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A-216-20

2022 CAF 18

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (appelant)

c.

Lotfi Abdulrahman Ahmed Bafakih, Suaad Bafakih, Abdulrahman Lot Bafakih, Ahmed Bafakih (intimés)

Répertorié : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Bafakih

Cour d’appel fédérale, juges Webb, Mactavish et LeBlanc, J.C.A.—Toronto, 28 septembre 2021; Ottawa, 1er février 2022.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Demande d’annulation — Appel à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale annulant une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal de révision), annulant, comme l’autorise l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, une décision rendue par ce qui était à l’époque la Section du statut de réfugié (le tribunal initial) qui a fait droit à la demande d’asile des intimés — L’article 109 de la Loi confère à la Section de la protection des réfugiés (la SPR) le pouvoir discrétionnaire d’annuler une décision ayant fait droit à une demande d’asile dans certaines circonstances — En l’espèce, le tribunal de révision a conclu que les intimés, une famille du Yémen, avaient obtenu l’asile en ne divulguant pas leurs liens avec le Kenya, un pays de référence possible — Selon le tribunal de révision, si ces renseignements avaient été divulgués, cela aurait éveillé les soupçons du tribunal initial et aurait pu mener à une enquête plus poussée afin de savoir si les intimés avaient possiblement la nationalité kenyane — La Cour fédérale a conclu que cette conclusion était déraisonnable parce qu’aucun élément de preuve n’établissait que, si ces renseignements avaient été divulgués, ils auraient joué un rôle important dans l’octroi même du statut de réfugié — La Cour fédérale a également conclu que ces renseignements n’étaient essentiels que pour d’éventuelles questions qui n’auraient mené nulle part puisqu’aucun élément de preuve n’indiquait que les intimés avaient droit à la nationalité kenyane ou que le Kenya était un pays de référence possible — La Cour fédérale a conclu que l’appelant n’avait pas établi que les omissions des intimés étaient importantes en ce qui concerne l’octroi du statut de réfugié; elle a certifié la question de savoir si l’intimé devait démontrer une présentation erronée de faits importants ou une réticence quant à ces faits qui aurait modifié la conclusion du tribunal initial de la SPR — Il s’agissait de déterminer si la décision du tribunal de révision était raisonnable — En l’espèce, le tribunal de révision a refusé à tort d’examiner la question de la présentation erronée sur un fait important ou une réticence sur ce fait avant d’annuler l’octroi du statut de réfugié — Le problème reposait sur la manière dont la question avait été examinée par le tribunal de révision — Clairement, le tribunal de révision n’avait pas la compétence, en vertu du paragraphe 109(1) de la Loi, de déterminer si les intimés avaient droit à la citoyenneté kenyane — La position du tribunal de révision allait à l’encontre de la jurisprudence — Le tribunal de révision n’a pas tenu compte des documents étrangers au dossier; il n’a pas répondu adéquatement à la question de l’importance des omissions imputables aux intimés — Si le tribunal de révision avait examiné la preuve et conclu que les intimés n’avaient pas droit à la citoyenneté kenyane, il n’aurait pas pu conclure qu’ils avaient donné une fausse indication ou dissimulé un fait — La façon dont le tribunal de révision a procédé a eu une incidence sur le caractère raisonnable de son ordonnance d’annulation — Une telle erreur était suffisante pour annuler la décision du tribunal de révision et constituait un élément déterminant dans le présent appel — Par conséquent, il n’était pas nécessaire de trancher l’autre élément de la question certifiée — La décision du tribunal de révision a été annulée et l’affaire renvoyée à la SPR pour réexamen par un tribunal différemment constitué — La Cour d’appel a répondu par l’affirmative à l’élément de la question certifiée pour lequel elle avait demandé que les parties lui fournissent d’autres observations sur la question de savoir si la SPR est tenue de conclure qu’il y a eu présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait avant d’annuler l’octroi du statut de réfugié — Appel rejeté.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle judiciaire — Appel à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale annulant une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal de révision), annulant, comme l’autorise l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, une décision rendue par ce qui était à l’époque la Section du statut de réfugié (le tribunal initial) qui a fait droit à la demande d’asile des intimés — Le tribunal de révision a conclu que les intimés avaient obtenu l’asile en ne divulguant pas leurs liens avec le Kenya, un pays de référence possible — Selon le tribunal de révision, si ces renseignements avaient été divulgués, cela aurait éveillé les soupçons du tribunal initial et aurait pu mener à une enquête plus poussée afin de savoir si les intimés avaient possiblement la nationalité kenyane — La Cour fédérale a conclu que cette conclusion était déraisonnable parce qu’aucun élément de preuve n’établissait que, si ces renseignements avaient été divulgués, ils auraient joué un rôle important dans l’octroi même du statut de réfugié — La Cour fédérale a également conclu que ces renseignements n’étaient essentiels que pour d’éventuelles questions qui n’auraient mené nulle part puisqu’aucun élément de preuve n’indiquait que les intimés avaient droit à la nationalité kenyane ou que le Kenya était un pays de référence possible — La Cour fédérale a conclu que l’appelant n’avait pas établi que les omissions des intimés étaient importantes en ce qui concerne l’octroi du statut de réfugié— Il s’agissait de déterminer si la décision du tribunal de révision était raisonnable — La décision du tribunal de révision était déraisonnable et devait être annulée — Cependant, les motifs derrière cette conclusion étaient différents de ceux de la Cour fédérale — L’essence de la conclusion de la Cour fédérale était que les omissions imputables aux intimés concernant leurs liens avec le Kenya n’étaient pas importantes; que la décision du tribunal de révision ne pouvait pas être maintenue puisqu’aucun élément de preuve n’indiquait que les liens des intimés avec le Kenya leur auraient permis d’obtenir la nationalité kenyane — Il revenait au tribunal de révision de tirer ces conclusions, et non à la Cour fédérale en tant que cour de révision — Bien que la Cour fédérale ait établi que la norme de la décision raisonnable était la norme applicable à la décision contestée, elle s’en est écartée; elle a examiné la décision selon la norme de la décision correcte — En tirant sa propre conclusion sur l’importance des omissions imputables aux intimés, la Cour fédérale a excédé sa compétence en procédant à l’examen de la décision du tribunal de révision — Elle s’est elle-même chargée de tirer une conclusion sur une question que le tribunal de révision avait refusé d’examiner — Elle ne pouvait pas faire cela.

Il s’agissait d’un appel à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale annulant une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (le tribunal de révision), annulant, comme l’autorise l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, une décision rendue par ce qui était à l’époque la Section du statut de réfugié (le tribunal initial) qui a fait droit à la demande d’asile des intimés. L’article 109 de la Loi confère à la SPR le pouvoir discrétionnaire d’annuler une décision ayant fait droit à une demande d’asile si elle conclut que : 1) l’acceptation de la demande résultait directement ou indirectement de présentations erronées faites par le demandeur d’asile sur un fait important quant à un objet pertinent de sa demande, ou d’une réticence sur ce fait; 2) en laissant de côté la question des présentations erronées, il ne restait pas suffisamment d’éléments de preuve justifiant l’octroi de l’asile. En l’espèce, le tribunal de révision a conclu que les intimés, une famille du Yémen constituée de quatre personnes, avaient obtenu l’asile en ne divulguant pas leurs liens avec un pays de référence possible, le Kenya. Selon le tribunal de révision, si ces renseignements avaient été divulgués, cela aurait éveillé les soupçons du tribunal initial et aurait pu mener à une enquête plus poussée afin de savoir si les intimés avaient possiblement la nationalité kenyane. La Cour fédérale a conclu que cette conclusion était déraisonnable parce qu’aucun élément de preuve au dossier n’établissait que, si ces renseignements avaient été divulgués, ils auraient joué un rôle important dans l’octroi même du statut de réfugié. Selon la Cour fédérale, il ne s’agissait d’un élément essentiel que pour d’éventuelles questions qui n’auraient mené nulle part puisqu’aucun élément de preuve dont elle disposait n’indiquait que les intimés avaient droit à la nationalité kenyane ou que le Kenya était un pays de référence possible. La Cour fédérale a certifié la question de savoir si l’intimé devait démontrer une présentation erronée de faits importants ou une réticence quant à ces faits qui auraient modifié la conclusion du tribunal initial de la SPR et la question de savoir si la SPR est tenue de tirer une conclusion à cet égard. La Cour fédérale a ensuite demandé aux parties de fournir d’autres observations sur un élément pertinent de la question certifiée et, en réponse, les parties ont soutenu qu’avant d’annuler une décision d’accueillir une demande d’asile en vertu du paragraphe 109(1) de la Loi, la SPR devait conclure à une présentation erronée sur un fait important, ou à une réticence sur ce fait, ajoutant que les parties s’entendaient sur la question de savoir si la SPR avait tiré une conclusion de présentation erronée en l’espèce.

Les intimés ont demandé l’asile lorsqu’ils sont arrivés au Canada depuis le Yémen, et le tribunal initial a accueilli leur demande. Ultérieurement, l’appelant a demandé l’annulation de la décision du tribunal initial. Selon la preuve, il semblait que le Kenya aurait pu être un pays de référence pour la demande d’asile. Les intimés ont nié avoir des liens, anciens ou actuels, avec le Kenya. Le tribunal de révision a refusé de trancher la question de savoir si un fondement juridique quelconque permettrait de prendre en compte le Kenya comme pays de référence possible pour les intimés. Il a en outre conclu que la non-divulgation des liens avec le Kenya par les intimés suffisait à donner lieu à l’application du paragraphe 109(1) de la Loi, car une telle omission faisait obstacle à certaines questions qui auraient pu déboucher sur le rejet de leur demande d’asile par le tribunal initial. Ayant souligné que le tribunal de révision n’avait pas tranché la question de savoir si le Kenya était ou non un pays de référence, la Cour fédérale a conclu que l’approche que le tribunal de révision avait adoptée à l’égard de l’article 109 de la Loi était fondamentalement déficiente. Elle a conclu que si les intimés avaient pu avoir un lien quelconque avec le Kenya qui ne leur aurait pas permis d’obtenir la nationalité kenyane, alors, il ne pouvait y avoir réticence sur un fait important quant à un objet pertinent. La Cour fédérale a conclu que l’appelant n’avait pas établi que les omissions des intimés étaient importantes en ce qui concerne l’octroi du statut de réfugié.

L’appelant a soutenu que la Cour fédérale a adopté le mauvais critère juridique en exigeant qu’il établisse que l’issue de la demande d’asile des intimés aurait certainement été différente si le tribunal initial avait eu accès au dossier de preuve complet. En outre, il a soutenu que le tribunal de révision avait raisonnablement conclu que les intimés, en dissimulant la totalité de l’information mentionnant le Kenya, ont obtenu l’asile en dissimulant des faits importants puisque les faits non divulgués soulevaient des questions relatives à l’identité, à la nationalité et au pays de référence possible, qui sont tous au cœur de la demande d’asile.

Gardant à l’esprit la question certifiée, la décision du tribunal de révision était-elle raisonnable?

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

La question certifiée portait sur le critère appliqué par la SPR avant d’annuler la décision de faire droit à la demande d’asile aux termes du paragraphe 109(1) de la Loi. Le problème fondamental en l’espèce était que, même si les parties avaient convenu à juste titre que la SPR était tenue de conclure à une présentation erronée sur un fait important, ou à une réticence sur ce fait avant d’annuler l’octroi du statut de réfugié, le tribunal de révision en l’espèce a refusé à tort d’examiner cette question. Il a refusé à tort de débattre de la question de l’importance des omissions imputables aux intimés concernant leurs liens avec le Kenya. Le tribunal de révision a plutôt mis l’accent sur la question de savoir si ces omissions avaient eu pour effet d’amener le tribunal initial à accorder l’asile, évitant ainsi une étape essentielle de l’analyse. Il s’agissait là d’une erreur fatale. Les omissions imputables aux intimés en l’espèce se rapportaient à un « objet pertinent », comme l’exige le paragraphe 109(1) de la Loi. Toutefois, pour entraîner l’annulation de la décision du tribunal initial, ces omissions devaient également être importantes. En l’espèce, le problème reposait sur la manière dont la question de l’importance a été examinée par le tribunal de révision. Le tribunal de révision était clairement d’avis qu’il n’avait pas la compétence, en vertu du paragraphe 109(1) de la Loi, de déterminer si les intimés avaient droit à la citoyenneté kenyane. La position adoptée par le tribunal de révision sur cette question allait à l’encontre de la jurisprudence qui a pour effet de circonscrire l’éventail des issues raisonnables. En vertu du paragraphe 109(1) de la Loi, il incombe à la SPR non seulement d’identifier la nature des présentations erronées ou des omissions invoquées par le ministre compétent dans sa demande, mais également de déterminer la mesure dans laquelle ces présentations erronées ou ces omissions auraient peut-être été importantes. Cette décision consistait à examiner l’ensemble des éléments de preuve figurant dans le dossier, de même que les nouveaux éléments de preuve produits par les deux parties. En l’espèce, le tribunal de révision n’avait pas examiné les documents étrangers, malgré le fait qu’il disposait notamment des dispositions de la Constitution du Kenya de 1963 et de 2010 traitant de la citoyenneté, qui donnaient à penser que les enfants des citoyens kenyans pouvaient avoir droit à la nationalité kenyane par filiation, répondant ainsi de façon inadéquate à la question de l’importance des omissions imputables aux intimés. Si le tribunal de révision avait examiné équitablement l’ensemble de la preuve et qu’il avait conclu que les intimés n’avaient pas le droit à la citoyenneté kenyane, il n’aurait pas pu conclure qu’ils avaient donné une fausse indication ou dissimulé un fait. La façon dont le tribunal de révision a procédé a eu une incidence sur le caractère raisonnable de son ordonnance d’annulation. Cette erreur suffisait à annuler la décision du tribunal de révision et constituait un élément déterminant dans le présent appel. Par conséquent, l’autre élément de la question certifiée n’avait pas à être tranché.

Bien que la décision du tribunal de révision était déraisonnable et devait être annulée, les motifs derrière cette conclusion étaient différents de ceux de la Cour fédérale. L’essence même de la conclusion de la Cour fédérale était que les omissions imputables aux intimés concernant leurs liens avec le Kenya n’étaient pas importantes. Selon le juge, la décision du tribunal de révision ne pouvait pas raisonnablement être maintenue, peu importe le critère énoncé au paragraphe 109(1), surtout du fait qu’aucun élément de preuve n’indiquait que les liens que les intimés auraient pu avoir avec le Kenya en 1999 leur auraient permis d’obtenir la nationalité kenyane. Cette conclusion devait être tirée par le tribunal de révision, et non par la Cour fédérale. Bien que la Cour fédérale ait établi, à juste titre, que la norme de la décision raisonnable était la norme applicable à la décision contestée, elle s’en est écartée et a en fait examiné la décision selon la norme de la décision correcte. En tirant sa propre conclusion sur l’importance des omissions imputables aux intimés, la Cour fédérale a excédé sa compétence en procédant à l’examen de la décision du tribunal de révision. Elle s’est elle-même chargée de tirer une conclusion sur une question que le tribunal de révision avait refusé d’examiner. Elle ne pouvait pas faire cela.

Par conséquent, la décision du tribunal de révision a été annulée et l’affaire renvoyée à la SPR pour réexamen par un tribunal différemment constitué. Enfin, la Cour d’appel fédérale a répondu par l’affirmative à l’élément de la question certifiée pour lequel elle avait demandé que les parties lui fournissent d’autres observations.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 40(1)a), 109.

Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, règle 22.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Gunasingam, 2008 CF 181, [2008] 3 R.C.F. F-2; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Wahab, 2006 CF 1554; Hassan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8795, [1999] 4 C.F. F-64 (1re inst.)

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42; Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 126, [2005] 3 R.C.F. 429.

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344; Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; Coomaraswamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 153, [2002] 4 C.F. 501.

APPEL à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2020 CF 689, [2020] 4 R.C.F. 143) annulant une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (X (Re), 2019 CanLII 143434), annulant, comme l’autorise l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, une décision rendue par ce qui était à l’époque la Section du statut de réfugié qui a fait droit à la demande d’asile des intimés. Appel rejeté.

Ont Comparu :

Kevin Doyle et Norah Dorcine pour l’appelant.

Ashley Fisch et Hart Kaminker pour les intimés.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

Kaminker and Associates, Toronto, pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge LeBlanc, J.C.A. : Il s’agit d’un appel interjeté par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) à l’encontre d’une décision rendue par le juge Russell de la Cour fédérale (le juge de première instance). Dans sa décision en date du 15 juin 2020 (2020 CF 689, [2020] 4 R.C.F. 143), le juge de première instance a annulé une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (le tribunal de révision) prononcée de vive voix le 28 mai 2019 ([X (Re), 2019 CanLII 143434 (C.I.S.R.)] Toronto TB8-11918, TB8-11919, TB8-11920 et TB8-11921), annulant, comme l’autorise l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), une décision rendue par ce qui était à l’époque la Section du statut de réfugié (le tribunal initial) qui a fait droit à la demande d’asile des intimés.

[2]        L’article 109 de la Loi confère à la Section de la protection des réfugiés (la SPR) le pouvoir discrétionnaire d’annuler une décision ayant fait droit à une demande d’asile si elle conclut que : 1) l’acceptation de la demande résultait directement ou indirectement de présentations erronées faites par le demandeur d’asile sur un fait important quant à un objet pertinent de sa demande, ou d’une réticence sur ce fait; 2) en laissant de côté la question des présentations erronées, il ne restait pas suffisamment d’éléments de preuve justifiant l’octroi de l’asile.

[3]        En l’espèce, le tribunal de révision a conclu que les intimés, une famille du Yémen constituée de quatre personnes, avaient obtenu l’asile en ne divulguant pas leurs liens avec un pays de référence possible, le Kenya. Selon le tribunal de révision, si ces renseignements avaient été divulgués, cela aurait éveillé les soupçons du tribunal initial et aurait pu mener à une enquête plus poussée afin de savoir si les intimés avaient possiblement la nationalité kenyane.

[4]        Le juge de première instance a conclu que cette conclusion était déraisonnable parce qu’aucun élément de preuve au dossier n’établissait que, si ces renseignements avaient été divulgués, ils auraient joué un rôle important dans l’octroi même du statut de réfugié. Selon le juge de première instance, il ne s’agissait d’un élément essentiel que pour d’éventuelles questions qui n’auraient mené nulle part puisqu’aucun élément de preuve dont il disposait n’indiquait que les intimés avaient droit à la nationalité kenyane ou que le Kenya était un pays de référence possible.

[5]        Le juge de première instance a certifié la question suivante :

Avant d’annuler une décision d’accorder le statut de réfugié en vertu du paragraphe 109(1) de la [Loi], faut-il que le défendeur démontre et que la Section de la protection des réfugiés conclue qu’il existe une présentation erronée de faits importants ou une réticence quant à ces faits qui aurait modifié la conclusion du tribunal initial de la Section de la protection des réfugiés, ou suffit-il que la Section de la protection des réfugiés conclue qu’il y a eu une présentation erronée ou une réticence quant à un fait important qui aurait pu donner lieu à des questions susceptibles d’entraîner le rejet de la demande d’asile par le tribunal initial de la Section de la protection des réfugiés?

[6]        Le 7 décembre 2021, quelques semaines après l’audition du présent appel, la Cour a demandé aux parties de fournir d’autres observations sur un élément pertinent de la question certifiée, car elle a conclu que cette question [traduction] « présuppose qu’une conclusion a été tirée par la SPR selon laquelle il y a eu présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait ». Cet élément de la question certifiée est le suivant :

Avant d’annuler une décision d’accorder le statut de réfugié en vertu du paragraphe 109(1) de la [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés], faut-il que […] la Section de la protection des réfugiés conclue qu’il existe une présentation erronée de faits importants ou une réticence quant à ces faits […]?

[7]        Dans leurs observations conjointes déposées le 21 décembre 2021, en réponse aux directives formulées par la Cour, les parties ont soutenu qu’avant d’annuler une décision d’accueillir une demande d’asile en vertu du paragraphe 109(1) de la Loi, la SPR devait conclure à une présentation erronée sur un fait important, ou à une réticence sur ce fait, ajoutant que les parties s’entendaient sur la question de savoir si la SPR avait tiré une conclusion de présentation erronée en l’espèce. Les parties affirment que c’était plutôt sur la question de savoir si cette conclusion était raisonnable et si le juge de première instance a correctement déterminé si la décision d’accorder le statut de réfugié aux intimés résultait de la dissimulation de faits importants qu’elles ne s’entendent pas.

[8]        Je reconnais que la SPR doit conclure qu’il y a eu présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait, avant d’annuler l’octroi du statut de réfugié, mais, pour les motifs qui suivent et qui diffèrent de ceux du juge de première instance, je suis d’avis que la décision du tribunal de révision en l’espèce ne résiste pas à l’examen.

I.     Les faits sous-jacents

[9]        Les intimés sont entrés au Canada en mai 1998 et ont demandé l’asile peu de temps après au motif qu’ils étaient harcelés et persécutés par un représentant bien en vue du gouvernement yéménite. Le tribunal initial a accueilli leur demande.

[10]      Quelques mois plus tard, le ministre a intercepté une liasse de documents envoyés aux intimés depuis les États-Unis. Les documents contenaient des cartes d’identité indiquant que les intimés adultes, Lotfi Abdulrahman Ahmed Bafakih (Lotfi) et Suaad Bafakih (Suaad), étaient nés à Mombasa, au Kenya. Cela a amené le ministre à demander, puis à obtenir des autorités kenyanes les dossiers biométriques établissant que Lotfi et Suaad étaient inscrits en tant que ressortissants kenyans. Les autorités kenyanes ont également fourni au ministre une copie des formulaires de demande de cartes d’identité du Kenya présentés en 1994 par des personnes qui portaient des noms semblables et dans lesquels Mombasa figurait également comme lieu de résidence.

[11]      Ayant en main ces renseignements, le ministre a demandé l’annulation de la décision du tribunal initial. Il a soutenu que, d’après la correspondance biométrique et les formulaires de demande de cartes d’identité fournis par les autorités kenyanes, le Kenya aurait pu être un pays de référence pour la demande d’asile initiale. Le ministre a en outre affirmé que la dissimulation de ces renseignements avait empêché le tribunal initial de mener une analyse approfondie des liens des intimés avec le Kenya.

[12]      Les intimés ont nié avoir des liens, anciens ou actuels, avec le Kenya, bien que Lotfi ait admis avoir eu recours, en 1994, aux services d’un tiers qui avait des liens avec ce pays dans l’espoir d’obtenir une carte d’identité du Kenya, ce qui ne s’est jamais concrétisé. Il a insisté sur le fait qu’il était animé par le désir de s’établir à l’extérieur du Yémen, puisqu’à cette époque, le Yémen était aux prises avec des troubles politiques. Il a également soutenu que son choix s’est arrêté sur le Kenya, non parce qu’il avait droit à la citoyenneté kenyane, mais parce que le passeport kenyan était plus respecté à cette époque, et qu’il l’aiderait à avoir accès à des possibilités d’emploi dans les États arabes du Golfe.

[13]      Au cours de l’audience devant le tribunal de révision, les intimés ont déposé certains éléments de preuve documentaire qui ont convaincu le tribunal de révision que Lotfi et Suaad étaient en fait nés au Yémen. Ils ont également déposé des affidavits des parents de Lotfi, qui ont tous deux déclaré notamment être nés dans les années 1940, dans des territoires qui font maintenant partie du Kenya.

II.    La décision du tribunal de révision

[14]      Le tribunal de révision a conclu que les nouveaux renseignements découlant des affidavits des parents de Lotfi démontraient que Lotfi aurait pu obtenir la citoyenneté kenyane par filiation. Ce fait, combiné aux éléments de preuve quant aux efforts de Lotfi pour obtenir des cartes d’identité du Kenya, constituait des faits importants qui auraient dû être divulgués au tribunal initial puisque ces questions relatives à l’identité, à la nationalité et au pays de référence possible sont au cœur même de la demande d’asile.

[15]      Pour en arriver à cette conclusion, le tribunal de révision a refusé de trancher la question de savoir si un fondement juridique quelconque permettrait de prendre en compte le Kenya comme pays de référence possible pour les intimés. Elle a insisté pour dire que le tribunal initial aurait pu examiner cette question si les liens des intimés avec ce pays avaient été divulgués en temps utile. De l’avis du tribunal de révision, la non-divulgation des liens avec le Kenya suffisait à donner lieu à l’application du paragraphe 109(1) de la Loi, car une telle omission a fait obstacle à certaines questions qui auraient pu déboucher sur le rejet de leur demande d’asile par le tribunal initial.

[16]      Le tribunal de révision était également convaincue qu’aucun autre élément de preuve suffisant n’avait été présenté au tribunal initial « qui penche[...] vers une demande d’asile à l’égard du Kenya » qui aurait pu justifier l’octroi de l’asile aux intimés conformément au paragraphe 109(2) de la Loi. De l’avis du tribunal de révision, « [i]l n’y a vraiment aucun élément sur lequel le tribunal, en 1999, aurait pu se fonder pour évaluer une demande d’asile à l’égard du Kenya ou le potentiel du Kenya comme pays de référence » (décision du tribunal de révision, à la page 9).

III.   La décision du juge de première instance

[17]      Ayant souligné que le tribunal de révision n’avait pas tranché la question de savoir si le Kenya était ou non un pays de référence, le juge de première instance a conclu que l’approche que le tribunal de révision avait adoptée à l’égard de l’article 109 de la Loi était « fondamentalement déficiente » [au paragraphe 72]. Selon le juge de première instance, si les intimés avaient pu avoir un lien quelconque avec le Kenya en 1999 qui ne leur aurait pas permis d’obtenir la nationalité kenyane, alors, il ne pouvait y avoir réticence sur un fait important quant à un objet pertinent. Il a souligné que le paragraphe 109(1) de la Loi exigeait que le tribunal de révision soit convaincue que la décision du tribunal initial « résulta[it] » du fait que les intimés n’ont pas mentionné le Kenya, et non qu’elle « pouva[it] avoir résulté[e] » d’une telle omission [au paragraphe 73].

[18]      Le juge de première instance a comparé le libellé du paragraphe 109(1) à celui de l’alinéa 40(1)a) de la Loi, qui traite de l’interdiction de territoire pour fausses déclarations faites par des non-citoyens qui ont directement ou indirectement fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait « ce qui entraîne ou risque d’entraîner » une erreur dans l’application de la Loi, en soulignant que ce libellé, qui énonce un critère plus large pour déterminer s’il y a interdiction de territoire, n’a pas été reproduit au paragraphe 109(1).

[19]      Le juge de première instance a en outre conclu qu’il était également déraisonnable d’annuler la décision du tribunal initial au motif que ce dernier « aurait pu » examiner le Kenya en tant que pays de référence possible parce qu’aucun élément de preuve au dossier n’indique que les intimés avaient droit à la citoyenneté kenyane et qu’ils n’ont pas, par conséquent, fait une présentation erronée sur un fait important. Plus précisément, il a déterminé qu’un aucun élément de preuve n’indiquait que le fait que les parents de Lotfi soient nés dans un territoire qui fait maintenant partie du Kenya conférait aux intimés le droit à la citoyenneté kenyane. Autrement dit, le juge de première instance était convaincu que les questions éventuelles que le tribunal initial n’a pas été en mesure de poser en raison du fait que les intimés n’ont pas révélé leurs liens avec le Kenya n’auraient mené nulle part.

[20]      Le juge de première instance a conclu que le ministre n’avait pas établi que les omissions des intimés étaient importantes en ce qui concerne l’octroi du statut de réfugié, car il était convaincu que l’enquête que le tribunal initial a été empêché de mener en raison des omissions n’aurait pas pu déboucher sur le rejet de cette demande.

IV.   La contestation par le ministre de la décision du juge de première instance

[21]      La contestation par le ministre de la décision du juge de première instance comporte deux volets. D’abord, il soutient que le juge de première instance a adopté le mauvais critère juridique en exigeant que le ministre établisse que l’issue de la demande d’asile des intimés aurait certainement été différente si le tribunal initial avait eu accès au dossier de preuve complet. Il soutient que le paragraphe 109(1) de la Loi exige simplement qu’il démontre la présence d’une réticence sur un fait important quant à un objet pertinent, et qu’il existe un lien de causalité entre la réticence et l’octroi du statut de réfugié, qui aurait pu mener à une conclusion différente. Il exhorte la Cour à répondre à la question certifiée en ces termes.

[22]      En deuxième lieu, le ministre soutient que le tribunal de révision a raisonnablement conclu que les intimés, en dissimulant la totalité de l’information mentionnant le Kenya, ont obtenu l’asile en dissimulant des faits importants puisque les faits non divulgués soulevaient des questions relatives à l’identité, à la nationalité et au pays de référence possible, qui sont tous au cœur de la demande d’asile. Il soutient également que les documents fournis par les autorités du Kenya comme preuve de la correspondance biométrique constituaient d’autres éléments de preuve que les intimés avaient obtenu l’asile en dissimulant des faits importants, mais il fait valoir que le tribunal de révision n’a pas fourni d’explications raisonnables pour ne pas en avoir tenu compte.

V.    Question en litige et norme de contrôle

[23]      Il est acquis en matière jurisprudentielle qu’en cas d’appel d’une décision de la Cour fédérale saisie d’une demande de contrôle judiciaire, notre Cour doit déterminer si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et, dans l’affirmative, si elle l’a correctement appliquée à l’examen de la décision administrative contestée. Pour ce faire, la Cour doit « se mettre à la place » de la Cour fédérale et se concentrer effectivement sur la décision administrative examinée (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 [Agraira], aux paragraphes 45 et 46).

[24]      Récemment, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42 (Horrocks), a refusé de réexaminer l’arrêt Agraira, et a confirmé que les principes dégagés dans cet arrêt continuaient de s’appliquer. Selon la Cour suprême dans l’arrêt Horrocks, l’approche adoptée dans l’arrêt Agraira, « n’accorde aucune déférence à l’application de la norme de contrôle par le juge de révision »; elle exige que la Cour « procède plutôt à un examen de novo de la décision administrative » (Horrocks, au paragraphe 10).

[25]      En l’espèce, en appliquant le cadre d’analyse exposé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 (Vavilov), le juge de première instance a choisi d’examiner la décision du tribunal de révision en appliquant la norme de la décision raisonnable. Les parties reconnaissent qu’il s’agissait du bon choix.

[26]      Gardant à l’esprit la question certifiée telle qu’elle a été scindée, le rôle de la Cour qui « se met à la place » de la Cour fédérale est de déterminer si la décision du tribunal de révision est raisonnable. Il est bien établi en droit que la norme de la décision raisonnable s’applique à « tous les aspects » d’une décision administrative, y compris l’interprétation du décideur administratif de sa loi constitutive (Vavilov, au paragraphe 25).

[27]      Lors d’un contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable, l’enquête « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au paragraphe 83). En fin de compte, la cour de révision doit être convaincue que la décision administrative est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au paragraphe 85).

[28]      Avant de commencer l’analyse, il est important de se rappeler que la certification d’une question peut « justifier » l’appel (Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909, au paragraphe 44, renvoyant à Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 12). Cela dit, une fois que la question a été certifiée, il est bien établi que tous les aspects de l’appel peuvent faire l’objet d’un examen par la Cour. En d’autres termes, l’appel n’est pas limité à la détermination de la question certifiée (Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344, au paragraphe 50).

VI.   Discussion

[29]      Comme je l’ai indiqué au début des présents motifs, la question soumise à notre Cour par le juge de première instance porte sur le critère appliqué par la SPR avant d’annuler la décision de faire droit à la demande d’asile aux termes du paragraphe 109(1) de la Loi. Comme je l’ai aussi indiqué, notre Cour a demandé d’autres observations sur un aspect de cette question, soit si la SPR, avant de rendre une telle décision, était tenue de conclure qu’il y a eu présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait. Les parties ont toutes deux répondu par l’affirmative.

[30]      Cet aspect de la question certifiée est important, parce que, comme elle ressort de la demande d’observations supplémentaires sur ce point figurant dans la directive, cette question, telle qu’elle a été formulée par le juge de première instance et traitée par les parties, présuppose qu’une conclusion a été tirée par le tribunal de révision selon laquelle il y a eu présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait.

[31]      Or, je suis d’avis que le problème fondamental en l’espèce est que, même si les parties conviennent — à juste titre, selon moi —, que la SPR est tenue de conclure qu’il y a eu présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait avant d’annuler l’octroi du statut de réfugié, le tribunal de révision a refusé à tort d’examiner cette question. Plus précisément, il a refusé de débattre de la question de l’importance des omissions imputables aux intimés concernant leurs liens avec le Kenya. Le tribunal de révision a plutôt mis l’accent sur la question de savoir si ces omissions ont eu pour effet d’amener le tribunal initial à accorder l’asile, évitant ainsi une étape essentielle de l’analyse. À mon avis, il s’agissait là d’une erreur fatale.

[32]      Le paragraphe 109(1) de la Loi est rédigé en ces termes :

Demande d’annulation

109 (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

[33]      Il est bien établi que, lorsqu’une personne qui présente une demande d’asile possède la citoyenneté de plus d’un pays, cette personne doit démontrer qu’elle craint avec raison d’être persécutée dans chacun de ces pays avant de pouvoir demander l’asile dans un pays où elle ne possède pas la citoyenneté (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 751). Ce principe s’applique aux situations où, au moment de l’audience, le demandeur a le droit, par de simples formalités, d’acquérir la citoyenneté d’un pays déterminé, « ne permettant pas ainsi à l’État en question de refuser de lui accorder la qualité revendiquée » (Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 126, [2005] 3 R.C.F. 429, aux paragraphes 19 à 21).

[34]      Il ne fait donc aucun doute que les omissions imputables aux intimés en l’espèce se rapportaient à un « objet pertinent », comme l’exige le paragraphe 109(1) de la Loi. Toutefois, pour entraîner l’annulation de la décision du tribunal initial, ces omissions devaient également être importantes. Cela est tout à fait compatible avec le libellé du paragraphe 109(1), qui exige que la décision d’accueillir une demande d’asile résulte « directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent ».

[35]      Cela est également tout à fait conforme au critère à trois volets établi par la jurisprudence auquel le tribunal de révision a fait référence dans sa décision. Ce critère exige (i) qu’il doive y avoir eu « des présentations erronées sur un fait important ou une réticence sur ce fait »; (ii) que ce fait « doit se rapporter à un objet pertinent »; (iii) qu’il doit exister « un lien de causalité entre, d’une part, les présentations erronées ou la réticence, et, d’autre part, le résultat favorable obtenu » (Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Gunasingam, 2008 CF 181, [2008] 3 R.C.F. F-2, au paragraphe 7; non souligné dans l’original).

[36]      Ainsi, avant d’aborder le troisième et dernier volet du critère, il doit y avoir des conclusions antérieures, qui non seulement font en sorte que les renseignements dissimulés portent sur « un objet pertinent », mais qui concernent également des « faits importants ».

[37]      En l’espèce, le problème repose sur la manière dont la question de l’importance a été examinée par le tribunal de révision. Après avoir conclu que le « ministre a présenté certains éléments de preuve » selon lesquels Lotfi aurait pu obtenir la citoyenneté kenyane par filiation, le tribunal de révision a conclu qu’il ne lui appartenait pas « d’analyser maintenant en mai 2019 la loi sur la citoyenneté […] pour le Kenya telle qu’elle était alors en 1999 » (décision du tribunal de révision, à la page 5). Il a également conclu qu’il n’avait pas à demander au ministre « de chercher des documents auprès de divers membres de la famille pour établir s’ils ont perdu leur citoyenneté kenyane et, le cas échéant, comment les intimés auraient pu l’obtenir de nouveau en 1999 » (décision du tribunal de révision, à la page 5).

[38]      Le tribunal de révision était clairement d’avis qu’il n’avait pas la compétence, en vertu du paragraphe 109(1) de la Loi, de déterminer si les intimés, compte tenu de l’ensemble de la preuve dont il était saisi, avaient droit à la citoyenneté kenyane. Toutefois, si aucun droit de cette nature ne découlait des éléments de preuve, comme l’a déterminé le juge de première instance, les omissions imputables aux intimés ne pouvaient donc pas être considérées comme importantes.

[39]      La position adoptée par la SPR sur cette question va à l’encontre de la jurisprudence qui a pour effet de circonscrire l’éventail des issues raisonnables (Vavilov, au paragraphe 112).

[40]      Dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Wahab, 2006 CF 1554 (décision Wahab), la juge Gauthier (maintenant juge à notre Cour), a présenté un examen jurisprudentiel intéressant, auquel je souscris entièrement, des principes régissant les demandes présentées en vertu de l’article 109 de la Loi. Plus précisément, elle a réaffirmé le principe selon lequel, en vertu du paragraphe 109(1), il incombe à la SPR non seulement d’identifier la nature des présentations erronées ou des omissions invoquées par le ministre compétent dans sa demande, mais également de déterminer la mesure dans laquelle ces présentations erronées ou ces omissions auraient peut-être été importantes (décision Wahab, au paragraphe 43). Elle a également réaffirmé le principe selon lequel cette décision « consiste à examiner l’ensemble des éléments de preuve figurant dans le dossier, de même que les nouveaux éléments de preuve produits par les deux parties » (décision Wahab, au paragraphe 29; voir également Coomaraswamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 153, [2002] 4 C.F. 501, aux paragraphes 16 et 17).

[41]      Dans la décision Wahab, tout comme en l’espèce, la SPR devait décider si le défendeur avait fait de fausses déclarations en prétendant être citoyen d’un seul pays, l’Iraq, alors qu’il était également en possession d’un passeport russe. La juge Gauthier a conclu que la décision fondée sur le paragraphe 109(1) exigeait que la SPR tire deux conclusions de fait distinctes. Elle a d’abord mentionné que la SPR devait décider si elle avait affaire soit à des documents étrangers (passeport et octroi de la citoyenneté) qui étaient faux, soit à des documents authentiques réellement délivrés, mais sur la foi de présentations erronées (décision Wahab, au paragraphe 39). Ensuite, la SPR devait examiner et évaluer « l’effet juridique de l’octroi de la citoyenneté » obtenue par le défendeur au moment de l’examen de sa demande d’asile par le décideur initial. Là encore, selon la juge Gauthier, il fallait examiner les lois russes que le ministre avait produites en preuve (décision Wahab, au paragraphe 41).

[42]      En l’espèce, le tribunal de révision n’a rien fait de cela, malgré le fait qu’il disposait notamment des dispositions de la Constitution du Kenya de 1963 et de 2010 traitant de la citoyenneté, qui donnaient à penser que les enfants des citoyens kenyans pouvaient avoir droit à la nationalité kenyane par filiation, répondant ainsi de façon inadéquate à la question de l’importance des omissions imputables aux intimés.

[43]      Dans la décision Hassan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8795, [1999] 4 C.F. F-64 (1re inst.) (décision Hassan) la Cour a réaffirmé qu’une personne qui fait l’objet d’une procédure en annulation avait « le droit de savoir avec certitude que la Section du statut de réfugié a examiné équitablement l’ensemble de la preuve » (décision Hassan, au paragraphe 23). Dans cette décision, la reconnaissance du statut de réfugié de M. Hassan avait été annulée au motif que, contrairement à ce qu’il avait déclaré au tribunal initial, il n’était pas citoyen de la Somalie, mais du Kenya. Le tribunal a conclu à l’absence d’éléments de preuve crédibles établissant que M. Hassan était citoyen de la Somalie ou qu’il avait obtenu la citoyenneté kenyane par fraude. La conclusion du tribunal selon laquelle le témoignage de M. Hassan n’était pas digne de foi était cruciale pour sa décision (décision Hassan, au paragraphe 16).

[44]      Le juge Evans (ancien juge de notre Cour) a conclu que le tribunal ne s’était pas attardé dans ses motifs au contenu du rapport médical qui lui avait été soumis et qui expliquait les lacunes dans le témoignage de M. Hassan qui ont amené le tribunal à conclure que son témoignage n’était pas digne de foi (décision Hassan, au paragraphe 20). De l’avis du juge Evans, « [s]’il avait cru M. Hassan lorsqu’il a déclaré qu’il est né en Somalie et qu’il a obtenu son passeport kenyan à l’aide d’un faux certificat de naissance, le tribunal n’aurait pas pu conclure qu’il avait donné une fausse indication ou qu’il avait dissimulé un fait » (décision Hassan, au paragraphe 16; non souligné dans l’original).

[45]      De même, en l’espèce, si le tribunal de révision avait « examiné équitablement l’ensemble de la preuve » et qu’il avait conclu que les intimés n’avaient pas le droit à la citoyenneté kenyane, il « n’aurait pas pu conclure qu’[ils avaient] donné une fausse indication ou […] dissimulé un fait ». En d’autres termes, il n’aurait pas pu conclure que les omissions des intimés concernant leurs liens avec le Kenya étaient importantes.

[46]      Je le répète, le tribunal de révision devait conclure à une présentation erronée sur un fait important, ou à une réticence sur ce fait, avant d’annuler la décision du tribunal initial. Il a toutefois refusé à tort de débattre de la question de l’importance des omissions imputables aux intimés concernant leurs liens avec le Kenya. Il a plutôt mis l’accent sur la question de savoir si ces omissions ont eu pour effet d’amener le tribunal initial à accorder l’asile aux intimés, ce qui fait qu’ill a omis de respecter une exigence essentielle, soit de procéder à l’analyse prévue au paragraphe 109(1). Cette façon de procéder a eu une incidence sur le caractère raisonnable de son ordonnance d’annulation.

[47]      Cette erreur suffisait à annuler la décision du tribunal de révision. Je suis d’avis que cette erreur est un élément déterminant dans le présent appel. Par conséquent, l’autre élément de la question certifiée n’a pas à être tranché. Il consiste à savoir si, avant d’annuler la décision accueillant la demande d’asile, la SPR est tenue de conclure à une présentation erronée sur un fait important ou une réticence sur ce fait (i) qui aurait amené le tribunal initial à tirer une conclusion différente, ou (ii) qui aurait pu donner lieu à des questions susceptibles d’entraîner ou non le rejet de la demande d’asile par le tribunal initial.

[48]      Comme la Cour l’a indiqué dans sa directive donnée le 7 décembre 2021, la question certifiée, telle qu’elle a été formulée par le juge de première instance, présuppose que la SPR a conclu qu’il y a eu présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait. Cela n’a pas été fait en l’espèce, alors que le tribunal de révision était tenue de tirer une telle conclusion. Il s’agit là d’un point déterminant dans le présent appel et il n’est donc pas nécessaire de répondre à l’autre élément de la question certifiée.

[49]      Comme je l’ai déjà mentionné au début des présents motifs, bien que je sois d’accord avec le juge de première instance sur le fait que la décision du tribunal de révision est déraisonnable et doit être annulée, je le suis pour des motifs qui diffèrent de ceux du juge de première instance. Cela a des conséquences sur la manière dont la Cour doit trancher le présent appel.

[50]      À mon sens, l’essence même de la conclusion du juge de première instance est que les omissions imputables aux intimés concernant leurs liens avec le Kenya n’étaient pas importantes. Selon lui, la décision du tribunal de révision ne pouvait pas raisonnablement être maintenue, peu importe le critère énoncé au paragraphe 109(1). Il en est ainsi parce qu’aucun élément de preuve n’indique que les liens que les intimés auraient pu avoir avec le Kenya en 1999 leur auraient permis d’obtenir la nationalité kenyane, ou que les questions éventuelles qu’aurait pu poser le tribunal initial auraient permis de conclure que les intimés avaient droit à la citoyenneté kenyane.

[51]      Cette conclusion, outre le fait que l’on pourrait trouver qu’elle pose problème compte tenu de la preuve concernant les exigences de la citoyenneté kenyane, devait être tirée par le tribunal de révision, et non par le juge de première instance. Bien que le juge de première instance ait établi, à juste titre, que la norme de la décision raisonnable était la norme applicable à la décision contestée, il s’en est écarté et a en fait examiné la décision selon la norme de la décision correcte.

[52]      Comme la jurisprudence l’a confirmé de nouveau dans l’arrêt Vavilov, une cour de révision qui applique la norme de la décision raisonnable doit s’abstenir de trancher elle-même les questions dont le décideur administratif était saisi. Autrement dit, elle « ne se demande [...] pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’"éventail" des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution "correcte" » (Vavilov, au paragraphe 83).

[53]      En l’espèce, en tirant sa propre conclusion sur l’importance des omissions imputables aux intimés, le juge de première instance a excédé sa compétence en procédant à l’examen de la décision du tribunal de révision. En fait, il s’est lui-même chargé de tirer une conclusion sur une question que le tribunal de révision avait refusé d’examiner. Il ne pouvait pas faire cela.

VII.      Conclusion

[54]      Il s’ensuit que je rejetterais l’appel puisque je suis d’accord avec le juge de première instance, quoique ce soit pour des raisons différentes, que la décision du tribunal de révision doit être annulée et que l’affaire doit être renvoyée à la SPR pour réexamen par un tribunal différemment constitué. Je répondrais seulement à l’élément de la question certifiée pour lequel la Cour a demandé que les parties lui fournissent d’autres observations le 7 décembre 2021. Je répondrais par l’affirmative.

[55]      Par souci de clarté, en raison du rejet de l’appel, la décision du tribunal de révision devra être réexaminée conformément aux présents motifs, et non à ceux du juge de première instance, auxquels je le répète en toute déférence, je ne souscris pas.

[56]      Comme aucune des parties n’a invoqué de « raisons spéciales » au sens de la règle 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, qui justifieraient l’adjudication de dépens, je propose que l’appel soit rejeté sans dépens.

Le juge Webb, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

La juge Mactavish, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

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