeur au lieu que le C.P.R.
196 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1963] 1962 achète le terrain et le revende à son tour, de sorte que GEOROEs l'appelant prétend que l'on n'a ici en fait qu'une seule ST-Avals o. transaction. LE MINISTRE DIT REVENU Il appert cependant que le 15 décembre 1950, soit quinze NATIONAL jours avant l'achat du lot 579, l'appelant et Paul Demers Noël J. achetèrent aussi mais cette fois à parts égales partie du lot 578 situé près du lot 579 qui était plus petit cependant que le lot 579. En effet, le lot 578 comportait 253,900 pieds carrés et le lot 579 en comprenait 309,646, de sorte que l'explication donnée par l'appelant à l'effet que le terrain 579 était trop grand pour qu'un projet industriel s'estompe lorsqu'on considère qu'il aurait pu utiliser le lot 578 (ou du moins sa moitié indivise) qui était plus petit bien qu'il soumette que ce n'était pas son intention de vendre sa, partie dudit lot mais qu'il a dû cependant en vendre une partie en 1953 à la Ville de Mont-Royal au prix de $27,877.83 pour l'ouverture des rues Royal Mount Ave., Devonshire Road et Ferrier et la balance en 1956 à la même ville pour la somme de $125,000 pour y ériger des bâtiments municipaux, sans quoi il aurait été exproprié. L'autre partie indivise de ce lot appartient encore à Demers qui y a installé une enseigne comportant une offre de le louer ou de l'utiliser pour fins de construction industrielle. Cette dernière transaction a été faite pour l'appelant par l'entremise d'une autre compagnie de fiducie la National Trust bien . que dans ce cas il n'était aucunement nécessaire de cacher l'identité de l'acheteur comme dans le cas du lot 579. Il est en preuve qu'on ne fit aucune sollicitation ni annonce pour la vente de ces terrains. La question de savoir si le profit réalisé par l'appelant est sujet à taxation dépend de la véritable nature de l'opération ou des opérations dans lesquelles l'appelant s'est engagé. L'achat du terrain a-t-il été fait (i) dans l'intention de le revendre à profit ou (ii) pour y construire ou y faire con-struire et détenir un bâtiment industriel comme placement ou (iii) pour les deux fins à la fois? C'est par une déduction raisonnable des faits mis en preuve que l'on doit déterminer s'il s'agit ici de revenus imposables ou non. La preuve quant à l'intention de l'appelant d'ériger ou de faire ériger sur son terrain un bâtiment industriel se résume à sa déclaration. Demers n'est pas entendu comme témoin parce qu'il est sérieusement malade et l'appelant ne fait
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA '197 entendre aucun autre témoin. Il me semble que si réellement 1962 l'intention de l'appelant avait été telle qu'il le déclare, il GEORGES aurait pu obtenir le témoignage d'un constructeur, d'un Sm- vUBIN prêteur ou d'un architecte ou, du moins, des échanges de LE MINISTRE DII REVENU correspondance qui auraient pu étayer sa prétention. Or NATIONAL rien de tel et l'on n'a que la seule déclaration de l'appelant Noël J. sur ce point. Quant à Demers qui agissait comme l'agent de l'appelant pour ces transactions, ce dernier déclare tout au plus que Demers serait allé voir certaines personnes qu'il ne connaît pas. L'explication donnée par l'appelant qu'il n'avait pu trouver une industrie assez grande pour occuper tout son terrain ne tient pas non plus puisque l'appelant possédait un terrain plus petit, soit la partie du lot 578 qu'il aurait pu utiliser pour y ériger un bâtiment industriel mais qu'il a vendu à Ville Mont-Royal en 1956 pour la somme de $125,000. Notons ici que l'appelant déclare en réponse à son procureur qui lui demande s'il avait cherché des acquéreurs possibles pour le lot 578 qu'il n'en a pas cherché mais qu'«il y avait peut-être pour une industrie si on avait eu une industrie.» Ceci à mon sens dispose des raisons données par l'appelant pour expliquer pourquoi il n'a pas pu exécuter son projet. D'ailleurs, même s'il fallait accepter la déclaration de l'appelant à l'effet que son but était d'ériger sur ce terrain un bâtiment industriel comme placement, ce qui comme nous venons de le voir est loin d'être établi, il faudrait, compte tenu de la preuve, en venir à la conclusion qu'il avait également l'intention de vendre à profit s'il ne pouvait réaliser son projet. En effet, si les opérations de l'appelant sont d'une nature telle qu'elles comportent en plus de l'intention d'en faire un placement l'intention également de revendre à profit au cas où son projet ne se matérialiserait pas, les profits provenant de la vente des terrains seraient quand même imposables comme résultant d'une entreprise, d'une initiative ou affaire d'un caractère commercial con-formément à la s. 127(1) (e) de la Loi de l'Impôt sur le revenu de 1948 qui s'applique à l'année 1951 mais qui est en tout point semblable à l'article 139 (1) (e) de la loi de
198 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1963] 1962 1952 et tel que décidé par la Cour Suprême in re Regal GEORGES Heights Limited v. The Minister of National Revenue'. En ST -AUBIN effet, le juge Judson, aux pages 905-907 déclare: LE MINISTRE There is no doubt that the primary aim of the partners in the acquisi- DU REVENII NATIONAL t ion of these properties, and the learned trial judge so found, was the establishment of a shopping centre but he also found that their intention was to Noël J. sell at a profit if they were unable to carry out their primary aim. There is no evidence that these promoters had any assurance when they entered upon this venture that they could interest any such department store. Their venture was entirely speculative. If it failed, the property was a valuable property, as is proved from the proceeds of the sales that they made. There is ample evidence to support the finding of the learned trial judge that this was an undertaking or venture in the nature of trade, a speculation in vacant land. Nous devons également souligner ici le court intervalle de temps qui s'est écoulé, soit environ huit mois, entre l'achat du terrain de l'appelant et la vente du même terrain ainsi que d'admission par l'appelant qu'il savait que ce sec-teur de la ville de Mont-Royal était en plein développement confirmée d'ailleurs par le fait que le terrain acheté était borné par une rue projetée que mentionne la pièce I-2, document que l'appelant et Demers ont tous deux signé. Il nous paraît donc à la lumière des faits de la loi et de la jurisprudence que nous sommes ici en présence d'une entre-prise ou affaire d'un caractère commercial et spéculatif et par conséquent nous en venons à la conclusion que le profit en résultant est imposable conformément aux ss. 3, 4 et 127(1) (e) de la Loi de l'Impôt sur le revenu de 1948. L'appel est donc rejeté avec dépens. Jugement conforme.
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