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A-392-19

2021 CAF 163

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (appelant)

c.

Edgar Alberto Lopez Gaytan (intimé)

et

L’ Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés (ACAADR) (intervenante)

Répertorié : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Gaytan

Cour d’appel fédérale, juges Near, Gleason et LeBlanc J.C.A.—Par vidéoconférence, 20 janvier; Ottawa, 5 août 2021.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Appel à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale concluant qu’il est loisible à la Section de l’immigration (la SI) et à la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (collectivement, la Commission) de tenir compte du moyen de défense issu du droit criminel qu’est la contrainte lorsqu’elles examinent si un résident permanent ou un étranger est interdit de territoire au Canada au motif qu’il a été membre d’une organisation criminelle ou s’est livré aux activités criminelles d’une telle organisation, aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — En concluant comme il l’a fait, le juge de la Cour fédérale a rejeté la thèse selon laquelle le pouvoir de prendre en considération des moyens de défense issus du droit criminel dans les instances d’interdiction de territoire formées au titre du paragraphe 37(1) de la Loi est conféré exclusivement à l’appelant, en vertu du paragraphe 42.1(1) de la Loi — Ayant déterminé que la Commission pouvait examiner le moyen de défense de la contrainte invoqué par l’intimé, la Cour fédérale n’a vu aucune raison d’intervenir dans la conclusion de la SAI selon laquelle l’intimé avait réussi à établir les éléments de ce moyen de défense et n’était donc pas interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 37(1)a) de la Loi — La question de savoir si la SI et la SAI étaient autorisées à prendre en considération le moyen de défense fondé sur la contrainte pour déterminer si une personne est interdite de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi a été certifiée en tant que question de portée générale — L’intimé est un citoyen du Mexique et il a déposé une demande d’asile — Il a été impliqué dans un cartel mexicain de trafic de drogue (le Cartel) — Sa participation aux activités criminelles du Cartel a donné lieu à une instance portant sur l’interdiction de territoire qui a entraîné la suspension de la demande d’asile de l’intimé — Devant la SI, l’intimé a affirmé que sa participation au Cartel était involontaire; il a invoqué le moyen de défense de la contrainte — La SI a conclu que l’intimé n’était pas une personne visée par l’alinéa 37(1)a) — En appel, la SAI a confirmé les conclusions de la SI — La demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée par la Cour fédérale, donnant lieu au présent appel — Il s’agissait de déterminer si la Commission était autorisée à prendre en considération le moyen de défense fondé sur la contrainte pour déterminer si une personne est interdite de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi et, dans l’affirmative, si la SAI a fait une application raisonnable du moyen de défense fondé sur la contrainte à la situation de l’intimé — La conclusion de la SAI selon laquelle elle était autorisée à tenir compte du moyen de défense fondé sur la contrainte au moment de déterminer si une personne est interdite de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a) de la Loi était non seulement raisonnable, mais correcte — Sur la question de la compétence, dans les procédures dont elle est saisie en vertu de la Loi, lesquelles comprennent les affaires d’interdiction de territoire, la Commission, conformément au paragraphe 162(1) de la Loi, a « compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence » — Pour sa part, l’article 42.1 de la Loi habilite l’appelant à déclarer que les questions visées à l’article 34 (sécurité), au paragraphe 37(1) (criminalité organisée) et à certains alinéas de l’article 35 de la Loi (atteinte aux droits humains ou internationaux) n’emportent pas interdiction de territoire — Ce pouvoir, que seul l’appelant peut exercer, conformément au paragraphe 6(3) de la Loi, permet l’octroi d’une dispense de l’application de ces dispositions d’interdiction de territoire — Ce pouvoir de dispense est censé soustraire les non-citoyens qui, en toute innocence, apportent une contribution à des organisations terroristes ou criminelles ou en deviennent membres, aux conséquences de l’interdiction de territoire — Lorsqu’on examine le libellé des dispositions pertinentes, on constate qu’il n’y a pas de mots limitant expressément la compétence de la Commission de la manière avancée par l’appelant — Le libellé large du paragraphe 162(1) de la Loi indique que le pouvoir exclusif de la Commission d’examiner « des questions de droit et de fait – y compris en matière de compétence » dans le cadre des affaires dont elle est saisie n’impose pas de telle limite — Il n’y a pas non plus dans la Loi de disposition conférant expressément à l’appelant le pouvoir exclusif de prendre en considération les moyens de défense issus du droit criminel dans le contexte de l’interdiction de territoire — L’article 42.1 n’a pas d’effet limitatif sur la compétence de la Commission, comme l’affirme l’appelant; il ne comporte pas d’aspect temporel — Le point de vue de l’appelant quant à la compétence était incompatible avec l’arrêt Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), qui portait sur le statut de membre d’une organisation terroriste d’un mineur — L’arrêt Poshteh indique que la Cour a clairement reconnu que ce large éventail de considérations, comme la capacité mentale et la contrainte, relève de l’expertise de la Commission — Il signale sans équivoque que le point de vue adopté par la Cour fédérale concernant la compétence de la Commission pour tenir compte de la contrainte dans une affaire d’interdiction de territoire dont elle est saisie au titre de l’alinéa 37(1)a) de la Loi non seulement appartient aux issues possibles acceptables, mais s’avère également correct — Les instances relatives à l’interdiction de territoire ne sont pas de nature criminelle ou quasi criminelle — La Commission est une cour de justice compétente en matière d’immigration — Selon le texte, le contexte et l’objet des dispositions en cause, malgré l’existence de l’article 42.1 de la Loi, le législateur n’avait pas l’intention d’étendre le sens du mot « membre » aux personnes qui ont été recrutées de force par une organisation terroriste ou criminelle et qui se sont livrées à des activités conformes aux objectifs de cette organisation alors qu’elles étaient assujetties à la contrainte — Ce principe touche à l’essence même de la décision sur la qualité de membre d’une personne pour l’application des articles 34 et 37 de la Loi — Par conséquent, en déterminant si une personne est interdite de territoire en application de l’alinéa 37(1)a) de la Loi, la Commission avait le droit de considérer si la personne est devenue membre par la contrainte ou la violence — La question certifiée a reçu une réponse affirmative — Quant à la décision de la SAI portant que l’admissibilité était raisonnable, la Cour fédérale avait raison de conclure que l’appelant l’avait simplement invitée à réexaminer les éléments de preuve concernant le moyen dont disposait l’intimé pour s’en sortir sans danger — L’appelant demandait la même chose en l’espèce — Toutefois, il n’appartient pas à une cour de révision d’apprécier à nouveau les éléments de preuve dont disposait le décideur administratif et de tirer ses propres conclusions — La SAI a appliqué le bon critère juridique en ce qui concerne l’élément du « moyen de s’en sortir sans danger »; elle a raisonnablement appliqué ce critère aux faits dont elle était saisie — Sa conclusion, selon laquelle une personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable n’aurait pas pu se sortir de la situation de contrainte, comportait les caractéristiques d’une décision raisonnable : elle était intrinsèquement cohérente, découlait d’une analyse rationnelle et était justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles la Commission était assujettie — Par conséquent, il n’existait aucun motif justifiant la modification de cette conclusion — Appel rejeté.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Appel à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale concluant qu’il est loisible à la Section de l’immigration (la SI) et à la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (collectivement, la Commission) de tenir compte du moyen de défense issu du droit criminel qu’est la contrainte lorsqu’elles examinent si un résident permanent ou un étranger est interdit de territoire au Canada au motif qu’il a été membre d’une organisation criminelle ou s’est livré aux activités criminelles d’une telle organisation, aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — L’intimé avait été impliqué dans un cartel mexicain de trafic de drogue (le cartel) avant de déposer sa demande d’asile au Canada — La Cour fédérale, en concluant comme elle l’a fait, a rejeté la thèse selon laquelle le pouvoir de prendre en considération des moyens de défense issus du droit criminel dans les instances d’interdiction de territoire formées au titre du paragraphe 37(1) de la Loi est conféré exclusivement à l’appelant, en vertu du paragraphe 42.1(1) de la Loi — Ayant déterminé que la Commission pouvait examiner le moyen de défense de la contrainte invoqué par l’intimé, la Cour fédérale n’a vu aucune raison d’intervenir dans la conclusion de la SAI selon laquelle l’intimé avait réussi à établir les éléments de ce moyen de défense; il n’était donc pas interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 37(1)a) de la Loi — La question certifiée était celle de savoir si la SI et la SAI étaient autorisée à prendre en considération le moyen de défense fondé sur la contrainte pour déterminer si une personne est interdite de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi — Il s’agissait de déterminer si la SAI a fait une application raisonnable du moyen de défense fondé sur la contrainte à la situation de l’intimé — Quant à la décision de la SAI portant que l’admissibilité était raisonnable, la Cour fédérale avait raison de conclure que l’appelant avait simplement invité la Cour fédérale à réexaminer les éléments de preuve concernant le moyen dont disposait l’intimé pour s’en sortir sans danger — L’appelant demandait la même chose en l’espèce — Toutefois, il n’appartient pas à une cour de révision d’apprécier à nouveau les éléments de preuve dont disposait le décideur administratif et de tirer ses propres conclusions — La SAI a appliqué le bon critère juridique en ce qui concerne l’élément du « moyen de s’en sortir sans danger »; elle a raisonnablement appliqué ce critère aux faits dont elle était saisie — Sa conclusion, selon laquelle une personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable n’aurait pas pu se sortir de la situation de contrainte, comportait les caractéristiques d’une décision raisonnable : elle était intrinsèquement cohérente, découlait d’une analyse rationnelle et était justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles la Commission était assujettie — Par conséquent, il n’existait aucun motif justifiant la modification de la décision de la SAI.

Il s’agissait d’un appel à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale concluant qu’il est loisible à la Section de l’immigration (la SI) et à la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (collectivement, la Commission) de tenir compte du moyen de défense issu du droit criminel qu’est la contrainte lorsqu’elles examinent si un résident permanent ou un étranger est interdit de territoire au Canada au motif qu’il a été membre d’une organisation criminelle ou s’est livré aux activités criminelles d’une telle organisation, aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. En concluant comme il l’a fait, le juge de la Cour fédérale a rejeté la thèse selon laquelle le pouvoir de prendre en considération des moyens de défense issus du droit criminel dans les instances d’interdiction de territoire formées au titre du paragraphe 37(1) de la Loi est conféré exclusivement à l’appelant, en vertu du paragraphe 42.1(1) de la Loi. Cette disposition permet à l’appelant d’accorder une dispense ministérielle à l’égard de plusieurs conclusions d’interdiction de territoire, lorsqu’il est convaincu que cela ne serait pas contraire à l’intérêt national. Ayant déterminé que la Commission pouvait examiner le moyen de défense de la contrainte invoqué par l’intimé, la Cour fédérale n’a vu aucune raison d’intervenir dans la conclusion de la SAI selon laquelle l’intimé avait réussi à établir les éléments de ce moyen de défense et n’était donc pas interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 37(1)a) de la Loi. La question de savoir si la SI et la SAI étaient autorisées à prendre en considération le moyen de défense fondé sur la contrainte pour déterminer si une personne est interdite de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi a été certifiée en tant que question de portée générale.

L’intimé est un citoyen du Mexique. Il est entré au Canada au printemps 2009. Quelques semaines plus tard, il a demandé l’asile, alléguant qu’il craignait de retourner au Mexique en raison de son implication dans des activités du cartel de Sinaloa, une organisation mexicaine de trafic de stupéfiants (le cartel). Alors que sa demande d’asile était toujours pendante, sa participation aux activités criminelles du cartel a donné lieu à un rapport d’interdiction de territoire, qui a donné lieu à une enquête portant sur l’interdiction de territoire devant la SI. Cette procédure a entraîné la suspension de la demande d’asile de l’intimé. Devant la SI, l’intimé n’a pas contesté l’affirmation du ministre selon laquelle le cartel est une organisation criminelle au sens de l’alinéa 37(1)a) de la Loi. Cependant, il a affirmé que sa participation au cartel était involontaire parce qu’il avait été recruté de force et croyait sincèrement que sa mère et lui risquaient d’être tués s’il n’obéissait pas aux ordres du cartel. La SI a examiné, mais n’a pas retenu, le moyen de défense de l’intimé fondé sur la contrainte au motif qu’il n’avait pas réussi à établir deux des trois éléments constitutifs de ce moyen de défense, à savoir le caractère immédiat de la menace et l’absence de moyen de se soustraire sans danger à la menace. La Cour fédérale a ultérieurement annulé la décision de la SI, concluant que cette dernière avait commis une erreur susceptible de contrôle dans son application du droit relatif au moyen de défense fondé sur la contrainte à la situation de l’intimé. Plus précisément, elle a estimé que la SI n’avait pas pris en compte les répercussions de la toxicomanie de l’intimé sur sa capacité à juger rationnellement de ses possibilités d’évasion. L’affaire a été renvoyée à la SI pour nouvel examen et il a été conclu que l’intimé n’était pas une personne visée par l’alinéa 37(1)a) de la Loi. La thèse de l’appelant, soutenue pour la première fois, portant que la SI n’avait pas compétence pour examiner le moyen de défense fondé sur la contrainte invoqué par l’intimé, a également été rejetée L’appelant a interjeté appel de la décision auprès de la SAI, qui a confirmé les conclusions de la SI sur la compétence, à savoir que les activités criminelles de l’intimé pour le compte du cartel avaient été moralement involontaires, et que l’alinéa 37(1)a) de la Loi ne s’appliquait donc pas à lui. L’appelant a demandé le contrôle judiciaire de cette décision. Cette demande a été rejetée, donnant lieu au présent appel.

Il s’agissait de déterminer si la Commission était autorisée à prendre en considération le moyen de défense fondé sur la contrainte pour déterminer si une personne est interdite de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi et, dans l’affirmative, si la SAI a fait une application raisonnable du moyen de défense fondé sur la contrainte à la situation de l’intimé.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

La conclusion de la SAI selon laquelle elle était autorisée à tenir compte du moyen de défense fondé sur la contrainte au moment de déterminer si une personne est interdite de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a) de la Loi était non seulement raisonnable, mais correcte.

Sur la question de la compétence, la Commission s’était appuyée sur des précédents de la Cour fédérale pour en arriver à sa conclusion. On ne pouvait donc guère lui reprocher d’avoir conclu qu’elle était liée par ces précédents. L’interdiction de territoire peut être demandée pour divers motifs allant de la sécurité nationale à la santé publique. Ces motifs sont énoncés aux articles 34 à 42 de la Loi (« Section 4 — Interdictions de territoire »). L’interdiction de territoire pour criminalité organisée est prévue au paragraphe 37(1) de la Loi. Selon cette disposition, un non-citoyen est interdit de territoire s’il est membre d’une organisation criminelle ou se livre aux activités de cette organisation ou s’il se livre, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles que le passage de clandestins ou le recyclage des produits de la criminalité. Dans les procédures dont elle était saisie en vertu de la Loi, lesquelles comprennent les affaires d’interdiction de territoire, la Commission, conformément au paragraphe 162(1) de la Loi, a « compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence ». Pour sa part, l’article 42.1 de la Loi habilite l’appelant à déclarer que les questions visées à l’article 34 (sécurité), au paragraphe 37(1) (criminalité organisée) et à certains alinéas de l’article 35 de la Loi (atteinte aux droits humains ou internationaux) n’emportent pas interdiction de territoire. Ce pouvoir, que seul l’appelant peut exercer, conformément au paragraphe 6(3) de la Loi, permet l’octroi d’une dispense de l’application de ces dispositions d’interdiction de territoire à la condition que l’appelant soit convaincu que la présence au Canada de la personne qui demande la dispense, ou pour laquelle celle-ci est envisagée, ne serait pas contraire à l’intérêt national. Ce pouvoir de dispense est censé soustraire les non-citoyens « qui, en toute innocence, apportent une contribution à des organisations terroristes [ou, en l’espèce, criminelles] ou en deviennent membres » aux conséquences de l’interdiction de territoire, même s’il est prouvé qu’ils ont été associés à de telles organisations ou en ont été membres. Ce ne sont pas tous les non-citoyens qui peuvent se prévaloir de la dispense au titre de l’article 42.1, seulement les étrangers. La dispense peut être accordée soit sur demande de l’étranger, soit de la propre initiative du ministre. Selon le libellé des dispositions pertinentes, il n’y a pas de mots limitant expressément la compétence de la Commission de la manière avancée par l’appelant. Le libellé large du paragraphe 162(1) de la Loi indique plutôt que le pouvoir exclusif de la Commission de connaître « des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence » dans le cadre des affaires dont elle est saisie n’impose pas de telle limite. Il n’y a pas non plus dans la Loi de disposition conférant expressément à l’appelant le pouvoir exclusif de prendre en considération les moyens de défense issus du droit criminel dans le contexte de l’interdiction de territoire. Toutefois, l’appelant a affirmé que, lorsqu’il est interprété, l’article 42.1 a un effet limitatif sur la compétence de la Commission. Il a soutenu que la notion de « membre » que l’on trouve aux articles 34 et 37 de la Loi, terme qui n’est pas défini dans la Loi, était censée être interprétée de façon large. Il était difficile d’accepter l’affirmation de l’appelant selon laquelle l’interaction entre ces dispositions prive la Commission de tout pouvoir de prendre en considération la contrainte lorsqu’elle examine si une personne était membre d’une organisation terroriste ou criminelle. L’opinion contraire à celle de l’appelant est dominante dans la jurisprudence de la Cour fédérale et ne devait pas être écartée. Plus particulièrement, le point de vue de l’appelant était incompatible avec l’arrêt Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), qui portait sur le statut de membre d’une organisation terroriste d’un mineur. À mon avis, l’arrêt Poshteh indique que la Cour a clairement reconnu que ce large éventail de considérations relève de l’expertise de la Commission. Les facteurs tels que la capacité mentale ou le fait de se livrer à des activités de l’organisation terroriste sans contrainte étaient des considérations qui allaient au cœur de la décision sur la qualité de membre d’une organisation dans ce cas particulier. L’arrêt Poshteh vient étayer de façon convaincante la série de précédents invoqués par le juge de la Cour fédérale, qui étaient des affaires d’interdiction de territoire où avait été invoquée la contrainte et où la dispense ministérielle était un recours possible et qui ont été jugées applicables par la Commission et la Cour fédérale. L’arrêt Poshteh signale sans équivoque que le point de vue adopté par le juge de la Cour fédérale concernant la compétence de la Commission pour tenir compte de la contrainte dans une affaire d’interdiction de territoire dont elle est saisie au titre de l’alinéa 37(1)a) de la Loi non seulement appartenait aux issues possibles acceptables, mais également était correct.

L’objet principal du paragraphe 37(1) est de s’attaquer à la criminalité organisée dans le contexte de l’immigration. Le libellé de cette disposition lie l’interdiction de territoire à des formes de comportement qui, pour la plupart, sont interdites par le droit criminel. Le fait d’être membre d’une organisation criminelle ou terroriste entraîne une responsabilité criminelle au Canada. Il a été jugé, à maintes reprises, que les instances relatives à l’interdiction de territoire ne sont pas de nature criminelle ou quasi criminelle. Dans les affaires relevant du paragraphe 37(1) de la Loi, le droit criminel limite l’éventail des options qui s’offrent légalement à la Commission, en tant que « cour de justice compétente en matière d’immigration », lorsqu’elle est chargée de trancher un cas particulier. Il faudrait un libellé beaucoup plus clair de la part du législateur pour retirer à la Commission la possibilité de prendre en considération la contrainte dans les procédures d’interdiction de territoire. On ne peut tout simplement pas déduire une telle intention de la simple existence de l’article 42.1.

Quant à l’utilité de la contrainte — ou de la nécessité — pour établir qu’une personne est membre d’une organisation, il n’est pas contesté que les dispositions relatives à la qualité de membre d’une organisation aux alinéas 34(1)f) et 37(1)a) visaient « à ratisser très large afin de couvrir une large gamme de comportements qui vont à l’encontre des intérêts du Canada ». Quelle que soit l’interprétation large que l’on donne au terme « membre », il doit avoir un sens. Il est tout à fait conforme au texte, au contexte et à l’objet des dispositions en cause de conclure que, malgré l’existence de l’article 42.1, le législateur n’avait pas l’intention d’étendre le sens du mot « membre » aux personnes qui ont été recrutées de force par une organisation terroriste ou criminelle et qui se sont livrées à des activités conformes aux objectifs de cette organisation alors qu’elles étaient assujetties à la contrainte. Ce principe touche à l’essence même de la décision sur la qualité de membre d’une personne pour l’application des articles 34 et 37 de la Loi et à l’une des fonctions essentielles de la Commission, qui est de déterminer s’il est établi qu’une personne est membre d’une organisation en appréciant divers facteurs et considérations à la lumière des circonstances propres à chaque affaire. La dispense ministérielle peut être demandée et examinée avant même que la Commission ne soit appelée à tenir une enquête et à exercer sa propre compétence. Par conséquent, rien n’empêcherait un non-citoyen dans la situation de l’intimé de demander, à la première occasion, la déclaration envisagée à l’article 42.1, puisque cet article « ne comporte pas d’aspect temporel ». Par conséquent, la thèse de l’appelant, selon laquelle il existe un processus en deux étapes conçu par le législateur pour les affaires où la dispense ministérielle est un recours possible et que le courant jurisprudentiel suivi par la Cour fédérale modifie de manière inadmissible ce processus , n’a pas été retenue. Par conséquent, en déterminant si une personne est interdite de territoire en application de l’alinéa 37(1)a) de la Loi, la Commission a le droit de considérer si la personne était devenue membre par la contrainte ou la violence. La question certifiée a reçu une réponse affirmative.

Quant à la décision de la SAI portant que l’admissibilité était raisonnable, l’appelant a soutenu que la SAI, en concluant que l’intimé avait été contraint, n’a pas suivi la jurisprudence faisant autorité et régissant les affaires où la toxicomanie peut excuser une personne de ne pas utiliser un moyen objectivement disponible de s’en sortir sans danger ou n’a pas établi de distinction avec cette jurisprudence. Devant la SAI, l’appelant a fait valoir que l’intimé avait la capacité mentale de formuler un plan d’évasion ainsi que la capacité physique et la possibilité de l’exécuter, et que, ajoutés les uns aux autres, ces renseignements auraient dû amener la SAI à conclure que l’intimé disposait d’un moyen de s’en sortir sans danger et qu’il ne satisfaisait donc pas à tous les éléments du moyen de défense fondé sur la contrainte. La SAI a rejeté la thèse de l’appelant, étant d’avis que la SI avait tenu compte de l’ensemble des circonstances de l’intimé lorsqu’elle a examiné l’élément du moyen de s’en sortir sans danger et que c’est une combinaison de ces facteurs qui a restreint l’évaluation effectuée par l’intimé des moyens qu’il avait de s’en sortir sans danger. La Cour fédérale avait raison de conclure que l’appelant l’invitait simplement à réexaminer les éléments de preuve. C’est également ce que l’appelant demandait de faire en l’espèce. Toutefois, il n’appartient pas à une cour de révision d’apprécier à nouveau les éléments de preuve dont disposait le décideur administratif et de tirer ses propres conclusions. La SAI a appliqué le bon critère juridique en ce qui concerne l’élément du « moyen de s’en sortir sans danger » et elle a raisonnablement appliqué ce critère aux faits dont elle était saisie. Sa conclusion selon laquelle une personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable n’aurait pas pu se sortir de la situation de contrainte comportait les caractéristiques d’une décision raisonnable : elle était intrinsèquement cohérente, découlait d’une analyse rationnelle et était justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles la Commission était assujettie. Par conséquent, il n’y avait aucun motif de modifier cette conclusion.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 279.01(1), 462.31(1), 467.1(1), 467.11(1).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3, 6, 33, 34, 3437, 34–52, 35, 35–37, 36(1),(2),(3), 37, 42.1, 42.1(1),(3), 44(1),(2), 44–53, 45, 74(d), 98, 162(1).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 16.

Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, règle 22.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1F.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 103, [2012] 4 R.C.F. 538, conf. par 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 R.C.F. 487; R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609; Jalloh c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 317, 2012 CarswellNat 1870 (WL Can.); Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 121, [2005] 3 R.C.F. 511.

DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Kassab, 2020 CAF 10, [2021] 3 R.C.F. 149, 2020 CarswellNat 6924 (WL Can.); Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Lopez Gayton c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1075, 2012 CarswellNat 4299 (WL Can.); B006 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1033, [2015] 1 R.C.F. 241, 2013 CarswellNat 5267 (WL Can.); Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Aly, 2018 CF 1140, 2018 CarswellNat 7072 (WL Can.); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Najafi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CAF 262, [2015] 4 R.C.F. 162; Stables c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1319, [2013] 3 R.C.F. 240, 2011 CarswellNat 6064 (WL Can.); Saleh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 303, 2010 CarswellNat 2930 (WL Can.); Gazi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 94, 2017 CarswellNat 10550 (WL Can.); Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, [2007] 3 R.C.F. 198; B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87, [2014] 4 R.C.F. 326, inf. pour d’autres motifs par 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100; Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), [1997] 1 C.F. 235, 1996 CanLII 4086 (C.A.); Ugbazghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 694, [2009] 1 R.C.F. 454; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Adam, [2001] 2 C.F. 337, 2001 CanLII 22027 (C.A.).

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

R. c. Hibbert, [1995] 2 R.C.S. 973, 1995 CanLII 110; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; R. c. Penunsi, 2019 CSC 39, [2019] 3 R.C.S. 91; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, 1992 CanLII 87; Revell c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 262, [2020] 2 R.C.F. 355; R. v. Prokofiew, 2010 ONCA 423 (CanLII), 100 O.R. (3d) 401, conf. par 2012 CSC 49, [2012] 2 R.C.S. 639; Gil Luces c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1200, 2019 CarswellNat 5106 (WL Can.); Konate c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 129, 2018 CarswellNat 251 (WL Can.); Castellon Viera c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1086, 2012 CarswellNat 4193 (WL Can.); Thiyagarajah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 339, 2011 CarswellNat 1949 (WL Can.); Belalcazar c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 1013, 2011 CarswellNat 4665 (WL Can.); Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2009] 4 R.C.F. 164; Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431; Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 R.C.S. 289; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837; Khan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 397, 2017 CarswellNat 6737 (WL Can.); Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), [2001] 2 C.F. 297, 2000 CanLII 16793 (C.A.); R. c. Ryan, 2013 CSC 3, [2013] 1 R.C.S. 14; Toronto Coalition to Stop the War c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 957, [2012] 1 R.C.F. 413; Damir c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 48, 2018 CarswellNat 208 (WL Can.), [2018] 4 R.C.F. F-2; Gacho c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 794, 2016 CarswellNat 4987 (WL Can.); Mohamed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 622, 2015 CarswellNat 12502 (WL Can.); Ghaffari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 674, 2013 CarswellNat 2348 (WL Can.); Kanapathy c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 459, 2012 CarswellNat 2613 (WL Can.).

APPEL de la décision de la Cour fédérale (2019 FC 1152, [2020] 2 F.C.R. 617) ayant conclu qu’il est loisible à la Section de l’immigration et à la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de tenir compte du moyen de défense issu du droit criminel qu’est la contrainte lorsqu’elles examinent si un résident permanent ou un étranger est interdit de territoire au Canada au motif qu’il a été membre d’une organisation criminelle ou s’est livré aux activités criminelles d’une telle organisation, aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Brendan Friesen pour l’appelant.

Erin C. Roth et Bjorn Harsanyi, c.r., pour l’intimé.

Prasanna Balasundaram et Asiya Hirji pour l’intervenante.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

Edelmann & Co., Vancouver, et Stewart Sharma Harsanyi, Calgary, pour l’intimé.

Downtown Legal Services et Neighbourhood Legal Services, Toronto, pour l’intervenante.

Ce qui suit est la version française des motifs modifiés du jugement rendus par

Le juge LeBlanc, J.C.A. :

I.     Introduction

[1]        Notre Cour est saisie d’un appel interjeté par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) à l’encontre d’une décision rendue par le juge Manson de la Cour fédérale (le juge). Dans sa décision, datée du 11 septembre 2019 et dont les motifs portent le numéro de référence 2019 CF 1152, [2020] 2 R.C.F. 617 (le jugement), le juge a conclu qu’il est loisible à la Section de l’immigration (la SI) et à la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (collectivement, la Commission) de tenir compte du moyen de défense issu du droit criminel qu’est la contrainte lorsqu’elles examinent si un résident permanent ou un étranger est interdit de territoire au Canada au motif qu’il a été membre d’une organisation criminelle ou s’est livré aux activités criminelles d’une telle organisation, aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

[2]        En concluant comme il l’a fait, le juge a rejeté la thèse selon laquelle le pouvoir de prendre en considération des moyens de défense issus du droit criminel dans les instances d’interdiction de territoire formées au titre du paragraphe 37(1) de la Loi est conféré exclusivement au ministre, en vertu du paragraphe 42.1(1) de la Loi. Cette disposition permet au ministre d’accorder une dispense ministérielle à l’égard de plusieurs conclusions d’interdiction de territoire, c’est-à-dire des conclusions tirées au titre de l’article 34, des alinéas 35(1)b) et c) et du paragraphe 37(1) de la Loi, lorsqu’il est convaincu que cela ne serait pas contraire à l’intérêt national. Plus précisément, le juge a rejeté la thèse du ministre selon laquelle le fait de permettre à la Commission d’examiner de tels moyens de défense dans des affaires où s’applique le paragraphe 42.1(1) de la Loi rendrait cette disposition caduque.

[3]        Ayant déterminé que la Commission pouvait examiner le moyen de défense de la contrainte invoqué par l’intimé, le juge n’a vu aucune raison d’intervenir dans la conclusion de la SAI selon laquelle l’intimé avait réussi à établir les éléments de ce moyen de défense et n’était donc pas interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 37(1)a) de la Loi.

[4]        Comme le permet l’alinéa 74d) de la Loi, le juge a certifié la question de portée générale suivante :

Pour déterminer si une personne est interdite de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la [Loi], la [SI] et la [SAI] [...] sont-elles autorisées à prendre en considération le moyen de défense fondé sur la contrainte?

[5]        Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le juge n’a pas commis d’erreur en répondant à cette question par l’affirmative. Je suis également d’avis qu’il n’a commis aucune erreur en concluant qu’il était raisonnablement possible à la SAI de tirer la conclusion de fond qu’elle a tirée quant au moyen de défense de la contrainte invoqué par l’intimé.

II.    Les faits

[6]        L’intimé est un citoyen du Mexique. Il est entré au Canada au printemps 2009. Quelques semaines plus tard, il a demandé l’asile, alléguant qu’il craignait de retourner au Mexique en raison de son implication dans des activités du cartel de Sinaloa, une organisation mexicaine de trafic de stupéfiants (le cartel). Plus précisément, il craignait pour sa vie parce qu’il avait tenté de se libérer de l’emprise du cartel avant sa fuite vers le Canada.

[7]        La situation de l’intimé, en ce qui concerne le cartel, n’est pas en litige en l’espèce. Elle a été résumée de la façon suivante par la SAI [X (Re), 2018 CanLII 147457, aux paragraphes 8 et 9] :

[...] L’intimé est un citoyen du Mexique, et il s’est décrit comme une personne dépendante de la méthamphétamine cristallisée vers l’âge de 18 ans. Il achetait sa drogue aux membres du cartel de Sinaloa dans sa ville. Il a été recruté de force afin de travailler pour le cartel et il a été au service de celui-ci pendant environ 18 mois. Les membres du cartel venaient le chercher chez lui le matin, et il passait la journée à emballer et à vendre de la drogue. À la fin de la journée, il était ramené chez lui. Il lui arrivait parfois de verser des pots-de-vin à la police. Au cours de ces 18 mois, M. Lopez Gaytan a été agressé physiquement et des menaces graves ont été proférées contre lui et sa mère. Au lieu de recevoir un paiement pour ses services, M. Lopez Gaytan recevait de la drogue afin de nourrir sa dépendance.

La maison utilisée pour le trafic de drogue où l’intimé travaillait a fait l’objet d’une descente de police, et l’intimé a été arrêté. Il s’est confié à la police dans l’espoir de s’affranchir du cartel. Cependant, cela ne s’est pas produit. La police l’a plutôt amenée [sic] à un endroit où des membres du cartel l’ont battu, l’ont poignardé à coups de machette et l’ont menacé de mort. Le lendemain, M. Lopez Gaytan a fait une surdose de méthamphétamine cristallisée. Il se souvient ensuite de s’être réveillé dans un centre de réadaptation. Plus tard, la mère de l’intimé a fini par apprendre où il se trouvait et elle l’a transféré dans un autre centre sous un nom d’emprunt. Il y est resté pendant trois mois et il s’est depuis affranchi de sa toxicomanie. M. Lopez Gaytan et sa mère ont vécu dans une autre ville pendant environ deux ans, puis ils sont retournés dans leur ville natale. M. Lopez Gaytan a été identifié par un membre du cartel et il a été la cible de coups de feu. Il a quitté le Mexique le lendemain. [Dossier d’appel, vol. 1, page 38.]

[8]        En janvier 2011, alors que sa demande d’asile était toujours pendante, la participation de l’intimé aux activités criminelles du cartel a donné lieu à un rapport d’interdiction de territoire établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi. Ce rapport, à son tour, a donné lieu à une enquête portant sur l’interdiction de territoire devant la SI, conformément au paragraphe 44(2) et à l’article 45 de la Loi. Cette procédure a entraîné la suspension de la demande d’asile de l’intimé.

[9]        Devant la SI, l’intimé n’a pas contesté l’affirmation du ministre selon laquelle le cartel est une organisation criminelle au sens de l’alinéa 37(1)a) de la Loi. De même, il n’a pas contesté qu’il s’était personnellement livré à des activités, telles que l’emballage et le trafic de drogues et la remise de paiements de protection à la police, qui faisaient partie de l’entreprise criminelle du cartel. Cependant, il a affirmé que sa participation au cartel était involontaire parce qu’il avait été recruté de force et croyait sincèrement que sa mère et lui risquaient d’être tués s’il n’obéissait pas aux ordres du cartel.

[10]      La SI a examiné, mais n’a pas retenu, le moyen de défense de l’intimé fondé sur la contrainte au motif qu’il n’avait pas réussi à établir deux des trois éléments constitutifs de ce moyen de défense, à savoir le caractère immédiat de la menace et l’absence de moyen de se soustraire sans danger à la menace. Du point de vue de la SI, l’intimé n’a pas été soumis à la contrainte tout le long de la période de deux ans où il avait travaillé pour le cartel.

[11]      En septembre 2012, la décision de la SI a été annulée par la décision Lopez Gayt[a]n c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1075, 2012 CarswellNat 4299 (WL Can.) (Lopez Gaytan 2012). La Cour fédérale a conclu que la SI avait commis une erreur susceptible de contrôle dans son application du droit relatif au moyen de défense fondé sur la contrainte à la situation de l’intimé. Plus précisément, elle a estimé que la SI n’avait pas pris en compte les répercussions de la toxicomanie de l’intimé sur sa capacité à juger rationnellement de ses possibilités d’évasion. L’affaire a été renvoyée à la SI pour nouvel examen.

[12]      Lors du nouvel examen, le ministre a soutenu pour la première fois que la SI n’avait pas compétence pour examiner le moyen de défense fondé sur la contrainte invoqué par l’intimé. Le 27 novembre 2017, la SI a rejeté cette observation au motif qu’elle était incompatible avec la décision de la Cour fédérale B006 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1033, [2015] 1 R.C.F. 241, 2013 CarswellNat 5267 (WL Can.) (B006), où une thèse semblable avait été soutenue sans succès par le ministre. Ensuite, après avoir examiné les éléments du moyen de défense fondé sur la contrainte par rapport à la situation de l’intimé conformément aux directives données par la Cour fédérale dans la décision Lopez Gaytan 2012, elle a conclu que l’intimé n’était pas une personne visée par l’alinéa 37(1)a) de la Loi.

[13]      Le ministre a interjeté appel de la décision auprès de la SAI. Le 31 décembre 2018, la SAI a rejeté l’appel (la décision de 2018). Premièrement, elle a sommairement rejeté la thèse du ministre fondée sur la compétence, déclarant que la décision de la Cour fédérale dans Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Aly, 2018 CF 1140, 2018 CarswellNat 7072 (WL Can.) (Aly), tranchait la question. Ensuite, elle a confirmé les conclusions de la SI selon lesquelles les activités criminelles de l’intimé pour le compte du cartel avaient été moralement involontaires et que l’alinéa 37(1)a) de la Loi ne s’appliquait donc pas à lui.

[14]      Le ministre a demandé le contrôle judiciaire de ces deux aspects de la décision de 2018.

III.   Le jugement

[15]      Comme il est indiqué au début des présents motifs, le ministre a été débouté dans sa contestation de la décision de 2018. Après avoir noté que « [l]a Cour fédérale a invariablement conclu que le moyen de défense fondé sur la contrainte s’applique dans le cadre d’une procédure en interdiction de territoire » (jugement, au paragraphe 17), le juge s’est dit d’accord avec ses collègues ayant rendu les décisions B006 et Aly, dans lesquelles il est établi que la possibilité pour les demandeurs d’invoquer les moyens de défense issus du droit criminel fondés sur la contrainte ou la nécessité pour se prévaloir de la mesure de redressement prévue au paragraphe 42.1(1) de la Loi ne les empêchait pas de les invoquer dans une enquête, rejetant ainsi la thèse du ministre selon laquelle le fait de permettre à la Commission de tenir compte de ces moyens de défense dans une telle procédure ferait en sorte que « le paragraphe 42.1(1) perd[e] alors sa raison d’être » (jugement, au paragraphe 19). Il a également reconnu que l’arrêt de notre Cour Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 103, [2012] 4 R.C.F. 538 (Agraira), n’étaye pas la thèse avancée par le ministre. Plus précisément, le juge s’est dit convaincu que notre Cour, dans l’arrêt Agraira, « donnait simplement un exemple des facteurs qui peuvent être pris en considération pour demander une dispense ministérielle et qu’elle ne statuait pas que la contrainte ne pouvait être soulevée comme moyen de défense dans le cadre d’une procédure en interdiction de territoire » (jugement, au paragraphe 21).

[16]      Le juge a ensuite examiné les observations du ministre selon lesquelles il fallait établir une distinction entre les affaires où la Cour fédérale avait conclu que le moyen de défense fondé sur la contrainte pouvait être pris en compte par la Commission lorsqu’elle appliquait l’alinéa 37(1)b) de la Loi et les affaires concernant l’alinéa 37(1)a). Il n’a vu aucune raison de principe d’établir une telle distinction, car la justification fondant les deux moyens de défense est l’involontarité morale (jugement, aux paragraphes 26 et 27). Il a également rejeté l’observation du ministre selon laquelle le moyen de défense fondé sur la contrainte n’était pas pertinent dans les instances d’interdiction de territoire parce que, dans le contexte du droit criminel, ce moyen ne sert qu’à réfuter l’élément constitutif de l’infraction de la mens rea, alors que, dans les instances d’interdiction de territoire, aucun élément moral n’est requis pour qu’il y ait interdiction de territoire. Renvoyant au jugement du juge en chef Lamer dans l’arrêt R. c. Hibbert, [1995] 2 R.C.S. 973, 1995 CanLII 110 (Hibbert), il a conclu que la contrainte peut constituer un moyen de défense non seulement pour réfuter la mens rea requise pour la conduite en question, mais aussi pour excuser les actes de la personne, de sorte que la mens rea n’est pas une considération pertinente lorsque la contrainte joue le rôle d’excuse (jugement, aux paragraphes 28 et 29).

[17]      Pour le même motif, le juge a conclu que la distinction que le ministre a établie entre l’utilisation des termes « se livrer » et « commettre » dans certaines dispositions de la Loi relatives à l’interdiction de territoire n’avait aucun effet sur l’applicabilité du moyen de défense fondé sur la contrainte, car lorsqu’il joue le rôle d’excuse, ce moyen de défense « porte sur le caractère volontaire de l’acte en cause, qu’il s’agisse de l’adhésion à une organisation ou de tout autre acte » (jugement, aux paragraphes 30 et 31).

[18]      Quant au fond de la décision de 2018, le juge a noté que la seule question à trancher était de savoir si l’intimé disposait d’un « moyen de s’en sortir sans danger ». Il n’a trouvé aucune raison d’intervenir dans les conclusions de la SAI sur ce point, étant convaincu que la toxicomanie de l’intimé était l’un des facteurs pris en compte par la SAI, les autres étant les raclées répétées, les menaces de mort continues et la croyance sincère que le cartel avait la volonté et la capacité de trouver l’intimé et sa mère. Bref, le juge a été convaincu que la conclusion de la SAI, à savoir qu’une personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable n’aurait pas pu se sortir de la situation de contrainte dans laquelle l’intimé se trouvait, appartenait aux issues rationnelles possibles (jugement, aux paragraphes 37 à 43).

IV.   Les questions en litige et la norme de contrôle

[19]      Le présent appel soulève les questions suivantes :

(1)   Pour déterminer si une personne est interdite de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi, la Commission est-elle autorisée à prendre en considération le moyen de défense fondé sur la contrainte?

(2)   Si tel est le cas, la SAI a-t-elle fait une application raisonnable du moyen de défense fondé sur la contrainte à la situation de l’intimé?

[20]      Il est constant que, dans les appels visant des décisions rendues par la Cour fédérale dans des demandes de contrôle judiciaire, notre Cour doit déterminer si la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle et, dans l’affirmative, si elle l’a correctement appliquée dans son examen de la décision contrôlée. Pour ce faire, la Cour doit « se mettre à la place » de la Cour fédérale et se concentrer effectivement sur la décision administrative examinée (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 (Agraira CSC), aux paragraphes 45 à 47).

[21]      En l’espèce, le juge a choisi d’examiner la décision de 2018 selon la norme de la décision raisonnable. Les deux parties sont d’avis que le juge a fait le bon choix et que ce choix demeure valide selon le cadre de révision établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 (Vavilov). Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a affirmé que, chaque fois que la cour de révision examine une décision administrative, « elle doit partir de la présomption que la norme de contrôle applicable à l’égard de tous les aspects de cette décision est celle de la décision raisonnable » (Vavilov, au paragraphe 25).

[22]      Cette présomption s’étend aux affaires où la décision contestée repose sur l’interprétation que le décideur a faite de sa loi constitutive. Ce principe avait déjà été bien établi dans des arrêts comme Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 30, et Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293, aux paragraphes 22 et 23. Il a été réitéré dans l’arrêt Vavilov (au paragraphe 25).

[23]      Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, l’examen « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au paragraphe 83). En fin de compte, la cour de révision doit déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [...] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au paragraphe 85). Lorsque la question en litige concerne plus précisément l’interprétation par le décideur de sa loi constitutive, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable signifie que, bien que l’interprétation du décideur doive être conforme au texte, au contexte et à l’objet de la disposition, comme l’exigent les principes habituels d’interprétation des lois (Vavilov, au paragraphe 120), la cour de révision doit s’abstenir d’entreprendre une analyse de novo de la question soulevée ou de se demander « ce qu’aurait été la décision correcte ». Elle doit plutôt « examiner la décision administrative dans son ensemble, y compris les motifs fournis par le décideur et le résultat obtenu » (Vavilov, au paragraphe 116).

[24]      Le cadre du contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’applique clairement à la deuxième question en litige en l’espèce. Cependant, il n’est pas aussi clair qu’il s’applique à la première, soit la question de la compétence, étant donné que l’arrêt Vavilov énonce un nombre limité de cas où la présomption du contrôle selon la norme de la décision raisonnable peut être réfutée. L’un de ces cas concerne les questions relatives à la « délimitation des compétences respectives d’organismes administratifs » (Vavilov, au paragraphe 63), car « la primauté du droit commande l’intervention des cours de justice lorsqu’un organisme administratif interprète l’étendue de ses pouvoirs d’une manière qui est incompatible avec la compétence d’un autre organisme administratif ». Ceci afin d’éviter « qu’une partie se retrouve aux prises avec deux décisions contradictoires » (Vavilov, au paragraphe 64). Les exemples donnés par la Cour suprême à l’appui de cette exception à la présomption du contrôle selon la norme de la décision raisonnable concernent tous des organismes administratifs tirant leur autorité de régimes légaux différents et non, comme c’est le cas en l’espèce, d’un seul cadre légal. La question de l’applicabilité de cette exception à la présente affaire n’ayant pas été soulevée ou discutée par les parties, il est préférable d’en reporter l’examen.

[25]      Cela dit, je conclus, pour les motifs qui suivent, que la conclusion de la SAI selon laquelle elle a le droit de tenir compte du moyen de défense fondé sur la contrainte lorsqu’elle détermine si une personne est interdite de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a) de la Loi est non seulement raisonnable, mais correcte.

V.    Analyse

A.    La question de compétence

[26]      La Commission s’est appuyée sur des précédents de la Cour fédérale pour en arriver à sa conclusion sur la compétence. On ne peut donc guère lui reprocher d’avoir conclu qu’elle était liée par ces précédents (voir l’arrêt Vavilov, au paragraphe 112). Par conséquent, l’examen doit porter principalement sur le traitement de ces précédents par le juge. Ce qu’il faut déterminer dans le présent contexte, c’est si l’interprétation de l’interaction entre l’article 42.1 et les autres dispositions pertinentes établissant le cadre régissant l’interdiction de territoire énoncée dans ces précédents, et reconnue comme étant juridiquement valable par le juge, devrait être infirmée en appel, étant donné que les termes de ces dispositions doivent être lus dans leur contexte global et selon leur sens grammatical et ordinaire, qui s’harmonise avec l’économie de la Loi, l’objet de la Loi et l’intention du législateur (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 26; R. c. Penunsi, 2019 CSC 39, [2019] 3 R.C.S. 91, au paragraphe 36).

1)    Les thèses des parties

[27]      Le ministre soutient que le jugement est incompatible avec l’économie de la Loi et la jurisprudence des cours d’appel. Il affirme que, contrairement à la nature véritable du cadre régissant l’interdiction de territoire, le jugement permet à la Commission d’exercer un pouvoir de dispense que le législateur lui a conféré, et à personne d’autre, en application du paragraphe 6(3) de la Loi, c’est-à-dire le pouvoir de dispenser une personne des conséquences du fait objectif de son interdiction de territoire, lorsque cela n’est pas contraire à l’intérêt national. Selon ce cadre, lorsqu’on peut faire valoir la dispense ministérielle, l’interdiction de territoire devient un processus en deux étapes où la contrainte ne peut être invoquée comme une excuse pour la conduite d’une personne qu’au stade de la dispense ministérielle.

[28]      Le ministre soutient en outre que le jugement est incompatible avec l’économie de la Loi parce qu’il introduit dans le cadre régissant l’interdiction de territoire des notions de droit criminel qui ne lui sont pas directement applicables. Le moyen de défense fondé sur la contrainte, affirme-t-il, vise à protéger les personnes accusées d’infractions contre des peines inconstitutionnelles, c’est-à-dire éviter que des personnes soient punies pour des actes moralement involontaires, alors que l’interdiction de territoire n’est qu’une conclusion selon laquelle une personne appartient à une catégorie de personnes définie par le législateur. À ce titre, l’interdiction de territoire ne s’intéresse pas à la responsabilité morale, elle n’est pas imposée pour punir une personne de ses actes et elle ne fait pas jouer les droits de la personne garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte), comme le ferait l’imposition d’une peine à un accusé pour des actes moralement involontaires. Selon le ministre, le juge a commis une erreur importante en ne tenant pas compte de ces distinctions cruciales.

[29]      Enfin, le ministre soutient que sa thèse sur la question de la compétence est conforme à la jurisprudence des cours d’appel, et plus précisément à l’arrêt de la Cour suprême du Canada Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh), et les arrêts de notre Cour Agraira, Najafi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CAF 262, [2015] 4 R.C.F. 162 (Najafi), et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Kassab, 2020 CAF 10, [2021] 3 R.C.F. 149, 2020 CarswellNat 6924 (WL Can.) (Kassab). Le ministre affirme en outre que le raisonnement émanant de ces arrêts a été suivi dans plusieurs décisions de la Cour fédérale, par exemple Stables c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1319, [2013] 3 R.C.F. 240, 2011 CarswellNat 6064 (WL Can.) (Stables), Saleh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 303, 2010 CarswellNat 2930 (WL Can.) (Saleh), et Gazi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 94, 2017 CarswellNat 10550 (WL Can.) (Gazi).

[30]      Selon le ministre, le principe commun qui sous-tend cette série de décisions est que la qualité de membre d’une organisation doit être interprétée de façon large, tandis que la contrainte est un facteur qui doit être soulevé et qu’il doit examiner personnellement à l’étape ultérieure de la demande de dispense ministérielle présentée en vertu du paragraphe 42.1(1), ce qui permet aux personnes pouvant établir que leur participation aux activités d’une organisation criminelle a été forcée de se soustraire aux conséquences de l’interdiction de territoire. Pour le ministre, la jurisprudence suivie par le juge va à l’encontre de ce principe, car elle rend plus étroite la signification qui se voulait large de la notion de membre et modifie de façon inadmissible le processus en deux étapes établi dans le cadre prévu par la Loi régissant l’interdiction de territoire dans les cas où la dispense ministérielle est un recours possible, et ce, aux dépens de la sécurité de la population canadienne, ces deux considérations étant les facteurs clés servant à déterminer si l’octroi d’une telle dispense est justifié.

[31]      L’intimé ne souscrit à aucune de ces observations. Il soutient que la thèse du ministre fait obstacle à une interprétation harmonieuse de la Loi, c’est-à-dire une interprétation à la fois cohérente, de façon interne comme externe, et prévisible. Il affirme à cet égard que, bien que les moyens de défense de la common law fassent partie du droit criminel, ils fournissent du contexte pour l’interprétation des dispositions de la Loi relatives à la criminalité et à la sécurité, comme le démontre le fait qu’ils ont été largement jugés applicables aux questions d’interdiction de territoire depuis plus de 20 ans, indépendamment du recours possible à la dispense ministérielle. De plus, l’approche du ministre, si elle était retenue, prévoirait l’octroi irrationnel d’un « pardon » pour des conduites où il n’y a pas de culpabilité et ne contribuerait à la réalisation d’aucun des objectifs de la Loi, tels qu’ils sont énoncés à l’article 3, puisque la dispense du ministre n’aurait plus d’objet.

[32]      L’intervenante, l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, qui souscrit à la conclusion du juge, soutient que, du point de vue de la protection des réfugiés, l’approche du ministre éliminerait effectivement les moyens de défense issus du droit criminel dans les affaires d’interdiction de territoire, tout en les préservant dans les affaires d’exclusion où s’appliquent l’article 1F de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6 (la Convention), et l’article 98 de la Loi, bien que les deux processus portent sur des éléments juridiques identiques, y compris, dans la plupart des cas, de supposés comportements criminels identiques. Une telle approche, selon l’intervenante, serait contraire aux principes d’interprétation des lois et à la jurisprudence applicable, mènerait à des résultats incohérents entre les affaires d’interdiction de territoire qui font jouer les articles 34, 35 et 37 de la Loi et les affaires d’exclusion qui font jouer l’article 98, et mettrait le Canada en position de manquer à ses obligations en droit international.

[33]      Je vais d’abord examiner les dispositions pertinentes de la Loi. J’examinerai ensuite la jurisprudence invoquée par le ministre. Pour faciliter la consultation, les dispositions pertinentes qui ne sont pas reproduites dans le corps des présents motifs sont présentées en annexe.

2)    Le cadre législatif pertinent

[34]      Le principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les « non-citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer au pays ou d’y demeurer ». Lorsqu’un non-citoyen est autorisé à entrer ou à demeurer au Canada, cette permission est habituellement assortie de conditions et le manquement à celles-ci peut donner lieu à une conclusion d’interdiction de territoire (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 733, 1992 CanLII 87; Revell c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 262, [2020] 2 R.C.F. 355 (Revell), au paragraphe 54).

[35]      L’interdiction de territoire peut être demandée pour divers motifs allant de la sécurité nationale à la santé publique. Ces motifs sont énoncés aux articles 34 à 42 de la Loi (« Section 4 — Interdictions de territoire »). L’un de leurs objectifs est la protection de la société canadienne (Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, [2007] 3 R.C.F. 198 (Sittampalam), au paragraphe 21). Les articles 44 à 53 de la Loi (« Section 5 — Perte de statut et renvoi ») établissent un régime complet pour le jugement des allégations d’interdiction de territoire et l’exécution des conclusions d’interdiction de territoire.

[36]      Les articles 34 à 37 de la Loi sont pertinents en l’espèce; ils énoncent les motifs d’interdiction de territoire visant à « facilite[r] le renvoi de [non-citoyens] qui constituent un danger pour la société canadienne en raison de leur conduite, parce qu’ils ont commis des actes criminels, des actes de criminalité organisée, qu’ils ont porté atteinte aux droits de la personne ou au droit international ou commis des actes de terrorisme » (voir Sittampalam, au paragraphe 21, cité dans la décision Stables, au paragraphe 14).

[37]      L’interdiction de territoire pour criminalité organisée est prévue au paragraphe 37(1) de la Loi. Selon cette disposition, un non-citoyen est interdit de territoire s’il est membre d’une organisation criminelle ou se livre aux activités de cette organisation ou s’il se livre, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles que le passage de clandestins ou le recyclage des produits de la criminalité. Le paragraphe 37(1) est rédigé comme suit :

Activités de criminalité organisée

37 (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants:

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

b) se livrer, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité.

[38]      Pour les non-citoyens qui se trouvent au Canada, la procédure d’interdiction de territoire commence normalement lorsque le ministre reçoit le rapport d’un agent d’immigration exposant les faits qui l’ont amené à croire qu’une personne est interdite de territoire. Ensuite, sous réserve de deux exceptions qui ne s’appliquent pas en l’espèce, le ministre peut déférer l’affaire à la SI pour enquête conformément au paragraphe 44(2) de la Loi s’il estime le rapport bien fondé. Si la SI est convaincue, à la fin de l’audience, que le résident permanent ou l’étranger qui fait l’objet du rapport est interdit de territoire, l’alinéa 45d) de la Loi l’oblige à prendre la mesure de renvoi applicable.

[39]      Le pouvoir d’établir un tel rapport et de déférer l’affaire à la SI est « permissif », en ce sens que tant l’agent que le ministre conservent le pouvoir discrétionnaire de tenir compte des circonstances particulières de la personne faisant l’objet de l’enquête lorsqu’ils déterminent s’il convient d’établir un rapport ou de déférer l’affaire à la SI (voir B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87, [2014] 4 R.C.F. 326, au paragraphe 93, infirmé pour d’autres motifs par 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704 (B010)).

[40]      Aux termes de l’article 33 de la Loi, il suffit, pour établir l’interdiction de territoire prévue aux articles 34 à 37, qu’il existe des « motifs raisonnables de croire » que les faits donnant lieu à l’interdiction de territoire « sont survenus, surviennent ou peuvent survenir ». Cette norme de preuve relativement peu élevée nécessite plus qu’un simple soupçon, mais moins qu’une preuve selon la prépondérance des probabilités, ce qui signifie qu’il est satisfait à cette norme lorsque « la croyance […] poss[ède] un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 114).

[41]      Dans les procédures dont elle est saisie en vertu de la Loi, lesquelles comprennent les affaires d’interdiction de territoire, la Commission, conformément au paragraphe 162(1) de la Loi, a « compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence » (mon soulignement).

[42]      Pour sa part, l’article 42.1 de la Loi habilite le ministre à déclarer que les questions visées à l’article 34 (sécurité), au paragraphe 37(1) (criminalité organisée) et à certains alinéas de l’article 35 de la Loi (atteinte aux droits humains ou internationaux) n’emportent pas interdiction de territoire. Ce pouvoir, que seul le ministre peut exercer, conformément au paragraphe 6(3) de la Loi, permet l’octroi d’une dispense de l’application de ces dispositions d’interdiction de territoire à la condition que le ministre soit convaincu que la présence au Canada de la personne qui demande la dispense, ou pour laquelle celle-ci est envisagée, ne serait pas contraire à l’intérêt national.

[43]      Lorsqu’il prend une telle décision, le ministre, aux termes du paragraphe 42.1(3) de la Loi, « ne tient compte que de considérations relatives à la sécurité nationale et à la sécurité publique sans toutefois limiter son analyse au fait que l’étranger constitue ou non un danger pour le public ou la sécurité du Canada ». Dans l’arrêt Agraira CSC, la Cour suprême a conclu que le critère ne se limiterait plus à la sécurité nationale, comme c’était le cas avant les modifications apportées en 1977 aux dispositions relatives à l’interdiction de territoire de la Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, mais reposerait plutôt sur un « plus grand éventail de considérations d’ordre national et international constituant l’“intérêt national” » (Agraira CSC, aux paragraphes 69 et 70).

[44]      Ce pouvoir de dispense est censé soustraire les non-citoyens « qui, en toute innocence, apportent une contribution à des organisations terroristes [ou, en l’espèce, criminelles] ou en deviennent membres » aux conséquences de l’interdiction de territoire, même s’il est prouvé qu’ils ont été associés à de telles organisations ou en ont été membres (Suresh, au paragraphe 110, cité dans Agraira, au paragraphe 63). Ce ne sont pas tous les non-citoyens qui peuvent se prévaloir de la dispense au titre de l’article 42.1, seulement les étrangers. La dispense peut être accordée soit sur demande de l’étranger, soit de la propre initiative du ministre. L’article 42.1 est libellé ainsi :

Exception — demande au ministre

42.1 (1) Le ministre peut, sur demande d’un étranger, déclarer que les faits visés à l’article 34, aux alinéas 35(1)b) ou c) ou au paragraphe 37(1) n’emportent pas interdiction de territoire à l’égard de l’étranger si celui-ci le convainc que cela ne serait pas contraire à l’intérêt national.

Exception — à l’initiative du ministre

(2) Le ministre peut, de sa propre initiative, déclarer que les faits visés à l’article 34, aux alinéas 35(1)b) ou c) ou au paragraphe 37(1) n’emportent pas interdiction de territoire à l’égard de tout étranger s’il est convaincu que cela ne serait pas contraire à l’intérêt national.

Considérations

(3) Pour décider s’il fait la déclaration, le ministre ne tient compte que de considérations relatives à la sécurité nationale et à la sécurité publique sans toutefois limiter son analyse au fait que l’étranger constitue ou non un danger pour le public ou la sécurité du Canada.

[45]      De toute évidence, lorsqu’on examine le libellé des dispositions pertinentes, on constate qu’il n’y a pas de mots limitant expressément la compétence de la Commission de la manière avancée par le ministre. Le libellé large du paragraphe 162(1) de la Loi indique plutôt que le pouvoir exclusif de la Commission de connaître « des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence » dans le cadre des affaires dont elle est saisie n’impose pas de telle limite. Il n’y a pas non plus dans la Loi de disposition conférant expressément au ministre le pouvoir exclusif de prendre en considération les moyens de défense issus du droit criminel dans le contexte de l’interdiction de territoire.

[46]      Toutefois, le ministre affirme que, lorsqu’il est interprété, comme il doit l’être, dans son contexte et de façon téléologique, l’article 42.1 a un effet limitatif sur la compétence de la Commission. Il soutient que la notion de « membre » que l’on trouve aux articles 34 et 37 de la Loi, terme qui n’est pas défini dans la Loi, était censée être interprétée de façon large, principalement parce que le ministre conservait le pouvoir discrétionnaire, et le conserve toujours au titre de l’article 42.1 de la Loi, de soustraire des personnes innocentes visées par cette interprétation large aux conséquences de l’interdiction de territoire, y compris celles qui peuvent établir que leur participation à une organisation criminelle ou terroriste était forcée. Le ministre soutient donc que le législateur ne pouvait pas avoir eu l’intention de permettre à la Commission de contourner cette interprétation large en examinant les moyens de défense issus du droit criminel pour excuser la conduite de ces personnes, cette tâche lui ayant été confiée exclusivement afin que la dispense dans les cas de participation forcée aux activités de telles organisations soit jugée en fonction de l’intérêt national et de ses deux caractéristiques prédominantes, la sécurité nationale et la sécurité publique.

[47]      Il est vrai que le terme « membre » aux articles 34 et 37 doit recevoir une interprétation large et que l’un des facteurs contextuels qui permettent une telle interprétation est le pouvoir du ministre, prévu à l’article 42.1, de dispenser une personne des conséquences de l’interdiction de territoire. Cela dit, j’ai quelque difficulté avec l’affirmation du ministre selon laquelle l’interaction entre ces dispositions prive la Commission de tout pouvoir de prendre en considération la contrainte lorsqu’elle examine si une personne était membre d’une organisation terroriste ou criminelle. En d’autres termes, je ne suis pas convaincu, quelle que soit la norme de contrôle applicable, que l’opinion contraire, qui est l’opinion dominante dans la jurisprudence de la Cour fédérale, devrait être écartée. Il en est ainsi pour plusieurs motifs.

[48]      Tout d’abord, je constate que l’approche du ministre est incompatible avec une lecture attentive de l’arrêt Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 R.C.F. 487 (Poshteh), rendu quelques années seulement après l’entrée en vigueur de la Loi et invoqué par le ministre en l’espèce. Bien que l’arrêt Poshteh portât sur le statut de membre d’une organisation terroriste d’un mineur, il contient, à mon avis, des enseignements convaincants qui s’appliquent à toute affaire concernant la qualité de membre d’une organisation.

[49]      Deux questions ont été examinées dans l’arrêt Poshteh. La première était de savoir si, indépendamment de son âge, il existait des motifs raisonnables de croire que M. Poshteh avait été membre d’une organisation terroriste, la Mujahedin-e-Khalq (la MEK). La participation de M. Poshteh à la MEK s’était limitée à la distribution de tracts de propagande pendant un peu plus de deux ans et avait pris fin quelques semaines avant le 18e anniversaire de M. Poshteh. Notre Cour, après avoir noté que la Loi ne définit pas le terme « membre » et que les tribunaux n’avaient pas établi de définition précise et exhaustive de ce terme, a souscrit à l’opinion de la Cour fédérale selon laquelle le terme « membre » devait être interprété de façon large. Ce point de vue découlait de trois considérations principales : l’absence de critère formel établissant qu’une personne est un membre; le fait que l’article 34 porte sur la subversion et le terrorisme et qu’il concerne ainsi deux objectifs importants de la Loi, soit la sécurité publique et la sécurité nationale; la possibilité, dans les circonstances appropriées, d’obtenir une dispense ministérielle des conséquences de l’interdiction de territoire en application de l’ancien paragraphe 34(2) de la Loi (Poshteh, aux paragraphes 27 à 29).

[50]      L’affaire Poshteh a permis à notre Cour de se pencher pour la première fois sur la façon dont le terme « membre » devait être interprété dans le contexte du régime d’interdiction de territoire modifié de la Loi, qui a remplacé en 2002 celui mis place par l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

[51]      Notre Cour a rejeté la thèse de M. Poshteh selon laquelle, pour conclure qu’il avait été membre de l’organisation, il fallait prouver qu’il y avait atteint un haut niveau d’intégration. Elle a conclu qu’un tel critère serait incompatible avec l’interprétation large qui doit être donnée au terme « membre » (Poshteh, paragraphe 31). Au vu des faits, notre Cour a conclu que le juge de la Cour fédérale n’avait commis aucune erreur en faisant preuve de retenue envers la décision de la Commission, malgré l’affirmation de M. Poshteh selon laquelle sa participation aux activités de la MEK était limitée. En concluant ainsi, notre Cour a souligné que l’appréciation des facteurs jouant pour ou contre la conclusion qu’une personne est membre d’une organisation relève de « la Section de l’immigration, de par sa spécialisation » (Poshteh, aux paragraphes 36 à 38).

[52]      La deuxième question examinée par notre Cour était de savoir si le statut de mineur de M. Poshteh était une considération pertinente pour l’application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi et, dans l’affirmative, quels facteurs devaient être pris en compte pour établir s’il était un membre. L’argument principal de M. Poshteh était que, dans le cas d’un mineur, le terme « membre » à l’alinéa 34(1)f) devait être interprété de façon restrictive de manière à ne s’appliquer qu’aux personnes qui interviennent directement dans des violences ou qui occupent des postes de commande au sein de l’organisation terroriste (Poshteh, au paragraphe 12).

[53]      Cet argument n’a pas été retenu, notre Cour estimant qu’une participation moindre d’un mineur pouvait donner lieu à une conclusion qu’il était membre (Poshteh, au paragraphe 53). Notre Cour a d’abord noté à cet égard que, contrairement à l’alinéa 36(3)e) de la Loi, dans sa version alors en vigueur, l’alinéa 34(1)f) ne prévoyait aucune exemption expresse pour les mineurs. Pour cette raison et parce que la Loi prévoit expressément que les enquêtes relatives à l’interdiction de territoire sont effectuées au cas par cas, un exercice où interviennent « [d]iverses considérations », le statut de mineur d’une personne se résume « simplement à un facteur additionnel à prendre en compte dans l’évaluation effectuée en vertu de l’alinéa 34(1)f) » (Poshteh, aux paragraphes 40 à 45).

[54]      Ensuite, la Cour a examiné les considérations qui seraient pertinentes en ce qui a trait à l’âge. Elle a conclu que, dans un tel contexte, « des aspects tels que le point de savoir si le mineur a la connaissance ou la capacité mentale nécessaire pour comprendre la nature et les conséquences de ses actes » seraient des considérations pertinentes pour déterminer si une personne est membre d’une organisation pour l’application de l’alinéa 34(1)f) (Poshteh, au paragraphe 47). Selon notre Cour, il faudrait, pour ces aspects, que la Commission, lorsqu’elle examine si une personne est membre d’une organisation, considère la connaissance ou la capacité mentale requise du mineur « comme un phénomène évolutif » et, dans le cas d’un jeune enfant, « examin[e] attentivement le niveau de compréhension de cet enfant » (voir Poshteh, aux paragraphes 43  et 48).

[55]      Mais, ce qui est encore plus important pour le présent appel, notre Cour a ensuite souligné qu’il est loisible au mineur, dans sa défense contre une allégation selon laquelle il est membre d’une organisation, de soulever tous les autres facteurs qu’il juge pertinents dans sa situation, y compris « la violence ou la contrainte » (Poshteh, au paragraphe 52). Ces questions ne s’appliquaient pas à la situation de M. Poshteh puisque c’est lui qui avait voulu devenir membre de la MEK (Poshteh, au paragraphe 52). Toutefois, cette conclusion est tout à fait conforme à la déclaration générale de notre Cour, au paragraphe 45, selon laquelle des allégations voulant qu’une personne soit membre d’une organisation, qu’elles soient formulées à l’encontre d’un adulte ou d’un mineur, doivent être évaluées au cas par cas, ce qui fait intervenir diverses considérations. L’âge, dans le cas d’un mineur, est l’une d’entre elles; la violence ou la contrainte en est une autre.

[56]      À mon avis, l’arrêt Poshteh indique que notre Cour a clairement reconnu que ce large éventail de considérations relève de l’expertise de la Commission. Cela se constate, notamment, par le fait que notre Cour a conclu que l’âge de M. Poshteh, y compris ses connaissances et sa capacité mentale, avait été pris en compte à juste titre par la Commission (Poshteh, au paragraphe 54). Il n’y a aucun motif de penser que notre Cour aurait adopté un point de vue différent si M. Poshteh avait également soulevé la question de la violence ou de la contrainte. En fait, comme je l’ai déjà indiqué, il est tout à fait clair que, malgré le renvoi exprès au paragraphe 34(2) (maintenant le paragraphe 42.1(1)), notre Cour a considéré que M. Poshteh aurait pu invoquer le moyen de défense fondé sur la violence ou la contrainte parmi les considérations que la Commission devait examiner pour déterminer s’il était membre de l’organisation. Il est tout aussi clair que le moyen de défense fondé sur la violence ou la contrainte n’est pas lié à l’âge et que M. Poshteh aurait pu l’invoquer non pas en raison de son statut de mineur (il a été jugé qu’il avait atteint la capacité mentale requise), mais parce qu’il était un étranger faisant l’objet d’une interdiction de territoire fondée sur des allégations selon lesquelles il était membre d’une organisation terroriste.

[57]      Par conséquent, de la façon dont j’interprète l’arrêt Poshteh, des facteurs tels que la capacité mentale ou le fait de se livrer à des activités de l’organisation terroriste sans contrainte étaient des considérations qui allaient au cœur de la décision sur la qualité de membre d’une organisation dans ce cas particulier.

[58]      Bien que l’arrêt Poshteh porte sur le statut de membre d’une organisation dans le contexte de l’article 34 de la Loi, il n’y a aucune raison logique d’établir une distinction entre l’article 34 et le paragraphe 37(1) pour l’interprétation des notions de la qualité de membre d’une organisation terroriste ou criminelle et de la participation aux activités de celle-ci (Stables, aux paragraphes 46 et 47). Le ministre n’a pas soutenu le contraire à l’audience concernant le présent appel et pour de bonnes raisons puisqu’aucune décision de la jurisprudence des cours d’appel qu’il invoque pour convaincre notre Cour que sa thèse sur la question de la compétence devrait être retenue ne porte sur les questions relatives au fait d’être membre d’une organisation pour l’application du paragraphe 37(1). En fait, trois de ces arrêts — Suresh, Agraira et Najafi — sont des affaires portant sur la qualité de membre pour l’application de l’article 34, tandis que le quatrième — Kassab — concerne l’article 35.

[59]      Par conséquent, à mon avis, l’arrêt Poshteh vient étayer de façon convaincante la série de précédents invoqués par le juge, qui étaient des affaires d’interdiction de territoire où avait été invoquée la contrainte et où la dispense ministérielle était un recours possible et qui ont été jugées applicables par la Commission et la Cour fédérale. C’est le cas même si la mention de la contrainte par notre Cour au paragraphe 52 de ses motifs devait être considérée comme étant une observation incidente. En d’autres termes, il n’y a aucune raison de ne pas en tenir compte. Elle doit plutôt être lue à la lumière de la déclaration de notre Cour concernant l’expertise de la SI dans l’appréciation des facteurs jouant pour ou contre une conclusion selon laquelle une personne est membre d’une organisation. En outre, notre Cour a considéré la conclusion de la SI selon laquelle la participation de M. Poshteh aux activités de la MEK n’avait pas été contrainte comme un indice montrant qu’il était membre de cette organisation. Pris ensemble, ces éléments des motifs de notre Cour donnent une indication claire de sa position sur la question de savoir si la contrainte est une considération pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer si une personne est membre d’une organisation et si la question peut ou non être soulevée devant la Commission.

[60]      Dans un passage souvent cité de l’arrêt R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609 (Henry), la Cour suprême du Canada a affirmé que le poids des observations incidentes « diminue lorsqu’elles s’éloignent de la stricte ratio decidendi pour s’inscrire dans un cadre d’analyse plus large dont le but est manifestement de fournir des balises et qui devrait être accepté comme faisant autorité » et qu’au-delà du cercle d’analyse plus large, il s’agira « de commentaires, d’exemples ou d’exposés qui se veulent utiles et peuvent être jugés convaincants » (Henry, au paragraphe 57). En d’autres termes, les observations incidentes s’inscrivent le long d’un continuum (R. v. Prokofiew, 2010 ONCA 423, 100 O.R. (3d) 401, au paragraphe 20, conf. sans référence à ce point par 2012 CSC 49, [2012] 2 R.C.S. 639).

[61]      Considéré comme une observation incidente, le passage de l’arrêt Poshteh concernant la contrainte, s’il ne fait pas partie du « cercle élargi » de l’analyse qui a conduit notre Cour à conclure comme elle l’a fait (voir les paragraphes 56 et 57 des présents motifs), constitue à tout le moins un exemple convaincant d’un facteur que la Commission peut prendre en considération lorsqu’elle détermine si une personne est membre d’une organisation. En d’autres mots, ce facteur a un effet convaincant.

[62]      En somme, l’arrêt Poshteh signale sans équivoque que le point de vue adopté par le juge concernant la compétence de la Commission pour tenir compte de la contrainte dans une affaire d’interdiction de territoire dont elle est saisie au titre de l’alinéa 37(1)a) de la Loi non seulement appartient aux issues possibles acceptables, mais également est correct.

[63]      Je prends le temps de souligner que dans plusieurs affaires, y compris des affaires récentes, le ministre ne s’est pas opposé, ni devant la Commission ni devant la Cour fédérale, à ce que la contrainte soit prise en compte dans la décision sur la qualité de membre d’une organisation d’une personne. Voir par exemple : Gil Luces c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1200, 2019 CarswellNat 5106 (WL Can.); Konate c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 129, 2018 CarswellNat 251 (WL Can.) (Konate); Castellon Viera c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1086, 2012 CarswellNat 4193 (WL Can.); Thiyagarajah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 339, 2011 CarswellNat 1949 (WL Can.); Belalcazar c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 1013, 2011 CarswellNat 4665 (WL Can.).

[64]      Il convient de noter la concession du ministre devant la Cour suprême du Canada dans l’arrêt B010, selon laquelle les moyens de défense issus du droit criminel fondés sur la contrainte et la nécessité « peuvent être invoqués en principe » dans le contexte d’instances d’interdiction de territoire intentées au titre de l’alinéa 37(1)b) de la Loi (B010, au paragraphe 73). Cette concession a été faite en réponse à l’une des observations avancées par l’appelant dans cette affaire, selon laquelle il devait avoir la possibilité d’invoquer ces moyens de défense s’il tombait sous le coup de cette disposition de la Loi. Bien que la Cour suprême ait refusé de trancher la question, elle a convenu avec notre Cour que l’allégation de l’appelant selon laquelle la Commission n’avait pas tenu compte de ses moyens de défense fondés sur la contrainte et la nécessité était sans fondement (B010, au paragraphe 73).

[65]      Le ministre a soutenu devant le juge qu’il fallait distinguer les affaires introduites au titre de l’alinéa 37(1)b) de la Loi de celles introduites au titre de l’alinéa 37(1)a), donnant ainsi à penser que la Commission pouvait prendre en considération la contrainte dans les affaires relevant de l’alinéa 37(1)b), mais pas dans celles relevant de l’alinéa 37(1)a). Le juge n’a pas souscrit à cette observation, affirmant qu’il n’y avait pas de raison justifiant qu’on fasse une telle distinction, car « [l]es moyens de défense fondés sur la nécessité et la contrainte sont tous deux considérés comme des excuses, le caractère involontaire au sens moral constitu[ant] le principe sous-jacent de la contrainte » (jugement, au paragraphe 27).

[66]      Bien que le ministre n’ait pas directement contesté cette conclusion, les thèses qu’il a défendues dans l’affaire B010 et devant le juge illustrent certaines des incohérences de son approche. Si la contrainte peut être invoquée devant la Commission dans les affaires introduites au titre de l’alinéa 37(1)b), comme l’a reconnu le ministre dans l’arrêt B010 et, pour ainsi dire, en l’espèce au stade du contrôle judiciaire, il n’y a alors aucune raison logique pour qu’elle ne puisse pas être invoquée dans une affaire relevant de l’alinéa 37(1)a). Dans l’arrêt B010, la Cour suprême a clairement indiqué que le paragraphe 37(1) de la Loi, examiné dans son ensemble, a pour principal objet de s’attaquer aux activités criminelles organisées conformément aux obligations juridiques internationales du Canada et qu’on trouvait aux alinéas 37(1)a) et b) des « exemples » de telles activités (voir l’arrêt B010, au paragraphe 37). La Cour suprême a également indiqué clairement que le concept de « criminalité organisée » qui sous-tend les deux dispositions doit recevoir une interprétation cohérente et harmonieuse avec l’interprétation donnée au terme « organisation criminelle » au sens du paragraphe 467.1(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 (voir l’arrêt B010, aux paragraphes 41 à 46).

[67]      Comme l’intimé le fait remarquer à juste titre, il n’y a pas de motif rationnel de créer une exception pour l’alinéa 37(1)a) et de le traiter différemment de l’alinéa 37(1)b) de manière à rendre irrecevable devant la Commission la défense de la contrainte dans un cas, mais pas dans l’autre, puisque les deux dispositions ont le même objectif et devraient être interprétées et appliquées au regard des mêmes concepts de droit criminel.

[68]      Cela m’amène au point suivant. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a affirmé que la législation et la common law limitent l’éventail des options qui s’offrent légalement au décideur administratif chargé de trancher un cas particulier, et que ces deux aspects sont utiles pour déterminer si une décision est raisonnable (voir l’arrêt Vavilov, aux paragraphes 106 à 114). À titre d’exemple de telles limites, la Cour suprême a donné celui d’« une cour de justice compétente en matière d’immigration » appelée à décider si un acte constitue une infraction criminelle en droit canadien dans une affaire concernant les articles 35 à 37 de la Loi. Elle a conclu qu’« il serait à l’évidence déraisonnable » que le tribunal, dans de tels cas, « retienne une interprétation d’une disposition pénale qui soit incompatible avec l’interprétation que lui ont donnée les cours criminelles canadiennes » (Vavilov, au paragraphe 112).

[69]      Il y a d’autres cas où le droit criminel a été jugé utile pour interpréter des dispositions de la Loi. Tel a été le cas de la disposition d’exclusion pour « crime grave de droit commun » de l’article 1Fb) de la Convention, incorporée à l’article 98 de la Loi (Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2009] 4 R.C.F. 164, au paragraphe 44; voir également Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431, aux paragraphes 61 et 62). Il en était de même pour la question de savoir si une peine avec sursis pouvait être assimilée à une « peine d’emprisonnement » pour l’application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi (voir Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 R.C.S. 289, aux paragraphes 24 à 34).

[70]      De plus, dans l’arrêt Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), [1997] 1 C.F. 235, 1996 CanLII 4086 (C.A.), notre Cour a conclu que, lorsque l’interdiction de territoire est fondée sur une condamnation pour une infraction commise à l’extérieur du Canada, le critère d’équivalence d’une infraction punissable par la loi étrangère et d’une infraction punissable par la loi canadienne exige une comparaison non seulement de leurs éléments constitutifs respectifs, mais aussi des moyens de défense propres à ces infractions (Li, aux paragraphes 18 et 19).

[71]      Comme nous venons de le voir, l’objet principal du paragraphe 37(1) est de s’attaquer à la criminalité organisée dans le contexte de l’immigration. Le libellé de cette disposition lie l’interdiction de territoire à des formes de comportement qui, pour la plupart, sont interdites par le droit criminel. Voir par exemple les dispositions suivantes du Code criminel : le paragraphe 467.11(1) (« Participation aux activités d’une organisation criminelle »), le paragraphe 279.01(1) (« Traite des personnes ») et le paragraphe 462.31(1) (« Recyclage des produits de la criminalité »).

[72]      Comme la Cour fédérale l’a noté à juste titre dans la décision Stables, le fait d’être membre d’une organisation criminelle ou terroriste « entraîne une responsabilité criminelle au Canada » (Stables, au paragraphe 46).

[73]      Il a été jugé, à maintes reprises, que les instances relatives à l’interdiction de territoire ne sont pas de nature criminelle ou quasi criminelle. À ce titre, une conclusion d’interdiction de territoire pour motif de criminalité ne constitue pas une « peine » au sens du droit criminel et ne fait pas jouer, en soi, les droits garantis par la Charte (voir Revell, aux paragraphes 41 et 54). Quoi qu’il en soit, l’arrêt Vavilov indique clairement, à mon avis, que, dans les affaires relevant du paragraphe 37(1) de la Loi, le droit criminel limite l’éventail des options qui s’offrent légalement à la Commission, en tant que « cour de justice compétente en matière d’immigration », lorsqu’elle est chargée de trancher un cas particulier (Vavilov, au paragraphe 112).

[74]      Compte tenu de ce qui précède, il faudrait un libellé beaucoup plus clair de la part du législateur pour retirer à la Commission la possibilité de prendre en considération la contrainte dans les procédures d’interdiction de territoire. On ne peut tout simplement pas déduire une telle intention de la simple existence de l’article 42.1.

[75]      Je prends le temps de souligner qu’il n’est pas contesté que la contrainte peut être invoquée devant la Commission dans les cas où l’interdiction de territoire ne peut pas faire l’objet d’une dispense ministérielle. Comme le souligne l’intimé, le ministre aurait pu entamer une procédure d’interdiction de territoire contre lui pour avoir commis une infraction criminelle à l’étranger, comme le permet l’alinéa 36(1)c) de la Loi. Selon la logique du ministre, cela aurait fait de la contrainte une considération pertinente parce que les instances d’interdiction de territoire pour grande criminalité ne peuvent pas faire l’objet d’une dispense ministérielle, même si ces instances étaient fondées sur le même ensemble de faits que celui qui a amené le ministre à invoquer l’alinéa 37(1)a) en l’espèce. Je suis d’accord avec l’intimé qu’une telle approche, si elle était retenue, mènerait à des résultats absurdes, puisqu’alors le moyen de défense fondé sur la contrainte pourrait ou non être invoqué en fonction de la disposition d’interdiction de territoire que le ministre déciderait d’appliquer. Le législateur ne peut avoir voulu un tel résultat (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837, au paragraphe 27).

[76]      Cela m’amène à mon quatrième point. Il s’agit de l’utilité de la contrainte — ou de la nécessité — pour établir qu’une personne est membre d’une organisation. Il n’est pas contesté que les dispositions relatives à la qualité de membre d’une organisation aux alinéas 34(1)f) et 37(1)a) visaient « à ratisser très large afin de couvrir une large gamme de comportements qui vont à l’encontre des intérêts du Canada » (Ugbazghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 694, [2009] 1 R.C.F. 454, au paragraphe 47). Il n’est pas contesté non plus que la dispense ministérielle ait visé à alléger les conséquences de l’interdiction de territoire pour les personnes qui sont prises dans les mailles de ce filet, mais qui peuvent établir qu’elles se sont jointes à une organisation ou ont participé à ses activités sans savoir qu’elle se livrait au terrorisme ou au crime (voir Suresh, au paragraphe 109 et 110, et Stables, au paragraphe 35). C’est pourquoi il a été jugé que la « connaissance directe » des activités ou des objectifs de l’organisation n’est pas une condition préalable à une conclusion selon laquelle une personne est membre d’une organisation pour l’application de l’article 34 ou de l’article 37; il suffit de faire la preuve de l’« appartenance » du non-citoyen à l’organisation (Khan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 397, 2017 CarswellNat 6737 (WL Can.) (Khan), aux paragraphes 29 et 30, citant Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), [2001] 2 C.F. 297, 2000 CanLII 16793 (C.A.), au paragraphe 57.

[77]      Il ne fait aucun doute qu’il s’agit de contraintes juridiques qui façonnent l’exercice que peut faire la Commission de ses pouvoirs dans les affaires d’interdiction de territoire.

[78]      Cependant, est-ce qu’une personne « appartient » à une organisation criminelle ou terroriste si elle a été recrutée de force et a été contrainte de participer aux activités de l’organisation? La Cour fédérale a répondu à cette question par la négative dans la décision Jalloh c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 317, 2012 CarswellNat 1870 (WL Can.) (Jalloh), en concluant qu’« une personne ne peut être considérée comme étant membre d’un groupe si son association avec celuici est fondée sur la contrainte » (Jalloh, au paragraphe 37; voir également Konate, au paragraphe 20).

[79]      Je suis du même avis. Quelle que soit l’interprétation large que l’on donne au terme « membre », il doit avoir un sens. Il est tout à fait conforme au texte, au contexte et à l’objet des dispositions en cause de conclure, comme l’ont fait la Cour fédérale dans la décision Jalloh et, à mon avis, notre Cour dans l’arrêt Poshteh, que, malgré l’existence de l’article 42.1, le législateur n’avait pas l’intention d’étendre le sens du mot « membre » aux personnes qui ont été recrutées de force par une organisation terroriste ou criminelle et qui se sont livrées à des activités conformes aux objectifs de cette organisation alors qu’elles étaient assujetties à la contrainte.

[80]      Ce principe touche à l’essence même de la décision sur la qualité de membre d’une personne pour l’application des articles 34 et 37 de la Loi et à l’une des fonctions essentielles de la Commission, qui est de déterminer s’il est établi qu’une personne est membre d’une organisation en appréciant divers facteurs et considérations à la lumière des circonstances propres à chaque affaire (voir l’arrêt Poshteh, aux paragraphes 21, 36 et 45). Tout comme le moyen de défense fondé sur la contrainte sert à excuser un défendeur de sa culpabilité morale et à le protéger contre une déclaration de culpabilité et une peine pour un comportement moralement involontaire (voir p. ex. l’arrêt Hibbert, aux paragraphes 48 et 52 à 55; R. c. Ryan, 2013 CSC 3, [2013] 1 R.C.S. 14, au paragraphe 23), l’importation de ce moyen de défense dans le contexte de l’immigration fournit un cadre solide pour déterminer si une personne est véritablement membre d’une organisation pour l’application des dispositions d’interdiction de territoire. Là encore, on ne peut raisonnablement avoir voulu que la personne contrainte de devenir membre d’une organisation soit visée par les articles 34 et 37 de la Loi.

[81]      J’ajouterais qu’il faut distinguer les cas où la personne a été contrainte de devenir membre d’une organisation des cas où la personne reconnaît être membre d’une organisation — sans y avoir été contrainte —, mais conteste que ce fait entraîne l’interdiction de territoire. Ces contestations peuvent être fondées sur des affirmations selon lesquelles la personne concernée était membre de façon purement « informelle », en ce sens qu’elle ne participait que de manière limitée ou non violente aux activités de l’organisation, par exemple en distribuant occasionnellement de la propagande (voir par exemple Poshteh, au paragraphe 5; voir également Stables, au paragraphe 6 : le requérant a reconnu avoir fait partie des Hells Angels, mais a nié s’être livré à une quelconque activité criminelle). Les contestations peuvent également être fondées sur le fait que la personne ignorait l’objectif violent, subversif ou criminel de l’organisation (Khan, au paragraphe 17), ou qu’elle s’était véritablement retirée de l’organisation après s’être rendue compte que ce n’était pas ce qu’elle voulait faire de sa vie (Sittampalam, au paragraphe 27). Il faut également faire une distinction entre les cas où la personne a été contrainte de devenir membre d’une organisation et ceux où la personne fait valoir des considérations semblables sans admettre avoir été membre (voir, par exemple, Toronto Coalition to Stop the War c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 957, [2012] 1 R.C.F. 413, aux paragraphes 7 et 12 à 18).

[82]      Bien qu’il ne soit pas nécessaire de se prononcer sur la question dans la présente affaire, on pourrait dire que les exemples qui précèdent sont des cas dans lesquels il vaut mieux — ou il faut — faire valoir de telles circonstances atténuantes dans une demande de dispense ministérielle présentée en vertu de l’article 42.1 de la Loi. Toutefois, quel que soit le bien-fondé juridique de cette affirmation, cela n’empêche pas la Commission d’examiner si la personne faisant l’objet de l’interdiction de territoire au motif qu’elle est membre d’une organisation s’est trouvée dans cette situation par la contrainte, ce qui encore une fois, à mon avis, touche au cœur même de la décision sur la question de savoir si une personne est membre d’une organisation. Je prends le temps de répéter que, pour tirer une conclusion en ce sens, la Commission doit seulement être convaincue qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un non-citoyen est ou était membre d’une organisation terroriste ou criminelle. Ainsi, elle n’est pas assujettie à la norme de preuve applicable en matière criminelle.

[83]      Ma cinquième et dernière réserve concernant la thèse avancée par le ministre dans le présent appel a trait à son observation selon laquelle le courant jurisprudentiel suivi par le juge modifie de manière inadmissible le processus en deux étapes conçu par le législateur pour les affaires où la dispense ministérielle est un recours possible. Selon le ministre, ce processus exige que la Commission détermine d’abord si l’interdiction de territoire a été établie par une application stricte du sens large du terme « membre », puis qu’elle laisse au ministre, en vertu du pouvoir que lui confère l’article 42.1, la décision de lever les conséquences de l’interdiction de territoire.

[84]      Cette interprétation du cadre régissant l’interdiction de territoire, lorsque la dispense ministérielle est un recours possible, semble difficile à concilier avec un autre jugement rendu par notre Cour dans l’affaire concernant M. Poshteh. Dans cette affaire, le ministre avait demandé le réexamen de la décision de notre Cour, affirmant être inquiet de ce que notre Cour avait dit en rejetant la thèse de M. Poshteh selon laquelle la conclusion d’interdiction de territoire de la Commission faisait jouer les droits que lui garantissait l’article 7 de la Charte. Notre Cour avait conclu que les droits de M. Poshteh garantis par la Charte ne jouaient pas parce qu’il pouvait se prévaloir de plusieurs recours avant qu’il n’atteigne le stade où il pouvait être expulsé du Canada et où, par conséquent, les droits garantis par la Charte pouvaient jouer. À titre d’exemple d’une telle procédure, notre Cour a mentionné le droit de M. Poshteh de demander une dispense ministérielle en vertu du paragraphe 34(2) de la Loi (maintenant le paragraphe 42.1(1)).

[85]      Le ministre a soutenu que ce passage était contraire à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Adam, [2001] 2 C.F. 337, 2001 CanLII 22027 (C.A.) (Adam), où notre Cour avait conclu qu’une fois qu’une conclusion d’interdiction de territoire avait été tirée, il n’était plus possible de se prévaloir d’une dispense ministérielle. Selon le ministre, il était erroné de laisser entendre dans l’arrêt Poshteh que M. Poshteh aurait encore pu recourir au paragraphe 34(2) pour tenter de convaincre le ministre que sa présence au Canada ne serait pas préjudiciable à l’intérêt national, puisqu’il avait déjà été jugé interdit de territoire (Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 121, [2005] 3 R.C.F. 511 (Poshteh no 2), au paragraphe 6).

[86]      Dans l’arrêt Adam, le ministre a exprimé l’avis, que notre Cour a retenu, qu’il fallait demander la dispense ministérielle avant que ne soit rendue la décision sur l’interdiction de territoire. Toutefois, dans l’arrêt Poshteh no 2, notre Cour a noté que l’arrêt Adam avait été rendu sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration, dans sa version modifiée, et que le paragraphe 34(2) de la Loi était libellé différemment de son prédécesseur, qui était rédigé au passé (Poshteh no 2, aux paragraphes 8 et 9). Notre Cour a donc conclu que, contrairement à son prédécesseur, le « paragraphe 34(2) ne comporte pas d’aspect temporel » et que « [r]ien dans cette disposition n’entrave l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre quant au moment où il peut accorder une exemption ministérielle » (Poshteh no 2, au paragraphe 10).

[87]      Le libellé de l’article 42.1 utilise le même temps de verbe que l’ancien paragraphe 34(2). La conclusion de notre Cour dans l’arrêt Poshteh no 2 signifie que rien n’étaye l’opinion du ministre selon laquelle l’interdiction de territoire, lorsque la dispense ministérielle est un recours possible, est un processus séquentiel en deux étapes dans lequel la Commission et le ministre jouent des rôles distincts, mais complémentaires. Cet arrêt indique plutôt que ces rôles, bien que faisant tous deux partie du cadre régissant l’interdiction de territoire, sont indépendants l’un de l’autre, ce qui signifie que leur exercice n’est pas impérativement assujetti à une séquence particulière. En d’autres termes, l’un ne limite pas ou n’empêche pas l’autre, à la condition, bien sûr, que la Commission et le ministre n’outrepassent pas les limites de leurs compétences respectives.

[88]      Je conclus que l’arrêt Poshteh no 2 prévoit clairement que la dispense ministérielle peut être demandée et examinée avant même que la Commission ne soit appelée à tenir une enquête et à exercer sa propre compétence. Il semble que cela ait été le cas, par exemple, dans l’affaire Agraira (voir Agraira, aux paragraphes 11 et 12). Par conséquent, rien n’empêcherait un non-citoyen dans la situation de l’intimé de demander, à la première occasion, la déclaration envisagée à l’article 42.1 puisque cet article ne « comporte pas d’aspect temporel », bien que d’un point de vue purement stratégique, ce ne soit peut-être pas l’option privilégiée.

[89]      Par conséquent, étant donné que la notion de processus en deux étapes constitue un élément central de la thèse du ministre selon laquelle il est interdit à la Commission, dans les affaires où la dispense ministérielle est un recours possible, d’exercer pleinement la compétence dont elle jouit normalement, cette thèse ne peut être retenue.

[90]      Maintenant, y a-t-il quoi que ce soit dans la jurisprudence invoquée par le ministre qui soutienne autrement son approche? Comme je l’ai indiqué plus haut, le ministre soutient que le principe selon lequel il faut donner une interprétation large au terme « membre », alors que la contrainte ne peut être prise en considération que par lui personnellement dans le cadre d’une demande ultérieure de dispense ministérielle, ressort clairement des arrêts de notre Cour Agraira, Najafi et Kassab, ainsi que de plusieurs décisions de la Cour fédérale, à savoir les décisions Stables, Saleh et Gazi.

[91]      Pour les motifs qui précèdent, et ceux qui suivent, je ne suis pas de cet avis.

3)    La jurisprudence invoquée par le ministre

[92]      L’arrêt Agraira concernait une demande de dispense ministérielle présentée en vertu de l’ancien paragraphe 34(2) de la Loi. M. Agraira avait reconnu avoir été membre d’une organisation terroriste, mais il avait affirmé que sa participation s’était limitée à la distribution de tracts et à la collecte d’appuis pour l’organisation. Il avait demandé une dispense ministérielle pendant que le rapport prévu au paragraphe 44(1) de la Loi était en voie d’être achevé. Bien qu’elle ait été recommandée au ministre par l’agent chargé du dossier, la dispense ministérielle avait été refusée. Une demande de contrôle judiciaire s’en était suivie. La principale question en litige dans cette affaire concernait l’interprétation du terme « intérêt national » figurant au paragraphe 34(2) et le rôle des directives ministérielles dans l’application de cette disposition. Notre Cour a conclu que la notion d’« intérêt national » devait être comprise dans le contexte de la sécurité nationale et de la sécurité publique, et que ces préoccupations devaient être à l’avant-plan dans le traitement des demandes de dispense ministérielle (Agraira, au paragraphe 50).

[93]      Notre Cour a ensuite examiné si l’importance donnée à la sécurité nationale et à la sécurité publique signifiait que « les individus qui commettent un des actes prévus au paragraphe 34(1) ne peuvent obtenir une dispense ministérielle du fait qu’ils ont commis l’acte même qui confère au ministre la compétence pour exercer son pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 34(2) ». Notre Cour a conclu que si tel était le cas, le résultat « rendrait le paragraphe 34(2) totalement inopérant, ce qui serait absurde » (Agraira, au paragraphe 62).

[94]      C’est dans ce contexte particulier que notre Cour, renvoyant à l’arrêt Suresh, a formulé les observations sur lesquelles le ministre s’appuie en l’espèce [Agraira, au paragraphe 64] :

Suivant l’interprétation que j’en fais, la Cour suprême a conclu dans cet arrêt que la disposition d’exception de l’article 19 de la Loi sur l’immigration s’appliquerait pour protéger les personnes qui, de bonne foi, seraient devenues membres d’organisations ou les auraient appuyées tout en ignorant qu’il s’agissait d’organisations terroristes. Il peut exister d’autres situations dans lesquelles des personnes qui tomberaient par ailleurs sous le coup du paragraphe 34(1) de la LIPR pourraient justifier leur conduite de manière à se soustraire aux conséquences d’une interdiction de territoire. Ainsi, celles qui réussiraient à convaincre le ministre qu’elles avaient été contraintes de participer à une organisation terroriste pourraient bénéficier d’une dispense ministérielle.

[95]      Je n’interprète pas ce paragraphe comme empêchant la Commission de prendre en considération la contrainte lorsqu’elle se penche sur des allégations voulant qu’une personne soit membre d’une organisation. Je l’interprète, comme l’a fait le juge en se fondant sur la décision B006, comme donnant simplement un exemple de facteurs pouvant être pris en considération dans une demande de dispense ministérielle. En fait, l’arrêt Agraira n’a jamais porté sur le rôle de la Commission ni sur les tensions potentielles entre ce rôle et le pouvoir du ministre d’accorder une dispense; l’arrêt n’a pas écarté la possibilité que la contrainte soit invoquée dans une procédure en interdiction de territoire.

[96]      Pris dans son contexte, ce paragraphe discrédite le point de vue voulant que, étant donné que le terme « intérêt national » doit être interprété avec un souci particulier de la sécurité nationale et de la sécurité publique, la personne ayant commis un des actes visés par l’ancien paragraphe 34(1) ne puisse pas obtenir de dispense ministérielle en vertu de l’ancien paragraphe 34(2) parce qu’elle a commis l’acte même qui confère au ministre la compétence d’accorder la dispense demandée. Un tel point de vue, s’il était retenu, rendrait la dispense ministérielle illusoire.

[97]      À mon avis, l’arrêt Agraira n’a aucune incidence sur les principes énoncés dans l’arrêt Poshteh concernant le rôle de la Commission ou les limites juridiques qui encadrent l’exercice de sa compétence, y compris sa capacité de tenir compte de la contrainte, lorsqu’elle est invoquée, pour déterminer s’il a été établi que la personne est véritablement membre d’une organisation. L’arrêt Agraira n’a pas non plus d’incidence sur le principe énoncé dans l’arrêt Poshteh n° 2 selon lequel la dispense ministérielle produit ses effets indépendamment de la procédure d’interdiction de territoire, car elle ne comporte pas d’aspect temporel, de sorte qu’une procédure ne limite ou n’empêche pas l’autre.

[98]      Pour essentiellement les mêmes motifs, l’arrêt Najafi n’est d’aucun secours au ministre non plus. Dans cette affaire, M. Najafi avait été jugé interdit de territoire au titre des alinéas 34(1)b) et f) de la Loi pour avoir été membre du Parti démocratique kurde d’Iran (le PDKI), une organisation qui avait été l’auteure d’actes visant au renversement par la force du gouvernement iranien, et pour avoir participé aux activités de cette organisation. Il avait reconnu avoir été membre de l’organisation, mais avait affirmé que le PDKI avait utilisé la force pour tenter de renverser le gouvernement iranien dans le but de faire valoir le droit à l’autodétermination d’un peuple opprimé, ce qui, selon lui, était parfaitement légitime au regard du droit international.

[99]      Notre Cour a mis beaucoup de soin à interpréter l’expression « renversement d’un gouvernement par la force » figurant à l’alinéa 34(1)b) de la Loi. Elle a conclu que ces mots étaient censés avoir une application large au stade de l’interdiction de territoire et ne devaient pas être interprétés comme comprenant uniquement le recours à la force qui n’est pas légitime ou légale selon le droit international (Najafi, aux paragraphes 78 à 89). Ce faisant, notre Cour, renvoyant à l’arrêt Suresh comme elle l’avait fait dans l’arrêt Agraira, a noté que le ministre avait la capacité d’exempter des membres innocents d’une organisation qui s’était livrée à des actes visant au renversement par la force d’un gouvernement s’il était convaincu que leur admission au Canada ne serait pas préjudiciable à l’intérêt national, surtout dans les cas où l’octroi d’une dispense exigerait la résolution de questions complexes de droit international concernant la légitimité ou la légalité du recours à la force contre un gouvernement (Najafi, aux paragraphes 80 à 82).

[100]   Là encore, je n’interprète pas l’arrêt Najafi, où l’intéressé avait reconnu avoir été membre de l’organisation, comme empêchant la Commission de tenir compte de la contrainte lorsqu’elle se penche sur des allégations selon lesquelles l’intéressé est membre d’une organisation ou comme infirmant les arrêts Poshteh et Poshteh no 2.

[101]   L’arrêt Kassab concernait une question d’interdiction de territoire fondée sur l’alinéa 35(1)b) de la Loi. Cette disposition rend un non-citoyen interdit de territoire s’il « occup[e] un poste de rang supérieur — au sens du règlement — au sein d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre » (mon soulignement). Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), à l’article 16, dispose que les personnes qui « occupent un poste de rang supérieur » sont celles « qui, du fait de leurs fonctions — actuelles ou anciennes —, sont ou étaient en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par leur gouvernement ou en tirent ou auraient pu en tirer certains avantages » et énumère des postes, tels que chef d’État, membre du cabinet et haut fonctionnaire ou responsable des forces armées, dont le titulaire est présumé capable d’exercer une telle influence.

[102]   La Cour fédérale, dans la décision Kassab, avait conclu que, pour qu’une personne soit jugée interdite de territoire, même si des éléments de preuve montraient qu’elle occupait l’un des postes énumérés à l’article 16 du Règlement, il était nécessaire de procéder à une analyse plus large pour déterminer si cette personne était effectivement en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par le gouvernement ou d’en tirer certains avantages. Notre Cour a conclu qu’une telle interprétation de l’interaction entre l’alinéa 35(1)b) de la Loi et l’article 16 du Règlement était incorrecte. Elle a toutefois souscrit à la déclaration de la Cour fédérale selon laquelle, dès lors qu’il est établi qu’un non-citoyen a occupé l’un des postes énumérés à l’article 16, « il existe alors [...] une présomption irréfutable selon laquelle l’intéressé occupe ou occupait un poste de rang supérieur » (Kassab, au paragraphe 21, citant le paragraphe 26 des motifs de la Cour fédérale, qui renvoie à la décision Adam, au paragraphe 7; mon soulignement).

[103]   Ainsi, une fois qu’il est établi que l’intéressé a occupé l’un ou l’autre de ces postes pour un gouvernement désigné, la Commission n’a pas à effectuer d’autre enquête pour juger l’intéressé interdit de territoire. Cette situation est fondamentalement différente de ce qui se produit dans les affaires où il est allégué qu’une personne est membre d’une organisation pour l’application des articles 34 ou 37 de la Loi, où le terme « membre » n’est pas défini par règlement et où la décision sur la qualité de membre de la personne n’est pas régie par des présomptions. Par conséquent, pour les personnes pouvant établir qu’elles n’ont pas été en mesure d’influencer sensiblement leur gouvernement malgré le fait qu’elles aient occupé un des postes énumérés, la dispense ministérielle devient leur seul recours possible contre la conclusion d’interdiction de territoire. C’est essentiellement ce que notre Cour a dit dans l’arrêt Kassab à l’égard de l’article 42.1 de la Loi.

[104]   Il y a donc distinction nette entre l’arrêt Kassab et les affaires, comme la présente affaire, où l’interdiction de territoire est fondée sur le fait que la personne est membre d’une organisation terroriste ou criminelle. Dans une affaire relevant de l’alinéa 35(1)b), les options qui s’offrent légalement à la « cour de justice compétente en matière d’immigration » sont limitées par le libellé de cette disposition, la disposition réglementaire connexe et la présomption irréfutable d’interdiction de territoire émanant de la jurisprudence de la Cour. La Commission n’est pas assujettie à ces mêmes limites lorsqu’elle doit déterminer si une personne est membre d’une organisation dans une affaire relevant de l’article 34 ou 37.

[105]   Bien que cet arrêt ne fasse pas partie de la « jurisprudence des cours d’appel » qu’il a invoquée à l’appui de sa position, le ministre renvoie à l’arrêt de notre Cour Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344, pour faire valoir que la mens rea n’est pas une considération pertinente pour juger l’interdiction de territoire. Dans l’arrêt Mahjoub, au paragraphe 94, notre Cour a rejeté la thèse selon laquelle il faut prouver que la personne a eu l’intention de participer ou de contribuer à une organisation afin d’établir que celle-ci en était membre pour l’application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi, en indiquant que cette disposition « ne fait qu’exposer le statut de membre, rien de plus ».

[106]   L’affaire Mahjoub, où la Cour fédérale avait conclu que M. Mahjoub avait « un lien institutionnel » avec l’organisation terroriste concernée et avait « sciemment participé aux activités de l’organisation », n’est pas une affaire où la personne est devenue membre d’une organisation sous la contrainte [au paragraphe 95]. M. Mahjoub n’a soulevé aucune allégation de cette nature quand il a attaqué la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle il était membre de l’organisation; l’affaire reposait entièrement sur la nature et le degré allégués de sa participation à l’organisation, ce qui doit être distingué du fait de devenir membre et de prendre part aux activités sous la contrainte.

[107]   Encore une fois, comme je l’ai indiqué plus haut, le législateur n’avait pas l’intention d’étendre le sens du terme « membre » pour l’application des alinéas 34(1)f) et 37(1)a) aux personnes qui sont recrutées de force et qui agissent au nom de l’organisation alors qu’elles sont sous la contrainte. L’arrêt Mahjoub ne porte pas sur ce type particulier de situation et n’est donc d’aucune utilité pour le ministre.

[108]   Enfin, les affaires Stables, Saleh et Gazi sont toutes des affaires où l’intéressé a reconnu être membre et où la question de la contrainte n’a jamais été soulevée. Aucune de ces décisions n’aide le ministre. Dans la décision Gazi, la question en litige portait sur le caractère raisonnable de la conclusion de la Commission selon laquelle elle avait des motifs sérieux de croire que l’organisation dont le demandeur avait reconnu être membre était une organisation se livrant au terrorisme. La Cour fédérale n’a vu aucun motif de modifier la conclusion de la Commission. Dans une observation incidente, la Cour, notant que la Commission avait conclu que le demandeur ne s’était pas livré à des actes de violence au nom de l’organisation, a mentionné que ce n’était pas la fin de l’affaire pour lui, car il avait le droit de demander une dispense ministérielle en vertu de l’article 42.1. Dans la décision Saleh, la question en litige était de savoir si une conclusion d’interdiction de territoire pouvait découler du simple fait que la personne était membre d’une organisation. Il n’y a dans cette décision aucune référence à l’article 42.1 ou aux dispositions qui l’ont précédé.

[109]   Enfin, l’affaire Stables est une affaire où le demandeur, qui avait été jugé interdit de territoire parce qu’il était membre des Hells Angels, un fait qu’il avait reconnu, a mis en doute la validité constitutionnelle du paragraphe 37(1) de la Loi. Il a affirmé que cette disposition violait sa liberté d’expression et sa liberté d’association, protégées par la Charte, en raison de l’impossibilité, en réalité, d’obtenir une dispense ministérielle, étant donné les longs délais, le faible nombre de demandes traitées et le faible taux d’approbation des demandes traitées. Cela avait pour effet de laisser sans protection les personnes qui étaient visées par la définition large du terme « membre », mais qui ne menaçaient pas l’intérêt national.

[110]   En concluant, dans son analyse relative à la Charte, que l’article 37 de la Loi était « suffisamment circonscrit pour faire en sorte que les prétendus membres “innocents” des organisations criminelles ne soient pas interdits de territoire », la Cour fédérale a renvoyé au rôle que joue la dispense ministérielle pour garantir que ces membres ne soient pas visés par le paragraphe 37(1). S’appuyant sur l’arrêt Agraira, la Cour fédérale a indiqué que la dispense ministérielle pouvait, par exemple, également profiter aux personnes pouvant convaincre le ministre que leur participation à une organisation criminelle avait été contrainte (Stables, au paragraphe 35).

[111]   Comme il a été indiqué plus haut, l’arrêt Agraira n’a pas exclu la possibilité de faire valoir la contrainte dans les instances d’interdiction de territoire et n’a pas non plus invalidé les arrêts Poshteh et Poshteh no 2. La décision Stables doit donc être interprétée en conséquence.

[112]   Une dernière observation avant de conclure à l’égard de la question de la compétence. Le ministre soutient que, si elle est confirmée, la décision de la Cour fédérale en l’espèce pourrait obliger les agents des visas chargés de prendre des décisions en matière d’interdiction de territoire de tenir compte du moyen de défense fondée sur la contrainte, même si le législateur lui a conféré ce pouvoir de manière exclusive. Cette affirmation n’est toutefois pas fondée, comme le montrent les affaires suivantes, où la contrainte a été prise en compte par des agents des visas sans que le ministre s’y oppose : Damir c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 48, 2018 CarswellNat 208 (WL Can.), [2018] 4 R.C.F. F-2; Gacho c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 794, 2016 CarswellNat 4987 (WL Can.); Mohamed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 622, 2015 CarswellNat 12502 (WL Can.); Ghaffari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 674, 2013 CarswellNat 2348 (WL Can.); Kanapathy c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 459, 2012 CarswellNat 2613 (WL Can.)).

[113]   Pour tous ces motifs, je conclus qu’en déterminant si une personne est interdite de territoire en application de l’alinéa 37(1)a) de la Loi, la Commission a le droit de considérer si la personne est devenue membre par la contrainte ou la violence. J’estime que cette interprétation de la compétence de la Commission en la matière non seulement appartient aux issues possibles acceptables, mais est correcte.

[114]   Par conséquent, je répondrais par l’affirmative à la question certifiée.

B.    La décision de la SAI quant à l’admissibilité est raisonnable

[115]   Le ministre soutient que la SAI, en concluant que l’intimé avait été contraint, n’a pas suivi la jurisprudence faisant autorité et régissant les affaires où la toxicomanie peut excuser une personne de ne pas utiliser un moyen objectivement disponible de s’en sortir sans danger ou n’avait pas établi de distinction avec cette jurisprudence. Devant la SAI, le ministre a fait valoir que l’intimé avait la capacité mentale de formuler un plan d’évasion ainsi que la capacité physique et la possibilité de l’exécuter parce qu’il n’était pas sous l’emprise du cartel ni sous l’influence de drogues 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et qu’il était suffisamment lucide pour se voir confier l’argent de « pots-de-vin » à remettre à la police. Il a soutenu que, ajoutés les uns aux autres, ces renseignements auraient dû amener la SAI à conclure que l’intimé disposait d’un moyen de s’en sortir sans danger et qu’il ne satisfaisait donc pas à tous les éléments du moyen de défense fondé sur la contrainte.

[116]   La SAI a rejeté la thèse du ministre, étant d’avis que la SI avait « tenu compte de l’ensemble des circonstances de [l’intimé] lorsqu’[elle] a examiné l’élément du moyen de s’en sortir sans danger » et que c’est « une combinaison de ces facteurs, notamment les raclées répétées et les menaces de mort, qui a restreint l’évaluation effectuée par [l’intimé] des moyens qu’il avait de s’en sortir sans danger ». Selon la SAI, ces conclusions étaient étayées par le rapport psychologique que l’intimé avait déposé devant la SAI. Il était également important, aux yeux de la SAI, que l’absence de moyen de s’en sortir sans danger était renforcée par le fait que, lorsque l’intimé avait tenté de s’extraire de l’emprise du cartel, il y avait été renvoyé par la police (décision de 2018, cahier d’appel, vol. 1, aux pages 41 et 42, aux paragraphes 16 et 17).

[117]   Le juge a noté que l’intimé avait été jugé crédible et que, de tous les éléments constitutifs de la défense de contrainte examinés par la SAI, seul le « moyen de s’en sortir sans danger » était mis en doute dans le contrôle judiciaire. Il a également noté que la SAI a accordé une valeur considérable au fait que le cartel était une organisation puissante qui recourait souvent à la violence pour atteindre ses objectifs, ainsi qu’au fait que, lorsque l’intimé a tenté de s’extraire de la situation de contrainte, la police l’a simplement renvoyé au cartel.

[118]   En fin de compte, le juge a conclu que le ministre l’invitait simplement à réexaminer les éléments de preuve. Je suis du même avis. C’est également ce que le ministre demande à notre Cour de faire. Toutefois, il n’appartient pas à une cour de révision d’apprécier à nouveau les éléments de preuve dont disposait le décideur administratif et de tirer ses propres conclusions (voir l’arrêt Vavilov, aux paragraphes 83 et 125).

[119]   Je conclus que la SAI a appliqué le bon critère juridique en ce qui concerne l’élément du « moyen de s’en sortir sans danger » et qu’elle a raisonnablement appliqué ce critère aux faits dont elle était saisie. Sa conclusion selon laquelle une personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable n’aurait pas pu se sortir de la situation de contrainte comporte, à mon avis, les caractéristiques d’une décision raisonnable : elle est intrinsèquement cohérente, découle d’une analyse rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles la Commission était assujettie (Vavilov, au paragraphe 85).

[120]   Par conséquent, je ne vois aucun motif de modifier cette conclusion.

VI.   Dispositif

[121]   Je répondrais à la question certifiée par l’affirmative et je rejetterais l’appel.

[122]   L’intimé demande les dépens dans le présent appel. Il soutient être dans la même position qu’il était devant la Cour fédérale. Le juge, reprochant au ministre d’avoir adopté des thèses incohérentes devant la Cour fédérale « entre 2012 et aujourd’hui, ce qui a causé au défendeur une perte de ressources financières et de temps », a accordé à l’intimé des dépens de 5 000 $ (jugement, aux paragraphes 54 à 56).

[123]   Selon la règle 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, les dépens ne sont adjugés dans les instances introduites au titre de la Loi que s’il existe des raisons spéciales de le faire.

[124]   Je suis d’accord avec le ministre qu’il n’y a pas de raisons spéciales liées au fait qu’il ait exercé son droit d’appel après la certification d’une question désignée par le juge comme étant de portée générale et nécessitant des éclaircissements de la part de notre Cour.

[125]   Je m’en tiendrais donc au principe énoncé à la règle 22 de ce règlement et n’adjugerais pas de dépens pour le présent appel.

Le juge Near, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Gleason, J.C.A. : Je suis d’accord.

ANNEXE

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Désignation des agents

6 (1) Le ministre désigne, individuellement ou par catégorie, les personnes qu’il charge, à titre d’agent, de l’application de tout ou partie des dispositions de la présente loi et précise les attributions attachées à leurs fonctions.

Délégation

(2) Le ministre peut déléguer, par écrit, les attributions qui lui sont conférées par la présente loi et il n’est pas nécessaire de prouver l’authenticité de la délégation.

Restriction

(3) Ne peuvent toutefois être déléguées les attributions conférées par le paragraphe 20.1(1), l’article 22.1 et les paragraphes 42.1(1) et (2) et 77(1).

[…]

Interprétation

33 Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

Sécurité

34 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

a) être l’auteur de tout acte d’espionnage dirigé contre le Canada ou contraire aux intérêts du Canada;

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

b.1) se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

c) se livrer au terrorisme;

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c).

(2) [Abrogé, 2013, ch. 16, art. 13]

Atteinte aux droits humains ou internationaux

35 (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

b) occuper un poste de rang supérieur — au sens du règlement — au sein d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

c) être, sauf s’agissant du résident permanent, une personne dont l’entrée ou le séjour au Canada est limité au titre d’une décision, d’une résolution ou d’une mesure d’une organisation internationale d’États ou une association d’États dont le Canada est membre et qui impose des sanctions à l’égard d’un pays contre lequel le Canada a imposé — ou s’est engagé à imposer — des sanctions de concert avec cette organisation ou association;

d) être, sauf dans le cas du résident permanent, une personne présentement visée par un décret ou un règlement pris, au motif que s’est produit l’un ou l’autre des faits prévus aux alinéas 4(1.1)c) ou d) de la Loi sur les mesures économiques spéciales, en vertu de l’article 4 de cette loi;

e) être, sauf dans le cas du résident permanent, une personne présentement visée par un décret ou un règlement pris en vertu de l’article 4 de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski).

Précision

(2) Il est entendu que, malgré l’article 33, la personne qui cesse d’être visée par un décret ou un règlement visé aux alinéas (1)d) ou e) cesse dès lors d’être interdite de territoire en application de l’alinéa en cause.

Grande criminalité

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

Criminalité

(2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits;

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales;

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation;

d) commettre, à son entrée au Canada, une infraction qui constitue une infraction à une loi fédérale précisée par règlement.

[…]

Application

(3) Les dispositions suivantes régissent l’application des paragraphes (1) et (2) :

a) l’infraction punissable par mise en accusation ou par procédure sommaire est assimilée à l’infraction punissable par mise en accusation, indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu;

b) la déclaration de culpabilité n’emporte pas interdiction de territoire en cas de verdict d’acquittement rendu en dernier ressort ou en cas de suspension du casier — sauf cas de révocation ou de nullité — au titre de la Loi sur le casier judiciaire;

c) les faits visés aux alinéas (1)b) ou c) et (2)b) ou c) n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui, à l’expiration du délai réglementaire, convainc le ministre de sa réadaptation ou qui appartient à une catégorie réglementaire de personnes présumées réadaptées;

d) la preuve du fait visé à l’alinéa (1)c) est, s’agissant du résident permanent, fondée sur la prépondérance des probabilités;

e) l’interdiction de territoire ne peut être fondée sur les infractions suivantes :

(i) celles qui sont qualifiées de contraventions en vertu de la Loi sur les contraventions,

(ii) celles dont le résident permanent ou l’étranger est déclaré coupable sous le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants, chapitre Y-1 des Lois révisées du Canada (1985),

(iii) celles pour lesquelles le résident permanent ou l’étranger a reçu une peine spécifique en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

[…]

Rapport d’interdiction de territoire

44 (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

Suivi

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

[…]

Enquête par la Section de l’immigration

Décision

45 Après avoir procédé à une enquête, la Section de l’immigration rend telle des décisions suivantes :

a) reconnaître le droit d’entrer au Canada au citoyen canadien au sens de la Loi sur la citoyenneté, à la personne inscrite comme Indien au sens de la Loi sur les Indiens et au résident permanent;

b) octroyer à l’étranger le statut de résident permanent ou temporaire sur preuve qu’il se conforme à la présente loi;

c) autoriser le résident permanent ou l’étranger à entrer, avec ou sans conditions, au Canada pour contrôle complémentaire;

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l’étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n’est pas prouvé qu’il n’est pas interdit de territoire, ou contre l’étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu’il est interdit de territoire.

[…]

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

98 La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

[…]

Compétence exclusive

162 (1) Chacune des sections a compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence — dans le cadre des affaires dont elle est saisie.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6

Article premier

Définition du terme “Réfugié

[…]

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiées;

c) qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46

Traite des personnes

279.01 (1) Quiconque recrute, transporte, transfère, reçoit, détient, cache ou héberge une personne, ou exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d’une personne, en vue de l’exploiter ou de faciliter son exploitation commet une infraction passible, sur déclaration de culpabilité par voie de mise en accusation :

a) s’il enlève la personne, se livre à des voies de fait graves ou à une agression sexuelle grave sur elle ou cause sa mort lors de la perpétration de l’infraction, d’un emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de cinq ans;

b) dans les autres cas, d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, la peine minimale étant de quatre ans.

[…]

Recyclage des produits de la criminalité

462.31 (1) Est coupable d’une infraction quiconque — de quelque façon que ce soit — utilise, enlève, envoie, livre à une personne ou à un endroit, transporte ou modifie des biens ou leurs produits, en dispose, en transfère la possession ou prend part à toute autre forme d’opération à leur égard, dans l’intention de les cacher ou de les convertir sachant ou croyant qu’ils ont été obtenus ou proviennent, ou sans se soucier du fait qu’ils ont été obtenus ou proviennent, en totalité ou en partie, directement ou indirectement :

a) soit de la perpétration, au Canada, d’une infraction désignée;

b) soit d’un acte ou d’une omission survenu à l’extérieur du Canada qui, au Canada, aurait constitué une infraction désignée.

[…]

Définitions

467.1 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

organisation criminelle Groupe, quel qu’en soit le mode d’organisation :

a) composé d’au moins trois personnes se trouvant au Canada ou à l’étranger;

b) dont un des objets principaux ou une des activités principales est de commettre ou de faciliter une ou plusieurs infractions graves qui, si elles étaient commises, pourraient lui procurer — ou procurer à une personne qui en fait partie —, directement ou indirectement, un avantage matériel, notamment financier.

La présente définition ne vise pas le groupe d’individus formé au hasard pour la perpétration immédiate d’une seule infraction. (criminal organization)

[…]

Participation aux activités d’une organisation criminelle

467.11 (1) Quiconque sciemment, par acte ou omission, participe à une activité d’une organisation criminelle ou y contribue dans le but d’accroître la capacité de l’organisation de faciliter ou de commettre un acte criminel prévu à la présente loi ou à une autre loi fédérale est coupable :

a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Application de l’alinéa 35(1)b) de la Loi

16 Pour l’application de l’alinéa 35(1)b) de la Loi, occupent un poste de rang supérieur les personnes qui, du fait de leurs fonctions — actuelles ou anciennes —, sont ou étaient en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par leur gouvernement ou en tirent ou auraient pu en tirer certains avantages, notamment :

a) le chef d’État ou le chef du gouvernement;

b) les membres du cabinet ou du conseil exécutif;

c) les principaux conseillers des personnes visées aux alinéas a) et b);

d) les hauts fonctionnaires;

e) les responsables des forces armées et des services de renseignement ou de sécurité intérieure;

f) les ambassadeurs et les membres du service diplomatique de haut rang;

g) les juges.

Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22

Dépens

22 Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens.

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